Language of document : ECLI:EU:F:2011:94

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

28 juin 2011 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Avis de vacance – Rejet de candidature – Intérêt à agir – Fonctionnaire en invalidité – Indivisibilité de la décision de rejet de candidature et de la décision de nomination – Absence – Distinction entre fonctionnaires appartenant au même groupe de fonctions et titulaires du même grade et au parcours de carrière différent – Correspondance entre le grade et l’emploi »

Dans l’affaire F‑55/10,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

AS, fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Me N. Lhoëst, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Currall et Mme B. Eggers, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de M. S. Gervasoni (rapporteur), président, M. H. Kreppel et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier : M. J. Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er février 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 9 juillet 2010 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 15 juillet suivant), AS a introduit le présent recours tendant à l’annulation, notamment, de la décision de la Commission européenne du 30 septembre 2009 rejetant sa candidature pour un poste d’assistant bibliothécaire et à la condamnation de la Commission à lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral qu’elle estime avoir subi.

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 5 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« 1. Les emplois relevant du présent statut sont classés, suivant la nature et le niveau de fonctions auxquelles ils correspondent, en un groupe de fonctions des administrateurs (ci-après dénommés ‘AD’) et un groupe de fonctions des assistants (ci-après dénommés ‘AST’).

2. Le groupe de fonctions AD comporte douze grades correspondant à des fonctions de direction, de conception et d’étude ainsi qu’à des fonctions linguistiques ou scientifiques. Le groupe de fonctions AST comporte onze grades correspondant à des fonctions d’application, de nature technique et d’exécution.

[…]

4. Un tableau descriptif des différents emploi[s] [t]ypes figure à l’annexe I, [point] A. Sur la base de ce tableau, chaque institution arrête, après avis du comité du statut, la description des fonctions et attributions associées à chaque emploi type.

5. Les fonctionnaires appartenant au même groupe de fonctions sont soumis à des conditions identiques de recrutement et de déroulement de carrière. »

3        Aux termes de l’article 6 du statut :

« 1. Un tableau des effectifs annexé à la section du budget afférente à chaque institution fixe le nombre des emplois pour chaque grade et chaque groupe de fonctions.

2. Afin de garantir l’équivalence entre la progression de la carrière moyenne dans la structure des carrières en vigueur avant le 1er mai 2004 (ci-après dénommée ‘ancienne structure des carrières’) et la progression de la carrière moyenne dans la structure des carrières en vigueur après le 1er mai 2004 (ci-après dénommée ‘nouvelle structure des carrières’) et sans préjudice du principe de promotion fondée sur le mérite, énoncé à l’article 45 du statut, ce tableau garantit que, pour chaque institution, le nombre d’emplois vacants pour chaque grade est égal, au 1er janvier de chaque année, au nombre de fonctionnaires en activité au grade inférieur au 1er janvier de l’année précédente, multiplié par les taux fixés, pour ce grade, à l’annexe I, point B. Ces taux s’appliquent sur une base quinquennale moyenne à compter du 1er mai 2004.

[…] »

4        L’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, du statut dispose :

« L’autorité investie du pouvoir de nomination affecte, par voie de nomination ou de mutation, dans le seul intérêt du service et sans considération de nationalité, chaque fonctionnaire à un emploi de son groupe de fonctions correspondant à son grade. »

5        Le tableau du point A intitulé « Emplois types dans chaque groupe de fonctions, visés à l’article 5, paragraphe 3 », figurant à l’annexe I du statut relative à la « Correspondance entre les emplois types et les carrières », indique :

« 

« […]

[…]

[…]

[…]

 

[…]

[…]

[…]

AST 8

Assistant exerçant par exemple la fonction de : commis confirmé ; documentaliste confirmé ; technicien confirmé ; informaticien confirmé

[…]

[…]

AST 7

Assistant exerçant par exemple la fonction de : commis confirmé ; documentaliste confirmé ; technicien confirmé ; informaticien confirmé

[…]

[…]

AST 6

Assistant exerçant par exemple la fonction de : commis ; documentaliste ; technicien ; informaticien

[…]

[…]

AST 5

Assistant exerçant par exemple la fonction de : commis ; documentaliste ; technicien ; informaticien

[…]

[…]

AST 4

Assistant exerçant par exemple la fonction de :

[c]ommis-adjoint ; documentaliste-adjoint ; technicien-adjoint ; informaticien-adjoint

[…]

[…]

AST 3

Assistant exerçant par exemple la fonction de : [c]ommis-adjoint ; documentaliste-adjoint ; technicien-adjoint ; informaticien-adjoint ; huissier parlementaire […]

[…]

[…]

AST 2

Assistant exerçant par exemple la fonction de : agent de classement ; agent technique ; agent informatique ; huissier parlementaire […]

[…]

[…]

AST 1

Assistant exerçant par exemple la fonction de : agent de classement ; agent technique ; agent informatique ; huissier parlementaire […]

 »

6        Le tableau du point B intitulé « Taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes », figurant à l’annexe I du statut, indique :

« 

Grade

Assistants

[…]

[…]

[…]

[…]

4

33 %

3

33 %

2

33 %

1

33 %

 »

7        L’article 10 de l’annexe XIII du statut, relative aux mesures de transition applicables aux fonctionnaires de l’Union, prévoit :

