Language of document : ECLI:EU:C:2005:723

ORDONNANCE DE LA COUR (troisième chambre)

24 novembre 2005 (*)

«Demande d’autorisation de pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de la Commission des Communautés européennes»

Dans l’affaire C-5/05 SA,

ayant pour objet une demande d’autorisation de pratiquer une saisie‑arrêt entre les mains de la Commission des Communautés européennes, introduite le 11 mars 2005,

Maria Fernanda Gil do Nascimento e.a., représentés par Me J. Grilo Simões, advogado,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme I. Martinez del Peral Cagigal et M. P. Guerra e Andrade, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), A. La Pergola, A. Borg Barthet et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: M. R. Grass,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1       Par leur requête, Mme Gil do Nascimento, M. Sirolla, Mme Leão Pingo Barata, MM. Vera Pedro et Fontes, Mmes Florindo Mestre et Coutinho Martins, MM. do Nascimento Neves et Rodrigues Paula ainsi que Mme Teixeira dos Santos (ci-après les «requérants») demandent à la Cour l’autorisation de pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de la Commission des Communautés européennes sur les sommes que cette dernière se serait engagée à verser à leur ancien employeur, la société de droit portugais ISD – Informação, Sistemas e Desenvolvimentos, SA (ci-après «ISD»).

2       Les requérants fondent leur demande sur les dispositions de l’article 1er du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (ci-après le «protocole»). Selon ces dispositions, «[l]es biens et avoirs des Communautés ne peuvent être l’objet d’aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour de justice».

 Les faits à l’origine du litige

3       En tant qu’anciens salariés d’ISD, les requérants ont saisi le Tribunal de trabalho de Lisboa et le Tribunal de trabalho de Barreiro d’actions en paiement d’arriérés de salaires dus par ISD.

4       Malgré les condamnations à verser les sommes réclamées, prononcées par ces juridictions pour un montant total de 112 484,79 euros, ISD n’a pas honoré ses dettes envers les requérants. Ces derniers ont alors sollicité la saisie-arrêt de sommes, déjà l'objet de saisies conservatoires, et que la Commission se serait engagée à verser à ISD pour financer la participation de cette entreprise à la réalisation d’études de développement technologique dans le cadre de programmes de recherche, au titre des politiques de la société de l’information.

5       Par correspondances adressées, notamment, le 1er juillet 2003, au Tribunal de trabalho de Lisboa et, le 28 septembre 2004, au Tribunal de trabalho de Barreiro, la Commission a attiré l’attention de ces juridictions sur les dispositions de l’article 1er du protocole et précisé que ces correspondances ne préjugeaient pas de la position de la Commission sur l’existence d’une dette éventuelle envers l’entreprise saisie.

6       La Commission a, en outre, adressé à ces mêmes juridictions, le 29 novembre 2004, une lettre par laquelle elle a déclaré qu’elle n’entendait pas invoquer le protocole. Elle leur a alors également communiqué le montant de la dette potentielle de la Communauté européenne envers ISD et celui de la dette exigible à cette date, soit 22 322 euros. Elle a encore exprimé à cette occasion son inquiétude résultant du constat que les saisies exécutoires prononcées par ces deux juridictions portaient déjà sur un montant de plus de 112 000 euros.

7       À une demande de renseignements qui lui avait été adressée par le Tribunal de trabalho de Lisboa, la Commission a répondu à ce dernier, par lettre du 11 mars 2005, dans les termes suivants: «[l]a Commission européenne vous informe officiellement qu’elle accepte la saisie exécutoire du montant de 22 322 euros et que ce montant est à la disposition du tribunal». À une demande identique qui lui avait été adressée par le Tribunal de trabalho de Barreiro, la Commission a répondu à ce dernier, le 7 avril 2005, dans le même sens.

 La demande devant la Cour

8       Les requérants ont demandé à la Cour, le 11 mars 2005, l’autorisation de procéder à la saisie-arrêt des créances d’ISD sur la Commission.

