Language of document : ECLI:EU:C:2005:89

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. POIARES MADURO

présentées le 16 février 2005 (1)

Affaires jointes C-354/03, C-355/03 et C-484/03

Optigen Ltd,

Fulcrum Electronics Ltd (en liquidation),

Bond House Systems Ltd

contre

Commissioners of Customs & Excise

[demandes de décision préjudicielle formées par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni)]

«Sixième directive TVA – Articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphes 1 et 2 –Activités économiques – Opération s’inscrivant dans le cadre d’une chaîne de livraisons comportant un opérateur défaillant ou usurpant un numéro de TVA – Fraude de type ‘carrousel’»






1.     Saisie de trois affaires concernant des personnes ayant participé à leur insu à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA», appelée «carrousel», la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni) (ci‑après la «High Court of Justice»), demande à la Cour si des opérations qui s’inscrivent dans le cadre d’un système frauduleux mis sur pied par autrui constituent des activités économiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE (2).

2.     Les demandes de décision préjudicielle en l’espèce sont déférées dans le cadre des recours dont est saisie la High Court of Justice, dans les affaires Optigen Ltd (ci-après «Optigen»), Fulcrum Electronics Ltd (ci-après «Fulcrum») et Bond House Systems Ltd (ci-après «Bond House»). Dans chacune de ces affaires, les défenderesses au principal sont les Commissioners of Customs & Excise (ci‑après les «Commissioners»). Les recours d’Optigen et de Fulcrum sont dirigés contre une décision du VAT and Duties Tribunal, London. Celui de Bond House est dirigé contre une décision du VAT and Duties Tribunal, Manchester. Il résulte en substance de ces deux décisions que les opérations qui s’inscrivent dans le cadre d’une fraude de type «carrousel» échappent au champ d’application de la TVA.

I –    Les dispositions applicables du droit communautaire

3.     L’article 2 de la première directive 67/227/CEE (3) énonce la substance du système commun de TVA:

«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.

À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.»

4.     L’article 2, point 1, de la sixième directive soumet à la TVA les livraisons de biens ainsi que les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

5.     L’article 4, paragraphe 1, de la directive dispose qu’«[e]st considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité».

6.     La notion d’«activités économiques» est définie au paragraphe 2 comme englobant «toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. L’article 4, paragraphe 2, dispose ensuite qu’«[e]st notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence».

II – Les faits et les demandes de décision préjudicielle

A –    Le contexte général: la «fraude de type carrousel»

7.     Dans le jugement qu’il a rendu dans l’affaire Bond House, le VAT and Duties Tribunal, Manchester, énonce clairement ce que les Commissioners qualifient de fraude de type «carrousel» (4):

«Sous sa forme la plus simple, une fraude de type carrousel fonctionne de la manière suivante: un opérateur (‘A’) inscrit à la TVA dans un État membre de l’Union européenne vend des marchandises imposables à un opérateur (‘B’) inscrit à la TVA dans un autre État membre. La vente de A à B s’effectue à taux zéro dans l’État membre de A [(5)]. Il incombe à B de déclarer l’achat et d’acquitter la TVA y afférente dans son propre État membre, pour ensuite déduire ce même montant à titre de TVA payée en amont, pour autant qu’il compte utiliser lesdites marchandises pour réaliser une livraison imposable en aval. En général, s’il participe à une fraude de type carrousel, il ne fait ni l’un ni l’autre. B vend ensuite les marchandises à un autre opérateur inscrit à la TVA dans son propre État membre, tout en facturant et en percevant la TVA sur la contrepartie. Toutefois, il ne déclare par cette TVA à l’administration fiscale et, dans les faits, il disparaît; il devient ce que [les Commissioners] appellent un ‘opérateur manquant’. Toutefois, au moment de vendre à C, alors qu’il est encore inscrit à la TVA et avant que les Commissioners ne sachent qu’il est ou pourrait devenir un opérateur manquant et n’aient pu intervenir (par exemple en radiant l’inscription de B), il fournit une facture TVA à C, qui récupère la TVA en amont versée à B. C (que les Commissioners appellent un ‘courtier’) revend alors les marchandises à un opérateur inscrit dans un autre État membre: dans sa forme la plus simple, cette fraude se caractérisera par le fait que cet acheteur sera A, et c’est cette circularité qui explique l’expression ‘fraude de type carrousel’. C dispose d’une créance portant sur la TVA en amont, mais, étant donné que la revente à A s’effectue à taux zéro dans l’État membre de C, il n’est pas tenu de déclarer une TVA en aval [(6)]. Il en résulte, si la fraude réussit, que B a perçu, mais n’a pas déclaré, la TVA que l’administration fiscale doit verser à C. Dans cette situation, B a certainement commis une fraude et A probablement; il se peut que C ignore totalement ce qui se passe et la manière dont sa participation est mise à profit. [...] Dans la perception des Commissioners, l’objectif de B n’est pas d’acheter et de vendre dans le cadre d’activités économiques normales, mais de se mettre en situation de percevoir la TVA. [...] Les biens ne sont guère qu’une couverture nécessaire pour rendre les opérations vraisemblables. [...] De même, A (du moins s’il participe à la fraude) n’a pas de véritable motif économique de racheter ce qu’il vient de vendre. Bien qu’il soit possible que A participe à la fraude à son insu si les biens lui sont vendus par C à un prix inférieur à celui auquel il les a vendus à B (ou inférieur au prix auquel, compte tenu des variations du marché, il pourrait les vendre à l’avenir), la théorie des Commissioners consiste à dire que A et B agissent de concert et que le rachat par A est souhaitable, en partie pour des motifs de contrôle et en partie parce qu’il est plus simple et moins cher d’utiliser plusieurs fois une quantité limitée de biens que de s’approvisionner de neuf sur le marché libre pour chaque tour de carrousel. [...] Sachant qu’il profitera de son omission de déclarer la taxe perçue en aval, B peut se permettre de vendre les biens à C moins cher qu’il ne les a payés à A, et il le fera si cela s’avère nécessaire à la réalisation d’une vente.»

