Language of document :

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

24 mai 2011 (*)

«Pourvoi – Aides d’État – Article 88, paragraphes 2 et 3, CE – Règlement (CE) n° 659/1999 – Décision de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Conditions de recevabilité – Moyens d’annulation invocables – Notion de ‘partie intéressée’ – Lien de concurrence – Affectation – Marché de l’approvisionnement»

Dans l’affaire C‑83/09 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 23 février 2009,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. K. Gross et V. Kreuschitz, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Kronoply GmbH & Co. KG, établie à Heiligengrabe (Allemagne),

Kronotex GmbH & Co. KG, établie à Heiligengrabe (Allemagne),

représentées par Mes R. Nierer et L. Gordalla, Rechtsanwälte,

parties demanderesses en première instance,

Zellstoff Stendal GmbH, établie à Arneburg (Allemagne), représentée par Mes T. Müller-Ibold et K. Karl, Rechtsanwälte,

République fédérale d’Allemagne,

Land Sachsen-Anhalt,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts et J.-C. Bonichot, présidents de chambre, M. A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. J. Malenovský, U. Lõhmus, E. Levits (rapporteur), A. Ó Caoimh, M. Safjan et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 novembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 10 décembre 2008, Kronoply et Kronotex/Commission (T‑388/02, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a déclaré recevable le recours en annulation formé par Kronoply GmbH & Co. KG et Kronotex GmbH & Co. KG (ci-après, ensemble, «Kronoply et Kronotex») contre la décision C (2002) 2018 final de la Commission, du 19 juin 2002, de ne pas soulever d’objections à l’encontre des mesures d’aide d’État octroyée à Zellstoff Stendal GmbH par les autorités allemandes (ci-après la «décision litigieuse»).

 Le cadre juridique

2        Il résulte du deuxième considérant du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), que ce règlement vise à codifier et à étayer la pratique constante développée et établie par la Commission, en conformité avec la jurisprudence de la Cour’, dans l’application de l’article 88 CE.

3        L’article 1er dudit règlement prévoit:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

[...]

h)      ‘parties intéressées’: tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles.»

4        L’article 4 du même règlement, intitulé «Examen préliminaire de la notification et décisions de la Commission», dispose à ses paragraphes 2 à 4:

«2.      Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.

3.      Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 87, paragraphe 1, CE, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide que cette mesure est compatible avec le marché commun (ci-après dénommée ‘décision de ne pas soulever d’objections’). Cette décision précise quelle dérogation prévue par le traité a été appliquée.

4.      Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (ci-après dénommée ‘décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen’).»

5        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999:

«La décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun. La décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger ce délai.»

6        L’encadrement multisectoriel des aides à finalité régionale en faveur de grands projets d’investissement (JO 1998, C 107, p. 7, ci-après l’«encadrement multisectoriel de 1998»), en vigueur au moment des faits, définit les règles d’évaluation des aides qui entrent dans son champ d’application, aux fins de l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE.

7        En vertu de l’encadrement multisectoriel de 1998, la Commission fixe, au cas par cas, l’intensité d’aide maximale admissible pour les projets soumis à l’obligation de notification prévue à l’article 2 du règlement n° 659/1999.

 Les antécédents du litige

8        Le 9 avril 2002, un projet d’aides d’État en faveur de Zellstoff Stendal GmbH (ci-après «ZSG») a été notifié à la Commission par les autorités allemandes.

9        Les aides envisagées, consistant en un prêt non remboursable, une prime fiscale à l’investissement et une caution à hauteur de 80 % d’un prêt – ce qui représente, selon la Commission, un montant total de 250,899 millions d’euros – étaient destinées à financer la construction d’une installation de production de pâte à papier de haute qualité ainsi que la création d’une entreprise d’approvisionnement en bois et d’une entreprise de logistique à Arneburg, dans le Land de Saxe-Anhalt.

10      Kronoply et Kronotex sont des sociétés de droit allemand qui fabriquent des panneaux de fibres (MDF, HDF ou LDF) ainsi que des panneaux à copeaux orientés à partir de leurs sites de production implantés à Heiligengrabe, dans le Land de Brandebourg. À l’instar de ZSG, la matière première principale que requiert leur activité est le bois.

11      Par la décision litigieuse, la Commission a décidé, à l’issue d’un examen préliminaire, de ne pas soulever d’objections à l’encontre des aides envisagées en raison de l’absence de surcapacités dans ce secteur et du nombre d’emplois directs et indirects créés. Ainsi, et sans avoir ouvert la phase d’examen formelle prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, elle a considéré que les aides envisagées étaient compatibles avec le marché intérieur.

