Language of document : ECLI:EU:T:2018:888

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

7 décembre 2018 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative CERVISIA – Marque nationale verbale antérieure CERVISIA AMBAR – Motif relatif de refus –Similitude des signes – Risque de confusion – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑378/17,

La Zaragozana, SA, établie à Saragosse (Espagne), représentée par Mes L. Broschat García et A. M. Santos Pribañez, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. J. Ivanauskas et H. O’Neill, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Heineken Italia SpA, établie à Pollein (Italie), représentée par Mes P. Pozzi et G. Ghisletti, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 13 mars 2017 (affaire R 1241/2016-5), relative à une procédure d’opposition entre La Zaragozana et Heineken Italia,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), président, V. Kreuschitz et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. I. Dragan, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 8 juin 2017,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 13 septembre 2017,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 2 octobre 2017,

à la suite de l’audience du 19 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 23 octobre 2014, l’intervenante, Heineken Italia SpA, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 32 et 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 32 : « Bières ; bière sans alcool ; bières blondes ; bières à base de froment ; bière de malt ; bières ; eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons à base de fruits et jus de fruits ; sirop et autres préparations pour faire des boissons » ;

–        classe 33 : « Boissons alcoolisées (à l’exception des bières) ».

4        La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 222/2014, du 25 novembre 2014.

5        Le 24 février 2015, la requérante, La Zaragozana SA, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la marque espagnole verbale antérieure CERVISIA AMBAR, enregistrée le 2 août 2012 sous le numéro 3018141, désignant les produits suivants compris dans la classe 32 : « Bières ».

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

8        Le 17 mai 2016, la division d’opposition a accueilli l’opposition et a rejeté la demande de marque de l’Union européenne pour l’ensemble des produits au motif de l’existence d’un risque de confusion.

9        Le 7 juillet 2016, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 13 mars 2017 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a annulé la décision de la division d’opposition et a rejeté l’opposition. En particulier, elle a considéré que, même si les signes en conflit étaient phonétiquement similaires à un faible degré, cette similitude était neutralisée par les différences visuelles et conceptuelles entre les signes. Considérant dès lors que les signes en conflit n’étaient similaires que dans une faible mesure, que les éléments figuratifs de la marque demandée étaient dotés d’une signification et que l’élément commun des marques en conflit présentait un caractère distinctif faible en Espagne, la chambre de recours a conclu que le risque de confusion était inexistant (voir points 29 à 33 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée.

12      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      À l’appui du recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009. En substance, elle fait valoir que la chambre de recours a commis plusieurs erreurs dans le cadre de la comparaison des signes, s’agissant notamment de la perception des signes sur les plans visuel, phonétique et conceptuel, et de l’appréciation globale du risque de confusion, au regard de l’application du principe selon lequel les éléments verbaux ont normalement plus d’importance que les éléments figuratifs et de la détermination du caractère distinctif de la marque antérieure.

 Sur les pièces présentées pour la première fois devant le Tribunal

14      À titre liminaire, il y a lieu de relever que la requérante présente, en annexes 5, 6 et 9 de la requête, des extraits de sites Internet témoignant de l’utilisation de marques composées notamment du mot « cervisia » et d’une image d’hippocampe pour de la bière, une copie d’un article intitulé « Birra Cervisia » du site Internet italien Wikipédia ainsi que des extraits de son site Internet relatifs à ses produits et à son entreprise. De même, l’intervenante reproduit, dans son mémoire et en annexe 3 de celui-ci, plusieurs images montrant des bières dont les étiquettes comportent notamment la représentation d’un hippocampe et dont le thème général serait celui des pirates et de la vie en mer.

15      Ces pièces, produites pour la première fois devant le Tribunal, ne peuvent toutefois être prises en considération. En effet, le recours devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO au sens de l’article 65 du règlement no 207/2009 (devenu article 72 du règlement 2017/1001), de sorte que la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui. Il convient donc d’écarter les documents susvisés sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante [voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2005, Sadas/OHMI – LTJ Diffusion (ARTHUR ET FELICIE), T‑346/04, EU:T:2005:420, point 19 et jurisprudence citée].