« 1. Les fonctionnaires en fonction dans les catégories C ou D avant le 1er mai 2004 sont affectés à compter du 1er mai 2006 aux parcours de carrière permettant des promotions :

a)      dans l’ancienne catégorie C, jusqu’au grade AST 7 ;

b)      dans l’ancienne catégorie D, jusqu’au grade AST 5 ;

2. Pour ces fonctionnaires, à compter du 1er mai 2004 et par dérogation à l’annexe I, [point] B, du statut, les pourcentages visés à l’article 6, paragraphe 2, du statut sont les suivants :

Parcours de carrière C

Grade

1er mai 2004 jusqu’au

 
 

[…]

30 avril 2007

30 avril 2008

30 avril 2009

30 avril 2010

Après le 30 avril 2010

[…]

[…]

[…]

[…]

[…]

[…]

[…]

C*/AST 4

[…]

22 %

22 %

22 %

22 %

22 %

C*/AST 3

[…]

25 %

25 %

25 %

25 %

25 %

C*/AST 2

[…]

25 %

25 %

25 %

25 %

25 %

C*/AST 1

[…]

25 %

25 %

25 %

25 %

25 %

[…]

3. Les fonctionnaires auxquels le paragraphe 1 s’applique peuvent devenir membre du groupe de fonctions des assistants sans restriction après avoir réussi un concours général ou sur la base d’une procédure d’attestation. La procédure d’attestation est fondée sur l’ancienneté, l’expérience, le mérite et le niveau de formation des fonctionnaires et sur la disponibilité des postes dans le groupe de fonctions AST. […]

5. Le présent article ne s’applique pas aux fonctionnaires qui ont changé de catégorie après le 1er mai 2004. »

 Faits à l’origine du litige

8        La requérante est entrée au service de la Commission le 1er octobre 1993 en qualité d’agent auxiliaire. Le 1er février 1994, elle a été nommée fonctionnaire de grade C 5 et a exercé des fonctions de secrétariat au sein de la direction de la politique régionale. Entre le 1er septembre 1997 et le 15 novembre 2006, elle était en détachement auprès de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) à Dublin (Irlande) où elle était chargée des fonctions « d’Information Centre Assistant » au sein du département « Information et Communication/Bibliothèque ». Dans le contexte de la réforme du statut, le grade de la requérante a été renommé C*3 le 1er mai 2004. Le 1er mai 2006, ce grade intermédiaire est devenu le grade AST 3. Ayant appartenu à l’ancienne catégorie C avant le 1er mai 2004, la requérante a été reclassée au grade AST 3 avec restriction de carrière, son parcours de carrière, au sens de l’article 10 de l’annexe XIII du statut, ne permettant des promotions que jusqu’au grade AST 7.

9        Le 15 novembre 2006, à l’issue de son détachement et à la suite de la réussite à un concours interne, la requérante a été reclassée dans le parcours de carrière sans restriction, permettant des promotions jusqu’au grade AST 11, tout en étant maintenue au grade AST 3. Elle a été affectée au sein de la direction générale de la recherche et à partir de l’année 2008, elle a exercé son activité à mi-temps pour raison médicale. À la suite d’un examen conduit par le service médical en mars 2009, une procédure de mise en invalidité a été ouverte le 14 avril 2009, laquelle a finalement conduit à la mise en invalidité permanente de la requérante à compter du 1er décembre 2009.

10      La Commission a publié du 26 juin au 17 août 2009 un avis de vacance pour un poste d’« [a]ssistant – [b]ibliothécaire / [d]ocumentaliste – […] ». L’avis de vacance précisait que les grades correspondant à ce poste étaient les grades AST 1 à AST 7 et qu’il s’agissait d’un poste de type « [g]estionnaire ».

11      La requérante s’est portée candidate à cet emploi dans les délais, le 17 août 2009. Mais lors de l’entretien avec le panel de sélection, il lui a été indiqué que sa candidature ne pouvait être retenue dans la mesure où l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») souhaitait que ce poste soit réservé aux fonctionnaires avec restriction de carrière jusqu’au grade AST 7. Le 30 septembre 2009, le président du panel de sélection lui a confirmé par courrier électronique que sa candidature ne pouvait être prise en considération (ci-après la « décision litigieuse »). Le 28 décembre 2009, la requérante a introduit une réclamation qui a été rejetée par la Commission le 31 mars 2010 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Conclusions des parties et procédure

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse ;

–        annuler, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner la Commission à lui verser une indemnité de 25 000 euros en réparation de son préjudice matériel et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

–        condamner la Commission aux entiers dépens de l’instance.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      Dans son mémoire en défense, la Commission observe que la requérante semble justifier la recevabilité de son recours par l’arrêt du Tribunal du 25 septembre 2008, Strack/Commission, F‑44/05. Elle invite le Tribunal à suspendre la procédure jusqu’à ce que le Tribunal de l’Union européenne ait statué sur le pourvoi qu’elle a introduit dans cette affaire. Toutefois, le Tribunal de l’Union européenne ayant rendu son arrêt dans cette affaire (arrêt du 9 décembre 2010, Commission/Strack, T‑526/08 P), les conclusions à fin de suspension sont devenues sans objet.

15      Par lettre du 17 novembre 2010, le Tribunal a demandé aux parties de produire plusieurs documents et de répondre à certaines questions. Par des courriers datés respectivement des 13 et 17 décembre 2010, la requérante et la Commission ont répondu à ces mesures d’organisation de la procédure.

