Language of document : ECLI:EU:F:2010:125

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)

14 octobre 2010 (*)

« Fonction publique — Agents contractuels — Rémunération — Allocations familiales — Couple de personnes de même sexe — Allocation de foyer — Condition d’octroi — Accès au mariage civil — Notion — Article 1er, paragraphe 2, sous c), iv), de l’annexe VII du statut »

Dans l’affaire F‑86/09,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

W, agent contractuel de la Commission européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Currall et D. Martin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre),

composé de M. H. Tagaras (rapporteur), président, M. S. Van Raepenbusch et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 avril 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 21 octobre 2009 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le lendemain), W demande l’annulation des décisions de la Commission des Communautés européennes, du 5 mars 2009 et du 17 juillet 2009, lui refusant le versement de l’allocation de foyer prévue par l’article 1er de l’annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »).

 Cadre juridique

2        L’article 13, paragraphe 1, CE dispose :

« Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »

3        L’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « charte des droits fondamentaux »), intitulé « Non-discrimination », est ainsi libellé :

« Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »

4        Aux termes de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux, intitulé « Respect de la vie privée et familiale » :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

5        L’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), prévoit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

6        Selon les articles 21 et 92 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, les dispositions de l’article 1er de l’annexe VII du statut concernant les modalités d’attribution des allocations familiales sont applicables par analogie aux agents contractuels.

7        L’article 1er, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut prévoit :

« A droit à l’allocation de foyer :

[…]

c)      le fonctionnaire enregistré comme partenaire stable non matrimonial, à condition que :

i)      le couple fournisse un document officiel reconnu comme tel par un État membre ou par toute autorité compétente d’un État membre, attestant leur statut de partenaires non matrimoniaux,

ii)      aucun des partenaires ne soit marié ni ne soit engagé dans un autre partenariat non matrimonial,

iii)      les partenaires n’aient pas l’un des liens de parenté suivants : parents, parents et enfants, grands-parents et petits-enfants, frères et sœurs, tantes, oncles, neveux, nièces, gendres et belles-filles,

iv)      le couple n’ait pas accès au mariage civil dans un État membre ; un couple est considéré comme ayant accès au mariage civil aux fins du présent point uniquement dans les cas où les membres du couple remplissent l’ensemble des conditions fixées par la législation d’un État membre autorisant le mariage d’un tel couple ;

d)      par décision spéciale et motivée de l’autorité investie du pouvoir de nomination, prise sur la base de documents probants, le fonctionnaire qui, ne remplissant pas les conditions prévues aux points a), b) et c), assume cependant effectivement des charges de famille. »

8        Selon les considérants du règlement (CE, Euratom) nº 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004, ayant établi la version actuelle du statut :

« (7) Il importe de veiller à l’application du principe de non-discrimination consacré par le traité CE et de poursuivre ainsi le développement d’une politique du personnel garantissant l’égalité des chances pour tous, sans considération de sexe, de capacité physique, d’âge, d’identité raciale ou ethnique, d’orientation sexuelle ou de situation matrimoniale.

(8) Il importe que les fonctionnaires engagés dans une relation non matrimoniale reconnue par un État membre comme un partenariat stable et qui n’ont pas accès au mariage se voient accorder les mêmes avantages que les couples mariés. »

9        Selon l’article 489 du Code pénal du Royaume du Maroc (ci-après l’« article 489 CPM ») :

« Est puni de l’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 200 à 1 000 dirhams, à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. »

10      L’article 46 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé du Royaume de Belgique (ci-après l’« article 46 CDIP »), intitulé « Droit applicable à la formation du mariage », prévoit :

« Sous réserve de l’article 47 [qui concerne les formalités relatives à la célébration du mariage], les conditions de validité du mariage sont régies, pour chacun des époux, par le droit de l’État dont il a la nationalité au moment de la célébration du mariage.

L’application d’une disposition du droit désigné en vertu de l’alinéa 1er est écartée si cette disposition prohibe le mariage de personnes de même sexe, lorsque l’une d’elles a la nationalité d’un État ou a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État dont le droit permet un tel mariage. »

 Faits à l’origine du litige

11      Le requérant, agent contractuel de la Commission depuis le 1er mars 2009, dispose de la double nationalité, belge et marocaine.