 Sur la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009

16      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire sur lequel la marque antérieure est protégée. Le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

17      Selon une jurisprudence constante, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées économiquement. Selon cette même jurisprudence, le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits ou des services désignés [voir arrêt du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T‑162/01, EU:T:2003:199, points 30 à 33 et jurisprudence citée].

18      Aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, un risque de confusion présuppose à la fois une identité ou une similitude des marques en conflit et une identité ou une similitude des produits ou des services qu’elles désignent. Il s’agit là de conditions cumulatives [voir arrêt du 22 janvier 2009, Commercy/OHMI – easyGroup IP Licensing (easyHotel), T‑316/07, EU:T:2009:14, point 42 et jurisprudence citée].

 Sur la définition du public pertinent

19      S’agissant de la définition du public pertinent, la chambre de recours a considéré qu’il s’agissait du grand public espagnol, dans la mesure où la marque antérieure était enregistrée en Espagne, et que son niveau d’attention était normal. Il convient d’entériner cette définition qui, au demeurant, n’est pas contestée par les parties devant le Tribunal.

 Sur la comparaison des produits

20      S’agissant de la comparaison des produits, la chambre de recours a considéré que les « bières » visées par la marque antérieure étaient identiques aux « bières ; bières blondes ; bières à base de froment ; bières de malt », fortement semblables aux « bières sans alcool », moyennement semblables aux « eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons à base de jus de fruits et jus de fruits ; sirops et autres préparation pour faire des boissons » et semblables aux « boissons alcoolisées (à l’exception des bières) » visées par la marque demandée. Eu égard aux éléments du dossier, il y a lieu d’entériner cette appréciation, qui, au demeurant, n’est pas contestée par les parties devant le Tribunal.

 Sur la comparaison des signes

21      Il importe de rappeler que l’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques qu’a le consommateur moyen des produits ou des services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale dudit risque. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, point 35 et jurisprudence citée).

22      L’appréciation de la similitude ne peut se limiter à prendre en considération uniquement un composant d’une marque complexe et à le comparer avec une autre marque. Il y a lieu, au contraire, d’opérer la comparaison en examinant les marques en cause, considérées chacune dans son ensemble, ce qui n’exclut pas que l’impression d’ensemble produite dans la mémoire du public pertinent par une marque complexe puisse, dans certaines circonstances, être dominée par un ou plusieurs de ses composants. Ce n’est que si tous les autres composants de la marque sont négligeables que l’appréciation de la similitude pourra se faire sur la seule base de l’élément dominant (voir arrêt du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, EU:C:2007:333, points 41 et 42 et jurisprudence citée).

23      Sur le plan visuel, la chambre de recours a relevé que les signes en conflit étaient constitués, d’une part, s’agissant de la marque antérieure, des mots « cervisia » et « ambar », et, d’autre part, s’agissant de la marque demandée, du mot « cervisia » et d’un élément de forme circulaire contenant la représentation d’un hippocampe. S’agissant de la marque demandée, elle a aussi considéré que le mot « cervisia » était « à peine lisible » et que seule la suite de lettres « v », « i », « s », « i », « a » apparaissait clairement. Selon la chambre de recours, le public pertinent ne pouvait donc pas être présumé percevoir aisément ce mot sur la base des lettres visibles, étant donné que le mot « cervisia » n’est pas un mot espagnol et n’est pas couramment utilisé. La chambre de recours a conclu que l’apparence visuelle globale des signes en conflit était différente et que, même si une partie du public pertinent était susceptible d’identifier le mot « cervisia » dans la marque demandée, sa forme plutôt stylisée et les différences visuelles neutralisaient les similitudes (point 23 de la décision attaquée).

24      À cet égard, ainsi que le fait valoir la requérante, force est de constater que, au vu de la marque demandée telle qu’elle a été présentée par l’intervenante dans le dossier soumis à l’EUIPO, il ne peut être conclu que l’élément verbal de ladite marque est « à peine lisible » et que, par voie de conséquence, il ne peut pas être présumé que le public pertinent perçoive aisément le mot entier sur la base de ce qui est visible.

