Language of document : ECLI:EU:C:2019:308

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 avril 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Énergie – Secteur du gaz de pétrole liquéfié (GPL) – Protection des consommateurs – Obligation d’intérêt économique général – Prix maximal de la bouteille de gaz – Obligation de distribution à domicile – Article 106 TFUE – Directives 2003/55/CE, 2009/73/CE et 2006/123/CE – Interprétation de l’arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205) – Principe de proportionnalité »

Dans les affaires jointes C‑473/17 et C‑546/17,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décisions du 29 juin 2017 (C‑473/17) et du 19 juillet 2017 (C‑546/17), parvenues à la Cour le 2 août 2017 (C‑473/17) et le 18 septembre 2017 (C‑546/17), dans les procédures

Repsol Butano SA (C‑473/17),

DISA Gas SAU (C‑546/17)

contre

Administración del Estado,

en présence de :

Redexis Gas SL,

Repsol Butano SA (C‑546/17),

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev, E. Regan et C. G. Fernlund, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 septembre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour Repsol Butano SA et DISA Gas SAU, par Mes F. Castedo Bartolomé, F. Castedo Álvarez, L. Moliner Oliva et A. Rueda García, abogados,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González et Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes O. Beynet et S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 décembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO 2003, L 176, p. 57), et du principe de proportionnalité, tels qu’interprétés par la Cour dans l’arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant Repsol Butano SA et DISA Gas SAU à l’Administración del Estado (administration de l’État, Espagne) au sujet de la légalité de l’Orden IET/389/2015 por la que se actualiza el sistema de determinación automática de precios máximos de venta, antes de impuestos, de los gases licuados del petróleo envasados y se modifica el sistema de determinación automática de las tarifas de venta, antes de impuestos, de los gases licuados del petróleo por canalización (arrêté IET/389/2015, actualisant le système de détermination automatique des prix maximaux de vente, avant impôt, du gaz de pétrole liquéfié conditionné et modifiant le système de détermination automatique des prix de vente, avant impôt, du gaz de pétrole liquéfié par canalisation), du 5 mars 2015 (BOE no 58, du 9 mars 2015, p. 20850, ci‑après l’« arrêté IET/389/2015 »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2003/55

3        La directive 2003/55, abrogée par la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55 (JO 2009, L 211, p. 94), prévoyait, à son article 1er :

« 1.      La présente directive établit des règles communes concernant le transport, la distribution, la fourniture et le stockage du gaz naturel. Elle définit les modalités d’organisation et de fonctionnement du secteur du gaz naturel, d’accès au marché, ainsi que les critères et procédures applicables en ce qui concerne l’octroi d’autorisations de transport, de distribution, de fourniture et de stockage du gaz naturel, et l’exploitation des réseaux.

2.      Les règles établies par la présente directive pour le gaz naturel, y compris du gaz naturel liquéfié (GNL), s’appliquent également au biogaz et au gaz issu de la biomasse ou à d’autres types de gaz, dans la mesure où il est techniquement possible de les injecter et de les transporter en toute sécurité dans le réseau de gaz naturel. »

4        L’article 3, paragraphe 2, de cette directive disposait :

« En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité [CE], en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables et garantissent aux entreprises de gaz de l’Union européenne un égal accès aux consommateurs nationaux. En matière de sécurité d’approvisionnement et de gestion orientée vers l’efficacité énergétique et la satisfaction de la demande et pour atteindre les objectifs environnementaux visés au présent paragraphe, les États membres peuvent mettre en œuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau. »

 La directive 2009/73

5        L’article 1er de la directive 2009/73 énonce :

« 1.      La présente directive établit des règles communes concernant le transport, la distribution, la fourniture et le stockage de gaz naturel. Elle définit les modalités d’organisation et de fonctionnement du secteur du gaz naturel, l’accès au marché, les critères et les procédures applicables en ce qui concerne l’octroi d’autorisations pour le transport, la distribution, la fourniture et le stockage de gaz naturel ainsi que l’exploitation des réseaux.

2.      Les règles établies par la présente directive pour le gaz naturel, y compris le gaz naturel liquéfié (GNL), s’appliquent également, de manière non discriminatoire, au biogaz et au gaz issu de la biomasse ou à d’autres types de gaz, dans la mesure où il est techniquement possible de les injecter et de les transporter en toute sécurité dans le réseau de gaz naturel. »

6        L’article 3, paragraphe 2, de cette directive prévoit :

« En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité [CE], en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique, l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises de gaz naturel de la Communauté un égal accès aux consommateurs nationaux. En matière de sécurité d’approvisionnement, d’efficacité énergétique et de gestion de la demande et pour atteindre les objectifs environnementaux et les objectifs concernant l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables, visés au présent paragraphe, les États membres peuvent mettre en œuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau. »

 La directive 2006/123/CE

7        Les considérants 5, 8, 17, 70 à 73 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), énoncent :

« (5)      Il convient [...] d’éliminer les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires dans les États membres et à la libre circulation des services entre États membres et de garantir aux destinataires et aux prestataires la sécurité juridique nécessaire à l’exercice effectif de ces deux libertés fondamentales du traité. Étant donné que les obstacles au marché intérieur des services affectent aussi bien les opérateurs qui souhaitent s’établir dans d’autres États membres que ceux qui fournissent un service dans un autre État membre sans s’y établir, il convient de permettre au prestataire de développer ses activités de services au sein du marché intérieur soit en s’établissant dans un État membre, soit en faisant usage de la libre circulation des services. Les prestataires devraient être en mesure de choisir entre ces deux libertés, en fonction de leur stratégie de développement dans chaque État membre.