 La procédure en première instance et l’arrêt attaqué

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2002, Kronoply et Kronotex ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, en s’appuyant sur trois moyens.

13      Premièrement, Kronoply et Kronotex considéraient que, en ayant constaté la compatibilité avec le marché intérieur du projet d’aide en faveur de ZSG, la Commission avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits.

14      Deuxièmement, en n’ayant pas procédé à l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la Commission aurait méconnu les garanties procédurales que Kronoply et Kronotex tireraient de l’article 88, paragraphe 2, CE.

15      Troisièmement, la Commission aurait violé notamment l’article 87, paragraphes 1 et 3, sous c), CE ainsi que les lignes directrices régionales et l’encadrement multisectoriel de 1998.

16      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 25 février 2003, la Commission a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité dont l’une est tirée du défaut de qualité pour agir des requérantes en première instance. Selon cette institution, Kronoply et Kronotex ne pouvaient être considérées comme des entreprises concurrentes de la bénéficiaire de l’aide et, par conséquent, ne pouvaient prétendre au statut de «partie intéressée» au sens du règlement n° 659/1999. Pour cette raison, elles n’auraient pas été recevables à attaquer la décision litigieuse.

17      Par ordonnance du 14 juin 2005, le Tribunal a décidé de joindre au fond les exceptions d’irrecevabilité.

18      Sur la question de la qualité pour agir de Kronoply et Kronotex, le Tribunal a rappelé, au point 55 de l’arrêt attaqué, que, conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement. Il a également indiqué la jurisprudence constante issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197), selon laquelle les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés par cette décision que si celle-ci les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait.

19      Après avoir mis en avant, aux points 57 à 59 de l’arrêt attaqué, la distinction entre la phase préliminaire d’examen des aides d’État et la procédure formelle d’examen au sens de l’article 88, paragraphes 2 et 3, CE, qui caractérise le contrôle par la Commission de la compatibilité d’une telle aide avec le marché intérieur, le Tribunal a rappelé, aux points 60 et 61 de ce même arrêt, la jurisprudence selon laquelle le recours visant à l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, introduit par un intéressé au sens du paragraphe 2 de cet article 88, doit être déclaré recevable lorsque l’auteur de ce recours tend, par l’introduction de celui-ci, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec. p. I‑2487, point 23, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, Rec. p. I‑3203, point 17). Le Tribunal a précisé, à cet égard, qu’il fallait entendre par «intéressé», toute personne, toute entreprise ou toute association éventuellement affectée dans ses intérêts par l’octroi d’une aide.

20      Ayant souligné au point 62 de l’arrêt attaqué que, aux termes de la jurisprudence, la qualité de partie intéressée ne pouvait toutefois qu’être le fondement de la qualité pour agir dans le cadre d’un recours en annulation visant à la sauvegarde de droits procéduraux, la recevabilité d’un recours par lequel l’auteur de celui-ci conteste le bien-fondé d’une décision devant satisfaire aux conditions de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée, il a constaté, au point 63 dudit arrêt, que, par leurs moyens, Kronoply et Kronotex mettaient en cause, en l’espèce, à la fois le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen et le bien-fondé de la décision litigieuse.

21      Sur ce fondement, le Tribunal a procédé à un examen de la qualité pour agir de Kronoply et Kronotex en fonction des moyens qu’elles avancent.

22      S’agissant de la qualité pour agir de Kronoply et Kronotex pour contester le bien-fondé de la décision litigieuse, le Tribunal a constaté, au point 69 de l’arrêt attaqué, que Kronoply et Kronotex n’avaient pas établi qu’elles étaient individuellement concernées par ladite décision. Dès lors, il a rejeté comme irrecevable la partie de leur recours dirigée contre le bien-fondé de la décision litigieuse.

23      S’agissant de la qualité pour agir de Kronoply et Kronotex pour obtenir le respect de leurs droits procéduraux, le Tribunal a rappelé, aux points 71 et 72 de l’arrêt attaqué, que la qualité d’intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE résulte de l’intérêt légitime que peut avoir une personne physique ou morale à ce que les mesures d’aide en cause soient ou ne soient pas mises en œuvre. Ainsi, une entreprise concurrente disposerait d’un tel intérêt lorsqu’elle peut établir que sa position concurrentielle sur le marché est affectée ou susceptible d’être affectée par l’octroi de l’aide.