12      Le 10 octobre 2008, le requérant et son partenaire non matrimonial de même sexe et de nationalité espagnole ont fait une « déclaration de cohabitation légale » devant l’officier d’état civil de la ville de Bruxelles (Belgique). Cette déclaration a été enregistrée, le même jour, au registre national.

13      À l’occasion de la fixation de ses droits individuels, le requérant s’est vu refuser le bénéfice de l’allocation de foyer par décision de l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO), du 5 mars 2009, au motif verbal pour ce refus que le couple ne remplissait pas la condition posée par l’article 1er, paragraphe 2, sous c), point iv), de l’annexe VII du statut, étant donné qu’il avait accès au mariage civil en Belgique.

14      Le 9 mars 2009, le requérant a demandé que sa cohabitation légale soit reconnue par le PMO aux fins de faire bénéficier son partenaire du régime d’assurance maladie de la Commission. Par lettre du 6 avril 2009, le PMO a fait droit à cette demande en informant le requérant que son partenaire, sans revenu professionnel, pouvait bénéficier de la couverture primaire du requérant en application de l’article 72, paragraphe 1, deuxième alinéa, du statut.

15      Par courriel du 2 avril 2009, le requérant a introduit une réclamation, en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision du PMO, du 5 mars 2009, en faisant en substance valoir que, du fait de la législation marocaine incriminant les actes homosexuels, sa nationalité marocaine ainsi que les liens légaux et affectifs qu’il maintient avec le Maroc « font qu’il [lui] est impossible de [se] marier » avec une personne de même sexe.

16      Par décision du 17 juillet 2009, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté la réclamation du requérant, en soulignant que la législation marocaine répressive des comportements homosexuels ne constitue pas un empêchement au mariage du requérant en Belgique.

 Conclusions des parties et procédure

17      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du PMO, du 5 mars 2009, de ne pas lui accorder l’allocation de foyer ;

–        annuler la décision de l’AIPN, du 17 juillet 2009, rejetant sa réclamation ;

–        condamner la partie défenderesse aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

19      Par lettre parvenue au greffe le 21 octobre 2009, le requérant a présenté une demande d’anonymat, à laquelle le Tribunal a décidé de faire droit. Cette décision a été notifiée aux parties par lettre du greffe, du 19 novembre 2009.

20      En vue d’assurer, dans les meilleures conditions, la mise en état de l’affaire et le déroulement de la procédure, le Tribunal a adopté des mesures d’organisation de celle-ci, prévues par les articles 55 et 56 du règlement de procédure. À cet effet, le requérant a, dans le rapport préparatoire d’audience, été invité à répondre à des questions portant notamment sur ses attaches avec le Maroc.

21      Par lettre parvenue au greffe du Tribunal le 19 mars 2010, le requérant a déféré à la demande du Tribunal. Il ressort de cette lettre et des documents annexés que le requérant est né le 23 octobre 1975 en Belgique et que, Marocain de naissance, il a obtenu la nationalité belge à l’âge de quatorze ans, de manière automatique, suite à l’acquisition de la nationalité belge par son père. Il en ressort également que le requérant a toujours vécu en Belgique, mis à part un séjour de sept ans en Espagne, et qu’il n’allait au Maroc que pour ses vacances. Le requérant y indique toutefois qu’il parle berbère et arabe et que, de religion musulmane, il a fréquenté l’école arabe, une fois par semaine, jusqu’à l’âge de treize ans. Par ailleurs, il y affirme que depuis 2003, année où son père a été mis à la retraite, ses parents résident principalement au Maroc où ils ont acquis des propriétés immobilières. Enfin, il y indique qu’il est en négociation avec un agent immobilier en vue d’acquérir très prochainement un bien immobilier au Maroc, acte qui nécessiterait la mention de son état civil.

22      Par ailleurs, les parties ont, également dans le rapport préparatoire d’audience, été invitées à transmettre au Tribunal des preuves visant à établir l’application effective de l’article 489 CPM.

23      Par lettres parvenues au greffe du Tribunal les 31 mars 2010 et 2 avril 2010, la Commission et le requérant ont, respectivement, produit certaines informations sur l’application effective de l’article 489 CPM, lesquelles, émanant notamment de la presse internationale et d’organisations non gouvernementales, font état d’au moins un cas d’application effective de l’article 489 CPM en décembre 2007.