25      En effet, si la suite de lettres « v », « i », « s », « i », « a » de l’élément verbal « cervisia » de la marque demandée est effectivement clairement visible en haut à gauche de l’élément de forme circulaire qui contient la représentation d’un hippocampe, il en est de même des lettres « e » et « r », qui précèdent la suite de lettres « v », « i », « s », « i », « a » en bas à gauche de cet élément figuratif. Quant à la première lettre, « c », de l’élément verbal « cervisia », si celle-ci est certes moins visible que les autres lettres, il n’en demeure pas moins que ses contours sont perceptibles. En outre, les lettres sont des lettres majuscules et ne sont pas très stylisées. En présence de la suite de lettres « e », « r », « v », « i », « s », « i », « a », le consommateur moyen, qui est censé être raisonnablement attentif, n’aura pas de difficulté à se rendre compte que la lettre « c » précède ces lettres pour former l’élément verbal « cervisia ».

26      Dans ces conditions, le public pertinent est à même, si ce n’est aisément, à tout le moins sans trop de difficultés, sur la base de ce qui est visible, de percevoir l’élément verbal « cervisia » que comporte la marque demandée et qui se retrouve également dans la marque antérieure.

27      Dès lors, l’appréciation exposée au point 23 de la décision attaquée, selon laquelle « l’apparence visuelle globale des signes est différente » est entachée d’erreur d’appréciation. En effet, la marque antérieure se caractérisant par la présence des éléments verbaux « cervisia » et « ambar » et la marque demandée comportant un élément de forme circulaire contenant l’élément verbal « cervisia » ainsi que la représentation d’un hippocampe, il y a lieu de conclure que, du fait de leur élément verbal commun « cervisia », les signes en conflit présentent sur le plan visuel un certain degré de similitude, qui doit être qualifié de moyen.

28      En toute hypothèse, contrairement à ce qui est indiqué par la chambre de recours, la forme plutôt stylisée de la marque demandée ne saurait suffire pour conclure que les différences visuelles entre les signes en conflit qui découleraient de cette forme « neutraliseraient » la similitude née de la présence du même élément verbal « cervisia » dans chacun de ces signes.

29      Sur le plan phonétique, la chambre de recours a relevé que la marque antérieure se prononçait « cervisia ambar », tandis que la marque demandée se prononçait « cervisia » pour le public qui reconnaît ce mot, « visia » pour le public qui ne lisait que cette partie du mot, ou n’était pas prononcée du tout. En conséquence, la chambre de recours a considéré qu’il existait une « certaine similitude phonétique » pour les consommateurs qui reconnaissaient le mot « cervisia » dans la marque demandée (point 24 de la décision attaquée).

30      Ainsi qu’il a été relevé au point 26 ci-dessus, le consommateur moyen, qui est censé être raisonnablement attentif, n’aura pas trop de difficulté à se rendre compte que l’élément verbal de la marque demandée est « cervisia » et non « visia ». En outre, compte tenu du fait que ledit consommateur sera amené à prononcer le mot « cervisia » dans son ensemble, il y a lieu de considérer que les signes en conflit présentent sur le plan phonétique un certain degré de similitude, qui peut être également qualifié de moyen.

31      C’est donc à tort que la chambre de recours a considéré, au point 26 de la décision attaquée, dans le cadre de la comparaison des signes, que les signes en conflit présentaient « un très faible degré de similitude » ou, au point 29 de la décision attaquée, dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion, que les signes en conflit étaient « phonétiquement similaires à un faible degré ».

32      Sur le plan conceptuel, la chambre de recours a indiqué que le mot latin « cervisia » désignait un type de bière et qu’il pouvait être « aisément relié » au mot espagnol « cerveza », compte tenu de leurs débuts identiques et des produits en cause. Elle a également relevé que le mot espagnol « ambar » signifiait « ambre » et qu’il était notamment utilisé pour désigner une couleur. Dès lors, la chambre de recours a considéré que la marque antérieure évoquait la notion de bière ambrée et que la marque demandée contenait la représentation d’un hippocampe aisément reconnaissable. En conclusion, elle a estimé que les signes en conflit étaient donc conceptuellement différents (point 25 de la décision attaquée).