24      Ayant souligné, aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, que les effets non négligeables d’une aide étaient susceptibles de se faire sentir non seulement sur le marché sur lequel le bénéficiaire de celle-ci est actif, mais également sur d’autres marchés éventuellement situés en amont ou en aval, le Tribunal a notamment jugé, au point 76 de cet arrêt, que «les requérantes ont démontré qu’il y a eu une augmentation, du moins temporaire, des prix du bois. Bien qu’il n’ait pas été démontré par les requérantes que cette augmentation est imputable à la mise en activité de l’usine de ZSG, l’existence de conséquences négatives, au moins temporaires, pour les requérantes postérieurement à – et probablement à cause de – l’établissement de ZSG ne peut être exclue. Une augmentation des prix des matières premières, non contestée pour l’année 2003, est susceptible de se répercuter sur le prix des produits finis et, donc, d’affaiblir la compétitivité des entreprises qui la subissent par rapport à leurs concurrents qui ne sont pas confrontés à la même situation».

25      Le Tribunal en a déduit, au point 77 dudit arrêt, qu’«[i]l y a, par conséquent, lieu de constater que les requérantes ont établi à suffisance de droit l’existence d’un lien de concurrence ainsi que l’affectation potentielle de leur position sur le marché, imputable à l’octroi de l’aide en cause. Elles doivent donc être considérées comme parties intéressées au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE.»

26      En conséquence, le Tribunal a estimé, au point 78 du même arrêt, que «[l]e présent recours est […] recevable en ce que les requérantes ont la qualité pour agir pour obtenir le respect de leurs droits procéduraux. Dans ces conditions, il incombe au Tribunal de vérifier si, par les moyens invoqués à l’appui de leur recours, les requérantes entendent effectivement défendre leurs droits procéduraux, résultant de l’article 88, paragraphe 2, CE».

27      Sur ce fondement, le Tribunal s’est prononcé sur la recevabilité des trois moyens d’annulation invoqués par Kronoply et Kronotex, tirés, respectivement, d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une méconnaissance de leurs garanties procédurales et, enfin, de la violation de l’article 87, paragraphes 1 et 3, sous c), CE, des lignes directrices régionales ainsi que de l’encadrement multisectoriel de 1998.

28      Ce faisant, après avoir relevé, au point 80 de l’arrêt attaqué, que, par leur deuxième moyen, Kronoply et Kronotex soutenaient expressément que la Commission aurait dû ouvrir la procédure d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, le Tribunal a précisé, aux points 81 et 82 dudit arrêt, que, même s’il ne lui appartenait pas d’interpréter les moyens visant exclusivement à remettre en cause le bien-fondé d’une décision comme tendant, en réalité, à sauvegarder les droits procéduraux de Kronoply et Kronotex, il pouvait vérifier si des arguments de fond n’apportent pas également des éléments à l’appui d’un moyen visant expressément la sauvegarde des droits procéduraux.

29      C’est à partir de ces éléments que le Tribunal a constaté que le premier moyen, contrairement au troisième, contenait des arguments de fond visant à contester la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, permettant d’étayer le deuxième moyen allégué au soutien de la sauvegarde de droits procéduraux.

30      Il en a conclu, au point 86 de l’arrêt attaqué, que les arguments du premier moyen devaient être pris en compte dans le cadre de l’analyse du deuxième moyen, le troisième moyen étant quant à lui irrecevable.

31      Quant au fond, le Tribunal a rejeté les arguments de Kronoply et Kronotex.

32      Il a ainsi estimé, au point 115 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait adopté la décision litigieuse sur la base d’éléments complets et fiables, avant de conclure, aux points 117, 128, 146 et 152 de l’arrêt attaqué, que Kronoply et Kronotex étaient restées en défaut de démontrer que la Commission avait rencontré, lors de l’examen préliminaire de la mesure d’aide contestée, des difficultés sérieuses ayant nécessité l’ouverture de la phase formelle d’examen.

33      Le Tribunal a, par conséquent, rejeté le recours en annulation dans son ensemble.

 Les conclusions des parties

34      Par son pourvoi, la Commission conclut à ce que la Cour:

–        annule l’arrêt attaqué dans la mesure où il déclare recevable le recours en annulation formé par Kronoply et Kronotex contre la décision litigieuse;

–        rejette comme irrecevable le recours en annulation formé par Kronoply et Kronotex contre la décision litigieuse, et

–        condamne Kronoply et Kronotex aux dépens afférents au pourvoi.

