Language of document : ECLI:EU:F:2010:72


ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (assemblée plénière)

1er juillet 2010 (*)

« Fonction publique — Fonctionnaires — Pension de survie — Article 79 du statut — Article 18 de l’annexe VIII du statut — Conjoint survivant — Reconnaissance de la qualité de conjoint survivant à deux personnes — Réduction à 50 % — Confiance légitime — Règle de concordance »

Dans l’affaire F‑45/07,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Wolfgang Mandt, demeurant à Kreuztal (Allemagne), représenté par Me B. Kolb, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, initialement représenté par Mme K. Zejdová M.M. J. F. de Wachter et U. Rösslein, en qualité d’agents, puis par M. J. F. de Wachter, Mmes K. Zejdová et S. Seyr, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Kurt-Wolfgang Braun-Neumann, décédé le 9 octobre 2009, ayant laissé pour seule héritière Shirley Meyer, demeurant à Bedburg-Hau (Allemagne), laquelle reprend les conclusions présentées par son auteur, celle-ci étant représentée par Me P. Ames, avocat,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(assemblée plénière),

composé de MM. P. Mahoney, président, S. Gervasoni, président de chambre, H. Kreppel, H. Tagaras (rapporteur) et S. Van Raepenbusch, juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 juin 2009,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 16 mai 2007 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 21 mai suivant), M. Mandt demande en substance l’annulation de la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») du Parlement européen, du 8 février 2007, rejetant la réclamation qu’il a introduite contre la décision du 8 septembre 2006, par laquelle le Parlement a décidé de réduire à hauteur de 50 %, à compter du 1er avril 2006, la pension de survie qu’il percevait en qualité de conjoint survivant de feu Mme Mandt, née Neumann (ci-après « feu Mme Neumann »), ancienne fonctionnaire du Parlement. La raison d’une telle réduction tenait à ce que, par décision de ce même 8 septembre 2006, le Parlement, faisant suite à une demande de feu M. Braun-Neumann visant à bénéficier d’une pension de survie également en tant que conjoint survivant de feu Mme Neumann, avait décidé de verser à ce dernier, à partir du 1er avril 2006, une telle pension à hauteur de 50 %.

 Cadre juridique

2        L’article 79 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci‑après le « statut ») énonce :

« Dans les conditions prévues au chapitre 4 de l’annexe VIII, le conjoint survivant d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit à une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté ou de l’allocation d’invalidité dont son conjoint bénéficiait ou dont il aurait bénéficié s’il avait pu y prétendre, sans condition de durée de service ni d’âge, au moment de son décès.

[…] »

3        L’article 18 de l’annexe VIII du statut prévoit :

« Le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté, pour autant que le mariage ait été contracté avant que l’intéressé ait cessé d’être au service d’une institution et qu’il ait été son conjoint pendant un an au moins, a droit, sous réserve des dispositions prévues à l’article 22, à une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté dont bénéficiait son conjoint au jour de son décès. Le minimum de la pension de survie est de 35 % du dernier traitement de base ; toutefois, le montant de la pension de survie ne peut en aucun cas dépasser le montant de la pension d’ancienneté dont bénéficiait son conjoint au jour de son décès.

[…] »

4        L’article 22 de l’annexe VIII du statut dispose quant à lui :

« En cas de coexistence d’un conjoint survivant et d’orphelins issus d’un précédent mariage ou d’autres ayants droit, la pension totale, calculée comme celle d’un conjoint survivant ayant ces personnes à sa charge, est répartie entre les groupes d’intéressés proportionnellement aux pensions qui auraient été attribuées aux différents groupes considérés isolément.

[…] »

5        L’article 27 de l’annexe VIII énonce :

« Le conjoint divorcé d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit à la pension de survie définie au présent chapitre, à condition de justifier avoir droit pour son propre compte, au décès de son ex-conjoint, à une pension alimentaire à charge dudit ex-conjoint et fixée soit par décision de justice, soit par convention intervenue entre les anciens époux, officiellement enregistrée et mise en exécution.

La pension de survie ne peut, toutefois, excéder la pension alimentaire telle qu’elle était versée au moment du décès de son ex-conjoint, celle-ci étant adaptée selon les modalités prévues à l’article 82 du statut.

Le conjoint divorcé perd son droit s’il s’est remarié avant le décès de son ex-conjoint. Il bénéficie des dispositions de l’article 26 s’il se remarie après le décès de celui-ci. »

6        Aux termes de l’article 28 de l’annexe VIII du statut :

« En cas de coexistence de plusieurs conjoints divorcés ayant droit à une pension de survie, ou d’un ou plusieurs conjoints divorcés et d’un conjoint survivant ayant droit à une pension de survie, cette pension est répartie au prorata de la durée respective des mariages. Les conditions de l’article 27 deuxième et troisième alinéas sont applicables.

[…] »

 Faits à l’origine du litige

7        Feu Mme Neumann, à l’époque fonctionnaire du Parlement, et feu M. Braun-Neumann, ressortissants allemands, se sont mariés à Straubing (Allemagne), le 3 mai 1993, et se sont installés à Andenne (Belgique). Selon le requérant, feu M. Braun-Neumann, aurait commis des actes pénalement répréhensibles à la suite desquels il aurait été incarcéré puis aurait séjourné en hôpital psychiatrique.

8        La vie commune entre feu M. Braun-Neumann et son épouse s’est limitée à de courtes périodes pendant l’année ayant suivi leur mariage, lequel a été dissous par un jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur (Belgique), prononcé par défaut le 6 septembre 1995 et qui aurait acquis autorité de la chose jugée par la suite dans ce pays.

9        La demande de reconnaissance en Allemagne de ce jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, introduite par feu Mme Neumann, a été, en dernier lieu et par ordonnance du 11 octobre 1999, rejetée par le Bayerisches Oberstes Landesgericht (Tribunal suprême de Bavière, Allemagne). Le refus de reconnaissance a eu principalement pour motif le non-respect des droits de la défense de feu M. Braun-Neumann, lors de la procédure ayant conduit à l’adoption dudit jugement de divorce, du fait de la transmission tardive à feu M. Braun-Neumann, détenu en établissement pénitentiaire en Allemagne, de la citation à comparaître.

10      Le 25 avril 2000, le requérant a contracté un mariage avec feu Mme Neumann à New York (États-Unis).

11      En 2001, feu Mme Neumann a pris sa retraite et a perçu une pension d’ancienneté à ce titre. Elle s’est par la suite installée en Allemagne, selon le requérant, à compter du mois d’avril 2002. Cependant, un « certificat de résidence historique » de la ville d’Andenne, soumis par le requérant après l’audience (voir point 33 du présent arrêt) fait état d’adresses uniquement en Belgique.

12      En 2003, feu M. Braun-Neumann a entamé, en Allemagne, une procédure de divorce, demandant la dissolution de son mariage avec feu Mme Neumann.

13      Feu Mme Neumann est décédée le 25 juillet 2004 en Allemagne.

14      En date du 11 août 2004, le requérant a demandé à être admis au bénéfice de la pension de survie, demande accueillie par le Parlement le 23 septembre avec effet au 1er novembre suivant.

15      Par décision du 25 août 2004, l’Amtsgericht-Familiengericht-Merzig (Tribunal cantonal de Merzig, Allemagne) a fait droit à la demande de divorce introduite par feu M. Braun-Neumann, ce Tribunal ayant cependant ensuite constaté, par ordonnance du 21 janvier 2005, que la procédure de divorce était réputée caduque, le mariage de feu Mme Neumann et de feu M. Braun-Neumann ayant été dissous par le décès de la première, intervenu le 25 juillet 2004.

16      Toutefois, au livret de famille du couple Braun-Neumann, établi par les autorités allemandes compétentes, a été ajoutée le 19 janvier 2005 une mention selon laquelle l’épouse « était aussi mariée » avec le requérant, cette mention indiquant également le lieu et la date du mariage. En outre, une mention analogue, faisant état du premier mariage de feu Mme Neumann, a été ajoutée le 6 avril 2006 au livret de famille du couple Mandt-Neumann.

17      Par ordonnance du 25 janvier 2006, l’Amtsgericht Siegen (Tribunal cantonal de Siegen, Allemagne), saisi par le Landrat des Kreises Siegen-Wittgenstein Standesamtsaufsicht (Directeur de l’arrondissement de Siegen-Wittgenstein, autorité exerçant les fonctions de surveillance de l’état civil, Allemagne), a par ailleurs constaté qu’il y avait lieu de procéder à la modification de l’acte de décès de feu Mme Neumann, afin que cet acte désigne, comme époux de celle-ci, non seulement M. Mandt mais également feu M. Braun-Neumann. L’acte de décès ainsi modifié a été émis le 23 mars 2006.

18      Selon le Parlement, feu M. Braun-Neumann a demandé le 29 mars 2006 à pouvoir bénéficier d’une pension de survie, en tant que conjoint survivant de feu Mme Neumann ; dans le cadre de sa demande, feu M. Braun-Neumann a transmis au Parlement l’ordonnance du 25 janvier 2006 de l’Amtsgericht Siegen ainsi que l’acte de décès modifié suite à cette ordonnance.

19      Par lettre du 8 septembre 2006, l’AIPN a informé feu M. Braun-Neumann de la décision de lui verser 50 % de la pension de survie de feu Mme Neumann, à compter du 1er avril 2006. Par courrier du même jour, l’AIPN a indiqué au requérant que la pension de survie dont il bénéficiait, à hauteur de 100 %, devait être réduite à compter du 1er avril 2006 à hauteur de 50 %, les 50 % restants bénéficiant, à compter de cette date, à feu M. Braun-Neumann, en sa qualité de conjoint survivant de feu Mme Neumann ; en effet, par ce même courrier, le Parlement a fait savoir au requérant que, conformément au registre d’état civil de feu Mme Neumann, celle-ci était, au moment de son décès, mariée à la fois avec lui et avec feu M. Braun-Neumann, en ajoutant qu’il avait également examiné le jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, ainsi que l’arrêt du Bayerisches Oberstes Landesgericht. Par la suite, en date du 18 octobre 2006, le Parlement a procédé à la fixation des droits de feu M. Braun-Neumann, en lui octroyant 50 % de la pension de survie de feu Mme Neumann à compter du 1er avril 2006.

20      Le requérant a contesté la décision du 8 septembre 2006, prise à son encontre, au moyen d’une réclamation, que son représentant a introduite par lettre du 13 septembre 2006, complétée par lettre du 5 octobre suivant ; le requérant a également fait part au Parlement de ses arguments, de manière détaillée, par lettres du 30 septembre et du 4 octobre 2006. Par décision du 8 février 2007, l’AIPN, se référant à ces quatre lettres, a rejeté la réclamation du requérant.

