Language of document : ECLI:EU:T:2018:875

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

5 décembre 2018 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents concernant une procédure en manquement ouverte par la Commission à l’encontre de l’Irlande – Refus d’accès – Exception relative à la protection des activités d’inspection, d’enquête et d’audit – Présomption générale – Intérêt public supérieur »

Dans l’affaire T‑152/17,

Loreto Sumner, demeurant à Leixlip (Irlande), représentée par M. J. MacGuill et Mme E. Martin-Vignerte, solicitors,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme C. Ehrbar et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Irlande, représentée initialement par M. A. Joyce et Mme L. Williams, puis par M. Joyce, Mmes M. Browne et G. Hodge, en qualité d’agents, assistés de Mme A. Carroll, barrister,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2017) 247 final de la Commission, du 13 janvier 2017, refusant l’accès aux documents afférents à la procédure d’infraction 2014/4131 contre l’Irlande portant sur l’application de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva et M. J. Passer (rapporteur), juges,

greffier : Mme. X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 17 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par lettre du 13 octobre 2016, la requérante, Mme Loreto Sumner, a demandé à la Commission européenne des informations sur l’état d’une plainte déposée par deux syndicats auprès de celle-ci au sujet du non-respect par l’Irlande de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), ainsi que l’accès aux observations déposées par toute partie dans le cadre de cette procédure.

2        Par lettre du 14 novembre 2016, la Commission a informé la requérante de l’envoi à l’Irlande d’une lettre de mise en demeure au titre de l’article 258 TFUE et du fait que la procédure avec l’État membre était en cours. De surcroît, la Commission a refusé l’accès aux documents demandés sur le fondement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), concernant la protection des objectifs des activités d'inspection, d'enquête et d'audit.

3        Par lettre du 12 décembre 2016, la requérante a présenté une demande confirmative d’accès aux documents, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.

4        Par la décision C(2017) 247 final du 13 janvier 2017 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a confirmé le refus d’accès aux documents demandés sur le fondement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

5        La Commission a relevé que les documents demandés concernaient la procédure en manquement 2014/4131, qui était toujours en cours. Partant, la Commission a fondé son refus sur la présomption générale de non-divulgation des documents afférents à la procédure en manquement pendant la phase précontentieuse de celle-ci. En effet, la divulgation de ces documents risquerait de porter atteinte au dialogue entre la Commission et l’Irlande. Par ailleurs, la Commission a conclu qu’il n’était pas possible d’accorder un accès partiel et qu’aucun intérêt public supérieur ne justifiait la divulgation.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mars 2017, la requérante a introduit le présent recours.

7        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 juin 2017, l’Irlande a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 21 août 2017, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

8        L’Irlande a déposé son mémoire en intervention le 2 octobre 2017.

9        La Commission et la requérante ont déposé leurs observations sur le mémoire en intervention le 23 octobre et le 16 novembre 2017, respectivement.

10      Par ordonnance du 8 novembre 2017, prise à la suite d’une demande déposée au greffe du Tribunal le 13 mars 2017 et des observations de la Commission du 6 juillet 2017, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis la requérante au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

11      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

12      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        réexaminer la possibilité de divulguer chaque document détenu par la Commission.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      L’Irlande conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

15      La requérante invoque, en substance, trois moyens au soutien de son recours, tirés, premièrement, de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret de la demande d’accès, en raison d’un recours illégal à une présomption générale, deuxièmement, de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret et effectif d’un éventuel accès partiel et, troisièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation concernant l’existence d’un intérêt public supérieur.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret de la demande d’accès, en raison d’un recours illégal à une présomption générale

16      La requérante relève que la Commission a fondé la décision attaquée sur la présomption générale établie par la Cour dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738).

17      En appliquant une telle présomption, la Commission aurait commis une erreur de droit. En effet, la Commission renverrait aux catégories de documents définies dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), sans tenir compte du fait que les documents en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernaient la procédure en manquement prévue par un règlement spécifique et non la procédure en manquement générale.