35      ZSG conclut à ce que la Cour:

–        annule l’arrêt attaqué en ce qu’il déclare recevable le recours en annulation formé par Kronoply et Kronotex contre la décision litigieuse;

–        rejette comme irrecevable le recours en annulation formé par Kronoply et Kronotex contre la décision litigieuse, et

–        condamne solidairement Kronoply et Kronotex aux dépens.

 Sur le pourvoi

36      La Commission, soutenue en cela par ZSG, invoque trois moyens par lesquels elle conteste l’arrêt attaqué en tant qu’il déclare le recours de Kronoply et Kronotex recevable.

 Sur les premier et deuxième moyens

 Argumentation des parties

37      En premier lieu, la Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal a considéré à tort comme étant recevable, sur le fondement de conditions différentes de celles prévues à l’article 230, quatrième alinéa, CE, le recours formé par Kronoply et Kronotex. À cet égard, la jurisprudence sur laquelle le Tribunal s’est fondé consacrerait, à partir de l’article 108 TFUE, des conditions alternatives de recevabilité.

38      Or, le législateur de l’Union ayant explicitement fixé, à l’article 230, quatrième alinéa, CE, les conditions de recevabilité des recours contre les actes des institutions, il ne saurait être considéré que ce même législateur ait entendu y déroger de manière implicite par l’article 108 TFUE.

39      ZSG ajoute que les conditions de recevabilité d’un recours dirigé contre une décision de la Commission ne sauraient varier en fonction des moyens d’annulation invoqués.

40      En second lieu, la Commission, appuyée en cela par ZSG, souligne que le Tribunal, après avoir indiqué au point 81 de l’arrêt attaqué qu’il ne lui appartenait pas d’interpréter «le recours d’un requérant mettant en cause exclusivement le bien-fondé d’une décision d’appréciation de l’aide en tant que telle comme visant en réalité à sauvegarder les droits procéduraux que le requérant tire de l’article 88, paragraphe 2, CE lorsque le requérant n’a pas expressément formé de moyen poursuivant cette fin», se serait précisément livré à une telle interprétation au point 82 dudit arrêt.

41      Or, ce faisant, d’une part, le Tribunal aurait outrepassé ses compétences, celui-ci étant lié par les termes du recours tels que ceux-ci résultent des mémoires déposés devant lui. D’autre part, une telle approche conduirait à rompre l’égalité des parties devant le juge de l’Union, privilégiant la position des requérants au détriment de celle de la Commission.

42      ZSG précise que, en procédant de la sorte, le Tribunal aurait, à tort, anticipé l’appréciation que la Commission serait amenée à porter sur le dossier lors de la procédure formelle d’examen, alors même que, au stade de la phase préliminaire, l’aide envisagée n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi.

Appréciation de la Cour

43      En premier lieu, s’agissant du grief tiré d’une violation des conditions de l’article 230, quatrième alinéa, CE, il doit d’emblée être rappelé que l’article 4 du règlement n° 659/1999 instaure une phase préliminaire d’examen des mesures d’aide notifiées qui a pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité avec le marché commun de l’aide en cause. À l’issue de cette phase, la Commission constate que cette mesure soit ne constitue pas une aide, soit entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. Dans cette dernière hypothèse, ladite mesure peut ne pas susciter de doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun ou, au contraire, en susciter.

44      Si la Commission constate, après l’examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 87, paragraphe 1, CE, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle adopte une décision de ne pas soulever d’objections au titre de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999.

45      Lorsque la Commission adopte une décision de ne pas soulever d’objections, elle déclare non seulement la mesure compatible avec le marché commun, mais elle refuse également implicitement d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999.

46      Si la Commission constate, après l’examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle est tenue d’adopter, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 659/1999, une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE et à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement. Aux termes de cette dernière disposition, une telle décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois.

47      En l’espèce, la décision litigieuse est une décision de ne pas soulever d’objections fondée sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 dont la légalité dépend du point de savoir s’il existe des doutes quant à la compatibilité de l’aide avec le marché commun. Dès lors que de tels doutes doivent donner lieu à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen à laquelle peuvent participer les parties intéressées visées à l’article 1er, sous h), du règlement n° 659/1999, il doit être considéré que toute partie intéressée au sens de cette dernière disposition est directement et individuellement concernée par une telle décision. En effet, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues à l’article 88, paragraphe 2, CE et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester la décision de ne pas soulever d’objections devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, point 35 et jurisprudence citée; du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, Rec. p. I‑10515, point 28, ainsi que du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, Rec. p. I‑5963, point 31 et jurisprudence citée).

