Language of document : ECLI:EU:T:2004:372

Ordonnance du Tribunal

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
22 décembre 2004 (1)

« Procédure de référé – Article 82 CE »

Dans l'affaire T-201/04 R,

Microsoft Corp., établie à Redmond, Washington (États-Unis), représentée par Me J.‑F. Bellis, avocat, et M. I. S. Forrester, QC,

partie requérante,

soutenue par

The Computing Technology Industry Association, Inc., établie à Oakbrook Terrace, Illinois (États‑Unis), représentée par Mes G. van Gerven et T. Franchoo, avocats, et M. B. Kilpatrick, solicitor,

Association for Competitive Technology, Inc., établie à Washington, DC (États-Unis), représentée par Mes L. Ruessmann et P. Hecker, avocats,

TeamSystem SpA, établie à Pesaro (Italie),

Mamut ASA, établie à Oslo (Norvège),

représentées par Me G. Berrisch, avocat,

DMDsecure.com BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas),

MPS Broadband AB, établie à Stockholm (Suède),

Pace Micro Technology plc, établie à Shipley, West Yorkshire (Royaume-Uni),

Quantel Ltd, établie à Newbury, Berkshire (Royaume-Uni),

Tandberg Television Ltd, établie à Southampton, Hampshire (Royaume-Uni),

représentées par Me J. Bourgeois, avocat,

Exor AB, établie à Uppsala (Suède), représentée par Mes S. Martínez Lage, H. Brokelman et R. Allendesalazar Corcho, avocats,

parties intervenantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Wainwright, W. Mölls, F. Castillo de la Torre et P. Hellström, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

RealNetworks, Inc., établie à Seattle, Washington (États-Unis), représentée par Mes A. Winckler, M.  Dolmans et T. Graf, avocats,

Software & Information Industry Association, établie à Washington, DC, représentée par M. C. A. Simpson, solicitor,

Free Software Foundation Europe eV, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Me C. Piana, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande de sursis à l'exécution de l'article 4, de l'article 5, sous a) à c), et de l'article 6, sous a), de la décision C(2004) 900 final de la Commission, du 24 mars 2004, relative à une procédure d'application de l'article 82 CE (Affaire COMP/C-3/37.792 – Microsoft),



LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES



rend la présente



Ordonnance




Antécédents du litige

1
Microsoft Corp. (ci-après « Microsoft ») conçoit et commercialise différents logiciels comprenant, notamment, des systèmes d’exploitation pour serveurs et pour « PC clients ».

2
Le 10 décembre 1998, Sun Microsystems Inc. (ci-après « Sun Microsystems »), une société établie en Californie (États-Unis) qui fournit notamment des systèmes d’exploitation pour serveurs, a déposé une plainte auprès de la Commission. Dans sa plainte, Sun Microsystems dénonçait le refus de Microsoft de lui communiquer la technologie nécessaire pour permettre l’interopérabilité de son système d’exploitation pour serveurs de groupe de travail avec le système d’exploitation Windows pour PC clients. Selon Sun Microsystems, la technologie dont elle demandait à bénéficier était nécessaire pour lui permettre d’être concurrentielle sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail.

3
Le 2 août 2000, la Commission a adressé à Microsoft une communication des griefs. Cette communication des griefs portait, essentiellement, sur des questions concernant l’interopérabilité entre, d’une part, les systèmes d’exploitation Windows pour PC clients et, d’autre part, les systèmes d’exploitation pour serveurs d’autres fournisseurs (« l’interopérabilité client-à-serveur »). Microsoft a répondu à cette première communication des griefs le 17 novembre 2000.

4
Le 29 août 2001, la Commission a adressé à Microsoft une deuxième communication des griefs. Dans cette communication des griefs, la Commission a réitéré ses griefs antérieurs au sujet de l’interopérabilité client-à-serveur. La Commission a, en outre, abordé certaines questions relatives à l’interopérabilité entre serveurs de groupe de travail (« l’interopérabilité serveur-à-serveur »). Enfin, la Commission a évoqué certaines questions relatives à l’intégration du logiciel Windows Media Player au système d’exploitation Windows. La communication de ce dernier grief faisait suite à une enquête lancée, durant le mois de février 2000, à l’initiative de la Commission. Microsoft a répondu à la deuxième communication des griefs le 16 novembre 2001.

5
Le 6 août 2003, la Commission a adressé à Microsoft une communication des griefs destinée à compléter les deux communications des griefs précédentes. Par lettres des 17 et 31 octobre 2003, Microsoft a répondu à cette communication des griefs complémentaire.

6
Une audition a été organisée par la Commission les 12, 13 et 14 novembre 2003. Par lettre du 1er décembre 2003, Microsoft a déposé des observations écrites sur les questions soulevées lors de l’audition par les services de la Commission, par le plaignant et par les parties tierces intéressées. Après un dernier échange de lettres entre la Commission et Microsoft, la Commission a adopté, le 24 mars 2004, une décision relative à une procédure d’application de l’article 82 CE dans l’affaire COMP/C‑3/37.792 – Microsoft (ci-après la « Décision »).


La Décision

7
Selon la Décision, Microsoft a violé l’article 82 CE et l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) du fait de deux abus de position dominante.

8
La Commission a, dans un premier temps, identifié trois marchés de produit distincts et considéré que Microsoft avait une position dominante sur deux d’entre eux. Dans un second temps, la Commission a identifié deux comportements abusifs de Microsoft sur ces marchés. En conséquence, la Commission a imposé une amende et certaines mesures correctives à Microsoft.

I –  Marchés pertinents identifiés dans la Décision et position dominante de Microsoft sur deux de ces marchés

A – Marchés pertinents identifiés dans la Décision

9
Le premier marché de produit identifié dans la Décision est celui des systèmes d’exploitation pour PC clients (considérants 324 à 342). Un système d’exploitation est un produit logiciel qui contrôle les fonctions de base d’un ordinateur et permet à l’utilisateur de se servir de cet ordinateur et de faire fonctionner des applications sur celui-ci. Les PC clients sont des ordinateurs multifonctionnels qui sont conçus pour être utilisés par une seule personne à la fois et peuvent être connectés à un réseau.

10
Le deuxième marché de produit identifié dans la Décision est celui des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail (considérants 343 à 401). La Décision définit les « services de groupe de travail » comme les services afférents à un réseau de base qui sont utilisés par les employés de bureau dans leur travail quotidien pour trois séries de services distincts, c’est-à-dire, premièrement, le partage de fichiers stockés sur des serveurs, deuxièmement, le partage d’imprimantes et, troisièmement, l’« administration » de la façon dont les utilisateurs et les groupes d’utilisateurs ont accès aux services en réseau (« gestion des utilisateurs et des groupes d’utilisateurs ») (considérant 53). Cette dernière série de services consiste en particulier à garantir un accès et une utilisation sécurisés des ressources du réseau, notamment, dans un premier temps, en authentifiant les utilisateurs puis, dans un second temps, en vérifiant qu’ils sont autorisés à réaliser une action donnée (considérant 54).

11
Selon la Décision, les trois séries de services identifiés au point précédent sont étroitement liées au sein des systèmes d’exploitation pour serveurs (considérant 56). La Décision ajoute à cet égard que les « systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail » sont des systèmes d’exploitation conçus et commercialisés pour offrir, de façon intégrée, ces trois séries de services à un nombre relativement limité de PC clients connectés à un réseau de petite ou moyenne taille (considérants 53 et 345 à 368). La Décision indique également que l’absence d’autres produits substituables du point de vue de la demande est confirmée, d’une part, par la stratégie tarifaire de Microsoft (considérants 369 à 382) et, d’autre part, par l’importance de l’interopérabilité des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail avec les PC clients (considérants 383 à 386). Ayant, par ailleurs, considéré que l’existence de produits de substitution du point de vue de l’offre était réduite pour les systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail (considérants 388 à 400), la Commission en conclut qu’ils constituent un marché de produit distinct.

12
Le troisième marché identifié dans la Décision est celui des lecteurs multimédias permettant une réception en continu (considérants 402 à 425). Un lecteur multimédia est un produit logiciel capable de lire en format numérique des contenus son et image, c’est-à-dire de décoder les données correspondantes et de les traduire en instructions pour le matériel (haut-parleurs, écran). Les lecteurs multimédias permettant une réception en continu sont capables de lire des contenus « diffusés en continu » par le biais d’Internet.

13
Dans la Décision, la Commission considère, premièrement, que les lecteurs multimédias permettant une lecture en continu sont distincts des systèmes d’exploitation (considérants 404 à 406), deuxièmement, qu’ils ne subissent pas de pression concurrentielle de la part des lecteurs ne permettant pas une lecture en continu (considérants 407 à 410), troisièmement, que seuls les lecteurs multimédias ayant des fonctionnalités similaires exercent une pression concurrentielle sur Windows Media Player (considérants 411 à 415) et, quatrièmement, en substance, que la présence de produits substituables du point de vue de l’offre est réduite (considérants 416 à 424). La Commission déduit de ces éléments que les lecteurs multimédias permettant une réception en continu constituent un marché de produit distinct.

14
S’agissant de la dimension géographique des trois marchés de produit préalablement identifiés, la Commission considère qu’ils sont de dimension mondiale (considérant 427).

B – Position dominante de Microsoft sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients et sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail

15
Premièrement, sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients, la Commission constate que Microsoft détient, depuis au moins 1996, une position dominante résultant, notamment, de la détention de parts de marché supérieures à 90 % (considérants 430 à 435) et de l’existence de barrières à l’entrée très importantes dues à des effets de réseau indirects (voir, en particulier, considérants 448 à 452). La Commission précise, dans la Décision, que ces effets de réseau indirects tiennent à l’existence de deux facteurs, c’est-à-dire, d’une part, le fait que les consommateurs finals apprécient les plateformes sur lesquelles ils peuvent utiliser un grand nombre d’applications et, d’autre part, le fait que les concepteurs de logiciels élaborent des applications pour les systèmes d’exploitation pour PC les plus populaires auprès des consommateurs.

16
Deuxièmement, sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail, la Commission estime que, en s’en tenant à une estimation prudente, la part de Microsoft sur ce marché est égale à au moins 60 % (considérants 473 à 499).

17
Sur ce même marché, la Commission procède également à l’évaluation de la position des trois principaux concurrents de Microsoft. En premier lieu, Novell, avec son logiciel NetWare, aurait une part de marché de l’ordre de 10 à 15 %. En second lieu, les produits Linux représenteraient une part de marché comprise entre 5 et 15 %. Linux est un système d’exploitation « libre » diffusé sous la licence « GNU GPL (General Public Licence) ». Il ressort du considérant 87 de la Décision que Linux exécute un nombre limité des services propres à un système d’exploitation mais qu’il peut être associé à d’autres logiciels afin de constituer un « système d’exploitation Linux ». Linux est présent sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail en association avec le logiciel Samba, également diffusé sous la licence « GNU GPL » (considérants 294, 506 et 598). Troisièmement, les produits UNIX, qui regroupent plusieurs systèmes d’exploitation partageant certaines caractéristiques communes (considérant 42), représenteraient une part de marché de l’ordre de 5 à 15 %.

18
La Commission considère ensuite que le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail se caractérise par l’existence de nombreuses barrières à l’entrée (considérants 515 à 525) et des liens particuliers avec le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients (considérants 526 à 540). La Commission en conclut que Microsoft jouit d’une position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail.