18      En ce qui concerne l’ensemble des catégories de documents définies par la Cour, une constante serait identifiable. Dans tous les cas, le règlement no 1049/2001 serait contrebalancé par un autre règlement qui prévoirait un cadre plus restrictif pour la divulgation de documents en cours d’enquête.

19      Une telle combinaison entre le règlement no 1049/2001 et un règlement spécifique encadrant la divulgation au public ne se retrouverait pas en l’espèce. La procédure en manquement engagée à l’encontre de l’Irlande serait fondée sur l’article 258 TFUE. De plus, la directive 2003/88, objet de cette procédure en manquement, ne contiendrait pas de dispositions particulières en ce qui concerne l’enquête relative à un prétendu manquement.

20      En conséquence, la Commission n’aurait pas pu invoquer une présomption générale en l’espèce. En raison de cette erreur de droit, elle n’aurait pas procédé à un examen concret de chaque document.

21      La requérante fait valoir que, au-delà du fait que la décision attaquée expose que les documents en cause ne peuvent être divulgués en raison d’une présomption générale, la Commission ne démontre aucun risque, qu’il soit hypothétique ou, à plus forte raison, réel et raisonnablement prévisible, d’atteinte à la procédure en manquement.

22      La requérante invoque, au soutien de sa position, la divulgation par l’Irlande de documents clefs tels que la lettre de mise en demeure de la Commission, du 16 octobre 2014 et la réponse de l’Irlande du 19 décembre 2014. Elle fait valoir que la Commission n’a pas établi l’existence d’un risque pour la bonne fin de la procédure en manquement en cas de divulgation.

23      La Commission, soutenue par l’Irlande, conteste la position de la requérante.

24      À titre liminaire, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, tout citoyen de l’Union européenne et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union sous réserve des principes et des conditions qui sont fixés par la législation de l’Union. Par ailleurs, ce même droit est reconnu à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

25      Le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent le considérant 4 et l’article 1er de celui-ci, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible. Il ressort également de ce règlement, notamment du considérant 11 et de l’article 4 de celui-ci qui prévoit un régime d’exceptions à cet égard, que ce droit d’accès n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 40). Néanmoins, dès lors que de telles exceptions dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêt du 13 juillet 2017, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑60/15 P, EU:C:2017:540, point 63).

26      En vertu de l’exception invoquée par la Commission, figurant à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

27      Il en découle que le régime des exceptions prévu à l’article 4 du règlement no 1049/2001, et notamment au paragraphe 2 de cet article, est fondé sur une mise en balance des intérêts qui s’opposent dans une situation donnée, à savoir, d’une part, les intérêts qui seraient favorisés par la divulgation des documents concernés et, d’autre part, ceux qui seraient menacés par cette divulgation. La décision prise sur une demande d’accès à des documents dépend de la question de savoir quel est l’intérêt qui doit prévaloir dans le cas d’espèce (arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 42, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 42).

28      Dans la présente affaire, il est constant que les documents visés par la demande de la requérante et auxquels la Commission a opposé un refus d’accès relèvent d’une activité d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. En effet, la requérante demande l’accès aux documents contenus dans le dossier administratif de la Commission concernant une procédure en manquement ouverte contre l’Irlande, ce qui constitue indéniablement une activité d’enquête (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 1 et 43, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 43).

29      Or, pour justifier le refus d’accès à un document dont la divulgation a été demandée, il ne suffit pas, en principe, que ce document relève d’une activité mentionnée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. L’institution concernée doit également fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès audit document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cet article (arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 116 ; du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 44, et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 68).

30      Toutefois, la jurisprudence a reconnu qu’il est loisible à l’institution concernée de se fonder, à cet égard, sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature (arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 116 ; du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 45, et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 69).