(8)      Les dispositions de la présente directive concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des services ne devraient s’appliquer que dans la mesure où les activités en cause sont ouvertes à la concurrence, de manière à ce qu’elles n’obligent pas les États membres à libéraliser les services d’intérêt économique général ou à privatiser des entités publiques proposant de tels services, ni à abolir les monopoles existants pour d’autres activités ou certains services de distribution.

(17)      La présente directive ne vise que les services fournis en échange d’une contrepartie économique. [...] Les services d’intérêt économique général sont des services qui sont fournis en contrepartie d’une rémunération et entrent par conséquent dans le champ d’application de la présente directive. Toutefois, certains services d’intérêt économique général, notamment dans le domaine des transports, sont exclus du champ d’application de la présente directive et certains autres services d’intérêt économique général, par exemple ceux pouvant exister dans le domaine des services postaux, font l’objet d’une dérogation à la disposition sur la libre prestation des services établie par la présente directive. [...]

(70)      Aux fins de la présente directive, et sans préjudice de l’article 16 du traité, des services ne peuvent être considérés comme des services d’intérêt économique généra[l] que s’ils sont fournis en application d’une mission particulière de service public confiée au prestataire par l’État membre concerné. L’attribution de cette mission devrait se faire au moyen d’un ou de plusieurs actes, dont la forme est déterminée par l’État membre concerné, et devrait définir la nature exacte de la mission attribuée.

(71)      Le processus d’évaluation mutuelle prévu dans la présente directive ne devrait limiter en rien la liberté qu’ont les États membres de fixer dans leur législation un niveau élevé de protection de l’intérêt général, en particulier en liaison avec des objectifs en matière de politique sociale. En outre, il est nécessaire que ce processus tienne pleinement compte de la spécificité des services d’intérêt économique général et des missions particulières qui leur sont assignées. Ceci peut justifier certaines restrictions à la liberté d’établissement, en particulier quand ces restrictions concernent la protection de la santé publique et la politique sociale et lorsqu’elles satisfont aux conditions énoncées à l’article 15, paragraphe 3, points a), b) et c). [...]

(72)      Les services d’intérêt économique général sont chargés de missions importantes liées à la cohésion sociale et territoriale. Le processus d’évaluation prévu dans la présente directive ne devrait pas faire obstacle à l’accomplissement de ces missions. Les exigences requises pour accomplir de telles missions ne devraient pas être affectées par ledit processus ; en même temps, il convient de remédier aux restrictions injustifiées à la liberté d’établissement.

(73)      [...] L’évaluation de la compatibilité des tarifs obligatoires minimums ou maximums avec la liberté d’établissement ne vise que les tarifs imposés par les autorités compétentes spécifiquement pour la prestation de certains services et non, par exemple, les règles générales relatives à la fixation des prix comme pour la location d’un logement. »

8        Aux termes de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/123 :

« 1.      La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services.

2.      La présente directive ne traite pas de la libéralisation des services d’intérêt économique général, réservés à des organismes publics ou privés, ni de la privatisation d’organismes publics prestataires de services. »

9        L’article 2 de cette directive prévoit :

« 1.      La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre.

2.      La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes :

a)      les services d’intérêt général non économiques ;

[...] »

10      L’article 15 de ladite directive, intitulé « Exigences à évaluer », figurant au chapitre III de cette directive relatif à la liberté d’établissement des prestataires, dispose :

« 1.      Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2.      Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

[...]

g)      les tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire ;

h)      l’obligation pour le prestataire de fournir, conjointement à son service, d’autres services spécifiques.

3.      Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a)      non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b)      nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c)      proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

4.      Les paragraphes 1, 2 et 3 ne s’appliquent à la législation dans le domaine des services d’intérêt économique général que dans la mesure où l’application de ces paragraphes ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été confiée.

[...]

6.      À partir du 28 décembre 2006, les États membres ne peuvent plus introduire de nouvelles exigences du type de celles visées au paragraphe 2, à moins que ces exigences soient conformes aux conditions prévues au paragraphe 3.

