Language of document : ECLI:EU:C:2008:567

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. J. Mazák

présentées le 16 octobre 2008 (1)

Affaire C‑88/07

Commission des Communautés européennes

contre

Royaume d’Espagne

«Mesures d’effet équivalent – Mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté»





I –    Introduction

1.        Dans la présente procédure, la Commission des Communautés européennes a saisi la Cour d’un recours en vertu de l’article 226 CE, tendant à faire constater que,

–        en retirant du marché de nombreux produits élaborés à base d’espèces végétales, fabriqués et/ou commercialisés légalement dans un autre État membre, en vertu d’une pratique administrative consistant à retirer du marché tout produit contenant des espèces végétales qui ne sont pas incluses dans l’annexe de l’arrêté ministériel du 3 octobre 1973 en le considérant comme un médicament commercialisé sans autorisation obligatoire,

–        et en ne communiquant pas cette mesure à la Commission,

le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE ainsi que des articles 1er et 4 de la décision n° 3052/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 1995, établissant une procédure d’information mutuelle sur les mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté(2).

2.        La Cour est, en substance, invitée à se prononcer sur la méthode de classement d’un produit dans le groupe des médicaments. Dans ce cas, il s’agit non pas de vérifier le bien-fondé de la classification d’un produit concret en tant que médicament(3), mais d’examiner le mode de classement.

3.        Dans tous les cas, la décision de classement d’un produit relève du domaine de l’État membre. Cependant, la voie qui mène à cette décision découle de la jurisprudence de la Cour.

4.        Le classement d’un produit en tant que médicament est le point crucial pour la décision de la Cour sur le présent recours de la Commission. Si l’État soumet un produit non médicamenteux au régime qui est destiné à des médicaments, il s’agit en principe d’une mesure d’effet équivalent qui est interdite entre les États membres.

5.        En conséquence, je considère qu’il convient de répondre aux trois questions suivantes. Premièrement, les autorités espagnoles classent-elles d’une façon correcte les produits à base d’espèces végétales dans la catégorie des médicaments? Deuxièmement, un tel comportement des autorités représente-t-il une pratique administrative qui constitue une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de la jurisprudence de la Cour? Troisièmement, une entrave éventuelle peut-elle être justifiée au sens de l’article 30 CE ?

II – Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

6.        Le traité instituant la Communauté européenne prévoit la libre circulation des marchandises entre les États membres. Les obstacles à la libre circulation ne peuvent être justifiés que par des raisons qui découlent de l’article 30 CE et de la jurisprudence de la Cour.

7.        En vertu de la décision n° 3052/95, les États membres sont obligés de notifier les mesures faisant obstacle à la libre circulation ou à la mise sur le marché d’un certain modèle ou d’un certain type de produit légalement fabriqué ou commercialisé dans un autre État membre dans un délai de 45 jours à compter du jour où cette mesure est prise.

8.        Les médicaments représentent une catégorie spéciale de marchandises. La directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain(4), est l’une des mesures pour la réalisation de l’objectif de la libre circulation des médicaments.

9.        La définition de la notion de médicament figure à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2001/83 telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004(5). Selon cette définition, on entend par médicament:

«i)      toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines; ou

ii)      toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical.»

10.      Il découle de cette définition que le classement d’un produit comme médicament peut être effectué par rapport à sa présentation telle qu’énoncée au point i) de la définition ou par rapport à ses fonctions telles que énoncées au point ii) de la définition.

11.      La directive 2004/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004(6) a inséré dans l’article 1er de la directive 2001/83 de nouvelles définitions qui concernent les notions de «médicament traditionnel à base de plantes», de «médicament à base de plantes», de «substances végétales» et de «préparations à base de plantes».

12.      Il découle de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/83, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006(7), que la mise d’un médicament sur le marché est soumise à une autorisation préalable.

13.      En revanche, l’article 16 bis de la directive 2001/83, qui était inséré par la directive 2004/24, prévoit une procédure d’enregistrement simplifiée pour les médicaments traditionnels à base de plantes.

B –    La réglementation nationale

1.      La loi n° 29/2006

14.      La réglementation essentielle des médicaments se trouve dans la loi n° 29/2006, du 26 juillet 2006, sur les garanties et l’utilisation rationnelle des médicaments et produits sanitaires, qui a abrogé la loi n° 25/1990, du 20 décembre 1990 sur les médicaments.