II – Comportements abusifs identifiés dans la Décision

A – Refus identifié dans la Décision

19
Le premier comportement abusif de Microsoft, décrit aux considérants 546 à 791 de la Décision, est constitué par le refus de Microsoft de fournir à ses concurrents les « informations relatives à l’interopérabilité » et d’en autoriser l’usage pour le développement et la distribution de produits concurrents aux siens sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail pour la période allant du mois d’octobre 1998 jusqu’à la date d’adoption de la Décision [article 2, sous a), de la Décision]. Au sens de la Décision, les « informations relatives à l’interopérabilité » sont « les spécifications exhaustives et correctes de tous les protocoles [mis en œuvre] dans les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs de groupe de travail et qui sont utilisés par les serveurs de groupe de travail Windows pour fournir aux réseaux Windows pour groupe de travail des services de partage des fichiers et d’impression, et de gestion des utilisateurs et des groupes d’utilisateurs, y compris les services de contrôleur de domaine Windows, le service d’annuaire Active Directory et le service ‘Group Policy’ » (article 1er, paragraphe 1, de la Décision). Quant aux « protocoles », ils sont définis comme « un ensemble de règles d’interconnexion et d’interaction entre différents cas d’utilisation de systèmes d’exploitation Windows pour serveurs de groupe de travail et de systèmes d’exploitation Windows pour PC clients installées sur différents ordinateurs dans un réseau Windows pour groupe de travail » (article 1er, paragraphe 2, de la Décision).

20
Afin d’identifier un tel comportement, la Décision insiste notamment sur le fait que le refus dont il est question ne porte pas sur des éléments de code source de Microsoft, mais uniquement sur des spécifications des protocoles en cause, c’est‑à‑dire une description de ce qui est attendu du logiciel en cause, par opposition aux « implémentations » (également appelées aux fins de la présente ordonnance « réalisations » ou « mises en œuvre »), constituées par l’exécution du code sur l’ordinateur (considérants 24 et 569). La Commission considère en outre que le comportement de Microsoft fait partie d’une ligne de conduite générale (considérants 573 à 577), qu’il implique une diminution des niveaux de fourniture précédents (considérants 578 à 584), qu’il provoque un risque d’élimination de la concurrence (considérants 585 à 692) et qu’il a un effet négatif sur le développement technique, au préjudice des consommateurs (considérants 693 à 708). La Commission rejette également les arguments de Microsoft selon lesquels son refus est objectivement justifié (considérants 709 à 778).

B – Vente liée identifiée dans la Décision

21
La Commission identifie un second comportement abusif de Microsoft, décrit aux considérants 792 à 989 de la Décision. Selon la Commission, ce comportement est constitué par le fait pour Microsoft d’avoir subordonné, pour la période allant du mois de mai 1999 jusqu’à la date d’adoption de la Décision, la fourniture du système d’exploitation Windows pour PC clients à l’acquisition simultanée du logiciel Windows Media Player [article 2, sous b), de la Décision].

22
À cet effet, la Commission considère que la conduite de Microsoft remplit les conditions requises pour constater une vente liée abusive au sens de l’article 82 CE (considérants 794 à 954). Premièrement, selon la Décision, Microsoft détient une position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients (considérant 799). Deuxièmement, les lecteurs multimédias permettant une réception en continu et les systèmes d’exploitation pour PC clients y sont considérés comme étant des produits distincts (considérants 800 à 825). Troisièmement, est-il indiqué, Microsoft ne laisse pas la possibilité aux consommateurs d’acheter Windows sans Windows Media Player (considérants 826 à 834). Quatrièmement, selon la Commission, la vente liée identifiée par elle affecte la concurrence sur le marché des lecteurs multimédias (considérants 835 à 954).

23
Dans le cadre de son analyse de l’existence de cette quatrième condition, la Commission relève que, dans les cas classiques de ventes liées, la Commission et le juge communautaire « ont estimé que la vente liée d’un produit distinct avec le produit dominant était l’indice de l’effet d’exclusion que cette pratique avait sur les concurrents » (considérant 841). Néanmoins, dans la Décision, la Commission a considéré que, dès lors que les utilisateurs se procuraient dans une certaine mesure des lecteurs multimédias concurrents de Windows Media Player sur Internet, et ce parfois gratuitement, il existait dans la présente affaire de bonnes raisons de ne pas tenir pour acquis, sans un complément d’analyse, le fait que la vente liée de Windows Media Player constituait un comportement susceptible, par nature, de restreindre la concurrence (même considérant).

24
Dans le cadre dudit complément d’analyse, la Commission considère, premièrement, que la vente liée en cause confère à Windows Media Player une omniprésence mondiale sur les PC clients, cette omniprésence ne pouvant pas être remise en cause par les canaux de distribution alternatifs (considérants 843 à 877), deuxièmement, que cette omniprésence incite, d’une part, les fournisseurs de contenu à diffuser leurs contenus dans les formats Windows Media et, d’autre part, les concepteurs d’applications à concevoir leurs produits de telle sorte qu’ils s’appuient sur certaines fonctionnalités de Windows Media Player (considérants 879 à 896), troisièmement, que ladite omniprésence a des effets sur certains marchés adjacents (considérants 897 à 899) et enfin, quatrièmement, que les études de marché disponibles révèlent invariablement une tendance en faveur de l’utilisation de Windows Media Player et des formats Windows Media au détriment de ses principaux concurrents (considérants 900 à 944). La Commission conclut de ces diverses considérations qu’il existe une vraisemblance raisonnable que la vente liée en cause conduise à un affaiblissement de la concurrence tel que le maintien d’une structure de concurrence effective ne soit plus assuré dans un proche avenir (considérant 984).

25
Enfin, la Commission rejette les arguments de Microsoft selon lesquels, d’une part, la vente liée en cause produit des gains d’efficience de nature à compenser les effets anticoncurrentiels identifiés par la Commission (considérants 955 à 970) et, d’autre part, elle n’incite pas à restreindre la concurrence (considérants 971 à 977).

III – Mesures correctives et amende infligée à Microsoft

26
Les deux abus identifiés par la Commission dans la Décision ont été sanctionnés par l’imposition d’une amende s’élevant à 497 196 304 euros (article 3 de la Décision).

27
En outre, selon l’article 4 de la Décision, Microsoft est tenue de mettre un terme aux abus constatés à l’article 2 susvisé, conformément aux modalités prévues aux articles 5 et 6 de la Décision. Microsoft doit également s’abstenir d’adopter le même comportement que celui visé à l’article 2, ainsi que tout comportement ayant un objet ou un effet identique ou équivalent.

28
En tant que mesure visant à corriger le refus abusif identifié dans la Décision, l’article 5 de la Décision ordonne à Microsoft ce qui suit :

« a)
Microsoft [...] divulguera, dans un délai de 120 jours à compter de la notification de la [Décision], les informations relatives à l’interopérabilité à toute entreprise souhaitant développer et distribuer des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail, et elle autorisera ces entreprises à utiliser, à des conditions raisonnables et non discriminatoires, les informations relatives à l’interopérabilité pour développer et distribuer des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail ;

b)
Microsoft [...] fait en sorte que les informations relatives à l’interopérabilité divulguées soient mises à jour dès que nécessaire et dans les meilleurs délais ;

c)
Microsoft [...] mettra en place, dans un délai de 120 jours à compter de la notification de la [Décision], un mécanisme d’évaluation qui permettra aux entreprises intéressées de s’informer de façon efficace sur l’étendue et les conditions d’utilisation des informations relatives à l’interopérabilité ; Microsoft [...] peut imposer des conditions raisonnables et non discriminatoires pour garantir que l’accès donné dans ce cadre aux informations relatives à l’interopérabilité ne soit utilisé qu’à des fins d’évaluation ;

[…] »

29
Le délai de 120 jours visé à l’article 5 de la Décision a pris fin le 27 juillet 2004.

30
En tant que mesure corrective de la vente liée abusive identifiée dans la Décision, l’article 6 de la Décision ordonne ce qui suit :

« a)
Microsoft [...] offrira, dans un délai de 90 jours à compter de la notification de la présente décision, une version totalement fonctionnelle de son système d’exploitation Windows pour PC clients ne comprenant pas Windows Media Player. Microsoft [...] conserve le droit de proposer son système d’exploitation Windows pour PC clients couplé avec Windows Media Player ;

[…] »

31
Le délai de 90 jours visé à l’article 6 de la Décision a pris fin le 28 juin 2004.


Procédure pour violation du droit antitrust américain

32
Parallèlement à l’enquête de la Commission, Microsoft a fait l’objet d’une enquête pour violation des lois antitrust américaines.

33
En 1998, les États-Unis d’Amérique et 20 États fédérés ont engagé une action en justice contre Microsoft en vertu du Sherman Act. Leurs plaintes concernaient les mesures prises par Microsoft à l’encontre du navigateur Internet de Netscape, « Netscape Navigator », et des technologies « Java » de Sun Microsystems. Les 20 États fédérés concernés ont également introduit des actions contre Microsoft pour violation de leurs propres lois antitrust.

34
Après que l’« United States Court of Appeals for the District of Columbia Circuit » (ci-après la « Cour d’appel »), saisie d’un appel formé par Microsoft contre l’arrêt du 3 avril 2000 rendu par l’« United States District Court for the District of Columbia » (ci-après la « District Court »), a prononcé son arrêt le 28 juin 2001, Microsoft a conclu en novembre 2001 une transaction avec le ministère de la Justice des États-Unis et les « Attorneys General » de neuf États (ci-après la « transaction américaine »), dans le cadre de laquelle deux types d’engagements ont été pris par Microsoft.

35
Premièrement, Microsoft a accepté d’établir les spécifications des protocoles de communication utilisés par les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs afin d’« interopérer », c’est-à-dire de les rendre compatibles, avec les systèmes d’exploitation Windows pour PC clients et de concéder à des tiers des licences portant sur ces spécifications à des conditions déterminées.

36
Deuxièmement, la transaction américaine prévoit que Microsoft doit permettre aux équipementiers et aux consommateurs finals d’activer ou de supprimer l’accès à ses logiciels médiateurs (« middleware »). Le logiciel Windows Media Player est l’un des produits appartenant à cette catégorie, telle que définie dans la transaction américaine. Ces dispositions sont destinées à garantir que les fournisseurs de logiciels médiateurs puissent développer et distribuer des produits qui fonctionnent correctement avec Windows.

37
Ces dispositions ont été validées le 1er novembre 2002 par la District Court. Cette même juridiction a, par ailleurs, rejeté les propositions de mesures correctives proposées par les neuf États qui n’ont pas accepté la transaction américaine.

38
Saisie en appel par l’État du Massachusetts, la Cour d’appel a confirmé la décision de la District Court le 30 juin 2004.

39
En exécution de la transaction américaine, le Microsoft Communications Protocol Program (ci-après le « MCPP ») a été mis en place en août 2002. Il ressort de la documentation produite devant le Tribunal que, entre le mois d’août 2002 et le mois de juillet 2004, 17 concessionnaires de licence ont tiré profit du MCPP.


Procédure

40
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 juin 2004, Microsoft a introduit, en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE, un recours visant à l’annulation de la Décision ou, à titre subsidiaire, à supprimer ou à réduire substantiellement le montant de l’amende imposée.

41
Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le 25 juin 2004, Microsoft a également introduit, en vertu de l’article 242 CE, une demande visant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de l’article 4, de l’article 5, sous a) à c), et de l’article 6, sous a), de la Décision. Dans le même acte, Microsoft a également sollicité, sur le fondement de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le sursis à l’exécution de ces mêmes dispositions jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande en référé.

42
Le même jour, le président du Tribunal, agissant en sa qualité de juge des référés, a invité la Commission à préciser si elle avait l’intention de procéder à l’exécution forcée de la Décision avant qu’il ne soit statué sur la demande en référé.

43
Par lettre reçue au greffe du Tribunal le même jour, la Commission a informé le juge des référés qu’elle avait décidé de ne pas faire procéder à l’exécution forcée de l’article 5, sous a) à c), et de l’article 6, sous a), de la Décision tant que l’affaire en référé serait pendante.

44
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 juin 2004, Novell Inc. (ci-après « Novell »), établie à Waltham, Massachussetts (États-Unis), représentée par MM. C. Thomas, M. Levitt, V. Harris, solicitors, et MA. Müller-Rappard, avocat, a demandé à être admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire en référé.

45
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juin 2004, RealNetworks Inc. (ci‑après « RealNetworks ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire en référé.

46
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juin 2004, Computer & Communications Industry Association (ci-après « CCIA »), établie à Washington, DC (États-Unis), représentée par M. J. Flynn, QC, et Mes D. Paemen et N. Dodoo, avocats, a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire en référé.

