Language of document : ECLI:EU:C:2019:690

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

3 septembre 2019 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Fonctionnaires – Recours en indemnité – Mise en congé d’office dans l’intérêt du service – Motifs de la décision »

Dans l’affaire C‑188/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 février 2019,

FV, ancienne fonctionnaire du Conseil de l’Union européenne, représentée par Me É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Conseil de l’Union européenne,

partie défenderesse en première instance,

Parlement européen,

Commission européenne,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme C. Toader, présidente de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur) et M. Safjan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, FV demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 décembre 2018, FV/Conseil (T‑750/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:972), en tant que, par cet arrêt, celui-ci a rejeté sa demande en réparation des préjudices matériel et moral qu’elle prétend avoir subis du fait de la décision du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2015 de la placer en congé dans l’intérêt du service sur le fondement de l’article 42 quater du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après la « décision litigieuse »).

 Sur le pourvoi

2        En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

3        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

4        Mme l’avocate générale a, le 11 juin 2019, pris la position suivante :

« Pour les motifs exposés ci-après, je propose à la Cour de rejeter le pourvoi dans la présente affaire comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, et de condamner en conséquence la requérante aux dépens, conformément à l’article 137 et à 1’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure :

1.      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’une part, annulé la décision litigieuse par laquelle le Conseil a, en application de l’article 42 quater du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, placé la requérante en congé dans l’intérêt du service et, d’autre part, rejeté sa demande en réparation des préjudices matériel et moral qu’elle prétend avoir subi du fait de cette décision.

2.      La requérante demande l’annulation partielle de cet arrêt, en ce qu’il a rejeté en totalité sa demande en réparation des préjudices matériel et moral qu’elle estime avoir subis. À l’appui de son pourvoi, elle soulève un moyen unique qui peut être subdivisé en trois branches.

 Sur la première branche du moyen unique

3.      Dans le cadre de la première branche du moyen unique, la requérante reproche au Tribunal d’avoir rejeté comme prématurée la demande de réparation de la perte de revenus à raison de sa mise en congé.

4.      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il résulte de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169 du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 2016, SV Capital/ABE, C‑577/15 P, EU:C:2016:947, point 69 et jurisprudence citée).

5.      Or, dans le cadre de la première branche de son moyen unique, qui ne se rapporte nullement à l’arrêt attaqué, la requérante se borne à critiquer le fait que le Conseil n’a, à la date d’introduction de son pourvoi, pris aucune des mesures que comportait l’exécution de l’arrêt attaqué. Elle n’avance pas le moindre argument de nature à établir que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que sa demande de réparation de la première composante du préjudice matériel qu’elle alléguait était prématurée.

6.      Dès lors, la première branche du moyen unique doit être rejetée comme manifestement irrecevable.

 Sur la deuxième branche du moyen unique

7.      Dans le cadre de la deuxième branche du moyen unique, la requérante fait en substance valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’une dénaturation des faits et des preuves ainsi que d’erreurs manifestes dans l’appréciation de la demande de réparation du préjudice financier résultant de la baisse de ses revenus en raison de la décision litigieuse.

8.      La requérante fait, en premier lieu, grief au Tribunal d’avoir jugé, en dénaturant les faits et les preuves, que la seconde composante du préjudice matériel qu’elle alléguait était non pas réel et certain, mais hypothétique.

9.      Il importe de rappeler, à titre liminaire, qu’il résulte de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal. La Cour n’est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, notamment, arrêt du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, EU:C:2009:166, point 105).

10.      Or, dans la mesure où la requérante conteste, dans le cadre de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, la qualification de son préjudice comme n’étant ni réel ni certain, la première partie de la deuxième branche du moyen unique est recevable (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2014, Giordano/Commission, C‑611/12 P, EU:C:2014:2282, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

11.      Il importe toutefois de relever, tout d’abord, que le Tribunal est parvenu à la conclusion que le préjudice [confidentiel] n’était pas réel et certain, en constatant qu’elle n’avait fourni aucune précision sur les frais liés à cet engagement.

12.      Or, s’il ressort des pièces versées au dossier de la procédure en première instance que la requérante a effectivement fait mention de [confidentiel]. Ce n’est, en effet, qu’au stade du pourvoi que la requérante a fourni des précisions chiffrées sur lesdits frais.