8.     On peut imaginer une infinité de variantes dans la chaîne des opérations, notablement plus compliquées que celle que je viens de décrire et, en réalité, on peut faire circuler les mêmes biens dans plusieurs chaînes. Néanmoins, la problématique demeure fondamentalement la même: un opérateur perçoit une somme qui lui est versée à titre de TVA, mais ne la déclare pas à l’administration fiscale. L’opérateur défaillant peut utiliser un numéro de TVA «usurpé» ou s’inscrire à la TVA pour ensuite tout simplement disparaître avant que l’administration fiscale n’ait pu agir.

9.     Ce type de fraude semble être en recrudescence dans le commerce intracommunautaire ces dernières années et constitue actuellement une préoccupation majeure des États membres. Il est difficile de chiffrer les montants en cause, mais il en résulte manifestement une importante perte de recettes fiscales (7).

B –    Les faits dans les affaires en cause

10.   Dans les affaires en cause, les faits suivants ressortent des décisions de renvoi de la High Court of Justice.

1.      Les faits dans les affaires Optigen et Fulcrum

11.   Optigen et Fulcrum étaient des commerçants, dont les activités portaient surtout sur les puces d’ordinateurs, qu’ils achetaient auprès de sociétés situées au Royaume-Uni et revendaient à des clients établis dans d’autres États membres. Il a été constaté qu’Optigen et Fulcrum sont devenues des parties innocentes à un certain nombre d’opérations constituant une fraude de type «carrousel». Elles n’avaient aucun contact avec l’opérateur qui a «disparu» et elles ne savaient pas ni ne devaient savoir qu’elles participaient à un réseau d’opérations autrement qu’en tant que clients ordinaires d’un commerçant et en tant que fournisseurs ordinaires d’une société d’un autre État membre. Les Commissioners ont refusé les décomptes TVA présentés par Optigen et Fulcrum, car les acquisitions et ventes concernées seraient dénuées de substance économique et ne s’inscriraient pas dans le cadre d’une activité économique. Selon les Commissioners, les achats ne sont pas des livraisons utilisées ou devant être utilisées pour les besoins d’une activité économique et les ventes ne sont pas des livraisons effectuées dans le cadre d’une activité économique aux fins de la TVA.

12.   Optigen et Fulcrum ont attaqué les décisions des Commissioners devant le VAT and Duties Tribunal, London, qui a joint les deux affaires. Par jugement du 1er mai 2003, ce VAT and Duties Tribunal a rejeté leurs recours, concluant que c’était à bon droit que les Commissioners avaient fait valoir que les opérations en cause tombaient en dehors du champ d’application de la TVA. Il a constaté qu’un opérateur n’a pas droit au remboursement de la TVA acquittée en amont sur des biens qu’il a ensuite revendus à des sociétés en dehors du Royaume-Uni lorsqu’un opérateur défaillant, ou un opérateur qui utilise un numéro de TVA usurpé, est intervenu dans la chaîne des livraisons, même si l’opérateur qui réclame le remboursement n’était en aucune manière complice du manquement de l’autre opérateur à ses obligations ou de l’usurpation du numéro de TVA, ni au courant de ceux-ci, et si les chaînes de livraisons dans lesquelles s’inscrivaient les achats et ventes de l’opérateur faisaient partie à son insu d’une fraude de type «carrousel» opérée par des tiers. Optigen et Fulcrum ont toutes deux fait appel de la décision du VAT and Duties Tribunal devant la High Court of Justice.