15.      Selon l’article 8, sous a), de la loi n° 29/2006, un médicament à usage humain est toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical.

16.      Le classement d’un produit en tant que médicament a pour conséquence qu’un produit ne peut être mis sur le marché qu’après autorisation préalable.

17.      En ce qui concerne les médicaments à base de plantes médicinales, il découle de l’article 51, paragraphe 1, de la loi n° 29/2006 qu’ils sont soumis, en principe, au même régime que les autres médicaments. Un régime différent est prévu pour les plantes toxiques, dont la vente au public est restreinte ou interdite, et pour les plantes traditionnellement considérées comme médicinales(8),dont la vente au public est libre, à condition qu’elles soient présentées sans référence à des propriétés thérapeutiques, diagnostiques ou préventives.

18.      Les plantes considérées comme toxiques sont énumérées à l’arrêté SCO/190/2004, du 28 janvier 2004, établissant la liste des plantes dont la vente au public est interdite ou restreinte en raison de leur toxicité.

19.      En ce qui concerne les plantes traditionnellement considérées comme médicinales, la liste établie en application de l’article 51, paragraphe 3, de la loi n° 29/2006 n’existe pas. Les autorités espagnoles utilisent, selon le point 42 de leur mémoire, «comme un instrument utile» la liste des 119 plantes qui figure dans l’annexe de l’arrêté du 3 octobre 1973 portant sur la création du registre de préparations à base d’espèces végétales médicinales. Aux termes de cet arrêté, les produits contenant une seule espèce végétale médicinale mentionnée en annexe et indiquée clairement sur l’emballage extérieur du produit sont exemptés de l’obligation d’enregistrement.

III – Procédure précontentieuse et procédure devant la Cour

20.      Les trois plaintes des entreprises espagnoles Ynsadiet, S.A., Laboratorios Tegor, S.L. et Laboratorios Taxón, S.L. de l’année 2004 ont donné lieu au recours de la Commission dans cette affaire. Les entreprises ont affirmé que plus de 200 produits au total ont été retirés du marché espagnol entre 2002 et 2003 en raison du défaut d’autorisation pour ces produits étant donné que «l’Agencia Española de Medicamentos y Productos Sanitarios» (l’agence espagnole des médicaments et des produits sanitaires; ci-après «l’Agencia Española de Medicamentos») les a qualifiés de médicaments. L’argument du classement a souvent consisté dans le fait que les produits concernés étaient fabriqués à base d’espèces végétales non incluses dans l’annexe de l’arrêté du 3 octobre 1973. Selon les entreprises concernées, dans d’autres États membres, ces produits sont en vente libre et sont commercialisés légalement, dans la plupart des cas en tant que compléments alimentaires ou diététiques.

21.      Considérant que les autorités espagnoles n’ont pas respecté les obligations qui leur incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE et des articles 1er et 4 de la décision n° 3052/95 en ordonnant le retrait du marché des produits du seul fait de la présence dans leur composition d’espèces végétales ne figurant pas à l’annexe de l’arrêté du 3 octobre 1973 et considérant automatiquement ces produits comme des médicaments commercialisés sans autorisation préalable, la Commission a envoyé le 21 mars 2005, conformément à l’article 226 CE, au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure. Non satisfaite des observations formulées par le Royaume d’Espagne dans sa réponse du 19 mai 2005, elle lui a adressé un avis motivé en date du 10 avril 2006 dans lequel elle a invité les autorités espagnoles à prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois.

22.      Malgré les arguments que les autorités espagnoles ont exposés dans sa réponse à l’avis motivé du 12 juin 2006, la Commission a déposé le présent recours par lequel elle demande à la Cour de déclarer que le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE ainsi que des articles 1er et 4 de la décision n° 3052/95 et de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

23.      Sur la base des arguments présentés dans son mémoire en défense et sa duplique, le Royaume d’Espagne demande à la Cour de rejeter le recours et de condamner la Commission aux dépens.

