Language of document : ECLI:EU:T:2019:810

ORDONNANCE DE LA PRÉSIDENTE
DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

20 novembre 2019 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige – Absence – Demande de confidentialité »

Dans l’affaire T‑187/19,

Glaxo Group Ltd, établie à Brentford (Royaume-Uni), représentée par MM. S. Malynicz, QC, S. Baran, Barrister, et R. Jacob, Solicitor,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. S. Hanne et H. O’Neill, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 15 janvier 2019 (affaire R 1870/2017-1), concernant une demande d’enregistrement du signe de couleur pourpre (PANTONE : 2587C) comme marque de l’Union européenne,

LA PRÉSIDENTE DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 24 septembre 2015, la requérante, Glaxo Group Ltd, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe de couleur suivant :

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3        Dans le formulaire de demande d’enregistrement, le signe demandé a été décrit comme étant une marque de couleur avec la précision suivante :

« Pourpre – PANTONE : 2587C ».

4        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 5 et 10 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        Classe 5 : « Préparations pharmaceutiques pour le traitement de l’asthme et/ou la bronchopneumopathie chronique obstructive » ;

–        Classe 10 : « Inhalateurs pour le traitement de l’asthme et/ou la bronchopneumopathie chronique obstructive; parties des produits précités ».

5        Par décision du 6 juillet 2017, l’examinateur a rejeté la demande de marque dans son intégralité sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009 (devenus respectivement article 7, paragraphe 1, sous b) et article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001). Il a conclu que la marque demandée sera perçue par le public pertinent comme une indication de certaines caractéristiques des produits et, en conséquence, ne saurait remplir la fonction essentielle d’une marque, qui est celle d’indiquer l’origine commerciale d’un produit ou service. L’examinateur a notamment fait valoir que les inhalateurs sont classés par couleur, chaque couleur désignant un type de médicament. Dans certains États membres, les inhalateurs commercialisés dans une couleur violette contiennent des associations de médicaments permettant de soulager les symptômes.

6        Le 24 août 2017, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de l’examinateur.

7        Par décision du 15 janvier 2019 (ci‑après, la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours.

 Procédure

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 mars 2019, la requérante a introduit un recours contre la décision attaquée tendant à l’annulation de celle-ci et à la condamnation de l’EUIPO aux dépens.

9        Le 12 juin 2019, l’EUIPO a déposé au greffe du Tribunal son mémoire en réponse, dans lequel il conclut au rejet du recours et à la condamnation de la requérante aux dépens.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 1er juillet 2019, EBEWE Pharma GmbH et Sandoz International GmbH (ci-après, les « demanderesses en intervention ») ont demandé à intervenir au présent litige au soutien des conclusions de l’EUIPO.

11      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement le 23 août 2019 et le 23 septembre 2019, l’EUIPO et la requérante ont soulevé des objections à l’encontre de la demande d’intervention.

 En droit

 Arguments des parties

12      Les demanderesses en intervention exposent que la présente affaire s’inscrit dans un contentieux plus large entre la requérante et elles-mêmes ou d’autres sociétés du groupe dont elles font partie (ci-après, le « groupe des intervenantes »). Leur différend porte sur un inhalateur contre l’asthme commercialisé par le groupe des intervenantes sous une nuance de pourpre (Pantone 2573C) différente de celle demandée à l’enregistrement par la requérante.

13      Les nombreuses procédures nationales, dont une partie est toujours pendante, portent sur la question de savoir si les demanderesses en intervention et, plus largement, le groupe dont elles font parties, peuvent utiliser sur l’inhalateur qu’elles commercialisent une nuance de pourpre différente de celle demandée par la requérante. Les demanderesses en intervention estiment que, si la requérante en obtenait l’enregistrement, elle utiliserait cette marque dans le cadre de ces procédures nationales. Elles craignent également que la requérante n’introduise de nouveaux recours fondés sur la contrefaçon dans d’autres pays.

14      Les demanderesses en intervention soutiennent qu’elles ont un intérêt immédiat à la solution de la présente affaire. Plus particulièrement, EBEWE Pharma GmbH ayant présenté des observations de tiers pendant la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, elle aurait un intérêt à ce que la décision attaquée soit confirmée. De plus, certains litiges pendants devant des juridictions nationales tendent à l’annulation de marques de couleur dont le titulaire est la requérante et comportant la même nuance de pourpre que celle faisant l’objet de la décision attaquée, à savoir Pantone 2587C.