24      Lors de l’audience, le requérant a déposé un courriel qu’il avait envoyé le 16 septembre 2009 au PMO pour lui signaler que son partenaire était, à partir de cette date, entré en fonctions à la Commission.

 Sur l’objet du litige

25      Le requérant sollicite l’annulation, d’une part, de la décision du PMO, du 5 mars 2009, lui refusant l’allocation de foyer à l’occasion de la fixation de ses droits individuels et, d’autre part, de la décision de l’AIPN, du 17 juillet 2009, portant rejet de sa réclamation dirigée contre la décision du 5 mars 2009.

26      Selon une jurisprudence constante, les conclusions en annulation de la décision portant rejet explicite ou implicite d’une réclamation sont, comme telles, dépourvues de contenu autonome et se confondent en réalité avec les conclusions en annulation de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (arrêt du Tribunal du 23 février 2010, Faria/OHMI, F‑7/09, point 30, et la jurisprudence citée).

27      En effet, lorsqu’elle ne fait que confirmer l’acte ou l’abstention dont le réclamant se plaint, une décision de rejet, qu’elle soit implicite ou explicite, ne constitue pas, prise isolément, un acte attaquable (arrêt de la Cour du 28 mai 1980, Kuhner/Commission, 33/79 et 75/79, Rec. p. 1677, point 9 ; ordonnance de la Cour du 16 juin 1988, Progoulis/Commission, 371/87, Rec. p. 3081, point 17 ; arrêts du Tribunal de première instance du 12 décembre 2002, Morello/Commission, T‑338/00 et T‑376/00, RecFP p. I‑A‑301 et II‑1457, point 34, et du 2 mars 2004, Di Marzio/Commission, T‑14/03, RecFP p. I‑A‑43 et II‑167, point 54).

28      La qualité d’acte faisant grief ne saurait être reconnue à l’égard d’un acte purement confirmatif comme c’est le cas pour un acte qui ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur faisant grief et qui ne s’est donc pas substitué à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 décembre 1980, Grasselli/Commission, 23/80, Rec. p. 3709, point 18 ; ordonnance du Tribunal de première instance du 27 juin 2000, Plug/Commission, T‑608/97, RecFP p. I‑A‑125 et II‑569, point 23 ; arrêt Di Marzio/Commission, précité, point 54).

29      Néanmoins, il a été jugé à plusieurs reprises qu’une décision explicite de rejet d’une réclamation, peut, eu égard à son contenu, ne pas avoir un caractère confirmatif de l’acte contesté par le requérant. Tel est le cas lorsque la décision de rejet de la réclamation contient un réexamen de la situation du requérant en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux, ou lorsqu’elle modifie ou complète la décision initiale. Dans ces hypothèses, le rejet de la réclamation constitue un acte soumis au contrôle du juge, qui le prend en considération dans l’appréciation de la légalité de l’acte contesté (arrêts du Tribunal de première instance du 10 juin 2004, Eveillard/Commission, T‑258/01, RecFP p. I‑A‑167 et II‑747, point 31, et du 7 juin 2005, Cavallaro/Commission, T‑375/02, RecFP p. I‑A‑151 et II‑673, points 63 à 66 ; arrêt du Tribunal du 9 septembre 2008, Ritto/Commission, F‑18/08, RecFP p. I‑A‑1‑281 et II‑A‑1‑1495, point 17), voire même le considère comme un acte faisant grief se substituant à ce dernier (voir, en ce sens, arrêt Kuhner/Commission, précité, point 9 ; arrêts Morello/Commission, précité, point 35, et du Tribunal de première instance du 14 octobre 2004, Sandini/Cour de justice, T‑389/02, RecFP p. I‑A‑295 et II‑1339, point 49).

30      En l’espèce, il y a lieu de relever que la décision du 5 mars 2009 se limitait à refuser au requérant le bénéfice de l’allocation de foyer, à l’appui d’un motif verbal. Or, suite à ce refus, le requérant, dans sa réclamation, a soumis à la Commission des éléments de droit et de fait concernant la législation marocaine répressive des actes homosexuels, législation qui lui serait applicable en raison de sa nationalité. Il s’ensuit que, si la décision du 17 juillet 2009 confirme le refus de la Commission d’octroyer l’allocation de foyer au requérant, tout en réfutant les arguments de ce dernier et en complétant la motivation orale de ce refus, il n’en demeure pas moins qu’elle est survenue suite à un réexamen de la situation du requérant.