21      Pour sa part, feu M. Braun-Neumann, après l’accueil partiel de sa réclamation quant au versement rétroactif, pour la période allant du 1er août 2004 au 31 mars 2006, de la moitié de la pension de survie, a introduit un recours devant le Tribunal visant en substance au versement, avec effet rétroactif au 1er août 2004, de l’autre moitié de cette pension. Par ordonnance du 23 mai 2008, le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable (Braun-Neumann/Parlement, F‑79/07, RecFP p. I‑A‑1‑181 et II‑A‑1‑957) ; le pourvoi introduit par feu M. Braun-Neumann contre cette ordonnance a été rejeté par ordonnance du Tribunal de première instance du 15 janvier 2009, Braun-Neumann/Parlement (T‑306/08 P, RecFP p. I‑B‑1‑1 et II‑B‑1‑1).

 Conclusions des parties et procédure

22      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de l’AIPN du 8 février 2007 ;

–        condamner le Parlement à lui verser, à compter du 1er avril 2006, 50 % supplémentaires de la pension de survie due au titre de son épouse, feu Mme Neumann, et à continuer de lui verser ce montant mensuellement.

23      Le requérant demande, en outre, au Tribunal :

–        autoriser l’allemand en tant que langue de procédure, conformément à l’article 35, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure du Tribunal de première instance.

24      Si, au début de sa requête, le requérant sollicite également le bénéfice de l’aide judiciaire, il n’en reste pas moins qu’il indique finalement, toujours dans le corps de la requête, que sa demande en ce sens n’interviendrait qu’ultérieurement. Or, aucune demande d’aide judiciaire n’a été présentée par la suite par le requérant.

25      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours partiellement irrecevable ;

–        rejeter le recours comme non fondé pour le reste ;

–        décider sur les dépens comme de droit.

26      Par lettres des 30 novembre 2007 et 30 avril 2008, le Tribunal a, conformément aux articles 55 et 56 du règlement de procédure, invité les parties à se prononcer et à émettre des observations sur certains aspects du litige. Les parties ont déféré à ces mesures d’organisation de la procédure dans les délais impartis.

27      Par lettres du 24 octobre 2008, le Tribunal a informé les parties qu’il envisageait d’inviter, conformément à l’article 111, paragraphe 1, du règlement de procédure, feu M. Braun-Neumann à intervenir dans la procédure et leur a demandé leurs observations à cet égard. Le requérant a fait savoir au Tribunal qu’il renonçait à présenter des observations à ce sujet ; quant au Parlement, il a indiqué dans le délai imparti ne pas avoir d’objections de principe à une telle invitation.

28      Par lettre du 21 novembre 2008, le Tribunal a invité feu M. Braun-Neumann à s’exprimer sur l’invitation à intervenir qu’il lui adressait. En réponse, feu M. Braun-Neumann a déclaré souhaiter intervenir au soutien des conclusions du Parlement.

29      Par lettres du 16 décembre 2008, le Tribunal a demandé aux parties si elles souhaitaient que certaines pièces du dossier, qu’elles estimaient secrètes ou confidentielles, ne soient pas communiquées à feu M. Braun-Neumann. Le Parlement a indiqué au Tribunal, dans le délai imparti, que tel n’était pas le cas ; le requérant n’a pas répondu à l’invitation du Tribunal.

30      Par ordonnance du président du Tribunal du 3 mars 2009, signifiée aux parties le 4 mars suivant, feu M. Braun-Neumann a été admis à intervenir dans la présente affaire, au soutien des conclusions du Parlement.

31      Dans son mémoire en intervention déposé le 20 avril 2009, feu M. Braun-Neumann a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours. Par lettres du 30 avril 2009, le Tribunal a indiqué aux parties principales qu’elles pourraient répondre au mémoire en intervention dans le cadre de la procédure orale.

32      Lors de l’audience, les parties principales et la partie intervenante ont demandé à pouvoir déposer de nouveaux documents et pièces dans le cadre de la procédure. À l’issue de l’audience, le président du Tribunal a indiqué qu’il n’y avait pas lieu de clôturer la procédure orale.

33      Par lettres du 17 juin 2009, le Tribunal a informé les parties qu’elles avaient la possibilité, dans un certain délai, de déposer les documents annoncés au cours de l’audience. Le requérant et feu M. Braun-Neumann ont déposé divers documents par courrier. Parmi les documents déposés par feu M. Braun-Neumann figurent, premièrement, une lettre que le requérant lui a adressée le 22 septembre 1997, exigeant que feu M. Braun-Neumann cesse de harceler « sa femme » (« meine Frau »), deuxièmement, une décision de l’Amtsgericht Nürnberg (Tribunal cantonal de Nuremberg, Allemagne), du 10 décembre 1999, portant condamnation de feu Mme Neumann au paiement mensuel d’une somme de 400 marks allemands (DEM), à titre de pension alimentaire entre époux, troisièmement, une décision par défaut du Landgericht Koblenz (Tribunal régional de Coblence, Allemagne), du 27 novembre 2007, portant condamnation du fils de feu Mme Neumann au paiement de 150 000 euros à titre de droit à la réserve successorale au profit du requérant et, quatrièmement, une lettre du Staatsanwaltschaft Siegen (Ministère public de Siegen, Allemagne), du 16 février 2006, adressée à feu M. Braun-Neumann et l’informant que la plainte pour bigamie qu’il avait déposée à l’encontre du requérant le 17 mars 2005 devait être classée pour motif de prescription.

34      En outre, en date du 10 juillet 2009, le Tribunal a procédé à des mesures d’organisation de la procédure supplémentaires, auxquelles il a été déféré dans les délais impartis.

35      En date du 11 septembre 2009, le Tribunal a fixé au 25 septembre suivant le délai pour les observations éventuelles des parties sur le dépôt et le contenu des documents relatés au point 33 du présent arrêt. Seul le requérant a soumis de telles observations, dans lesquelles il indique, notamment, ne pas se souvenir de la lettre susmentionnée du 22 septembre 1997 et fait valoir que la décision du Landgericht Koblenz, du 27 novembre 2007 est le fruit d’indications erronées fournies par feu M. Braun-Neumann.

36      Le représentant de la partie intervenante a informé le Tribunal du décès de M. Braun-Neumann, survenu le 9 octobre 2009, et a transmis copie de l’acte de décès.

37      En date du 12 novembre 2009, le Tribunal a fixé au 26 novembre suivant le délai, d’une part, pour que les parties principales déposent leurs observations éventuelles sur l’incidence du décès de M. Braun-Neumann sur la présente affaire et, d’autre part, pour que le représentant de M. Braun-Neumann informe le Tribunal de l’éventuelle poursuite de la procédure par les ayants droits de celui-ci.

38      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 12 novembre 2009, le Parlement a informé le Tribunal que, suite au décès de M. Braun-Neumann, il a, par décision du 11 novembre 2009, adapté le montant de la pension de survie de M. Mandt, de sorte que celui-ci reçoive, à compter du 1er novembre 2009, la totalité de la pension de survie du chef de feu Mme Neumann.

39      Par lettre parvenue au greffe du Tribunal le 25 novembre 2009, le requérant a soumis ses observations sur l’incidence du décès de M. Braun-Neumann sur la présente affaire. Il estime notamment que le décès de M. Braun-Neumann n’implique pas une appréciation différente de la situation juridique en litige. Toutefois, la circonstance que désormais la totalité de la pension de survie est versée au requérant devrait être considérée comme un indice au soutien de ses prétentions ; en effet, le Parlement reconnaîtrait de nouveau l’existence du divorce entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann, ainsi que la légalité du mariage entre feu Mme Neumann et M. Mandt. Le requérant en déduit que son droit au paiement de 100 % de la pension de survie existait également dans le passé durant la période comprise entre le décès de Mme Neumann et le dépôt du recours, en tout état de cause entre le 1er août 2004 et le 1er avril 2006.

40      En date du 26 novembre 2009, le Parlement a soumis ses observations sur l’incidence du décès de M. Braun-Neumann sur la présente affaire, en indiquant notamment que, selon lui, la question de savoir si M. Mandt est à qualifier de seul conjoint survivant ou si la pension de survie était à partager entre M. Mandt et feu M. Braun-Neumann reste ouverte même après le décès de ce dernier.

41      Par lettre parvenue au greffe du Tribunal le 26 novembre 2009, le représentant de la partie intervenante a informé le Tribunal, d’une part, qu’il résulte du testament de feu M. Braun-Neumann que Mme Shirley Meyer est son unique héritière universelle et, d’autre part, que, en cette qualité, elle souhaite lui succéder en sa position de partie intervenante dans la présente affaire. La lettre du représentant de la partie intervenante était accompagnée des copies du testament du 7 janvier 2008 et du procès-verbal de l’Amtsgericht Merzig — juridiction compétente en matière successorale — du 3 novembre 2009. Dans cette même lettre, le représentant de la partie intervenante s’engageait à transmettre son nouveau mandat ultérieurement, ce qui a été fait le 9 décembre 2009.

42      En date du 5 janvier 2010 la procédure orale a été clôturée, l’affaire ayant été mise en délibéré.

 Objet du litige

43      À l’appui de ses conclusions, le requérant demande l’annulation de la décision de l’AIPN, du 8 février 2007, rejetant sa réclamation. À cet égard, il convient de rappeler que les conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont, dans le cas où cette décision est dépourvue de contenu autonome, pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée (arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, point 8 ; arrêts du Tribunal de première instance du 10 décembre 1992, Williams/Cour des comptes, T‑33/91, Rec. p. II‑2499, point 23, et du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, Rec. p. II‑1173, point 43 ; arrêt du Tribunal du 4 juin 2009, Mölling/Europol, F‑11/08, RecFP p. I‑A‑1‑159 et II‑A‑1‑899, point 27). En l’espèce, la réclamation du requérant, rejetée par l’AIPN en date du 8 février 2007, était dirigée contre la décision du 8 septembre 2006 réduisant à hauteur de 50 %, à compter du 1er avril 2006, la pension de survie du chef de feu Mme Neumann. La décision du 8 février 2007 étant dépourvue de contenu autonome, dans la mesure où elle se borne à confirmer la décision du 8 septembre 2006 et — de surcroît — par une motivation qui reprend en substance, mais de manière plus étoffée, la motivation de ladite décision, il y a lieu de considérer, en conséquence, que le recours est dirigé contre la seule décision du 8 septembre 2006 prise à l’encontre du requérant (ci-après la « décision attaquée »).