33      Cependant, s’il est exact que le terme « cervisia » signifie « bière » en latin, le grand public espagnol, ignore la signification d’un mot latin qui n’est plus utilisé depuis longtemps et qui n’est pas particulièrement proche du mot « cerveza ». À cet égard, et même si l’EUIPO est appelé à apprécier chaque cas selon ses propres mérites sans être lié par des décisions antérieures prises dans d’autres affaires [voir arrêt du 23 octobre 2015, I Castellani/OHMI – Chomarat (Représentation d’un cercle), T‑137/14, non publié, EU:T:2015:798, point 55 et jurisprudence citée], il y a lieu de relever, comme le fait valoir la requérante, qu’une telle analyse a été partagée non seulement par la division d’opposition dans la présente affaire, mais aussi par la division d’opposition dans les décisions rendues dans les procédures B2472093 et B2472184, Lidl stiftung & Co. KG contre Heineken Italia SpA, respectivement, le 15 juin et le 13 juillet 2016, qui concernaient également des bières.

34      En effet, dans ces décisions, la division d’opposition a indiqué que le terme « cervisia » utilisé dans les marques contestées de l’intervenante n’avait pas de signification en ce qui concerne les produits des classes 32 et 33 pour le public pertinent. En réponse à une argumentation présentée par l’opposante dans ces affaires, la division d’opposition avait également précisé que, si le terme « cervisia » était le terme employé dans la Rome antique pour désigner la bière, une telle signification était ignorée du grand public, public pertinent en l’espèce. En particulier, la division d’opposition a relevé que, même pour la partie du public pertinent qui parle les langues romanes, qui sont issues du latin, le terme « cervisia » n’était pas associé à la bière. Ainsi, pour le grand public espagnol, c’était le terme « cerveza » qui était utilisé. La division d’opposition a donc conclu qu’il était peu probable que le grand public, notamment le grand public espagnol, reconnaisse l’origine du terme « cervisia » et l’associe à la bière.

35      En l’absence d’éléments de preuve pertinents quant à la perception du mot « cervisia » par le public pertinent, la chambre de recours n’était donc pas en droit de considérer que celui-ci disposait d’une connaissance du latin telle qu’il puisse « aisément relier » le mot « cervisia » au mot « cerveza », dont les prononciations diffèrent en espagnol, ou à la notion de bières. Interrogé lors de l’audience sur ce point, l’EUIPO a reconnu qu’il incombait à la chambre de recours d’exposer de tels éléments de preuve, étant donné que la perception du mot « cervisia » par ledit public ne pouvait être considérée comme relevant de faits notoires.

36      Néanmoins, compte tenu de la présence du terme « cervisia », sans signification particulière pour le public pertinent, et, d’une part, du terme « ambar » qui signifie « ambre », et, d’autre part, de la représentation d’un hippocampe, les signes en conflit doivent être considérés comme conceptuellement différents, comme cela a été relevé à juste titre par la chambre de recours dans la décision attaquée.

37      En conclusion sur la comparaison des signes, c’est à tort que la chambre de recours a considéré que, pour le public capable de reconnaître le mot « cervisia » dans la marque demandée, les signes en conflit présentaient un très faible degré de similitude phonétique, lequel était neutralisé par la différence d’apparence visuelle et par la différence conceptuelle, tandis que, pour le public qui ne reconnaissait pas le mot « cervisia », il n’y avait pas de similitude entre les signes (points 26 et 27 de la décision attaquée). En effet, il ressort de ce qui précède que l’élément verbal « cervisia » était perceptible dans la marque demandée et que, par voie de conséquence, sur les plans visuel et phonétique, les signes en conflit présentaient un certain degré de similitude, qui peut être qualifié de moyen, compte tenu la présence de cet élément dans chacun des signes.