15      Quant à l’intérêt de Sandoz International GmbH, il serait justifié, d’une part, par le fait qu’elle assure au sein du groupe la coordination des litiges et fournit un soutien juridique et des conseils et, d’autre part, par le fait que la décision du Tribunal dans la présente affaire aurait un impact sur les actions en usurpation d’appellation pendantes en Irlande et au Royaume-Uni dans lesquelles elle est partie. Selon elle, bien que la question de savoir si la couleur des inhalateurs était perçue par le public pertinent comme une indication de l’origine commerciale soit appréciée par les juridictions nationales dans le cadre de leur compétence indépendante et autonome, une décision du Tribunal dans la présente affaire qui serait favorable à la requérante, conduisant à l’enregistrement de la marque, pourrait avoir une incidence considérable sur les décisions des différentes juridictions concernant le « goodwill » (force d’attraction de la clientèle) attaché à la couleur.

16      Enfin, les demanderesses en intervention estiment qu’une décision du Tribunal favorable à la requérante aurait un impact significatif sur les procédures nationales d’enregistrement ou de recours en invalidité concernant des marques constituées d’une seule couleur, car ces procédures deviendraient sans objet. Elles craignent également qu’une telle décision du Tribunal, d’une part, pourrait conduire une juridiction nationale à considérer que la fabrication, la commercialisation et l’offre des inhalateurs du groupe des intervenantes constituent une contrefaçon, ce qui aurait des conséquences négatives importantes pour la mise sur le marché de leur médicament générique et, d’autre part, donnerait à la requérante la possibilité de commencer de nouvelles procédures en contrefaçon.

17      La requérante fait valoir, en substance, que les demanderesses en intervention ont déjà eu la possibilité de présenter des observations de tiers dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO et que ces observations ont été prises en compte par ce dernier. De plus, une telle intervention aurait pour effet d’allonger inutilement la durée de la procédure devant le Tribunal.

18      L’EUIPO considère que les demanderesses en intervention n’ont pas établi à suffisance un intérêt à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du Statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Premièrement, les litiges qui les opposent à la requérante devant les autorités nationales ne sont plus fondés sur la nuance de pourpre faisant l’objet de la décision attaquée.

19      Deuxièmement, en supposant que la requérante obtienne l’enregistrement de la marque demandée, la simple possibilité qu’elle puisse l’invoquer dans le cadre de litiges actuels ou futurs devant les instances nationales ne constitue pas un intérêt suffisant à la solution du présent recours, car la décision du Tribunal n’aurait qu’un effet indirect sur ces autres différends.

 Appréciation de la présidente

20      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

21      Il résulte de la jurisprudence que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de ladite disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt ou de l’ordonnance à intervenir (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 9 octobre 2018, Pologne/Commission, C‑181/18 P, non publiée, EU:C:2018:826, point 5, et ordonnance du 14 décembre 2010, Huvis/Conseil, T‑536/08, non publiée, EU:T:2010:513, point 13).

22      À cet égard, il convient notamment de vérifier si le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et si son intérêt à l’issue du litige est certain. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention (voir ordonnance du président de la Cour du 9 octobre 2018, Pologne/Commission, C‑181/18 P, non publiée, EU:C:2018:826, point 6 et jurisprudence citée).

23      Un élément futur et hypothétique n’est pas de nature à démontrer un intérêt actuel et certain à la solution du litige [ordonnance du 2 mars 2011, Vuitton Malletier/OHMI – Friis Group International (Représentation d’un dispositif de verrouillage), T‑237/10, non publiée, EU:T:2011:67, point 32 et jurisprudence citée].

24      Il y a lieu de relever que les demanderesses en intervention n’invoquent aucun élément certain et actuel à l’appui de leur demande d’intervention, mais se contentent d’évoquer différentes hypothèses telles que la prise en compte de la décision du Tribunal par les juridictions nationales ou encore l’introduction, par la requérante à leur encontre, d’autres actions notamment en contrefaçon fondées sur la marque en cause dans la présente affaire.

25      Il convient, en premier lieu, de relever que l’éventualité de futures procédures initiées par la requérante contre les demanderesses en intervention dépend également d’autres facteurs, lesquels sont liés à la discrétion de la requérante et soumis à sa propre décision, et non pas à la solution du présent litige.

26      Par conséquent, les éventuelles futures procédures évoquées par les demanderesses en intervention ne suffisent pas pour démontrer qu’elles possèdent un intérêt certain et actuel à la solution du présent litige.

