Language of document : ECLI:EU:C:2019:438

ORDONNANCE DE LA COUR (grande chambre)

14 mai 2019 (*)

« Recours en annulation – Incident de procédure – Articles 64 et 151 du règlement de procédure de la Cour – Demande de retrait d’un document du dossier – Demande de production d’un document – Protection des avis juridiques »

Dans l’affaire C‑650/18,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 17 octobre 2018,

Hongrie, représentée par MM. M. Z. Fehér et G. Tornyai ainsi que par Mme Z. Wagner, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. F. Drexler, N. Görlitz et T. Lukácsi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, MM. J.‑C. Bonichot, M. Vilaras, E. Regan, T. von Danwitz, Mme C. Toader, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos (rapporteur), présidents de chambre, MM. L. Bay Larsen, M. Safjan, D. Šváby, S. Rodin et A. Kumin, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa requête, la Hongrie demande l’annulation de la résolution P8_TA-PROV (2018) 0340 [2017/2131 (INL)] du Parlement européen, du 12 septembre 2018, relative à une proposition invitant le Conseil de l’Union européenne à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée (ci-après la « résolution attaquée »).

2        À l’appui de sa requête, la Hongrie fait notamment valoir, par son premier moyen, que le Parlement a méconnu les règles découlant de l’article 354, quatrième alinéa, TFUE ainsi que de son règlement intérieur en matière de comptabilisation des votes, en ne prenant pas en compte les abstentions dans le calcul des votes exprimés, et, par son second moyen, que le Parlement a méconnu le principe de sécurité juridique en ne sollicitant pas, à ce sujet, l’avis de la commission parlementaire compétente.

3        Au soutien de sa requête, la Hongrie invoque l’avis du service juridique du Parlement adressé au président du Parlement, à la demande de ce dernier, le 7 septembre 2018. Cet avis juridique figure à l’annexe 5 de la requête.

4        Par acte séparé, déposé le 13 décembre 2018, le Parlement demande à la Cour de retirer du dossier, conformément à l’article 151 du règlement de procédure de la Cour, l’avis de son service juridique, figurant à l’annexe 5 de la requête.

5        Au soutien de sa demande, le Parlement fait valoir que l’avis juridique en question est un document interne qui présente un caractère confidentiel et qui n’a jamais été rendu public par le Parlement. Sa diffusion sans autorisation pourrait, selon cette institution, avoir une influence négative sur le bon fonctionnement de celle-ci.

6        La Hongrie, par un mémoire présenté le 8 février 2019, sollicite le rejet de la demande du Parlement, en faisant valoir, en substance, que l’avis en cause a été diffusé le 13 septembre 2018 sur un site d’information en ligne fréquemment consulté et qu’il y est toujours accessible. Elle remarque également que le Parlement n’a pas indiqué dans quelle mesure la présence de cet avis dans le dossier porterait atteinte aux intérêts de celui-ci et souligne que, selon elle, la production de ce document dans le cadre de la procédure au fond n’est pas de nature à y porter atteinte.

7        À titre subsidiaire, la Hongrie demande à la Cour, au titre de l’article 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 64, paragraphe 2, du règlement de procédure, d’ordonner au Parlement de produire le document en cause.

8        En ce qui concerne, en premier lieu, la demande de retrait introduite par le Parlement, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il serait contraire à l’intérêt public qui veut que les institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction (ordonnance du 29 janvier 2009, Donnici/Parlement, C‑9/08, non publiée, EU:C:2009:40, point 13 et jurisprudence citée).

9        Cet intérêt se trouve reflété à l’article 4 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), qui prévoit, à son paragraphe 2, que « [l]es institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection [...] des procédures juridictionnelles et des avis juridiques, [...] à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé ».

10      Cette disposition vise à protéger l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 42).

11      À l’égard dudit article 4, paragraphe 2, la Cour a retenu, s’agissant d’une demande d’accès à un avis juridique élaboré par le service juridique du Conseil, que ce dernier doit vérifier si le document demandé constitue vraiment un avis juridique, si, en cas de divulgation de celui-ci, un risque d’atteinte à l’intérêt précisé au point précédent est raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, et s’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant la divulgation de ce document (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 38 à 44, ainsi que du 3 juillet 2014, Conseil/in’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 96).