16      Par une nouvelle lettre du 16 décembre 2010, la requérante a demandé au Tribunal que toute référence faite à son dossier médical dans le mémoire en défense de la Commission soit écartée du dossier contentieux. À titre subsidiaire, au cas où cette demande serait rejetée, elle a sollicité que son nom soit omis, en application de l’article 44, paragraphe 4, du règlement de procédure.

17      Par un courrier en date du 12 janvier 2011, le Tribunal a demandé à la Commission de produire un nouveau mémoire en défense, se substituant à celui qu’elle avait déposé, ne comportant aucune mention du dossier médical de la requérante afin que ce mémoire ne soit plus susceptible de porter atteinte, directement ou indirectement, au secret médical.

18      En réponse au courrier du Tribunal, la Commission a, le 17 janvier 2011, demandé au Tribunal, notamment, de faire droit à la demande d’anonymat de la requérante, afin de maintenir le mémoire en défense en l’état et, à défaut, de donner un délai à la Commission pour se prononcer sur la lettre de la requérante du 16 décembre 2010.

19      Le 25 janvier 2011, le Tribunal a annoncé aux parties qu’il acceptait que le mémoire en défense produit par la Commission soit maintenu en l’état et a accordé l’anonymat à la requérante, sans préjudice de l’examen du bien-fondé de la demande principale présentée par l’intéressée dans sa lettre du 16 décembre 2010.

20      La tentative de règlement amiable du litige initiée par le Tribunal à l’issue de l’audience a échoué.

 Sur l’objet du litige

21      La requérante demande tant l’annulation de la décision litigieuse que de la décision de rejet de la réclamation.

22      À cet égard, il convient de constater, au regard de la jurisprudence (arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, point 8 ; arrêt du Tribunal de première instance du 10 juin 2004, Liakoura/Conseil, T‑330/03, point 13 ; arrêt du Tribunal de la fonction publique du 23 février 2010, Faria/OHMI, F‑7/09, point 30) et de la portée de la décision de rejet de la réclamation, laquelle ne fait que confirmer en substance la décision litigieuse, que les conclusions en annulation de la décision rejetant la réclamation sont, comme telles, dépourvues de contenu autonome et se confondent en réalité avec les conclusions en annulation de la décision litigieuse.

23      Il y a lieu, dès lors, de considérer que les conclusions en annulation sont dirigées uniquement contre ladite décision de la Commission.

 En droit

 Sur la fin de non-recevoir opposée par la Commission, tirée du défaut d’intérêt à agir de la requérante

 Argument des parties

24      La Commission soutient dans son mémoire en défense que le recours en annulation de la décision litigieuse est irrecevable pour défaut d’intérêt à agir. Elle fait valoir que pour qu’un fonctionnaire ou un ancien fonctionnaire puisse valablement introduire un recours en vertu des articles 90 et 91 du statut, il doit justifier d’un intérêt personnel à l’annulation de l’acte attaqué. La Commission ajoute que c’est au moment de l’introduction du recours que l’intérêt à agir doit s’apprécier. Or, la requérante ayant été mise à la retraite pour invalidité bien avant l’introduction du recours et n’ayant plus vocation à travailler au sein des services de la Commission, son recours serait irrecevable. La Commission fait valoir que l’annulation d’une décision de refus de candidature ne peut être détachée de celle de nommer le candidat retenu, annulation à laquelle la requérante n’a aucun intérêt, compte tenu de son incapacité à occuper le poste. Elle soutient enfin qu’en tout état de cause, au moment de l’entretien du jury et de l’édiction de la décision attaquée, la requérante ne voulait ni ne pouvait plus occuper un poste à la Commission.

25      Dans sa lettre du 17 décembre 2010, la Commission a soutenu, en outre, que l’arrêt Commission/Strack, précité, rendu par le Tribunal de l’Union européenne, devrait conduire au rejet de la requête pour irrecevabilité. En effet, selon la Commission, le Tribunal de l’Union européenne ayant considéré que les décisions de rejet de candidature et les décisions de nomination étaient indissociables, les fonctionnaires ne seraient pas recevables à demander l’annulation d’un rejet de candidature sans demander, en même temps, l’annulation de la décision de nomination.

26      En réponse à l’exception d’irrecevabilité figurant dans le mémoire en défense, la requérante a fait valoir, dans son courrier en date du 16 décembre 2010, que les représentants de la Commission ne pouvaient, sans méconnaître l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), consulter et dévoiler le contenu de son dossier médical afin de soulever une fin de non-recevoir tirée de son défaut d’intérêt à agir.

27      Dans un courrier du 20 janvier 2011, la requérante a soutenu que l’argumentation nouvelle de la Commission, développée dans sa lettre du 17 décembre 2010, n’aurait aucun rapport avec les questions posées par le Tribunal dans son courrier du 17 novembre 2010. Elle en a déduit que le Tribunal devrait écarter cette argumentation de la procédure.

 Appréciation du Tribunal

28      La fin de non-recevoir, soulevée par la Commission, tirée du défaut d’intérêt à agir de la requérante se décompose en trois branches. La Commission fait d’abord valoir que la requérante ayant été mise à la retraite pour invalidité avant l’introduction du recours et n’ayant plus vocation à travailler au sein des services de la Commission, son recours serait irrecevable. Elle soutient ensuite que la requérante ne pourrait demander l’annulation du rejet de sa candidature sans demander simultanément l’annulation de la décision de nomination à l’emploi pour lequel elle avait postulé, ces décisions étant indissociables. Enfin, la Commission soutient que l’intéressée n’ayant jamais réellement souhaité occuper cet emploi, elle ne justifierait d’aucun intérêt à demander l’annulation du rejet de sa candidature.