47
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juillet 2004, Software & Information Industry Association (ci-après « SIIA »), a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire en référé.

48
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juillet 2004, The Computing Technology Industry Association Inc. (ci-après « CompTIA ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions de Microsoft dans l’affaire en référé.

49
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juillet 2004, The Association for Competitive Technology (ci-après « ACT ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions de Microsoft dans l’affaire en référé.

50
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juillet 2004, Digimpro Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), TeamSystem SpA, Mamut ASA et CODA Group Holdings Ltd, établie à Chippenham, Wiltshire (Royaume-Uni), ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de Microsoft dans l’affaire en référé.

51
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juillet 2004, DMDsecure.com BV, MPS Broadband AB, Pace Micro Technology plc, Quantel Ltd, et Tandberg Television Ltd (ci-après dénommées collectivement « DMDsecure.com e.a. »), ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de Microsoft dans l’affaire en référé.

52
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 juillet 2004, IDE Nätverkskonsulterna AB, établie à Stockholm (Suède), Exor AB, M. T. Rogerson, demeurant à Harpenden, Hertfordshire (Royaume-Uni), M. P. Setka, demeurant à Sobeslav (République tchèque), M. D. Tomicic, demeurant à Nuremberg (Allemagne), M. M. Valasek, demeurant à Karlovy Vary (République tchèque), M. R. Rialdi, demeurant à Gênes (Italie), et M. B. Nati, demeurant à Paris (France), ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de Microsoft dans l’affaire en référé.

53
Par requête déposée le 13 juillet 2004, Free Software Foundation Europe (ci-après « FSF-Europe ») a demandé à être admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire en référé.

54
Ces demandes en intervention ont été signifiées aux parties requérante et défenderesse, conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure, lesquelles ont, selon le cas, fait part de leurs observations dans les délais impartis ou se sont abstenues de déposer des observations. À l’égard de toutes les parties qui seraient admises à intervenir, Microsoft a demandé, par lettres des 6 et 8 juillet 2004, le traitement confidentiel des données contenues dans la Décision et dont la Commission a accepté qu’elles ne soient pas rendues publiques dans la version disponible sur son site Internet.

55
La Commission a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 21 juillet 2004. Celles-ci ont été notifiées à Microsoft le même jour.

56
Par ordonnance du 26 juillet 2004, le président du Tribunal, d’une part, a admis l’intervention de CompTIA, d’ACT, de TeamSystem SpA, de Mamut ASA, de DMDsecure.com e.a. et d’Exor AB, de Novell, de RealNetworks, de CCIA et de SIIA, et, d’autre part, a rejeté les demandes en intervention présentées par Digimpro Ltd, par CODA Group Holdings Ltd, par IDE Nätverkskonsulterna AB, par M. T. Rogerson, par M. P. Setka, par M. D. Tomicic, par M. M. Valasek, par M. R. Rialdi et par M. B. Nati. Le président du Tribunal a également demandé que la version non confidentielle des pièces de procédure soit notifiée aux intervenantes et a réservé sa décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel.

57
Le 27 juillet 2004, le président du Tribunal, agissant en qualité de juge des référés, a organisé une réunion informelle à laquelle étaient conviées, outre Microsoft et la Commission, les parties ayant été admises à intervenir par l’ordonnance du président du Tribunal du 26 juillet 2004, ainsi que FSF-Europe. Lors de cette réunion, le juge des référés a, d’une part, provisoirement admis FSF-Europe à intervenir au soutien de la Commission dans l’affaire en référé et, d’autre part, exposé aux parties le calendrier des différentes étapes de la procédure dans cette affaire en référé.

58
Par ordonnance du 6 septembre 2004, FSF-Europe a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

59
Chacune des parties admises à intervenir a déposé ses observations dans les délais impartis.

60
Conformément à ce qui avait été décidé lors de la réunion informelle du 27 juillet 2004, Microsoft a répondu le 19 août 2004 aux observations de la Commission en date du 21 juillet 2004.

61
Par requête déposée le 31 août 2004, Audiobanner.com, agissant sous la dénomination commerciale VideoBanner (ci-après « VideoBanner »), établie à Los Angeles, Californie (États-Unis), représentée par Me L. Alvizar Ceballos, avocat, a demandé à être admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire en référé. Aucune des deux parties principales ne s’étant opposée à cette demande d’intervention, VideoBanner a été provisoirement admise à intervenir et a été invitée à présenter ses observations directement lors de l’audition.

62
En réponse aux observations de Microsoft du 19 août 2004, la Commission a déposé de nouvelles observations le 13 septembre 2004.

63
Les parties requérante et défenderesse ont également déposé leurs observations écrites sur les mémoires en intervention le 13 septembre 2004.

64
Au titre des mesures d’organisation de la procédure, le président du Tribunal, agissant en qualité de juge des référés, a posé des questions écrites à Microsoft, à la Commission ainsi qu’à certaines parties intervenantes. Les réponses apportées à ces questions dans les délais impartis ont été notifiées à l’ensemble des parties.

65
Toutes les parties, y compris VideoBanner, ont été entendues en leurs observations lors d’une audition qui s’est déroulée les 30 septembre et 1er octobre 2004.

66
Par lettre du 8 octobre 2004, RealNetworks a déposé au greffe certaines précisions que le juge des référés l’avait invitée à produire lors de l’audition. Les autres parties ont reçu communication de cette lettre et ont été invitées à présenter leurs observations à son sujet.

67
Par lettre du 27 octobre 2004, Microsoft a présenté des observations sur la lettre de RealNetworks en date du 8 octobre 2004. Les autres parties n’ont pas présenté d’observations.

68
Par lettres des 10 et 19 novembre 2004, CCIA et Novell ont respectivement informé le Tribunal qu’elles se désistaient de leur intervention dans la présente affaire. La Commission, Microsoft et les parties intervenantes ont présenté leurs observations sur ces désistements dans le délai imparti.

69
À la suite des désistements de CCIA et de Novell, une réunion informelle a été organisée le 25 novembre 2004 en présence de toutes les parties afin que soient abordées certaines conséquences procédurales de ces désistements. Le procès-verbal de cette réunion a été communiqué à toutes les parties le 26 novembre 2004.


En droit

70
En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE, d’une part, et 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le Tribunal peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution de l’acte attaqué.

71
L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit qu’une demande en référé doit spécifier les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elle conclut. Ces conditions sont cumulatives, de sorte qu’une demande de sursis à exécution doit être rejetée dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

72
Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés doit exercer le large pouvoir d’appréciation dont il dispose pour déterminer la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées au regard des particularités de chaque espèce [ordonnance du président de la Cour du 29 janvier 1997, Antonissen/Conseil et Commission, C‑393/96 P(R), Rec. p. I‑441, point 28].

73
Conformément à l’article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure, « [i]l est statué sur la demande par voie d’ordonnance motivée ». Il a néanmoins été précisé que le juge des référés n’a pas à répondre expressément à tous les points de fait ou de droit discutés au cours de la procédure de référé. En particulier, il suffit que les motifs retenus par le juge des référés statuant en première instance justifient valablement, au regard des circonstances de l’espèce, son ordonnance et permettent à la Cour de justice d’exercer son contrôle juridictionnel [ordonnance SCK et FNK/Commission, point 71 supra, point 52, et ordonnance du président de la Cour du 25 juin 1998, Antilles néerlandaises/Conseil, C‑159/98 P(R), Rec. p. I‑4147, point 70].

74
Eu égard au caractère distinct des abus de position dominante reprochés à Microsoft, qui ressort d’ailleurs tant de la structure de la Décision que de la construction de l’argumentation de la partie requérante, le juge des référés estime qu’il est approprié d’examiner séparément l’argumentation développée au soutien des conclusions visant au sursis à l’exécution, d’une part, de l’article 5, sous a) à c), lu en combinaison avec l’article 4 de la Décision (partie consacrée à la question des informations relatives à l’interopérabilité), et, d’autre part, de l’article 6, sous a), lu en combinaison avec le même article 4 (partie consacrée à la question de la vente liée du système d’exploitation Windows et du logiciel Windows Media Player). Cet examen est précédé d’une analyse de la demande de traitement confidentiel, de la demande d’intervention de VideoBanner, des effets du désistement de CCIA et de Novell et du respect de certaines conditions de forme relatives aux écrits.

I – Sur la demande de traitement confidentiel

75
Au stade de la procédure en référé, il convient d’accorder le traitement confidentiel, à l’égard des parties admises à intervenir, des données contenues dans la Décision et dont la Commission a accepté qu’elles ne soient pas rendues publiques dans la version disponible sur son site Internet, dans la mesure où de telles informations sont susceptibles, à première vue, d’être considérées comme secrètes ou confidentielles au sens de l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure.

II – Sur la demande d’intervention de VideoBanner

76
Ainsi qu’il a été noté au point 61 ci-dessus, VideoBanner a déposé une demande d’intervention dans l’affaire en référé, au soutien des conclusions de la Commission.

77
Cette demande ayant été introduite conformément à l’article 115, paragraphe 2, du règlement de procédure et les parties principales n’ayant pas soulevé d’objections, il y a lieu de l’accueillir, conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut.

III – Sur les effets du désistement de certains intervenants

78
CCIA et Novell ayant informé le Tribunal du retrait de leur intervention au soutien des conclusions de la Commission dans le cadre de la procédure de référé, le président du Tribunal, agissant en qualité de juge des référés, a organisé une réunion informelle en présence de toutes les parties afin d’aborder certaines conséquences procédurales de ces désistements.

79
Ainsi qu’il ressort du procès-verbal de cette réunion, les parties ont marqué leur accord pour considérer : primo, que les pièces déposées par CCIA et Novell dans le cadre de la procédure de référé, en ce comprises toutes les annexes à leurs écritures, et leur argumentation développée lors de l’audition continuent de faire partie du dossier de la présente affaire en référé ; secundo, que toutes les parties et le juge des référés peuvent se fonder sur ces éléments pour les besoins, respectivement, de leur argumentation et de son appréciation et, tertio, que tous les éléments versés au dossier de la présente affaire ont fait l’objet d’un débat contradictoire entre les parties.

80
Par ailleurs, RealNetworks a fait valoir, dans ses observations sur le désistement de CCIA, que celle-ci ne disposait pas des pouvoirs l’autorisant à se désister dans la présente affaire.

81
À cet égard, le juge des référés estime qu’il ne lui revient pas d’examiner le grief avancé par RealNetworks dans la mesure où, d’une part, il n’a pas compétence pour se prononcer sur la question de savoir si les décisions des organes dirigeants de CCIA ont été prises conformément aux dispositions de ses statuts et, d’autre part, la demande de désistement a été présentée par CCIA conformément au prescrit des dispositions du règlement de procédure du Tribunal.

IV – Sur le respect des conditions de forme relatives aux écrits

82
La Commission et certaines des parties intervenant au soutien de ses conclusions ont invoqué, premièrement, le caractère irrecevable de certains renvois à des documents annexés au recours au principal de Microsoft, deuxièmement, le caractère irrecevable de documents produits par Microsoft en cours d’instance, troisièmement, l’absence de preuves au soutien de certaines affirmations et, quatrièmement, le non-respect d’autres conditions de forme.

A – Sur les renvois au recours au principal

83
Dans ses observations du 21 juillet 2004, la Commission énumère les points de la requête en référé qui contiennent des renvois, d’une part, au recours au principal et, d’autre part, aux documents annexés à ce recours mais qui n’ont pas été joints à la demande en référé (annexes A.9, A.9.1, A.9.2, A.11, A.12.1, A.17, A.18, A.19, A.20, A.21, A.22 et A.24). La Commission en déduit que Microsoft ne peut pas se fonder utilement sur ces pièces.

84
Dans ses observations du 13 septembre 2004, la Commission ajoute que les nouveaux renvois au recours au principal auxquels Microsoft procède dans ses observations du 19 août 2004, en particulier en ce qui concerne l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’« ADPIC »), doivent, comme les précédents, être écartés. Joindre les sections correspondantes du recours au principal en tant qu’annexe (annexe T.9) aux observations ne permettrait pas de conclure que la demande en référé suffit en elle-même.