2.      Les faits dans l’affaire Bond House

13.   À l’époque pertinente, Bond House était une société immatriculée en Angleterre et au pays de Galles qui revendait des composants d’ordinateurs. La plus grande partie, en valeur, de ses activités consistait à acheter en vrac des puces de processeurs (ci‑après les «CPU») auprès de commerçants inscrits à la TVA au Royaume-Uni, qu’elle revendait à des commerçants inscrits à la TVA dans d’autres États membres. En mai 2002, dans le cadre de son commerce habituel, Bond House a procédé à un certain nombre d’acquisitions et de ventes de CPU. Une partie de ces ventes – 51 opérations représentant approximativement 99 % de son chiffre d’affaires de mai 2002 – était effectuée à destination de clients dans un autre État membre. À chaque fois, Bond House achetait les CPU auprès d’un fournisseur au Royaume-Uni à une valeur marchande qu’elle estimait correcte, en prenait livraison et versait au fournisseur le prix convenu, augmenté d’une somme qui lui était facturée au titre de la TVA. Elle livrait les CPU dans d’autres États membres à un prix quelque peu supérieur à celui qu’elle avait elle-même payé. Étant donné que ces livraisons se faisaient à taux zéro, Bond House a rédigé pour mai 2002 un décompte TVA réclamant le remboursement des sommes qu’elle avait versées à titre de TVA sur ces acquisitions. Les Commissioners ont rejeté la demande de Bond House de récupérer la TVA payée en amont pour 27 acquisitions.

14.   Bond House a attaqué la décision des Commissioners devant le VAT and Duties Tribunal, Manchester. Par jugement du 29 avril 2003, modifié par addendum du 8 mai 2003, ce VAT and Duties Tribunal a conclu que 26 des 27 achats en cause ne pouvaient pas être considérés comme des activités économiques au sens de la sixième directive et tombaient en dehors du champ d’application de la TVA. Il a constaté que ces achats faisaient partie d’une série d’opérations poursuivant un objectif frauduleux. Même si Bond House ignorait cet objectif et n’avait commis aucune infraction, ces opérations étaient dépourvues de substance économique. Elles devraient être appréciées selon des critères objectifs. La circonstance que la demanderesse n’avait commis aucune infraction était donc sans incidence. Enfin, Bond House ne pouvait avoir une confiance légitime en ce qu’il serait fait droit à sa demande de remboursement de la TVA acquittée en amont, et les Commissioners, en privant la demanderesse de ce remboursement, n’auraient pas violé les principes de proportionnalité ou de sécurité juridique ni violé ses droits fondamentaux. Bond House a fait appel de ce jugement devant la High Court of Justice. Celle-ci observe dans sa décision de renvoi que Bond House n’était pas au courant de la fraude invoquée par les Commissioners et que cette société n’avait pas fait preuve de légèreté dans la conduite de ses affaires.

C –    Les questions préjudicielles

15.   Estimant que le droit interne applicable – la loi de 1994 sur la TVA – doit être interprété au regard du système commun de TVA, la High Court of Justice souhaite s’entendre dire comment il y a lieu de déterminer si les opérations en cause relèvent du champ d’application de ce système. En l’espèce, le litige porte sur le point de savoir si Optigen, Fulcrum et Bond House exerçaient une activité économique lorsqu’elles ont pris part, à leur insu, à un «carrousel». La High Court of Justice demande en substance si des opérations du type concerné en l’espèce constituent des activités économiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive et si, pour procéder à cette appréciation, il faut avoir égard à la chaîne d’opérations dans son ensemble ou à chaque opération séparément.

16.   Des observations écrites ont été présentées par Optigen, Fulcrum et Bond House, par les gouvernements du Royaume-Uni et danois, par le Conseil de l’Union européenne ainsi que par la Commission des Communautés européennes. À l’audience qui s’est tenue le 8 décembre 2004, la Cour a entendu les plaidoiries d’Optigen, de Fulcrum et danois, des gouvernements du Royaume-Uni, tchèque et danois, ainsi que de la Commission. Le Conseil a décidé de ne pas présenter d’argumentation orale dès lors qu’il est apparu qu’aucune des parties ne mettrait en cause la validité des dispositions de la sixième directive.

III – Appréciation

17.   À l’évidence, le commerce des CPU est habituellement considéré comme une activité économique. L’analyse ci-après se concentrera donc principalement sur les motifs pour lesquels, selon le Royaume-Uni, ce ne serait pas le cas en l’espèce. En premier lieu, j’examinerai la thèse selon laquelle la nature des opérations devrait être appréciée en fonction du système de carrousel dans son ensemble. En deuxième lieu, je me pencherai sur l’idée selon laquelle il y aurait lieu de s’attacher à l’objectif frauduleux sous-jacent aux opérations. J’étudierai ensuite les conséquences de la jurisprudence selon laquelle certaines activités illégales échappent au champ d’application de la TVA. En quatrième lieu, j’aborderai la question de la sécurité juridique, un aspect sur lequel Optigen, Fulcrum et Bond House ont particulièrement insisté dans leurs observations orales et écrites. La partie finale proposera quelques réflexions sur la nécessité de lutter contre la fraude de type «carrousel».

A –    L’idée selon laquelle le carrousel doit être considéré comme un ensemble

18.   Optigen, Fulcrum, Bond House et la Commission font valoir que les opérations constituent des activités économiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive. Selon elles, l’acquisition et la vente de CPU constituent en soi une activité économique. Le fait que d’autres personnes aient lancé une chaîne d’opérations destinée à frauder l’administration fiscale n’affecte en rien la nature des opérations auxquelles Optigen, Fulcrum et Bond House ont pris part.