[...] »

 Le droit espagnol

11      L’article 1er, paragraphe 3, de la Ley 34/1998 del sector de hidrocarburos (loi 34/1998 relative au secteur des hydrocarbures), du 7 octobre 1998 (BOE no 241, du 8 octobre 1998, p. 33517), prévoit :

« Les activités destinées à la fourniture d’hydrocarbures liquides et gazeux sont exercées conformément aux principes d’objectivité, de transparence et de libre concurrence. »

12      L’article 37, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« Les activités de raffinage du pétrole brut, le transport, le stockage, la distribution et la vente de produits pétroliers, y compris le gaz de pétrole liquéfié, peuvent être effectuées librement dans les termes prévus par la présente loi, sans préjudice des obligations pouvant découler d’autres dispositions et de la législation sectorielle pertinente, notamment fiscales, relatives à l’aménagement du territoire et à l’environnement et à la protection des consommateurs et des usagers. »

13      L’article 38 de ladite loi énonce :

« Les prix des produits pétroliers sont libres. »

14      La quatrième disposition transitoire de la Ley 34/1998 prévoyait :

« Au moyen d’une formule déterminée réglementairement, le gouvernement peut établir les prix maximaux de vente au public du gaz de pétrole liquéfié conditionné tant que les conditions de concurrence et de compétitivité sur ce marché ne sont pas considérées suffisantes. Le prix maximal inclut le coût de la distribution à domicile. »

15      L’article 5 du Real Decreto‑ley 15/1999 por el que se aprueban medidas de liberalización, reforma estructural e incremento de la competencia en el sector de hidrocarburos (décret‑loi royal 15/1999 portant approbation de mesures de libéralisation, de réforme structurelle et d’augmentation de la concurrence dans le secteur des hydrocarbures), du 1er octobre 1999 (BOE no 236, du 2 octobre 1999, p. 35442), prévoyait :

« 1.      Le prix maximal de vente au public, avant impôt, du gaz de pétrole liquéfié conditionné dans des bouteilles d’un poids net égal ou supérieur à 8 kilogrammes [kg] est fixé à 83,4 pesetas/kg, incluant la distribution à domicile. Ce prix est applicable pendant une période de douze mois à compter de l’entrée en vigueur du présent décret-loi royal.

2.      Le ministre de l’Industrie et de l’Énergie établit, par arrêté ministériel, après accord de la commission déléguée du gouvernement aux affaires économiques, dans le délai de douze mois fixé au paragraphe précédent, un système de fixation des prix du gaz de pétrole liquéfié conditionné eu égard au caractère saisonnier des marchés.

3.      Si les conditions de concurrence et de compétitivité sur ce marché ne sont pas considérées suffisantes, le ministre de l’Industrie et de l’Énergie peut établir, par arrêté ministériel, après accord de la commission déléguée du gouvernement aux affaires économiques, d’autres systèmes de fixation des prix maximaux de vente au public de gaz de pétrole liquéfié conditionné. Le prix maximal inclut le coût de la distribution à domicile. »

16      Le Real Decreto‑ley 8/2014 de aprobación de medidas urgentes para el crecimiento, la competitividad y la eficiencia (décret‑loi royal 8/2014, portant adoption de mesures urgentes pour la croissance, la compétitivité et l’efficacité), du 4 juillet 2014 (BOE no 163, du 5 juillet 2014, p. 52544), a abrogé la quatrième disposition transitoire de la Ley 34/1998 ainsi que l’article 5 du décret‑loi royal 15/1999.

17      La trente-troisième disposition additionnelle de la loi 34/1998, telle que modifiée par le décret‑loi royal 8/2014, prévoit :

« 1.      Les utilisateurs ayant un contrat de fourniture de gaz de pétrole liquéfié conditionné dans des bouteilles d’un poids net égal ou supérieur à 8 kg et inférieur à 20 kg, à l’exception des dispositifs de mélange aux fins de l’utilisation du gaz de pétrole liquéfié comme carburant, ont le droit à une distribution à domicile.

Au niveau péninsulaire et dans chaque territoire insulaire et extrapéninsulaire, le grossiste en gaz de pétrole liquéfié ayant la plus grande part de marché en raison de ses ventes dans le secteur du gaz de pétrole liquéfié conditionné dans des bouteilles d’un poids net égal ou supérieur à 8 kg et inférieur à 20 kg, à l’exception des dispositifs de mélange aux fins de l’utilisation du gaz de pétrole liquéfié comme carburant, est tenu de distribuer le gaz de pétrole liquéfié au domicile de toute personne le demandant dans le ressort territorial correspondant.

2.      La liste des grossistes en gaz de pétrole liquéfié ayant obligation de distribution [à domicile] est établie par décision du directeur général de la politique énergétique et des mines tous les trois ans. Cette décision est publiée au Journal officiel de l’État.

Si l’évolution du marché et la structure commerciale du secteur le requièrent et en tout état de cause tous les cinq ans, le gouvernement révise les conditions d’exercice de l’obligation imposée par la présente disposition ou décide de sa suppression.