85
À cet égard, il convient de rappeler que, lors de la réunion informelle du 27 juillet 2004 (voir point 57 ci-dessus), le juge des référés a appelé l’attention de Microsoft sur les très nombreuses références au recours au principal contenues dans la demande en référé et l’a interrogée à ce sujet. En réponse, Microsoft a indiqué, ainsi que cela est consigné dans le procès-verbal de ladite réunion, ce qui suit : « [l]a requérante confirme que la demande en référé devrait être considérée comme se suffisant à elle-même et que les nombreuses références aux annexes du recours au principal contenues dans sa demande en référé pouvaient être ignorées pour les besoins de la procédure en référé ».

86
Cette prise de position est conforme au point VII, paragraphe 1, des Instructions pratiques aux parties (JO 2002, L 87, p.  48), qui prévoit que la demande en référé « doit être compréhensible par elle-même, sans qu’il soit nécessaire de se référer à la requête dans l’affaire au principal ».

87
Il s’ensuit que le bien-fondé de la demande en référé de Microsoft ne peut être apprécié que par rapport aux éléments de fait et de droit tels qu’ils ressortent du texte même de la requête en référé et des documents annexés à cette requête destinés à en illustrer le contenu (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 52). S’il ne saurait en être conclu que toute allégation fondée sur une pièce non jointe à la demande en référé doit nécessairement être écartée des débats, il convient néanmoins de relever que la preuve d’une telle allégation ne pourra pas être considérée comme ayant été rapportée dans l’hypothèse d’une contestation de l’assertion en cause par l’autre partie au litige ou par une partie intervenant au soutien de cette dernière.

88
Quant au renvoi à l’annexe T.9, il convient de rappeler que, si un texte peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête en référé, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite requête (ordonnance Aden e.a./Conseil et Commission, point 87 supra, point 52). Il convient de préciser, dans ce contexte, que le point VII, paragraphe 2, des Instructions pratiques, qui requiert que « les moyens de fait et de droit sur lesquels est basé le recours au principal et qui font apparaître, à première vue, le bien-fondé de celui-ci » soient indiqués « d’une manière extrêmement brève et concise », ne saurait être compris, sauf à contourner la règle prescrite, comme permettant le renvoi global à un document annexé reprenant le détail de l’argumentation.

89
Sans préjudice des documents ultérieurement versés au dossier et des propos tenus lors de l’audition devant le juge des référés, il sera statué en ne tenant compte ni des annexes au recours au principal, ni de l’annexe T.9.

B – Sur la production de documents en cours d’instance

90
Dans ses observations du 13 septembre 2004, la Commission considère, tout d’abord, que les arguments développés par Microsoft dans ses observations du 19 août 2004 excèdent les développements contenus dans le recours au principal, en particulier l’argumentation relative aux droits de propriété intellectuelle détaillée dans deux annexes distinctes (annexes T.3, intitulée « Opinion de M. Prescott », et T.6, intitulée « Opinion de M. Galloux »). En outre, aucune explication ne serait fournie quant au fait que l’annexe T.3, un document daté du 3 juin 2004, n’a pas été produite dès le stade de l’introduction de la demande en référé.

91
La Commission relève, ensuite, que Microsoft a joint à ses observations du 19 août 2004 un document qu’elle a annexé au recours au principal (annexe A.21, devenue annexe T.5, Knauer, « Sur les aspects de droit des brevets de la [Décision] »), ainsi qu’un document dont le contenu semble identique à celui d’une annexe au recours au principal [annexe T.8, Evans, Nichols et Padilla, « Preuve économique des effets de cloisonnement soulevés par la Commission relatifs au refus de fournir et à la vente liée », ressemblant à l’annexe A.19].

92
Dans leurs réponses aux questions écrites du Tribunal et antérieurement à leur désistement, Novell et CCIA estiment que certains documents sont irrecevables dans la mesure où ils auraient dû être produits avec la demande en référé, alors qu’ils ne l’ont été qu’ultérieurement (annexes T.3, T.5, T.8 et U.2, Campbell-Kelly, « Commentaire sur le caractère novateur de l’Active Directory »).

93
Le juge des référés constate que les pièces T.3, T.5, T.6 et T.8 ont été annexées aux observations de Microsoft du 19 août 2004 et qu’elles visent à en étayer le contenu. Il ne saurait, dans ces circonstances, être reproché à Microsoft d’avoir répliqué de manière circonstanciée aux arguments avancés par la Commission dans ses observations du 21 juillet 2004, peu important à cet égard que la pièce annexée porte une date antérieure à celle du dépôt de la demande en référé ou qu’elle soit identique ou comparable à une pièce annexée au recours au principal. De même, les observations de Microsoft sur les mémoires en intervention pouvaient, pour des raisons identiques, être valablement fondées sur l’annexe U.2.

C – Sur l’absence de preuves

94
La Commission souligne que l’annexe T.5 et l’annexe T.8 sont fondées sur des informations auxquelles elle n’a pas accès [pour l’annexe T.5, le paragraphe 4 renvoie à une information reçue de Microsoft sans autre précision ; pour l’annexe T.8, ne sont pas joints les rapports visés au paragraphe 6 (Merrill Lynch et Forrester concernant les données du marché des serveurs), à la note de bas de page n° 35 (étude conduite par Microsoft), aux notes de bas de page n° 42 et n° 43 (« Enquête Digital Media Tracker »), à la note de bas de page n° 48 (« Analyse des lecteurs multimédias installés sur les micro-ordinateurs »), à la note de bas de page n° 50 (« Communication NERA »)].

95
À cet égard, il suffit d’indiquer qu’il revient au juge des référés d’apprécier, le cas échéant, si les affirmations fondées sur les rapports et informations susmentionnés sont dépourvues de valeur probante.

D – Sur le non-respect de certaines autres conditions de forme

96
La Commission et CCIA, antérieurement à son désistement, relèvent que Microsoft renvoie dans sa demande en référé à l’annexe R.6 (Carboni, « Opinion sur le droit des marques ») sans expliciter la pertinence du document en cause, en sorte qu’il ne devrait pas être tenu compte de cette annexe.

97
Comme il a déjà été indiqué au point 88 ci-dessus, le renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête en référé, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite requête. En l’espèce, l’annexe R.6, à laquelle renvoie la demande en référé, vient au soutien d’un argument relatif au risque d’atteinte portée aux marques commerciales de Microsoft qui se lit comme suit : « [l]’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision porterait également sérieusement préjudice aux marques commerciales Microsoft et Windows, car Microsoft serait obligée de vendre un produit dégradé incompatible avec son concept de base ». Dans la mesure où il ressort suffisamment clairement de cette phrase que l’annexe R.6 vise à illustrer le risque identifié, le juge des référés considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter cette annexe des débats.

V – Sur le fond

A – Sur la question des informations relatives à l’interopérabilité

1.     Arguments des parties

a)     Arguments de Microsoft et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

Sur le fumus boni juris

98
Microsoft considère qu’un différend sérieux l’oppose à la Commission en ce qui concerne la question de l’octroi obligatoire de licences portant sur ses protocoles de communication, en sorte que la condition consistant à démontrer, à première vue, l’illégalité de l’article 5, sous a) à c), de la Décision serait remplie.

99
Microsoft soutient que les quatre critères permettant de contraindre une entreprise à accorder une licence, tels que précisés par la Cour dans les arrêts du 5 octobre 1988, Volvo (238/87, Rec. p. 6211) ; du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission (C‑241/91 P et C‑242/91 P, Rec. p. I‑743, ci‑après l’« arrêt Magill ») ; du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, Rec. p. I‑7791), et du 29 avril 2004, IMS Health (C‑418/01, Rec. p. I‑5039, point 49), ne sont pas réunis en l’espèce.

100
En premier lieu, les éléments de propriété intellectuelle de Microsoft, dont la divulgation aux concurrents serait imposée par la Décision, ne seraient pas indispensables à l’exercice de l’activité de fournisseur de systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail.

101
Tout d’abord, Microsoft invoque l’existence de cinq méthodes permettant d’assurer l’interopérabilité entre les systèmes d’exploitation fournis par différents distributeurs, à savoir, primo, l’utilisation des protocoles de communication standards tels que TCP/IP (Transmission Control Protocol/Internet Protocol) et HTTP (HyperText Transfer Protocol) ; secundo, l’ajout d’un code logiciel à un système d’exploitation Windows pour PC clients ou pour serveurs afin de lui permettre de communiquer avec un système d’exploitation pour serveurs concurrent de Microsoft en utilisant des protocoles de communication spécifiques à ce système d’exploitation pour serveurs ; tertio, l’ajout d’un code logiciel à un système d’exploitation pour serveurs concurrent de Microsoft afin de lui permettre de communiquer avec un système d’exploitation Windows pour PC clients ou pour serveurs en utilisant les protocoles de communication propres aux systèmes d’exploitation Windows ; quarto, l’ajout d’un bloc de codes logiciels à tous les systèmes d’exploitation pour PC clients et pour serveurs d’un réseau permettant d’assurer une interopérabilité par le biais de communications entre ces blocs de codes logiciels et, quinto, l’utilisation d’un système d’exploitation Windows pour serveurs comme une « porte » entre le système d’exploitation Windows pour PC clients et le système d’exploitation pour serveurs concurrent.

102
Ensuite, Microsoft invoque l’absence de plaintes de clients quant au degré d’interopérabilité existant.

103
Enfin, Microsoft invoque la présence continue de plusieurs concurrents exerçant cette activité.

104
En deuxième lieu, le refus de Microsoft de divulguer ses éléments de propriété intellectuelle à ses concurrents n’aurait pas empêché l’apparition de produits nouveaux pour lesquels une demande des consommateurs serait restée insatisfaite. Aucune preuve d’une quelconque insatisfaction n’aurait été rapportée. Il ne serait pas non plus établi que les éléments de propriété intellectuelle de Microsoft seront utilisés par ses concurrents pour développer de nouveaux produits et pas seulement pour se borner à reproduire les fonctionnalités des produits Microsoft existants.

105
En troisième lieu, le fait que Microsoft a conservé sa technologie pour son usage propre n’aurait pas conduit à éliminer la concurrence sur un marché dérivé, puisque, ainsi qu’en attesterait la croissance constante de Linux, les distributeurs de systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail se livreraient une vive concurrence. Six ans après la survenance du prétendu refus de Microsoft, le marché se trouverait donc dans une situation concurrentielle.

106
En quatrième lieu, le refus d’accorder des licences portant sur sa technologie à des distributeurs de systèmes d’exploitation pour serveurs concurrents serait objectivement justifié. En effet, à la différence des informations protégées par la législation nationale alors en cause dont la divulgation avait été refusée par les sociétés impliquées dans les affaires Magill et IMS Health, point 99 supra, les informations protégées en l’espèce porteraient sur une technologie secrète et de grande valeur. En l’occurrence, pour parvenir à la conclusion que le refus de communiquer des informations protégées par des droits de propriété intellectuelle n’était pas objectivement justifié et constituait par conséquent une violation de l’article 82 CE, la Commission aurait appliqué un critère d’appréciation imprécis, qui s’écarte nettement de ceux reconnus par la jurisprudence antérieure. Ainsi la Commission aurait-elle estimé qu’un tel refus constitue une violation de l’article 82 CE si, tout bien considéré, l’incidence positive sur l’innovation dans l’ensemble du secteur compense l’incidence négative sur les incitations de l’entreprise à innover (considérant 783). En sus du caractère flou de ce nouveau critère, il ne serait pas démontré, sur la base de preuves ou d’analyses, que l’innovation dans ce secteur serait stimulée par la communication aux concurrents de la technologie dont est propriétaire Microsoft. Cette dernière soutient, au contraire, qu’une licence obligatoire aurait pour effet d’amoindrir la concurrence entre les distributeurs de systèmes d’exploitation pour serveurs.