19.   Les gouvernements tchèque et danois soutiennent l’argumentation du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord selon laquelle ces opérations ne constituent pas des activités économiques au sens de la sixième directive. Le Royaume-Uni fait valoir que les opérations s’inscrivant dans le cadre d’un carrousel échappent au champ d’application de cette directive, car il ne s’agirait pas de véritables activités économiques; leur but ultime consiste à détourner l’argent payé au titre de la TVA plutôt qu’à mettre des produits sur le marché aux fins de leur consommation. Étant donné qu’aucune TVA n’est due sur ces opérations, toute récupération de la TVA sera forcément dénuée de fondement. Cet argument s’applique à chaque maillon de la chaîne car, en l’absence du mécanisme frauduleux, aucune des opérations n’aurait eu lieu.

20.   L’idée selon laquelle le système de carrousel doit être considéré comme un ensemble pour déterminer si la TVA s’applique à chacune des opérations distinctes qui le composent se trouve au cœur du raisonnement du Royaume-Uni. Je ne partage pas ce point de vue.

21.   La Cour a itérativement dit pour droit que le champ d’application du concept d’«activité économique» défini à l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive est large et de caractère objectif (8). Les exonérations du champ d’application de la TVA doivent être expresses et précises (9). Comme l’a indiqué la Cour dans son arrêt Rompelman, «le système commun de taxe sur la valeur ajoutée garantit […] la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités» (10). Dans son arrêt Commission/Pays-Bas, précité, la Cour a dit pour droit que, pour déterminer si une activité constitue une activité économique aux fins du système commun de TVA, «l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats» (11).

22.   Le Royaume-Uni se prévaut des arrêts Faaborg-Gelting Linien (12) et Stockholm Lindöpark (13) pour faire valoir que, pour déterminer si des opérations sont soumises à la TVA, il y a lieu de prendre en considération l’ensemble des circonstances dans lesquelles elles se déroulent. Toutefois, ces arrêts ne permettent pas de conclure qu’une chaîne de livraisons doit être considérée comme un ensemble aux fins de déterminer si les opérations qui en font partie constituent une activité économique.

23.   Dans l’arrêt Faaborg-Gelting Linien, précité, la Cour était appelée à déterminer si des opérations de restauration constituaient des livraisons de biens ou des prestations de services aux fins de la sixième directive. Elle a dit pour droit que l’opération de restauration constitue une prestation de services, car elle est caractérisée par un faisceau d’éléments et d’actes dont la livraison de nourriture n’est qu’une composante et au sein duquel les services prédominent largement (14).

24.   L’affaire Stockholm Lindöpark, précitée, portait sur le point de savoir si, aux fins de déterminer si elle peut être considérée comme étant exonérée de la TVA, l’activité de gestion d’un golf doit être qualifiée de location de propriété immobilière ou de prestation de services liés à la pratique du sport et de l’éducation physique. La Cour a déclaré que «l’activité de gestion d’un golf implique en général non seulement une mise à disposition passive d’un terrain, mais également un grand nombre d’activités commerciales, telles qu’une supervision, une gestion et une maintenance constante de la part du prestataire, une mise à disposition d’autres installations, etc.» (15). À défaut de circonstances tout à fait particulières, la location du terrain de golf ne saurait donc constituer la prestation prépondérante (16).

25.   Il ne faisait aucun doute, que ce soit dans l’arrêt Faaborg-Gelting Linien ou dans l’arrêt Stockholm Lindöpark, précités, que les activités en cause étaient de nature économique. Il s’agissait dans les deux cas d’opérations imposables en vertu de la sixième directive. Toutefois, plutôt que de morceler le fait imposable en ses différents éléments afin de les taxer séparément, la Cour a appliqué le principe de l’«unité de la prestation», comme l’a observé l’avocat général Ruiz‑Jarobo Colomer dans les conclusions qu’il a rendues dans l’affaire Hotel Scandic Gåsabäck (17).

26.   En outre, les circonstances que la Cour a prises en considération dans l’affaire Faaborg-Gelting Linien, précitée, s’inscrivaient dans le contexte d’un faisceau d’actes effectués en même temps dans le cadre d’une seule opération par un seul assujetti. Dans l’affaire Stockholm Lindöpark, précitée, la Cour a examiné un faisceau d’actes qui, pris dans leur ensemble, constituaient une activité économique.

27.   En revanche, la fraude de type «carrousel» implique une série d’activités successives exécutées par un certain nombre d’opérateurs dans une chaîne de livraisons. L’exigibilité de la TVA sur chaque opération d’une chaîne de livraisons constitue un caractère essentiel du système commun de TVA (18). Dès lors, chaque opération doit être considérée en elle-même. En conséquence, la nature d’une opération déterminée dans la chaîne ne saurait être altérée du fait d’événements antérieurs ou ultérieurs (19).

28.   Le Royaume-Uni affirme à juste titre que l’application de la TVA doit tenir compte de la réalité économique. Cela ne signifie toutefois pas que la nature d’une opération dans une chaîne de livraisons doit être définie en fonction de la chaîne dans son ensemble. Bien au contraire, la jurisprudence confirme la règle selon laquelle une activité doit être considérée objectivement et en elle-même lorsqu’elle affirme qu’il y a lieu de prendre en considération la situation économique réelle, indépendamment de la forme juridique (20).