–       Sur l’incidence de la mise en invalidité de la requérante

29      Il a été jugé que la situation d’un fonctionnaire qui a été mis d’office à la retraite en raison d’une incapacité permanente totale reconnue par la commission d’invalidité est une situation réversible, le fonctionnaire atteint d’une telle invalidité restant susceptible de reprendre un jour ses fonctions, sauf preuve contraire, et conserve ainsi un intérêt à demander l’annulation du rejet de sa candidature (arrêt Commission/Strack, précité, points 73 et 74). En l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier et la Commission ne soutient d’ailleurs pas que la requérante ne serait plus susceptible de reprendre un jour ses fonctions au sein des institutions. De ce fait, la première branche de la fin de non-recevoir doit être écartée.

–       Sur l’incidence du défaut de conclusions tendant à l’annulation de la décision de nomination

30      Le Tribunal de l’Union européenne a jugé qu’une décision de rejet de candidature est indissociable de la décision de nomination correspondant à cette candidature et que, de ce fait, l’intérêt du fonctionnaire à obtenir l’annulation de ces décisions devait être apprécié de manière globale et unique (arrêt Commission/Strack, précité, point 45).

31      Toutefois, contrairement à l’interprétation donnée à cet arrêt par la Commission, la circonstance que les décisions en cause soient indissociables et que l’intérêt à demander leur annulation doive s’apprécier de manière globale et unique, ne signifie pas, pour autant, que lesdites décisions soient indivisibles et qu’un requérant soit tenu, à peine d’irrecevabilité, de demander simultanément l’annulation des deux décisions.

32      En effet, dans un arrêt récent, la Cour a annulé la décision de la Commission de rejet de la candidature du requérant à un emploi, tout en rejetant ses conclusions tendant à l’annulation de la décision de nommer un autre candidat à ce poste (arrêt de la Cour du 28 février 2008, Neirinck/Commission, C‑17/07 P). Il résulte implicitement mais nécessairement de cette jurisprudence que les décisions de rejet de candidature et les décisions de nomination correspondantes ne sont pas indivisibles et qu’un requérant est ainsi recevable à demander l’annulation de la seule décision de rejet de sa candidature.

33      D’ailleurs, il est conforme au principe de proportionnalité qu’un fonctionnaire, soucieux de préserver les droits des tiers, puisse se borner à solliciter l’annulation de la décision de rejet de sa candidature sans être contraint, à peine d’irrecevabilité de sa requête, de demander l’annulation de la nomination d’autres fonctionnaires.

34      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir doit également être écartée en sa deuxième branche.

–       Sur la volonté de la requérante d’occuper le poste pour lequel elle a posé candidature

35      Il est de jurisprudence constante que, pour qu’un fonctionnaire ou un ancien fonctionnaire soit recevable à demander l’annulation d’un acte faisant grief, celui-ci doit posséder au moment de l’introduction de son recours, un intérêt, né et actuel, suffisamment caractérisé à voir annuler cet acte, un tel intérêt supposant que la demande soit susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice (arrêt Commission/Strack, précité, point 43, et la jurisprudence citée).

36      En l’espèce, il est constant que la requérante a fait acte de candidature pour un poste d’assistant bibliothécaire à la Commission dans les délais requis par l’avis de vacance. La Commission ne soutient pas que la requérante aurait renoncé à cette candidature.

37      Le Tribunal estime que, dans ces conditions et quelles que soient par ailleurs les déclarations que la requérante a pu prononcer devant des tiers au sujet de son intérêt pour ce poste, elle justifie d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision de rejet de sa candidature. En toute hypothèse, la requérante a contesté à l’audience la teneur des propos qui lui sont prêtés.

38      De ce fait, la troisième branche de la fin de non-recevoir opposée par la Commission doit être écartée.

39      Par ailleurs, en tout état de cause, le Tribunal estime que la Commission ne peut se prévaloir, à l’appui de cette troisième branche de la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir, de documents couverts par le secret médical.

40      En effet, selon la jurisprudence de la Cour, le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection du secret médical, qui en est l’un des aspects, constituent des droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union. Ces droits peuvent comporter des restrictions à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts de la Cour du 8 avril 1992, Commission/Allemagne, C‑62/90, point 23, et du 5 octobre 1994, X/Commission, C‑404/92 P, point 18).

41      Le Tribunal estime, à cet égard, que le secret médical couvre, notamment, les informations venues à la connaissance d’un professionnel de santé dans l’exercice de ses fonctions et communiquées à ce dernier par la personne qu’il a prise en charge.

42      Dans un arrêt K/Commission, le Tribunal de première instance a précisé, en référence notamment aux stipulations de l’article 8 de la CEDH, que l’ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée, qui comporte le droit de tenir son état de santé secret, peut être justifiée pour autant qu’elle soit « prévue par la loi », qu’elle poursuive un des objectifs prévus au paragraphe 2 de cet article tels que « le bien-être économique » et la « protection de la santé » et qu’elle soit « nécessaire » pour atteindre ces objectifs (arrêt du Tribunal de première instance du 13 juillet 1995, K/Commission, T‑176/94, points 34 à 46).