24.      La Commission a demandé à la Cour une audience, laquelle a eu lieu le 25 juin 2008.

IV – Appréciation

A –    Le rapport entre les notions de «produit», «produit élaboré à base d’espèces végétales», «médicament» et «médicament à base de plantes»

25.      En l’espèce, le «produit» est un terme général qui est lié, en principe, à la libre circulation des produits entre les États membres. Ce but est poursuivi par les articles 28 CE et 29 CE qui énoncent l’interdiction des restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent entre les États membres.

26.      En vertu de différents critères, il est possible de définir beaucoup de catégories de produits qui, pour diverses raisons, exigent des règles spéciales régissant leur libre circulation. Dans le cas présent, il s’agit de deux catégories de produits. Pour la première, il s’agit des «médicaments» et, pour la seconde, il s’agit des «produits élaborés à base d’espèces végétales»(9).

27.      La catégorie des «produits élaborés à base d’espèces végétales» est très nombreuse. Comme le Royaume d’Espagne le souligne à juste titre, cette catégorie comporte, par exemple, des produits de nettoyage, des produits alimentaires ou des produits cosmétiques. Le droit communautaire ne la définit pas et ne contient pas de règles spéciales concernant la libre circulation de cette catégorie de produits.

28.      Un «médicament» est une catégorie spéciale de produits. Sa particularité consiste dans le fait qu’il est nécessaire de relier sa libre circulation entre les États membres à l’exigence de la protection de la santé publique.

29.      Dans le domaine des médicaments, une harmonisation au niveau communautaire est réalisée par la directive 2001/83. Il ressort clairement de cette directive, mais aussi de la jurisprudence de la Cour, que chaque médicament est un produit, mais selon la jurisprudence de la Cour(10), un médicament n’est qu’un produit qui entre dans une des deux définitions, définition par présentation ou définition par fonction, que donne la directive 2001/83.

30.      Il est évident que ces deux catégories susmentionnées de produits peuvent se superposer. Il en découle logiquement qu’il existe un groupe de produits qui sont en même temps un médicament et un produit élaboré à base d’espèces végétales. J’estime qu’il est possible d’en conclure que le produit appartenant à ce groupe est un «médicament à base de plantes».

31.      Permettez-moi de préciser cette idée. Le médicament à base de plantes est seulement un produit qui entre dans l’une des deux définitions d’un médicament données par la directive 2001/83 et dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes, ou une association d’une ou de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes.

32.      Il en ressort que la classification de produits comme médicaments à base de plantes est subordonnée à deux conditions impérativement cumulatives: la condition d’être un médicament et la condition du contenu. Si un produit contient une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association d’une ou de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes et s’il ne remplit pas à la fois les conditions de la définition du médicament par présentation ou par fonction, il ne peut pas être classifié comme un médicament ni, partant, comme un médicament à base de plantes. Cela signifie que tous les produits qui contiennent des espèces végétales ne sont pas automatiquement des médicaments ni, par conséquent, des médicaments à base de plantes.

B –    La méthode de classement d’un produit dans le groupe des médicaments

33.      Étant donné que, dans le cas présent, les produits étaient classés en tant que médicaments par rapport à leurs fonctions, j’examinerai donc la méthode de classement des produits en vertu de la définition du médicament par fonction.

34.      Ainsi que cela découle de la jurisprudence de la Cour(11), contrairement à la notion de médicament par présentation, dont l’interprétation extensive a pour objectif de préserver les consommateurs des produits qui n’auraient pas l’efficacité qu’ils seraient en droit d’attendre, celle de médicament par fonction vise à englober les produits dont les propriétés pharmacologiques ont été scientifiquement constatées et qui sont réellement destinées à établir un diagnostic médical ou à restaurer, à corriger ou à modifier des fonctions physiologiques.

35.      La Cour a également constaté(12) que les autorités nationales ont un rôle prépondérant dans le processus du classement d’un produit dans le groupe des médicaments. Ce sont elles qui ont pour tâche, sous le contrôle du juge, de déterminer pour chaque produit, au cas par cas, s’il constitue ou non un médicament.