29.   La règle qui veut que chaque opération soit considérée en elle‑même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats, est fondée sur l’exigence de neutralité du système commun de TVA et sur le principe de sécurité juridique, qui exige que l’application de la législation communautaire soit prévisible pour les justiciables (21). Elle garantit en principe la possibilité de déterminer, au moment de l’opération imposable, si ladite opération relève ou non du champ d’application de la sixième directive.

B –    L’objectif sous-jacent aux opérations

30.   Le Royaume-Uni affirme en outre qu’il est nécessaire de tenir compte du but sous-jacent des opérations (22), qui consiste en l’occurrence à commettre une fraude. Sans cet objectif, le carrousel et l’ensemble des opérations qui le composent n’auraient jamais existé en tant que phénomène économique normal. Optigen fait valoir que ce point de vue est en réalité subjectif, car il reprend la perspective de l’opérateur défaillant, tout en ignorant les intentions des autres opérateurs. Pourtant, selon le Royaume-Uni, il est fondé non pas sur les intentions d’un opérateur en particulier, mais sur le constat objectif que les marchandises ont circulé dans le cadre d’un système de carrousel qui ne répondait à aucune finalité économique.

31.   Il y a lieu de rejeter cet argument, ne fût-ce que parce qu’il est fondé sur une appréciation du but et des résultats de l’ensemble de la chaîne, plutôt que sur les caractéristiques de chacune des opérations. L’affirmation selon laquelle, au bout du compte, les opérations n’avaient pas de finalité économique est fondée sur un faisceau de circonstances s’étendant au-delà des éléments propres à déterminer si une opération de la chaîne relèvera ou non du champ d’application de la TVA. Comme je l’ai conclu ci-dessus, chaque opération doit être considérée individuellement, indépendamment de son but ou de ses résultats. Le fait que des biens repassent ultérieurement entre les mains du même opérateur est sans incidence sur la nature d’une opération dans une chaîne. L’objectif de détourner de l’argent peut avoir été à l’origine de la chaîne d’opérations, mais ce détournement constitue une activité en soi; il n’est pas inhérent à l’activité qu’est le commerce des CPU et n’altère pas la nature des opérations individuelles en un autre point de la chaîne.

32.   Manifestement, le Royaume-Uni attache une importance particulière au fait que l’objectif sous-jacent du carrousel consiste à commettre ce qu’il considère comme une fraude à la TVA.

33.   Pourtant, contrairement à ce que prétend le Royaume-Uni, il ne résulte pas de la position adoptée par la Cour dans les arrêts Breitsohl (23) et Inzo (24) qu’une activité peut être privée de sa nature économique lorsqu’elle est accomplie dans un but frauduleux ou lorsque, étant donné son résultat, elle aboutit à faciliter la fraude.

34.   La question est toute autre lorsqu’une personne qui prétend déduire la TVA fait de fausses déclarations concernant sa qualité d’assujetti. C’est sur cette question que portaient les arrêts précités Breitsohl et Inzo. La Cour a dit pour droit que «la qualité d’assujetti n’est définitivement acquise que si la déclaration de l’intention de commencer les activités économiques envisagées a été faite de bonne foi par l’intéressé. Dans les situations frauduleuses ou abusives dans lesquelles, par exemple, ce dernier a feint de vouloir déployer une activité économique particulière, mais a cherché en réalité à faire entrer dans son patrimoine privé des biens pouvant faire l’objet d’une déduction, l’administration fiscale peut demander, avec effet rétroactif, le remboursement des sommes déduites puisque ces déductions ont été accordées sur la base de fausses déclarations» (25).

35.   Cette jurisprudence reconnaît la possibilité pour les autorités fiscales d’exiger «que l’intention déclarée d’exercer une activité économique donnant lieu à des opérations taxées soit confirmée par des éléments objectifs, en l’absence desquels elle peut refuser le droit à déduction» (26). Ce débat n’est pas pertinent en l’espèce. En premier lieu, personne n’a prétendu que Optigen, Fulcrum ou Bond House avaient demandé à déduire la TVA sur la base de fausses déclarations auxquelles elles auraient procédé, ou qu’il n’entrait pas dans leurs intentions d’exercer des activités économiques. En second lieu, il convient d’opérer une distinction claire entre l’intention de mener des activités économiques et la finalité poursuivie par les activités économiques elles-mêmes (27).

36.   En outre, s’il était accueilli, il serait difficile de concilier l’argument du Royaume-Uni, selon lequel il convient d’accorder une importance particulière au fait que l’objectif sous‑jacent aux opérations est frauduleux, avec le texte de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, où il est question de toute activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. En réalité, une telle approche méconnaîtrait le caractère objectif du concept d’«activité économique» et aurait pour conséquence incongrue qu’une chaîne de livraisons toute entière échapperait au champ d’application de la sixième directive pour le simple motif qu’un opérateur dans cette chaîne est resté en défaut de déclarer la TVA auprès de l’administration fiscale. Un tel résultat est particulièrement embarrassant, car il en résulterait que le manquement de l’opérateur à déclarer la TVA le dispenserait en pratique de l’obligation d’acquitter la TVA dès le départ.

