Language of document : ECLI:EU:C:2006:25

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 janvier 2006 (*)

«Pourvoi – Marque communautaire – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94 – Risque de confusion – Marque verbale PICARO – Opposition du titulaire de la marque verbale communautaire PICASSO»

Dans l’affaire C-361/04 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 18 août 2004,

Claude Ruiz-Picasso, demeurant à Paris (France),

Paloma Ruiz-Picasso, demeurant à Londres (Royaume-Uni),

Maya Widmaier-Picasso, demeurant à Paris,

Marina Ruiz-Picasso, demeurant à Genève (Suisse),

Bernard Ruiz-Picasso, demeurant à Paris,

représentés par Me C. Gielen, advocaat,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. G. Schneider et A. von Mühlendahl, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

DaimlerChrysler AG, représentée par Me S. Völker, Rechtsanwalt,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann (rapporteur), Mme N. Colneric, MM. K. Lenaerts et E. Juhász, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 juillet 2005,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Par leur pourvoi, M. Claude Ruiz-Picasso, Mmes Paloma Ruiz-Picasso, Maya Widmaier-Picasso et Marina Ruiz-Picasso, ainsi que M. Bernard Ruiz-Picasso demandent à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 22 juin 2004, Ruiz-Picasso e.a./OHMI – DaimlerChrysler (PICARO) (T-185/02, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 18 mars 2002 (affaire R 247/2001‑3), rejetant l’opposition formée par la «succession Picasso» contre la demande d’enregistrement de la marque verbale PICARO (ci-après la «décision litigieuse»).

 Le cadre juridique

2       L’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), dispose:

«Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement:

[…]

b)      lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée; le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.»

3       L’article 9, paragraphe 1, sous b), dudit règlement prévoit:

«La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires:

[…]

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque».

4       Les articles 8, paragraphe 1, sous b), et 9, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 sont rédigés en des termes en substance identiques à ceux, respectivement, des articles 4, paragraphe 1, sous b), et 5, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

 Les antécédents du litige

5       Le 11 septembre 1998, DaimlerChrysler AG (ci-après «DaimlerChrysler») a présenté à l’OHMI une demande d’enregistrement, en tant que marque communautaire, du signe verbal PICARO pour des produits et services relevant de la classe 12 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante: «Automobiles et leurs pièces, omnibus».

6       Le 19 août 1999, la succession Picasso, qui est une indivision successorale au sens des articles 815 et suivants du code civil français, dont les indivisaires sont les requérants au présent pourvoi, a formé une opposition à l’encontre de cette demande d’enregistrement, en invoquant l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Cette succession se prévalait à cet égard de la marque verbale communautaire antérieure PICASSO enregistrée pour des produits relevant de ladite classe 12 et correspondant à la description suivante: «Véhicules; appareils de locomotion par terre, par air ou par eau, voitures, autobus, camions, camionnettes, caravanes, remorques» (ci-après la «marque antérieure»).

7       La division d’opposition de l’OHMI ayant rejeté cette opposition par décision du 11 janvier 2001, la succession Picasso a formé un recours contre cette décision de rejet.

8       Par la décision litigieuse, la troisième chambre de recours de l’OHMI a rejeté ce recours aux motifs, en substance, que, compte tenu du degré d’attention élevé du public pertinent, les marques en cause n’étaient similaires ni sur le plan phonétique ni sur le plan visuel et que l’impact conceptuel de la marque antérieure était en outre de nature à neutraliser toute similitude phonétique et/ou visuelle éventuelle entre lesdites marques.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9       Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 juin 2002, les requérants ont formé, sous la désignation collective «succession Picasso», un recours tendant à obtenir l’annulation de la décision litigieuse.

10     Le Tribunal a jugé que, nonobstant l’usage de cette désignation collective, le recours devait être considéré comme ayant été introduit par les cinq indivisaires agissant en tant que personnes physiques et qu’il était, à ce titre, recevable. Estimant toutefois que les moyens invoqués par les requérants n’étaient pas fondés, il a rejeté le recours.