31      Dans ces circonstances, la décision du 17 juillet 2009 ne constitue pas un acte confirmatif de celle-ci et doit être prise en considération dans le contrôle de la légalité qu’il revient au Tribunal d’exercer.

32      Dès lors, il y a lieu de considérer que le recours a pour effet de saisir le Tribunal des conclusions aux fins d’annulation tant de la décision du 5 mars 2009 que de celle du 17 juillet 2009 (ci-après les « décisions attaquées »).

 Sur les conclusions aux fins d’annulation des décisions attaquées

33      À l’appui de ses conclusions aux fins d’annulation des décisions attaquées, le requérant invoque un moyen unique tiré de la violation de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), iv) (ci-après la « première disposition litigieuse ») et sous d) (ci-après la « seconde disposition litigieuse ») de l’annexe VII du statut.

 Arguments des parties

34      Dans le cadre de son moyen unique, le requérant soulève en substance trois griefs à l’encontre des décisions attaquées.

35      Premièrement, le requérant fait valoir que, vu l’une de ses deux nationalités, à savoir la nationalité marocaine, à laquelle il lui serait interdit de renoncer, les poursuites dont il ferait l’objet au Maroc en vertu de l’article 489 CPM, s’il contractait mariage en Belgique avec son partenaire, rendent ce mariage impossible. Selon le requérant, son homosexualité serait immédiatement dévoilée et il ferait alors l’objet de poursuites déclenchées du seul fait du changement d’état civil entraîné par le mariage. Il s’ensuivrait que, lors de toute démarche administrative au cours de laquelle son état civil devrait être décliné (par exemple, pour un renouvellement de passeport, pour l’acquisition ou la vente de biens immobiliers ou encore, lors d’un héritage), il encourrait un risque réel de sanction pénale.

36      Deuxièmement, le requérant prétend que, de toute façon et indépendamment de l’applicabilité de la première disposition litigieuse, il existe, en raison du devoir de sollicitude de l’administration envers le fonctionnaire, la possibilité d’obtenir l’allocation de foyer par le biais de la seconde disposition litigieuse, si le fonctionnaire ne remplit pas, selon la Commission, les conditions posées par la première disposition litigieuse et que, cependant, il assume effectivement des charges de famille.

37      Troisièmement, la violation des deux dispositions litigieuses entraînerait une discrimination à l’encontre du requérant par rapport aux fonctionnaires pour lesquels le choix de se marier ne heurte aucun principe de droit public du pays de leur nationalité.

38      La Commission conclut au rejet du moyen unique soulevé par le requérant, en réfutant les trois griefs susmentionnés.

39      Premièrement, la Commission fait valoir que ce n’est pas le mariage de personnes de même sexe qui est réprimé par l’article 489 CPM mais l’acte sexuel entre personnes de même sexe. Or, indépendamment de son statut matrimonial, le requérant serait, de toute façon, sous la menace théorique des poursuites, puisque les autorités marocaines pourraient apprendre son homosexualité par d’autres voies et notamment en prenant connaissance de la cohabitation légale avec son partenaire de même sexe déjà enregistrée. En outre, étant donné que l’éventuel mariage du requérant avec son partenaire en Belgique ne produirait aucun effet au Maroc, le requérant ne devrait pas être tenu de révéler son existence aux autorités marocaines, d’autant plus que sa carte d’identité marocaine lui suffirait pour toute démarche administrative dans ce pays. De plus, la Commission affirme qu’elle n’exige nullement que le requérant renonce à sa nationalité marocaine pour bénéficier de l’allocation de foyer, le droit belge permettant en l’espèce le mariage du requérant en dépit de sa nationalité marocaine. En outre, il n’incomberait pas aux juridictions de l’Union d’interpréter cette disposition, puisqu’elle contiendrait un renvoi exprès aux législations des États membres, de sorte que la question de savoir si un couple a accès au mariage civil dans un État membre dépendrait d’une décision qui relèverait de la seule compétence de cet État membre, en l’occurrence, la Belgique.