3.      Nonobstant les dispositions de l’article 38 de la présente loi, tant que les conditions de concurrence et de compétitivité sur ce marché ne sont pas considérées suffisantes, le ministre de l’Industrie, de l’Énergie et du Tourisme établit, après accord de la commission déléguée du gouvernement aux affaires économiques, les prix maximaux de vente au public du gaz de pétrole liquéfié conditionné dans des bouteilles d’un poids net égal ou supérieur à 8 kg et inférieur à 20 kg dont le poids à vide est supérieur à 9 kg, à l’exception des dispositifs de mélange aux fins de l’utilisation du gaz de pétrole liquéfié comme carburant, en fixant les valeurs concrètes de ces prix ou un système de détermination et d’actualisation automatique de ces prix. Le prix maximal inclut le coût de la distribution à domicile.

4.      Sans préjudice des paragraphes précédents, si le grossiste en gaz de pétrole liquéfié tenu de distribuer à domicile des bouteilles d’un poids net égal ou supérieur à 8 kg et inférieur à 20 kg n’a pas de bouteilles dont le poids à vide est supérieur à 9 kg, l’obligation de distribution à domicile aux prix maximaux de vente visée au paragraphe 3 s’étend aux bouteilles dont le poids à vide est inférieur à 9 kg dans le ressort territorial correspondant.

5.      Les grossistes en gaz de pétrole liquéfié doivent fournir à la direction générale de la politique énergétique et des mines les informations qui leur sont demandées pour l’exercice de leurs fonctions, notamment aux fins de l’application, de l’examen et du suivi de l’obligation de distribution à domicile, des distributions de gaz de pétrole liquéfié effectuées et des prix maximaux de vente au public visés aux paragraphes précédents. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

18      Il ressort de la décision de renvoi que Repsol Butano et DISA Gas ont introduit, devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), des recours contentieux administratifs contre l’arrêté IET/389/2015.

19      Au soutien de son recours, Repsol Butano fait valoir que le système de fixation des prix maximaux du gaz de pétrole liquéfié (GPL) conditionné mis en œuvre par l’arrêté IET/389/2015 est contraire à la libéralisation du secteur concerné et discriminatoire. DISA Gas soutient que l’obligation de distribution à domicile des bouteilles de GPL à un prix maximal réglementé est discriminatoire en ce qu’elle est imposée à un seul opérateur dans chaque zone territoriale définie par la réglementation espagnole. En outre, ce système serait contraire à la libéralisation du secteur et au principe de proportionnalité. Il encouragerait également des distorsions de concurrence.

20      Selon la juridiction de renvoi, l’arrêté IET/389/2015, qui a, notamment, pour objet l’actualisation du système de détermination automatique des prix maximaux de vente du GPL conditionné, a été adopté sur la base de la réglementation espagnole relative au secteur des hydrocarbures, à savoir la trente-troisième disposition additionnelle de la loi 34/1998, introduite par le décret-loi royal 8/2014.

21      Cette disposition prévoirait, d’une part, que le Ministro de Industria, Energía y Turismo (ministre de l’Industrie, de l’Énergie et du Tourisme, Espagne) établit, « tant que les conditions de concurrence et de compétitivité sur ce marché ne sont pas considérées suffisantes », les prix maximaux de vente du GPL conditionné dans des bouteilles d’un poids net se situant entre 8 kg et 20 kg et dont le poids à vide est supérieur à 9 kg. En cas d’indisponibilité de ces bouteilles, les prix maximaux de vente s’appliqueraient également à d’autres bouteilles.

22      D’autre part, cette disposition législative prévoirait une obligation de distribution à domicile des bouteilles de gaz auxquelles s’applique le prix réglementé. Le coût de la livraison serait inclus dans le prix maximal. Cette obligation serait imposée aux opérateurs qui détiennent la plus grande part de marché dans le secteur du GPL conditionné dans des bouteilles d’un poids net se situant entre 8 kg et 20 kg, dans les divers territoires du Royaume d’Espagne, à savoir dans la péninsule, les îles Baléares et les îles Canaries ainsi qu’à Ceuta et à Melilla. La liste des opérateurs soumis à l’obligation de livraison serait établie par décision du directeur général de la politique énergétique et des mines tous les trois ans. Aux termes de la trente-troisième disposition additionnelle de la loi 34/1998, le gouvernement réviserait les conditions d’exercice de cette obligation « [s]i l’évolution du marché et la structure commerciale du secteur le requièrent et en tout état de cause tous les cinq ans ».

23      La juridiction de renvoi relève, en outre, que, avant l’adoption du décret‑loi royal 8/2014, d’autres dispositions de la loi 34/1998 prévoyaient déjà la possibilité de fixer un prix maximal de vente du GPL conditionné ainsi qu’une obligation de distribution à domicile. Selon cette juridiction, ces mesures ont été continuellement mises en œuvre et prolongées depuis l’année 1998, et cela en dépit du fait que la réglementation pertinente leur conférait expressément un caractère transitoire. La prolongation de ces mesures pendant une période aussi longue pourrait faire obstacle à l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché concerné. Ceux-ci se trouveraient dans une situation dans laquelle l’opérateur qui détient la plus grande part de marché sur un territoire donné offre le GPL conditionné à un prix maximal fixé administrativement, lequel inclut, en outre, la distribution à domicile.