13.      Toutefois, ainsi qu’il vient d’être rappelé, le pourvoi est limité aux questions de droit, à l’exclusion de toute appréciation des faits, et la constatation d’une dénaturation exclut le recours à de nouveaux éléments de preuve (arrêts du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 60, et du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 76). Par conséquent, ces nouveaux éléments de preuve sont irrecevables.

14.      En tout état de cause, il ne saurait être fait grief au Tribunal d’avoir dénaturé des éléments de fait ou de preuve qui n’ont pas été soumis à son appréciation.

15.      L’argument tiré de [confidentiel] doit, partant, être rejeté comme étant manifestement non fondé.

16.      Le Tribunal a, ensuite, jugé que la requérante n’avait pas précisé en quoi consistait son préjudice matériel relatif à [confidentiel].

17.      Sur ce point, la requérante se borne, dans son pourvoi, à reproduire les arguments présentés devant le Tribunal, sans fournir le moindre élément de nature à établir que cette constatation serait entachée d’une inexactitude matérielle manifeste.

18.      Cependant, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE, et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué, se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir, notamment, ordonnance du 26 avril 1993, Kupka-Floridi/CES, C‑244/92 P, EU:C:1993:152, point 10, ainsi que arrêt du 4 avril 2019, OZ/BEI, C‑558/17 P, EU:C:2019:289, point 33 et jurisprudence citée).

19      L’argument portant sur [confidentiel] constitue, ainsi, une demande visant à obtenir un réexamen de la requête présentée devant le Tribunal et doit, par conséquent, être rejeté comme manifestement irrecevable.

20.      Enfin, le Tribunal a jugé que les éléments avancés par la requérante tenant au risque [confidentiel] n’établissaient que l’existence d’un préjudice matériel hypothétique.

21.      Or, la requérante se borne, à cet égard, à reproduire l’argument déjà présenté devant le Tribunal, sans fournir le moindre élément de nature à établir que le risque allégué, par nature hypothétique, présenterait néanmoins les caractéristiques d’un préjudice réel et certain. C’est pourquoi cet argument doit être rejeté comme manifestement irrecevable.

22.      La requérante fait, en second lieu, grief au Tribunal d’avoir jugé, d’une part, qu’elle n’avait pas établi l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre la baisse de ses revenus, liée à la décision litigieuse, et son incapacité à rembourser les dettes qu’elle avait contractées et, d’autre part, que cette incapacité pouvait être la conséquence de plusieurs facteurs en dehors de la sphère d’influence du Conseil et notamment de sa propre gestion financière.

23.      Néanmoins, dès lors que sont irrecevables ou non fondés les arguments visant les constatations du Tribunal relatives à la preuve des différents postes du préjudice allégué, la seconde partie de la deuxième branche du moyen unique visant les constatations du Tribunal relatives au lien de causalité ne peut qu’être rejetée comme inopérante.

24.      Il s’ensuit que la deuxième branche du moyen unique doit être rejetée comme étant pour partie manifestement irrecevable et pour partie manifestement non fondée.

 Sur la troisième branche du moyen unique

25.      Dans le cadre de la troisième branche du moyen unique, la requérante fait grief au Tribunal d’avoir dénaturé les faits, dans la mesure où il a estimé que l’annulation de la décision litigieuse constituait une réparation adéquate du préjudice moral allégué.

26.      En l’occurrence, il convient de relever que le Tribunal a rappelé, à juste titre, au point 181 de l’arrêt attaqué, que l’annulation d’un acte entaché d’illégalité pouvait constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir en ce sens, notamment, arrêts du 7 octobre 1985, van der Stijl/Commission, 128/84, EU:C:1985:395, point 26 ; du 7 février 1990, Culin/Commission, C‑343/87, EU:C:1990:49, point 26, ainsi que du 4 avril 2019, OZ/BEI, C‑558/17 P, EU:C:2019:289, points 80 et 81).

27.      Sur le fondement de cette jurisprudence, le Tribunal a jugé en premier lieu, au point 182 de l’arrêt attaqué, que les éléments invoqués par la requérante tenant, d’une part, [confidentiel] et, d’autre part, [confidentiel], étaient liés à l’adoption de la décision litigieuse, de sorte que l’annulation de cette dernière constituait une réparation adéquate du préjudice en découlant prétendument.