40      Deuxièmement, quant à l’applicabilité de la seconde disposition litigieuse, la Commission estime que le grief est, d’une part, irrecevable dans la mesure où, en n’ayant pas introduit de demande en ce sens, voire de réclamation contre le prétendu rejet implicite de la Commission de faire application de la disposition en question, le requérant n’aurait pas respecté la procédure précontentieuse. D’autre part, le requérant n’aurait pas produit des documents probants attestant de l’existence de ses charges de famille. Quoi qu’il en soit, la Commission disposerait d’une large marge d’appréciation quant à l’application de la seconde disposition litigieuse, laquelle, à supposer même que le requérant remplisse ses conditions, n’instaurerait pas un droit absolu à l’allocation de foyer.

41      Troisièmement, la Commission estime que, selon la jurisprudence, une différence de traitement fondée sur le statut familial ne constitue pas une discrimination. La première disposition litigieuse soumettant à un régime différent les fonctionnaires engagés dans un partenariat et les fonctionnaires mariés, le requérant aurait dû soulever une exception d’illégalité contre cette disposition. Or, il ne l’aurait pas fait.

 Appréciation du Tribunal

42      Il y a lieu de relever, tout d’abord, que l’extension du droit à l’allocation de foyer aux fonctionnaires enregistrés comme partenaires stables non matrimoniaux, y compris de même sexe, répond, selon le septième considérant du règlement nº 723/2004, au souci du législateur de veiller à l’application du principe de non-discrimination consacré par l’article 13, paragraphe 1, CE (devenu après modification article 19, paragraphe 1, TFUE) et de poursuivre ainsi le développement d’une politique du personnel garantissant l’égalité des chances pour tous, sans considération de l’orientation sexuelle ou de la situation matrimoniale de l’intéressé, ce qui correspond aussi à l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, prévue à l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux. En outre, l’extension du droit à l’allocation de foyer aux fonctionnaires enregistrés comme partenaires stables non matrimoniaux, y compris de même sexe, reflète l’exigence de protéger les fonctionnaires contre l’ingérence de l’administration dans l’exercice de leur droit au respect de la vie privée et familiale, tel que reconnu par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux et l’article 8 de la CEDH.

43      À l’instar de la protection des droits garantis par la CEDH, il convient d’apporter aux règles statutaires étendant le droit à l’allocation de foyer aux fonctionnaires enregistrés comme partenaires stables non matrimoniaux, y compris de même sexe, une interprétation de nature à garantir aux règles susmentionnées une meilleure effectivité, de sorte que le droit en question ne reste pas théorique ou illusoire mais s’avère concret et effectif (voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêts Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A nº 32, § 24 ; Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998‑I, § 33 ; Kreuz c. Pologne du 19 juin 2001, Recueil des arrêts et décisions, 2001‑VI, § 57, et Scoppola c. Italie (Nº 2) [GC] du 17 septembre 2009, Recueil des arrêts et décisions, 2009‑, § 104).

44      Or, pour les fonctionnaires enregistrés comme partenaires stables non matrimoniaux, y compris de même sexe, le droit à l’allocation de foyer, tel que consacré par la première disposition litigieuse, risquerait de se révéler théorique et illusoire si la notion d’« accès au mariage civil dans un État membre », dont l’absence constitue une des conditions pour qu’un tel fonctionnaire bénéficie de l’allocation de foyer, était entendue dans un sens uniquement formel, en faisant dépendre l’application de la première disposition litigieuse de la question de savoir si le couple remplit les conditions légales posées par le droit national applicable, sans que soit vérifié le caractère concret et effectif de l’accès au mariage au sens de la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme.

45      Il s’ensuit que, en recherchant si un couple de personnes de même sexe a accès au mariage civil conformément à la législation d’un État membre, l’administration ne peut pas faire abstraction des dispositions de la loi d’un autre État avec lequel la situation en cause présente un lien étroit en raison de la nationalité des intéressés, lorsqu’une telle loi, certes non applicable aux questions de la formation du mariage, risque de rendre théorique et illusoire l’accès au mariage et donc le droit à l’allocation de foyer. Tel est en particulier le cas d’une loi nationale qui incrimine les actes homosexuels sans même distinguer selon le lieu où l’acte homosexuel est commis, comme par exemple l’article 489 CPM.