C –    Les activités illicites et le champ d’application de la TVA

37.   Le Royaume-Uni évoque l’existence d’un parallèle entre les affaires qui nous occupent et celles dans le cadre desquelles la Cour a dit pour droit que certaines activités illégales ne constituent pas des activités économiques et échappent dès lors au champ d’application du système commun de TVA. Je ne suis pas convaincu de cette analogie.

38.   Il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de neutralité fiscale s’oppose à une différenciation généralisée entre les transactions licites et les transactions illicites (28). En principe, même les opérations illégales relèvent du champ d’application de la sixième directive et sont soumises à la TVA (29). La seule exception, c’est quand une activité se situe totalement en dehors de la sphère économique licite en raison de ses caractères particuliers (30). Par exemple, la fourniture de stupéfiants échappe au champ d’application de la sixième directive (31), alors que l’exploitation d’une roulette illégale en relève, car celle-ci se trouve en concurrence avec les activités de paris licites (32).

39.   Toutefois, au contraire des stupéfiants ou des devises de contrefaçon, les CPU ne sont pas des produits qui, selon les termes de la Cour, «relèvent, par définition, d’une interdiction totale d’importation et de commercialisation dans la Communauté» (33). L’exclusion du champ d’application du système de TVA ne vise que les marchandises qui, en raison de leur nature même et de leurs caractéristiques particulières, ne sont pas susceptibles d’être mises dans le commerce licite ni d’être intégrées au circuit économique (34). Tel n’est pas le cas des CPU.

40.   En second lieu, contrairement à ce qu’allègue le Royaume-Uni, le commerce des CPU ne se situe pas totalement en dehors de la sphère économique licite, parce qu’il s’avère en fin de compte que la chaîne d’opérations est circulaire. Comme cela ressort clairement de la description faite par les Commissioners eux-mêmes de ce qu’ils considèrent comme une fraude de type «carrousel», ce commerce a pour caractéristique de se servir de circuits économiques licites pour faciliter le détournement de sommes acquittées au titre de la TVA.

D –    Le principe de sécurité juridique

41.   Si la Cour devait accueillir l’interprétation prônée par le Royaume-Uni, il en résulterait une importante insécurité en ce qui concerne l’application de la sixième directive. Une telle interprétation signifierait que, si des opérateurs veulent être certains, au moment d’une opération, d’obtenir des droits et obligations dans le cadre du système de la TVA, ils devraient savoir à l’avance si les marchandises spécifiques constituant l’objet de l’opération reviendront à un moment donné entre les mains d’un opérateur qui est déjà intervenu dans la chaîne de livraisons. Dans l’hypothèse où ils le sauraient, ils devraient encore prévoir la «disparition» ultérieure de cet opérateur (35). Entre-temps, il faudrait tenir compte de l’éventualité qu’un seul et même lot contienne des marchandises utilisées aux fins de la fraude et des marchandises qui ne le sont pas: seules ces dernières seraient soumises à la TVA si l’argument du Royaume-Uni était retenu. Cette interprétation de l’«activité économique» se heurte au principe de sécurité juridique, qui est un principe général de droit communautaire devant être respecté par les États membres dans l’application de la sixième directive (36). Comme le font d’ailleurs valoir à juste titre Optigen, Fulcrum et Bond House, l’approche du Royaume-Uni pourrait exercer un effet dissuasif sur le commerce licite.

E –    Les moyens de lutter contre la fraude de type «carrousel»

42.   Le Royaume-Uni envisage apparemment de combattre la fraude de type «carrousel» – ou du moins de régler les problèmes qu’elle pose – en restreignant le champ d’application du système de TVA. Selon moi, la Cour ne devrait pas suivre cette voie. Cela reviendrait à déplacer tout le poids du problème de l’administration fiscale vers le secteur privé, au détriment du commerce licite et du fonctionnement correct du système de TVA. En outre, elle dissuaderait les États membres de prendre des mesures appropriées contre la fraude de type «carrousel». À cet égard, il convient notamment d’observer que ce n’est pas parce qu’une activité entre dans le champ d’application de la sixième directive que les États membres ne peuvent plus prendre de mesures à son encontre (37). En réalité, l’article 21 de la sixième directive laisse aux États membres la faculté de prévoir une obligation fiscale solidaire. Un assujetti peut dès lors être tenu du paiement de la TVA due par son cocontractant s’il avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance des activités frauduleuses de celui-ci (38). Plusieurs États membres ont adopté des mesures de ce type pour lutter contre la fraude de type «carrousel» (39).

IV – Conclusion

43.   Eu égard aux éléments qui précèdent, j’estime qu’il convient pour la Cour de répondre comme suit à la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division:

«Pour déterminer si une opération s’inscrivant dans une chaîne de livraisons constitue une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, il y a lieu de considérer l’activité individuellement et en elle-même. Les opérations faisant partie d’une chaîne de livraisons circulaire dans le cadre de laquelle un opérateur détourne les montants qui lui sont versés au titre de la taxe sur la valeur ajoutée au lieu de les déclarer à l’administration fiscale ne cessent pas pour autant de constituer une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 77/388.»