9       Dans ses observations en défense, la Commission fait valoir, d’abord, qu’elle ne s’oppose pas à la saisie exécutoire de sa dette réelle correspondant au montant dû effectivement à ISD et que, dans cette mesure, le recours est sans objet. Elle indique, ensuite, que les tribunaux nationaux concernés ont eu tort de poursuivre la procédure nationale, avant toute prise de position définitive de la Commission, et de convertir les saisies conservatoires en saisies exécutoires, alors que la dette de la Communauté était hypothétique. Elle s’oppose, enfin, à la saisie exécutoire de tout montant excédant sa dette réelle, puisque ladite saisie compromettrait le bon fonctionnement et l’indépendance de la Communauté, qui, en vertu du principe d’exécution stricte des dépenses inscrites au budget, ne peut effectuer des dépenses non prévues audit budget. Elle fait valoir à cet égard que la saisie de sommes que la Communauté ne doit pas affecterait le financement de la politique de la société de l’information, et également l’ensemble des politiques communautaires.

10     Dans ces conditions, la Commission demande à la Cour:

–       de constater le non-lieu à statuer dans la mesure où la défenderesse ne s’oppose pas à la saisie exécutoire;

–       de constater que l’article 1er du protocole fait obstacle aux actes judiciaires de saisie exécutoire à l’encontre de la Communauté dans les procédures dans lesquelles les requérants sont créanciers de l’entreprise saisie et, à défaut, de ne pas autoriser la saisie exécutoire de montants excédant la dette réelle de la Communauté envers l’entreprise saisie, conformément audit article;

–       de condamner les requérants à la totalité des dépens.

 Appréciation de la Cour

11     À titre liminaire, il convient de rappeler que, en prévoyant que les biens et avoirs des Communautés européennes ne peuvent être l’objet d’aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour, l’article 1er du protocole a pour but d’éviter que ne soient apportées des entraves au fonctionnement et à l’indépendance desdites Communautés (ordonnance du 27 mars 2003, Antippas/Commission, C‑1/02 SA, Rec. p. I‑2893, point 12). Il résulte du libellé de cette disposition que l’immunité est de droit et s’oppose, en l’absence d’une autorisation de la Cour, à l’exécution de toute mesure de contrainte à l’encontre des Communautés, sans que l’institution communautaire concernée ait à invoquer expressément le bénéfice des dispositions de l’article 1er du protocole, en particulier par un acte adressé au saisissant. Dans ces conditions, il appartient à ce dernier de demander à la Cour d’autoriser la levée de l’immunité (arrêt du 29 avril 1993, Forafrique Burkinabe/Commission, C‑182/91, Rec. p. I‑2161, point 12).

12     L’autorisation de la Cour pour procéder à des mesures de contrainte administrative ou judiciaire n’étant exigée qu’en vue de préserver l’existence des privilèges et immunités des Communautés, la compétence de la Cour dans le cas de saisies-arrêts doit se limiter à l’examen de la question de savoir si cette mesure est susceptible, au regard des effets qu’elle comporte selon le droit national applicable, d’apporter des entraves au fonctionnement et à l’indépendance des Communautés. La procédure de la saisie-arrêt, pour le surplus, reste entièrement réglée par le droit national applicable (ordonnance du 17 juin 1987, Universe Tankship/Commission, 1/87 SA, Rec. p. 2807, point 3, et arrêt Forafrique Burkinabe/Commission, précité, point 13).

13     L’article 1er du protocole n’a pas pour but ou pour effet de substituer le contrôle de la Cour au contrôle effectué par la juridiction nationale, compétente pour déterminer si toutes les conditions de la saisie-arrêt sont effectivement remplies. Ainsi, l’appréciation de la réalité de la créance du débiteur saisi à l’encontre du tiers saisi ne relève pas de la Cour, mais de la juridiction nationale compétente (ordonnance Antippas/Commission, précitée, point 13).