48      Partant, la qualité particulière de partie intéressée au sens de l’article 1er, sous h), du règlement n° 659/1999, liée à l’objet spécifique du recours, suffit pour individualiser, selon l’article 230, quatrième alinéa, CE, le requérant qui conteste une décision de ne pas soulever d’objections.

49      En l’espèce, d’une part, il ressort de l’arrêt attaqué, et notamment du point 16 de celui-ci, que, par leur recours, Kronoply et Kronotex cherchaient à obtenir l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections au titre de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999. D’autre part, au point 77 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, en substance, que Kronoply et Kronotex devaient être considérées comme des parties intéressées au sens de l’article 1er, sous h), du règlement n° 659/1999.

50      En second lieu, la Commission et ZSG font valoir que le Tribunal a modifié l’objet du recours dans la mesure où il a examiné non seulement le deuxième moyen du recours tiré de la méconnaissance des garanties procédurales dont bénéficient les intéressés, mais également des arguments soulevés dans le cadre du premier moyen mettant en cause le bien-fondé de la décision de ne pas soulever d’objections.

51      À cet égard, si le requérant qui conteste la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen doit définir l’objet de son recours dans sa requête, conformément à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, cette exigence est remplie à suffisance de droit lorsque le requérant identifie la décision dont il demande l’annulation.

52      Il importe peu que la requête indique qu’elle vise à l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections – expression figurant à l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 – ou d’une décision de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, dès lors que c’est par une décision unique que la Commission statue sur les deux aspects de la question.

53      En l’occurrence, il convient de rappeler que Kronoply et Kronotex demandent, en première instance, l’annulation de la décision de la Commission «de ne pas soulever d’objection contre l’octroi d’aides par la République fédérale d’Allemagne» à ZSG, en invoquant trois moyens à l’appui de leur recours.

54      À cet égard, le Tribunal a constaté, au point 80 de l’arrêt attaqué, que Kronoply et Kronotex soutiennent expressément que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen uniquement par leur deuxième moyen.

55      S’agissant des premier et troisième moyens, le Tribunal a ainsi relevé à bon droit, au point 81 de l’arrêt attaqué, que, conformément à une jurisprudence constante, il ne lui appartenait pas d’interpréter le recours d’un requérant mettant en cause exclusivement le bien-fondé d’une décision d’appréciation de l’aide en tant que telle comme visant en réalité à sauvegarder les droits procéduraux que le requérant tire de l’article 88, paragraphe 2, CE lorsque le requérant n’a pas expressément formé de moyen poursuivant cette fin. Dans une telle hypothèse, l’interprétation du moyen aurait conduit en fait à une requalification de l’objet du recours (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, point 25).

56      Toutefois, au point 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé qu’une telle limite au pouvoir d’interprétation des moyens de recours n’avait pas pour effet de l’empêcher d’examiner des arguments de fond avancés par un requérant afin de vérifier s’ils apportaient aussi des éléments à l’appui d’un moyen, également formé par le requérant, soutenant expressément l’existence de difficultés sérieuses qui auraient justifié l’ouverture de la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE.

57      Par conséquent, le Tribunal a statué, au point 83 de l’arrêt attaqué, qu’il lui était loisible d’examiner les premier et troisième moyens, afin d’apprécier si les arguments présentés dans le cadre de ceux-ci pouvaient se rattacher au moyen tiré de la méconnaissance des garanties procédurales. Dans ce contexte, il a jugé, au point 86 de cet arrêt, que les arguments avancés au soutien du premier moyen, en ce qu’ils visaient à contester la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, devaient être examinés en même temps que les arguments soulevés à l’appui du deuxième moyen.

58      Or, ce faisant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.

59      Lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections, il met en cause essentiellement le fait que la décision prise par la Commission à l’égard de l’aide en cause a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant ce faisant ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, le requérant peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission dispose, lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun. L’utilisation de tels arguments ne saurait pour autant avoir pour conséquence de transformer l’objet du recours ni d’en modifier les conditions de recevabilité (voir, en ce sens, arrêt 3F/Commission, précité, point 35). Au contraire, l’existence de doutes sur cette compatibilité est précisément la preuve qui doit être apportée pour démontrer que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 88, paragraphe 2, CE ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999.