38      Par ailleurs, dans ce contexte, il doit être rappelé que, même si l’élément verbal « cervisia » commun aux signes en conflit ne véhicule pas de contenu conceptuel, toujours est-il qu’il peut être lu et prononcé et qu’il est, dès lors, susceptible d’être retenu par les consommateurs [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2011, Pukka Luggage/OHMI – Azpiroz Arruti (PUKKA), T‑483/10, non publié, EU:T:2011:692, point 47].

 Sur l’appréciation globale du risque de confusion

39      L’appréciation globale du risque de confusion implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte, et notamment de la similitude des marques et de celle des produits ou des services désignés. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits ou les services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement [arrêts du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, EU:C:1998:442, point 17, et du 14 décembre 2006, Mast-Jägermeister/OHMI – Licorera Zacapaneca (VENADO avec cadre e.a.), T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 74].

40      À ce stade, la chambre de recours a décidé de ne pas appliquer le principe selon lequel les éléments verbaux ont normalement un impact plus important que les éléments figuratifs, étant donné que l’élément verbal de la marque demandée était « à peine lisible » et que l’élément figuratif avait un « contenu sémantique (hippocampe) plutôt inhabituel et donc mémorisable » en ce qui concerne les produits en cause (point 30 de la décision attaquée).

41      De même, la chambre de recours a considéré que le caractère distinctif intrinsèque de la marque antérieure était faible, eu égard à sa signification descriptive des produits en cause, et que, même s’il était admis que la marque AMBAR était renommée en Espagne – ce qui n’était pas établi par la requérante – il n’en restait pas moins que le mot « cervisia » évoquait les produits en cause, à savoir des « bières », et possédait un caractère distinctif faible (point 31 de la décision attaquée).

42      En conclusion, la chambre de recours a estimé qu’il n’y avait pas de risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 étant donné que les signes en conflit n’étaient similaires que dans une faible mesure, que les éléments figuratifs de la marque demandée étaient dotés d’une signification et que l’élément commun « cervisia » présentait un caractère distinctif faible en Espagne (point 32 de la décision attaquée).

43      Cependant, d’une part, compte tenu de ce qui précède, la chambre de recours n’était pas fondée à considérer que le principe selon lequel les éléments verbaux ont normalement un impact plus important que les éléments figuratifs évoqués n’était pas applicable au cas d’espèce.

44      En effet, il ressort de la jurisprudence que, lorsqu’une marque est composée d’éléments verbaux et figuratifs, les premiers devraient, en principe, être considérés comme plus distinctifs que les seconds, car le consommateur moyen fera plus facilement référence au produit en cause en citant le nom qu’en décrivant l’élément figuratif de la marque [arrêt du 14 juillet 2005, Wassen International/OHMI – Stroschein Gesundkost (SELENIUM-ACE), T‑312/03, EU:T:2005:289, point 37]. En particulier, ainsi que le relève la requérante, dans le secteur des boissons alcoolisées, les consommateurs de ces produits sont habitués à les désigner et à les reconnaître en fonction de l’élément verbal qui sert à les identifier, en particulier dans les bars ou les restaurants, dans lesquels ces boissons sont commandées oralement après avoir vu leur nom sur la carte [voir arrêt du 23 novembre 2010, Codorniu Napa/OHMI – Bodegas Ontañon (ARTESA NAPA VALLEY), T‑35/08, EU:T:2010:476, point 62 et jurisprudence citée]. Comme cela a été discuté lors de l’audience, ce principe trouve également à s’appliquer lorsque l’achat s’effectue dans un supermarché, par exemple au moyen de la comparaison des prix des produits.

45      Or, en l’espèce, pour écarter l’application de ce principe, c’est à tort que la chambre de recours a considéré que l’élément verbal de la marque demandée était « à peine lisible » et que, au contraire, l’élément figuratif avait un « contenu sémantique (hippocampe) plutôt inhabituel et donc mémorisable » en ce qui concerne les produits. Il s’avère néanmoins que, en présence d’une situation où il est aisé de lire la suite de lettres « e », « r », « v », « i », « s », « i », « a », le consommateur moyen, qui est censé être raisonnablement attentif, n’aura pas de difficulté à se rendre compte que la lettre « c » précède ces lettres pour former l’élément verbal « cervisia » de la marque demandée. Cet élément n’est donc pas « à peine lisible » (voir points 25 et 30 ci-dessus). De même, si l’élément figuratif de la marque demandée dispose bien d’« un contenu sémantique (hippocampe) plutôt inhabituel et donc mémorisable » en ce qui concerne les produits en cause, il en est tout autant de l’élément verbal de ce signe, dont la signification n’évoque rien pour le public pertinent (voir points 33 à 35 ci-dessus).