24      La juridiction de renvoi considère que le fait d’imposer un prix maximal qui inclut la distribution à domicile peut constituer une entrave à l’entrée sur le marché de nouveaux opérateurs. Certes, dans la mesure où ceux-ci utilisent des bouteilles moins lourdes, qui ne sont pas soumises au prix réglementé, ils pourraient fixer les prix librement. Toutefois, en pratique, ils ne pourraient pas s’écarter de ce prix sous peine de ne pas disposer d’une demande justifiant les investissements à réaliser. Il y aurait donc des raisons de penser que ces mesures ont, en réalité, un effet de gel du marché, allant à l’encontre du libre jeu de la concurrence.

25      En ce qui concerne la compatibilité des mesures en cause au principal avec le droit de l’Union, la Cour aurait jugé, dans son arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205), que la directive 2003/55 régissant le marché du gaz naturel ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, dans l’intérêt économique général, cherche à maintenir le prix de la fourniture de gaz naturel à un niveau raisonnable moyennant l’établissement de prix de référence, à condition que cette réglementation tienne compte des objectifs de libéralisation et de protection du consommateur final, qu’elle soit nécessaire et qu’elle ait une durée limitée.

26      Le Tribunal Supremo (Cour suprême) aurait jugé que les critères dégagés dans cet arrêt sont également applicables au marché du gaz liquéfié conditionné, à condition que ce marché ait une dimension communautaire, cela même en l’absence de réglementation de l’Union régissant spécifiquement ce marché.

27      La juridiction de renvoi relève que, dans les présentes affaires, la mesure consistant à fixer un prix maximal de vente du gaz liquéfié conditionné peut être qualifiée de mesure de protection des consommateurs socialement vulnérables, en ce qu’elle cherche à garantir que le prix de fourniture au consommateur final soit maintenu à un niveau raisonnable. Il en irait de même de l’obligation de distribution à domicile. Ces mesures poursuivraient, par conséquent, des objectifs d’intérêt économique général, au sens de l’article 106 TFUE.

28      Toutefois, ces mesures auraient un caractère général et indifférencié, dès lors qu’elles bénéficient à tous les consommateurs. En outre, alors qu’il ressortirait de la réglementation pertinente que ces mesures ont un caractère transitoire en ce qu’elles sont renouvelées « tant que les conditions de concurrence et de compétitivité sur ce marché ne sont pas considérées suffisantes », elles seraient en vigueur depuis plus de 18 ans.

29      Il y aurait lieu, par conséquent, de douter de la compatibilité de ces mesures avec le droit de l’Union, à la lumière des critères dégagés dans l’arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205), et du principe de proportionnalité.

30      Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une mesure fixant un prix maximal de la bouteille de gaz liquéfié conditionné en tant que mesure de protection des utilisateurs socialement vulnérables est-elle conforme à la jurisprudence établie dans l’arrêt [du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205),] et au principe de proportionnalité si les circonstances suivantes se produisent, alternativement ou conjointement :

–        la mesure est adoptée à titre général pour tous les consommateurs et pour une durée indéterminée “tant que les conditions de concurrence et de compétitivité sur ce marché ne sont pas considérées suffisantes”,

–        la mesure est en vigueur depuis déjà plus de 18 ans,

–        la mesure peut contribuer à geler la situation de faible concurrence en faisant obstacle à l’entrée de nouveaux opérateurs ?

2)      Une mesure imposant la distribution à domicile du gaz liquéfié conditionné en tant que mesure de protection des utilisateurs socialement vulnérables ou vivant dans des zones difficilement accessibles est-elle conforme à la jurisprudence établie dans l’arrêt [du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205),] et au principe de proportionnalité si les circonstances citées dans la question précédente se produisent, alternativement ou conjointement ? »

 Sur les questions préjudicielles

31      Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de proportionnalité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des mesures, telles que celles en cause dans les litiges au principal, qui fixent un prix maximal du GPL conditionné dans des bouteilles d’un poids net se situant entre 8 kg et 20 kg et dont le poids à vide est supérieur à 9 kg, et imposent aux opérateurs qui détiennent la plus grande part de marché dans le secteur concerné, sur un marché géographique donné, la distribution à domicile de ce gaz. Elle se réfère, dans ce contexte, aux critères qui découlent de l’arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205).

32      À cet égard, il convient de rappeler que, dans cet arrêt, la Cour a statué sur l’interprétation de la directive 2003/55, notamment de l’article 3, paragraphe 2, de celle-ci, régissant l’intervention des États membres, dans l’intérêt économique général, dans le secteur du gaz naturel, visé par cette directive. Dans ce cadre, la Cour s’est prononcée sur les critères permettant d’apprécier la proportionnalité d’une mesure consistant à déterminer un prix de référence de la fourniture de gaz naturel aux consommateurs finals.