44      S’agissant de la demande du requérant tendant à autoriser l’allemand comme langue de procédure, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 35, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, applicable à la date d’introduction de la requête, la langue de procédure est choisie — parmi les 23 langues officielles de l’Union européenne — par le requérant, sous réserve des dispositions de l’article 35, paragraphe 2, sous a) à c), dudit règlement, lesquelles ne sont pas applicables en l’espèce. En tout état de cause, en vertu de l’article 29 du règlement de procédure du Tribunal, applicable depuis le 1er novembre 2007, les règles relatives au régime linguistique qui s’appliquent devant le Tribunal sont celles du règlement de procédure du Tribunal de première instance, à savoir les dispositions susmentionnées de l’article 35, paragraphes 1 et 2, de ce dernier. En l’espèce, il n’y a donc pas lieu pour le Tribunal de se prononcer sur la demande du requérant tendant à autoriser l’allemand comme langue de procédure, ce dernier pouvant choisir d’office l’allemand comme langue de procédure, ce qu’il a d’ailleurs fait.

45      Il convient par ailleurs de constater que le décès de M. Braun-Neumann, survenu le 9 octobre 2009, ne prive pas d’objet le litige dont le Tribunal est saisi, sauf s’agissant des conclusions visant à la condamnation du Parlement en ce qu’elles concernent la période ultérieure au 31 octobre 2009 ; en effet, le requérant perçoit depuis lors la totalité de la pension de survie du chef de feu Mme Neumann (voir point 38 du présent arrêt). Ainsi, et pour autant qu’elles se réfèrent à cette période, les conclusions du requérant tendant à la condamnation du Parlement perdent leur objet. En revanche, elles conservent pleinement leur objet en ce qui concerne la période antérieure à la date du décès de feu M. Braun-Neumann.

 Sur les conclusions en annulation

 Arguments des parties

46      À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant fait valoir que la décision attaquée viole le droit de l’Union. Il formule neuf griefs dans le cadre de son argumentation.

47      Le premier grief se divise en deux branches. D’une part, aucun recours n’ayant pu être introduit, notamment, devant le Bayerischer Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle de Bavière), à l’encontre de l’ordonnance du Bayerisches Oberstes Landesgericht du 11 octobre 1999 (voir point 9 du présent arrêt), les droits de feu Mme Neumann ainsi que ceux du requérant auraient été limités. D’autre part, l’ordonnance du Bayerisches Oberstes Landesgericht se fonderait sur des prémisses erronées et, en outre, ne serait pas conforme au droit en vigueur au moment où elle a été rendue, en particulier au droit de l’Union. En effet, tout d’abord, selon le requérant, ladite ordonnance n’indiquerait pas si le Bayerisches Oberstes Landesgericht a vérifié les affirmations de feu M. Braun-Neumann quant au déroulement de la procédure de divorce devant le Tribunal de première instance de Namur ; de plus, la citation à comparaître devant le Tribunal de première instance de Namur aurait été transmise à feu M. Braun-Neumann conformément aux règles de droit international en vigueur et celui-ci aurait ainsi disposé de suffisamment de temps entre la réception, le 4 août 1995, de ladite citation et le jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, du 6 septembre 1995, pour déposer un mémoire devant cette juridiction, feu M. Braun-Neumann n’ayant au surplus, et contrairement à ce qu’il aurait déclaré, pas fait appel dudit jugement de divorce.

48      Par le deuxième grief, le requérant, d’une part, en se fondant sur l’article 27 de la Convention entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Belgique concernant la reconnaissance et l’exécution réciproques en matière civile ou commerciale des décisions judicaires, sentences arbitrales et actes authentiques signée à Bonn le 30 juin 1958, laquelle était en vigueur au moment du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur et, d’autre part, en se référant à ce qu’il a exposé dans le cadre du premier grief, soutient que feu M. Braun-Neumann n’avait pas été défaillant à la procédure devant le Tribunal de première instance de Namur et que, même dans une telle hypothèse, il aurait pu encore se défendre.

49      Dans le cadre du troisième grief, le requérant allègue que la décision attaquée viole le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p.1), dès lors qu’il n’existe pas de motifs de non-reconnaissance, au sens de l’article 22 du règlement n° 2201/2003, du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur.

50      Par son quatrième grief, le requérant défend la validité du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, dès lors que la Belgique constituait le lieu du dernier domicile conjugal de feu Mme Neumann et de feu M. Braun-Neuman ; ce, en dépit des indications erronées sur ledit lieu que ce dernier aurait communiquées, de mauvaise foi, dans le cadre de la procédure devant le Bayerisches Oberstes Landesgericht ayant abouti à l’ordonnance du 11 octobre 1999.

51      Le cinquième grief est soulevé à l’encontre de la décision attaquée en ce qu’elle se référait à l’ordonnance de l’Amtsgericht Siegen du 25 janvier 2006, alors que cette ordonnance ne serait pas pertinente pour la question de la reconnaissance du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur et ne pourrait, au surplus, être valable au sein l’Union européenne où le mariage multiple n’est pas autorisé.

52      Par son sixième grief, le requérant fait valoir que le mariage entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann a duré moins d’un an et que ce dernier ne peut donc, au regard des dispositions de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, invoquer un droit à bénéficier d’une pension de survie.

53      Quant au septième grief, il est fondé sur le fait, d’une part, que la décision du 8 février 2007, rejetant la réclamation du requérant, se réfère à des dispositions du droit allemand, à savoir les articles 23 et 29 de l’Ehegesetz (loi sur le mariage), qui n’étaient plus en vigueur au moment de l’adoption de ladite décision, d’autre part, qu’une cause de nullité du mariage contracté entre feu M. Braun-Neumann et feu Mme Neumann aurait existé en raison de l’état d’ignorance dans lequel se trouvait celle-ci au moment du mariage quant à la personnalité de son époux et aux condamnations pénales dont il avait fait l’objet, même si le requérant reconnaissait ne pas avoir la qualité pour attaquer le mariage en question.

54      Dans le cadre de son huitième grief, le requérant fait remarquer que le Parlement a considéré que feu Mme Neumann était divorcée, au sens du statut, dès que le jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur est devenu définitif, avec toutes les conséquences pécuniaires que cela comporte. À la suite de son mariage avec le requérant, celle-ci a de nouveau été considérée par l’institution comme étant une femme mariée, « avec toutes les majorations et minorations correspondantes du point de vue du droit, des revenus et des pensions ». Dans de telles circonstances, le Parlement aurait créé une confiance légitime dans le chef de feu Mme Neumann et du requérant quant à leur qualité d’époux.

55      Par son neuvième grief, le requérant, en soutenant que, en vertu de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, la seule qualité de conjoint survivant suffit pour se voir octroyer 100 % de la pension de survie, considère pouvoir se prévaloir d’une telle qualité et avoir droit ainsi à la totalité de ladite pension. En effet, l’ordonnance de l’Amtsgericht Siegen du 25 janvier 2006 ne remettrait pas en cause le fait qu’il se soit valablement marié avec feu Mme Neumann à New York.

56      En réponse aux divers griefs invoqués par le requérant, le Parlement soutient en substance que le juge de l’Union n’est pas compétent pour contrôler les décisions judiciaires nationales ni les agissements d’autorités nationales. À ce titre, le Parlement estime que les éventuelles erreurs commises par les juridictions nationales allemandes ne peuvent être invoquées par le requérant devant le Tribunal et que l’AIPN était dans l’obligation de tenir compte de l’acte de décès, tel que modifié par l’autorité compétente, et de modifier en conséquence la fixation des droits à pension du requérant. Le Parlement relève également que le règlement n° 2201/2003 n’était pas applicable le 6 septembre 1995, date du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur. Le Parlement indique par ailleurs que, si les dispositions des articles 23 et 29 de l’Ehegesetz ont été abrogées, elles ont été, en tout état de cause, remplacées par l’article 1313 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil allemand, ci-après le « BGB »), dont le contenu est identique. De plus, s’agissant de la durée du mariage entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann, le Parlement fait valoir que, à supposer même qu’il convient de considérer que ce mariage ait été dissous par le jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, il n’en reste pas moins que, feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann s’étant mariés le 3 mai 1993, ce mariage a duré deux ans. Enfin, le Parlement affirme que le requérant ne saurait, eu égard au principe de concordance entre la réclamation et le recours, invoquer pour la première fois dans sa requête le principe de confiance légitime.

57      Dans son mémoire en intervention, feu M. Braun-Neumann reprend pour l’essentiel les arguments du Parlement, mais en ajoutant, notamment, deux considérations. D’une part, et à titre subsidiaire, il soutient que le simple fait que le Parlement a versé la totalité de la pension de survie au requérant ne saurait être considéré comme une assurance de la part de l’administration, étant donné qu’un simple paiement ne pourrait donner lieu à une quelconque confiance légitime du bénéficiaire sur la légalité d’une prestation. D’autre part, et dès lors qu’il ne saurait exister, pour chaque fonctionnaire, qu’un seul droit à pension pour sa retraite, le Parlement aurait, à juste titre, procédé à la répartition — entre les deux conjoints survivants — de la pension de survie du chef de feu Mme Neumann.

 Appréciation du Tribunal

58      Par les cinq premiers griefs soulevés, ainsi que par le septième, le requérant conteste en réalité la qualité de conjoint survivant de feu M. Braun-Neumann. Par son sixième grief, le requérant part de l’hypothèse que feu M. Braun-Neumann a la qualité de conjoint survivant, mais reproche au Parlement la violation de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, en ce que feu M. Braun-Neumann n’aurait pas eu la qualité de conjoint de feu Mme Neumann pendant la durée minimale d’une année exigée par cet article. Le huitième grief, quant à lui, se fonde sur la violation du principe de confiance légitime. Enfin, dans le cadre du neuvième grief, le requérant fait état d’une application erronée de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, dans la mesure où le Parlement, lui ayant reconnu la qualité de conjoint survivant, devait lui accorder la totalité de la pension de survie, ce en dépit de la reconnaissance de cette même qualité à feu M. Braun-Neumann.

59      Il résulte de ce qui a été exposé aux points précédents que l’argumentation du requérant consiste essentiellement en deux moyens.