107
Par ailleurs, Microsoft fait valoir que Sun Microsystems ne lui a pas demandé à bénéficier de la technologie que la Commission lui ordonne de divulguer. En outre, étant donné qu’aucune licence n’aurait jamais été demandée par cette société en vue de développer des logiciels dans l’EEE, Microsoft soutient qu’elle n’avait aucunement le devoir de considérer la demande de Sun Microsystems comme pouvant la conduire à adopter un comportement susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 82 CE.

108
Enfin, en obligeant Microsoft à accorder des licences portant sur des informations protégées, la Commission ne tiendrait pas correctement compte des obligations imposées aux Communautés par l’ADPIC (voir point 84 ci-dessus).

109
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft considère que la Commission n’est pas fondée à soutenir que la Décision ne lui impose pas une nouvelle conduite, mais a seulement pour effet de l’obliger à reprendre la politique commerciale qu’elle avait initialement menée. En effet, Microsoft relève, tout d’abord, que la Commission ne suggère pas que les informations visées par l’article 5 de la Décision auraient été communiquées par le passé. Elle relève, ensuite, que, si la Commission devait ainsi se référer à l’information portant sur la technologie de réseau concédée en licence à AT&T en 1994 pour permettre le développement d’un produit dénommé « Advanced Server for UNIX » (« AS/U »), il conviendrait alors de souligner que la communication des informations n’a pas été interrompue. En effet, le produit dénommé « PC Net Link » développé par Sun Microsystems, à qui AT&T a accordé une licence concernant AS/U, serait encore disponible sur le marché à l’heure actuelle. Sun Microsystems en assurerait toujours la promotion en affirmant qu’il fournit des « services de réseau Windows NT d’origine » – y compris des services de fichiers et d’impression et des services de gestion des utilisateurs et des groupes – dans les systèmes d’exploitation pour serveurs Solaris. Sun Microsystems affirmerait également que PC Net Link fonctionne correctement avec les dernières versions des systèmes d’exploitation Windows pour PC clients de Microsoft, y compris Windows 2000 Professional et Windows XP.

110
En outre, Microsoft ne saurait être contrainte à l’avenir d’octroyer des licences concernant tous ses protocoles de communication parce qu’elle a décidé, en 1994, d’accorder une licence relative à une technologie de réseau à AT&T. Ce serait d’ailleurs sur une base conventionnelle que la relation commerciale entre Microsoft et AT&T n’aurait pas été étendue à de nouvelles technologies.

111
Enfin, Microsoft souligne que les vendeurs concurrents de systèmes d’exploitation pour serveurs ne dépendent pas de l’information sur l’interopérabilité dont Microsoft aurait prétendument interrompu la communication. Novell n’aurait jamais utilisé AS/U et n’aurait jamais formulé le moindre intérêt pour une telle utilisation. NetWare de Novell fournirait des services de fichiers et d’impression et des services de gestion des utilisateurs et des groupes aux systèmes d’exploitation Windows en utilisant sa propre suite de protocoles de communication. Les vendeurs Linux ne feraient également aucune utilisation d’AS/U. Leurs systèmes d’exploitation pour serveurs fourniraient des services de fichiers et d’impression, ainsi que des services de gestion des utilisateurs et des groupes, aux systèmes d’exploitation Windows en utilisant le produit logiciel à code source libre Samba, qui aurait été développé grâce à une étude à rebours des protocoles de communication de Microsoft.

Sur l’urgence

112
Microsoft affirme que l’exécution immédiate de l’article 5, sous a) à c), de la Décision serait à l’origine de trois types de préjudices graves et irréparables.

–     Atteinte aux droits de propriété intellectuelle

113
La Décision aurait pour effet d’obliger Microsoft à octroyer des licences portant sur des informations de grande valeur protégées par des droits de propriété intellectuelle. L’atteinte ainsi portée aux droits de propriété intellectuelle constituerait un préjudice grave et irréparable.

§
Informations de grande valeur

114
Microsoft expose que les protocoles de communication sont une technologie dont elle est propriétaire, utilisée par les systèmes d’exploitation Windows pour PC clients et pour serveurs afin d’échanger des informations avec d’autres copies de ces systèmes d’exploitation dont la valeur commerciale est significative [étude de S. Madnick et B. Meyer, « Dommage causé par l’obligation imposée à Microsoft de divulguer tous les protocoles de communication utilisés pour fournir les services de groupe de travail », figurant en annexe R.2 (ci-après l’« étude Madnick et Meyer »)]. Ses protocoles de communication seraient le fruit de nombreuses années de recherche et de développement très coûteuses. Les efforts déployés pour concevoir des protocoles de communication qui fournissent des fonctionnalités utiles et améliorent la rapidité, la fiabilité, la sécurité et l’efficacité des interactions entre les systèmes d’exploitation Windows auraient été substantiels.

115
Quant aux spécifications des protocoles de communication, qui sont des descriptions détaillées de la conception et du mode de fonctionnement des protocoles de communication, elles permettraient à un concurrent qui en serait détenteur d’utiliser les protocoles de communication de Microsoft dans son propre système d’exploitation pour serveurs.

116
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft souligne que l’octroi obligatoire de licences portant sur les spécifications des protocoles de communication qui permettent à plusieurs systèmes d’exploitation Windows pour serveurs de fonctionner conjointement en vue de proposer des services de groupe de travail aurait pour effet de divulguer un nombre important d’informations relatives à la conception interne des systèmes d’exploitation Windows. Comme il ressortirait de l’étude Madnick et Meyer, l’octroi de licences portant sur les protocoles de communication qui permettent l’interaction entre différents systèmes d’exploitation Windows pour serveurs révélerait des informations multiples sur le fonctionnement du répertoire, appelé Active Directory, au sein de ces systèmes d’exploitation.

§
Informations protégées par des droits de propriété intellectuelle

117
Les protocoles de communication de Microsoft et les spécifications qui les décrivent seraient protégés par des droits de propriété intellectuelle. Microsoft précise, en réponse à un argument avancé par la Commission dans ses observations du 21 juillet 2004, que, d’une part, il convient d’opérer une distinction entre la conception des protocoles, les spécifications des protocoles et la mise en œuvre de ces protocoles et, d’autre part, la protection attachée à la propriété intellectuelle n’est pas limitée à l’une de ces trois catégories.

Protection par le droit d’auteur

118
Les protocoles de communication seraient protégés par le droit d’auteur en vertu de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, modifiée en dernier lieu le 28 septembre 1979, et de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 122, p. 42), prise en son préambule et en son article 1er, paragraphe 1. Quant aux spécifications de ces protocoles, elles seraient des matériaux de conception préparatoires également protégés par le droit d’auteur (opinion de M. Prescott, annexe T.3, mentionnée au point 90 ci‑dessus).

119
En conséquence, Microsoft, comme tout titulaire d’un droit d’auteur, bénéficierait du droit exclusif d’autoriser la publication de ses œuvres protégées ou de les mettre à la disposition du public de toute autre manière. Les législations en matière de droit d’auteur de divers États membres autoriseraient explicitement les propriétaires d’œuvres protégées à déterminer si ces œuvres seront publiées ou divulguées de quelque manière que ce soit. Or, la Décision priverait Microsoft du droit de décider sous quelle forme, à qui, quand et dans quelles conditions elle souhaite rendre disponibles, le cas échéant, les spécifications de ses protocoles de communication. La Commission ne pourrait donc pas reconnaître que les spécifications des protocoles de communication de Microsoft, une fois rédigées, seront protégées par le droit d’auteur et, en même temps, soutenir que l’obligation imposée à Microsoft, par la Décision, d’accorder des licences portant sur ces spécifications ne viole pas la substance même de ce droit.

120
Le titulaire d’un droit d’auteur bénéficierait également du droit exclusif d’autoriser la création d’œuvres dérivées, ainsi que cela découle tant de l’article 12 de la convention de Berne que de l’article 4 de la directive 91/250. Or, ce droit exclusif d’autoriser la création d’œuvres dérivées serait méconnu dans la mesure où la mise en œuvre par les concurrents de Microsoft des spécifications de ses protocoles de communication constituerait presque certainement une adaptation, ou une traduction, desdites spécifications qui tomberait dans le champ d’application du droit d’auteur et ne pourrait donc pas être considérée comme constituant une œuvre développée indépendamment. Par ailleurs, à supposer même que les bénéficiaires de licence soient en mesure de mettre en œuvre certaines spécifications sans enfreindre le droit d’auteur de Microsoft, la Décision n’exigerait pas des bénéficiaires d’agir de la sorte dans la mesure où elle impose à Microsoft d’« autoriser l’usage » des spécifications des protocoles de communication sans prévoir de limite à la manière dont les bénéficiaires de licence développeront leurs réalisations. Il n’y aurait donc aucune raison de croire que les bénéficiaires de licence se borneront à développer des applications qui ne seraient pas illicites, à supposer même que cela soit réalisable.

121
Enfin, Microsoft fait valoir que, dans le cadre de la transaction américaine, toutes les parties ont accepté que les spécifications de ses protocoles de communication client-à-serveur soient protégées par le droit d’auteur.

Protection par le brevet

122
Dans sa demande en référé, Microsoft indique que certains des protocoles de communication que la Commission lui impose de communiquer sont couverts par des brevets ou par des demandes de brevet et qu’elle a l’intention de déposer, avant le mois de juin 2005, un grand nombre de demandes de brevets portant sur divers aspects des systèmes d’exploitation Windows pour PC clients et pour serveurs couvrant les protocoles de communication visés par la Décision. L’absence de limitation dans le temps des effets de la Décision justifierait d’inclure les brevets futurs dans l’obligation de licence obligatoire imposée par la Décision.

123
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft identifie trois brevets européens existants et deux demandes pendantes de brevets qui couvriraient les protocoles de communication soumis aux licences obligatoires. Selon l’opinion de M. Knauer, annexe T.5, mentionnée au point 91 ci-dessus, plusieurs protocoles de communication utilisés par les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs afin de fournir les services de fichiers et d’impression et les services de gestion des utilisateurs et des groupes sont couverts par des brevets, à savoir, primo, le protocole DFS (Distributed File System) couvert par le brevet EP 0 661 652 B1 ; secundo, le protocole SMB couvert par le brevet EP 0 438 571 B1, et, tertio, le protocole Distributed Component Object Model Remote couvert par le brevet EP 0 669 020 B1. Quant aux demandes de brevets, elles porteraient sur les protocoles Constraint Delegation et Active Directory Sites.

124
Dans ce contexte, Microsoft relève que la Commission n’exclut pas la technologie brevetée de la mesure corrective et impose l’octroi de licences sur tous ses droits de propriété intellectuelle relatifs aux protocoles de communication, y compris tout brevet. Les concurrents n’auraient ainsi aucune raison d’essayer de développer des applications qui n’utiliseraient pas les méthodes brevetées.

Protection par le secret d’affaires

125
Selon Microsoft, les protocoles de communication sont des secrets d’affaires qui n’ont pas été divulgués aux tiers, à moins que ces derniers ne se soient engagés à respecter une obligation de confidentialité contractuellement stipulée.

126
En réponse aux observations de la Commission du 21 juillet 2004 selon lesquelles, d’une part, la légitimité, en droit de la concurrence, du refus de divulguer un « secret », dont l’existence dépend simplement d’une décision commerciale unilatérale, devrait être fonction des intérêts en jeu et, d’autre part, le préjudice infligé à Microsoft par l’obligation de dévoiler ses secrets d’affaires est moins grave que le préjudice causé par l’obligation faite à Microsoft d’autoriser la reproduction de ses œuvres protégées par le droit d’auteur ou la violation de ses brevets, Microsoft rétorque qu’il lui est actuellement possible de transférer ses protocoles de communication à des tiers moyennant rétribution financière, qu’elle peut poursuivre en justice ceux qui utilisent illégalement ces protocoles (opinions de M. Prescott et de M. Galloux, respectivement annexes T.3 et T.6, mentionnées au point 90 ci-dessus) et que, par conséquent, l’octroi obligatoire de licences portera atteinte à la valeur des actifs en question. Par ailleurs, il ne pourrait pas être déduit de l’arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (T‑83/91, Rec. p. II‑755, points 84 et 139), que le Tribunal a admis que les informations secrètes présentant la forme de spécifications ne seraient pas protégées de la même manière que d’autres droits de propriété intellectuelle, dans la mesure où cette juridiction n’aurait pas été saisie de la question de savoir si les spécifications de boîtes en carton constituaient des secrets d’affaires protégés.

