CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme Juliane Kokott
présentées le 6 octobre 2011 (1)
Affaire C‑366/10
The Air Transport Association of America e.a.
[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni)]
«Environnement – Gaz à effet de serre – Quotas d’émission – Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (‘Système UE d’échange de quotas d’émission’) – Intégration des activités aériennes – Service aérien international – Droit international public – Droit international – Compatibilité du droit dérivé de l’Union avec les conventions internationales et le droit international coutumier –Directives 2003/87/CE et 2008/101/CE»
Table des matières
I – Introduction
II – Le droit applicable
A – Le droit international public
1. La convention de Chicago
2. Le protocole de Kyoto
3. L’accord «ciel ouvert» entre l’UE et les États-Unis
B – Le droit de l’Union
C – Le droit national
III – Le litige au principal
IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour
V – Analyse
A – L’invocation de conventions internationales et de principes de droit international coutumier comme critères du contrôle de légalité de la directive 2008/101 (première question)
1. Les conventions internationales [première question, sous i) à vii)]
a) La convention de Chicago [première question, sous e)]
i) Pas d’effet contraignant de la convention de Chicago sur le fondement de l’article 351 TFUE
ii) Pas d’effet contraignant de la convention de Chicago sur le fondement de la succession fonctionnelle
iii) Conclusion intermédiaire
b) Le protocole de Kyoto et l’accord ciel ouvert [première question, sous f) et g)]
i) Observation liminaire
ii) Le protocole de Kyoto [première question, sous g)]
– La nature et l’économie du protocole de Kyoto
– L’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto
iii) L’accord ciel ouvert [première question, sous f)]
– La nature et l’économie de l’accord ciel ouvert
– Le caractère inconditionnel et suffisamment précis des dispositions de l’accord ciel ouvert ici en cause
iv) Conclusion intermédiaire
2. Le droit international coutumier [première question, sous a) à d)]
a) Sur l’existence des principes de droit international coutumier en cause et leur caractère contraignant pour l’Union européenne
i) La souveraineté des États sur leur espace aérien [première question, sous a)]
ii) L’illégitimité des revendications de souveraineté sur la haute mer [première question, sous b)]
iii) La liberté de survol de la haute mer [première question, sous c)]
iv) La prétendue souveraineté exclusive sur les aéronefs survolant la haute mer [première question, sous d)]
b) Sur l’aptitude desdits principes de droit international coutumier à servir de critères pour un contrôle de validité dans le cadre d’un recours formé par des personnes physiques ou morales
3. Conclusion intermédiaire
B – Sur la compatibilité de la directive 2008/101 avec les conventions internationales et principes du droit international coutumier invoqués (deuxième, troisième et quatrième questions)
1. La compatibilité avec certains principes de droit international coutumier (deuxième question)
a) Sur l’absence d’effet extraterritorial du système UE d’échange de quotas d’émission
b) Sur l’existence d’un facteur de rattachement territorial suffisant
c) Sur l’absence d’atteinte à la souveraineté des pays tiers
d) Conclusion intermédiaire
2. La compatibilité avec certaines conventions internationales (troisième et quatrième questions)
a) Le caractère légal de l’inclusion des parties de vols effectuées hors de l’espace aérien de l’UE dans le système UE d’échange de quotas d’émission (troisième question)
i) Compatibilité avec les articles 1er, 11 et 12 de la convention de Chicago [troisième question, sous a)]
ii) Compatibilité avec l’article 7 de l’accord ciel ouvert [troisième question, sous b)]
b) La légitimité de l’action isolée de l’UE, en dehors de l’OACI [quatrième question, sous a)]
i) Compatibilité avec l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto
ii) Compatibilité avec l’article 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert
– Aucune norme de protection de l’environnement de l’OACI ne s’y oppose
– Pas de violation du principe de non-discrimination de l’accord ciel ouvert
– Pas d’interdiction d’agir seul en dehors du cadre de l’OACI
c) Pas de violation de l’interdiction de droits à l’entrée ou à la sortie du territoire pour les aéronefs [quatrième question, sous b)]
d) Pas de violation de l’interdiction des taxes et des droits de douane sur les carburants [quatrième question, sous c)]
i) Sur l’interdiction des accises sur le carburant
ii) Sur l’interdiction des droits de douane sur les carburants
iii) Conclusion intermédiaire
C – Synthèse
VI – Conclusion
I – Introduction
1. Le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre adopté en 2003 par l’Union européenne (ci-après le «système UE d’échange de quotas d’émission») représente un élément capital de la politique européenne en matière de changement climatique (2). D’une part, il doit permettre de réaliser un objectif important des institutions européennes en matière de politique de l’environnement; d’autre part, le système sert à respecter les obligations que l’Union et ses États membres ont souscrites depuis les années 1990 dans le cadre des Nations unies, notamment dans ce que l’on appelle le «protocole de Kyoto».
2. La directive 2008/101/CE (3) prévoit que, à partir du 1er janvier 2012, les activités aériennes sont intégrées dans ce système UE d’échange de quotas d’émission.
3. Plusieurs compagnies aériennes et associations de compagnies aériennes ayant leur siège aux États-Unis d’Amérique ou au Canada contestent ce système. Elles attaquent devant la High Court of Justice (England & Wales) les mesures adoptées au Royaume-Uni pour la transposition de la directive 2008/101. Elles font valoir que, en intégrant le service aérien international – en particulier le service aérien transatlantique – dans son système d’échange de quotas d’émission, l’Union européenne enfreindrait plusieurs principes de droit international coutumier ainsi que diverses conventions internationales.
4. La Cour de justice est à présent appelée à se prononcer, par la voie d’une décision à titre préjudiciel, sur la validité de la directive 2008/101. Sa décision devrait revêtir une grande importance non seulement pour la configuration future de la politique climatique européenne, mais aussi sur un plan plus général pour les rapports entre le droit de l’Union et le droit international public. Il faudra notamment déterminer si, et dans quelle mesure, des particuliers peuvent invoquer en justice certaines conventions internationales et certains principes du droit international coutumier pour pouvoir faire échec à un acte juridique de l’Union européenne.
II – Le droit applicable
A – Le droit international public
5. Dans la demande de décision préjudicielle, il est fait référence, d’une part, à certains principes du droit international coutumier et, d’autre part, à diverses conventions internationales, notamment la convention de Chicago, le protocole de Kyoto et ce que l’on appelle l’accord «ciel ouvert» conclu entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique.
1. La convention de Chicago
6. Si l’Union européenne n’est pas partie à la convention relative à l’aviation civile internationale, ouverte à la signature à Chicago le 7 décembre 1944 (4) (ci‑après la «convention de Chicago»), les 27 États membres de l’Union le sont. Son chapitre I («Principes généraux et application de la convention») comporte à l’article 1er une disposition relative à la souveraineté aérienne:
«Les États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire.»
7. Au chapitre II de la convention de Chicago («Vol au-dessus du territoire des États contractants»), l’article 11, intitulé «Application des règlements de l’air», prévoit ceci:
«Sous réserve des dispositions de la présente Convention, les lois et règlements d’un État contractant relatifs à l’entrée et à la sortie de son territoire des aéronefs employés à la navigation aérienne internationale, ou relatifs à l’exploitation et à la navigation desdits aéronefs à l’intérieur de son territoire, s’appliquent, sans distinction de nationalité, aux aéronefs de tous les États contractants et lesdits aéronefs doivent s’y conformer à l’entrée, à la sortie et à l’intérieur du territoire de cet État.»
8. L’article 12 de la convention de Chicago précise ce qui suit, à propos des «règles de l’air»:
«Chaque État contractant s’engage à adopter des mesures afin d’assurer que tout aéronef survolant son territoire ou y manœuvrant ainsi que tout aéronef portant la marque de sa nationalité en quelque lieu qu’il se trouve se conforment aux règles et règlements en vigueur en ce lieu pour le vol et la manœuvre des aéronefs. Chaque État contractant s’engage à maintenir ses règlements dans ce domaine conformes, dans toute la mesure du possible, à ceux qui pourraient être établis en vertu de la présente Convention. Au-dessus de la haute mer, les règles en vigueur sont les règles établies en vertu de la présente Convention. Chaque État contractant s’engage à poursuivre toute personne contrevenant aux règlements applicables.»
9. L’article 15 de la convention de Chicago, intitulé «Redevances d’aéroport et droits similaires», est ainsi rédigé:
«Tout aéroport situé dans un État contractant et ouvert aux aéronefs de cet État aux fins d’usage public est aussi […] ouvert dans des conditions uniformes aux aéronefs de tous les autres États contractants. […]
Les redevances qu’un État contractant peut imposer ou permettre d’imposer pour l’utilisation desdits aéroports et installations et services de navigation aérienne par les aéronefs de tout autre État contractant ne doivent pas:
a) pour les aéronefs qui n’assurent pas de services aériens internationaux réguliers, être supérieures aux redevances qui seraient payées par ses aéronefs nationaux de même classe assurant des services similaires;
b) pour les aéronefs qui assurent des services aériens internationaux réguliers, être supérieures aux redevances qui seraient payées par ses aéronefs nationaux assurant des services internationaux similaires.
Toutes ces redevances sont publiées et communiquées à l’Organisation de l’Aviation civile internationale […]. Aucun État contractant ne doit imposer de droits, taxes ou autres redevances uniquement pour le droit de transit, d’entrée ou de sortie de son territoire de tout aéronef d’un État contractant, ou de personnes ou biens se trouvant à bord.»
10. Le chapitre IV de la convention de Chicago («Mesures destinées à faciliter la navigation aérienne») contient un article 24, consacré aux «[d]roits de douane»:
«a) Au cours d’un vol à destination ou en provenance du territoire d’un autre État contractant ou transitant par ce territoire, tout aéronef est temporairement admis en franchise de droits, sous réserve des règlements douaniers de cet État. Le carburant […] se trouvant dans un aéronef d’un État contractant à son arrivée sur le territoire d’un autre État contractant et s’y trouvant encore lors de son départ de ce territoire, [est] exempt[s] des droits de douane, frais de visite ou autres droits et redevances similaires imposés par l’État ou les autorités locales. […]»
11. La convention de Chicago a créé l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui a, depuis 1947, le statut d’institution spécialisée des Nations unies (5). En font partie les 27 États membres de l’Union européenne, tandis que l’Union elle-même n’a qu’un statut d’observateur au sein de l’OACI. L’OACI peut édicter des normes juridiquement contraignantes, mais aussi des recommandations dépourvues de valeur contraignante.
2. Le protocole de Kyoto
12. Le protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (protocole de Kyoto) (6) a été adopté le 11 décembre 1997 et est entré en vigueur le 16 février 2005. Il a été ratifié tant par la Communauté européenne (de l’époque) (7) que par les 27 États membres de l’Union européenne.
13. Dans le protocole de Kyoto, les parties contractantes qui comptent parmi les «pays développés» (8) ont pris des engagements pour limiter ou réduire leurs émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Pour l’Union européenne et ses États membres, cela implique pour la période 2008-2012 un engagement global de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport au niveau de 1990 (9).
14. Au nombre des mesures susceptibles d’être prises par les parties signataires du protocole de Kyoto en exécution de leurs engagements de limiter et de réduire les émissions, l’article 2, paragraphe 1, sous a), vii), du protocole prévoit aussi:
«[l’a]doption de mesures visant à limiter ou à réduire les émissions de gaz à effet de serre non réglementées par le Protocole de Montréal dans le secteur des transports».
15. L’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto prévoit en outre ceci:
«Les Parties visées à l’annexe I cherchent à limiter ou réduire les émissions de gaz à effet de serre non réglementées par le protocole de Montréal provenant des combustibles de soute utilisés dans les transports aériens et maritimes, en passant par l’intermédiaire de l’Organisation de l’aviation civile internationale et de l’Organisation maritime internationale, respectivement.»
3. L’accord «ciel ouvert» entre l’UE et les États-Unis
16. L’accord sur les services aériens entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part (10) (ci-après l’«accord ciel ouvert»), a été signé en avril 2007, puis modifié sur plusieurs points par un protocole du 24 juin 2010 (11) (protocole modificatif de 2010). Dans sa version initiale, l’accord ciel ouvert a été appliqué à titre provisoire depuis le 30 mars 2008 (12) et, dans la version résultant du protocole modificatif de 2010, il est appliqué à titre transitoire depuis le 24 juin 2010 (13).
17. À l’article 2 de l’accord ciel ouvert, le principe de la «possibilité de concurrence loyale et équitable» est énoncé dans les termes suivants:
«Chaque partie offre aux transporteurs aériens des deux parties la possibilité de se livrer à une concurrence loyale et équitable pour la fourniture des services aériens internationaux régis par le présent accord.»
18. Sous le titre «Octroi de droits», l’article 3 de l’accord ciel ouvert, plus particulièrement en son paragraphe 4, prévoit ceci:
«Chaque partie autorise chaque transporteur aérien à définir la fréquence et la capacité du service aérien international qu’il souhaite offrir sur la base de considérations commerciales relatives au marché. En vertu de ce droit, aucune des deux parties ne limite unilatéralement le volume du trafic, la fréquence ou la régularité des services, le ou les types d’aéronefs exploités par les transporteurs aériens de l’autre partie ni n’exige de leur part le dépôt de leurs programmes de vols réguliers ou affrétés ou de plans d’exploitation, sauf pour des motifs douaniers, techniques, d’exploitation ou d’environnement (en application de l’article 15), et ceci dans des conditions uniformes conformes aux dispositions de l’article 15 de la convention.»
19. À propos du «[r]espect des dispositions législatives et réglementaires», l’article 7 de l’accord ciel ouvert énonce ceci:
«1. Les dispositions législatives et réglementaires d’une partie régissant sur son territoire l’entrée et la sortie des aéronefs assurant la navigation aérienne internationale, ou régissant l’exploitation et la navigation desdits aéronefs lorsqu’ils se trouvent sur son territoire, s’appliquent aux aéronefs utilisés par les transporteurs aériens de l’autre partie et sont observées par lesdits aéronefs lorsqu’ils entrent sur le territoire de la première partie, lorsqu’ils y séjournent ou lorsqu’ils le quittent.
2. Lors de l’entrée et du séjour sur le territoire de l’une des parties, ainsi que de la sortie de celui-ci, les dispositions législatives et réglementaires régissant sur ce territoire l’entrée et la sortie des passagers, des membres d’équipage ou du fret (y compris celles régissant les formalités d’entrée, les congés, l’immigration, les passeports, les douanes et la quarantaine ou, dans le cas du courrier, les règlements postaux) sont respectées par les passagers, membres d’équipage ou le fret des transporteurs aériens de l’autre partie ou par quiconque agissant en leur nom.»
20. Intitulé «Droits de douane et taxes», l’article 11 de l’accord ciel ouvert contient les dispositions suivantes:
«1. À leur arrivée sur le territoire de l’autre partie, les aéronefs utilisés par les transporteurs aériens d’une partie […] sont exemptés, sur une base de réciprocité, de toutes restrictions à l’importation, taxes sur la propriété, de tout prélèvement sur le capital, de tous droits de douane et d’accises et de toutes taxes ou redevances qui sont: a) imposées par les autorités nationales ou la Communauté européenne; et b) ne sont pas calculées en fonction du coût des prestations fournies, à condition que ces équipements et fournitures restent à bord des aéronefs.
2. Sont également exemptés, sur une base de réciprocité, des impôts, des droits, des taxes et des redevances visés au paragraphe 1 du présent article, à l’exception des redevances calculées en fonction des prestations fournies:
[…]
c) le carburant, les lubrifiants et les fournitures techniques consommables introduits ou fournis sur le territoire d’une partie pour être utilisés à bord d’un aéronef appartenant à un transporteur aérien de l’autre partie assurant des services aériens internationaux, même si ces fournitures sont destinées à être utilisées sur la partie du vol effectuée au-dessus dudit territoire».
21. À l’article 15 de l’accord ciel ouvert figure une disposition intitulée «Environnement» qui, dans la version résultant du protocole modificatif de 2010, est ainsi rédigée (14):
«1. Les parties reconnaissent l’importance de protéger l’environnement dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique aéronautique internationale, les coûts et les avantages de mesures destinées à protéger l’environnement devant être soigneusement pesés, tout en favorisant conjointement, le cas échéant, des solutions globales efficaces. En conséquence, les parties entendent collaborer pour limiter ou réduire, de façon économiquement raisonnable, les incidences de l’aviation internationale sur l’environnement.