11     S’agissant, en particulier, du moyen tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, le Tribunal, après avoir constaté que les produits visés par la demande d’enregistrement de marque et par la marque antérieure étaient en partie identiques et en partie similaires, s’est prononcé comme suit aux points 54 à 62 de l’arrêt attaqué:

«54      En ce qui concerne la similitude visuelle et phonétique, les requérants ont relevé avec pertinence que les signes en cause sont composés chacun de trois syllabes, qu’ils contiennent les mêmes voyelles situées à des places analogues et dans le même ordre et que, à l’exception, respectivement, des lettres ‘ss’ et ‘r’, ils contiennent également les mêmes consonnes qui, de plus, se trouvent à des places analogues. Enfin, le fait que les deux premières syllabes ainsi que la dernière lettre sont identiques revêt une importance particulière. En revanche, la prononciation de la double consonne ‘ss’ se distingue très nettement de celle de la consonne ‘r’. Il s’ensuit que les deux signes sont similaires sur les plans visuel et phonétique, mais que le degré de similitude sur ce dernier plan est faible.

55      Sur le plan conceptuel, le signe verbal PICASSO est particulièrement bien connu, par le public pertinent, comme étant le nom du peintre célèbre Pablo Picasso. Le signe verbal PICARO peut être compris, par des personnes hispanophones, comme désignant, notamment, un personnage de la littérature espagnole, alors qu’il est dépourvu de contenu sémantique pour la fraction (majoritaire) non hispanophone du public pertinent. Les signes ne sont ainsi pas similaires sur le plan conceptuel.

56      De pareilles différences conceptuelles peuvent neutraliser, dans certaines circonstances, les similitudes visuelles et phonétiques entre les signes concernés. Une telle neutralisation requiert qu’au moins l’un des signes en cause ait, dans la perspective du public pertinent, une signification claire et déterminée, de sorte que ce public est susceptible de la saisir immédiatement [arrêt du Tribunal du 14 octobre 2003, Phillips-Van Heusen/OHMI – Pash Textilvertrieb und Einzelhandel (BASS), T‑292/01, Rec. p. II‑4335, point 54].

57      Le signe verbal PICASSO est doté, pour le public pertinent, d’un contenu sémantique clair et déterminé. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la pertinence de la signification du signe aux fins de l’appréciation du risque de confusion n’est pas affectée, en l’espèce, par le fait que cette signification n’a pas de rapport avec les produits concernés. En effet, la réputation du peintre Pablo Picasso est telle qu’il n’est pas plausible de considérer, en l’absence d’indices concrets en sens contraire, que le signe PICASSO, en tant que marque pour des véhicules, puisse se superposer, dans la perception du consommateur moyen, au nom du peintre de manière à ce que ce consommateur, confronté au signe PICASSO dans le contexte des produits concernés, fasse dorénavant abstraction de la signification du signe en tant que nom du peintre et le perçoive principalement comme une marque, parmi d’autres, de véhicules.

58      Il s’ensuit que les différences conceptuelles séparant les signes en cause sont de nature, en l’espèce, à neutraliser les similitudes visuelles et phonétiques relevées au point 54 ci-dessus.

59      Dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion, il y a lieu de tenir compte, en outre, du fait que, au vu de la nature des produits concernés et, notamment, de leur prix et de leur fort caractère technologique, le degré d’attention du public pertinent, lors de l’achat, est particulièrement élevé. La possibilité, invoquée par les requérants, que des personnes membres du public pertinent puissent également percevoir les produits concernés dans des situations dans lesquelles elles n’y prêtent pas une telle attention ne s’oppose pas à la prise en considération de ce degré d’attention. En effet, le refus d’enregistrement d’une marque en raison d’un risque de confusion avec une marque antérieure est justifié au motif qu’une telle confusion est susceptible d’influencer indûment les consommateurs concernés lorsqu’ils exercent un choix au regard des produits ou services visés. Il s’ensuit qu’il y a lieu de tenir compte, aux fins de l’appréciation du risque de confusion, du niveau d’attention du consommateur moyen au moment où il prépare et exerce son choix entre différents produits ou services relevant de la catégorie pour laquelle la marque est enregistrée.