31      Il y a lieu de constater que, selon la jurisprudence, il peut être présumé que la divulgation des documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, risque d’altérer le caractère de cette procédure ainsi que d’en modifier le déroulement et que, partant, cette divulgation porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 (arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 65, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 46).

32      Contrairement à ce que soutient la requérante, en se référant à l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), la mise en œuvre de la présomption générale visant les documents afférents à une procédure en manquement ne suppose pas l’applicabilité, dans le cas concret, d’une réglementation spécifique prévoyant un cadre plus restrictif que celui du règlement no 1049/2001 pour la divulgation de documents en cours d’enquête.

33      À cet égard, il convient de relever que, lorsque la Cour, dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 52 à 55), s’est référée au règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), ce n’était pas pour constater que la mise en œuvre de la présomption générale supposait l’applicabilité de ce règlement, mais, au contraire, pour constater que l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de ce règlement, qui consacre une règle visant à faciliter l’accès aux documents contenant des informations environnementales, disposait que cette règle ne s’appliquait pas aux enquêtes, notamment celles relatives à de possibles manquements au droit de l’Union (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 54).

34      Il en résultait, a poursuivi la Cour, que la procédure en manquement de l’article 258 TFUE était considérée, par le règlement no 1367/2006, comme une procédure qui, en tant que telle, présentait des caractéristiques s’opposant à ce qu’une pleine transparence soit accordée dans le domaine environnemental. La procédure en manquement occupait, par conséquent, une position particulière au sein du régime relatif à l’accès aux documents (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 55).

35      C’est donc à tort que la requérante soutient que la mise en œuvre de la présomption générale visant les documents afférents à une procédure en manquement suppose l’applicabilité, dans le cas concret, d’une réglementation spécifique prévoyant un cadre plus restrictif que celui du règlement no 1049/2001 pour la divulgation de documents en cours d’enquête.

36      En outre, dans la suite de l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), la Cour a procédé à des considérations générales sur les objectifs de la procédure en manquement de l’article 258 TFUE (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 56 à 64) pour conclure à l’existence de la présomption générale selon laquelle la divulgation des documents du dossier administratif afférent à une procédure en manquement porte, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 65 et 66).

37      La Cour a conclu que le Tribunal n’avait pas commis d’erreur de droit en reconnaissant à la Commission la faculté de se fonder sur la présomption générale selon laquelle l’accès, même partiel, du public aux documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, mettrait en péril la réalisation des objectifs de cette procédure, afin de refuser l’accès à ces documents sur la base de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 70).

38      Enfin, il convient de relever que, dans l’arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission (C‑562/14 P, EU:C:2017:356, point 40), la Cour a expressément rappelé avoir décidé, dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), que les documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse pouvaient bénéficier de la présomption générale de confidentialité. La Cour a rappelé avoir considéré, au point 65 de ce dernier arrêt, qu’il pouvait être présumé que la divulgation des documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, risquait d’altérer le caractère de cette procédure ainsi que d’en modifier le déroulement, et que, partant, cette divulgation porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

39      Par sa nature même, la présomption générale reconnue par le juge de l’Union, selon laquelle l’accès, même partiel, du public aux documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse mettrait en péril la réalisation des objectifs de cette procédure, a pour conséquence, lorsqu’elle est opposée à une demande d’accès, que l’institution qui s’en prévaut n’a pas à procéder à un examen concret et effectif du risque pour chaque document.

40      Quant à la circonstance que certains documents de la procédure en manquement s’avèrent, ainsi qu’il ressort de la requête, être en possession de la requérante, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence et à supposer – ce que conteste l’Irlande – que la mise en possession de ces documents résulte d’une communication de la part des autorités irlandaises en vertu de la loi irlandaise sur la liberté de l’information, le considérant 15 du règlement no 1049/2001 souligne que celui-ci n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les législations nationales en matière d’accès aux documents. Dès lors, les demandes d’accès à des documents détenus par les autorités nationales demeurent, y compris lorsque de tels documents émanent des institutions de l’Union, régies par les règles nationales applicables auxdites autorités, sans que les dispositions du règlement no 1049/2001 viennent s’y substituer, sous réserve des exigences posées par l’article 5 de ce règlement et dictées par l’obligation de coopération loyale (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, EU:C:2007:802, point 70). Dès lors, la circonstance invoquée par la requérante n’est pas décisive.