46      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la formulation de la seconde phrase de la première disposition litigieuse. En effet, cette phrase se limite à indiquer que, pour qu’il existe un « accès au mariage civil », au sens de la première phrase de la première disposition litigieuse, les membres du couple intéressé doivent remplir « l’ensemble » des conditions fixées par la législation applicable. Il ne fait ainsi qu’apporter une clarification à la règle déjà posée par la première phrase de la même disposition, clarification entièrement étrangère à la problématique développée aux points 43 à 45 du présent arrêt et ne s’opposant pas aux orientations qui y sont dégagées dans le cadre de la problématique en question. Interpréter cette seconde phrase en ce sens que seules les dispositions en vigueur dans le droit de l’État membre concerné soient prises en compte en matière d’application de l’article 1, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut, méconnaîtrait l’exigence d’une interprétation dynamique qui tienne compte, selon une jurisprudence constante, non seulement des termes de la disposition en cause, mais également des objectifs poursuivis par le législateur (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 septembre 2009, O/Commission, F‑69/07 et F‑60/08, RecFP p. I‑A‑1‑349 et II‑A‑1‑1833, point 114, et la jurisprudence citée).

47      En l’espèce, le Tribunal constate que le requérant est agent contractuel enregistré comme partenaire stable non matrimonial en Belgique. Par conséquent, le couple en question aurait pu, en principe, contracter un mariage civil en Belgique, dans la mesure où le second alinéa de l’article 46 CDIP écarte la prohibition du mariage de personnes de même sexe contenue éventuellement dans le droit national de l’un ou de l’autre membre du couple, marquant ainsi qu’une telle prohibition est contraire aux conceptions sociales et juridiques prévalant en Belgique.

48      Cependant, le requérant a soulevé, sans être contredit par la Commission, que l’article 489 CPM fait toujours partie du droit en vigueur au Maroc, pays avec lequel il est étroitement lié en raison d’une de ses deux nationalités.

49      De surcroît, s’appuyant sur une documentation faisant état de la persécution toujours d’actualité des homosexuels au Maroc, le requérant a fait valoir que l’article 489 CPM connaît une application effective dans ce pays.

50      La Commission a, par lettre du 31 mars 2010, transmis au Tribunal une série de documents sur le même sujet. Cette documentation, partiellement identique à celle du requérant, ne permet pas de mettre sérieusement en doute les allégations du requérant relatives à l’application effective de l’article 489 CPM.

51      En effet, il ressort d’abord de la documentation produite par la Commission que, en raison de l’article 489 CPM, les autorités consulaires de France au Maroc ne sont pas autorisées à enregistrer les partenariats entre personnes de même sexe. Ensuite, cette documentation fait part de ce que, premièrement, « l’homosexualité au Maroc est tolérée dans la clandestinité, mais […] est réprimée quand elle se révèle au grand jour », que, deuxièmement, « en juin 2004, 43 gays qui s’étaient réunis pour célébrer la fête de l’un des leurs dans une salle de[s] fête[s] ont été arrêtés et placés en détention », que, troisièmement, le 10 décembre 2007, le tribunal de première instance de Ksar El Kébir (Maroc) a condamné six hommes pour violation de l’article 489 CPM, décision qui aurait été confirmée par la cour d’appel de Tanger (Maroc), que, quatrièmement, « depuis l’indépendance du Maroc en 1956 plus de 5 000 homosexuels [ont été déférés devant] les tribunaux » en application de l’article 489 CPM.

52      Certes, la Commission a, lors de l’audience, déclaré que, si le requérant avait apporté la preuve du moindre risque de se mettre dans une situation juridiquement délicate au regard de l’article 489 CPM en raison de son éventuel mariage, elle aurait fait preuve de sollicitude et de bienveillance à son égard en examinant la possibilité de lui appliquer la seconde disposition litigieuse. Cependant, elle a nié l’existence d’un tel risque.