60      Il y a lieu d’ajouter que la question du degré d’attention du public concerné à prendre en considération pour évaluer le risque de confusion est différente de celle portant sur le point de savoir si des circonstances postérieures à la situation d’achat peuvent être pertinentes pour évaluer s’il y a violation d’un droit de marque, comme cela a été reconnu, s’agissant de l’utilisation d’un signe identique à la marque, dans l’arrêt [du 12 novembre 2002,] Arsenal Football Club, [C‑206/01, Rec. p. I-10273], invoqué par les requérants.

61      En outre, c’est à tort que les requérants invoquent, en l’espèce, la jurisprudence selon laquelle les marques qui ont un caractère distinctif élevé, soit intrinsèquement, soit en raison de la connaissance de celles-ci sur le marché, jouissent d’une protection plus étendue que celles dont le caractère distinctif est moindre (arrêt [du 11 novembre 1997,] SABEL, [C‑251/95, Rec. p. I‑6191], point 24, et arrêt de la Cour du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, Rec. p. I‑5507, point 18). En effet, la notoriété du signe verbal PICASSO comme correspondant au nom du peintre célèbre Pablo Picasso n’est pas de nature à renforcer le risque de confusion entre les deux marques pour les produits concernés.

62      Au vu de tous ces éléments, le degré de similitude entre les marques en cause n’est pas suffisamment élevé pour pouvoir considérer que le public pertinent puisse croire que les produits en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement. Dès lors, la chambre de recours a considéré à juste titre qu’il n’existait pas de risque de confusion entre elles.»

 Le pourvoi

12     Dans leur pourvoi, au soutien duquel ils invoquent un moyen unique comportant quatre branches, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, les requérants demandent à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse et de condamner l’OHMI aux dépens.

13     L’OHMI et DaimlerCrysler concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérants aux dépens.

 Sur la première branche du moyen

 Argumentation des requérants

14     Les requérants soutiennent que, aux points 56 à 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait une application incorrecte de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, en particulier en ce qui concerne le critère de «similitude avec la marque antérieure» auquel se réfère ladite disposition.

15     Selon eux, le Tribunal a considéré de manière erronée que la signification s’attachant à un nom patronymique célèbre tel que PICASSO, en raison du fait qu’elle est claire et déterminée et, dès lors, susceptible d’être saisie directement par le public pertinent, peut être à l’origine d’une telle différence de nature conceptuelle entre deux signes que celle‑ci a pour conséquence de neutraliser les similitudes visuelles et phonétiques existant par ailleurs entre ces signes.

16     Ils font valoir, d’une part, que la différence conceptuelle existant entre deux signes ne saurait se trouver accrue en raison de la circonstance que la signification de l’un de ceux-ci est claire et déterminée, en sorte qu’elle peut être saisie immédiatement par le public concerné. Cette circonstance serait dès lors dépourvue de pertinence pour apprécier si ladite différence conceptuelle peut avoir un effet de neutralisation à l’égard de similitudes visuelles et phonétiques entre les signes en cause.

17     D’autre part, l’appréciation de l’importance à attribuer à d’éventuelles similitudes visuelles, auditives ou conceptuelles d’une marque avec une autre devrait, ainsi qu’il ressortirait du point 27 de l’arrêt du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer (C‑342/97, Rec. p. I-3819), intervenir eu égard à la catégorie de produits concernés par la marque et aux conditions dans lesquelles ceux-ci sont commercialisés. Il en résulterait que la signification que peut revêtir un nom de personnage célèbre en dehors du domaine desdits produits serait sans pertinence aux fins d’une telle appréciation. Ce serait dès lors à tort que le Tribunal s’est fondé sur cette signification pour conclure, sans prendre en considération ladite catégorie de produits ni la situation du marché, à une neutralisation des similitudes visuelles et phonétiques relevées entre les signes en cause.

 Appréciation de la Cour

18     Ainsi qu’il résulte tant du dixième considérant de la directive 89/104 que du septième considérant du règlement n° 40/94, l’appréciation du risque de confusion dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés. Le risque de confusion doit donc être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens, à propos de la directive 89/104, arrêt SABEL, précité, point 22).

19     En outre, cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par les marques, en tenant compte, notamment, des éléments distinctifs et dominants de celles-ci (voir, notamment, arrêt SABEL, précité, point 23).