1 – Langue originale: le portugais.


2  – Directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).


3  – Directive du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301, ci‑après la «première directive»).


4  – Décision du VAT and Duties Tribunal, Manchester (président: M. Colin Bishopp), Bond House Systems Ltd v C & E, points 15 à 18 (notes en bas de page ajoutées).


5  –      Conformément à l’article 28 quater, A, sous a), de la sixième directive, la livraison de biens à un opérateur dans un autre État membre est exonérée de TVA. Selon la terminologie de la loi de 1994 sur la TVA (UK Value Added Tax Act 1994), cette livraison s’effectue «à taux zéro».


6  –      Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la livraison de biens à un opérateur dans un autre État membre est exonérée de TVA. Le vendeur a le droit de déduire la taxe en amont en application de l’article 17, paragraphe 2, sous d), de la sixième directive, tel qu’inséré par l’article 28 septies, point 1, de celle-ci.


7  – Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 16 avril 2004, sur le recours aux mécanismes de la coopération administrative dans la lutte contre la fraude à la TVA [COM(2004) 260 final].


8  – Arrêts du 14 février 1985, Rompelman (268/83, Rec. p. 655, point 19); du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas (235/85, Rec. p. 1471, point 8); du 4 décembre 1990, Van Tiem (C‑186/89, Rec. p. I‑4363, point 17), et du 26 juin 2003, MGK‑Kraftfahrzeuge-Factoring (C‑305/01, Rec. p. I‑6729, point 42).


9  – Arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 19.


10  – Voir point 19, et arrêt du 21 septembre 1988, Commission/France (50/87, Rec. p. 4797, point 15).


11  – Voir point 8.


12  – Arrêt du 2 mai 1996 (C‑231/94, Rec. p. I‑2395).


13  – Arrêt du 18 janvier 2001 (C‑150/99, Rec. p. I‑493).


14  – Voir point 12. La Cour a observé qu’il en va en revanche différemment «lorsque l’opération porte sur des aliments à ‘emporter’ et qu’elle ne s’accompagne pas de services destinés à agrémenter la consommation sur place dans un cadre adéquat» (point 14).


15  – Voir point 26.


16  – Ibidem.


17  – Arrêt du 20 janvier 2005 (C-412/03, non encore publié au Recueil, point 21). Voir arrêt du 12 juin 2003, Sinclair Collis (C‑275/01, Rec. p. I‑5965, points 25 à 30).


18  – Voir article 2 de la première directive.


19  – Voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 1999, Coffeeshop «Siberië» (C‑158/98, Rec. p. I‑3971, point 22).


20  – Arrêts du 21 octobre 2004, BBL (C-8/03, non encore publié au Recueil, point 36); du 29 avril 2004, EDM (C‑77/01, Rec. p. I‑4295, point 48); Van Tiem, précité (point 18), et Rompelman, précité (point 23).


21  – Voir, par exemple, arrêts du 22 février 1984, Kloppenburg (70/83, Rec. p. 1075, point 11); du 15 décembre 1987, Danemark/Commission (348/85, Rec. p. 5225, point 19); du 1er octobre 1998, Royaume-Uni/Commission (C‑209/96, Rec. p. I‑5655, point 35); du 22 novembre 2001, Pays-Bas/Conseil (C‑301/97, Rec. p. I‑8853, point 43), et du 29 avril 2004, Sudholz (C‑17/01, Rec. p. I‑4243, point 34).


22  – Le Royaume-Uni se réfère à cet égard aux arrêts du 20 juin 1991, Polysar Investments Netherlands (C‑60/90, Rec. p. I‑3111, point 12), et du 20 juin 1996, Wellcome Trust (C‑155/94, Rec. p. I‑3013, points 31 à 36).


23  – Arrêt du 8 juin 2000 (C‑400/98, Rec. p. I‑4321).


24  – Arrêt du 29 février 1996 (C‑110/94, Rec. p. I‑857).


25  – Arrêt Inzo, précité (point 24). Voir également arrêts Breitsohl, précité (point 39), et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, Rec. p. I‑1577).


26  – Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire I/S Fini H (arrêt du 3 mars 2005, C‑32/03, non encore publié au Recueil, point 21).


27  – Une comparaison entre les deux situations suivantes pourrait clarifier ce point. Situation I: X déclare qu’il va ouvrir un restaurant et acquiert la qualité (provisoire) d’assujetti. Il achète des chaises, des tables et d’autres équipements et demande à déduire la TVA. Néanmoins, il n’ouvre jamais le restaurant. Situation II: Y ouvre un restaurant et s’en sert pour une escroquerie. Il fournit des services de restauration et facture la TVA à ses clients, mais déclare ensuite un montant moindre de TVA afin de tromper l’administration fiscale et de garder une partie de la TVA perçue. La situation I soulève des doutes sérieux quant à la qualité d’assujetti de X. L’administration fiscale peut exiger que l’intention de X soit confirmée par des éléments objectifs et apprécier s’il comptait réellement exercer des activités de restauration (voir, par exemple, arrêts Inzo, précité; du 15 janvier 1998, Ghent Coal Terminal, C‑37/95, Rec. p. I‑1, et du 8 juin 2000, Schloßstraße, C‑396/98, Rec. p. I‑4279. En revanche, la situation II n’affecte pas la qualité d’assujetti de Y, car il exerce effectivement une activité économique: il fournit des services de restauration. Il résulte de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive que le but ou le résultat de cette activité n’affecte pas son statut d’assujetti.