43      En l’espèce, l’argumentation de la Commission, figurant dans son mémoire en défense et réitérée à l’audience, suivant laquelle la requérante n’aurait pas réellement souhaité occuper le poste pour lequel elle s’est portée candidate, est principalement fondée sur des pièces de son dossier médical. L’utilisation de ces pièces constitue, ainsi que la Commission paraît le reconnaître elle-même, une ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée de cette fonctionnaire.

44      À supposer même qu’une telle ingérence soit « prévue par la loi », le Tribunal considère que, dans le présent litige, lequel ne porte pas sur la légalité d’une décision à caractère médical (mise en invalidité, refus de remboursement de soins, etc.), elle ne poursuit aucun des objectifs limitativement énoncés au paragraphe 2 de l’article 8 de la CEDH. En effet, le droit de la Commission à développer une argumentation susceptible de démontrer le défaut d’intérêt d’un fonctionnaire à demander l’annulation d’une décision rejetant sa candidature à un emploi ne constitue pas « une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Le Tribunal considère donc que l’utilisation par la Commission d’éléments contenus dans le dossier médical de la requérante dans le seul but de soulever cette fin de non-recevoir n’est pas justifiée au sens de l’article 8 de la CEDH.

45      La circonstance invoquée par la Commission, dans sa lettre adressée au Tribunal en date du 17 janvier 2011, suivant laquelle la requérante se serait elle-même prévalue de son état de santé pour faire valoir que la décision attaquée aurait été la cause de sa rechute, n’est pas de nature à remettre en cause cette analyse.

46      En effet, d’une part, contrairement à ce que soutient la Commission, la requérante n’a pas précisément révélé son état de santé mais s’est contentée de faire valoir que « déjà sujette à d’importants problèmes médicaux » – sans préciser lesquels – elle « a ainsi perdu toute confiance en elle, ce qui a provoqué une sérieuse rechute de son état de santé[, l]a décision de la [c]ommission médicale de [la] placer […] en invalidité à partir du 1er décembre 2009 en [étant] d’ailleurs la preuve ». Si la Commission pouvait faire valoir devant le Tribunal que la requérante n’apportait aucune pièce ni aucun commencement de preuve à l’appui de ses allégations, il ne lui appartenait pas, dès lors que la requérante n’avait donné aucune information précise sur son état de santé, d’examiner sans son accord son dossier médical et d’utiliser des documents figurant dans ce dossier.

47      D’autre part, la circonstance que la requérante ait soutenu que la décision litigieuse aurait été la cause de sa rechute, dans le cadre de ses conclusions indemnitaires, ne permettait pas à la Commission, ainsi qu’il a été dit, de se servir des pièces de son dossier médical dans le but de soulever une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à demander l’annulation de ladite décision, une telle ingérence dans la vie privée n’étant pas « nécessaire » au sens des stipulations de l’article 8, paragraphe 2, de la CEDH.

 Sur la nature des moyens soulevés par la requérante à l’appui de ses conclusions à fin d’annulation et sur la recevabilité de ces moyens

 Arguments des parties

48      Au point 29 de son recours, la requérante fait valoir qu’« [i]l n’existe d’ailleurs aucune disposition statutaire ou autre réservant exclusivement les postes de type ‘gestionnaire’ aux fonctionnaires appartenant à la catégorie des AST avec restriction de carrière ». Et au point 30, elle soutient que « [p]ar ailleurs, quand bien même il existerait une pratique interne au sein de la Commission […] selon laquelle seuls les fonctionnaires AST avec restriction de carrière pourraient occuper [des] poste[s] de gestionnaire, celle-ci serait contraire à l’article 7, [paragraphe 1], du statut[, car] l’AIPN est uniquement habilitée à affecter un fonctionnaire, par voie de mutation ou de nomination, à un emploi de son groupe de fonctions correspondant à son grade ».

49      Au point 44 de son mémoire en défense, la Commission fait valoir « qu’elle ne perçoit pas le lien entre ces arguments et le seul moyen effectivement invoqué, à savoir la prétendue violation de l’avis de vacance ». Elle ajoute que si la requérante avait souhaité soulever d’autres moyens d’annulation, elle aurait dû les identifier plus clairement.

 Appréciation du Tribunal

50      Si le juge de l’Union ne peut se fonder d’office sur un moyen qui n’a pas été soulevé par les parties (arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, point 45), sauf s’il est d’ordre public, il doit néanmoins interpréter les moyens d’un requérant au regard de leur substance plutôt que de leur qualification légale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 décembre 1961, Fives Lille Cail e.a./Haute Autorité, 19/60, 21/60, 2/61 et 3/61), à la condition toutefois que lesdits moyens se dégagent de la requête avec suffisamment de netteté (arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 26 mars 2010, Proges/Commission, T‑577/08, point 21). Indépendamment de toute question de terminologie, les moyens doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations (arrêt du Tribunal de première instance du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, point 66).

51      En l’espèce, la requérante indique, en introduction de la partie discussion de sa requête (point 11), qu’elle entend se fonder sur un moyen unique tiré de la violation de l’avis de vacance. Pourtant, elle développe, notamment aux points 29 et 30 de son recours, une argumentation distincte. Elle soutient en effet que la décision litigieuse, en réservant certains emplois aux seuls fonctionnaires appartenant à la catégorie des AST avec restriction de carrière, serait contraire à l’article 7, paragraphe 1, du statut. Ainsi que le relève la Commission, cette argumentation n’a pas de lien évident avec le moyen tiré de l’absence de concordance entre le motif de refus et l’avis de vacance.