2. Lorsqu’une partie examine des projets de mesures de protection de l’environnement à l’échelon régional, national ou local, il convient qu’elle en évalue les effets négatifs possibles sur l’exercice des droits prévus dans le présent accord et, si ces mesures sont adoptées, il convient qu’elle prenne les dispositions appropriées pour en atténuer les effets négatifs éventuels. À la demande d’une des parties, l’autre partie fournit une description de cette évaluation et des dispositions d’atténuation.
3. Lorsque des mesures de protection de l’environnement sont adoptées, les normes sur la protection de l’environnement adoptées par l’Organisation de l’aviation civile internationale dans les annexes à la convention sont respectées, sauf dans les cas où des différences par rapport à ces normes ont été notifiées. Les parties appliquent toute mesure de protection de l’environnement ayant une incidence sur les services aériens régis par le présent accord conformément à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 4, du présent accord.
4. Les parties réitèrent l’engagement des États membres et des États‑Unis à appliquer le principe de l’approche équilibrée.
[…]
7. À la demande des parties, le comité mixte, assisté d’experts, veille à élaborer des recommandations sur les questions de chevauchements éventuels et de cohérence entre les mesures fondées sur le marché qu’appliquent les parties concernant les émissions du transport aérien, afin d’éviter l’inutile multiplication des mesures et des coûts et de réduire dans toute la mesure du possible la charge administrative qui pèse sur les compagnies aériennes.»
8. La mise en œuvre de ces recommandations est soumise à une ratification ou approbation interne, selon la demande de chaque partie. Si une partie estime qu’une question liée à la protection de l’environnement dans le contexte de l’aviation, et notamment les nouvelles mesures proposées, soulève des préoccupations quant à l’application ou à la mise en œuvre du présent accord, elle peut demander une réunion du comité mixte, conformément à l’article 18, afin d’examiner la question et d’apporter les réponses appropriées aux préoccupations jugées légitimes.»
B – Le droit de l’Union
22. Le système UE d’échange de quotas d’émission en vigueur dans l’Union européenne vise à limiter et à réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’aide d’instruments s’inspirant des mécanismes du marché. Ce système, parfois aussi désigné par l’expression anglaise «cap and trade», a été introduit par la directive 2003/87/CE (15) et vaut pour l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE) (16).
23. Selon son cinquième considérant, la directive 2003/87 vise notamment à mettre en œuvre les engagements résultant pour l’Union du protocole de Kyoto:
«La Communauté et ses États membres sont convenus de remplir conjointement leurs engagements de réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans le cadre du protocole de Kyoto, conformément à la décision 2002/358/CE. La présente directive contribue à réaliser les engagements de la Communauté européenne et de ses États membres de manière plus efficace, par le biais d’un marché européen performant de quotas d’émission de gaz à effet de serre et en nuisant le moins possible au développement économique et à l’emploi.»
24. À l’origine, les émissions de gaz à effet de serre imputables à la navigation aérienne n’étaient pas concernées par le système UE d’échange de quotas d’émission. En 2008, le législateur européen a néanmoins décidé d’intégrer la navigation aérienne dans le système, et ce à compter du 1er janvier 2012. Pour la première fois en 2012, toutes les compagnies aériennes – y compris celles des pays tiers – doivent donc acquérir et restituer des quotas d’émission pour leurs vols au départ ou à destination d’aérodromes européens. À cette fin, la directive 2003/87 a été modifiée et complétée par la directive 2008/101 (17).
25. La directive modifiée comporte un nouveau chapitre II, intitulé «Aviation», qui se compose des articles 3 bis à 3 octies. Le champ d’application de ce chapitre est ainsi défini à l’article 3 bis:
«Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à l’allocation et à la délivrance de quotas pour les activités aériennes visées à l’annexe I.»
Conformément à la définition donnée à l’annexe I de la directive modifiée constituent des activités aériennes au sens de la directive les «vols au départ ou à l’arrivée d’un aérodrome situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité» (18).
À l’annexe IV, partie B, de la directive modifiée, il est également indiqué que le calcul des émissions résultant des activités aériennes s’effectue au moyen de la formule suivante: «Consommation de carburant × facteur d’émission». Il résulte en outre de cette annexe que, pour mesurer l’ampleur de l’activité aérienne des exploitants d’aéronefs, on emploie la formule «Tonnes-kilomètres = distance × charge utile» et que, à cette fin, on entend par «distance» la distance orthodromique entre l’aérodrome de départ et l’aérodrome d’arrivée augmentée d’un facteur fixe supplémentaire de 95 km.
26. À propos de la «quantité totale de quotas pour l’aviation», l’article 3 quater de la directive modifiée dispose:
«1. La quantité totale de quotas à allouer aux exploitants d’aéronefs pour la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 correspond à 97 % des émissions historiques du secteur de l’aviation.
2. La quantité totale de quotas à allouer aux exploitants d’aéronefs pour la période […] débutant au 1er janvier 2013, et en l’absence de toute modification […], pour chaque période ultérieure, correspond à 95 % des émissions historiques du secteur de l’aviation, multipliées par le nombre d’années de la période» (19).
27. L’article 3 quinquies de la directive modifiée, intitulé «Méthode d’allocation des quotas pour l’aviation par mise aux enchères», comporte les dispositions suivantes:
«1. Pendant la période visée à l’article 3 quater, paragraphe 1, 15 % des quotas sont mis aux enchères.
2. À compter du 1er janvier 2013, 15 % des quotas sont mis aux enchères. Ce pourcentage peut être accru dans le cadre de la révision générale de la présente directive.
[…]
4. Il appartient aux États membres de décider de l’usage qui est fait du produit de la mise aux enchères des quotas. Ces recettes devraient servir à faire face au changement climatique dans l’Union européenne et dans les pays tiers […]»
28. Au chapitre IV de la directive modifiée (qui a pour titre «Dispositions applicables au secteur de l’aviation et aux installations fixes»), l’article 12, paragraphe 2 bis, prévoit ce qui suit, en ce qui concerne le transfert, la restitution et l’annulation des quotas:
«Les États membres responsables s’assurent que, au plus tard le 30 avril de chaque année, chaque exploitant d’aéronef restitue un nombre de quotas égal au total des émissions de l’année civile précédente, vérifiées conformément à l’article 15, résultant des activités aériennes visées à l’annexe I pour lesquelles il est considéré comme l’exploitant de l’aéronef. Les États membres veillent à ce que les quotas restitués conformément au présent paragraphe soient ensuite annulés.»
29. En vertu de l’article 16 de la directive modifiée, les États membres doivent mettre en œuvre de manière effective le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ainsi prévu, et prévoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives applicables aux infractions. Ces sanctions peuvent aller jusqu’à l’interdiction d’exploitation, décidée le cas échéant par la Commission, à la demande d’un État membre. Les noms des exploitants d’aéronefs contrevenant aux obligations résultant pour eux du système de droits d’émission doivent être publiés.
30. L’article 25 bis de la directive modifiée, intitulé «Mesures prises par les pays tiers pour réduire l’impact de l’aviation sur le changement climatique», dispose:
«1. Lorsqu’un pays tiers adopte des mesures en vue de réduire l’impact sur le climat des vols partant de ce pays et atterrissant dans la Communauté, la Commission, après avoir consulté ce pays tiers et les États membres […], examine les options disponibles de façon à assurer une interaction optimale entre le système communautaire et les mesures prises par ce pays tiers.
Si nécessaire, la Commission peut adopter des modifications de manière que les vols en provenance du pays tiers concerné soient exclus des activités aériennes visées à l’annexe I ou de manière à apporter aux activités aériennes visées à l’annexe I toute autre modification […]
2. La Communauté et ses États membres poursuivent leurs efforts en vue de parvenir à un accord sur des mesures globales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des avions. À la lumière d’un tel accord, la Commission évalue la nécessité d’apporter ou non des modifications à la présente directive dans la mesure où elle s’applique aux exploitants d’aéronefs.»
31. Il convient de citer également le préambule de la directive 2008/101, dont les huitième, neuvième, dixième, onzième et dix-septième considérants comportent les affirmations suivantes:
«(8) En vertu du protocole de Kyoto […], les pays industrialisés cherchent à limiter ou à réduire les émissions des gaz à effet de serre non réglementés par le protocole de Montréal provenant des combustibles utilisés dans les transports aériens, par l’intermédiaire de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).
(9) Quoique la Communauté ne soit pas une partie contractante de la convention de Chicago […], tous les États membres sont parties contractantes à cette convention et membres de l’OACI. Les États membres continuent de soutenir le travail mené avec d’autres États au sein de l’OACI afin de mettre au point des mesures traitant des impacts de l’aviation sur le climat, y compris des instruments fondés sur le marché. Les participants à la sixième réunion du Comité de la protection de l’environnement en aviation de l’OACI en 2004 sont convenus qu’un système d’échange de quotas d’émission propre au secteur de l’aviation et reposant sur un nouvel instrument juridique introduit sous les auspices de l’OACI semblait suffisamment peu attrayant pour pouvoir d’ores et déjà être abandonné. En conséquence, la résolution A35-5 de la 35e session de l’Assemblée de l’OACI, qui s’est tenue en septembre 2004, ne proposait pas de nouvel instrument juridique, mais approuvait le principe de l’échange ouvert de droits d’émission et la possibilité, pour les États, d’intégrer les émissions résultant de l’aviation internationale dans leurs systèmes d’échange de quotas d’émission. À l’appendice L de la résolution A36-22 qu’elle a adoptée en septembre 2007, lors de sa 36e session, l’Assemblée de l’OACI prie instamment les États contractants de ne pas mettre en œuvre un régime d’échange de droits d’émissions pour les exploitants d’aéronefs des autres États contractants sauf sur la base d’un accord mutuel entre ces États. Rappelant que la convention de Chicago reconnaît expressément le droit de chaque partie contractante à appliquer ses propres lois et réglementations aériennes de manière non discriminatoire aux aéronefs de tous les États, les États membres de la Communauté européenne et quinze autres États européens ont formulé une réserve sur cette résolution et se réservent le droit, en vertu de la convention de Chicago, d’adopter et d’appliquer, de manière non discriminatoire, des mesures fondées sur le marché aux exploitants d’aéronefs de tous les États fournissant des services aériens en direction, à partir ou à l’intérieur de leur territoire.
(10) En vertu du sixième programme d’action communautaire pour l’environnement institué par la décision no 1600/2002/CE du Parlement européen et du Conseil […], la Communauté doit définir et prendre des mesures spécifiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des avions si aucune action de cette nature n’est décidée au sein de l’OACI d’ici à 2002. Dans ses conclusions d’octobre 2002, de décembre 2003 et d’octobre 2004, le Conseil a, à maintes reprises, engagé la Commission à proposer des mesures en vue de réduire l’impact du transport aérien international sur le climat.
(11) Il convient que les politiques et les mesures soient mises en œuvre au niveau des États membres et de la Communauté dans tous les secteurs de l’économie communautaire afin de générer les réductions substantielles des émissions qui sont nécessaires. Si l’incidence du secteur de l’aviation sur le climat continue d’augmenter au rythme actuel, elle neutralisera dans une large mesure les réductions réalisées par d’autres secteurs afin de lutter contre le changement climatique.
[…]
(17) Il convient que la Communauté et les États membres continuent à œuvrer en vue de la conclusion d’un accord sur des mesures planétaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à l’aviation. Le régime adopté par la Communauté peut servir de modèle pour le fonctionnement d’un système d’échange de quotas d’émission à l’échelle mondiale. Il y a lieu que la Communauté et les États membres restent en contact avec les tiers au cours de la mise en œuvre de la présente directive et incitent les pays tiers à adopter des mesures équivalentes. Si un pays tiers adopte des mesures qui ont un effet environnemental au moins équivalent à celui de la présente directive dans le sens de la réduction de l’incidence sur le climat des vols vers la Communauté, la Commission devrait examiner les options disponibles de façon à assurer une interaction optimale entre le système communautaire et les mesures prises par ce pays tiers, après consultation de ce dernier. Les systèmes d’échange de quotas d’émission mis au point dans les pays tiers commencent à offrir une interaction optimale avec le système communautaire pour ce qui est de la prise en compte de l’aviation. La conclusion d’accords bilatéraux ayant pour effet d’associer le système communautaire à d’autres systèmes d’échange afin de constituer un système commun ou l’adoption de mesures équivalentes destinées à éviter l’existence d’une double réglementation pourrait constituer une étape sur la voie d’un accord mondial. Lorsque des accords bilatéraux de cette nature sont conclus, la Commission pourrait modifier les types d’activités d’aviation pris en compte dans le système communautaire, notamment en adaptant en conséquence le montant total des quotas à allouer aux exploitants d’aéronefs.»
C – Le droit national
32. Les dispositions applicables, dans le droit du Royaume-Uni, figurent dans les Aviation Greenhouse Gas Emissions Trading Scheme Regulations 2009 (20) (ci‑après les «Regulations de 2009»), qui comportent une partie des mesures assurant la transposition en droit interne de la directive 2008/101 (21).
III – Le litige au principal
33. Le juge a quo, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a été saisi d’un recours dirigé contre les Regulations de 2009.
34. Ce recours a été formé le 16 décembre 2009 par quatre requérantes ayant leur siège aux États-Unis. Il s’agit de The Air Transport Association of America (ATAA), American Airlines (AA), Continental Airlines (Continental) et United Airlines (UAL). L’ATAA est une fédération de compagnies de transport aérien aux États-Unis qui ne poursuit pas de but lucratif. AA, Continental et UAL sont trois compagnies aériennes dont l’activité a une dimension mondiale; elles ont leur siège aux États-Unis, mais desservent aussi des destinations dans l’Union européenne. L’État membre responsable de ces compagnies, tel que défini par le système UE d’échange de quotas d’émission, est le Royaume-Uni (22).
35. La partie défenderesse est le ministère de l’Énergie et du Changement climatique (23) du Royaume-Uni, en tant que principale autorité nationale compétente en matière de transposition de la directive 2008/101.
36. Chacune des parties a reçu le soutien de parties intervenantes. Sont intervenues au soutien des requérantes au principal deux autres associations (24): d’une part, The International Air Transport Association (IATA), une association internationale de compagnies aériennes, et, d’autre part, The National Airlines Council of Canada (NACC), une association de compagnies aériennes canadiennes. Cinq organisations environnementales, au total, sont intervenues aux côtés de la partie défenderesse (25), à savoir The Aviation Environment Federation (AEF), la section britannique du World Wide Fund For Nature (WWF-UK), The European Federation for Transport and Environment (EFTE), The Environmental Defense Fund (EDF) et Earthjustice.
37. Les requérantes, soutenues par les parties intervenues à leur côté, font valoir en substance que la directive 2008/101 – dont les Regulations de 2009 visent à assurer la transposition – n’est pas compatible avec le droit international et est par conséquent illégale. La défenderesse et les parties intervenantes qui la soutiennent partagent un point de vue diamétralement opposé.
IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour
38. Par décision du 8 juillet 2010, parvenue à la Cour le 22 juillet 2010, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a posé, à titre préjudiciel, les questions suivantes à la Cour:
«1) L’une ou plusieurs des règles suivantes du droit international peuvent-elles être invoquées dans le cas d’espèce pour contester la validité de la directive 2003/87/CE telle que modifiée par la directive 2008/101/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’UE (ensemble, la ‘directive modifiée’):
a) le principe de droit coutumier international selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien;
b) le principe de droit coutumier international selon lequel aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté;
c) le principe de droit coutumier international de la liberté de survol au‑dessus de la haute mer;
d) le principe de droit coutumier international (dont l’existence est contestée par la partie défenderesse) selon lequel les aéronefs survolant la haute mer sont soumis à la juridiction exclusive du pays dans lequel ils sont immatriculés, sauf cas expressément prévu par un traité international;
e) la convention de Chicago (en particulier ses articles 1, 11, 12, 15 et 24);
f) l’accord dit de ‘ciel ouvert’ (en particulier ses articles 7, 11, paragraphe 2, et 15, paragraphe 3);
g) le protocole de Kyoto (en particulier son article 2, paragraphe 2)?
Dans la mesure où la première question appelle une réponse affirmative:
2) La directive modifiée est-elle invalide, si et dans la mesure où elle applique le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux parties des vols (soit en général, soit par des aéronefs immatriculés dans des pays tiers) qui ont lieu hors de l’espace aérien des États membres, au motif qu’elle serait contraire à l’un ou plusieurs des principes du droit coutumier international cités au paragraphe précédent?