14     Par ailleurs, compte tenu de l’organisation particulière de la Communauté, et de son système unique de répartition des compétences entre les différentes institutions communautaires, il relève de la responsabilité de chacune de ces institutions d’admettre que la mesure de contrainte dont elle est saisie n’est pas de nature à apporter des entraves au fonctionnement et à l’indépendance de la Communauté. Ainsi, la protection juridique visée par la procédure d’autorisation à donner par la Cour dépasserait son but, lorsque l’institution tierce saisie estime n’avoir pas de motifs pour s’opposer à la saisie-arrêt (ordonnance Universe Tankship/Commission, précitée, point 4). En revanche, si l’institution concernée s’oppose à ce que la saisie-arrêt soit pratiquée, il appartient à la Cour, à la demande des intéressés, d’en décider (voir, en ce sens, ordonnance du 11 mai 1971, X/Commission, 1‑71 SA, Rec. p. 363, point 8).

15     Dès lors, si, après qu’un créancier a demandé à la Cour de lever l’immunité accordée par l’article 1er du protocole, l’institution concernée déclare ne pas avoir d’objection à la mesure de contrainte, la demande d’autorisation devient sans objet et n’a pas à être examinée par la Cour (voir, notamment, ordonnance Universe Tankship/Commission, précitée, point 7; arrêt Forafrique Burkinabe/Commission, précité, point 12, et ordonnance du 10 janvier 1995, Dupret/Commission, C-1/94 SA, Rec. p. I-1, point 3).

16     En l’espèce, la Commission, dans ses observations déposées devant la Cour le 25 avril 2005, déclare ne pas avoir d’objection à formuler quant à la mesure de contrainte faisant l'objet de la demande d'autorisation, en tant que cette demande porte sur la dette non contestée de la Communauté envers ISD. La Commission admet que, en l’état, cette dette s’élève à la somme de 22 322 euros.

17      Pour autant que la demande d’autorisation porte sur une saisie-arrêt limitée à la dette de 22 322 euros de la Communauté admise par la Commission envers ISD, ladite demande est sans objet et il n’y a pas lieu de statuer.

18     Pour le surplus, si la Commission a entendu soutenir que la procédure nationale de saisie-arrêt serait irrégulière en ce qu’elle porterait sur des sommes que la Communauté ne doit pas, une telle appréciation ne relève pas de la Cour mais de la juridiction nationale compétente, ainsi qu’il a été dit au point 13 de la présente ordonnance.

19     Si, pour leur part, les requérants doivent être regardés comme ayant entendu demander à la Cour l’autorisation de procéder à la saisie-arrêt de sommes excédant celle de 22 322 euros, ils ne se prévalent pas, cependant, d’une décision de la juridiction nationale compétente qui constaterait que la dette réelle de la Communauté envers ISD serait supérieure à celle qui est admise par la Commission.

20     En l’absence d’un tel constat, la Cour est privée de la possibilité de porter une appréciation concrète sur le bien-fondé de la demande d’autorisation de pratiquer la saisie-arrêt. En effet, la mesure des conséquences de celle-ci sur le fonctionnement et l’indépendance de la Communauté ne saurait être effectuée de manière hypothétique, sans aucun rapport avec une dette déterminée de ladite Communauté. Dès lors, la Cour ne peut, en l’espèce, que constater que manque, en l’état, l’une des conditions d’exercice de la compétence qui lui est confiée par l’article 1er du protocole (voir, en ce sens, ordonnance du 13 octobre 2005, Intek/Commission, C-1/05 SA, non publiée au Recueil, point 20). Dans ces conditions, il n’y a pas davantage lieu, en l’état, de statuer sur le surplus des conclusions de la demande des requérants.

21     Il résulte de tout ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la requête.

 Sur les dépens

22     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l’article 69, paragraphe 3, premier alinéa, du même règlement, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. Eu égard aux circonstances particulières qui ont donné naissance à la présente demande, il convient de décider que les requérants ainsi que la Commission supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) ordonne:

1)      Il n’y a pas lieu de statuer.

2)      Mme Gil do Nascimento, M. Sirolla, Mme Leão Pingo Barata, MM. Vera Pedro et Fontes, Mmes Florindo Mestre et Coutinho Martins, MM. do Nascimento Neves et Rodrigues Paula, Mme Teixeira dos Santos ainsi que la Commission des Communautés européennes supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le portugais.