52      Il n’en demeure pas moins que ces développements reposent sur un raisonnement juridique précis et substantiellement différent du moyen tiré de la violation de l’avis de vacance. En outre, la requérante a cité l’article 7, paragraphe 1, du statut dans l’exposé du cadre juridique du litige, en introduction de sa requête. De ce fait, le Tribunal considère qu’indépendamment de toute question de terminologie, la requérante a soulevé un second moyen, tiré de la méconnaissance, par la décision litigieuse, de l’article 7, paragraphe 1, du statut. La Commission a d’ailleurs compris le sens de ce moyen, auquel elle a répondu aux points 45 et 46 de son mémoire en défense.

53      Il est vrai que dans sa réclamation devant la Commission, la requérante ne soulevait pas ce moyen tiré de la violation du statut. Toutefois, les moyens tirés de la violation de l’avis de vacance et de la méconnaissance du statut étant tous deux des moyens de légalité interne, la requérante est recevable à soulever ce nouveau moyen pour la première fois devant le Tribunal (arrêt du Tribunal de la fonction publique du 1er juillet 2010, Mandt/Parlement, F‑45/07, points 108 à 123).

 Sur le bien-fondé des conclusions à fin d’annulation

54      Ainsi qu’il a été dit plus haut, la requérante soulève, en substance, deux moyens : le premier, tiré de la violation de l’avis de vacance, le second, tiré de la méconnaissance de l’article 7, paragraphe 1, du statut. Il convient d’examiner plus particulièrement le second moyen.

 Arguments des parties

55      La requérante soutient qu’aucun texte n’autoriserait l’AIPN à réserver les postes de type « gestionnaire », tels que les emplois de documentalistes, aux fonctionnaires appartenant à la catégorie des AST avec restriction de carrière. Selon elle, l’AIPN devrait se borner à affecter les fonctionnaires à des emplois relevant de leur groupe de fonctions et correspondant à leur grade, en application de l’article 7, paragraphe 1, du statut. La requérante ajoute qu’étant titulaire du grade AST 3 et ayant exercé des tâches correspondant parfaitement au descriptif de l’emploi en cause dans l’avis de vacance, la Commission ne pouvait se fonder sur le motif qu’elle était affectée à un parcours de carrière sans restriction pour rejeter sa candidature à un emploi correspondant à son grade et à son profil.

56      La Commission rétorque que le classement des postes AST en deux parcours de carrière, « avec » ou « sans restriction », constituerait le corollaire nécessaire à la distinction établie entre ceux-ci pendant la période de transition par l’article 10 de l’annexe XIII du statut. Cette approche se justifierait par des considérations légitimes tenant à la bonne gestion du personnel et des considérations budgétaires. La Commission ajoute que le juge de l’Union aurait accepté que les membres du personnel appartenant au groupe de fonctions AST puissent, selon leur ancien classement, bénéficier de possibilités de progression de carrière différentes (arrêt de la Cour du 4 mars 2010, Angé Serrano e.a./Parlement, C‑496/08 P ; arrêt du Tribunal de première instance du 18 septembre 2008, Angé Serrano e.a./Parlement, T‑47/05).

57      À l’audience, la Commission a ajouté que, dans l’intérêt du service et pour respecter les taux de promotion prévus à l’article 10, paragraphe 2, de l’annexe XIII du statut, elle a réservé certains postes aux AST avec restriction de carrière. Elle a également indiqué qu’une personne qui a vocation à devenir AST 11 doit être préparée à exercer les fonctions correspondant à son futur grade et ne doit pas exercer des fonctions trop subalternes.

 Appréciation du Tribunal

58      L’article 7, paragraphe 1, du statut prévoit que l’AIPN affecte chaque fonctionnaire à un emploi de son groupe de fonctions correspondant à son grade.

59      Il convient de noter, à titre liminaire, qu’en méconnaissance de l’article 5, paragraphe 4, du statut, la Commission n’a toujours pas arrêté la description des fonctions et attributions associées à chaque emploi type figurant au tableau de l’annexe I, point A, du statut, qui établit une correspondance entre lesdits emplois types et les carrières.

60      Pour décider de la correspondance entre emplois et grades, en considération de l’importance des tâches conférées aux fonctions en cause et au regard du seul intérêt du service, les institutions disposent d’une large marge d’appréciation (arrêt du Tribunal de la fonction publique du 30 septembre 2010, Schulze/Commission, F‑36/05, point 81, et la jurisprudence citée). En effet, le statut n’établit pas de correspondance fixe entre une fonction déterminée et un grade déterminé (arrêt du Tribunal de première instance du 18 juin 2009, Commission/Traore, T‑572/08 P, point 61).

61      En l’espèce, il ressort de l’avis de vacance que le poste pour lequel la requérante a fait acte de candidature était ouvert aux assistants de grade AST 1 à AST 7. Les parties ne contestent pas que ce poste pouvait relever de la responsabilité d’un fonctionnaire titulaire d’un de ces grades. L’avis de vacance précisait que le poste consistait notamment à classer et ranger les livres, à gérer le prêt d’ouvrages et de périodiques, à former des traducteurs à l’utilisation des bases de données documentaires et à effectuer des recherches de documentation. Ce poste correspond à un emploi type de « documentaliste-adjoint », tel que décrit au tableau de l’annexe I, point A, du statut, que les fonctionnaires de grade AST 3 ou AST 4 sont susceptibles d’occuper.