20     En affirmant au point 56 de l’arrêt attaqué que, lorsque la signification de l’un au moins des deux signes en cause est claire et déterminée, de sorte qu’elle peut être saisie directement par le public pertinent, les différences conceptuelles relevées entre ces signes peuvent neutraliser les similitudes visuelles et phonétiques qui existent entre eux, et en jugeant, par la suite, que tel est le cas en l’espèce, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit.

21     Ainsi que l’OHMI le soutient à bon droit, une telle appréciation s’inscrit en l’occurrence pleinement dans le processus destiné à déterminer l’impression d’ensemble produite par ces signes et à porter une appréciation globale sur le risque de confusion entre ceux-ci.

22     Il convient en effet de rappeler que, au point 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les deux signes en cause sont similaires sur les plans visuel et phonétique, mais que le degré de similitude sur ce dernier plan est faible. Il a par ailleurs jugé, au point 55 dudit arrêt, que ces signes ne sont pas similaires sur le plan conceptuel.

23     Par la suite, le Tribunal s’est prononcé, aux points 56 et suivants de l’arrêt attaqué, sur l’impression d’ensemble dégagée par ces signes et a conclu, au terme d’une appréciation factuelle qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi en l’absence de toute allégation relative à la dénaturation des faits, à l’existence d’un effet de neutralisation des similitudes visuelles et phonétiques en raison du caractère particulièrement marqué et évident de la différence conceptuelle relevée en l’espèce. Ce faisant, le Tribunal a notamment tenu compte, dans le cadre de son appréciation globale du risque de confusion et ainsi qu’il ressort du point 59 dudit arrêt, du fait que le degré d’attention du public pertinent est particulièrement élevé s’agissant de produits tels que des voitures automobiles.

24     Au point 61 du même arrêt, le Tribunal s’est également prononcé sur la question de savoir si la marque PICASSO ne dispose pas d’un caractère distinctif élevé de nature à renforcer le risque de confusion entre les deux marques pour les produits concernés.

25     Ainsi, ce n’est qu’au terme de l’examen de divers éléments propres à lui permettre de porter une appréciation globale sur le risque de confusion que, au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que le degré de similitude entre les marques en cause n’est pas suffisamment élevé pour considérer que le public pertinent puisse croire que les produits concernés proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement, en sorte qu’il n’existe pas de risque de confusion entre ces marques.

26     Pour le reste, il suffit de relever que c’est à la suite d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué que les requérants soutiennent que le Tribunal, lors de son appréciation de la similitude entre les signes en cause, se serait abstenu de prendre en considération la catégorie des produits concernés.

27     Il ressort en effet des points 55 et 57 dudit arrêt que le Tribunal a notamment considéré, également au terme d’appréciations factuelles qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi, que, confronté au signe verbal PICASSO, le public pertinent y voit immanquablement une référence au peintre et que, compte tenu de la célébrité de celui-ci auprès dudit public, cette référence conceptuelle particulièrement dense est de nature à atténuer dans une large mesure la prégnance dont, en l’occurrence, ce signe est doté en tant que marque, parmi d’autres, de véhicules automobiles.

28     Il résulte de ce qui précède que la première branche du moyen n’est pas fondée.

 Sur la deuxième branche du moyen

29     Par la deuxième branche du moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a violé l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 en appliquant de manière incorrecte la règle selon laquelle la protection dont bénéficie une marque doit être d’autant plus étendue que son caractère distinctif est élevé, que ce soit intrinsèquement ou en raison de la connaissance de celle‑ci sur le marché (arrêts précités SABEL, point 24, Canon, point 18, et Lloyd Schuhfabrik Meyer, point 20).

30     Ils rappellent à cet égard que, pour déterminer le caractère distinctif d’une marque et, partant, évaluer si elle a un caractère distinctif élevé, il y a lieu d’apprécier globalement l’aptitude plus ou moins grande de la marque à identifier les produits ou services pour lesquels elle a été enregistrée comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ces produits ou services de ceux d’autres entreprises (voir, notamment, arrêt Lloyd Schuhfabrik Meyer, précité, point 22).