28.      À cet égard, la requérante fait essentiellement valoir que son préjudice moral, qui découle d’un détournement de pouvoir manifeste, est distinct des circonstances proprement dites de l’adoption de la décision litigieuse, de sorte que l’annulation de cette dernière ne saurait constituer une réparation adéquate dudit préjudice. Elle ajoute que l’appréciation du Tribunal est entachée d’une dénaturation des faits, qui résulte de ce qu’il n’a pas pris en compte tous les faits et circonstances invoqués.

29.      Il convient toutefois de rappeler que la simple allusion à une telle dénaturation ne satisfait pas aux exigences selon lesquelles le pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à commettre cette dénaturation.

30.      Les arguments dirigés contre le point 182 de l’arrêt attaqué ne répondant pas à ces exigences, il convient de les rejeter comme manifestement irrecevables.

31.      En deuxième lieu, le Tribunal a jugé, au point 183 de l’arrêt attaqué, que le préjudice moral qui découlerait [confidentiel], ne présentait aucun lien avec la décision litigieuse, [confidentiel].

32.      [confidentiel]

33.      Force est cependant de constater que, comme le Tribunal l’a relevé, le préjudice moral que la requérante estime avoir subi du fait de [confidentiel], à supposer ce dernier établi, ne peut en aucun cas résulter de la décision litigieuse, [confidentiel]. C’est, dès lors, sans commettre d’erreur d’analyse que le Tribunal a estimé que ledit préjudice ne présentait aucun lien avec cette décision.

34.      L’argument dirigé contre le point 183 de l’arrêt attaqué doit, partant, être rejeté comme manifestement non fondé.

35.      En troisième lieu, le Tribunal a jugé, au point 184 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait pas établi que le préjudice moral qui découlerait de [confidentiel] présentait un lien suffisamment direct avec la baisse de ses revenus résultant de la décision litigieuse.

36.      Il importe à cet égard de rappeler, que en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union, la question de l’existence d’un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage, condition de l’engagement de cette responsabilité, constitue une question de droit qui est, par conséquent, soumise au contrôle de la Cour (arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Schneider Electric, C‑440/07 P, EU:C:2009:459, point 192).

37.      Toutefois, il ressort également de la jurisprudence constante de la Cour que la condition relative au lien de causalité posée à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE porte sur l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement reproché aux institutions de l’Union et le dommage allégué, lien dont il appartient au requérant d’apporter la preuve, de telle sorte que le comportement reproché doit être la cause déterminante du préjudice (voir en ce sens, notamment, arrêts du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, EU:C:1979:223, point 21 ; du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, EU:C:1992:44, point 25 ; du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, points 61 et 62, ainsi que du 13 décembre 2018, Union européenne/Kendrion, C‑150/17 P, EU:C:2018:1014, point 52).

38.      En l’occurrence, la requérante se borne à faire valoir, d’une manière très générale, que c’est l’absence de moyens, consécutive à l’adoption de la décision litigieuse, qui est la cause de [confidentiel], en soulignant que les deux évènements étaient concomitants, sans avancer le moindre élément de nature à établir l’existence du lien direct de causalité requis ou à démontrer que l’appréciation du Tribunal serait, sur ce point, entachée d’une dénaturation des éléments de preuves.

39.      L’argument dirigé contre le point 184 de l’arrêt attaqué doit, partant, être rejeté comme manifestement irrecevable.

40.      Il s’ensuit que la troisième branche du moyen unique doit être rejetée comme étant pour partie manifestement irrecevable et pour partie manifestement non fondée.

41.      Le pourvoi doit, dès lors, être rejeté dans son intégralité. »

5        Pour les mêmes motifs que ceux retenus par Mme l’avocate générale, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

6        En application de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié à la partie défenderesse et aux parties intervenantes et, par conséquent, avant que celles-ci n’aient pu exposer des dépens, il convient de décider que FV supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      FV supporte ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 3 septembre 2019.

Le greffier

Le président de la VIème chambre

A. Calot Escobar

 

C. Toader


*      Langue de procédure : le français.