60      Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 18 de l’annexe VIII du statut et comporte trois branches. La première branche, qui correspond aux cinq premiers griefs soulevés par le requérant, ainsi qu’au septième, repose sur la contestation de la qualité même de conjoint survivant de feu M. Braun-Neumann. La seconde branche de ce moyen se rattache au sixième grief et tient au non-respect, s’agissant du mariage de feu Mme Neumann et de feu M. Braun-Neumann, de la condition relative à la durée minimale d’une année de mariage prévue à l’article susmentionné. La troisième branche, reposant sur le neuvième grief, est relative au montant de la pension de survie due à un conjoint survivant d’une fonctionnaire décédée, en cas de reconnaissance, à une autre personne également, de cette même qualité.

61      Le second moyen, correspondant au huitième grief, est tiré de la violation du principe de confiance légitime.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 18 de l’annexe VIII du statut

–       S’agissant du premier moyen pris en sa première branche, portant sur la contestation de la qualité même de conjoint survivant de feu M. Braun-Neumann

62      Selon la jurisprudence, il découle des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union et du principe d’égalité que les termes d’une disposition de droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée, doivent normalement trouver dans toute l’Union une interprétation autonome, interprétation qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, Rec. p. 107, point 11 ; arrêts du Tribunal de première instance du 18 décembre 1992, Díaz García/Parlement, T‑43/90, Rec. p. II‑2619, point 36 ; du 22 février 2006, Adam/Commission, T‑342/04, RecFP p. I‑A‑2‑23 et II‑A‑2‑107, point 32). Toutefois, il est également admis dans la jurisprudence en question que, même en l’absence d’un renvoi exprès, l’application du droit de l’Union peut impliquer, le cas échéant, une référence aux droits des États membres, en particulier lorsque le juge de l’Union ne peut déceler dans le droit de l’Union ou dans les principes généraux du droit de l’Union les éléments lui permettant d’en préciser le contenu et la portée par une interprétation autonome.

63      Tel est notamment le cas s’agissant des notions relevant de l’état des personnes et du droit de la famille (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 17 avril 1986, Reed, 59/85, Rec. p. 1283, point 15, et, en particulier, du 31 mai 2001, D et Suède/Conseil, C‑122/99 P et C‑125/99 P, Rec. p. I‑4319, points 34 à 38), l’ordre juridique de l’Union ne disposant pas de règles écrites en la matière. À cet égard, il a en particulier été jugé que relève du droit national la question de la validité formelle d’une convention alimentaire, en tant que condition d’octroi de la pension de survie au conjoint divorcé, en vertu de l’article 27 de l’annexe VIII du statut (arrêt du Tribunal de première instance du 21 avril 2004, M/Cour de justice, T‑172/01, Rec. p. II‑1075, points 72 et 73).

64      Il reste, cependant, à déterminer comment doit s’entendre le renvoi aux droits nationaux lorsque est en cause un avantage pécuniaire prévu par le statut et que, d’une part, l’octroi de cet avantage dépend de la situation matrimoniale du fonctionnaire, d’autre part, cette situation est appréciée de façon contradictoire par deux ordres juridiques nationaux.

65      En particulier, dans le cas d’espèce, se pose la question de savoir si c’est par un raisonnement de droit international privé et, partant, sur la base de l’ordre juridique national désigné par le biais d’un tel raisonnement, que l’instance compétente de l’Union décide si une personne peut être qualifiée de « conjoint survivant ». Or, non seulement des exigences évidentes de gestion administrative, mais également, et au premier chef, des considérations juridiques s’opposent au recours à un raisonnement de droit international privé.

66      En effet, en premier lieu, si l’ordre juridique de l’Union dispose de quelques instruments de droit international privé intéressant la question de l’état des personnes, notamment le règlement n° 2201/2003, force est de constater que ce règlement s’avère d’une assistance très limitée pour déterminer l’ordre juridique national pertinent lorsque la situation matrimoniale d’un fonctionnaire est appréciée de façon contradictoire par deux ordres juridiques nationaux. D’abord, le règlement n° 2201/2003 prévoit la reconnaissance de plein droit des décisions de dissolution du lien conjugal et il n’existe des jugements faisant application de ce règlement, à savoir des jugements de reconnaissance de la dissolution du lien conjugal (jugements sur lesquels l’instance compétente de l’Union pourrait s’appuyer dans l’exercice de sa compétence dont fait état le point 64 du présent arrêt), que dans la mesure où il y a contestation sur la reconnaissance d’une telle dissolution et qu’une partie saisit le juge compétent pour le contentieux de la reconnaissance. Ensuite, s’agissant toujours de décisions de dissolution du lien conjugal, il y a lieu de relever que le contentieux de la reconnaissance peut conduire à des jugements nationaux divergeant selon l’État membre dont la juridiction a été saisie. Enfin, le règlement susmentionné n’est pas applicable aux décisions rendues dans les États tiers et ne peut être invoqué que devant les États membres, à l’exception du Danemark, concernant des décisions rendues au sein de ces derniers.

67      En second lieu, si les instruments de droit de l’Union auxquels il est fait référence au point précédent peuvent intéresser la question de l’état des personnes, il n’en reste pas moins qu’ils comportent pour l’essentiel des règles de conflit de juridictions. En revanche, en l’état actuel du droit applicable, l’ordre juridique de l’Union en lui-même ne contient pas de règles de conflit de lois en matière d’état des personnes. Or, il est constant que les règles des droits nationaux ne sont pas convergentes en la matière. En effet, si tous les systèmes nationaux de conflits de lois cherchent à soumettre l’état des personnes au droit avec lequel l’intéressé est le plus étroitement lié, certains considèrent que le facteur de rattachement approprié à cet effet est la nationalité, d’autres, la résidence et d’autres encore adoptent des solutions intermédiaires.

68      Ainsi, vu, d’une part, l’absence d’un ensemble complet de règles de droit international privé au sein du droit de l’Union et, d’autre part, les divergences des systèmes nationaux de droit international privé, l’identification par une instance administrative de l’Union, aux fins de l’application d’une disposition de droit dérivé, tel que l’article 79 du statut ou l’article 18 de son annexe VIII, de l’ordre juridique national qui, seul, serait « compétent » pour déterminer l’état civil d’une personne, s’avérerait être une tâche particulièrement complexe et hautement aléatoire sur le plan juridique, et ce, sans même tenir compte des exigences et contraintes administratives (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Warner sous l’arrêt de la Cour du 5 février 1981, P./Commission, 40/79, Rec. p. 382 et s.). Par ailleurs, le juge de l’Union devrait également s’abstenir d’une telle entreprise, laquelle, notamment, équivaudrait à une législation juridictionnelle (conclusions précitées de l’avocat général Warner, p. 383).

69      En l’espèce, pour vérifier s’il y avait lieu de reconnaître à feu M. Braun-Neumann la qualité de conjoint survivant, le Parlement, sans étayer explicitement sa position par un raisonnement de droit international privé, s’est principalement fondé sur des considérations tirées du droit matériel et de l’ordre juridique d’un pays, à savoir l’Allemagne, qui présentait manifestement des liens très étroits tant avec la situation de feu M. Braun-Neumann qu’avec le litige pris dans son ensemble.

70      En effet, feu M. Braun-Neumann avait la nationalité allemande et résidait en Allemagne. En outre, non seulement c’est dans ce pays que son mariage avec feu Mme Neumann a eu lieu, mais cette dernière, qui est la personne dont il prétend être le conjoint survivant, était aussi de nationalité allemande et, domiciliée durant sa vie professionnelle en Belgique, elle semble avoir transféré sa résidence en Allemagne après son départ à la retraite ; en effet, si le requérant a, après l’audience, produit un certificat de résidence belge concernant feu Mme Neumann et faisant état, jusqu’à la date de son décès, d’adresses en Belgique, force est de constater, d’une part que c’est le requérant lui-même qui, dans sa réponse en date du 9 juin 2008 à des mesures d’organisation de la procédure décidées par le Tribunal, reconnaissait que feu Mme Neumann s’était établie en Allemagne en avril 2002, d’autre part, que les certificats de résidence, dans la mesure où les autorités émettrices ne procèdent pas à la vérification de la résidence effective (voir en ce sens l’arrêt du Tribunal du 8 avril 2008, Bordini/Commission, F‑134/06, RecFP p. I‑A‑1‑87 et II‑A‑1‑435, point 76), ont une force probante très relative. Au surplus, l’autre personne qui revendiquait la qualité de conjoint survivant de feu Mme Neumann, à savoir le requérant, était aussi de nationalité allemande et domicilié dans ce pays.

71      Au vu des liens si étroits avec l’Allemagne, et sans qu’il y ait besoin d’établir si, comparativement, l’Allemagne était le pays le plus étroitement lié à feu M. Braun-Neumann ou au litige pris dans son ensemble, ce qui apparaît d’ailleurs hautement probable, le Parlement était en droit de se référer au droit matériel et à l’ordre juridique allemands pour répondre à la question de savoir s’il y avait lieu de reconnaître à feu M. Braun-Neumann la qualité de conjoint survivant.

72      Il ne peut par ailleurs être contesté que, également dans la grande majorité des ordres juridiques nationaux, le statut matrimonial de feu M. Braun-Neumann serait déterminé en application du droit matériel allemand et serait celui qui lui serait reconnu au sein de l’ordre juridique de cet État membre.

73      Or, il ne peut exister raisonnablement de doute que, au regard du droit matériel et de l’ordre juridique allemands, feu M. Braun-Neumann a eu, depuis le décès de Mme Neumann et jusqu’à son propre décès, la qualité de conjoint survivant de celle-ci.

74      Tout d’abord, il n’est pas contesté que feu M. Braun-Neumann a contracté mariage avec feu Mme Neumann le 3 mai 1993, en Allemagne, et a acquis, à compter de cette date, la qualité de conjoint de cette dernière.

75      De plus, il est constant que, à la suite de la procédure engagée en Allemagne par feu Mme Neumann et visant à la reconnaissance du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, le Bayerisches Oberstes Landesgericht a refusé la reconnaissance dudit jugement dans l’ordre juridique allemand.

76      Il est d’ailleurs également constant que, par ordonnance du 21 janvier 2005, l’Amtsgericht-Familiengericht-Merzig a constaté que la procédure de divorce, engagée devant lui par feu M. Braun-Neumann à l’encontre de feu Mme Neumann et ayant conduit, le 25 août 2004, au prononcé du divorce, est devenue caduque, le mariage ayant été dissous par le décès de feu Mme Neumann, intervenu le 25 juillet 2004.