28  – Par exemple, arrêts Rompelman, précité (point 19), et du 11 juin 1998, Fischer (C‑283/95, Rec. p. I‑3369, point 28).


29  – Arrêts du 28 février 1984, Einberger (294/82, Rec. p. 1177); du 5 juillet 1988, Happy Family (289/86, Rec. p. 3655, point 20); du 5 juillet 1988, Mol (269/86, Rec. p. 3627, point 18); du 2 août 1993, Lange (C‑111/92, Rec. p. I‑4677, point 16); du 28 mai 1998, Goodwin et Unstead (C‑3/97, Rec. p. I‑3257, point 9), et  du 29 juin 2000, Salumets e.a. (C‑455/98, Rec. p. I‑4993, point 19).


30  – Arrêts précités Happy Family (point 20), et Mol (point 18).


31  – Arrêts précités Einberger et Happy Family (point 23).


32  – Arrêt Fischer (précité note 28, points 19 à 23 et 28). S’agissant de la base juridique du raisonnement de la Cour, l’avocat général Jacobs observe au point 22 de ses conclusions dans l’affaire Witzemann (arrêt du 6 décembre 1990, C‑343/89, Rec. p. I‑4477) qu’«il est difficile de discerner sur quoi se fonde vraiment la règle en question» et qu’«il [ne peut pas] être soutenu qu’il existe un principe fondamental du droit faisant obstacle à la taxation des transactions illicites». La Cour estime en substance que la TVA s’applique aux activités relevant du secteur économique normal, soit parce qu’elles sont licites soit parce qu’elles peuvent se trouver en concurrence avec des activités économiques licites; au-delà de ces limites, le principe de neutralité fiscale n’entre pas en ligne de compte. Voir également conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire Coffeeshop «Siberië», précitée (point 16).


33  – Arrêt Einberger, précité (point 15). Voir également arrêt Witzemann, précité, et conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Goodwin et Unstead, précitée (point 20).


34  – Arrêts précités Salumets e.a. (points 19 et 21), Fischer (point 20), et Lange (point 12).


35  – Ce n’est qu’en cas de survenance cumulative de ces conditions que la théorie du Royaume-Uni trouverait à s’appliquer. Ni la circularité de la chaîne de livraisons ni le fait qu’un opérateur s’avère ou s’avérera défaillant ne suffirait en soit à conclure qu’une opération échappe au champ d’application de la TVA. La «fraude à l’opérateur manquant» peut également survenir dans une chaîne de livraisons linéaire et, dans ce cas, les opérations de cette chaîne prendraient néanmoins place dans le système de la TVA. Le commerce circulaire peut se présenter comme un phénomène économique normal sur certains marchés de matières premières. Le système de la TVA est conçu pour intégrer ce phénomène et les opérations continuent d’être soumises à la TVA, que les marchandises échangées aboutissent réellement chez un consommateur ou non.


36  – Arrêt du 29 avril 2004, Gemeente Leusden et Holin Groep (C‑487/01 et C‑7/02, Rec. p. I‑5337, points 57, 58, 65 et 69). Par analogie, arrêt du 6 avril 1995, BLP Group (C‑4/94, Rec. p. I‑983, point 24). Voir également arrêts du 3 décembre 1998, Belgocodex (C‑381/97, Rec. p. I‑8153, point 26); Schloßstraße, précité (point 44); du 26 avril 1988, Krücken (316/86, Rec. p. 2213, point 22), et du 11 juillet 2002, Marks & Spencer (C‑62/00, Rec. p. I‑6325, point 44. La Cour a constamment dit pour droit que l’impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue de leurs droits et obligations. Voir, par exemple, arrêts du 9 juillet 1981, Gondrand frères et Garancini (169/80, Rec. p. 1931, point 17); du 15 décembre 1987, Irlande/Commission (325/85, Rec. p. 5041, point 18); Pays‑Bas/Commission (326/85, Rec. p. 5091, point 24); Sudholz, précité (point 34)


37  – Par exemple, les paris illicites constituent une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive; à l’évidence, cela n’empêche pas les États membres de prendre des mesures contre lesdits paris illicites: arrêt Fischer, précité. Voir également, spécifiquement, arrêt Lange, précité (point 24).


38  – C’est dans ce contexte que doit être examinée la question de savoir si, en pratique, les opérateurs étaient au courant ou auraient dû être au courant de l’existence d’un système frauduleux et non pas, comme le suggère le gouvernement danois, dans le contexte de la définition de l’«activité économique».


39  – Y compris, dans l’intervalle, le Royaume-Uni (voir article 18 du Finance Act 2003).