33      La directive 2003/55 a été abrogée par la directive 2009/73, dont l’article 3, paragraphe 2, est, en substance, identique à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/55 et a fait l’objet d’une interprétation par la Cour dans l’arrêt du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637).

34      Le champ d’application de ces deux directives est défini, respectivement, à l’article 1er de chacune d’elles. Conformément à ces dispositions, ces directives s’appliquent au gaz naturel ainsi qu’au biogaz et au gaz issu de la biomasse ou à d’autres types de gaz, dans la mesure où il est techniquement possible de les injecter et de les transporter en toute sécurité dans le réseau de gaz naturel.

35      Ainsi que le gouvernement espagnol et la Commission européenne l’ont indiqué dans leurs observations soumises à la Cour, il n’est pas possible, techniquement, d’injecter et de transporter du GPL en toute sécurité dans le réseau de gaz naturel. Partant, ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé à bon droit, il convient de conclure que des règles nationales régissant la seule vente de GPL ne relèvent ni du champ d’application de la directive 2003/55 ni de celui de la directive 2009/73.

36      Il en résulte que l’article 3, paragraphe 2 de la directive 2003/55 et l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73, tels qu’interprétés par la Cour dans les arrêts du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205), et du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637), ne sont pas pertinents aux fins de la solution des litiges au principal.

37      Toutefois, la juridiction de renvoi s’interroge sur la manière dont elle doit appliquer, aux mesures en cause dans les litiges dont elle est saisie, les critères d’appréciation du respect du principe de proportionnalité dégagés dans l’arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205).

38      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 29 novembre 2018, baumgarten sports & more, C‑548/17, EU:C:2018:970, point 22).

39      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union qui doivent être respectés par une réglementation nationale qui entre dans le champ d’application du droit de l’Union ou met en œuvre ce dernier (arrêt du 6 mars 2014, Siragusa, C‑206/13, EU:C:2014:126, point 34).

40      Dans les présentes affaires, il est constant que les mesures en cause au principal sont susceptibles de faire obstacle à l’entrée de nouveaux opérateurs sur un marché caractérisé par un faible niveau de concurrence. La juridiction de renvoi considère que ces mesures pourraient ainsi entraver les libertés fondamentales consacrées dans le traité FUE. Elle estime, toutefois, que ces mesures poursuivent un but d’intérêt économique général, à savoir l’approvisionnement en énergie, à un prix raisonnable, de consommateurs vulnérables. C’est dans ce contexte qu’elle s’interroge sur le point de savoir si, eu égard à leurs effets restrictifs sur le marché intérieur ainsi qu’à l’objectif poursuivi, les mesures en cause au principal sont proportionnées.

41      Il convient de constater que des mesures telles que celles en cause au principal, qui fixent un prix maximal du GPL conditionné dans certaines bouteilles de gaz et imposent aux opérateurs qui détiennent la plus grande part de marché dans le secteur concerné, sur un marché géographique donné, leur distribution à domicile, constituent une restriction à la liberté d’établissement des prestataires de services, au sens de la directive 2006/123, et relèvent du champ d’application de cette dernière.

42      En effet, d’une part, l’article 15, paragraphe 2, sous g), de la directive 2006/123 qualifie expressément les « tarifs obligatoires [...] maximum que doit respecter le prestataire » d’« exigences », au sens de l’article 4, point 7, de cette directive, lesquelles constituent des conditions qui affectent la liberté d’établissement des prestataires de services (voir, par analogie, arrêt du 23 décembre 2015, Hiebler, C‑293/14, EU:C:2015:843, point 51). D’autre part, l’obligation de livraison à domicile imposée à certains opérateurs en fonction de leur part de marché dans le secteur du GPL conditionné constitue un « autre service spécifique », au sens de l’article 15, paragraphe 2, sous h), de la directive 2006/123, qui doit, selon les règles nationales applicables, être fourni conjointement au service principal consistant en la vente de ce gaz.

43      Par ailleurs, il ressort expressément de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123, lu en combinaison avec les considérants 17, 70 et 72 de celle-ci, que les règles établies par cette directive s’appliquent, en principe, aux services d’intérêt économique général, seuls les services d’intérêt général non économiques étant exclus de leur champ d’application (voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2015, Hiebler, C‑293/14, EU:C:2015:843, points 43 et 44).

44      Les exigences énumérées dans la liste prévue au paragraphe 2 de l’article 15 de la directive 2006/123 doivent être soumises à une évaluation par les États membres. Conformément au paragraphe 1 de cet article 15, ces derniers sont, toutefois, autorisés à maintenir ou, le cas échéant, à introduire dans leurs systèmes juridiques des exigences, sous réserve que celles‑ci soient conformes aux conditions de non‑discrimination, de nécessité et de proportionnalité visées au paragraphe 3 dudit article 15 (voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2015, Hiebler, C‑293/14, EU:C:2015:843, point 54).