36.      Comme je l’ai déjà mentionné(13), même si ce sont les autorités nationales qui décident du classement d’un produit, la voie qui mène à cette décision découle de la jurisprudence de la Cour. La Cour a eu plusieurs fois l’occasion de constater que pour classer un produit en tant que médicament, il est nécessaire de prendre en considération l’ensemble de ses caractéristiques(14). Elle a démonstrativement énuméré certains d’entre eux:

–        la composition d’un produit,

–        les propriétés pharmacologiques d’un produit – telles qu’elles peuvent être établies en l’état actuel de la connaissance scientifique,

–        les modalités d’emploi d’un produit,

–        l’ampleur d’une diffusion d’un produit,

–        la connaissance qu’ont les consommateurs d’un produit et

–        les risques que peut entraîner une utilisation d’un produit.

37.      La Commission fait grief au Royaume d’Espagne de ne pas respecter cette méthode de classement étant donné que la présence d’espèces végétales dans un produit est l’unique raison pour le classifier comme un médicament. Elle affirme que les autorités espagnoles qualifient systématiquement un produit de médicament par fonction en raison de la simple présence d’un certain type d’espèces végétales, sans fonder cette décision sur une analyse détaillée.

38.      Le Royaume d’Espagne n’est pas d’accord avec cette conclusion. Il a rétorqué qu’un classement des produits concernés effectué par «l’Agencia Española de Medicamentos» était fondé sur des analyses détaillées de chaque produit focalisées sur sa composition (espèces végétales, présence d’extraits …), ses propriétés pharmacologiques, son étiquetage, sa présentation, etc.

39.      Sur ce point j’estime, comme la Commission, que le Royaume d’Espagne n’a pas prouvé cette affirmation.

40.      Pour sa défense, le Royaume d’Espagne a présenté une étude élaborée par «l’Agencia Española de Medicamentos» dans laquelle sont exposés les effets possibles de 34 plantes sur la santé humaine. Pour prouver qu’un classement des produits en tant que médicament était fondé sur des analyses détaillées de chaque produit, il a également présenté à titre d’exemple, les analyses concernant deux produits, Inmuplan et Basic Herbal. Il découle de ces analyses que ces produits contiennent des plantes qui peuvent avoir des effets nocifs sur la santé humaine. En ce qui concerne les effets des plantes, les analyses se rapportent à l’étude élaborée par «l’Agencia Española de Medicamentos».

41.      Il faut souligner que cette étude et ces analyses sont les analyses des «plantes» (espèces végétales) qui sont évidemment présentes dans les produits qui étaient retirés du marché. Le Royaume d’Espagne n’a fourni aucune analyse détaillée, au sens de la jurisprudence de la Cour(15), des «produits» contenant de ces plantes qui pourraient permettre de classifier des produits dans le groupe de médicaments. Comme je l’ai déjà dit précédemment(16), tous les produits qui contiennent des espèces végétales, même si ce sont des espèces végétales qui pourraient éventuellement avoir des effets nocifs sur la santé humaine, ne sont pas automatiquement des médicaments ni, partant, des médicaments à base de plantes.

42.      Je pourrais imaginer que, après des analyses détaillées, certains des produits concernés pourraient être classifiés en tant que médicaments, mais cette décision doit être prise en conformité avec les exigences découlant du droit communautaire et cela n’a pas été le cas.

43.      Si la Cour constatait dans le cas présent un manquement aux obligations de la part du Royaume d’Espagne, cela ne signifierait pas pour autant que les produits concernés ne soient pas définitivement des médicaments. Cela signifierait que la méthode de classement d’un produit dans le groupe des médicaments, fondée sur le fait que le produit contient des espèces végétales qui ne sont pas incluses dans l’annexe de l’arrêté ministériel du 3 octobre 1973, n’était pas en conformité avec les exigences du droit communautaire.

44.      La quantité des produits(17) étant classés en tant que médicaments par les autorités espagnoles par la méthode qui n’est pas conforme au droit communautaire est, à mon avis, un critère suffisant pour constater qu’il s’agit d’une pratique administrative systématique de la part des autorités espagnoles, qui crée une entrave au libre-échange des produits et qu’elle constitue donc une mesure d’effet équivalent interdite par l’article 28 CE.

45.      Dans sa requête, la Commission a cependant déterminé d’une façon inexacte les produits concernés par cette pratique administrative. Selon elle, cette pratique s’applique à «tout» produit contenant des espèces végétales qui ne sont pas incluses dans l’annexe de l’arrêté ministériel du 3 octobre 1973. Étant donné que la catégorie des produits contenant des espèces végétales est très nombreuse, la formulation, que la Commission a précisée dans sa réplique(18), d’«une série de produits» est plus proche de la réalité.