Sur le caractère nécessaire des informations

127
Dans ses observations du 21 juillet 2004, la Commission affirme que les spécifications des protocoles de communication de Microsoft sont des « informations nécessaires à l’interopérabilité » au sens de la directive 91/250 et que, par conséquent, l’octroi obligatoire de licences imposé dans la Décision ne conférerait aux concurrents de Microsoft rien d’autre que ce qu’ils pourraient obtenir grâce à la décompilation des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs conformément à la dérogation prévue par l’article 6 de la directive.

128
Toutefois, Microsoft considère que cette allégation est incorrecte à plusieurs titres.

129
Premièrement, l’article 6, paragraphe 2, de la directive 91/250 constituerait seulement une exception limitée aux droits exclusifs du propriétaire d’un programme informatique protégé, tels qu’énoncés à l’article 4 de la directive. Dans certaines circonstances bien définies, un « utilisateur légitime » serait autorisé à « découvrir » les interfaces d’un programme informatique protégé en procédant à la « décompilation » du code lisible de la machine qui présente ces interfaces. Une telle « décompilation » serait autorisée uniquement lorsque les interfaces sont indispensables pour assurer la fonctionnalité d’un programme informatique créé de façon indépendante et n’ont pas été rendues disponibles par le propriétaire du programme. En l’espèce, outre que Microsoft affirme avoir déjà divulgué les interfaces dont les programmes informatiques des tiers ont besoin pour faire appel à la fonctionnalité des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs, les spécifications des protocoles de communication de Microsoft ne seraient pas nécessaires pour assurer la fonctionnalité d’un système d’exploitation pour serveurs de groupe de travail créé de façon indépendante. Au contraire, la Décision imposerait à Microsoft d’autoriser les concurrents à créer des produits offrant les mêmes services de fichiers et d’impression et les mêmes services de gestion des utilisateurs et des groupes que ceux proposés par les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs en développant leur propre mise en œuvre des protocoles de communication de Microsoft. Ainsi, Microsoft serait contrainte de fournir à ses concurrents des informations commerciales de valeur dans des circonstances qui ne leur donneraient aucunement droit de recourir à la décompilation en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive.

130
Deuxièmement, l’article 6 de la directive 91/250 autoriserait l’obtention d’informations par décompilation mais imposerait, en son paragraphe 2, trois limites strictes à l’utilisation de ces informations, y compris l’interdiction d’utiliser ces informations pour créer un programme reproduisant celui qui a fait l’objet de la décompilation. La Décision ne contiendrait toutefois aucune limite en ce sens ; au contraire, elle autoriserait les bénéficiaires de licence à développer des applications qui violent le droit d’auteur de Microsoft portant sur les spécifications de ses protocoles de communication.

131
Troisièmement, les spécifications auraient une valeur supérieure à l’information que les concurrents de Microsoft pourraient obtenir au travers d’une décompilation légitime.

Sur l’atteinte substantielle et irrémédiable

132
Microsoft expose, dans un second temps, que la divulgation d’informations protégées par des droits de propriété intellectuelle serait la cause d’un préjudice grave et irréparable.

133
L’article 5, sous a), de la Décision, en permettant aux concurrents de Microsoft d’utiliser les protocoles de communication en vue d’offrir des systèmes d’exploitation pour serveurs qui puissent remplacer ceux distribués par Microsoft, priverait cette dernière du bénéfice des avantages concurrentiels qu’elle a acquis au terme d’efforts de recherche et de développement. Or, les droits de propriété intellectuelle impliqueraient le droit de choisir d’utiliser ou non la propriété protégée et la manière de l’utiliser. Ainsi qu’il aurait été jugé, l’octroi obligatoire de licence porte atteinte à la « raison d’être fondamentale » de la propriété intellectuelle qui est de « conférer au créateur d’œuvres inventives et originales le droit exclusif d’exploiter ces œuvres » (ordonnance du président du Tribunal du 26 octobre 2001, IMS Health/Commission, T‑184/01 R, Rec. p. II‑3193, point 125). Pour cette raison, le Tribunal aurait reconnu qu’exiger d’une entreprise qu’elle octroie des licences portant sur ses droits de propriété intellectuelle, même de manière « purement provisoire », risque de lui causer un « préjudice grave et irréparable », et ce même si les informations concernées appartiennent déjà au domaine public (même ordonnance, point 127).

134
La nature irréversible de la communication d’éléments de propriété intellectuelle serait particulièrement évidente en ce qui concerne les secrets d’affaires. En l’espèce, ces éléments porteraient sur les conceptions de Microsoft relatives à la manière d’accomplir certaines tâches que les systèmes d’exploitation pour serveurs doivent exécuter par eux-mêmes et en collaboration avec des systèmes d’exploitation pour PC clients et pour serveurs. La révélation de ces conceptions ne pourrait plus jamais être effacée de la mémoire des bénéficiaires.

135
L’obligation d’accorder des licences portant sur des informations protégées par le droit d’auteur aurait également des effets concurrentiels irréversibles. En effet, l’étude des spécifications des protocoles de communication protégées par le droit d’auteur permettrait aux concurrents de Microsoft d’acquérir une connaissance approfondie des modes de fonctionnement internes de ses systèmes d’exploitation et d’en faire usage pour leurs propres produits. La vérification ultérieure de l’absence d’utilisation de cette connaissance par les concurrents de Microsoft serait impossible.

136
L’octroi obligatoire de licences portant sur les brevets provoquerait en outre un préjudice irréparable. Certes, une annulation de la Décision permettrait à Microsoft de poursuivre les tiers pour les empêcher d’utiliser la technologie brevetée, mais il s’avérerait particulièrement complexe et inefficace d’essayer de vérifier si la technologie de Microsoft est encore utilisée ou non, et les produits incorporant les inventions de Microsoft, entre-temps créés, resteraient probablement dans les canaux de distribution et dans les mains des clients.

137
Bien que la Décision permette à Microsoft d’octroyer des licences portant sur ses droits de propriété intellectuelle d’une « manière raisonnable et non discriminatoire », ce qui implique vraisemblablement le paiement d’une redevance, le préjudice causé aux droits de propriété intellectuelle de Microsoft ne serait pas réparé par le paiement d’une telle redevance (voir, en ce sens, ordonnance IMS Health/Commission, point 133 supra, point 125).

–     Entrave à la liberté commerciale de Microsoft

138
Évoquant les ordonnances du président du Tribunal du 3 juin 1996, Bayer/Commission (T‑41/96 R, Rec. p. II‑381, point 54), et IMS Health/Commission, point 133 supra (point 130), Microsoft soutient que, comme dans les affaires ayant donné lieu à ces ordonnances, sa liberté de déterminer librement les éléments essentiels de sa politique commerciale serait compromise du fait de l’exécution de la Décision.

§
Sur la liberté de communiquer les informations

139
En l’occurrence, Microsoft n’aurait pas pour politique commerciale d’accorder une licence générale portant sur ses protocoles de communication. Elle relève que l’octroi de licences portant sur ses protocoles de communication client-à-serveur a été convenu dans le cadre de la transaction américaine, mais que cette transaction ne porte en revanche pas sur la délivrance de licences relatives aux protocoles de communication serveur‑à‑serveur. En obligeant Microsoft à délivrer les spécifications des protocoles de communication serveur‑à‑serveur, dont la plupart n’auraient pas été rédigés, la Décision ferait de Microsoft un fournisseur de technologie au bénéfice de ses concurrents dans le secteur des systèmes d’exploitation pour serveurs.

140
Microsoft expose ensuite les différences qui existent entre la transaction américaine et l’accord conclu avec Sun Microsystems, d’une part, et la Décision, d’autre part.

141
Quant à la transaction américaine, elle prévoirait la délivrance de licences portant sur les protocoles de communication client-à-serveur dans le seul but d’assurer une interopérabilité avec les systèmes d’exploitation Windows pour PC clients, à la différence de la Décision qui imposerait l’octroi de licences sur ces mêmes protocoles pour leur utilisation dans des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail qui fournissent des services de fichiers et d’impression et des services de gestion des utilisateurs et des groupes à tout système d’exploitation Windows pour PC clients ou pour serveurs.

142
Quant à la transaction conclue en avril 2004 avec Sun Microsystems – le seul plaignant devant la Commission –, elle comprendrait, notamment, une série d’accords réciproques par lesquels les parties sont convenues de collaborer pour le développement de produits et de conclure des licences croisées, y compris des licences portant sur les types de protocoles de communication concernés par la Décision. Or, souligne Microsoft, les licences croisées lui assurent une contrepartie consistant en l’accès aux éléments de propriété intellectuelle de Sun Microsystems et l’incitation de cette dernière à respecter les droits de propriété intellectuelle de Microsoft concernant sa technologie octroyée sous licence. La nature réciproque de ces accords fournirait à Microsoft la contrepartie qui ferait précisément défaut dans l’octroi obligatoire de licences imposé par la Décision.

§
Sur la liberté de développer ses produits

143
Microsoft soutient que l’exécution de la Décision la priverait de sa capacité à développer ses produits. En effet, l’octroi obligatoire de licences portant sur les protocoles de communication compromettrait définitivement sa liberté de décider du développement de ses produits. L’amélioration future de ces protocoles et, in fine, la capacité de Microsoft à innover s’en trouveraient affectées, ainsi que l’indiquerait l’étude Madnick et Meyer. Microsoft indique en effet que, à partir du moment où les produits de tiers commencent à être dépendants des caractéristiques de conception d’un système d’exploitation Windows pour serveurs plutôt que de faire appel à sa fonctionnalité grâce à des interfaces publiées, sa capacité à modifier ces caractéristiques de conception dans un souci d’améliorer le produit en serait amoindrie. Les affirmations en sens contraire avancées par la Commission dans ses observations du 21 juillet 2004 méconnaîtraient la réalité commerciale. Il s’agirait déjà d’un défi d’ingénierie pour Microsoft, dans le cadre des lancements successifs de nouveaux systèmes d’exploitation Windows pour serveurs, de maintenir une compatibilité en amont avec les milliers d’interfaces publiées qui sont utilisées par les programmes informatiques de tiers. L’ajout de nouvelles fonctionnalités et l’amélioration du fonctionnement, de la sécurité et de la fiabilité des fonctionnalités existantes serait rendu considérablement plus difficile si les programmes informatiques de tiers faisaient appel aux fonctionnalités de Windows au moyen de protocoles autrefois confidentiels (études Madnick et Meyer, annexes R.2 et T.7).

§
Sur la nécessité de « durcir » les protocoles

144
Les protocoles privés ne seraient pas conçus pour être utilisés dans des produits logiciels de tiers inconnus. En conséquence, la divulgation d’un grand nombre de protocoles de communication privés pourrait être la cause d’éventuels dysfonctionnements, pannes et risques du point de vue de la sécurité. Microsoft devrait alors consacrer une partie de ses ressources à « durcir » les protocoles afin de faire face à l’usage inconsidéré ou malveillant de ces derniers, ce qui requiert souvent l’adjonction de codes de protection ou le recours à des tests supplémentaires importants avant de divulguer les produits faisant usage des protocoles de communication. À cet égard, la Décision affecterait de manière irréversible la liberté de Microsoft de développer ses produits de la manière qu’elle juge appropriée.