31     Selon eux, le signe PICASSO, qui ne contient aucun élément descriptif de véhicules automobiles, a un caractère distinctif intrinsèquement élevé. En se bornant à examiner, au point 61 de l’arrêt attaqué, le signe PICASSO sans le rattacher aux produits concernés, le Tribunal aurait omis d’examiner les qualités distinctives intrinsèques de cette marque, c’est‑à‑dire l’aptitude plus ou moins grande de celle-ci à identifier ces produits comme provenant d’une entreprise déterminée.

32     À cet égard, il suffit de constater que, comme M. l’avocat général l’a relevé à juste titre au point 47 de ses conclusions, il ressort de manière implicite mais néanmoins certaine de la combinaison des points 57 et 61 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a bien considéré, au terme d’une appréciation de nature factuelle dont le contrôle échappe à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, que le signe PICASSO est dépourvu de tout caractère distinctif intrinsèque élevé en ce qui concerne les véhicules automobiles.

33     Il s’ensuit que la deuxième branche du moyen doit être rejetée.

 Sur les troisième et quatrième branches du moyen

 Argumentation des requérants

34     Par les troisième et quatrième branches du moyen, qu’il convient d’examiner conjointement, les requérants soutiennent que le Tribunal a fait une application erronée de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 en jugeant, aux points 59 et 60 de l’arrêt attaqué, que, aux fins de l’appréciation du risque de confusion dans le cadre d’une procédure d’opposition à une demande d’enregistrement, il y a lieu de tenir compte du niveau d’attention du consommateur moyen au moment où il prépare et exerce son choix entre différents produits ou services.

35     Selon les requérants, une telle interprétation est trop restrictive dès lors qu’elle méconnaît la règle qui a été formulée par la Cour au point 57 de l’arrêt Arsenal Football Club, précité, selon laquelle la marque doit être protégée contre d’éventuelles confusions non seulement au moment de l’achat du produit concerné, mais aussi avant ou après un tel achat. En outre, contrairement à ce qu’aurait également jugé le Tribunal, une telle règle devrait s’appliquer de la même manière que l’appréciation du risque de confusion intervienne au titre de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, comme dans la présente affaire, ou au titre de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement, à savoir en vue d’établir une éventuelle violation du droit de marque du fait de l’usage d’un signe.

 Appréciation de la Cour

36     Aux termes d’une jurisprudence constante, la perception des marques qu’a le consommateur moyen de la catégorie de produits ou de services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale du risque de confusion (voir, notamment, arrêt Lloyd Schuhfabrik Meyer, précité, point 25).

37     C’est ainsi notamment que, afin d’apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, il y a lieu de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, d’évaluer l’importance qu’il convient d’attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou de services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (arrêt Lloyd Schuhfabrik Meyer, précité, point 27).

38     À cet égard, la Cour a déjà jugé que, aux fins de l’appréciation globale du risque de confusion, il y a lieu notamment de prendre en considération le fait que le niveau d’attention du consommateur moyen est susceptible de varier en fonction de la catégorie de produits ou de services en cause (arrêt Lloyd Schuhfabrik Meyer, précité, point 26).

39     Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 59 de l’arrêt attaqué, que, aux fins d’apprécier, comme le prévoit l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, l’existence d’un éventuel risque de confusion entre marques relatives à des véhicules automobiles, il convient de tenir compte du fait que, eu égard à la nature des produits concernés et, notamment, à leur prix ainsi qu’à leur fort caractère technologique, le consommateur moyen fait preuve d’un niveau particulièrement élevé d’attention lors de l’acquisition de tels produits.

40     En effet, dès lors qu’il est établi, en fait, que les caractéristiques objectives d’un produit donné impliquent que le consommateur moyen n’en fasse l’acquisition qu’au terme d’un examen particulièrement attentif, il importe, en droit, de tenir compte de ce qu’une telle circonstance peut être de nature à réduire le risque de confusion entre les marques relatives à de tels produits au moment crucial où s’opère le choix entre ces produits et ces marques.