45      Ainsi, l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 prévoit qu’une restriction à la liberté d’établissement, telle que celle résultant de la fixation d’un prix maximal du GPL et de l’obligation de distribution à domicile, peut être justifiée. Il requiert, à cette fin, le respect de conditions visant à ce que cette restriction, tout d’abord, ne soit pas discriminatoire en fonction de la nationalité, ensuite, soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et, enfin, soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, n’aille pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre et ne puisse pas être remplacée par d’autres mesures moins contraignantes permettant d’atteindre le même résultat (voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2015, Hiebler, C‑293/14, EU:C:2015:843, point 55).

46      S’agissant des entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général, il ressort, en outre, du paragraphe 4 de l’article 15 de la directive 2006/123 que les paragraphes 1 à 3 de cet article 15 ne s’appliquent à la législation nationale pertinente que dans la mesure où leur application ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui a été confiée à ces entreprises.

47      Toutefois, ainsi qu’il résulte des termes mêmes du paragraphe 4 de l’article 15 de la directive 2006/123, dès lors que les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité, visées au paragraphe 3 de cet article 15, ne font pas échec à la mission particulière assignée par l’autorité compétente à un service d’intérêt économique général, celles‑ci doivent-être respectées.

48      À la lumière de ce qui précède et afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile, il convient de considérer que celle-ci cherche à savoir si la condition de proportionnalité prévue à l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des mesures, telles que celles en cause au principal, qui fixent un prix maximal du GPL conditionné dans des bouteilles d’un poids net se situant entre 8 kg et 20 kg et dont le poids à vide est supérieur à 9 kg et imposent aux opérateurs qui détiennent la plus grande part de marché dans le secteur concerné, sur un marché géographique donné, la distribution à domicile de ce gaz.

49      S’il appartient au juge national d’apprécier la compatibilité des mesures nationales avec le droit de l’Union, la Cour peut néanmoins lui fournir toute indication utile afin de résoudre le litige qui lui est soumis (arrêt du 14 février 2019, Nestrade, C‑562/17, EU:C:2019:115, point 36).

50      Il ressort du point 31 du présent arrêt que la juridiction de renvoi s’interroge, dans ce contexte, en particulier sur l’applicabilité et l’interprétation des critères dégagés dans l’arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205), relatif à la proportionnalité d’une intervention étatique dans le secteur du gaz naturel.

51      Ainsi qu’il a été également relevé dans le présent arrêt, le secteur du gaz naturel est régi par la directive 2009/73. Celle-ci a pour objectif de poursuivre la réalisation d’un marché intérieur du gaz naturel entièrement et effectivement ouvert et concurrentiel, dans lequel tous les consommateurs peuvent choisir librement leurs fournisseurs et dans lequel tous les fournisseurs peuvent fournir librement leurs produits à leurs clients, ce qui implique que le prix de fourniture du gaz naturel doit être fixé exclusivement par le jeu de l’offre et de la demande (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2016, ANODE, C‑121/15, EU:C:2016:637, point 26).

52      En outre, la Cour a jugé qu’une entrave résultant d’une mesure d’intervention publique sur les prix de vente du gaz naturel, pour être conforme au principe de proportionnalité, doit nécessairement avoir une durée limitée, qui ne dépasse pas ce qui est nécessaire afin d’atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a., C‑265/08, EU:C:2010:205, points 33 et 35).

53      Ces considérations s’appliquent également à la condition de proportionnalité visée à l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123.

54      Certes, il est permis aux États membres de maintenir ou, le cas échéant, d’introduire des exigences du type de celles mentionnées au paragraphe 2 de l’article 15 de la directive 2006/123, sous réserve que celles-ci soient conformes aux conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité visées au paragraphe 3 de cet article 15 (arrêt du 16 juin 2015, Rina Services e.a., C‑593/13, EU:C:2015:399, point 33).

55      Toutefois, l’appréciation de la conformité d’une telle exigence avec le principe de proportionnalité est susceptible de varier dans le temps, en fonction du marché concerné et de l’évolution de celui-ci. En outre, il convient d’éviter que le maintien de l’une des exigences visées à l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123 revienne à pérenniser une entrave à la réalisation du marché intérieur.

56      Dans ce contexte, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si et dans quelle mesure les autorités compétentes sont soumises par le droit national applicable à une obligation de réexamen périodique, à des périodes rapprochées, de la nécessité et des modalités de leur intervention, en fonction de l’évolution du marché concerné (arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a., C‑265/08, EU:C:2010:205, point 35).

57      À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que la trente-troisième disposition additionnelle de la loi 34/1998, telle que modifiée par décret‑loi royal 8/2014, prévoit que le ministre de l’Industrie, de l’Énergie et du Tourisme établit les prix maximaux de vente du GPL « tant que les conditions de concurrence et de compétitivité sur ce marché ne sont pas considérées suffisantes ». En outre, il ressort de cette disposition que l’obligation de livraison à domicile est revue si « l’évolution du marché et la structure commerciale du secteur le requièrent et en tout état de cause tous les cinq ans ».