145
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft ajoute que la fourniture à ses concurrents des spécifications de protocoles de communication, qui n’ont jamais eu d’autre objectif que d’assurer la communication entre les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs, exposerait les clients à des vulnérabilités techniques. Elle se réfère à ce sujet aux études Madnick et Meyer, annexes R.2 et T.7. De tels protocoles seraient fondés sur un grand nombre de postulats quant au fonctionnement interne des systèmes d’exploitation pour serveurs qui fournissent conjointement des services de groupe de travail. En conséquence, ils ne présenteraient pas les mécanismes de protection dont ils seraient dotés s’ils avaient été conçus pour communiquer avec des produits logiciels tiers. Bien qu’il soit possible pour Microsoft de « durcir » à l’avenir les mises en œuvre de ses protocoles de communication, il n’en subsisterait pas moins des millions de systèmes d’exploitation Windows pour serveurs présents dans les réseaux des clients qui utilisent les protocoles dans leur état actuel. Il ne serait pas envisageable de modifier a posteriori ces produits afin de les protéger contre une utilisation inappropriée des protocoles de communication, étant donné que l’intégration des mécanismes de protection nécessaires exigerait des modifications importantes des produits déjà en circulation. Microsoft fait observer que, bien que la Commission ironise sur ce qu’elle qualifie de « sécurité par l’obscurité » (annexe S.2), les clients ne seraient pas satisfaits d’apprendre que les divulgations ordonnées par elle dans la Décision ont rendu les systèmes actuels d’exploitation Windows pour serveurs vulnérables aux dysfonctionnements (étude Madnick et Meyer, annexe T.7). Les protocoles seraient complexes et les risques d’erreur lors de leur mise en œuvre dans un autre système d’exploitation pour serveurs de groupe de travail seraient élevés. Une telle erreur pourrait entraîner d’importantes pertes et altérations de données avec, parallèlement, un dommage causé à Microsoft et à ses clients. Bien entendu, les clients sont très sensibles aux pertes et altérations de données, si bien que Microsoft subirait des préjudices, notamment quant à sa réputation, si la base existante des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs était compromise par l’utilisation incorrecte des protocoles de communication de Microsoft. La Commission suggère que « tout préjudice serait réversible […] une fois que la Décision serait annulée ». Or, l’annulation ne pourrait remédier à la perte ou à l’altération de données ni rétablir la réputation de Microsoft.

–     Modification irréversible des conditions du marché

146
Microsoft soutient que l’octroi obligatoire de licences modifierait irrémédiablement à son détriment les conditions prévalant sur le marché. Il semblerait que cette modification ait été recherchée par la Commission, ainsi que l’indique le considérant 695 de la Décision selon lequel, « [s]i les concurrents de Microsoft avaient accès aux informations sur l’interopérabilité qui sont réclamées, ils pourraient les utiliser pour rendre les fonctions avancées de leurs propres produits disponibles dans le cadre du réseau de relations d’interopérabilité sur lequel repose l’environnement Windows ».

147
Pour démontrer la survenance d’un changement irréversible sur le marché, Microsoft fait valoir que l’examen des spécifications détaillées des protocoles de communication dont elle est propriétaire, rendu possible par l’octroi obligatoire de licences, permettra de révéler aux concurrents des aspects importants de la conception des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs. Comme expliqué dans l’étude Madnick et Meyer, les spécifications des protocoles de communication autrefois privés seraient tout particulièrement susceptibles de révéler des informations sur la conception interne des systèmes d’exploitation, parce que ces protocoles sont souvent dépendants de leur mise en œuvre spécifique dans un code logiciel. L’utilisation de tels protocoles de communication par des tiers impliquerait donc de préciser divers détails, alors que ces détails restent implicites lorsque les protocoles sont utilisés de manière privative par différentes copies du même système d’exploitation fonctionnant sur des serveurs différents.

148
La divulgation à grande échelle de telles informations permettrait aux concurrents de Microsoft de reproduire dans leurs systèmes d’exploitation pour serveurs une série de fonctionnalités que Microsoft a développées grâce à ses propres efforts de recherche et de développement. Le préjudice qui en résulterait pour Microsoft s’étendrait au-delà de la portée de la divulgation imposée, au-delà du marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail et au-delà même de la portée géographique d’une licence obligatoire.

Sur la balance des intérêts

149
Microsoft soutient, en premier lieu, que l’intérêt des Communautés à imposer une réparation effective ne requiert pas l’exécution immédiate de l’article 5, sous a) à c), de la Décision.

150
Tout d’abord, l’objectif de l’article 82 CE étant de « préserver les intérêts des consommateurs et non de protéger la position de concurrents particuliers » (ordonnance IMS Health/Commission, point 133 supra, point 145), un poids significatif devrait être accordé à l’absence de préjudice subi par les consommateurs. Or, en l’espèce, les clients bénéficieraient de diverses solutions d’interopérabilité. Ainsi, au cours des cinq années de procédure devant la Commission, aucune entreprise n’aurait déclaré avoir voulu choisir un système d’exploitation pour serveurs autre que Windows et avoir été contrainte, par souci d’interopérabilité, de choisir un système d’exploitation Windows pour serveurs.

151
Ensuite, l’exécution de la mesure corrective prévue par l’article 5 de la Décision ne serait pas nécessaire, dès lors que les concurrents de Microsoft n’auraient, dans l’immédiat, aucun besoin d’avoir accès à ses protocoles de communication. D’ailleurs, relève Microsoft, la Commission elle-même ne prétendrait pas que la concurrence entre les vendeurs de systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail disparaîtrait à court terme en cas de suspension de l’article 5 de la Décision.

152
À ce sujet, Microsoft fait valoir que les produits de ses concurrents sont actuellement compétitifs et fournit différentes études et projections en ce sens concernant Linux, UNIX et Novell.

153
En outre, Microsoft fait valoir que la Commission n’a pas établi de lien entre la mesure corrective prévue par l’article 5 de la Décision et une quelconque demande formulée par des distributeurs de systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail. Microsoft précise que Sun Microsystems, Novell et Free Software Foundation/Samba n’ont pas demandé à bénéficier d’une licence portant sur les protocoles de communication dont elle est propriétaire.

154
L’avantage que ces concurrents peuvent tirer de la possibilité de découvrir la façon dont Microsoft a résolu certains problèmes relatifs à la conception des systèmes d’exploitation pour serveurs ne saurait prévaloir sur l’intérêt légitime de Microsoft à protéger sa propre technologie. Lors de la mise en balance des intérêts, l’intérêt général à maintenir une concurrence effective devrait à l’évidence primer sur les seuls intérêts des concurrents de Microsoft.

155
Quant au risque que les distributeurs concurrents de systèmes d’exploitation pour serveurs soient évincés du marché en cas de suspension des effets de l’article 5 de la Décision, il serait inexistant. Les concurrents de Microsoft auraient accordé des licences portant sur leurs systèmes d’exploitation pour serveurs à des clients professionnels pendant de nombreuses années, et ce sans avoir accès aux spécifications des protocoles de communication que la Décision imposerait à Microsoft de leur fournir. Microsoft fournit au soutien de son analyse différentes données concernant certains de ses concurrents sur le marché en cause.

156
Enfin, Microsoft estime qu’il ne saurait être soutenu que l’exécution de la Décision est urgente, dès lors que la procédure administrative, au cours de laquelle les appréciations de la Commission auraient fluctué, a duré cinq années.

157
En second lieu, il devrait être tenu compte, lors de l’exercice consistant à mettre en balance les intérêts, d’une part, des obligations des Communautés découlant des traités internationaux, dont l’ADPIC, et, d’autre part, du bien-fondé du recours au principal. Sur ce dernier aspect, se prévalant de l’ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2002, NDC Health/IMS Health et Commission [C‑481/01 P(R), Rec. p. I‑3401], Microsoft estime que le bien-fondé de son recours au principal doit être considéré lors de la mise en balance des intérêts en présence. En l’espèce, il serait notamment clair que la Commission n’a pas établi que les critères jurisprudentiels (arrêt IMS Health, point 99 supra) permettant de contraindre une entreprise en position dominante à accorder des licences à ses concurrents étaient satisfaits.

158
En troisième et dernier lieu, il est rappelé que Sun Microsystems a, depuis l’adoption de la Décision, conclu une transaction avec Microsoft réglant l’ensemble des difficultés qui étaient la cause de la plainte déposée auprès la Commission. Aucun besoin immédiat ne requerrait donc l’exécution de la Décision tant que l’affaire au principal est pendante.

159
ACT fait valoir quant à elle que l’absence de sursis à l’exécution de la mesure corrective produirait des effets graves et irréparables résultant de l’atteinte portée à la force et à la valeur des droits de propriété intellectuelle dont ses membres sont titulaires dans l’EEE.

160
Plus précisément, ACT soutient, premièrement, que l’applicabilité immédiate de la mesure corrective constituerait un précédent de référence en matière de licence obligatoire relative à des droits de propriété intellectuelle qui ne manquerait pas d’amoindrir rapidement et substantiellement la valeur des droits de propriété intellectuelle détenus par ses membres. À cet égard, ACT fait valoir que la Commission a interprété et appliqué l’article 82 CE d’une manière non conforme aux obligations qui incombent à la Communauté en vertu des articles 13, 31 et 39 de l’ADPIC.

161
ACT soutient, deuxièmement, que la divulgation des protocoles de communication, antérieurement propriété exclusive de Microsoft, aboutirait à l’instabilité des systèmes d’exploitation Windows pour PC clients et pour serveurs, qui entraînerait immédiatement un préjudice significatif pour ses membres.

162
CompTIA estime que la mesure corrective prévue par l’article 5 de la Décision, dans la mesure où elle impose à Microsoft de communiquer sa propriété intellectuelle à toute entreprise présente sur le marché des serveurs, abaisse le niveau de protection de la propriété intellectuelle pour l’ensemble de l’industrie des technologies de l’information et de la communication, constitue une cause d’insécurité juridique et a pour effet immédiat de réduire le montant des investissements réalisés dans le secteur des technologies et, donc, le niveau d’activité économique général.

163
CompTIA considère, en outre, que le préjudice grave et irréparable que cette mesure causera au secteur entier, ainsi qu’aux membres de CompTIA, excède l’impact négatif éventuel de l’absence de divulgation immédiate sur l’intérêt public et sur celui des tiers. Dans ce contexte, CompTIA souligne qu’elle n’a été informée d’aucun élément relatant un problème d’interopérabilité sur le marché des serveurs, alors même qu’elle jouerait un rôle plus important que toute autre association dans la certification de la qualification de la main‑d’œuvre technologique dans le secteur des serveurs.

b)     Arguments de la Commission et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

164
À titre préliminaire, la Commission considère que la demande de sursis à l’exécution de l’article 5, sous a) à c), de la Décision repose dans une large mesure sur l’appréciation de l’incidence que cette Décision est censée avoir sur l’exercice des « droits de propriété intellectuelle » de Microsoft et expose quelques remarques introductives à cet égard. La Commission précise dans ses observations du 13 septembre 2004 que, à supposer même que Microsoft ait expressément démontré que la Décision la contraindrait à concéder des licences portant sur ses droits de propriété intellectuelle, son argumentation resterait également valable. FSF-Europe souscrit à l’argumentation de la Commission.

Observations préliminaires

165
Tout d’abord, la Commission relève que l’article 5, sous a) à c), de la Décision oblige Microsoft à fournir une documentation technique, appelée « spécifications », qui décrit en détail les « protocoles » visés à l’article 1er, paragraphe 1, de la Décision. Or, souligne la Commission, il importe de distinguer cette documentation technique du code source des produits Microsoft. En effet, un concurrent désireux d’élaborer un système d’exploitation de serveur qui comprenne les protocoles de Microsoft devrait doter son produit d’un code source qui permette d’en réaliser les spécifications. Or, deux programmateurs mettant en œuvre les mêmes spécifications de protocole n’écriraient pas le même code source et les performances de leurs programmes seraient différentes (considérants 24, 25, 698 et 719 à 722). De ce point de vue, les protocoles pourraient être comparés à un langage dont la syntaxe et le vocabulaire seraient les spécifications, dans la mesure où le simple fait, pour deux personnes, d’apprendre la syntaxe et le vocabulaire d’un même langage ne garantit pas qu’ils en feront le même usage.

166
Ensuite, au regard de ces éléments, la Commission passe en revue les divers droits de propriété intellectuelle invoqués par Microsoft.