77      En outre, l’ordonnance du 25 janvier 2006 de l’Amtsgericht Siegen a ordonné la modification de l’acte de décès de feu Mme Neumann, en ce sens que cet acte désigne comme époux de celle-ci, outre le requérant, qui y figurait déjà, également feu M. Braun-Neumann. L’acte de décès modifié, mentionnant à la fois le requérant et feu M. Braun-Neumann comme conjoints de feu Mme Neumann, a été émis le 23 mars 2006.

78      Au surplus, les autorités compétentes allemandes n’ont pas seulement maintenu en vigueur le livret de famille du couple de feu M. Braun-Neumann et de feu Mme Neumann après le mariage de cette dernière avec le requérant en 2000, mais elles ont également ajouté au livret de famille de ce dernier couple une mention suivant laquelle feu Mme Neumann « était aussi mariée » avec feu M. Braun-Neumann.

79      Il résulte de ce qui est exposé aux points précédents que le mariage entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann a, pour le droit matériel et l’ordre juridique allemands, existé jusqu’au décès de Mme Neumann, intervenu le 25 juillet 2004, et que, au moins au regard de ce droit matériel et de cet ordre juridique, feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann sont jusqu’à cette date à considérer comme conjoints, feu M. Braun-Neumann pouvant ainsi se prévaloir, depuis le 25 juillet 2004, de la qualité de conjoint survivant, au sens de l’article 79 du statut, de feu Mme Neumann.

80      Les arguments invoqués par le requérant pour réfuter la qualité de conjoint survivant de feu M. Braun-Neumann ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

81      Il en est en particulier ainsi des allégations du requérant relatives aux causes de nullité du mariage entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann qui existeraient dans le chef de ce dernier. Force est en effet de constater que ledit mariage n’a jamais été attaqué devant une juridiction.

82      En outre, le fait que la décision du 8 février 2007, rejetant la réclamation du requérant, se réfère à des dispositions du droit allemand qui n’auraient plus été en vigueur au moment de son adoption ne peut affecter la qualité de conjoint survivant de feu M. Braun-Neumann ni invalider ladite décision. En effet, d’une part, ainsi qu’indiqué par le Parlement sans être contredit sur ce point par le requérant, si les articles 23 et 29 de l’Ehegesetz, auxquels se référait la décision attaquée, ont été abrogés, ils ont, en tout état de cause, été remplacés par l’article 1313 BGB, dont le contenu est en substance le même ; d’autre part, il résulte de la lecture de ladite décision que les dispositions en cause, loin de constituer le motif sur lequel se fonde l’AIPN pour rejeter la réclamation, sont seulement citées comme dispositions nationales de référence quant à la contestation de la validité d’un mariage dans l’ordre juridique allemand.

83      En ce qui concerne la question tenant à la validité du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, s’il est exact que sa validité dans l’ordre juridique belge n’est pas contestée, il suffit de constater que sa validité en Belgique ne préjuge en rien de sa validité dans d’autres ordres juridiques nationaux, en particulier en Allemagne où, ainsi que déjà relevé, sa reconnaissance a été refusée.

84      Sont également à écarter les critiques du requérant relatives, d’une part, au refus de reconnaissance du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur au sein de l’ordre juridique allemand, d’autre part, à l’ordonnance de l’Amtsgericht Siegen du 25 janvier 2006 (voir, respectivement, points 49 et 51 du présent arrêt). En effet, il n’appartient ni au juge ni aux institutions de l’Union, quand ils appliquent le statut, de contrôler le bien-fondé des décisions rendues par les juridictions nationales, notamment dans des circonstances comme celles de l’espèce. Enfin le jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur ne relève pas du champ d’application temporel des règlements n° 1347/2000 et n° 2201/2003, invoqués par le requérant.

85      L’argumentation du requérant visant à réfuter la qualité de conjoint survivant de feu M. Braun-Neumann étant ainsi rejetée, il convient encore d’observer que la reconnaissance, par le Parlement, de ladite qualité à feu M. Braun-Neumann n’est pas en contradiction avec la reconnaissance de cette même qualité au requérant, ni incompatible avec l’ordre public de l’Union.

86      En premier lieu, force est de constater que l’ordre juridique allemand a expressément, et par de nombreuses manières (voir notamment points 77 et 78 du présent arrêt), reconnu la qualité de conjoint de feu Mme Neumann à la fois au requérant et à feu M. Braun-Neumann. Il y a lieu, par ailleurs, de rappeler à cet égard la position du Parlement suivant laquelle en droit allemand un mariage, même contracté en violation des interdictions légales en vigueur, conserve sa légalité aussi longtemps qu’il n’a pas été annulé par décision de justice.

87      En second lieu, et en toute hypothèse, la circonstance que, compte tenu des considérations qui précèdent, une institution de l’Union reconnaît à deux personnes la qualité de conjoint survivant d’une seule et même ancienne fonctionnaire décédée, aux fins de l’octroi d’un avantage pécuniaire, ne constitue nullement une acceptation, ne fût-ce qu’implicite, au niveau de l’Union, du mariage multiple, acceptation qui serait de nature de soulever une question de compatibilité avec des principes et règles supérieurs de droit, notamment si chacune des personnes concernées bénéficiait de l’entièreté de l’avantage pécuniaire prévu pour « le » conjoint survivant (voir sur cette dernière question points 99 à 102 du présent arrêt). En toute hypothèse, l’institution concernée n’a fait en l’espèce que tirer les conséquences de l’application des droits nationaux de la famille.

88      Il convient par ailleurs de relever, indépendamment des considérations qui précèdent, que la reconnaissance au profit de feu M. Braun-Neumann de la qualité de conjoint survivant aux fins de l’application de l’article 79 du statut et de l’article 18 de son annexe VIII est en conformité avec la finalité des ces articles, laquelle est de compenser, au bénéfice du conjoint survivant, la perte de revenus découlant du décès du fonctionnaire ou de l’ancien fonctionnaire, la pension de survie constituant, au vu d’une telle finalité, un revenu de remplacement (voir arrêt du Tribunal du 21 octobre 2009, Ramaekers-Jørgensen/Commission, F‑74/08, RecFP p. I‑A‑1‑411 et II‑A‑1‑2229, points 53 et 70). En effet, feu M. Braun-Neumann s’était vu accorder, par décision de l’Amtsgericht Nürnberg du 10 décembre 1999, une pension alimentaire mensuelle de 400 DEM, à laquelle il ne pouvait plus prétendre depuis le décès de feu Mme Neumann. Ainsi, la pension de survie a-t-elle permis, conformément à sa finalité, de compenser la disparition de ce revenu.

89      Il s’ensuit que le premier moyen pris en sa première branche et portant sur la contestation de la qualité même de conjoint survivant de feu M. Braun-Neumann doit être rejeté.

–       S’agissant du premier moyen pris en sa deuxième branche, portant sur la condition relative à la durée minimale d’une année de mariage prévue à l’article 18 de l’annexe VIII du statut

90      Le requérant fait valoir que le mariage entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann a duré moins d’une année et que ce dernier ne peut ainsi prétendre au bénéfice d’une pension de survie, dès lors que la condition mentionnée à l’article 18 de l’annexe VIII du statut ne serait pas remplie.

91      À cet égard, force est de constater que les dispositions de l’article 18 de l’annexe VIII du statut sont claires et précises et ne laissent aucun doute quant à leur interprétation. En effet, en prévoyant que le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté, « pour autant […] qu’il ait été son conjoint pendant un an au moins », a droit à une pension de survie, cet article pose de manière certaine et non équivoque que la durée minimale d’une année porte sur l’existence du mariage et non, comme le requérant semble implicitement le soutenir, sur l’existence d’une vie commune entre les époux.

92      En conséquence, et à supposer même que feu M. Braun-Neumann, qui s’est marié le 3 mai 1993 avec feu Mme Neumann et qui s’est installé avec elle à Andenne, ait quitté le domicile conjugal, ainsi que le requérant l’a soutenu sans être contredit, dès le mois de juillet 1993, il n’en reste pas moins que, au sein de l’ordre juridique belge, leur divorce n’a été prononcé que le 6 septembre 1995, soit après plus de deux années de mariage. En outre, ainsi qu’il a été exposé au sujet du premier moyen pris en sa première branche, leur mariage n’a pu être considéré comme dissous, au sein de l’ordre juridique allemand, que suite au décès de feu Mme Neumann intervenu le 25 juillet 2004.

93      Dès lors, et en toute hypothèse, la condition minimale d’une année de mariage, prévue à l’article 18 de l’annexe VIII du statut, est remplie s’agissant du mariage contracté entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann.

94      Il y a donc lieu d’écarter également cette branche du premier moyen.

–       S’agissant du premier moyen pris en sa troisième branche, portant sur le montant de la pension de survie versée à un conjoint survivant en cas de reconnaissance de cette même qualité à une autre personne

95      La question que soulève cette troisième branche du premier moyen est de savoir si le Parlement a pu valablement réduire de 50 % le montant de la pension de survie octroyée au requérant au motif que feu M. Braun-Neumann était également en droit de bénéficier d’une pension de survie au titre de l’article 79 du statut, du fait de sa qualité de conjoint survivant de feu Mme Neumann.

96      Il est constant que le législateur statutaire n’a pas envisagé une situation comme celle de l’espèce dans laquelle deux personnes, afin de prétendre à une pension de survie, se prévaudraient de la qualité de conjoint survivant d’un même ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté, ce en invoquant chacun des actes de mariage et des décisions de justice de différents États (ou, qui plus est, d’un même État), de sorte que, au vu de ces documents, ladite qualité puisse effectivement paraître vraisemblable pour chacune d’entre elles. Les dispositions de l’article 79 du statut et de l’article 18 de son annexe VIII ne prévoient pas une telle hypothèse et se contentent d’indiquer que le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire bénéficie d’une pension de survie, sans expliciter davantage quelles pourraient être les modalités d’attribution de la pension de survie dans un cas tel que celui qui est décrit au présent point, c’est-à-dire le cas d’espèce.

97      En l’absence d’une règle statutaire relative aux modalités d’attribution de la pension de survie dans un tel cas, il incombait au Parlement de déterminer une méthode afin de résoudre le différend dont il était saisi, ce qu’il a fait en décidant de procéder à un partage à parts égales de la pension de survie entre le requérant et feu M. Braun-Neumann.

98      Le requérant conteste la position du Parlement en faisant valoir que, dans la mesure où il remplit les conditions de l’article 18 de l’annexe VIII du statut, il a droit à l’entièreté de la pension de survie et que son droit ne peut être affecté par la décision du Parlement d’étendre le bénéfice de l’article 18 de l’annexe VIII à une autre personne qui, selon le Parlement, serait également conjoint survivant de feu Mme Neumann.