3) La directive modifiée est-elle invalide, si et dans la mesure où elle applique le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux parties des vols (soit en général, soit par des aéronefs immatriculés dans des pays tiers) qui ont lieu hors de l’espace aérien des États membres:
a) au motif qu’elle serait contraire aux articles 1, 11, et/ou 12 de la convention de Chicago;
b) au motif qu’elle serait contraire à l’article 7 de l’accord dit de ‘ciel ouvert’?
4) La directive modifiée est-elle invalide, si et dans la mesure où elle applique le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux activités aériennes:
a) au motif qu’elle serait contraire à l’article 2, paragraphe 2 du protocole de Kyoto, et à l’article 15, paragraphe 3, de l’accord dit de ‘ciel ouvert’;
b) au motif qu’elle serait contraire à l’article 15 de la convention de Chicago, en elle-même ou en combinaison avec les articles 3, paragraphe 4 et 15, paragraphe 3, de l’accord dit de ‘ciel ouvert’;
c) au motif qu’elle serait contraire à l’article 24 de la convention de Chicago, en elle-même ou en combinaison avec l’article 11, paragraphe 2, sous c) de l’accord dit de ‘ciel ouvert’?»
39. Ont pris part à la procédure écrite devant la Cour: les requérantes au principal, les parties intervenues au soutien des deux parties au principal, les gouvernements belge, allemand, espagnol, français, italien, néerlandais, autrichien, polonais, suédois, islandais, norvégien et du Royaume-Uni, ainsi que le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne.
40. L’audience devant la Cour s’est tenue le 5 juillet 2011 et y ont été représentés tous ceux qui avaient pris part à la procédure écrite, à l’exception des gouvernements belge, allemand, italien, néerlandais, autrichien et islandais. Y a en outre participé le gouvernement danois.
V – Analyse
41. Les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent sont d’avis que l’intégration de la navigation aérienne internationale dans le système UE d’échange de quotas d’émission serait incompatible avec plusieurs principes du droit international coutumier ainsi qu’avec diverses conventions internationales. C’est pourquoi la directive 2008/101, qui a étendu le système d’échange de quotas d’émission aux activités aériennes, serait illégale.
42. Ces parties invoquent, en résumé, trois catégories de griefs contre la directive 2008/101: elles soutiennent d’abord que l’Union européenne excéderait ses pouvoirs au regard du droit international public en ne limitant pas son système d’échange de quotas d’émission aux seuls vols intra-européens, et en y incluant aussi des parties de vols internationaux s’effectuant au-dessus de la haute mer et du territoire de pays tiers (26). Elles font ensuite valoir qu’un système d’échange de quotas d’émission pour l’activité aérienne internationale devrait relever des compétences et de la décision de l’OACI; il ne pourrait pas être introduit unilatéralement (27). Enfin, elles sont d’avis que le système d’échange de quotas d’émission équivaudrait à instaurer une taxe ou un droit prohibés par les conventions internationales (28).
43. Il est constant que l’Union européenne est liée par le droit international public. D’une part, l’Union est dotée de personnalité juridique (article 47 TUE) et peut donc être titulaire de droits et d’obligations de droit international. D’autre part, l’Union se donne elle-même expressément pour objectif de contribuer au strict respect et au développement du droit international (article 3, paragraphe 5, deuxième phrase, TUE) ainsi que de promouvoir dans le reste du monde le respect des principes du droit international (article 21, paragraphe 1, premier alinéa, TUE).
44. Aussi l’Union doit-elle exercer ses compétences dans le respect du droit international, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence bien établie (29). Dans le cadre de sa compétence pour statuer à titre préjudiciel [article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et article 267, premier alinéa, sous b), TFUE], il incombe à la Cour d’examiner si la validité des actes des organes de l’Union peut être affectée du fait de leur contrariété à une règle de droit international (30).
45. Cela ne signifie pas pour autant que les particuliers (personnes physiques ou personnes morales) peuvent à leur gré se prévaloir, dans les procédures judiciaires, de dispositions ou de principes de droit international pour tenir en échec des actes juridiques des institutions de l’Union. Il devra toujours être vérifié, pour chaque disposition concrète ou principe concret de droit international invoqué si, et dans quelle mesure, il peut être invoqué dans le cadre d’un litige porté en justice par une personne physique ou morale en tant que critère de validité des actes de l’Union (31). Cette réflexion, à laquelle la première question préjudicielle est consacrée, intervient en toute logique en amont de l’examen proprement dit de la validité de la directive 2008/101 (ou de la validité de la directive 2003/87, telle que modifiée par la directive 2008/101); c’est donc par cela que nous allons commencer.
46. Dans notre analyse des questions de droit soulevées, nous nous limiterons au demeurant aux principes et aux dispositions de droit international faisant concrètement l’objet des questions de la juridiction nationale. Il ne nous paraît pas approprié d’examiner d’autres conventions internationales, notamment celles dont ont fait état les parties intervenues au soutien des requérantes au principal (32). On pourrait certes concevoir, en théorie, que la Cour prenne d’office position, lorsqu’elle statue à titre préjudiciel, sur d’éventuelles causes d’invalidité dont elle n’a pas été saisie par la juridiction de renvoi (33). Elle devrait cependant faire un usage prudent de cette possibilité lorsqu’il s’agit de renvois préjudiciels en appréciation de validité. S’il résulte du dossier que la juridiction nationale refuse implicitement d’interroger la Cour à propos d’une disposition, la Cour ne devrait pas examiner celle-ci (34). Tel est le cas en l’espèce: la demande de décision préjudicielle de la High Court mentionne certes à plusieurs reprises les autres conventions internationales auxquelles les parties intervenantes font référence, mais elle n’en a précisément pas fait l’objet de questions de validité adressées à la Cour.
A – L’invocation de conventions internationales et de principes de droit international coutumier comme critères du contrôle de légalité de la directive 2008/101 (première question)
47. Dans le cadre de la première question, le problème essentiel à résoudre consiste à déterminer si, et à quelles conditions, les conventions internationales et principes du droit international coutumier visés par la juridiction de renvoi peuvent être invoqués en tant que critères du contrôle de légalité de la directive 2008/101, et ce à l’occasion de recours portés en justice devant les juridictions nationales par des personnes physiques ou morales – ici des entreprises et des associations d’entreprises.
48. Nous examinerons cette question d’abord au regard des trois conventions internationales concernées – la convention de Chicago, le protocole de Kyoto et l’accord ciel ouvert – (partie 1, ci-dessous), puis au regard des différents principes de droit international coutumier évoqués par la juridiction de renvoi (partie 2, ci‑dessous).
1. Les conventions internationales [première question, sous i) à vii)]
49. Selon la jurisprudence constante, les conventions internationales peuvent être invoquées comme critères du contrôle de légalité des actes des organes de l’Union à deux conditions (35):
– premièrement, l’Union européenne doit être liée par la convention en question;
– deuxièmement, la nature et l’économie de la convention en question ne doivent pas faire obstacle à un tel contrôle de légalité et ses dispositions doivent être, en outre, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises.
50. S’agissant de la seconde condition, il conviendra de se souvenir que la question de la légalité de la directive 2008/101 se pose ici dans le cadre d’un litige qui a été porté devant le juge par des particuliers – diverses compagnies aériennes et une association de compagnies aériennes (36).
a) La convention de Chicago [première question, sous e)]
51. En ce qui concerne tout d’abord la convention de Chicago, on observe d’emblée que la première des conditions énumérées au point 49 n’est pas remplie.
52. En effet, l’Union européenne n’est pas partie à la convention de Chicago. C’est pourquoi cette convention ne crée formellement aucun droit ni obligation dans le chef de l’Union.
53. Les requérantes au principal, ainsi que les associations qui les soutiennent, prétendent néanmoins que l’Union est matériellement liée par la convention de Chicago. À cette fin, elles invoquent, d’une part, l’article 351 TFUE et, d’autre part, la théorie de la succession fonctionnelle.
54. Aucun de ces deux arguments ne peut cependant prospérer.
i) Pas d’effet contraignant de la convention de Chicago sur le fondement de l’article 351 TFUE
55. Il ressort de l’article 351, premier alinéa, TFUE (anciennement article 307 CE et article 234 du traité CEE) que les droits et obligations des États membres existant vis-à-vis des pays tiers ne sont pas affectés par les dispositions des traités (TUE et TFUE (37)) s’il s’agit de droits et d’obligations résultant de conventions internationales conclues à une date antérieure à l’adhésion de l’État membre à l’Union européenne.
56. En reconnaissant, en vertu de l’article 351, premier alinéa, TFUE, les conventions ainsi conclues antérieurement avec des pays tiers, le droit de l’Union se conforme au principe de droit international pacta sunt servanda (38). En d’autres termes, l’appartenance à l’Union européenne n’oblige pas les États membres à agir vis-à-vis des pays tiers en infraction avec les conventions conclues antérieurement (39).
57. Les organes de l’Union sont, pour leur part, seulement tenus de ne pas faire obstacle à l’exécution des obligations résultant de telles conventions antérieures pour les États membres; en droit international, l’Union elle-même n’est pas liée vis-à-vis des pays tiers concernés par les conventions antérieurement conclues par les États membres (40). Il s’agit là d’une application du principe, également reconnu en droit international public, de l’effet relatif des contrats qui veut que les contrats ne créent pas de droits ni d’obligations pour les tiers (pacta tertiis nec nocent nec prosunt) (41).
58. L’absence d’effet obligatoire pour l’Union des traités conclus antérieurement par les États membres apparaît d’ailleurs avec évidence si l’on compare les règles applicables aux conventions antérieures figurant à l’article 351 TFUE et celles régissant les conventions conclues par l’Union elle-même, contenues à l’article 216 TFUE. En effet, tandis que l’article 216, paragraphe 2, TFUE dispose que les accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres, l’article 351 TFUE ne comporte pas de disposition analogue en ce qui concerne les conventions conclues antérieurement par les États membres. L’article 351 TFUE n’oblige nullement les organes de l’Union à adapter le droit de l’Union aux conventions conclues antérieurement par les États membres. En revanche, les États membres sont tenus, en vertu de l’article 351, deuxième alinéa, TFUE de recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités éventuellement constatées entre les conventions qu’ils ont conclues antérieurement et les traités fondateurs de l’Union (TUE, TCE et TFUE). Au besoin, ils doivent adapter ou dénoncer les conventions signées antérieurement avec des pays tiers (42).
59. En application de l’article 351 TFUE, l’Union n’est donc pas liée par la convention de Chicago.
ii) Pas d’effet contraignant de la convention de Chicago sur le fondement de la succession fonctionnelle
60. Le recours à la théorie de la succession fonctionnelle n’a pas davantage pour effet de rendre la convention de Chicago obligatoire pour l’Union.
61. La théorie de la succession fonctionnelle trouve son origine dans l’arrêt International Fruit Company e.a. La Cour y a jugé que la Communauté économique européenne de l’époque était liée par les dispositions de l’accord du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) 1947, même si elle n’avait pas formellement pris part à cet accord, dans la mesure où, en vertu du traité CEE, elle assumait les compétences précédemment exercées par ses États membres dans le domaine concerné (43).
62. Cette jurisprudence relative au GATT n’est pas transposable purement et simplement à d’autres conventions internationales (44). En particulier, elle ne peut pas s’appliquer au domaine, ici en cause, de la navigation aérienne.
63. En effet, d’une part, les compétences des États membres qui ont été transférées à l’Union sont certes nombreuses dans le domaine de la navigation aérienne, mais – contrairement à ce que prétendent les requérantes au principal et les parties intervenantes qui les soutiennent – il ne s’agit pas d’un transfert intégral (45). Ainsi, il existe des accords dans le domaine de l’aviation qui ont été conclus jusqu’à une époque toute récente en tant qu’«accords mixtes», auxquels les États membres sont également parties à côté de l’Union (46).
64. D’autre part, rien ne permet de considérer que l’Union européenne et avant elle la Communauté européenne interviennent dans le cadre de l’OACI en tant que successeurs de leurs États membres, ni qu’une intervention en cette qualité recueille l’approbation des autres parties contractantes à la convention de Chicago, comme c’était le cas pour l’accord du GATT 1947 (47). Il résulte également du dossier que l’Union n’a qu’un simple statut d’observateur à l’OACI et coordonne, en amont des séances des organes de l’OACI, les points de vue de ses États membres, mais n’intervient pas dans ces instances – en tout cas en l’état actuel des choses – à la place de ses États membres (48). Les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent l’ont reconnu, en réponse une question, à l’audience devant la Cour.
65. Dans ces conditions, il ne saurait être question de succession ayant conduit l’Union à reprendre les rôles de ses États membres dans le cadre de l’OACI et à se trouver elle-même – matériellement – liée par la convention de Chicago. Le seul fait que tous les États membres de l’Union européenne soient parties à la convention de Chicago ne suffit pas, en soi, à créer un effet obligatoire de cette convention pour l’Union (49).
iii) Conclusion intermédiaire
66. L’Union européenne n’étant donc pas liée par la convention de Chicago, cette convention ne peut pas être invoquée en tant que norme au regard de laquelle la Cour contrôle la validité de la directive 2008/101. Le fait que tous les États membres de l’Union soient parties à la convention de Chicago pourra néanmoins être pris en compte pour l’interprétation des dispositions du droit de l’Union (50); cela résulte du principe général de la bonne foi, qui vaut aussi en droit international et dont l’article 4, paragraphe 3, TFUE représente une illustration particulière dans le droit de l’Union (51).
b) Le protocole de Kyoto et l’accord ciel ouvert [première question, sous f) et g)]
67. Il est incontestable que l’Union européenne – et avant elle la Communauté économique européenne – est liée par le protocole de Kyoto et l’accord ciel ouvert, en tant que partie à ces deux conventions (voir aussi article 216, paragraphe 2, TFUE et article 1er, troisième alinéa, troisième phrase, TUE). La première des deux conditions mentionnées au point 49 ci-dessus est donc remplie, dans les deux cas. Reste à examiner si la seconde condition est elle aussi satisfaite, c’est-à-dire si le protocole de Kyoto et l’accord ciel ouvert sont susceptibles, par leur nature et leur économie, de servir de critères pour le contrôle de légalité d’un acte de l’Union, et si les dispositions concernées de ces accords sont inconditionnelles et suffisamment précises.
i) Observation liminaire
68. Toute convention internationale conclue par l’Union européenne est obligatoire pour elle au sens du droit international à l’égard des autres parties contractantes. La valeur interne de ces conventions en droit de l’Union est cependant une autre question, qui ne relève pas du droit international, mais du droit de l’Union. Dans sa jurisprudence constante, la Cour conçoit cette question ainsi: les conventions internationales conclues par l’Union font partie intégrante du droit de l’Union à compter de leur date d’entrée en vigueur (52). Il résulte en outre de l’article 216, paragraphe 2, TFUE que les accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres. Il faut cependant distinguer la question de la force contraignante d’une convention internationale de celle des effets produits par ses dispositions dans un litige concret. En effet, la nature et l’économie de la convention en cause peuvent avoir pour résultat que ses dispositions ne peuvent pas être invoquées à l’intérieur de l’Union, ou seulement dans une mesure très limitée, lors du contrôle juridictionnel de la validité d’actes des institutions de l’Union.
69. Pour décider quels effets s’attachent dans l’Union aux dispositions d’un accord conclu entre l’Union européenne et des pays tiers, on ne peut pas faire abstraction de l’origine internationale des dispositions en cause. Si l’accord ne comporte pas – comme c’est souvent le cas – de règle expresse sur la question des effets produits par ses dispositions dans l’ordre juridique interne des parties contractantes, c’est aux juridictions compétentes qu’il incombe de trancher cette question d’interprétation (53), en se fondant en particulier sur l’esprit, l’économie ou les termes de l’accord (54). En toute hypothèse, c’est à la Cour qu’il appartient de déterminer, en se fondant sur les critères susmentionnés, si les dispositions d’un accord international engendrent pour les justiciables de l’Union le droit de s’en prévaloir en justice, en vue de contester la validité d’un acte juridique de l’Union (55).