46      D’autre part, la chambre de recours a également commis une erreur d’appréciation en considérant que le caractère distinctif de la marque antérieure était faible eu égard à sa signification descriptive.

47      En effet, ainsi qu’il a déjà été indiqué, un tel raisonnement repose sur la prémisse selon laquelle le public pertinent pourrait être capable d’« aisément relier », compte tenu de leurs débuts identiques et des produits en cause, le mot latin « cervisia » au mot espagnol « cerveza ».

48      Or, en l’espèce et ainsi que le fait valoir la requérante, le grand public espagnol, ne sera pas à même de relier un mot latin – dont la chambre de recours a, elle-même, relevé qu’il ne s’agissait pas d’un mot espagnol et qu’il n’était pas utilisé couramment – au mot espagnol correspondant à la lecture du dictionnaire de latin qui est cité dans la décision attaquée sur ce point (lequel fournit d’ailleurs une traduction du terme « cervisia » en anglais et non en espagnol). Une telle analyse correspond, par ailleurs, à l’analyse précédemment développée par la division d’opposition dans la présente affaire et dans les décisions citées par la requérante dans d’autres affaires (voir points 33 à 35 ci-dessus).

49      En conséquence, au vu des éléments de preuve invoqués sur ce point par les parties, il y a lieu de considérer que, aussi bien en ce qui concerne la marque demandée qu’en ce qui concerne la marque antérieure, l’élément verbal « cervisia » ne possède pas un caractère distinctif faible, mais bien un caractère distinctif intrinsèque normal.

50      Dès lors, il convient de relever que si c’est à juste titre que la chambre de recours a relevé la similitude existant entre les produits en cause, c’est en revanche à tort qu’elle a considéré, pour conclure à l’absence de risque de confusion, que les signes en conflit n’étaient similaires que dans une faible mesure et que l’élément commun de ces signes présentait un caractère distinctif faible en Espagne.

51      En effet, contrairement à ce qui a été décidé par la chambre de recours, il y a lieu de conclure que, du fait de la présence de l’élément verbal « cervisia » dans chacun des signes (voir points 25 et 30 ci-dessus), les signes en conflit présentent sur les plans visuel et phonétique un certain degré de similitude, qui doit être qualifié de moyen. De même, pour les raisons exposées aux points 43 à 45 ci-dessus, c’est à tort que la chambre de recours a refusé d’appliquer le principe selon lequel les éléments verbaux ont normalement un impact plus important que les éléments figuratifs et considéré que l’élément verbal « cervisia » commun aux signes en conflit avait un caractère faiblement distinctif.

52      Ainsi, eu égard à la similitude existant entre les produits en cause et à la similitude entre les signes en conflit sur les plans visuel et phonétique, le public pertinent, en présence des produits désignés par la marque demandée, pourrait soit ne pas remarquer la différence entre les signes résultant de la représentation d’un hippocampe contenu dans l’élément de forme circulaire de la marque demandée ou de l’absence de l’élément verbal « ambar » dans cette dernière, soit penser que les produits proviennent néanmoins de la même entreprise que celle qui revêt ses produits de la marque antérieure.

53      Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de conclure que c’est à tort que la chambre de recours a considéré qu’il n’existait pas de risque de confusion, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

54      Le moyen unique soulevé par la requérante doit donc être accueilli et, partant, la décision attaquée doit être annulée.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

56      En l’espèce, la requérante n’ayant pas conclu à la condamnation de l’EUIPO et de l’intervenante aux dépens, chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 13 mars 2017 (affaire R 1241/2016-5) est annulée.

2)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Frimodt Nielsen

Kreuschitz

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.