53      Or, de par sa nature et son contenu, une disposition comme l’article 489 CPM réprimant les actes homosexuels, actes qu’un mariage entre personnes de même sexe implique par définition, peut raisonnablement faire naître des craintes de persécution dans le chef du requérant et justifie avec raison sa réticence, de même que la réticence de tout citoyen marocain normalement avisé et prudent, de contracter un mariage avec une personne de même sexe. Par ailleurs, rien dans le dossier ou dans l’argumentation de la Commission ne permet de démentir les allégations du requérant, étayées par une documentation volumineuse, relatives aux risques et contraintes qui pèseraient effectivement sur un citoyen marocain envisageant de contracter un tel mariage ; au contraire, à la lumière de cette documentation (laquelle, ainsi qu’il a été indiqué au point 50 du présent arrêt, est en grande partie identique à celle produite par la Commission), ces risques et contraintes n’apparaissent pas hypothétiques mais bien réels.

54      À supposer même que l’article 489 CPM soit tombé en désuétude, cette circonstance, hormis le fait qu’elle n’épargnerait pourtant pas le requérant de sentiments de peur, de souffrance et d’angoisse résultant de l’existence même dudit article, n’exclurait point le risque d’un changement de politique de la part des autorités compétentes aussi longtemps que l’article demeure en vigueur (voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêts Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, série A nº 45, § 40-41, et Norris c. Irlande du 26 octobre 1988, série A nº 142, § 33). En outre, on ne saurait exclure, en l’état actuel des choses, que, au moment de l’adoption au Maroc d’un acte juridique ou administratif pour lequel le requérant serait obligé d’indiquer son état civil, celui-ci, s’il était marié en Belgique avec une personne de même sexe, fasse au Maroc l’objet d’investigations policières relatives à son comportement privé, ni que des particuliers cherchent à engager contre lui au Maroc des poursuites personnelles (voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêt Modinos c. Chypre du 22 avril 1993, série A nº 259, § 23).

55      Il en résulte que, à la lumière du dossier, l’accès du requérant au mariage en Belgique ne peut pas être considéré comme étant concret et effectif, dans le sens de la jurisprudence citée au point 43 du présent arrêt.

56      Ne saurait par ailleurs prospérer l’argument de la Commission selon lequel le requérant est, de toute façon, sous la menace théorique de poursuites, dans la mesure où les autorités marocaines pourraient apprendre son homosexualité du fait de la cohabitation légale déjà enregistrée avec son partenaire de même sexe. En effet, il suffit de relever, à cet égard, qu’en Belgique, seul le mariage entraîne le changement de l’état civil ; les partenaires engagés dans une cohabitation légale, introduite par la loi du 23 novembre 1998 (Moniteur Belge du 12 janvier 1999, p. 786), apparaissent, quant à eux, comme étant toujours célibataires sur les documents administratifs belges. De plus, l’article 15 du Code de la famille du Royaume du Maroc prévoit que les Marocains ayant contracté mariage, conformément à la législation locale du pays de résidence, doivent déposer une copie de l’acte de mariage, dans un délai de trois mois à compter de la date de sa conclusion, aux services consulaires marocains du lieu d’établissement de l’acte, en vue de sa transmission à l’officier d’état civil du lieu de naissance des conjoints au Maroc. Il s’ensuit que, contrairement à l’affirmation de la Commission (voir point 39 du présent arrêt), le mariage éventuel du requérant avec son partenaire de même sexe devrait être porté à la connaissance des autorités marocaines, ce avec le risque de l’application de l’article 489 CPM, dans la mesure où tout mariage est par définition appelé à être consommé. C’est pour cette même raison, d’ailleurs, que l’argument de la Commission, selon lequel ce n’est pas le mariage de personnes de même sexe qui est réprimé par l’article 489 CPM, mais l’acte sexuel entre personnes de même sexe, doit aussi être écarté.

57      Il s’ensuit que les conclusions en annulation doivent être accueillies sur le fondement du premier grief formulé dans le cadre du moyen unique du requérant, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de ce moyen.

58      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu d’annuler les décisions attaquées.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

60      Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que la Commission est la partie qui succombe. En outre, le requérant a, dans ses conclusions, expressément demandé que la partie défenderesse soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a donc lieu de condamner la Commission aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions de la Commission du 5 mars 2009 et du 17 juillet 2009, refusant à W le bénéfice de l’allocation de foyer prévue à l’article 1er de l’annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, sont annulées.

2)      La Commission européenne supporte l’ensemble des dépens.

Tagaras

Van Raepenbusch

Rofes i Pujol

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 octobre 2010.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      H. Tagaras


* Langue de procédure : le français.