70. C’est ainsi, par exemple, que la Cour estime dans sa jurisprudence constante, en ce qui concerne les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les décisions des instances de l’OMC, que celles-ci, de par leur nature et leur économie, ne peuvent pas être invoquées comme normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes de l’Union. La Cour justifie cette position, en substance, par la grande souplesse (ou flexibilité) du GATT (et aujourd’hui des règles de l’OMC), qui repose sur le principe de négociations et l’idée de réciprocité et d’avantages mutuels (56).
71. En outre, et de façon bien plus générale, une convention internationale ne peut être invoquée en justice par des particuliers (personnes physiques ou morales) en tant que norme au regard de laquelle s’apprécie la légalité d’un acte d’un organe de l’Union que si, de par sa nature et son économie, elle est susceptible de conférer aux particuliers des droits dont ils peuvent se prévaloir devant les juridictions (57). En d’autres termes, la convention internationale en question doit affecter directement la situation des particuliers (58).
72. La situation des particuliers se trouve affectée lorsque des droits et des libertés autonomes sont conférés aux particuliers dans une convention internationale (59), comme c’est le cas, par exemple, dans les nombreux accords d’association, de coopération ou de partenariat conclus par l’Union européenne (60). Les accords en matière de protection de l’environnement peuvent eux aussi contenir des dispositions dont tout intéressé peut se prévaloir en justice (61).
73. La possibilité assortie de limites pour les particuliers de se prévaloir en justice de conventions internationales comme critères du contrôle de validité s’explique par l’objectif que constitue la protection individuelle des droits: les particuliers ne bénéficient en général, dans le droit de l’Union – comme dans la plupart des ordres juridiques nationaux –, d’une protection juridictionnelle que si cela est nécessaire pour préserver les droits ou libertés qui leur sont garantis (voir aussi article 47, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne).
74. Dans ces conditions, il convient, en l’espèce, d’analyser dans un premier temps l’accord ciel ouvert et le protocole de Kyoto, pour vérifier s’ils peuvent, par leur nature et leur économie, conférer des droits susceptibles d’être invoqués en justice par les particuliers. Puis, il faudra rechercher concrètement si les dispositions de ces conventions spécifiquement visées ont un contenu inconditionnel et suffisamment précis pour pouvoir être invoquées en justice.
75. On peut laisser de côté ici la question de savoir si d’autres conditions plus favorables ne s’appliquent pas dans l’hypothèse où des requérants privilégiés au sens de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE font valoir, dans le cadre d’un recours en annulation, qu’un acte juridique de l’Union enfreint les obligations internationales de celle-ci (62). En effet, le droit international public fait partie intégrante du droit de l’Union et les requérants privilégiés dans le système des traités de l’Union européenne ne sont pas seulement habilités à invoquer leurs propres droits, mais aussi à contribuer au contrôle de légalité des actes des institutions de l’Union dans l’intérêt général. Cet intérêt inclut notamment, conformément à l’article 3, paragraphe 5, deuxième phrase, TUE le strict respect du droit international.
ii) Le protocole de Kyoto [première question, sous g)]
76. En ce qui concerne le protocole de Kyoto, seules les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent sont d’avis qu’il pourrait être appliqué directement. Les institutions et gouvernements qui ont pris part à la procédure ainsi que les organisations environnementales ont adopté un point de vue diamétralement opposé et considèrent que le protocole de Kyoto ne peut pas servir de critère pour le contrôle de validité de la directive 2008/101.
77. Cette dernière position est convaincante. Ni la nature ni l’économie du protocole de Kyoto dans son ensemble, ni la disposition concrètement en cause (son article 2, paragraphe 2) sur un plan plus spécifique, ne permettent de conclure en faveur d’une applicabilité directe.
– La nature et l’économie du protocole de Kyoto
78. Le protocole de Kyoto est un accord sur l’environnement et la lutte contre le changement climatique. Il s’agit d’un protocole additionnel à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (63).
79. L’objectif ultime de la convention-cadre et de tous les instruments juridiques connexes qui s’y rattachent est de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique (64). Le préambule de la convention-cadre insiste notamment sur la préoccupation pour l’humanité que représentent les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes (65); il appelle tous les pays à coopérer le plus possible (66) et réaffirme que le principe de la souveraineté des États doit présider à la coopération internationale destinée à faire face aux changements climatiques (67).
80. L’objectif ainsi défini et le contexte général dans lequel s’inscrit le protocole de Kyoto montrent déjà qu’il s’agit d’un instrument juridique régissant uniquement les relations entre les États (68) et les obligations de ceux-ci dans le cadre des efforts déployés au niveau mondial pour lutter contre le changement climatique.
81. Cette impression se confirme si l’on jette un regard sur les principales dispositions du protocole de Kyoto lui-même: il contient, en vue de promouvoir le développement durable, une énumération non exhaustive de politiques et de mesures que certaines parties contractantes (essentiellement les pays développés) doivent mettre en œuvre afin de s’acquitter de leurs obligations de limitation et de réduction des émissions de gaz à effet de serre (69).
82. On peut certainement considérer que les mesures de protection du climat prises par les parties contractantes dans le cadre du protocole de Kyoto produiront des effets à moyen et à long terme en faveur des particuliers, en ce qu’elles visent à préserver l’environnement. Il est également vraisemblable que certaines des mesures prises impliqueront des contraintes pour les particuliers. De tels effets n’ont cependant qu’une nature indirecte. Ni la convention-cadre ni le protocole de Kyoto ne contiennent de dispositions concrètes susceptibles d’affecter directement la situation des particuliers. Tout au plus trouve-t-on quelques références générales à l’«humanité» et aux «hommes» (70) dans ces instruments juridiques.
83. Tout cela va à l’encontre de l’idée selon laquelle les particuliers pourraient se prévaloir en justice du protocole de Kyoto, surtout s’il s’agit de ressortissants d’États n’ayant pas ratifié ce protocole (71).
84. S’y ajoute le fait que les engagements de limiter et de réduire les émissions souscrits dans le protocole de Kyoto sont certes quantifiés, mais laissent aux parties contractantes un vaste pouvoir d’appréciation en ce qui concerne les politiques à mettre en œuvre concrètement et les mesures matérielles à prendre, en fonction de leur situation nationale (72). Les obligations résultant du protocole de Kyoto ont toutes besoin de mesures d’application et ne sont, au demeurant, pas assez précises pour pouvoir produire des effets directs au profit ou à la charge des particuliers (73).
– L’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto
85. L’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto, disposition concrètement invoquée devant la juridiction de renvoi, s’insère parfaitement dans la continuité de ce qui vient d’être dit. Les parties contractantes y sont convenues (pour ce qui nous intéresse ici) de poursuivre, dans le cadre de l’OACI, leurs efforts en vue de limiter ou de réduire les émissions de certains gaz à effet de serre résultant des transports aériens.
86. La disposition en question se borne donc à prévoir certains rapports de droit entre les parties au protocole de Kyoto. Elle décrit le cadre dans lequel les parties contractantes entendent coopérer pour limiter ou réduire les émissions de certains gaz à effet de serre résultant du transport aérien. La situation des particuliers n’est pas affectée par cette disposition. La méthode décrite à l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto – à savoir la coopération des parties contractantes dans le cadre de l’OACI – n’a pas, en particulier, le caractère d’une garantie procédurale qui aurait pour objet ou même seulement pour effet de protéger les droits ou intérêts des particuliers.
87. C’est pourquoi les particuliers ne peuvent pas se prévaloir devant les juridictions de l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto, ce qui a pour conséquence que cette disposition ne peut pas servir, dans le cas d’espèce, de critère pour le contrôle de la validité de la directive 2008/101.
iii) L’accord ciel ouvert [première question, sous f)]
88. En ce qui concerne à présent l’accord ciel ouvert, la majorité des institutions et des gouvernements ayant pris part à la procédure lui dénient de façon générale toute aptitude à affecter la situation des particuliers. La Commission et le gouvernement français admettent, quant à eux, que, en principe, les personnes physiques et morales peuvent se prévaloir en justice de l’accord ciel ouvert (74).
89. Nous nous rallions à ce dernier point de vue. Cela est plus conforme tant à la nature et à l’économie de l’accord ciel ouvert qu’aux diverses dispositions de cet accord qui sont ici en cause.
– La nature et l’économie de l’accord ciel ouvert
90. Il est vrai que certaines formules contenues dans l’accord ciel ouvert laissent penser que cet accord sur les transports aériens régit les rapports entre les parties contractantes, et donc entre l’Union européenne – antérieurement la Communauté européenne – ainsi que ses États membres, d’une part, et les États‑Unis, d’autre part (75).
91. Un certain nombre d’autres formules dans l’accord ciel ouvert se réfèrent cependant spécifiquement aux droits et aux obligations des particuliers; ainsi, l’accord s’adresse directement aux compagnies aériennes et autres prestataires de services (76). Il prévoit même, dans certaines parties, des droits au profit de «toute personne» (77). De telles formules amènent à conclure que l’accord ciel ouvert affecte aussi la situation des particuliers, notamment celle des entreprises.
92. Cette impression se confirme si l’on inclut le préambule de l’accord ciel ouvert dans cette réflexion. Il y est question de la «concurrence entre transporteurs», qui doit être promue (78) sur le marché avec un «minimum d’intervention et de régulation étatiques» et renforcée (79), tout en étant préservée (80) des aides d’État susceptibles de la fausser. L’intention y est exprimée d’«ouvrir les marchés» (81) et le souhait formulé de «permettre aux transporteurs aériens d’offrir aux passagers et aux expéditeurs des prix et des services compétitifs sur des marchés ouverts» (82); en outre, l’accès des transporteurs aériens aux marchés mondiaux de capitaux doit être amélioré (83). Il s’agit donc de mettre en œuvre des libertés économiques classiques. La fixation de tels objectifs est caractéristique des conventions internationales dont le contenu ne se limite pas à régir les relations entre les parties contractantes, mais intègre dans sa réflexion la situation des opérateurs économiques individuels. Une illustration particulièrement évidente de cela est le rôle reconnu à l’individu dans l’accord ciel ouvert partout où il est question d’entreprises (de transport aérien), de passagers, de voyageurs, d’expéditeurs, de consommateurs, et même de personnel (84).
93. L’arrêt Intertanko e.a. (85), que plusieurs institutions et gouvernements ont cité dans les observations qu’ils ont présentées devant la Cour, ne s’oppose pas à l’idée selon laquelle l’accord ciel ouvert affecte la situation des particuliers.
94. Il est vrai que, dans l’affaire Intertanko e.a., la Cour a déduit de la nature et de l’économie de la convention des Nations unies sur le droit de la mer (86) que cette convention ne régissait que les relations entre les parties signataires et ne conférait aucun droit ou liberté autonome aux particuliers, même s’il y est parfois question des navires et de leurs droits (87). Les droits et obligations de ceux qui naviguent dans les eaux maritimes ne sont envisagés dans l’arrêt Intertanko e.a. que comme la traduction des droits et des obligations liés à l’État de leur pavillon (88).
95. Toutefois, le seul fait que l’exercice de droits résultant d’une convention internationale puisse être lié à la nationalité de l’intéressé ou à l’État d’immatriculation du navire ou de l’aéronef n’empêche pas que la disposition conventionnelle concernée soit directement applicable (89). Le principe généralement admis qui veut que tout État fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité (90) n’exclut pas non plus en soi que les dispositions afférentes à la nationalité ou à l’appartenance étatique dans les conventions internationales affectent la situation des particuliers.
96. La très grande majorité des conventions internationales prévoit des droits et des obligations uniquement pour les ressortissants des États signataires. Si l’on devait, du seul fait de ce lien avec la nationalité, exclure l’applicabilité directe, alors les particuliers ne pourraient pratiquement jamais se prévaloir des dispositions des conventions internationales qui les concernent.
97. Indépendamment de cela, la solution énoncée par l’arrêt Intertanko e.a. pour la convention sur le droit de la mer ne peut pas être sommairement transposée à l’accord ciel ouvert qui nous intéresse ici.
98. En effet, la convention sur le droit de la mer insiste beaucoup plus sur la réglementation des relations entre les États et accorde une place bien plus réduite à la situation des particuliers que ne le fait l’accord ciel ouvert. L’objectif principal de la convention sur le droit de la mer est en effet de codifier, de préciser (91) et de développer (92) les règles du droit international général relatives à la coopération pacifique de la communauté internationale lors de l’exploration, de l’utilisation et de l’exploitation des espaces maritimes, ainsi que de créer une «constitution des océans». Il s’agit d’établir un juste équilibre entre les intérêts des États en leur qualité d’États côtiers et les intérêts des États en leur qualité d’États du pavillon, qui peuvent s’opposer; les parties contractantes entendent donc fixer les limites matérielles et territoriales de leurs droits souverains respectifs (93).
99. Dans l’accord ciel ouvert, les références aux particuliers et aux entreprises sont nettement plus présentes que dans la convention sur le droit de la mer (94), et le préambule de l’accord ciel ouvert souligne, comme nous l’avons dit (95), l’importance de l’individu et des entreprises avec une clarté qui ne trouve pas d’équivalent dans la convention sur le droit de la mer.
100. En outre, l’existence d’un comité mixte et d’une procédure d’arbitrage pour régler les différends entre les parties concernant l’application ou l’interprétation de l’accord ciel ouvert (96) n’exclut pas nécessairement que cet accord puisse affecter les situations des particuliers et que certaines de ses dispositions puissent s’appliquer directement aux personnes physiques ou morales (97). En effet, à la différence du droit de l’OMC, l’accord ciel ouvert repose beaucoup moins sur les négociations entre les parties et la réciprocité (98).
101. Tout bien pesé, nous sommes donc d’avis que l’accord ciel ouvert peut affecter la situation des particuliers, par sa nature et son économie. Dans le cadre de recours formés par des particuliers, l’accord ciel ouvert peut donc, en principe, servir de critère au contrôle de validité d’actes du droit de l’Union.
– Le caractère inconditionnel et suffisamment précis des dispositions de l’accord ciel ouvert ici en cause
102. La juridiction de renvoi interroge plus précisément la Cour au sujet de trois dispositions de l’accord ciel ouvert: les articles 7, 11, paragraphe 2, sous c), et 15, paragraphe 3. Il va donc falloir vérifier que chacune de ces dispositions est inconditionnelle et suffisamment précise pour pouvoir servir de critère pour le contrôle de légalité de la directive 2008/101.
103. L’article 7 de l’accord ciel ouvert prévoit – pour simplifier le propos – que les lois et dispositions édictées par une partie contractante sur son territoire valent aussi pour les aéronefs ainsi que les passagers, équipages et frets des aéronefs de l’autre partie et doivent être respectées par ceux-ci. Cette disposition est inconditionnelle, elle ne suppose en particulier aucune mesure d’exécution interne de la part des parties à l’accord ciel ouvert. La disposition est en outre suffisamment précise pour que l’on puisse identifier ses effets juridiques pour les particuliers: elle explique en détails de quelle sorte de lois et de dispositions juridiques il s’agit (99) et affirme de façon catégorique que ces lois et dispositions s’appliquent et doivent être observées. De surcroît, elle s’adresse concrètement aux particuliers en tant que destinataires: il s’agit spécifiquement des compagnies aériennes (et leurs aéronefs et frets) ainsi que des passagers et des équipages d’avions auxquels les lois et dispositions en question s’appliquent, et qui doivent les observer. Ainsi l’article 7 de l’accord ciel ouvert remplit toutes les conditions pour pouvoir être directement applicable.
104. L’article 11, paragraphe 2, sous c), de l’accord ciel ouvert prévoit – pour simplifier – une exemption de taxes, droits de douane, de redevances et de prélèvements sur les carburants, lubrifiants et fournitures techniques des aéronefs des parties contractantes. Cette disposition est certes suffisamment précise pour pouvoir s’appliquer directement, car elle indique concrètement quels sont les objets pouvant bénéficier de l’exemption et sur quoi porte l’exemption. Toutefois, la disposition n’est pas inconditionnelle, car elle n’accorde l’exemption que «sur une base de réciprocité» (100). Le point de savoir si une compagnie aérienne peut à un moment donné se prévaloir de l’exemption vis-à-vis d’une autre partie à l’accord dépend donc du comportement de cette autre partie à la date considérée. Une compagnie aérienne américaine ne peut invoquer l’exemption prévue par l’accord ciel ouvert auprès des autorités européennes que si, et seulement si, à la date considérée, les autorités de son propre pays d’établissement accordent aux compagnies aériennes européennes une exemption correspondante. L’existence de cette condition a pour conséquence que les conditions d’une application directe ne sont pas remplies par l’article 11, paragraphe 2, sous c), de l’accord ciel ouvert.