99      La position du requérant, qui aurait comme conséquence que les sommes, versées au titre de la pension de survie du fait du décès d’un seul fonctionnaire ou agent, dépassent 100 % du montant de cette pension, tel que ce montant est fixé par les dispositions des articles 79 du statut et 18 de son annexe VIII, ne saurait être admise.

100    En premier lieu, il y a lieu d’observer que, si le statut ne prévoit pas le cas où deux personnes se prévalent de la qualité de conjoint survivant, il régit toutefois, à l’article 28 de son annexe VIII, la situation fréquemment rencontrée dans laquelle coexistent plusieurs conjoints divorcés ayant droit à une pension de survie ou un ou plusieurs conjoints divorcés et un conjoint survivant ayant droit à une pension de survie ; dans une telle situation, le statut prévoit expressément une répartition du montant de la pension de survie, répartition au prorata de la durée respective des mariages. De même, la répartition de la pension de survie est également expressément prévue à l’article 22 de l’annexe VIII du statut, en cas de coexistence d’un conjoint survivant et d’orphelins issus d’un précédent mariage ou d’autres ayant droits. S’il est vrai que, en théorie, ces dispositions peuvent aussi être interprétées e contrario et non par analogie, le Tribunal considère que la règle prévue dans les dispositions susmentionnées, selon laquelle une et une seule pension de survie peut être octroyée, s’impose également s’agissant de l’article 79 du statut et de l’article 18 de son annexe VIII ; le silence des ces dispositions concernant l’hypothèse dans laquelle plusieurs personnes revendiquent la prestation concernée ne peut qu’être dû au caractère inhabituel d’une telle hypothèse et non à une volonté affirmée du législateur d’accorder l’entièreté de deux, voire de trois pensions de survie du chef d’un seul fonctionnaire ou agent.

101    En deuxième lieu, dès lors que le fonctionnaire n’a droit, lors de sa retraite, qu’à une seule pension de l’Union (et qu’il en va de même en ce qui concerne la pension de survie lorsqu’il s’agit de la partager entre plusieurs bénéficiaires, en vertu des articles 22 et 28 de l’annexe VIII du statut), il doit en aller également de même s’agissant de la mise en œuvre de l’article 79 du statut et de l’article 18 de son annexe VIII, en cas de coexistence de conjoints survivants.

102    En troisième lieu, et indépendamment de l’applicabilité en l’espèce de la jurisprudence, invoquée par le Parlement, selon laquelle les dispositions ouvrant droit à des prestations financières doivent être interprétées strictement, accepter que la qualité de conjoint survivant confère directement le droit de bénéficier d’une pension de survie dans son entièreté, de telle sorte que, en présence de plusieurs personnes auxquelles la qualité précitée peut être reconnue, l’institution serait amenée à verser une double, voire une triple pension de survie, serait difficilement conciliable avec les obligations de bonne gestion financière et de contrôle des dépenses budgétaires des institutions qui doivent prévaloir au sein de l’Union.

103    Les sommes totales à verser aux personnes qui bénéficient de la qualité de conjoint survivant ne pouvant dès lors dépasser 100 % du montant prévu à l’article 79 du statut ainsi qu’à l’article 18 de l’annexe VIII du statut, se pose la question du partage de ce montant entre lesdites personnes.

104    Il est vrai que, à part la méthode de partage retenue par le Parlement, à savoir la répartition à parts égales entre le requérant et feu M. Braun-Neumann, d’autres méthodes auraient pu être possibles. Cependant, le Tribunal considère que celle qui a été décidée en l’espèce ne contrevient pas à la lettre, à l’économie et à la finalité des dispositions de l’article 79 du statut et de l’article 18 de son annexe VIII, ni même à celles de l’entier chapitre relatif à la pension de survie de cette même annexe, ce d’autant que le critère de la durée du mariage, tel que ce critère est posé à l’article 28 de l’annexe VIII du statut, d’une part serait difficilement transposable dans un cas comme celui de l’espèce, d’autre part irait à l’encontre de la finalité de l’article 79 du statut.

105    En effet, la durée du mariage entre feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann est contestée et dépend de l’identification de l’ordre juridique national auquel il convient de se référer pour la déterminer, opération, ainsi qu’il a été dit au point 68 du présent arrêt, particulièrement complexe et hautement aléatoire.

106    En outre, et à supposer que le critère de la durée du mariage puisse trouver application par référence, pour chaque conjoint survivant, à l’ordre juridique national qui lui est plus favorable aux fins de l’application de ce critère, à savoir l’ordre juridique belge pour le requérant et l’ordre juridique allemand pour feu M. Braun-Neumann, il apparaît que le mariage du requérant a duré quatre ans et trois mois, tandis que le mariage de feu M. Braun-Neumann a duré onze ans et un peu plus de deux mois. Or, une répartition de la pension de survie qui procurerait à feu M. Braun-Neumann un pourcentage plus élevé que celui auquel le requérant aurait droit irait manifestement à l’encontre de la finalité de l’article 79 du statut, telle que rappelée au point 88 du présent arrêt. En effet, non seulement la vie commune de feu Mme Neumann et feu M. Braun-Neumann a à peine duré quelques mois, mais de surcroît ce mariage a connu plusieurs procédures de divorce, d’une part, celle engagée par feu Mme Neumann devant le Tribunal de première instance de Namur, laquelle a abouti à un jugement de divorce en 1995, c’est-à-dire deux années seulement après la célébration du mariage et, d’autre part, la procédure engagée en 2003, laquelle est devenue caduque en raison du décès de feu Mme Neumann (voir points 15 et 76 du présent arrêt), cette dernière procédure ayant été engagée par feu M. Braun-Neumann, qui a pourtant revendiqué la totalité de la pension de survie dans le cadre d’un recours introduit devant le Tribunal et rejeté par l’ordonnance du 23 mai 2008 Braun-Neumann/Parlement, précitée (voir point 21 du présent arrêt).

107    Pour toutes ces raisons, il n’apparaît pas que le critère de répartition retenu par le Parlement soit entaché d’illégalité et, partant, il y a lieu de rejeter le grief soulevé par le requérant, relatif au montant de la pension de survie à accorder à un conjoint survivant en cas de reconnaissance de cette même qualité à une autre personne.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime

108    Selon le requérant, le Parlement aurait créé une confiance légitime dans son chef et dans celui de feu Mme Neumann quant à leur qualité d’époux. Le Parlement excipe de l’irrecevabilité de ce moyen pour violation de la règle de concordance entre la réclamation et le recours.

109    Il est vrai que la règle de concordance, que le Parlement invoque et dont le non-respect rendrait irrecevable le moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime, a été posée par une jurisprudence remontant aux années 1970, laquelle exige, en substance, une concordance, entre l’objet et la cause de la requête et ceux de la réclamation (voir, notamment, arrêts de la Cour du 1er juillet 1976, Sergy/Commission, 58/75, Rec. p. 1139, points 31 à 33, et du 20 mars 1984, Razzouk et Beydoun/Commission, 75/82 et 117/82, Rec. p. 1509, point 9). Dans la jurisprudence ultérieure, la notion de « cause » a été liée à celle de « chefs de contestation » (voir arrêts de la Cour du 7 mai 1986, Rihoux e.a./Commission, 52/85, Rec. p. 1555, points 12 et 14, et du 19 novembre 1998, Parlement/Gaspari, C‑316/97 P, Rec. p. I‑7597, points 17 et 18), plusieurs arrêts apparaissant par ailleurs s’appuyer principalement sur cette dernière notion lors de l’examen de la règle de concordance (voir arrêt de la Cour du 14 mars 1989, Del Amo Martinez/Parlement, 133/88, Rec. p. 689, point 10 ; arrêt du Tribunal de première instance du 31 mai 2005, Dionyssopoulou/Conseil, T‑284/02, RecFP p. I‑A‑131 et II‑597, point 62).

110    Selon la jurisprudence exposée au point précédent, la règle de concordance est justifiée par la finalité même de la procédure précontentieuse, à savoir permettre à l’administration de revoir sa décision et obtenir ainsi une résolution extrajudiciaire, qualifiée de « règlement amiable » selon les termes utilisés dans la plupart des arrêts, des différends surgis entre les fonctionnaires et l’administration. Pour qu’une telle procédure puisse atteindre son objectif, il faut, selon la même jurisprudence, que l’AIPN soit en mesure de connaître d’une façon suffisamment précise les critiques que les intéressés formulent à l’encontre de la décision contestée.

111    Cependant, la procédure précontentieuse ayant un caractère informel et les intéressés pouvant agir, à ce stade, sans le concours d’un avocat, il a été jugé de façon constante que l’administration ne doit pas interpréter les réclamations de façon restrictive, mais dans un esprit d’ouverture (arrêt Del Amo Martinez/Parlement, précité, point 11 ; arrêt du Tribunal de première instance du 13 avril 2005, Nielsen/Conseil, T‑353/03, RecFP p. I‑A‑95 et II‑443, point 23). Il a été ainsi en particulier jugé que, si les conclusions présentées devant le juge de l’Union ne peuvent avoir que le même objet que celles exposées dans la réclamation et ne peuvent contenir que des « chefs de contestation » reposant sur la même cause que celle des chefs de contestation invoqués dans la réclamation, ces chefs de contestation peuvent cependant, devant le juge de l’Union, être développés par la présentation de moyens et d’arguments ne figurant pas nécessairement dans la réclamation, mais s’y rattachant étroitement (arrêt de la Cour du 26 janvier 1989, Koutchoumoff/Commission, 224/87, Rec. p. 99, point 10 ; arrêts du Tribunal de première instance du 8 juin 1995, Allo/Commission, T‑496/93, RecFP p. I‑A‑127 et II‑405, point 26, et Dionyssopoulou/Conseil, précité, point 62 ; arrêt du Tribunal du 18 mai 2009, Meister/OHMI, F‑138/06 et F‑37/08, RecFP p. I‑A‑1‑131 et II‑A‑1‑727, point 145).