C –    La justification d’une entrave aux libres-échanges des produits pour des raisons de protection de la santé publique

46.      La question se pose de savoir si, comme le gouvernement espagnol le soutient à titre subsidiaire, la pratique administrative des autorités espagnoles qui crée une entrave au libre échange des produits peut néanmoins être justifiée pour la protection de la santé publique au sens de l’article 30 CE.

47.      Selon une jurisprudence constante(19), une entrave au libre-échange des produits ne peut être justifiée que par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE ou par l’une des exigences impératives consacrées par la jurisprudence de la Cour, à condition notamment que cette mesure soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et soit proportionnelle, donc qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

48.      En ce qui concerne spécialement la protection de la santé publique en tant que raison justificative, la Cour a clairement précisé(20) que, en exerçant leur pouvoir d’appréciation relatif à la protection de la santé publique, les États membres doivent respecter le principe de proportionnalité. Les moyens qu’ils choisissent doivent donc être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique; ils doivent être proportionnés à l’objectif ainsi poursuivi, lequel n’aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d’une manière moindre les échanges intracommunautaires.

49.      À mon avis(21), dans le cas présent, il s’agit d’une pratique administrative systématique de la part des autorités espagnoles. Je me réfère à la jurisprudence de la Cour(22) pour constater que la pratique administrative appliquée par les autorités espagnoles est disproportionnée parce que son caractère systématique ne permet pas d’identifier et d’évaluer un risque réel pour la santé publique, ce qui exigerait une évaluation approfondie, au cas par cas, des effets que pourraient entraîner des produits concernés.

D –    Le manquement à l’obligation de notifier un obstacle à la libre circulation à la Commission

50.      Conformément à la jurisprudence de la Cour(23), la décision n° 3052/95 entend par «mesure» qui doit être notifiée à la Commission toute mesure prise par un État membre, à l’exception des décisions judiciaires, ayant pour effet de limiter la libre circulation de marchandises légalement fabriquées ou commercialisées dans un autre État membre, quelle que soit sa forme ou l’autorité dont elle émane.

51.      Comme j’ai déjà été amené à le constater(24), la pratique administrative incriminée des autorités espagnoles crée une entrave au libre-échange des produits et doit donc être considérée comme constituant une «mesure» au sens de l’article 1er de la décision n° 3052/95, qui doit être notifiée à la Commission.

52.      Pour sa défense, le Royaume d’Espagne fait valoir que les autorités espagnoles n’avaient pas connaissance du fait que les produits qui ont fait l’objet du retrait du marché et qui ont été fabriqués en Espagne à l’époque étaient commercialisés dans un ou plusieurs autres États membres. Les entreprises fabriquant les produits concernés n’ont pas présenté aux autorités espagnoles des documents prouvant que les produits faisant l’objet de la mesure de retrait étaient commercialisés légalement dans un autre État de la Communauté.

53.      Je ne peux pas accepter cet argument. J’estime que les autorités de l’État membre sont obligées d’examiner si les mesures faisant manifestement obstacle à la libre circulation des marchandises sur le marché national, ne pourraient pas avoir les mêmes effets sur la libre circulation de marchandises entre les États membres, notamment comme dans le cas où les autorités nationales ont des indices fournis par les entreprises, tels que dans ce cas présent.

V –    Conclusion

54.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit:

–        constater que, en retirant du marché de nombreux produits élaborés à base d’espèces végétales, fabriqués et/ou commercialisés légalement dans un autre État membre, en vertu d’une pratique administrative consistant à retirer du marché une série de produits contenant des espèces végétales qui ne sont pas incluses dans l’annexe de l’arrêté ministériel du 3 octobre 1973 en les considérant comme des médicaments commercialisés sans autorisation obligatoire et en ne notifiant pas cette mesure à la Commission, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE ainsi que des articles premier et 4 de la décision n° 3052/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 1995, établissant une procédure d’information mutuelle sur les mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté,

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.


1 – Langue originale: le français.


2–      JO L 321, p. 1.