105. L’article 15, paragraphe 3, première phrase, de l’accord ciel ouvert prévoit que, lorsque des mesures de protection de l’environnement sont adoptées, les normes sur la protection de l’environnement adoptées par l’OACI pour la navigation aérienne doivent être respectées, «sauf dans les cas où des différences par rapport à ces normes ont été notifiées». Cette disposition ne paraît pas inconditionnelle ni suffisamment précise pour pouvoir être directement applicable: elle renvoie dans le dernier membre de phrase («sauf») au droit de l’OACI et ne régit pas elle-même les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux règles de l’OACI en matière de protection de l’environnement. En outre, on ne voit tout simplement pas comment cette disposition pourrait affecter la situation des particuliers: il s’agit de l’«adoption» dans l’intérêt général de mesures de protection de l’environnement, et non pas de leur application aux compagnies aériennes.
106. À l’article 15 paragraphe 3, deuxième phrase, de l’accord ciel ouvert, les parties s’engagent à appliquer les mesures de protection de l’environnement ayant une incidence sur les services aériens conformément aux articles 2 et 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert. Cette disposition concerne, à la différence de l’article 15, paragraphe 3, première phrase, spécifiquement l’application de mesures de protection de l’environnement aux compagnies aériennes et peut donc avoir une incidence concrète sur la situation juridique de ces dernières. Du point de vue de son contenu, cette disposition prévoit que les mesures de protection de l’environnement doivent être appliquées aux compagnies aériennes dans le respect du principe de concurrence loyale et équitable (article 2 de l’accord ciel ouvert). En outre, le droit pour les compagnies aériennes de définir la fréquence et la capacité du service aérien international qu’elles souhaitent offrir sur la base de considérations commerciales relatives au marché (article 3, paragraphe 4, première phrase) doit en particulier être préservé. De plus, des conditions uniformes conformes aux dispositions de l’article 15 de la convention de Chicago (accord OACI) doivent être appliquées (article 3, paragraphe 4, deuxième phrase, de l’accord ciel ouvert). Toutes ces exigences ont en définitive en commun l’idée que les mesures de protection de l’environnement ne doivent pas être appliquées de façon discriminatoire vis-à-vis des compagnies aériennes et ne doivent pas porter atteinte aux possibilités pour les compagnies aériennes de se faire concurrence. De telles exigences sont inconditionnelles et suffisamment précises. Tout comme le principe de non-discrimination connu des divers accords d’association, de coopération et de partenariat, et comme les principes de concurrence (101) en vigueur dans le marché intérieur, elles sont susceptibles d’une application directe.
iv) Conclusion intermédiaire
107. Seuls peuvent donc être invoqués comme critères du contrôle de légalité de la directive 2008/101 les articles 7 et 15, paragraphe 3, deuxième phrase, de l’accord ciel ouvert.
2. Le droit international coutumier [première question, sous a) à d)]
108. Le fait que l’Union européenne soit liée, outre par les conventions internationales qui lui sont applicables, également par le droit international coutumier est un principe généralement reconnu (102), qui trouve une confirmation dans l’article 3, paragraphe 5, deuxième phrase, TUE («strict respect et […] développement du droit international»). Les principes en question du droit international coutumier font partie de l’ordre juridique de l’Union (103).
109. La jurisprudence des juridictions de l’Union n’a cependant pas encore mis au jour de critères clairs permettant d’apprécier si, et à quelles conditions, un principe tiré du droit international coutumier peut constituer un critère susceptible d’être utilisé pour le contrôle de validité d’actes de l’Union. En effet, par le passé, les juridictions de l’Union n’avaient pas encore été amenées, semble-t-il, à procéder à un tel contrôle de validité, le droit international coutumier n’ayant été invoqué jusqu’à présent dans la jurisprudence qu’aux fins de l’interprétation de dispositions et de principes du droit de l’Union (104).
110. Ainsi que l’indiquent avec raison plusieurs institutions et gouvernements ayant pris part à la procédure, ces critères ne devraient pas être différents de ceux qui sont appliqués lorsqu’il s’agit de vérifier si, et à quelles conditions, la validité d’actes juridiques de l’Union peut être appréciée au regard de conventions internationales.
111. D’une part, on ne voit pas pour quelle raison valable un particulier pourrait se prévaloir de principes du droit international coutumier à des conditions moins strictes que de conventions internationales. Les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent n’ont d’ailleurs pas avancé une telle raison dans la procédure devant la Cour.
112. D’autre part, de nombreux principes du droit international coutumier ont été, au fil des années, codifiés dans des conventions internationales (105). Il ne serait pas logique que le même principe de droit international puisse être invoqué par les particuliers à des conditions différentes selon qu’il est cité comme principe du droit international coutumier ou comme principe du droit international issu de conventions.
113. En nous inspirant de la jurisprudence relative aux conventions internationales (106), examinée plus haut, nous proposons donc à la Cour de ne reconnaître les principes du droit international coutumier comme critères du contrôle de la validité d’actes de droit de l’Union que si deux conditions sont remplies:
– il doit d’abord exister un principe de droit international coutumier qui lie l’Union européenne;
– il faut ensuite que la nature et l’économie dudit principe de droit international coutumier ne fassent pas obstacle à un tel contrôle de validité, le principe en cause devant au surplus être inconditionnel et suffisamment précis.
114. Dans le cadre du second critère, il faudra aussi prendre en considération le fait que la question de la validité de la directive 2008/101 se pose ici à l’occasion d’un recours formé par des particuliers – plusieurs compagnies aériennes et une association de compagnies aériennes (107).
a) Sur l’existence des principes de droit international coutumier en cause et leur caractère contraignant pour l’Union européenne
115. Ainsi qu’il ressort notamment de l’article 38, paragraphe 1, sous b), du statut de la Cour internationale de justice (108), le droit international coutumier est l’une des sources généralement reconnues du droit international. Pour qu’il prenne naissance, il faut une pratique générale de la part des sujets concernés de droit international public (consuetudo; élément objectif), qui soit acceptée comme étant le droit (opinio iuris sive necessitatis; élément subjectif) (109).
116. Des accords multilatéraux auxquels un très grand nombre, représentatif, de sujets de droit international a adhéré ont eu pour effet de codifier certains principes du droit international coutumier. Tel est notamment le cas de dispositions de la convention de Chicago (110), de la convention sur la haute mer (111) et de parties de la convention sur le droit de la mer (112).
117. Les parties à la présente procédure préjudicielle sont d’accord pour admettre, en principe, que la convention de Chicago et la convention sur le droit de la mer, notamment, peuvent fournir des indications quant à l’existence ou à l’absence des principes de droit international coutumier dont il est question, et à leur caractère obligatoire pour l’Union européenne.
i) La souveraineté des États sur leur espace aérien [première question, sous a)]
118. Le principe de la souveraineté des États sur leur espace aérien (parfois aussi appelé «souveraineté aérienne») est la conséquence de la souveraineté exercée par les États sur leur territoire (113). Dès 1919, il était énoncé par l’article 1er de la convention de Paris portant réglementation de la navigation aérienne (114); à l’heure actuelle, il est codifié par l’article 1er de la convention de Chicago, à laquelle à ce jour 190 États ont adhéré en qualité de parties signataires, dont les États membres de l’Union européenne au complet. La règle de droit international conventionnel inscrite dans la convention de Chicago n’a fait que donner forme, ainsi que l’a reconnu la Cour internationale de justice, à un principe qui existait depuis longtemps en droit international coutumier (115).
119. Le fait que l’Union européenne ne soit pas elle-même partie à la convention de Chicago n’empêche pas qu’elle soit liée par le principe de droit international coutumier, codifié dans cette convention, de la souveraineté des États sur leur espace aérien (116). En effet, un principe de droit international coutumier a une existence autonome, à côté des accords internationaux dans lesquels il est codifié (117).
ii) L’illégitimité des revendications de souveraineté sur la haute mer [première question, sous b)]
120. Le principe qui veut qu’aucun État ne puisse prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté est une émanation de la théorie de la liberté de la haute mer, dont les origines conceptuelles remontent au moins à 1609 (118). La liberté de la haute mer a été reconnue au niveau international au début du XXe siècle au plus tard (119).
121. En 1958, le principe selon lequel aucun État ne peut prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté a été codifié par l’article 2, paragraphe 1, de la convention sur la haute mer et a été repris ensuite dans la disposition intitulée «Illégitimité des revendications de souveraineté sur la haute mer» de l’article 89 de la convention sur le droit de la mer. Ont adhéré à ce jour à la convention sur le droit de la mer 162 parties, dont l’Union européenne – antérieurement la Communauté européenne (120) – et l’ensemble de ses États membres.
122. Étant donné que la pratique des États remonte au minimum à un siècle – si ce n’est plus – et qu’elle est largement reconnue avec la participation de l’Union européenne et de tous ses États membres, on peut considérer que l’article 89 de la convention sur le droit de la mer opère une codification du principe de droit international coutumier (121) qui lie l’Union. Aucune des parties ou des instances ayant pris part à la présente procédure ne remet cela en cause.
123. Des doutes ont été sporadiquement exprimés au cours de la présente procédure sur le point de savoir si le principe de l’illégitimité des revendications de souveraineté sur la haute mer peut présenter un intérêt pour le contrôle de validité de la directive 2008/101. Il suffit d’indiquer à cet égard que, en vertu de la jurisprudence constante, les questions posées par la juridiction de renvoi bénéficient d’une présomption de pertinence (122). Dès lors que la première question, sous b), ne semble pas manifestement dépourvue de pertinence pour la solution du litige au principal, elle doit être examinée par la Cour.
iii) La liberté de survol de la haute mer [première question, sous c)]
124. La liberté de survol de la haute mer (ci-après la «liberté de survol») a également été mentionnée dès 1958 à l’article 2, paragraphe 3, quatrième phrase, de la convention sur la haute mer et est aujourd’hui codifiée à l’article 87, paragraphe 1, troisième phrase, sous b), de la convention sur le droit de la mer.
125. Pour les mêmes raisons qu’évoquées précédemment au regard de l’illégalité des revendications de souveraineté sur la haute mer (123), la liberté de survol de la haute mer doit être considérée comme un principe du droit international coutumier qui lie l’Union.
iv) La prétendue souveraineté exclusive sur les aéronefs survolant la haute mer [première question, sous d)]
126. À la différence des principes de droit international coutumier examinés jusqu’à présent, le quatrième principe évoqué par la juridiction de renvoi a une existence controversée.
127. Les requérantes au principal ainsi que les associations qui les soutiennent font valoir qu’il résulterait du droit international coutumier que les aéronefs qui survolent la haute mer relèvent de la souveraineté exclusive de l’État dans lequel ils sont immatriculés, à moins qu’un traité de droit international n’en dispose expressément autrement. Tandis que certains des gouvernements et des institutions ne se sont pas interrogés à ce sujet, d’autres participants à la procédure – à savoir les gouvernements allemand, français, du Royaume-Uni et norvégien, ainsi que la Commission et les organisations environnementales – sont résolument d’avis qu’il n’existe aucun tel principe dans le droit international coutumier.
128. En réalité, il existe un principe en vertu duquel – pour dire les choses simplement – les moyens de transport en haute mer sont soumis exclusivement à la souveraineté de l’État de leur pavillon, qui n’est codifié que pour les navires et non pour les aéronefs. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’article 92, paragraphe 1, première phrase, de la convention sur le droit de la mer, mais aussi à la disposition qui l’a précédé, à savoir l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la convention de 1958 sur la haute mer.
129. Les dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la convention sur la haute mer et de l’article 92 de la convention sur le droit de la mer ne permettent pas de conclure purement et simplement à une application par analogie aux aéronefs. Un examen d’ensemble de ces deux accords multilatéraux montre que leurs rédacteurs ont clairement voulu distinguer les navires des aéronefs et ont expressément mentionné ces moyens de transport dans les nombreuses dispositions qui valent soit pour les deux types, soit spécifiquement pour l’un des deux (124).
130. Dans ces conditions, l’article 6 de la convention sur la haute mer et l’article 92 de la convention sur le droit de la mer, dès lors qu’ils ne mentionnent pas les aéronefs, ne peuvent pas être considérés comme des preuves de l’existence d’un prétendu principe de droit international coutumier concernant ceux-ci. Cela est d’autant plus vrai que la convention de Chicago, qui vise spécifiquement la navigation aérienne, n’énonce pas non plus de principe de souveraineté exclusive de l’État d’immatriculation sur ses aéronefs survolant la haute mer. En outre, la convention de Tokyo (125), qui a, comme la convention de Chicago, une portée quasi mondiale, contient en son article 4 une disposition qui permet aux États de gêner l’exploitation d’un aéronef en vol à des fins de sanctions pénales, dans des limites définies, alors même qu’ils n’en sont pas l’État d’immatriculation.
131. La jurisprudence existant à ce jour à propos du principe litigieux n’a concerné – semble-t-il – que les navires et non les aéronefs (126).
132. Dans ces conditions, nous proposons à la Cour de juger que, en l’état actuel du droit, rien ne permet de conclure à l’existence d’un principe de droit international coutumier qui voudrait que «les aéronefs survolant la haute mer relèvent de la souveraineté exclusive de l’État dans lequel ils sont immatriculés, à moins qu’un traité de droit international n’en dispose expressément autrement».
133. Il s’ensuit qu’un tel principe ne peut pas servir de critère au contrôle de la validité d’actes de l’Union tels que la directive 2008/101.
b) Sur l’aptitude desdits principes de droit international coutumier à servir de critères pour un contrôle de validité dans le cadre d’un recours formé par des personnes physiques ou morales
134. Même si un principe du droit international coutumier qui lie l’Union européenne est pour elle contraignant au sens du droit international, il se peut que, du fait de la nature et de l’économie dudit principe, il ne puisse pas être utilisé à l’intérieur de l’Union, ou seulement de façon limitée, lors du contrôle de la validité d’actes des organes de l’Union (127), notamment dans le cadre d’instances nées de recours formés par des personnes physiques ou morales.
135. Les trois principes de droit international coutumier sur lesquels porte la première question, sous a) à c), de la High Court ont en commun de déterminer l’étendue des droits souverains des États et de limiter leurs souverainetés respectives.
136. De tels principes ne sont absolument pas aptes, de par leur nature et leur économie, à affecter la situation des particuliers (128). C’est ce qu’ont fait valoir avec raison les institutions et la plupart des gouvernements qui ont pris part à la procédure.
137. C’est pourquoi de tels principes ne peuvent pas être invoqués par des personnes physiques ou morales en tant que critères du contrôle de validité d’actes de l’Union européenne (129).
3. Conclusion intermédiaire
138. Tout bien considéré, parmi les dispositions et principes de droit international évoqués dans la première question préjudicielle, seuls les articles 7 et 15, paragraphe 3, deuxième phrase, de l’accord ciel ouvert sont susceptibles d’être invoqués dans le cadre d’une procédure introduite par une personne physique ou morale en tant que critères du contrôle de validité d’actes de droit de l’Union.
B – Sur la compatibilité de la directive 2008/101 avec les conventions internationales et principes du droit international coutumier invoqués (deuxième, troisième et quatrième questions)
139. Les deuxième à quatrième questions sont consacrées à la compatibilité de la directive 2008/101 avec les conventions internationales et principes du droit international coutumier évoqués par la juridiction de renvoi. Elles sont posées seulement dans l’hypothèse où la première question appellerait une réponse affirmative. Conformément à ce que nous avons dit plus haut, tel n’est le cas que pour les articles 7 et 15, paragraphe 3, deuxième phrase, de l’accord ciel ouvert. Nous examinerons cependant aussi, à toutes fins utiles et pour être complète, la compatibilité de la directive 2008/101 avec les autres dispositions et principes évoqués par la juridiction de renvoi.
140. Au cours de la procédure devant la Cour, des thèses très opposées ont été défendues à ce sujet. Tandis, en effet, que les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent considèrent qu’il y a violation de toutes les conventions internationales et de tous les principes de droit international coutumier en cause, les institutions et gouvernements ayant pris part à la procédure ainsi que les organisations environnementales intervenues ont un point de vue diamétralement opposé.