12      La Hongrie ayant joint l’avis juridique en cause à sa requête après se l’être procuré sans l’autorisation de l’institution défenderesse, l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 n’est pas applicable dans la présente procédure (voir, en ce sens, ordonnance du 29 janvier 2009, Donnici/Parlement, C‑9/08, non publiée, EU:C:2009:40, point 17, ainsi que arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 118).

13      Il n’en demeure pas moins que le règlement no 1049/2001, et, plus particulièrement, son article 4, paragraphe 2, revêt une certaine valeur indicative en vue de la pondération des intérêts requise pour statuer sur la demande de retrait de l’avis juridique en cause. En effet, il convient de tenir compte du principe de transparence, inscrit à l’article 1er, deuxième alinéa, et à l’article 10, paragraphe 3, TUE ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, et à l’article 298, paragraphe 1, TFUE, qui permet, notamment, de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 68, ainsi que du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, points 73 à 75).

14      Toutefois, ces considérations ne suffisent pas à justifier, dans le cadre de la présente procédure, le maintien au dossier de l’affaire de l’avis juridique figurant à l’annexe 5 de la requête de la Hongrie. En effet, par l’introduction non autorisée de l’avis juridique figurant à l’annexe 5 de sa requête, la Hongrie confronte le Parlement, dans la procédure portant sur la validité de la résolution attaquée, à un avis rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration de cette résolution. Autoriser cet État membre à verser au dossier un avis juridique du Parlement dont la divulgation n’a pas été autorisée par ce dernier heurterait les exigences d’un procès équitable et reviendrait à contourner la procédure de demande d’accès à un tel document, mise en place par le règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, ordonnance du 29 janvier 2009, Donnici/Parlement, C‑9/08, non publiée, EU:C:2009:40, point 18).

15      Le document en cause étant indéniablement un « avis juridique », au sens du règlement no 1049/2001, il convient de relever que le Parlement a suffisamment étayé le risque d’atteinte à l’intérêt pour lui de recevoir des avis francs, objectifs et complets ainsi que l’absence d’un intérêt public supérieur susceptible de justifier la production de l’avis juridique en cause par la Hongrie.

16      En effet, il existe un risque prévisible, loin d’être hypothétique, que le Parlement soit contraint, dans le cadre de la présente procédure juridictionnelle, qui porte sur la validité d’une résolution qu’il a prise, de prendre, devant le juge de l’Union, publiquement position à l’égard de l’avis émis par son propre service juridique. Une telle perspective entraînerait inévitablement des répercussions négatives quant à la possibilité pour le Parlement de recevoir des avis francs, objectifs et complets.

17      La circonstance que, selon la Hongrie, cet État membre a été mis en possession de l’avis juridique en cause par l’entremise d’un site d’information en ligne sur lequel cet avis serait disponible ne saurait remettre en cause les considérations qui précèdent.

18      De plus, la Hongrie disposant déjà de l’avis juridique en cause, son principal intérêt consiste à être en mesure de s’en prévaloir à l’appui de sa requête. Dans ces conditions, la production de cet avis juridique dans le cadre de la présente procédure apparaît davantage guidée par les propres intérêts de cet État membre à obtenir gain de cause dans cette procédure que par un quelconque intérêt public supérieur, tel que celui de rendre publique la procédure ayant abouti à la résolution attaquée.

19      Dès lors, la demande du Parlement tendant à ce que l’avis de son service juridique, figurant à l’annexe 5 de la requête, soit retiré du dossier de l’affaire C‑650/18 doit être accueillie.

20      En ce qui concerne, en second lieu, la demande formulée, à titre subsidiaire, par la Hongrie et tendant à ce que la Cour ordonne la production de l’avis juridique en cause, il y a lieu de relever que cet État membre n’a pas démontré en quoi la production de ce document serait appropriée ou nécessaire afin de statuer sur la requête qu’il a introduite, ledit État membre se contentant de faire valoir de manière générale, sans autrement étayer sa prétention, qu’un tel document serait pertinent pour apprécier les premier et second moyens de sa requête.

21      Dès lors, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’instruction présentée à titre subsidiaire par la Hongrie.

22      Il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) ordonne :

1)      L’avis du service juridique du Parlement européen, figurant à l’annexe 5 de la requête, est retiré du dossier de l’affaire C650/18.

2)      La demande de production de document introduite par la Hongrie est rejetée.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.