112    Même si, depuis l’introduction de la règle de concordance, le juge de l’Union n’a pas toujours appliqué cette règle avec la même flexibilité (pour des cas d’application rigoureuse de cette règle, peut-être en raison du lien établi entre la notion de la cause du litige et celle des chefs de contestation, voir arrêt de la Cour du 13 décembre 2001, Cubero Vermurie/Commission, C‑446/00 P, Rec. p. I‑10315, points 12, 13 et 16 ; arrêt du Tribunal de première instance du 28 mai 1998, W/Commission, T‑78/96 et T‑170/96, RecFP p. I‑A‑239 et II‑745, points 62 à 64 ; ordonnance du Tribunal du 11 décembre 2007, Martin Bermejo/Commission, F‑60/07, RecFP p. I‑A‑1‑407 et II‑A‑1‑2259, points 36 à 39), l’interprétation souple de la règle en question apparaît correspondre tant avec la finalité de la procédure précontentieuse, telle que rappelée au point 110 du présent arrêt, qu’avec les règles en matière de dépens applicables à la procédure précontentieuse.

113    En effet, d’une part, la résolution extrajudiciaire des différends, qui constitue la finalité de la procédure précontentieuse, est largement facilitée par une absence de formalisme juridique lors de cette procédure. C’est pourquoi, d’ailleurs, la jurisprudence n’exige pas que les griefs invoqués par le fonctionnaire au soutien de sa réclamation soient formulés dans des termes juridiques (arrêts du Tribunal de première instance du 5 novembre 1997, Barnett/Commission, T‑12/97, RecFP p. I‑A‑313 et II‑863, point 68, et Nielsen/Conseil, précité, point 26). Or, si la règle de concordance était interprétée et appliquée de manière stricte, le fonctionnaire, de peur de voir le périmètre du litige définitivement fixé lors de la phase précontentieuse, serait incité à faire appel, dès ce stade, à un avocat, alors que l’objet d’une telle phase est moins de préparer le recours juridictionnel que de l’éviter. En faisant appel à un avocat, le requérant alourdirait la procédure précontentieuse, ce qui manifestement nierait à sa finalité.

114    D’autre part, les frais auxquels s’expose le fonctionnaire avant l’introduction du recours sont considérés comme des dépens irrécupérables (ordonnances du Tribunal de première instance du 10 janvier 2002, Starway/Conseil, T‑80/97 DEP, Rec. p. II‑1, point 25, et du 7 décembre 2004, Lagardère et Canal+/Commission, T‑251/00 DEP, Rec. p. II‑4217, points 21 et 22), contrairement à ce qu’il en est s’agissant des frais occasionnés lors de la procédure contentieuse proprement dite, c’est-à-dire celle qui est déclenchée par l’introduction du recours. La finalité de cette distinction réside notamment dans la volonté du législateur de décourager justement le fonctionnaire à recourir à un avocat lors du précontentieux.

115    L’interprétation souple de l’exigence relative à la concordance entre la réclamation et le recours s’impose à plus forte raison actuellement.

116    En effet, premièrement, une telle interprétation s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle reflétant l’importance de plus en plus affirmée du principe de protection juridictionnelle effective, en tant que principe général du droit de l’Union, découlant des traditions constitutionnelles communes aux États membres et consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ce principe ayant d’ailleurs été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. P. I-6351, point 335), laquelle a, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, même valeur juridique que les traités. En effet, si l’importance que ce principe revêt pour une communauté de droit justifie une interprétation large des dispositions du droit primaire relatives aux compétences de la Cour en matière préjudicielle dans le cadre du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne (voir, notamment, arrêts de la Cour du 27 février 2007, Gestoras Pro Amnistía e.a./Conseil, C‑354/04 P, Rec. p. I‑1579, point 53, et Segi e.a./Conseil, C‑355/04 P, Rec. p. I‑1657, point 53, et du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, C‑303/05, Rec. p. I‑3633, point 18), elle doit également justifier, dans le cadre du droit de la fonction publique, une interprétation de la règle de concordance de nature à alléger autant que possible les contraintes que cette règle fait peser sur le requérant en ce qui concerne les moyens et arguments dont son conseil est en droit de se prévaloir dans sa requête. En effet, si des contraintes ultérieures, par exemple celles relatives aux nouvelles offres de preuve et aux moyens nouveaux (voir articles 42 et 43 du règlement de procédure du Tribunal) sont inhérentes au bon déroulement de la procédure devant le Tribunal et ne heurtent pas ainsi le principe de protection juridictionnelle effective, ce principe pourrait en revanche perdre beaucoup de sa substance au cas où l’avocat représentant le requérant se verrait forclos à présenter des moyens pouvant s’avérer décisifs pour l’issue du litige, au motif que le requérant lui-même n’avait pas pensé à faire état desdits moyens lors de la procédure précontentieuse.

117    Deuxièmement, depuis l’entrée en vigueur de la décision 2004/752/CE, Euratom du Conseil, du 2 novembre 2004, instituant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (JO L 333, p. 7) (ci-après la « décision instituant le Tribunal »), dont l’annexe I, en son article 7, paragraphe 5, prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens, le fonctionnaire court un risque pécuniaire accru par rapport à l’époque qui a vu naître la règle jurisprudentielle de la concordance entre la réclamation et le recours, lorsque le fonctionnaire était dispensé de supporter les dépens de l’institution gagnante. Certes, cette nouveauté introduite par la décision instituant le Tribunal aligne le régime des dépens des affaires des fonctionnaires sur celui du droit commun du contentieux relevant du juge de l’Union ; il convient cependant d’observer que ce dernier contentieux, tant en matière d’annulation que de responsabilité, n’est pas obligatoirement précédé d’une procédure précontentieuse et ne connaît pas des contraintes analogues à celles de la règle de concordance. Ainsi, en compensation du nouveau risque pécuniaire que la décision instituant le Tribunal fait courir aux fonctionnaires souhaitant s’adresser au Tribunal, il est raisonnable, et de bonne administration de la justice, d’alléger les contraintes qui pèsent sur eux, en permettant, notamment, à leur conseil de ne pas se limiter aux critiques formulées par le fonctionnaire, lequel le plus souvent n’est pas juriste et, en toute hypothèse, n’agit pas en qualité de juriste et encore moins en qualité d’avocat.

118    Troisièmement, tant l’évolution des pratiques administratives que la consécration du droit fondamental à un recours effectif devant une juridiction ont progressivement affaibli l’une des principales justifications de la règle de concordance retenues par la jurisprudence dès les années 1970, à savoir la facilitation de la résolution extrajudiciaire des litiges dans le sens exposé au point 110 du présent arrêt. En effet, en premier lieu, s’il est incontestable que la procédure de réclamation préalable continue de remplir efficacement une fonction de filtrage des contestations et donne l’opportunité à l’administration, avant la saisine du juge, de corriger d’éventuelles irrégularités ou de défendre la légalité de ses décisions, il convient de s’interroger sur le point de savoir si la procédure précontentieuse continue d’être l’occasion d’une recherche active et concrète d’un règlement amiable des différends ; ce sont d’ailleurs les insuffisances constatées à cet égard qui ont justifié que, dans la décision instituant le Tribunal, un accent particulier a été mis sur l’examen des possibilités de règlement amiable des litiges, à tout stade de la procédure, devant le juge de la fonction publique de l’Union. En second lieu, si la garantie d’un recours effectif devant le Tribunal, en tant qu’expression du principe de protection juridictionnelle effective, rappelée au point 116 du présent arrêt, s’exerce en vertu de règles, notamment procédurales, qui en encadrent l’application et l’étendue, elle ne peut, vu son caractère fondamental, être trop étroitement subordonnée aux finalités de la procédure préalable à la saisine du juge sans qu’une atteinte excessive lui soit portée ; la résolution extrajudiciaire des différends, pour souhaitable qu’elle soit, n’est pas un droit fondamental et ne peut donc justifier de restreindre radicalement les possibilités de contestation juridictionnelle ouvertes aux fonctionnaires.

119    Au vu des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en ligne avec la jurisprudence citée au point 109, la règle de concordance ne saurait intervenir qu’au seul cas où le recours contentieux modifie l’objet de la réclamation ou sa cause, cette dernière notion de « cause » étant à interpréter au sens large. Suivant une telle interprétation, et s’agissant des conclusions en annulation, telles que celles dont le Tribunal est saisi en l’espèce à l’encontre de la décision de l’AIPN du 8 septembre 2006, il convient d’entendre par « cause du litige » la contestation par le requérant de la légalité interne de l’acte attaqué ou, alternativement, la contestation de sa légalité externe, distinction reconnue à maintes reprises dans la jurisprudence (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 67 ; arrêts du Tribunal du 21 février 2008, Putterie-De-Beukelaer/Commission, F‑31/07, RecFP p. I‑A‑1‑53 et II‑A‑1‑261, points 57 et suivants, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑160/08 P, et du 11 septembre 2008, Smadja/Commission, F‑135/07, RecFP p. I‑A‑1‑299 et II‑A‑1‑1585, point 40, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑513/08 P).

120    En conséquence, et sous réserve des exceptions d’illégalité, et bien entendu des moyens d’ordre public, il n’y aurait normalement modification de la cause du litige et, partant, irrecevabilité pour non-respect de la règle de concordance que si le requérant, critiquant dans sa réclamation la seule validité formelle de l’acte lui faisant grief, y compris ses aspects procéduraux, soulève dans la requête des moyens au fond ou dans l’hypothèse inverse où le requérant, après avoir uniquement contesté dans sa réclamation la légalité au fond de l’acte lui faisant grief, introduit une requête contenant des moyens relatifs à la validité formelle de celui-ci, y compris ses aspects procéduraux.

121    Pour ce qui est des exceptions d’illégalité, et quand bien même elles se rapporteraient à une autre cause juridique que celle apparaissant dans la réclamation, leur irrecevabilité pour non-respect de la règle de concordance romprait l’équilibre entre la sauvegarde des droits procéduraux du fonctionnaire et la finalité de la procédure précontentieuse et constituerait une sanction disproportionnée et injustifiée pour le fonctionnaire. En effet, en raison de la nature intrinsèquement juridique d’une exception d’illégalité, ainsi que du raisonnement qui conduit l’intéressé à rechercher et soulever une telle illégalité, il ne saurait être exigé du fonctionnaire ou agent qui introduit la réclamation, et qui ne dispose pas nécessairement des compétences juridiques appropriées, de formuler une telle exception au stade précontentieux, et ce sous peine d’irrecevabilité par la suite. Ceci d’autant que, soulever une exception d’illégalité au stade précontentieux semble peu susceptible de conduire à ce que le réclamant obtienne gain de cause à ce stade, car il est improbable que l’administration choisisse de laisser inappliquée une disposition en vigueur, qui méconnaîtrait éventuellement une règle de rang supérieur, dans le seul but de permettre la résolution extrajudiciaire du différend.