1. La compatibilité avec certains principes de droit international coutumier (deuxième question)
141. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si les principes de droit international coutumier invoqués par les requérantes au principal ont pour conséquence de rendre la directive 2008/101 invalide, en ce que cette directive relative au système UE d’échange de quotas d’émission étend son champ d’application à des parties de vols s’effectuant en dehors de l’espace aérien des États membres de l’Union européenne.
142. Le fait que l’Union européenne doive exercer ses compétences dans le respect du droit international coutumier (130) est admis par tous.
143. En l’espèce, les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent reprochent essentiellement au législateur de l’Union d’avoir excédé les limites des compétences des États, en violation des principes de droit international coutumier. L’inclusion de parties de vols effectuées à l’extérieur de l’Union européenne reviendrait en effet à adopter une réglementation extraterritoriale portant atteinte à la souveraineté de pays tiers, d’une part, et à la liberté de la haute mer, d’autre part.
144. Ce grief ne saurait être retenu. Il repose sur une lecture erronée et extrêmement superficielle des dispositions de la directive 2008/101.
a) Sur l’absence d’effet extraterritorial du système UE d’échange de quotas d’émission
145. Comme l’ont montré à juste titre plusieurs des institutions et des gouvernements ayant pris part à la procédure, la directive 2008/101 ne contient aucune règle extraterritoriale. Cette directive ne soumet pas l’activité des compagnies aériennes dans l’espace aérien des pays tiers ou au-dessus de la haute mer à une quelconque disposition contraignante du droit de l’Union. En particulier, la directive 2008/101 ne donne lieu à aucune forme d’obligation pour les compagnies aériennes de respecter avec leurs aéronefs certaines routes déterminées ou certaines vitesses maximales, ni encore d’observer certaines valeurs limites en ce qui concerne la consommation de carburant ou l’émission de gaz.
146. Ce que la directive 2008/101 entend régir, ce sont uniquement les décollages et atterrissages d’aéronefs à partir de et sur les aérodromes de l’Union européenne, et ce n’est que pour ces décollages et atterrissages qu’il y a exercice d’une souveraineté à l’égard des compagnies aériennes. En fonction du vol, ces compagnies doivent restituer des quotas d’émission de montants différents (131), dont le non-respect fait peser sur elles la menace de sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’exploitation (132).
147. Le fait que, pour le calcul des droits d’émission à acquitter, on prenne en compte l’ensemble de la route parcourue par le vol en question ne confère pas aux dispositions de la directive 2008/101 un caractère extraterritorial. Il est vrai que l’on prend ainsi pour partie en considération des événements se produisant au-dessus de la haute mer ou du territoire de pays tiers. Ainsi, les compagnies aériennes peuvent se voir indirectement incitées à se comporter, lors du survol de la haute mer ou du territoire de pays tiers, de manière à consommer le moins possible de carburant et à émettre le moins possible de gaz à effet de serre. Il n’existe cependant pas de réglementation concrète de leur comportement dans l’espace aérien extérieur à l’Union européenne.
148. Il n’est nullement inhabituel qu’un État ou une organisation internationale prenne en compte pour l’exercice de droits de souveraineté des circonstances se produisant, ou s’étant produites, en dehors de son champ de compétence territorial. Ainsi, en matière d’impôt sur le revenu, de nombreux États appliquent le principe du revenu mondial. En droit de la concurrence également, ainsi qu’en matière de contrôle des concentrations, il est de pratique dans le monde entier que les autorités de la concurrence s’interposent contre des accords entre entreprises, ces derniers fussent-ils conclus en dehors de leur champ de compétence territorial et eussent-ils, éventuellement, des effets s’exerçant en grande partie en dehors de ce champ territorial (133). Dans une affaire de pêche, la Cour a même jugé que du poisson pêché en haute mer pouvait être confisqué dès lors que le bateau qui battait pavillon d’un pays tiers avait fait escale dans un port de l’Union européenne (134).
149. Ce qui importe du point de vue du droit international, c’est que les faits présentent un lien suffisant avec l’État ou l’organisation internationale concernés. L’élément de rattachement peut reposer sur le principe de territorialité (135), le principe de personnalité (136) ou – plus rarement – le principe d’universalité.
b) Sur l’existence d’un facteur de rattachement territorial suffisant
150. Dans le présent cas, l’Union européenne peut se fonder sur le principe de territorialité.
151. En général, l’Union peut exiger de toutes les entreprises qui souhaitent fournir des prestations dans son ressort territorial qu’elles respectent certaines normes définies dans le droit européen. Ainsi, elle peut exiger des compagnies aériennes que, à l’occasion de tout décollage ou atterrissage effectué sur un aérodrome du territoire de l’Union européenne, elles prennent part aux mesures prescrites par le droit de l’Union pour la protection de l’environnement et du climat (137), en l’espèce le système UE d’échange de quotas d’émission.
152. En effet, le décollage et l’atterrissage sont des éléments essentiels et particulièrement caractéristiques de tout vol. Si le lieu du décollage ou le lieu de destination est un aérodrome situé sur le territoire de l’Union européenne, il existe un facteur de rattachement territorial suffisant pour intégrer le vol en cause dans le système UE d’échange de quotas d’émission.
153. En application du système UE d’échange de quotas d’émission, il peut être demandé aux compagnies aériennes concernées de restituer, lors des décollages et des atterrissages effectués sur un aérodrome européen, des quotas d’émission d’autant plus élevés que le lieu de départ est éloigné du lieu de destination du vol. Une telle prise en compte de la route totale parcourue n’est en définitive que la traduction du principe de proportionnalité et correspond au principe du «pollueur-payeur» connu du droit de l’environnement.
154. Le principe de territorialité n’interdit pas que, lors de l’application de système UE d’échange de quotas d’émission, on prenne aussi en compte les parties de vols se situant en dehors du territoire de l’Union européenne. Une telle approche correspond en effet à la nature et à la finalité des mesures qui visent à protéger l’environnement et le climat. Nul n’ignore que la pollution aérienne n’est pas limitée et que les gaz à effet de serre contribuent, indépendamment du lieu où ils sont émis, au changement climatique à l’échelle mondiale; ils peuvent avoir des répercussions sur l’environnement et le climat dans chaque État ou association d’États, et donc aussi dans l’Union européenne.
155. Une comparaison avec l’affaire de pêche mentionnée ci-dessus est éclairante à cet égard. Si l’Union européenne est habilitée, sur le fondement du principe de territorialité, à confisquer du poisson pêché en dehors de l’Union européenne sur un bateau battant pavillon d’un pays tiers entré dans un port de l’Union européenne (138), alors il ne saurait être interdit de tenir compte, à l’occasion du décollage ou de l’atterrissage d’un aéronef dans un aérodrome de l’Union européenne, des gaz à effet de serre émis par celui-ci en dehors de l’espace aérien de l’Union européenne, pour le calcul des quotas d’émission à restituer.
c) Sur l’absence d’atteinte à la souveraineté des pays tiers
156. Contrairement à ce qu’affirment les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent, la directive 2008/101 n’empêche pas les pays tiers, ni en droit ni en fait, de mettre en vigueur et d’appliquer leur propre système d’échange de quotas d’émission pour la navigation aérienne.
157. Il est vrai que l’inclusion des parties de vols effectuées au-dessus de la haute mer et du territoire d’États tiers implique un risque de «double réglementation», à savoir une double prise en compte de la même partie du trajet dans les systèmes d’échanges de quotas d’émission de deux États. Tel pourrait être en particulier le cas si, tant sur le lieu de départ que de destination d’un vol international, un système d’échange de quotas d’émission s’applique qui – comme la directive 2008/101 – tient compte de l’ensemble du trajet.
158. Toutefois, une double prise en compte de ce type, aussi contraignante qu’elle puisse être pour les compagnies aériennes concernées, n’est pas prohibée par le droit international coutumier. Elle est même admise par celui-ci, comme le montre également le phénomène très répandu de la double imposition dans le domaine des impôts directs (139).
159. Ce n’est que par des mesures unilatérales ou par des accords conclus entre les États ou organisations internationales concernés que l’on peut éviter qu’un seul et même vol ne soit pris en compte deux fois dans le cadre de deux systèmes différents d’échanges de quotas d’émission. Dans la directive 2008/101, le législateur de l’Union s’est expressément déclaré ouvert à une telle possibilité – bien que le droit international coutumier ne lui impose aucune obligation à cet égard – et a également prévu une clause d’ouverture concrète (140).
d) Conclusion intermédiaire
160. En conclusion, l’intégration des parties de trajets effectuées hors du territoire de l’Union européenne dans le système UE d’échange de quotas d’émission ne soulève pas de problème quant à la compatibilité de la directive 2008/101 avec les principes du droit international coutumier.
2. La compatibilité avec certaines conventions internationales (troisième et quatrième questions)
161. Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si la directive 2008/101 est compatible avec diverses dispositions issues de conventions internationales. L’intégration du transport aérien international dans le système UE d’échange de quotas d’émission, telle que réalisée par la directive 2008/101, est critiquée devant la Cour, dans le cadre du contrôle de validité, sous quatre aspects: d’abord, la prise en compte de parties de vols s’effectuant en dehors de l’espace aérien de l’UE (troisième question), ensuite le fait que l’Union européenne ait agi seule en dehors de l’OACI [quatrième question, sous a)], puis l’interdiction des droits à l’entrée et à la sortie [quatrième question, sous b)] et enfin l’interdiction des taxes et des droits de douane sur les carburants dans le transport aérien international [quatrième question, sous c)].
a) Le caractère légal de l’inclusion des parties de vols effectuées hors de l’espace aérien de l’UE dans le système UE d’échange de quotas d’émission (troisième question)
162. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si diverses dispositions de la convention de Chicago et de l’accord ciel ouvert entraînent l’invalidité de la directive 2008/101, dans la mesure où cette directive inclut dans le système UE d’échange de quotas d’émission des parties de vols s’effectuant hors de l’espace aérien des États membres de l’Union européenne.
i) Compatibilité avec les articles 1er, 11 et 12 de la convention de Chicago [troisième question, sous a)]
163. Comme nous l’avons déjà mentionné dans le cadre de la première question, l’Union européenne n’est pas liée par la convention de Chicago; cette convention ne peut donc pas être un critère du contrôle de validité d’un acte de l’Union (141). Étant donné cependant que tous les États membres de l’Union sont parties à la convention de Chicago, celle-ci doit néanmoins être prise en compte pour l’interprétation de dispositions issues du droit de l’Union (142). Il s’ensuit que la directive 2008/101 (ou la directive modifiée) doit être, dans la mesure du possible, interprétée de manière à être conforme à la convention de Chicago.
164. Or, un examen des dispositions de la convention de Chicago invoquées par la juridiction de renvoi montre que celles-ci ne s’opposent pas à la directive 2008/101.
165. En ce qui concerne d’abord l’article 1er de la convention de Chicago, celui-ci ne fait que consacrer le principe de souveraineté des États, en particulier sur l’espace aérien (143). Comme nous l’avons déjà indiqué (144) à propos du droit international coutumier, la directive 2008/101 ne contient aucune réglementation extraterritoriale et ne porte pas atteinte à la souveraineté d’États tiers. Ces considérations valent aussi vis-à-vis de l’article 1er de la convention de Chicago.
166. À propos de l’article 11 de la convention de Chicago, il faut observer que les règles qu’il contient, de par leur libellé, ne se rapportent qu’à l’entrée et à la sortie du territoire des États contractants des aéronefs utilisés pour le transport aérien international ainsi qu’à l’exploitation et au trafic de ces aéronefs dans les États contractants. Cela est confirmé par un examen rapide du contexte dans lequel s’inscrit l’article 11: la disposition fait partie du chapitre II de la convention de Chicago, qui est consacré au vol au-dessus du territoire des États contractants. On ne trouve dans l’article 11 de la convention de Chicago aucune indication sur le point de savoir si un système d’échange de quotas d’émission appliqué par un État contractant peut prendre en compte des parties de vols s’effectuant en dehors de son territoire.
167. La seule règle de fond que l’article 11 de la convention de Chicago édicte quant aux lois et aux règlements des États contractants en matière d’entrée et de sortie ainsi que d’exploitation des aéronefs est l’interdiction des discriminations à l’encontre d’aéronefs en raison de leur État d’appartenance: les lois et règlements concernés doivent s’appliquer «sans distinction de nationalité, aux aéronefs de tous les États contractants». Or le fait que le système UE d’échange de quotas d’émission respecte cette exigence n’a été mis en doute par aucune des parties à la procédure.
168. On ne peut déduire de l’article 11 in fine de la convention de Chicago aucune interdiction de prendre en compte, dans le cadre d’un système d’échange de quotas d’émission d’un État contractant, les parties de vols s’effectuant en dehors de son territoire. Il y est seulement dit que «les lois et règlements d’un État contractant relatifs à l’entrée et la sortie de son territoire […] s’appliquent». C’est précisément cela, et rien d’autre – l’application des règles à l’entrée et à la sortie –, que l’Union européenne exige des compagnies aériennes dans le cadre de son système d’échange de quotas d’émission. Ce système ne contient pas de règles qui devraient être observées pour les parties de vols s’effectuant en dehors du territoire de l’Union européenne.
169. En ce qui concerne enfin l’article 12 de la convention de Chicago, celui-ci concerne les règles de l’air. Or la directive modifiée ne contient aucune règle de cette nature, ni pour le territoire de l’Union européenne, ni pour l’espace aérien au dessus des États tiers, ni pour la haute mer, mentionnée spécifiquement à l’article 12, troisième phrase, de la convention. En particulier, le système UE d’échange de quotas d’émission ne prescrit, comme on l’a vu, aux compagnies aériennes et aux aéronefs qu’elles exploitent, ni une route déterminée, ni une vitesse maximale, ni encore des valeurs limites en ce qui concerne la consommation de carburant ou l’émission de gaz.
170. La référence faite par les requérantes au principal à l’annexe 2 de la convention de Chicago (145), qui contient certaines règles de l’air, n’est pas de nature à accréditer leur thèse. Il est vrai que le paragraphe 3.1.4 de ladite annexe contient une disposition relative aux largages ou aux pulvérisations (146) des aéronefs pendant le vol. Le système UE d’échange de quotas d’émission n’est cependant nullement assimilable à une réglementation des largages ou des pulvérisations de substances et ne contient précisément aucune disposition ni valeurs limites relatives à l’émission de gaz à effet de serre par les moteurs d’aéronefs individuels lors de leurs vols au départ et à destination d’aérodromes de l’Union européenne.
171. Étant donné par conséquent qu’aucun conflit n’est à redouter avec les articles 1er, 11 et 12 de la convention de Chicago, il n’y a pas de raison d’interpréter et d’appliquer la directive 2008/101 de façon restrictive à la lumière de la convention de Chicago. En particulier, il n’y a pas lieu, au regard de cette convention, de limiter le champ d’application du système UE d’échange de quotas d’émission aux parties de vols s’effectuant sur le territoire de l’Union européenne.
ii) Compatibilité avec l’article 7 de l’accord ciel ouvert [troisième question, sous b)]
172. À la différence des dispositions de la convention de Chicago que nous venons d’examiner, l’article 7 de l’accord ciel ouvert peut être invoqué directement comme critère du contrôle de légalité de la directive 2008/101 (147).
173. Il n’existe cependant, en l’espèce, aucune raison de douter de la compatibilité du système UE d’échange de quotas d’émission avec cette disposition de droit international. En effet, l’article 7 de l’accord ciel ouvert prévoit en substance que, sur le territoire d’une partie contractante, les lois et règlements de celle-ci relatifs à l’entrée, à la sortie et à l’exploitation d’aéronefs dans les activités aériennes internationales s’appliquent et doivent être respectés. Ainsi l’article 7 de l’accord ciel ouvert a, pour ce qui nous intéresse ici, un contenu largement équivalent à l’article 11 de la convention de Chicago. Ce qui a été dit à propos de cette dernière disposition (148) peut donc être simplement transposé à l’article 7 de l’accord ciel ouvert.
b) La légitimité de l’action isolée de l’UE, en dehors de l’OACI [quatrième question, sous a)]
174. La première partie de la quatrième question [quatrième question, sous a)] vise à déterminer si l’Union européenne pouvait décider seule d’étendre son système d’échange de quotas d’émission à l’aviation internationale sans attendre d’abord qu’une solution multilatérale soit trouvée au sein de l’OACI. Dans cette perspective, la juridiction nationale demande à la Cour d’examiner la légalité de la directive 2008/101 sous deux angles: d’une part, sa compatibilité avec l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto et, d’autre part, l’éventuelle violation de l’article 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert.
i) Compatibilité avec l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto
175. Les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent estiment que l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto interdit à l’Union européenne de chercher à limiter ou à réduire les gaz à effets de serre provenant des transports aériens en dehors du cadre de l’OACI.