41      Par ailleurs, il y a lieu de relever que la requérante ne soutient pas, ni ne démontre, que tous les documents demandés sont tombés dans le domaine public.

42      De surcroît, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté et les appréciations portées par la Commission ne doivent être examinées qu’en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées (voir arrêt du 6 avril 2006, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke/Commission, T‑17/03, EU:T:2006:109, point 54 et jurisprudence citée).

43      En l’espèce, la requérante ne conteste pas que la Commission ignorait cette circonstance lors de l’adoption de la décision attaquée. Dans sa demande de décision confirmative, la requérante a seulement indiqué « [croire] que la documentation recherchée pourrait lui être accessible au plan domestique en vertu des dispositions de la législation irlandaise sur la liberté de l’information ». Il s’ensuit que le fait que la requérante est entrée en possession de certains documents, fait non connu de la Commission à la date de la décision attaquée, est sans pertinence pour l’appréciation de la légalité de cette décision.

44      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la requérante n’établit pas que la Commission aurait, dans le cadre de l’application de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, invoqué illégalement la présomption générale à l’égard des documents afférents à la procédure en manquement 2014/4131 et aurait, de ce fait, omis à tort de procéder à un examen concret de chaque document.

45      Le présent moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret et effectif d’un éventuel accès partiel

46      La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir effectué un examen concret et effectif de la possibilité d’accorder un accès partiel. La Commission n’aurait pas été fondée à se prévaloir d’une présomption générale. La requérante invoque l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738).

47      La Commission, soutenue par l’Irlande, conteste la position de la requérante.

48      Aux termes de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs exceptions au droit d’accès, les autres parties du document sont divulguées.

49      Il convient de relever que les présomptions générales, comme celle concernant l’accès aux documents afférents à une procédure en manquement, signifient que les documents couverts par celles-ci échappent à l’obligation d’une divulgation, intégrale ou partielle, de leur contenu (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 133 ; du 25 mars 2015, Sea Handling/Commission, T‑456/13, non publié, EU:T:2015:185, point 91, et ordonnance du 25 mai 2016, Syndial/Commission, T‑581/15, non publiée, EU:T:2016:337, point 53).

50      Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été jugé dans le cadre du premier moyen, c’est à bon droit que la Commission a invoqué la présomption générale de non-divulgation.

51      Au point 3 de la décision attaquée, la Commission a examiné la possibilité de donner un accès partiel et l’a rejetée, eu égard à l’application en l’espèce de la présomption générale à l’intégralité des documents demandés. Force est de constater que la requérante n’a pas avancé d’éléments de nature à réfuter ces considérations, en démontrant par exemple que certaines parties des documents visés par la demande n’étaient pas couvertes par la présomption.

52      Quant à la référence opérée par la requérante au point 67 de l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), il suffit de rappeler que, comme cela a déjà été relevé dans le cadre du premier moyen, elle n’a pas établi que la procédure en manquement concernée par la demande d’accès aurait présenté des caractéristiques justifiant que la présomption générale de non-divulgation soit écartée.

53      Il s’ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation concernant l’existence d’un intérêt public supérieur

54      La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne reconnaissant pas l’existence d’un intérêt public supérieur.

55      La requérante admet que sa demande de documents visait à lui permettre d’évaluer la viabilité de procédures à engager au niveau national.

56      Elle fait cependant valoir qu’elle ne serait pas la seule personne concernée par la violation des droits contenus dans la directive 2003/88. La violation de cette directive par l’Irlande affecterait des milliers d’autres travailleurs sociaux. La requérante invoque l’arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission (T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190), notamment ses points 110 à 113.