58      Il revient à la juridiction de renvoi de vérifier si cette disposition nationale répond à l’exigence de procéder au réexamen périodique visé au point 56 du présent arrêt.

59      Par ailleurs, il ressort du dossier dont dispose la Cour que le droit national applicable prévoit un mécanisme d’adaptation du prix maximal de vente du GPL à des intervalles réguliers, afin qu’il reflète l’évolution des coûts, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. Ainsi que l’a jugé la Cour, un tel mécanisme, qui ne vise qu’une révision périodique du niveau de ces tarifs et ne concerne pas la nécessité ni les modalités de l’intervention publique sur les prix, ne saurait être assimilé à une limitation de la durée de la mesure en cause (arrêt du 7 septembre 2016, ANODE, C‑121/15, EU:C:2016:637, point 62).

60      Ensuite, il y a lieu de relever que le fait, évoqué dans les décisions de renvoi, que des mesures, telles que celles en cause au principal, sont en vigueur en Espagne depuis l’année 1998, et cela en dépit de leur caractère transitoire, ne permet pas, à lui seul, de conclure que ces mesures ne sont pas adéquates. En effet, il ressort des observations que le gouvernement espagnol a soumises à la Cour que le marché espagnol du GPL conditionné dans des bouteilles serait en récession en raison de l’expansion du marché du gaz naturel. La diminution des ventes qui en résulterait accroîtrait les coûts des opérateurs présents sur ce marché et rendrait plus difficile l’établissement de nouveaux concurrents qui pourraient exercer une pression sur les prix. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier ces éléments et d’en tenir compte lors de l’appréciation de la proportionnalité des mesures en cause au principal.

61      En outre, le prix réglementé et l’obligation de livraison concernés ne s’appliquent, selon les informations dont dispose la Cour, qu’au GPL conditionné dans des bouteilles d’un poids net se situant entre 8 kg et 20 kg et dont le poids à vide est supérieur à 9 kg. Le commerce de ce gaz au moyen d’autres contenants n’est pas soumis à ces obligations. Il revient, à cet égard, à la juridiction de renvoi de vérifier si les mesures en cause au principal ont pour effet de diminuer, voire de réduire à néant, la rentabilité du commerce de GPL non réglementé. Tel pourrait être notamment le cas si le prix maximal, tel qu’il est fixé en application de la réglementation espagnole pertinente, était substantiellement inférieur au prix du marché, ainsi que l’allèguent les requérantes au principal.

62      Enfin, l’exigence de proportionnalité doit également être appréciée au regard du champ d’application personnel de la mesure concernée et, plus précisément, de ses bénéficiaires (arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a., C‑265/08, EU:C:2010:205, point 39).

63      À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que les mesures litigieuses visent des consommateurs domestiques et non pas des entreprises, ce qui correspond à l’objectif poursuivi par ces mesures, à savoir l’approvisionnement en énergie, à un prix raisonnable, de consommateurs vulnérables.

64      Par ailleurs, il est constant que les consommateurs domestiques bénéficient des mesures en cause au principal indépendamment du point de savoir s’ils sont socialement vulnérables ou encore s’ils vivent dans des zones difficilement accessibles ou éloignées des points de distribution de GPL. Si cette circonstance est, en principe, susceptible de constituer un indice selon lequel ces mesures vont au-delà de ce qui pourrait être nécessaire afin d’atteindre leur objectif, il n’en demeure pas moins que le principe de proportionnalité ne fait pas nécessairement obstacle à ce que les mesures litigieuses concernent l’ensemble des consommateurs domestiques (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a., C‑265/08, EU:C:2010:205, point 40). La juridiction de renvoi doit examiner, dans ce contexte, la possibilité ainsi que l’opportunité d’adopter des mesures ciblant davantage les consommateurs vulnérables. Constituent des éléments pertinents, à cet égard, les arguments des requérantes au principal et du gouvernement espagnol, relatifs à la faisabilité de l’adoption de mesures de remplacement et aux effets économiques éventuels de telles mesures.

65      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la condition de proportionnalité prévue à l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à des mesures, telles que celles en cause au principal, qui fixent un prix maximal de la bouteille de GPL conditionné et imposent à certains opérateurs la distribution à domicile de ce gaz, à condition que ces mesures ne soient maintenues que pour une durée limitée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt économique général poursuivi.

 Sur les dépens

66      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

La condition de proportionnalité prévue à l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à des mesures, telles que celles en cause au principal qui fixent un prix maximal de la bouteille de gaz de pétrole liquéfié conditionné, et imposent à certains opérateurs la distribution à domicile de ce gaz, à condition que ces mesures ne soient maintenues que pour une durée limitée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt économique général poursuivi.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.