176. Ce point de vue ne saurait convaincre. Comme l’ont souligné à juste titre de nombreux gouvernements et institutions ayant pris part à la procédure, l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto ne fait pas relever la limitation et la réduction des gaz à effet de serre provenant des transports aériens de la compétence exclusive de l’OACI. Cela se déduit tant du libellé de cette disposition que de son contexte et de sa finalité.
177. Le libellé de l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto ne comporte aucune référence à une quelconque exclusivité de ce type. En effet, les efforts pour réduire ou limiter les gaz à effet de serre résultant des activités aériennes ne doivent pas être poursuivis «exclusivement» ou «seulement» dans le cadre de l’OACI. Si les parties au protocole de Kyoto avaient voulu conférer à l’OACI une compétence exclusive, alors cela devrait se retrouver dans la formulation de la disposition, avec toute la clarté nécessaire.
178. En outre, le protocole de Kyoto s’inscrit dans le contexte général de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, en exécution de laquelle il a été conclu (149) et à la lumière de laquelle il doit donc s’interpréter. Cette convention-cadre n’autorise pas seulement des politiques et des mesures multilatérales pour réduire ou limiter les gaz à effet de serre, mais aussi les actions nationales et régionales.
179. Ainsi, l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la convention-cadre prévoit expressément que les parties «établissent, mettent en œuvre, publient et mettent régulièrement à jour des programmes nationaux et, le cas échéant, régionaux contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques en tenant compte des émissions anthropiques par leurs sources […] non réglementé(e)s par le Protocole de Montréal». Dans le même sens, l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la convention-cadre dispose que chacune des parties appartenant aux pays développés adopte des «politiques nationales» et prend des «mesures [….] pour atténuer les changements climatiques», tandis qu’une note de bas de page précise expressément que cela inclut aussi les politiques et mesures arrêtées par les organisations d’intégration économique régionale.
180. Contrairement à l’opinion exprimée par les requérantes au principal à l’audience, rien n’indique que l’on ait voulu déroger, avec l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto, aux principes ainsi énoncés à l’article 4 de la convention-cadre.
181. En effet, il serait contraire aux objectifs qui sont ceux de la convention-cadre en général et du protocole de Kyoto, en particulier, que d’éventuelles mesures de réduction ou de limitation des gaz à effet de serre résultant des activités aériennes ne puissent être adoptées qu’au niveau multilatéral dans le cadre de l’OACI. Il n’existe, en effet, aucune concordance entre le cercle des parties à la convention-cadre et au protocole de Kyoto, d’une part, et à la convention de Chicago et à l’OACI fondée sur cette dernière, d’autre part. Si l’OACI détenait une compétence exclusive, les membres de l’OACI qui ne sont pas eux-mêmes liés par le protocole de Kyoto pourraient faire obstacle à la réalisation des objectifs de ce protocole. Et, à l’inverse, les parties au protocole de Kyoto auraient plus de mal à contribuer à la réalisation des objectifs de Kyoto si elles ne sont pas elles-mêmes – comme l’Union européenne – membres de l’OACI.
182. Dans ces conditions, il faut considérer que les parties au protocole de Kyoto ne se sont pas engagées, dans le cadre de l’article 2, paragraphe 2, de ce protocole, à poursuivre leurs efforts de réduction ou de limitation des gaz à effet de serre provenant des transports exclusivement dans le cadre de l’OACI.
183. Il est certain que l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto reflète la préférence des parties pour que la limitation ou réduction des gaz à effet de serre provenant du transport aérien trouve une solution multilatérale dans le cadre de l’OACI. L’Union européenne ne peut pas l’ignorer, dans l’élaboration et la mise en œuvre de sa politique environnementale et climatique, même si elle n’est pas elle-même membre de l’OACI, seuls ses États membres en faisant partie (150).
184. Toutefois, la préférence des parties pour une solution multilatérale dans le cadre de l’OACI n’a été transposée, à l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto, que par une obligation très générale, dite «de moyen» (en anglais «obligation of conduct»). À défaut d’accord trouvé au sein de l’OACI en temps raisonnable, les parties au protocole de Kyoto doivent rester libres d’adopter les mesures nécessaires à la réalisation des objectifs de Kyoto au niveau national ou régional (151). Sinon, il y aurait un risque sérieux que ces objectifs ne puissent jamais être atteints.
185. Le point de savoir si et à quel moment l’Union européenne prend unilatéralement des mesures en dehors de l’OACI pour limiter ou réduire les gaz à effet de serre provenant du transport aérien est une question d’opportunité dont l’appréciation relève des instances politiques de l’Union. Cela ne signifie certes pas que les institutions de l’Union concernées soient libres d’agir en dehors de tout contrôle juridictionnel. Il faut cependant se souvenir que, pour les décisions qui exigent une appréciation de données économiques et sociales complexes, tout comme pour les décisions complexes dans le domaine de l’action extérieure, les organes de l’Union jouissent d’un large pouvoir d’appréciation (152). Il convient de reconnaître aux organes compétents de l’Union un pouvoir d’appréciation quant à la mise en balance des avantages et des inconvénients d’une action régionale isolée en vue de limiter ou de réduire les gaz à effet de serre provenant du transport aérien, et quant au choix du moment d’une telle action.
186. En l’espèce, il est établi, et n’est d’ailleurs pas contesté, que les États membres de l’Union européenne ont pris part pendant plusieurs années aux négociations multilatérales dans le cadre de l’OACI portant sur d’éventuelles mesures de limitation ou de réduction des gaz à effet de serre provenant du transport aérien (153). On ne pouvait pas raisonnablement attendre des organes de l’Union qu’ils cherchent indéfiniment à trouver une solution multilatérale dans le cadre des instances de l’OACI. Il faut en effet tenir compte des contraintes temporelles que le protocole de Kyoto impose à l’Union européenne ainsi qu’aux nombreuses autres parties contractantes pour atteindre leurs objectifs chiffrés de limitation et de réduction des émissions: le protocole de Kyoto fixe une période d’engagement très concrète, qui s’étend de 2008 à 2012.
187. Dans ces conditions, on ne peut en aucun cas considérer comme prématurée la décision du législateur de l’Union, en 2008, d’intégrer le transport aérien à compter de 2012 dans le système UE d’échange de quotas d’émission. Cela est d’autant plus vrai que la directive 2008/101 n’a nullement fermé la porte à une solution multilatérale ultérieure dans le cadre de l’OACI. Au contraire, l’Union et les États membres déclarent expressément qu’ils «poursuivent leurs efforts en vue de parvenir à un accord sur des mesures globales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des avions» (154). L’inclusion d’une clause d’ouverture dans la directive modifiée (155) permet en outre que des mesures visant à éviter la double réglementation soient rapidement adoptées.
188. En définitive, le Parlement et le Conseil n’ont donc pas excédé les limites du pouvoir d’appréciation qui leur est reconnu au regard de l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto, en adoptant la directive 2008/101. La directive n’implique aucune violation de l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto.
ii) Compatibilité avec l’article 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert
189. Il est prévu dans l’accord ciel ouvert que, lorsque des mesures de protection de l’environnement sont adoptées, les normes sur la protection de l’environnement adoptées par l’OACI dans les annexes de la convention de Chicago (156) doivent être respectées, sauf dans les cas où des différences par rapport à ces normes ont été notifiées (article 15, paragraphe 3, première phrase, de l’accord ciel ouvert). En outre, les mesures de protection de l’environnement doivent être appliquées conformément aux articles 2 et 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert.
– Aucune norme de protection de l’environnement de l’OACI ne s’y oppose
190. En ce qui concerne l’article 15, paragraphe 3, première phrase, de l’accord ciel ouvert, il suffit de constater qu’il n’existe pas à l’heure actuelle – du moins selon les informations fournies à la Cour dans le cadre de la présente procédure préjudicielle – de normes de protection de l’environnement de l’OACI concernant le transport aérien qui s’opposeraient à ce que les activités aériennes soient intégrées dans le système UE d’échange de quotas d’émission; cela vaut aussi pour l’annexe 16 de la convention de Chicago.
191. Il est vrai que la 36e assemblée de l’OACI, qui s’est tenue en septembre 2007, insiste pour que les États parties à la convention de Chicago n’intègrent les exploitants d’aéronefs d’autres États contractants dans un système d’échange de quotas d’émission que d’un commun accord avec l’État concerné (157). Cependant, aucune norme juridiquement contraignante n’a ainsi été fixée concernant les transports aériens; et encore moins une norme sur la protection de l’environnement au sens de l’article 15, paragraphe 3, première phrase, de l’accord ciel ouvert. Il s’agit plutôt d’une simple déclaration politique dépourvue de force obligatoire, de la part des États représentés à l’assemblée de l’OACI.
192. Même si l’on voulait malgré tout reconnaître une portée juridique à cette résolution de la 36e assemblée de l’OACI, elle serait en tout état de cause dépourvue d’incidences à l’égard de l’Union européenne, car tous ses États membres ont présenté une réserve contre cette résolution, en leur qualité de parties à la convention de Chicago; ils se sont expressément réservé le droit d’adopter et d’appliquer de façon non discriminatoire des mesures inspirées de la logique du marché à tous les exploitants d’aéronefs de tous les États offrant des services aériens à destination ou au départ de leurs territoires (158).
193. Au surplus, ladite résolution de la 36e assemblée de l’OACI de 2007 a été remplacée depuis lors par une résolution plus récente de la 37e assemblée de l’OACI, datant de 2010 (159). Cette dernière résolution, qui a en principe été soutenue également par les membres européens de l’OACI, reconnaît le rôle important des mesures fondées sur le marché telles que les systèmes d’échange de quotas d’émission, et recommande dans son annexe des lignes directrices pour l’introduction de tels systèmes par les États parties à la convention de Chicago. Indépendamment du fait que la résolution de la 37e assemblée de l’OACI n’a pas non plus de valeur juridiquement contraignante, aucune des parties à la présente procédure préjudicielle n’a prétendu que la directive 2008/101 serait incompatible avec elle. Au demeurant, cette dernière résolution indique que désormais, au sein de l’OACI, une position de principe plus favorable à l’inclusion de l’aviation dans les systèmes d’échange de quotas d’émission nationaux et régionaux semble commencer à s’imposer.
194. Au total, on ne peut donc rien déduire de la référence faite à l’article 15, paragraphe 3, première phrase, de l’accord ciel ouvert aux normes de protection de l’environnement de l’OACI, qui s’opposerait à la validité de la directive 2008/101.
– Pas de violation du principe de non-discrimination de l’accord ciel ouvert
195. À l’article 15, paragraphe 3, deuxième phrase, de l’accord ciel ouvert, l’application des mesures de protection de l’environnement aux services aériens est subordonnée au respect du principe de conditions de concurrence loyale et équitable pour les compagnies aériennes (article 2 de l’accord ciel ouvert) et au respect du droit pour les compagnies aériennes de définir la fréquence et la capacité de leurs services aériens internationaux (article 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert). Comme nous l’avons déjà dit (160), toutes ces exigences ont en commun, en définitive, que les mesures de protection de l’environnement ne doivent pas être appliquées de façon discriminatoire aux compagnies aériennes (161) et ne doivent pas affecter les chances des compagnies aériennes dans la concurrence que celles-ci se font.
196. Le principe de non-discrimination énoncé aux articles 2 et 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert est la traduction d’un principe juridique général, tel que reconnu également par le droit de l’Union et consacré par les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux (162). Rien ne permet de considérer que ce principe doive se comprendre autrement dans le cadre de l’accord ciel ouvert qu’en droit de l’Union européenne. Dans le droit de l’Union, le principe de non-discrimination exige, selon une jurisprudence constante, que des situations comparables ne soient pas traitées différemment et que des situations différentes ne soient pas traitées de la même manière, à moins qu’un tel traitement ne se justifie de façon objective (163).
197. La directive 2008/101 inclut les vols de toutes les compagnies aériennes au départ et à destination de tous les aéroports européens dans le système UE d’échange de quotas d’émission, sans faire de différence en fonction de la nationalité ou du lieu de provenance et de destination finale du vol concerné. Il ne pourrait donc y avoir de discrimination interdite par les articles 2 et 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert en application de la directive que si les situations concernées n’étaient pas comparables.
198. Le caractère comparable de ces situations doit s’apprécier à la lumière de l’objectif poursuivi par la mesure de droit de l’Union qui introduit la distinction litigieuse (164). En tant que mesure visant à réduire les effets sur le climat des transports aériens internationaux, la directive 2008/101 cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre produites par ce secteur de l’économie (165). Elle a pour objectif de mettre en œuvre la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et le protocole de Kyoto (166). Au regard de ces objectifs, la nationalité de la compagnie aérienne importe peu. De même, peu importent au regard de ces objectifs la provenance du vol qui arrive sur un aéroport européen ou la destination du vol qui part d’un aéroport européen. Les situations en cause sont comparables. Il s’ensuit que, comme l’imposent les articles 2 et 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert, les situations en question devaient être traitées de la même manière, ce que fait précisément la directive 2008/101.
199. Si le législateur de l’Union avait voulu exclure du système UE d’échange de quotas d’émission les compagnies aériennes qui possèdent la nationalité d’un pays tiers, ces compagnies auraient obtenu un avantage concurrentiel injustifié par rapport à leurs concurrents européens. Procéder ainsi n’aurait pas été compatible avec le principe des conditions de concurrence loyales et équitables, tel qu’exprimé à l’article 2 de l’accord ciel ouvert, et qui constitue d’ailleurs un des fondements de la directive 2008/101 elle-même (167).
200. Si le législateur de l’Union avait exclu du système UE d’échange de quotas d’émission les vols provenant d’aéroports situés dans des pays tiers ou à destination d’aéroports situés dans des pays tiers, il aurait alors existé un risque que les longs courriers – par exemple les vols transatlantiques – soient mieux traités que les courts et moyens courriers. Un tel traitement préférentiel n’aurait pas non plus été justifié au regard de la finalité de la directive 2008/101. En effet, le législateur de l’Union a entendu inclure les activités aériennes le plus largement possible dans le système UE d’échange de quotas d’émission dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre produits par l’aviation.
201. Il convient donc de conclure qu’il n’y a pas de violation du principe de non-discrimination énoncé aux articles 2 et 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert.
– Pas d’interdiction d’agir seul en dehors du cadre de l’OACI
202. Les requérantes au principal se prévalent de l’article 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert également en ce que celui-ci – par le biais d’un renvoi à l’article 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert – se réfère à l’article 15 de la convention de Chicago. En s’appuyant sur cette cascade de renvois, elles soutiennent, comme elles l’avaient déjà fait au regard de l’article 2, paragraphe 2, du protocole de Kyoto, que l’Union européenne n’aurait pas été en droit de soumettre les activités aériennes de sa propre initiative à un système d’échange de quotas d’émission, mais aurait dû attendre l’adoption d’une solution multilatérale au sein de l’OACI.
203. Il convient de noter à ce propos que l’article 15 de la convention de Chicago, qui concerne les redevances d’aéroport et droits similaires ainsi que, plus généralement, l’accès aux aéroports, ne contient aucune règle concrète quant à la légitimité ou non du recours à un processus unilatéral pour introduire un système d’échange de quotas d’émission pour l’aviation. Il est donc peu plausible que les parties à l’accord ciel ouvert aient voulu, par un simple renvoi à l’article 15 de la convention de Chicago, introduire une telle règle «par la porte arrière», d’autant qu’il n’existait entre elles aucune unanimité sur ce point (168).
204. Un examen du nouvel article 15, paragraphe 7, de l’accord ciel ouvert, tel que modifié par le protocole modificatif de 2010, montre au contraire que les parties n’ont nullement voulu exclure l’application de «mesures fondées sur le marché [...] concernant les émissions du transport aérien», même si celles-ci sont introduites unilatéralement. En effet, il est expressément question dans ce nouveau paragraphe de chevauchements et de recommandations du Comité mixte pour éviter la «multiplication des mesures et des coûts».