27      Concernant, en deuxième lieu, la prise en compte de l’arrêt à intervenir dans la présente affaire par les juridictions nationales, il convient de rappeler que les droits nationaux des marques ont fait l’objet d’une harmonisation en vertu de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1). Tant cette directive que le règlement 2017/1001 contiennent des dispositions, libellées en des termes très similaires, prévoyant que les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif sont refusées à l’enregistrement ou, si elles ont été enregistrées, sont susceptibles d’être déclarées nulles [voir, respectivement, article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/2436 et les articles 7, paragraphe 1, sous b) et 59, paragraphe 1, sous a) du règlement 2017/1001].

28      Il s’ensuit que la jurisprudence des juridictions de l’Union européenne relative à l’application des dispositions susvisées tant de la directive 2015/2436 que du règlement 2017/1001 est susceptible de revêtir une pertinence lors de l’examen, par la juridiction nationale compétente, d’une demande en nullité introduite contre une marque enregistrée dans un État membre.

29      Cela étant précisé, il convient de constater que l’objet de la présente affaire se limite à la question de savoir, d’une part, si la marque en cause est dépourvue de caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 et, d’autre part, si celle-ci a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait, au sens de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement.

30      Or, d’une part, il ressort d’une jurisprudence constante que le caractère distinctif d’une marque doit être apprécié, notamment, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 35).

31      En outre, l’évaluation concrète du caractère distinctif d’un signe susceptible d’être enregistré comme marque comporte des appréciations de nature factuelle (arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI, C‑98/11 P, EU:C:2012:307, point 49).

32      Enfin, il convient de rappeler qu’une marque, tant nationale que de l’Union, dépourvue de caractère distinctif peut, en vertu, respectivement, de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2015/2436 et de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, être enregistrée si la preuve est rapportée qu’elle a acquis, par l’usage qui en a été fait, un caractère distinctif.

33      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que, même s’il était jugé, dans la présente affaire, que c’est à bon droit que la décision attaquée a rejeté la demande d’enregistrement de la marque en cause et nonobstant la similitude voire l’identité alléguée entre cette marque et diverses marques nationales, il ne saurait être exclu que les juridictions nationales parviennent à des conclusions différentes s’agissant des litiges dont elles sont saisies, notamment des demandes en nullité des marques nationales. Cela est d’autant plus le cas que ces demandes devront être appréciées par rapport à un public différent (le public national et non pas le public de l’ensemble de l’Union européenne, pertinent pour l’appréciation du caractère distinctif de la marque de l’Union en cause dans la présente affaire) et que, le cas échéant, la preuve de l’acquisition, par les marques en question, d’un caractère distinctif par l’usage qui en a été fait, ne devra être apportée que pour le territoire de l’État membre concerné ou pour une partie de celui-ci (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2011, Représentation d’un dispositif de verrouillage, T‑237/10, non publiée, EU:T:2011:67, point 51).

34      D’autre part, même à admettre que l’arrêt à intervenir dans la présente affaire pourrait fournir une inspiration aux juridictions nationales aux fins de l’appréciation des demandes en nullité des marques nationales introduites devant elles, ce fait ne justifierait pas un intérêt direct des demanderesses en intervention à la solution du présent litige, au sens de la jurisprudence évoquée au point 22 ci‑dessus (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2011, Représentation d’un dispositif de verrouillage, T‑237/10, non publiée, EU:T:2011:67, point 52).

35      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demande en intervention d’EBEWE Pharma et de Sandoz International doit être rejetée à défaut d’intérêt actuel et direct à la solution du litige.

 Sur la demande de traitement confidentiel

36      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 23 septembre 2019, la requérante a présenté une demande de traitement confidentiel à l’égard des demanderesses en intervention de certaines données figurant dans des documents qu’elle avait déposés lors de la procédure devant l’EUIPO.

37      EBEWE Pharma et Sandoz International n’étant pas admises à intervenir dans la présente affaire, il n’y a pas lieu, pour le Tribunal, de statuer sur la demande de traitement confidentiel de la requérante.

 Sur les dépens

38      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard d’EBEWE Pharma et de Sandoz International, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande d’intervention.

39      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. À défaut de conclusions à cet égard, il y a lieu de décider que les demanderesses en intervention et les parties principales supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA PRÉSIDENTE DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande d’intervention d’EBEWE Pharma GmbH et de Sandoz International GmbH est rejetée.

2)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de traitement confidentiel de Glaxo Group Ltd.

3)      EBEWE Pharma GmbH et Sandoz International GmbH supporteront leurs propres dépens.

4)      Glaxo Group Ltd et l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supporteront leurs propres dépens afférents à la procédure d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 20 novembre 2019.

Le greffier

 

La présidente

E. Coulon

 

A. Marcoulli


*      Langue de procédure : l’anglais.