122    Il résulte des considérations qui précèdent, et notamment de celles des points 119 à 121, que la présentation, dans la requête, du moyen tiré de la violation du principe de confiance légitime, ne méconnaît nullement la règle de concordance. En effet, en critiquant, dans la réclamation, le motif de la décision du Parlement réduisant de 50 % le montant de la pension de survie qu’il recevait en tant que conjoint survivant, motif fondé sur l’existence d’un autre conjoint survivant, le requérant contestait manifestement la légalité au fond de l’acte attaqué. Or, de toute évidence, le moyen relatif à la confiance légitime est un moyen de légalité au fond. Ainsi, le moyen doit être déclaré recevable.

123    Le moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime étant recevable, il convient de l’examiner au fond.

124    Or, s’agissant du fond, et hormis le fait que le requérant invoque sa confiance légitime en ce qui concerne la reconnaissance, par le Parlement, de sa qualité d’époux de feu Mme Neumann et non pas une confiance légitime quelconque en rapport avec la pension de survie et, de surcroît, avec son droit éventuel de percevoir l’ensemble du montant de cette pension, force est de constater que les conditions posées par la jurisprudence et donnant le droit de réclamer la protection de la confiance légitime (arrêts du Tribunal de première instance du 27 février 1996, Galtieri/Parlement, T‑235/94, RecFP p. I‑A‑43 et II‑129, points 63 et 65, et du 16 mars 2005, Ricci/Commission, T‑329/03, RecFP p. I‑A‑69 et II‑315, point 79 ; arrêts du Tribunal du 21 février 2008, Skoulidi/Commission, F‑4/07, RecFP p. I‑A‑1‑47 et II‑A‑1‑229, point 79, et du 4 novembre 2008, Van Beers/Commission, F‑126/07, RecFP p. I‑A‑1‑355 et II‑A‑1‑1929, point 70) ne sont pas remplies dans le cas d’espèce, le requérant ne pouvant se prévaloir d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes fournies par l’administration.

125    En premier lieu, le paiement à l’intéressé de prestations pécuniaires par l’administration, même pendant plusieurs années, ne peut en lui-même être considéré comme une assurance précise, inconditionnelle et concordante au sens de la jurisprudence citée au point précédent ; en effet, en cas contraire, toute décision de l’administration refusant pour l’avenir, et éventuellement avec un effet rétroactif, le paiement d’un droit pécuniaire versé indûment à l’intéressé pendant plusieurs années serait systématiquement annulée par le juge de l’Union sur la base de la violation du principe de confiance légitime et aurait pour conséquence de faire perdre, en grande partie, notamment, l’effet utile de l’article 85 du statut relatif à la répétition de l’indu. Ainsi, le paiement de l’allocation de foyer à feu Mme Neumann en raison de son mariage avec le requérant, puis de la pension de survie à celui-ci, n’a pu faire naître, à lui seul, une confiance légitime dans le chef du requérant quant à la reconnaissance de sa qualité d’époux et à la légalité de ces paiements, alors que le Parlement n’avait donné aucune autre assurance en ce sens.

126    En second lieu, le fait que, dès que le jugement du Tribunal de première instance de Namur est devenu définitif, le Parlement a considéré feu Mme Neumann comme étant divorcée au sens du statut (avec toutes les conséquences pécuniaires que cela comporte, à savoir notamment le fait qu’elle n’a plus perçu l’allocation de foyer), puis comme étant mariée avec le requérant (mariage au titre duquel elle a de nouveau perçu l’allocation de foyer), ne peut être regardé, au vu des circonstances particulières de l’espèce, comme susceptible de faire naître dans le chef du requérant une confiance légitime en ce qui concerne l’octroi futur de la pension de survie dans son entièreté.

127    En effet, et par analogie à ce qui est le cas pour l’article 85 du statut (voir point 125 du présent arrêt), il est incontestable qu’il n’appartient pas à l’administration d’une institution d’effectuer volontairement et par elle-même des recherches sur l’évolution du statut personnel de ses fonctionnaires, mais que celle-ci doit simplement tenir compte des informations transmises par les intéressés, en fonction des preuves apportées par la production de documents officiels ou de décisions de justice. C’est sur la base de ces informations et documents que l’administration doit tirer les conséquences pécuniaires qui s’imposent et prendre les décisions en conséquence. Tel est le cas en l’espèce en ce qui concerne le Parlement qui, ainsi que cela résulte de l’examen de l’affaire, s’est borné à prendre en compte des informations données par feu Mme Neumann, ainsi que des preuves transmises par celle-ci à l’appui desdites informations, ce au fur et à mesure des années et de l’évolution de sa situation personnelle. En revanche, et ainsi que le Parlement l’a indiqué lors de l’audience sans être contredit par le requérant, il n’a pas eu connaissance de l’action introduite le 16 décembre 1996 par feu Mme Neumann auprès du Bayerisches Staatsministerium der Justiz (Ministère de la Justice de l’État de Bavière, Allemagne) ni de la décision du 11 octobre 1999 du Bayerisches Oberstes Landesgericht refusant la reconnaissance en Allemagne du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur, ni même de l’action en divorce introduite ultérieurement, en 2003, par feu M. Braun-Neumann devant l’Amtsgericht-Familiengericht-Merzig.

128    Si le Parlement avait possédé ces informations, il aurait très probablement pris une décision différente envers le requérant ou aurait au moins émis des doutes quant à la situation matrimoniale de celui-ci.

129    L’absence de transmission au Parlement des informations et documents susmentionnés est imputable à feu Mme Neumann, et, à tout le moins à partir du décès de celle-ci, au requérant ; en effet, il est invraisemblable que ce dernier, qui, ainsi que cela ressort de la lettre du 22 septembre 1997, annexée aux documents transmis par feu M. Braun-Neumann après l’audience (voir point 33 du présent arrêt), était déjà en couple avec feu Mme Neumann en 1997 et connaissait l’existence de feu M. Braun-Neumann, ait pu ignorer le mariage contracté en 1993 entre ce dernier et feu Mme Neumann ou l’ordonnance du 11 octobre 1999 du Bayerisches Oberstes Landesgericht, refusant la reconnaissance en Allemagne du jugement de divorce du Tribunal de première instance de Namur. Il est ainsi hautement probable que, à la date à laquelle le requérant a demandé au Parlement de bénéficier de la pension de survie, c’est-à-dire le 11 août 2004, il était conscient qu’il existait potentiellement une autre personne pouvant éventuellement revendiquer la qualité de conjoint survivant auprès de l’institution et demander le bénéfice de la pension de survie. Dans ce contexte, il convient encore de se référer, d’une part, à la plainte pour bigamie du 17 mars 2005, introduite par feu M. Braun-Neumann contre le requérant, lequel, selon la lettre du Staatsanwaltschaft Siegen du 16 février 2006 (voir point 33 du présent arrêt), avait contesté les faits qui lui étaient reprochés, ce qui signifie qu’il en avait été informé, d’autre part, à la procédure devant l’Amtsgericht Siegen, à laquelle le requérant était partie représentée et a ainsi évidemment connu les termes mêmes de l’ordonnance du 25 janvier 2006, laquelle se réfère expressément à l’ordonnance du Bayerisches Oberstes Landesgericht, susmentionnée ; tant la procédure qu’a déclenchée la plainte pour bigamie, que celle ayant abouti à l’ordonnance susmentionnée du 25 janvier 2006, datent d’une période bien antérieure à la date à laquelle feu M. Braun-Neumann a demandé au Parlement de bénéficier de la pension de survie. Dans ces conditions, il ne fait nul doute que le requérant pouvait légitimement s’attendre à ce que feu M. Braun-Neumann réclame un jour au Parlement le bénéfice de la pension de survie au titre de sa qualité de conjoint survivant.

130    Pour toutes ces raisons, le moyen tiré de la violation du principe de confiance légitime doit être écarté, étant par ailleurs à rappeler dans ce contexte que le Parlement a décidé, même après avoir accordé à feu M. Braun-Neumann le bénéfice de 50 % de la pension de survie du chef de feu Mme Neumann avec effet rétroactif à partir du 1er août 2004, de ne pas procéder à la répétition de l’indu, à l’encontre du requérant, pour les 50 % de la pension de survie que celui-ci a trop perçus entre le 1er août 2004 et la date d’effet de la décision attaquée.

131    Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation, et, par conséquent, les conclusions tendant à la condamnation du Parlement à verser rétroactivement au requérant, à partir du 1er avril 2006, 50 % supplémentaires de la pension de survie de feu Mme Neumann et à continuer à lui verser ce montant mensuellement, jusqu’en octobre 2009, doivent être rejetées.

 Sur les dépens

132    En vertu de l’article 122 du règlement de procédure, les dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, relatives aux dépens et frais de justice, ne s’appliquent qu’aux affaires introduites devant le Tribunal à compter de l’entrée en vigueur de ce règlement de procédure, à savoir le 1er novembre 2007. Les dispositions du règlement de procédure du Tribunal de première instance pertinentes en la matière continuent à s’appliquer mutatis mutandis aux affaires pendantes devant le Tribunal avant cette date.

133    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les institutions et leurs agents, les frais exposés par celles-ci restent à leur charge.

134    Quant à l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, il énonce que le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supporte ses propres dépens.

135    En l’espèce, le requérant ayant succombé en son recours, il y a lieu de décider que chaque partie principale supporte ses propres dépens.

136    Quant à la partie intervenante, s’il est vrai que le Tribunal, de sa propre initiative, l’a invitée à intervenir dans la présente procédure, il est toutefois constant, tout d’abord, qu’elle a demandé, en réponse, à intervenir au soutien des conclusions du Parlement, ensuite, que cette intervention lui a garanti la représentation de ses intérêts dans le cadre de la procédure, enfin et principalement, qu’elle a ainsi pu faire valoir et défendre ses droits face aux prétentions du requérant, ce qui lui a été bénéfique, son intervention n’ayant pas été sans incidence sur le raisonnement du juge, lequel a abouti au rejet des conclusions du requérant. Pour ces raisons, il y a lieu de décider que la partie intervenante supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(assemblée plénière)

déclare et arrête :

1)      Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions visant à ce que le Parlement verse à M. Mandt la totalité de la pension de survie pour autant que ces conclusions visent la période postérieure au 31 octobre 2009.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie, y compris la partie intervenante, supporte ses propres dépens.

Mahoney

Gervasoni

Kreppel

Tagaras

 

Van Raepenbusch

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juillet 2010.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       P. Mahoney



* Langue de procédure : l’allemand.