205. En définitive, l’article 15 de la convention de Chicago ne peut jouer un rôle dans le cadre des articles 3, paragraphe 4, et 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert que si des limites sont imposées unilatéralement aux compagnies aériennes par une partie contractante, pour des motifs de protection de l’environnement, et ce quant au volume du trafic, à la fréquence ou à la régularité des services aériens ou au type d’aéronef employé, ou encore au dépôt des plans de vols, programmes de vols charters ou plans d’exploitation. En pareille hypothèse, l’article 3, paragraphe 4, de l’accord ciel ouvert impose des «conditions uniformes [conformes aux dispositions de l’article 15 de la convention]», et ne fait donc que traduire le principe de non-discrimination, qui – comme nous l’avons vu (169) – n’est pas enfreint par la directive 2008/101.
206. Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si le système UE d’échange de quotas d’émission doit être assimilé à une redevance d’aéroport ou à un autre droit au sens de l’article 15 de la convention de Chicago, nous renvoyons aux observations que nous ferons ci-après à propos de la deuxième partie de la quatrième question [quatrième question, sous b)] (170).
c) Pas de violation de l’interdiction de droits à l’entrée ou à la sortie du territoire pour les aéronefs [quatrième question, sous b)]
207. Le problème soulevé par la deuxième partie de la quatrième question consiste à savoir si l’extension du système UE d’échange de droits d’émission aux activités aériennes internationales est contraire à l’interdiction formulée par le droit international d’imposer des droits d’entrée et de sortie du territoire pour les aéronefs, telle qu’elle résulte de l’article 15 de la convention de Chicago, cette disposition pouvant s’envisager seule ou en combinaison avec les articles 3, paragraphe 4, et 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert.
208. En soi, la convention de Chicago ne constitue pas, comme nous l’avons vu, un critère pour le contrôle de validité d’actes de l’Union européenne (171). Son article 15 trouve cependant à s’appliquer du fait du renvoi qui y est fait aux articles 3, paragraphe 4, et 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert.
209. La dernière phrase de l’article 15 de la convention de Chicago revêt une importance particulière dans le présent contexte; il y est dit que les États contractants ne doivent pas imposer de droits, de taxes ou d’autres redevances uniquement pour le droit de transit, d’entrée ou de sortie de leur territoire de tout aéronef d’un État contractant, ou de personnes ou de biens se trouvant à bord.
210. Les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent sont d’avis que le système UE d’échange de quotas d’émission introduirait précisément un tel droit à l’entrée ou à la sortie, ce qui serait contraire à la dernière phrase de l’article 15 de la convention de Chicago.
211. Il convient de noter que la dernière phrase de l’article 15 de la convention de Chicago ne peut pas être examinée coupée du contexte général dans lequel elle s’inscrit. Ainsi qu’il résulte du premier alinéa de l’article 15, cette disposition vise en général à donner à tous les aéronefs, quelle que soit leur nationalité, un accès aux aéroports publics des États contractants à «conditions uniformes». En se fondant sur cette approche, le deuxième alinéa de l’article 15 dispose que les redevances pour l’utilisation des aéroports et des installations de navigation aérienne des autres États contractants ne doivent pas être plus élevées que les redevances qui seraient payées par les aéronefs nationaux. En fin de compte, l’article 15 contient donc, en ce qui concerne l’accès aux aéroports des États contractants, une interdiction des discriminations sur le fondement de la nationalité des aéronefs. Le troisième alinéa de l’article 15 poursuit cette idée avec la formule «Toutes ces redevances».
212. Si l’on comprend l’article 15, pris dans son ensemble, comme une simple expression du principe de non-discrimination sur le fondement de la nationalité, alors la compatibilité du système UE d’échange de quotas d’émission avec cette disposition ne peut être mise en doute, car ce système s’applique de la même façon à tous les aéronefs, quel que soit leur État d’appartenance.
213. Et même dans le cas où il faudrait considérer que le dernier alinéa de l’article 15 de la convention de Chicago va au-delà d’une simple expression du principe de non-discrimination et contient une interdiction plus étendue de certaines redevances et droits, cette disposition ne s’oppose pas au système UE d’échange de quotas d’émission. En effet, dans le cadre du système UE d’échange de quotas d’émission, les compagnies aériennes ne se voient pas réclamer de redevances ou autres droits, et encore moins «uniquement pour le droit de transit, d’entrée ou de sortie» du territoire.
214. Les redevances sont perçues à titre de contreparties d’un service public spécifique (172). Leur montant est fixé unilatéralement par les autorités et peut être calculé à l’avance. Les autres droits, en particulier les taxes, sont également fixés par les autorités de façon unilatérale et obéissent à des critères connus d’avance, tels que le taux et l’assiette.
215. Dans le cas d’un système d’échange de quotas d’émission tel que celui de l’Union européenne, il s’agit au contraire d’une mesure qui se fonde sur les principes du marché. Aucune redevance ou aucun droit n’est prévu pour acquérir des quotas d’émission. 85 % des quotas sont alloués dans un premier temps à titre gratuit, et seuls les 15 % restants sont mis aux enchères (article 3 quinquies, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/87). Pour ces derniers quotas, le prix n’est pas fixé à l’avance, mais dépend uniquement de l’offre et de la demande. Si des quotas d’émission sont négociés sur le marché plus tard, après leur allocation par les autorités compétentes, là encore leur prix résulte de l’offre et de la demande, et n’est pas fixé à l’avance.
216. Il serait pour le moins inhabituel de qualifier de redevance ou de droit le prix à payer pour un quota d’émission, alors que ce prix est le résultat du libre jeu des forces du marché, sur la base de l’offre et de la demande, même si, pour l’emploi des recettes, les États membres ont un certain pouvoir d’appréciation (article 3 quinquies, paragraphe 4, de la directive 2003/87).
217. Par ailleurs, le prix des quotas d’émission n’est pas dû «uniquement pour le droit de transit, d’entrée ou de sortie» ainsi que l’exigerait l’article 15, dernière phrase, de la convention de Chicago. Il est vrai que tout décollage et atterrissage d’un aéronef sur les aéroports de l’Union européenne oblige l’exploitant de l’aéronef à restituer, dans un délai déterminé, les quotas d’émission nécessaires (article 12, paragraphe 2 bis, de la directive 2003/87). Or, ce ne sont pas le décollage ou l’atterrissage concernés qui sont «payés» en tant que tels, mais il est tenu compte des émissions de gaz à effet de serre causés par les vols correspondants, et ce indépendamment du point de savoir s’il s’agit de vols internes à l’Union ou de vols franchissant les frontières de l’Union.
218. Dans les comités de l’OACI, une distinction est également opérée entre les redevances environnementales, d’une part, et les systèmes d’échange de quotas d’émission, d’autre part (173). De nombreux gouvernements et institutions ayant pris part à la procédure l’ont souligné.
219. Si l’OACI faisait tomber les systèmes d’échange de quotas d’émission sous le coup de l’interdiction des redevances et autres droits au sens de l’article 15 de la convention de Chicago, il lui serait alors difficile de recommander, dans le cadre de ses instances, des lignes directrices relatives, précisément, à l’introduction éventuelle de tels systèmes par ses États contractants (174).
220. Les États parties à l’accord ciel ouvert partent aussi du principe, comme le montre le nouvel article 15, paragraphe 7, de l’accord ciel ouvert tel que résultant du protocole modificatif de 2010, que les mesures fondées sur le marché sont légitimes. Cette nouvelle disposition n’aurait pas de sens si les parties contractantes considéraient que de telles mesures enfreignent l’article 15 de la convention de Chicago, auquel l’accord ciel ouvert renvoie, on le rappelle.
221. Dans ces conditions, on ne peut pas conclure que le système UE d’échange de quotas d’émission soit contraire à l’article 15 de la convention de Chicago, lu en combinaison avec les articles 3, paragraphe 4, et 15, paragraphe 3, de l’accord ciel ouvert.
d) Pas de violation de l’interdiction des taxes et des droits de douane sur les carburants [quatrième question, sous c)]
222. La troisième partie de la quatrième question vise enfin à déterminer si le législateur de l’Union a, en intégrant les activités aériennes internationales dans le système UE d’échange de quotas d’émission, violé le principe de droit international d’interdiction des taxes et des droits de douane sur les carburants tel qu’il résulte de l’article 24, sous a), de la convention de Chicago et de l’article 11, paragraphe 2, sous c), de l’accord ciel ouvert.
223. La convention de Chicago ne pouvant pas, comme nous l’avons vu, servir de critère pour le contrôle de validité d’actes de droit de l’Union (175), cette dernière question de la juridiction de renvoi ne peut être résolue qu’en référence à l’accord ciel ouvert (176). L’article 11, paragraphe 2, sous c), de cet accord doit toutefois s’interpréter à la lumière de l’article 24, sous a), de la convention de Chicago, à laquelle tant les États-Unis que l’intégralité des États membres de l’Union européenne sont parties (177).
224. En vertu de l’article 11, paragraphes 2, sous c), et 1, de l’accord ciel ouvert, le carburant introduit ou fourni pour être utilisé à bord d’un aéronef assurant des services aériens internationaux est exempté, sur une base de réciprocité, de certaines redevances, en particulier des droits de douane et accises. L’article 24, sous a), deuxième phrase, de la convention de Chicago prévoit, pour sa part, que le carburant se trouvant dans un aéronef est exempt des droits de douane, frais de visite ou autres droits et redevances similaires imposés par l’État ou les autorités locales. Les deux dispositions interdisent donc en substance de soumettre le carburant des aéronefs assurant des services aériens internationaux à des droits de douane ou accises.
i) Sur l’interdiction des accises sur le carburant
225. Les requérantes au principal et les associations qui les soutiennent estiment que le système UE d’échange de quotas d’émission a eu pour effet d’instaurer sur le carburant une accise prohibée en vertu de l’article 11, paragraphe 2, sous c), de l’accord ciel ouvert et de l’article 24, sous a), de la convention de Chicago.
226. Cet argument ne nous convainc pas.
227. Le système UE d’échange de quotas d’émission ne peut déjà pas être considéré comme un impôt, et ce pour les mêmes raisons que celles qui s’opposent à sa qualification de redevance (178).
228. Indépendamment de cela, la finalité et l’objet des règles que constituent l’article 11, paragraphe 2, sous c), de l’accord ciel ouvert et l’article 24, sous a), de la convention de Chicago diffèrent de la finalité et de l’objet du système d’échange de quotas d’émission.
229. En ce qui concerne d’abord la finalité, les articles 11 de l’accord ciel ouvert et 24 de la convention de Chicago protègent les compagnies aériennes d’un État contractant contre le traitement de leurs aéronefs et de leurs réserves en tant qu’«importations» lors du simple atterrissage dans d’autres États contractants; ils doivent donc être exemptés de certains prélèvements auxquels sont normalement soumises les marchandises importées. Le système UE d’échange de quotas d’émission poursuit, en revanche, un tout autre objectif: il s’agit de protéger l’environnement et le climat et cela n’a rien à voir avec l’importation ou l’exportation de biens. C’est pourquoi les quotas d’émission doivent être restitués pour les vols décollant ou atterrissant sur un aéroport de l’Union européenne en raison de l’émission de gaz à effet de serre et non du seul fait de la consommation de carburant.
230. En ce qui concerne l’objet des réglementations, il convient de noter que l’article 11 de l’accord ciel ouvert et l’article 24, sous a), de la convention de Chicago concernent les quantités de carburant se trouvant à bord de l’aéronef ou livrées à celui-ci, c’est-à-dire sa réserve de carburant. Au contraire, le système UE d’échange de quotas d’émission se fonde sur les quantités de carburant effectivement consommées par un aéronef lors d’un vol donné (179). La réserve de carburant de l’aéronef, concernée par l’accord ciel ouvert et la convention de Chicago, ne permet en tant que telle de tirer aucune conclusion directe sur les émissions effectives de gaz à effet de serre de l’aéronef pour un vol donné. Les quotas d’émission ne doivent pas être restitués parce qu’un aéronef a du carburant à bord ou fait le plein de carburant, mais parce que, en brûlant ce carburant en vol, il génère des émissions de gaz à effet de serre.
231. L’idée que le système UE d’échange de quotas d’émission soumettrait le carburant des aéronefs en tant que tel à un droit d’accise ne peut pas s’appuyer sur l’arrêt Braathens (180) que les requérantes au principal, et les associations qui les soutiennent, mettent en avant. Il est vrai que la Cour a décidé dans cette affaire, à propos d’une taxe environnementale suédoise sur le trafic aérien intérieur que celle-ci devait être considérée comme une accise, car elle était fondée – au moins en partie – sur la consommation de carburant des aéronefs. L’arrêt Braathens ne peut cependant pas être transposé à la présente espèce, pour deux raisons.
232. D’abord, l’arrêt Braathens concernait deux directives visant à la création du marché intérieur européen, qui ont harmonisé à l’intérieur de l’Union les structures des droits d’accises sur les huiles minérales (181). Dans le contexte de cet objectif de politique interne, on peut comprendre l’interprétation relativement large que la Cour a donnée dans cet arrêt à la notion d’accise. Il n’existe aucune nécessité comparable dans la présente affaire. En effet, ni l’accord ciel ouvert ni la convention de Chicago ne procèdent à une harmonisation des structures des accises internes aux États comparable à ce que font les directives relatives au marché intérieur de l’UE.
233. Ensuite, il existait dans l’affaire Braathens un lien direct et indissociable entre la consommation de carburant et les substances polluantes émises, à l’égard desquelles la taxe environnementale suédoise était précisément perçue (182). Dans le système UE d’échange de quotas d’émission, au contraire, il n’existe pas un tel lien direct et indissociable. En effet, la consommation de carburant ne fournit, en elle-même, aucune donnée directement utile sur les gaz à effet de serre émis lors du vol concerné, un facteur d’émission pour chaque type de carburant utilisé devant intervenir. Celui-ci peut être nul, pour les gaz de propulsion que le législateur de l’Union considère comme particulièrement respectueux de l’environnement, comme c’est le cas de la biomasse (183).
234. Au total, on ne peut pas considérer le système UE d’échange de quotas d’émission comme un droit d’accises sur le carburant, prohibé en vertu de l’article 11, paragraphe 2, sous c), de l’accord ciel ouvert ou de l’article 24, sous a), de la convention de Chicago.
ii) Sur l’interdiction des droits de douane sur les carburants
235. Ce n’est que pour être complète que nous ajoutons que le système UE d’échange de quotas d’émission n’a pas pour effet de percevoir des droits de douane sur les carburants. En effet, les droits de douane sont des droits auxquels une marchandise est assujettie du fait d’un franchissement de frontière, c’est-à-dire de son importation ou de son exportation. Au contraire, les quotas d’émission ne doivent pas être restitués du fait du transport de carburant au-delà des frontières, mais sont exigibles en raison de l’émission de gaz à effet de serre pendant un vol déterminé. Les quotas d’émission doivent être restitués même en cas de vols internes à l’Union qui n’impliquent aucun survol de frontière douanière.
iii) Conclusion intermédiaire
236. La directive 2008/101 n’est pas contraire à l’article 11, paragraphe 2, sous c), de l’accord ciel ouvert, interprété à la lumière de l’article 24, sous a), de la convention de Chicago.
C – Synthèse
237. En résumé, la directive 2008/101 (et la directive 2003/87 telle que modifiée par la directive 2008/101) est compatible avec toutes les dispositions et tous les principes de droit international évoqués dans la demande de décision préjudicielle.
238. C’est pourquoi les questions examinées lors de cette procédure ne conduisent pas à interpréter ou à appliquer la directive de façon restrictive, au regard d’aucune des dispositions ou aucun des principes susmentionnés.
239. Au final, il convient de répondre à la juridiction de renvoi que l’examen des questions posées n’a rien révélé qui puisse s’opposer à la légalité de la directive 2003/87, telle que modifiée par la directive 2008/101.
VI – Conclusion
240. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre ainsi à la demande de décision préjudicielle de la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court):
«1) Parmi les dispositions et principes de droit international mentionnés dans la première question préjudicielle, seuls peuvent être invoqués à titre de critères du contrôle de validité d’actes du droit de l’Union dans le cadre de demandes en justice formées par une personne physique ou morale les articles 7 et 15, paragraphe 3, deuxième phrase, de l’accord de transport aérien signé en avril 2007 entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États‑Unis d’Amérique, d’autre part.
2) L’examen des questions posées n’a rien révélé qui s’oppose à la légalité de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, telle que modifiée par la directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008.»