60      Dans ces conditions, les premier et deuxième moyens du pourvoi doivent être rejetés dans leur intégralité.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

61      Selon la Commission, en considérant que des entreprises qui ne sont pas en concurrence sur le marché du produit qu’elles fabriquent avec le bénéficiaire de l’aide peuvent se voir reconnaître le statut d’intéressés au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, le Tribunal a commis une erreur de droit. Ce faisant, le Tribunal permettrait l’exercice d’une forme d’action populaire contre les décisions de la Commission en matière d’aides d’État. Partant, dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal aurait, à tort, considéré que Kronoply et Kronotex avaient un intérêt à obtenir l’annulation de la décision litigieuse.

62      À cet égard, ZSG fait également valoir que le raisonnement suivi par le Tribunal a pour conséquence d’agrandir de façon démesurée le cercle des entreprises susceptibles de contester une décision en matière d’aides d’État. De fait, si ZSG utilise principalement de la pâte à bois pour son activité, elle utilise aussi d’autres matières et sources d’énergie pour son processus de production. Partant, l’arrêt attaqué aurait pour conséquence de reconnaître la qualité d’intéressé à un ensemble illimité de requérants potentiels.

 Appréciation de la Cour

63      Aux termes de l’article 1er, sous h), du règlement n° 659/1999, il faut entendre par partie intéressée notamment toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, c’est-à-dire en particulier les entreprises concurrentes du bénéficiaire de cette aide. Il s’agit, en d’autres termes, d’un ensemble indéterminé de destinataires (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, point 16).

64      Partant, cette disposition n’exclut pas qu’une entreprise qui n’est pas une concurrente directe de la bénéficiaire de l’aide, mais nécessite pour son processus de production la même matière première, soit qualifiée de partie intéressée, pour autant qu’elle fasse valoir que ses intérêts pourraient être affectés par l’octroi de l’aide.

65      Pour ce faire, il importe que cette entreprise démontre, à suffisance de droit, que l’aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation (voir, en ce sens, arrêt 3F/Commission, précité, point 33).

66      En l’occurrence, au point 71 de l’arrêt attaqué, après avoir rappelé, qu’une personne physique ou morale, afin de se voir reconnaître la qualité d’intéressée, doit pouvoir justifier d’un intérêt légitime à ce que les mesures d’aides en cause soient ou ne soient pas mises en œuvre, ou maintenues lorsqu’elles ont déjà été accordées, le Tribunal a souligné que, s’agissant d’une entreprise, un tel intérêt légitime peut, notamment, consister en la protection de sa position concurrentielle sur le marché, dans la mesure où celle-ci serait affectée par des mesures d’aide.

67      Ayant constaté, aux points 74 et 75 de l’arrêt attaqué, que Kronoply et Kronotex ne sont pas concurrentes sur les mêmes marchés de produits, mais utilisent dans leur processus de production les mêmes matières premières, à savoir du bois d’industrie, le Tribunal en a déduit que les requérantes et ZSG se trouvent dans une relation de concurrence en tant qu’acheteuses de bois.

68      Par la suite, le Tribunal a estimé, au point 76 de l’arrêt attaqué, que les requérantes ont démontré qu’il y a eu une augmentation, du moins temporaire, des prix du bois, et jugé que, malgré le fait que ces dernières n’aient pas démontré que cette augmentation était imputable à la mise en activité de l’usine de ZSG, l’existence de conséquences négatives pour elles, probablement à cause de l’établissement de ZSG, ne pouvait être exclue.

69      Sur ce fondement, le Tribunal a considéré, au point 77 de ce même arrêt, que Kronoply et Kronotex «ont établi à suffisance de droit l’existence d’un lien de concurrence ainsi que l’affectation potentielle de leur position sur le marché, imputable à l’octroi de l’aide contestée».

70      Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal une erreur de droit en ce qu’il a considéré, en substance, que des entreprises qui ne sont pas en relation de concurrence avec le bénéficiaire de l’aide sur le marché du produit qu’elles fabriquent peuvent relever de la notion de «parties intéressées» au sens de l’article 1er, sous h), du règlement n° 659/1999.

71      Il découle de ces considérations que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que Kronoply et Kronotex avaient la qualité de parties intéressées au sens de cette disposition.

72      Par conséquent, le troisième moyen au soutien du pourvoi doit être rejeté.

73      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

74      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 69, paragraphe 3, de ce même règlement précise que la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

75      Dans la présente espèce, la Commission, soutenue par ZSG, a succombé en ses moyens. Les plaignantes en première instance n’ayant pas participé à la procédure de pourvoi et n’ayant, par conséquent, pas conclu sur les dépens, il y a lieu de décider que la Commission et ZSG supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      La Commission européenne et Zellstoff Stendal GmbH supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.