57      Il y aurait un intérêt public supérieur à la divulgation pour permettre au public de vérifier l’efficacité de la procédure en manquement dans le cas où une divulgation tardive aurait un effet opposé à celui, de protection des droits, recherché par la procédure en manquement. La Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne reconnaissant pas l’existence d’un tel intérêt public supérieur et, en tout état de cause, en considérant la procédure en manquement comme étant le moyen le plus rapide d’assurer la protection complète du droit des travailleurs à la protection sociale organisée par la directive 2003/88. Pour toutes ces raisons, la requérante soutient que, en l’espèce, il convient de divulguer l’ensemble du dossier relatif à la procédure en manquement.

58      La Commission, soutenue par l’Irlande, conteste la position de la requérante.

59      Il convient de relever que les présomptions générales reconnues par la jurisprudence à l’égard de certaines catégories de documents, parmi lesquelles celle relative aux documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse de cette procédure, n’excluent pas la possibilité de démontrer qu’un document donné, dont la divulgation est demandée, n’est pas couvert par la présomption en cause ou qu’il existe, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement no 1049/2001, un intérêt public supérieur justifiant la divulgation du document visé (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 66, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 48).

60      Il incombe toutefois au demandeur d’invoquer de manière concrète des circonstances fondant un intérêt public supérieur qui justifie la divulgation des documents concernés (arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 94, et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 90).

61      L’exposé de considérations d’ordre purement général ne saurait suffire aux fins d’établir qu’un intérêt public supérieur prime les raisons justifiant le refus de divulgation des documents en cause (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 158 ; du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 93 ; du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, EU:C:2014:112, point 105, et du 2 octobre 2014, Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, point 131).

62      En l’espèce, pour autant que la requérante évoque sa volonté de disposer d’éléments pour apprécier la viabilité de procédures à intenter au niveau national, il y a lieu de constater que cette circonstance ne démontre pas l’existence d’un intérêt public, mais plutôt d’un intérêt privé (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Herbert Smith Freehills/Commission, T‑755/14, non publié, EU:T:2016:482, point 75). Pour les mêmes raisons, la circonstance que d’autres travailleurs sociaux se trouveraient dans la même situation que la requérante n’est pas non plus de nature à établir l’existence d’un intérêt public supérieur de nature à remettre en cause l’application de la présomption de confidentialité.

63      S’agissant de la référence aux points 110 à 113 de l’arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission (T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190), il convient de relever que les passages de cet arrêt cités par la requérante portaient sur l’application de l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête, et non sur la question de l’existence d’un intérêt public supérieur. Dès lors, cet arrêt ne saurait soutenir les prétentions de la requérante dans le cadre du troisième moyen visant à démontrer l’existence d’un intérêt public supérieur dans la divulgation des documents demandés.

64      Quant à la revendication d’un intérêt public supérieur à la divulgation pour permettre de vérifier l’efficacité de la procédure en manquement, il convient de relever que des considérations générales relatives au principe de transparence et au droit du public d’être informé sur le travail des institutions ne sauraient justifier la divulgation de documents afférents à la phase précontentieuse d’une procédure en manquement (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, points 91 et 93).

65      Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’établit pas que la Commission a à tort conclu à l’absence d’un intérêt public supérieur de nature à fonder la divulgation des documents de la procédure en manquement en l’espèce.

66      Il s’ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

67      Le recours n’étant fondé en aucun de ses moyens, il convient de le rejeter, y compris en ce qui concerne le second chef de conclusions, lequel est au demeurant irrecevable eu égard au fait qu’il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions aux institutions.

 Sur les dépens

68      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

69      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, l’Irlande supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Loreto Sumner est condamnée aux dépens.

3)      L’Irlande supportera ses propres dépens.

Collins

Kancheva

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.