62      Ainsi, pour rejeter la candidature de la requérante, la Commission s’est fondée non pas sur l’inadéquation de l’emploi en cause avec le grade AST 3, dont l’intéressée était titulaire, mais sur la circonstance que son parcours de carrière pourrait lui permettre d’accéder au grade AST 11. La Commission a en effet indiqué qu’elle avait réservé l’emploi en cause aux emplois de « gestionnaire » qui, suivant une qualification interne à la Commission, sont, par principe, réservés aux fonctionnaires avec restriction de carrière qui ne peuvent dépasser le grade de AST 7.

63      Or, l’article 7, paragraphe 1, du statut fait obstacle à ce que l’AIPN interdise l’accès de certains fonctionnaires à un emploi correspondant aux grades AST 1 à AST 7 au seul motif qu’ils ont vocation à atteindre le grade AST 11. En effet, cet article et l’article 5, paragraphe 4, du statut permettent seulement aux institutions d’établir une correspondance, au sein d’un groupe de fonctions, entre des grades et des emplois.

64      Certes, ainsi que le souligne la Commission, la jurisprudence a admis que les dispositions de l’article 10 de l’annexe XIII du statut aient pu maintenir, à titre transitoire, une distinction dans le déroulement de carrière des fonctionnaires appartenant au groupe de fonctions AST suivant qu’ils sont issus des anciennes catégories B, C ou D (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2010 Angé Serrano e.a./Parlement, précité, point 106). Pour autant, la circonstance que ces dispositions transitoires de l’annexe XIII soumettent certains fonctionnaires, issus des anciennes catégories C et D, à des limitations dans leur carrière, n’autorise pas la Commission, de ce seul fait et pour cet unique motif, à leur réserver certains emplois et par voie de conséquence, à en interdire l’accès à d’autres fonctionnaires pourtant titulaires du même grade qu’eux.

65      Le maintien par la Commission d’une distinction de principe entre fonctionnaires titulaires du même grade et appartenant au même groupe de fonctions, pour l’accès à certains emplois, n’est pas compatible avec l’un des objectifs poursuivis lors de la réforme du statut consistant à fusionner les anciennes catégories B, C et D dans un seul groupe de fonctions AST. S’agissant de décisions de promotion, le Tribunal a d’ailleurs jugé que l’AIPN ne pouvait légalement examiner séparément les mérites de fonctionnaires du même grade suivant leur appartenance à différents groupes de l’ancien statut (la catégorie A et le cadre linguistique LA), dès lors que le législateur a entendu les fusionner dans un groupe de fonctions unique (arrêt du Tribunal de la fonction publique du 15 décembre 2010, Almeida Campos e.a./Conseil, F‑14/09, points 35 et 36).

66      Ce raisonnement n’est pas remis en cause par la circonstance, invoquée lors de l’audience par la Commission, que l’article 10, paragraphe 2, de l’annexe XIII du statut a fixé des taux spécifiques de promotion par grade pour les fonctionnaires en fonction dans les catégories C ou D avant le 1er mai 2004. En effet, la promotion des fonctionnaires à des grades plus élevés ne dépend pas de l’emploi qu’ils occupent mais de leur mérite, apprécié conformément à l’article 45 du statut.

67      Par ailleurs, ainsi que l’a reconnu la Commission dans sa réponse du 17 décembre 2010 à une question du Tribunal, les assistants sans restriction de carrière recrutés à partir du 1er mai 2004 au grade AST 1 peuvent se voir attribuer des emplois qualifiés de « gestionnaire », auxquels correspond précisément celui pour lequel la requérante avait fait acte de candidature. Or, ces fonctionnaires ont pourtant vocation à atteindre le grade AST 11.

68      Certes, il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances très particulières, certains emplois puissent, dans l’intérêt du service, mieux correspondre à des fonctionnaires ayant vocation à atteindre des grades élevés de leur groupe de fonctions et à l’inverse que certains emplois aux responsabilités réduites soient regardés comme plus adaptés à des fonctionnaires soumis à la règle de blocage des grades instituée par les dispositions transitoires de l’article 10 de l’annexe XIII du statut.

69      Toutefois, en l’espèce, si la Commission a indiqué dans la décision de rejet de la réclamation que le poste impliquait l’accomplissement de tâches ayant un contenu inférieur à celui que la requérante occupait auparavant, il ressort de cette même décision, de la décision litigieuse et du mémoire en défense que la Commission ne s’est pas fondée sur des circonstances particulières telles que mentionnées au point précédent. En tout état de cause, les fonctions antérieures exercées par la requérante n’étaient pas d’un niveau inférieur à celui exigé pour ce poste. Et il ressort du tableau de l’annexe I, point A, du statut que la carrière normale d’un assistant affecté, comme la requérante, à des tâches de documentation peut commencer, au grade AST 1, par des fonctions d’« agent de classement » et se poursuivre, au grade AST 8, par des fonctions de « documentaliste confirmé ». Or, ce dernier grade n’est pas accessible aux fonctionnaires soumis, dans le groupe de fonctions AST, à une restriction de carrière. Ainsi, le refus de principe d’écarter la candidature de la requérante n’est, en toute hypothèse, pas motivé par des considérations particulières tirées de l’intérêt du service.

70      Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête qu’en rejetant la candidature de la requérante au motif qu’elle était affectée à un parcours de carrière sans restriction jusqu’au grade AST 11, sans tenir compte de son grade actuel au sein de son groupe de fonctions, la décision litigieuse a été prise en méconnaissance de l’article 7, paragraphe 1, du statut et doit être annulée.