3 – Comme, notamment, dans les affaires Commission/Allemagne (arrêts du 20 mai 1992, C‑290/90, Rec.p. I-3317, et du 15 novembre 2007, C-319/05, Rec. p. I-9811).


4 – JO L 311, p. 67.


5 – JO L 136, p. 34.


6 – JO L 136, p. 85.


7 – JO L 378, p. 1.


8 – Dans le cadre de l’explication de l’article 51 de la loi n° 29/2006, le Royaume d’Espagne dans son mémoire utilise les termes «médicaments à base de végétaux», mais l’article de la dite loi mentionne le terme «plante».


9 – À mon sens, les notions de «produit élaboré à base d’espèces végétales» et «produit élaboré à base de plantes» sont synonymes de même que les notions de «produit élaboré à base d’espèces végétales» et «produit contenant des espèces végétales».


10 – Dans son arrêt du 30 novembre 1983, van Bennekom (227/82, Rec. p. 3883, point 23), la Cour a constaté qu’un produit ne relevant ni de la première ni de la seconde partie de la définition communautaire du médicament ne peut être considéré comme un médicament au sens de la directive 65/65. Étant donné que la directive 2001/83 abrogeant la directive 65/65 contient, en principe, la même définition du médicament, cette affirmation est utilisable aussi par rapport à la directive 2001/83.


11 – Voir arrêt du 15 novembre 2007, Commission/Allemagne (C-319/05, Rec. p. I-9811, point 61).


12 – Voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 1991, Upjohn (C-112/89, Rec. p. I-1703, point 23); du 20 mai 1992, Commission/Allemagne (C-290/90, Rec. p. I-3317, point 17), et du 15 novembre 2007, Commission/Allemagne, précité, point 55.


13 – Voir ci-dessus, point 3.


14 – Voir, notamment, arrêts du 21 mars 1991, Monteil et Samanni (C-60/89, Rec. p. I-1547, point 29); Upjohn, précité, point 23; du 20 mai 1992, Commission/Allemagne, précité, point 17; du 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica (C-211/03, C-299/03 et C-316/03 à C-318/03, Rec. p. I-5141, point 51), et du 15 novembre 2007, Commission/Allemagne, précité, point 55.


15 – Voir arrêts précités aux notes 11, 12.


16 – Voir, ci-dessus, point 32.


17– Il faut souligner que les autorités espagnoles ont retiré du marché espagnol plus de 200 produits au total (selon l’inventaire des produits présenté par le Royaume d’Espagne, il s’agit exactement de 206 produits) des entreprises Ynsadiet, S.A., Laboratorios Tegor, S.L. et Laboratorios Taxón, S.L. entre 2002 et 2003.


18– La Commission a précisé le reproche fait au Royaume d’Espagne: la pratique administrative qui consiste à qualifier systématiquement de «médicaments par fonction» une série de produits élaborés à base d’espèces végétales ne figurant pas à l’annexe de l’arrêté ministériel du 3 octobre 1973 sans soumettre au préalable chacun de ces produits à une analyse détaillée, comme l’exige la jurisprudence de la Cour, constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, interdite par l’article 28 CE, étant donné que la détermination de la seule présence de certaines substances dans la composition d’un produit ne suffit pas à prouver qu’une quelconque des conditions prévues à l’article 30 CE et pouvant justifier cette pratique est remplie.


19 – Voir, notamment arrêt du 10 novembre 2005, Commission/Portugal (C-432/03, Rec. p. I-9665, point 42).


20– Voir, notamment, arrêts van Bennekom, précité, point 39; du 23 septembre 2003, Commission/Danemark (C-192/01, Rec. p. I-9693, point 45); du 29 avril 2004, Commission/Allemagne (C-387/99, Rec. p. 3751, point 71) et Commission/Autriche (C-150/00, Rec. p. I-3887, point 88).


21 – Voir, ci-dessus, point 44.


22– Voir, notamment, arrêts précités Commission/Danemark, point 56; du 29 avril 2004, Commission/Allemagne, point 79, et Commission/Autriche, point 96.


23– Voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 2002, Radiosistemi (C-388/00 et C-429/00, Rec. p. I-5845, point 68) et du 10 novembre 2005, Commission/ Portugal, précité, point 57.


24 – Voir ci-dessus, point 44.