41     Quant au fait que le public pertinent est également susceptible de percevoir de tels produits et les marques y afférentes dans des circonstances étrangères à tout acte d’achat et de faire preuve, le cas échéant, d’un degré d’attention moindre en de telles occasions, c’est également à bon droit que le Tribunal a relevé, au même point 59 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’une telle possibilité ne s’oppose pas à la prise en compte du niveau particulièrement élevé d’attention déployé par le consommateur moyen lorsqu’il prépare et exerce son choix entre différents produits de la catégorie concernée.

42     D’une part, il est évident que, quels que soient les produits et les marques en cause, il se trouvera toujours des situations dans lesquelles le public confronté à ceux‑ci ne leur accordera qu’un faible degré d’attention. Or, exiger la prise en compte du degré d’attention le plus faible dont le public est susceptible de faire preuve en présence d’un produit et d’une marque reviendrait à dénier toute pertinence, aux fins de l’appréciation du risque de confusion, au critère tiré du degré d’attention variable en fonction de la catégorie du produit, tel que rappelé au point 38 du présent arrêt.

43     D’autre part, ainsi que l’a relevé l’OHMI, il ne saurait raisonnablement être exigé de l’autorité appelée à apprécier l’existence d’un risque de confusion qu’elle détermine, pour chaque catégorie de produits, une valeur moyenne d’attention du consommateur à partir du degré d’attention dont ce dernier est susceptible de faire preuve dans différentes situations.

44     L’arrêt Arsenal Football Club, précité, ne s’oppose pas non plus à l’analyse qui précède.

45     En effet, il convient de souligner que, dans ledit arrêt, la Cour était appelée à se prononcer sur la question de savoir si l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 devait être interprété en ce sens qu’il s’opposait à la vente et à l’offre de produits lorsqu’ils étaient revêtus d’un signe identique à une marque enregistrée par un tiers pour de tels produits.

46     Après avoir conclu que tel était bien le cas, la Cour a précisé que la circonstance qu’un panneau se trouvant sur le lieu de vente des produits en cause attirait l’attention des consommateurs sur le fait que ces produits ne provenaient pas du titulaire de la marque n’affectait pas une telle conclusion. C’est dans ce contexte spécifique que la Cour s’est notamment référée, au point 57 de l’arrêt Arsenal Football Club, précité, au fait que, à supposer même que ce type d’avertissement puisse être invoqué en défense par l’intéressé, il n’était pas à exclure, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, que certains consommateurs, notamment si lesdits produits leur étaient présentés après qu’ils avaient été vendus et emportés hors dudit lieu de vente, interprètent le signe apposé sur ces produits comme désignant le titulaire de la marque concernée en tant qu’entreprise de provenance de ceux-ci.

47     Ce faisant, la Cour n’a nullement formulé une règle générale dont il pourrait être inféré que, aux fins de l’appréciation du risque de confusion au sens des articles 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 ou 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, il n’y a pas lieu de se référer, de manière privilégiée, au degré d’attention particulièrement élevé dont font preuve les consommateurs lors de l’achat d’une certaine catégorie de produits.

48     Enfin, force est de constater que, en affirmant au point 60 de l’arrêt attaqué, que la question du degré d’attention du public concerné à prendre en considération pour évaluer le risque de confusion est différente de celle portant sur le point de savoir si des circonstances postérieures à la situation d’achat peuvent être pertinentes pour évaluer s’il y a violation d’un droit de marque, comme cela a été reconnu, s’agissant de l’utilisation d’un signe identique à la marque, dans l’arrêt Arsenal Football Club, précité, le Tribunal n’a, contrairement à ce que soutiennent les requérants, nullement jugé que la notion de risque de confusion figurant aux articles 8, paragraphe 1, sous b), et 9, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 doit recevoir une interprétation différente.

49     Il résulte de ce qui précède que les troisième et quatrième branches du moyen ne peuvent être accueillies.

50     Aucune des branches de l’unique moyen invoqué par les requérants au soutien de leur pourvoi n’étant fondée, il y a lieu, en conséquence, de rejeter celui-ci.

 Sur les dépens

51     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI et DaimlerChrysler ayant conclu à la condamnation des requérants et ces derniers ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Claude Ruiz-Picasso, Mmes Paloma Ruiz-Picasso, Maya Widmaier-Picasso et Marina Ruiz-Picasso, ainsi que M. Bernard Ruiz-Picasso sont condamnés aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.