 Sur les conclusions indemnitaires

 Argument des parties

71      La requérante soutient que la décision de l’AIPN de ne pas prendre en considération sa candidature d’assistant bibliothécaire, alors que son profil correspondait parfaitement aux exigences énoncées dans l’avis de vacance, lui aurait causé une perte de chance dans l’évolution future de sa carrière. Elle ajoute qu’elle n’aurait pas été mise en invalidité si elle avait été en mesure d’exercer de nouvelles fonctions au sein des institutions européennes. Elle évalue la réparation de son préjudice matériel à la somme de 25 000 euros. Enfin, elle fait valoir que la décision litigieuse lui aurait causé un sentiment d’angoisse et de stress. Elle estime que le montant de la réparation de son préjudice moral devrait atteindre 5 000 euros.

72      La Commission rétorque que le refus de prendre en compte la candidature de la requérante pour le poste de bibliothécaire n’ayant eu aucune incidence sur sa mise en invalidité, le lien de causalité n’est pas établi. Elle ajoute que la requérante aurait elle-même déjà exprimé très clairement son refus de travailler à la Commission sauf éventuellement pour occuper des fonctions syndicales. La Commission prétend par ailleurs qu’à la date de la décision litigieuse, la requérante savait que la procédure de mise en invalidité était presque terminée. Selon la Commission, la requérante n’aurait subi aucun préjudice matériel ou moral.

 Appréciation du Tribunal

73      Il résulte d’une jurisprudence constante relative au contentieux indemnitaire dans le domaine de la fonction publique que l’engagement de la responsabilité d’une institution de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, point 52 ; arrêt du Tribunal de première instance du 6 juillet 2004, Huygens/Commission, T‑281/01, point 51).

74      En l’espèce, il résulte de ce qui précède que la décision de refus de prise en considération de la candidature de la requérante est entachée d’illégalité. Eu égard à cette illégalité fautive, la première condition posée par la jurisprudence susmentionnée est remplie.

–       Sur la réparation du préjudice matériel

75      S’agissant du lien de causalité, il faut en principe qu’une relation directe et certaine de cause à effet soit établie entre la faute commise par l’institution communautaire concernée et le préjudice invoqué (arrêt Commission/Girardot, précité, point 52, et la jurisprudence citée).

76      En l’espèce, la requérante reconnaît elle-même qu’après son retour de Dublin, elle a été placée en congé maladie à la suite de graves problèmes de santé. En outre, la procédure de mise en invalidité de la requérante a été ouverte le 14 avril 2009, soit plusieurs mois avant l’intervention de la décision litigieuse du 30 septembre 2009. Enfin, l’intéressée a été mise en invalidité dès le 1er décembre 2009. Dans ces circonstances particulières, la requérante n’apporte pas la preuve qu’en écartant sa candidature, la Commission l’aurait privée d’une perte sérieuse de chance dans l’évolution de sa carrière.

77      Si la requérante soutient, par ailleurs, que sa mise en invalidité aurait été causée par la décision litigieuse, elle n’apporte aucun élément précis à l’appui de cette allégation.

78      En conséquence, les conclusions tendant à la réparation du préjudice matériel allégué par la requérante doivent être rejetées.

–       Sur la réparation du préjudice moral

79      Le préjudice moral subi par un fonctionnaire en raison d’une faute de service de nature à engager la responsabilité de l’administration ouvre droit à l’allocation d’une indemnité lorsque, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’annulation de l’acte illégal attaqué ne saurait constituer en elle-même une réparation adéquate de ce préjudice (arrêt du Tribunal de la fonction publique du 7 juillet 2009, Bernard/Europol, F‑99/07 et F‑45/08, points 103 à 107).

80      En l’espèce, la requérante n’établit pas que la décision litigieuse, intervenue alors que la procédure de mise en invalidité la concernant était ouverte depuis plusieurs mois, l’aurait placée dans un état prolongé d’incertitude et d’inquiétude quant à l’évolution de sa carrière. Toutefois, le refus illégal de la Commission d’examiner sa candidature pour un poste de documentaliste, alors que l’intéressée avait occupé ce type de fonctions pendant plusieurs années, lui a causé un préjudice moral qui n’est pas suffisamment réparé par la seule annulation de l’acte illégal, l’intéressée n’étant plus susceptible, compte tenu de son invalidité, de bénéficier d’une quelconque mesure d’exécution que devrait adopter la Commission. Dans ces circonstances, le Tribunal, évaluant le préjudice ex æquo et bono, estime que l’allocation d’une somme de 3 000 euros constitue une indemnisation adéquate de ce préjudice.

 Sur les dépens

81      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Et aux termes de l’article 89, paragraphe 2, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

82      En l’espèce, si la Commission succombe à titre principal, la requérante voit également rejetées ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice matériel. Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner la Commission à supporter les trois quarts des dépens de la requérante, le dernier quart restant à la charge de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 30 septembre 2009 par laquelle la Commission européenne a rejeté la candidature de AS est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée à verser à AS la somme de 3 000 euros.

3)      Le surplus des conclusions du recours est rejeté.

4)      La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens, les trois quarts des dépens de AS.

5)      AS supporte un quart de ses dépens.

Gervasoni

Kreppel

Rofes i Pujol

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 juin 2011.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Gervasoni


* Langue de procédure : le français.