–     Sur le droit d’auteur

167
S’agissant, premièrement, du droit d’auteur, la Commission considère que l’exposé de Microsoft est inexact, sinon trompeur. En effet, d’une part, Microsoft donnerait à penser, à tort, que l’utilisation de l’information relative à l’interopérabilité en vue de rendre cette dernière effective constitue normalement une violation du droit d’auteur. D’autre part, ce serait également à tort que Microsoft indique que la protection conférée par le droit d’auteur s’étend aux protocoles de communication et invoque un droit d’auteur attaché aux « spécifications » pour soutenir que l’utilisation des connaissances qu’elles contiennent constituerait une violation de ce droit.

168
Toutefois, sans exclure que les spécifications puissent, en tant que telles, être couvertes par le droit d’auteur, la Commission estime que cela ne signifie pas que l’utilisation de l’information contenue dans ce document, sous forme de mise en œuvre dans un système d’exploitation, constitue une violation du droit d’auteur, car, comme l’indiquerait la Décision, la mise en œuvre d’une spécification n’est pas une copie, mais aboutit à une œuvre nettement distincte (considérants 25, 570 et suivants et 719 et suivants).

169
Dans ses observations du 13 septembre 2004, la Commission soutient, en substance, que la mise en œuvre des protocoles de communication ne constitue pas une forme d’exploitation interdite par le droit d’auteur.

170
Parmi les nombreuses remarques de la Commission quant aux observations de Microsoft du 19 août 2004, il convient de faire état des réponses apportées de façon plus spécifique à cinq catégories d’arguments.

171
Premièrement, la Commission relève que Microsoft s’est prévalue pour la première fois, dans ses observations du 19 août 2004, d’un droit de « divulgation » (point 119 ci-dessus). La Commission constate que l’article 6 bis de la convention de Berne, qui énonce les « droits moraux » du titulaire du droit d’auteur, ne mentionne pas ce droit et que, partant, toute entrave à l’exercice de ce droit supposé ne peut être contraire à l’« exploitation normale du programme d’ordinateur », telle qu’elle est définie à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 91/250, dans la mesure où cette disposition précise qu’elle doit être interprétée « conformément aux [stipulations] de la convention de Berne ». Le droit de divulgation serait au plus un « droit moral » ne pouvant pas faire l’objet de licence. Par ailleurs, l’invocation d’un droit de divulgation serait difficilement conciliable avec le fait que les produits de Microsoft sont sur le marché, que des personnes sont susceptibles de les observer, de les étudier ou de les tester, et peuvent procéder à leur décompilation dans certaines circonstances. Enfin, les motifs invoqués par Microsoft pour refuser la divulgation des informations en cause seraient purement économiques et n’auraient donc rien à voir avec la raison d’être du droit en question.

172
Deuxièmement, la Commission conteste que la documentation technique qui devra être divulguée puisse être considérée comme un « programme d’ordinateur » protégé en vertu de la directive 91/250, au motif qu’il s’agirait de « matériel de conception préparatoire » d’un programme d’ordinateur (point 118 ci‑dessus). En effet, poursuit-elle, les informations en cause ne seront pas composées ex ante comme une assistance interne à la création des programmes de Microsoft, mais ex post, dans le seul but de divulguer uniquement des informations limitées aux concurrents de cette dernière.

173
Quant à l’affirmation de Microsoft, fondée sur l’article 4 de la directive 91/250, selon laquelle la mise en œuvre des protocoles en question serait « presque certainement » une adaptation ou une traduction des spécifications couvertes par le droit d’auteur de Microsoft (point 120 ci‑dessus), la Commission rétorque que la requérante ne fournit pas de justification à cet égard. Or, soutient-elle, le texte de la directive 91/250 ainsi que les travaux préparatoires s’y rapportant amènent à conclure que l’écriture du logiciel d’interface sur la base des spécifications d’interface n’est normalement pas couverte par l’article 4 de ladite directive. En effet, l’article 6 de cette même directive serait fondé sur la prémisse selon laquelle l’utilisation des informations relatives à l’interopérabilité, extraites par décompilation – laquelle est « exemptée » – pour « obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un programme d’ordinateur créé de façon indépendante avec d’autres programmes », n’est pas un acte portant atteinte au droit d’auteur, à moins que les informations ne soient « utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d’un programme d’ordinateur dont l’expression est fondamentalement similaire » au programme ayant fait l’objet de la décompilation. Si Microsoft avait raison, l’article 6 de la directive 91/250 ne pourrait jamais être invoqué pour créer des produits compatibles, puisque la création de ces produits serait un « acte portant atteinte au droit d’auteur » et, partant, interdit par l’article 6, paragraphe 2, sous c).

174
Troisièmement, la Commission écarte l’interprétation restrictive faite par M. Prescott (annexe T.3) de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/250, qui prévoit que « [l]es idées et principes qui sont à la base de quelque élément que ce soit d’un programme d’ordinateur, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur ». En effet, son argument consistant à soutenir que l’ensemble, ou la structure, des « idées » en question est protégé par le droit d’auteur lorsqu’elles constituent une « partie substantielle de l’œuvre protégée » serait vicié, car, premièrement, il ne serait pas conforme à l’article 1er, paragraphe 2, et à l’article 6 de la directive 91/250 et, deuxièmement, les jugements britanniques sur lesquels M. Prescott asseoit son analyse seraient sans rapport avec la présente espèce.

175
Quatrièmement, en ce qui concerne l’argumentation de Microsoft mentionnée au point 120 ci-dessus, laissant entendre, tout d’abord, que la mesure corrective créerait la « tentation » particulière chez les concurrents de Microsoft, en quelque sorte, de mettre au point des réalisations portant atteinte au droit d’auteur et, ensuite, que la Décision ne prévoirait aucune garantie contre une telle « tentation », la Commission précise que la mesure corrective n’impose pas de divulguer le code source et que, par conséquent, l’interdiction d’utiliser les informations obtenues par décompilation « pour la mise au point, la production ou la commercialisation d’un programme d’ordinateur dont l’expression est fondamentalement similaire » prévue par l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 91/250 n’est pas applicable.

176
Cinquièmement, la Commission considère que, contrairement à ce que soutient Microsoft (point 129 ci-dessus), cette dernière n’a pas divulgué les interfaces dont les programmes informatiques des tiers ont besoin pour utiliser les fonctionnalités des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs. Elle précise que les interfaces auxquelles Microsoft fait référence sont les « interfaces de programmation d’applications » (ci-après les « API ») permettant aux applications exécutées sur un système d’exploitation pour serveurs Windows d’utiliser les services de ce système d’exploitation pour serveurs, alors que les interfaces en cause dans la présente espèce sont celles par lesquelles un serveur de groupe de travail Windows fournit ses services aux réseaux de groupe de travail Windows (considérant 210).

–     Sur les brevets

177
À propos des brevets, la Commission note, tout d’abord, que, pendant la procédure administrative, Microsoft n’a fait état que d’une demande de brevet, alors qu’elle invoque au cours de la procédure juridictionnelle trois brevets européens et deux demandes de brevet européen en instance. Ensuite, Microsoft n’aurait pas produit la documentation permettant de déterminer si une licence portant sur un ou plusieurs desdits brevets serait indispensable à une personne mettant en œuvre les protocoles concernés.

178
Dans ses observations du 13 septembre 2004, la Commission constate que, avant l’adoption de la Décision, Microsoft n’a mentionné l’existence que d’un seul brevet, le 20 janvier 2004, alors que les trois brevets européens visés dans le document faisant état de l’opinion de M. Knauer (annexe T.5 ; point 91 ci-dessus) ont été délivrés avant la fin de l’année 2001 et que les deux demandes de brevet européen ont été introduites, selon le même document, avant la fin de l’année 2002. S’agissant de la teneur de l’opinion de M. Knauer, la Commission fait d’abord remarquer que ce dernier a « dû se fonder sur les informations fournies par Microsoft à propos des protocoles relevant de l’article 5 de la [D]écision ». Elle relève ensuite qu’il n’est pas évident qu’un concurrent de Microsoft tirant parti de l’exécution de la Décision porterait atteinte à certaines des revendications de ces brevets. Les doutes exprimés à propos de la question de savoir si le concepteur d’un logiciel pour serveur utilisant les protocoles pertinents pour communiquer avec les clients Windows porterait atteinte aux revendications en question sont, selon la Commission, confirmés par l’attitude de Microsoft à l’égard de Samba, un produit « logiciel libre » qui met en œuvre certains protocoles de communication de Microsoft que les concepteurs du groupe Samba ont identifiés en utilisant les techniques d’étude à rebours. En effet, poursuit-elle, Samba semble avoir incorporé le « verrouillage opportuniste » de SMB dès le mois de janvier 1998 (version 1.9.18) et DFS dès le mois d’avril 2001 (version 2.2.0). À la connaissance de la Commission, le groupe Samba n’aurait jamais obtenu de licence portant sur les brevets en question de Microsoft, et Microsoft n’aurait jamais invoqué d’atteinte portée à ces brevets par ce groupe. La Commission rappelle, par ailleurs, que les trois brevets en question ont tous été délivrés avant la fin de l’année 2001 et que, compte tenu de la description technique qu’ils proposent, ils semblent concerner la génération NT 4.0 des produits Microsoft, antérieure à Windows 2000.

179
Le rapport entre les revendications de brevet de Microsoft et la Décision resterait donc vague.

180
La Commission conclut sur ce point que Microsoft n’a pas prouvé qu’il serait porté atteinte, en cas d’exécution de l’article 5, sous a) à c), de la Décision, à l’un quelconque de ses brevets.

–     Sur les secrets d’affaires

181
La Commission considère que l’assimilation opérée par Microsoft entre les secrets d’affaires et les droits de propriété intellectuelle ne va pas de soi. La Commission se réfère à cet égard à l’affaire Tetra Pak [décision 92/163/CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d’application de l’article 86 du traité CEE (IV/31.043 – Tetra Pak II), JO 1992, L 72, p. 1], ayant donné lieu à l’arrêt Tetra Pak/Commission, point 126 supra (points 84 et 139).

182
La Commission considère que, s’il peut exister une présomption de légitimité du refus de concéder une licence portant sur un droit de propriété intellectuelle institué par la loi, en revanche, la légitimité en droit de la concurrence du refus de divulguer un secret, dont l’existence dépend simplement d’une décision commerciale unilatérale, devrait être fonction des faits de l’espèce et, en particulier, des intérêts en jeu. Dans le cas d’espèce, la directive 91/250 indiquerait que l’intérêt qui s’attache à la protection de l’effort inventif à l’origine du logiciel n’autorise pas l’inventeur à empêcher qu’il soit fait usage de l’information relative à l’interopérabilité inhérente à ce logiciel en vue de rendre cette dernière effective.

183
La Commission admet que la directive 91/250 n’oblige pas l’inventeur à révéler de son propre chef l’information en cause. Toutefois, selon la Commission, la divulgation de l’information relative à l’interopérabilité afin de rendre cette dernière effective n’est pas, au regard d’un éventuel secret d’affaires de Microsoft, comparable au fait de permettre à un de ses concurrents, par le biais d’une licence, de copier une œuvre protégée par la législation sur les droits de propriété intellectuelle. Cette affirmation serait soutenue par la pertinence technique d’une telle divulgation, les pratiques existantes dans le secteur des logiciels et le propre comportement de Microsoft lors de son entrée sur le marché.

184
Dans ses observations du 13 septembre 2004, la Commission réfute l’idée que les protocoles seraient le reflet d’importantes innovations, car la véracité de cette affirmation n’aurait été établie par Microsoft ni dans sa demande, ni dans ses observations subséquentes, ni dans l’annexe T.3. Elle considère également comme dénué de fondement l’argument selon lequel la mesure corrective aurait pour effet de « transférer » l’innovation en question aux concurrents de Microsoft, dans la mesure où, d’une part, la divulgation de ces informations n’entraînerait pas de transfert de la valeur essentielle du système d’exploitation Windows et, d’autre part, l’article 82 CE permettrait d’ordonner l’octroi d’une licence portant sur un élément essentiel d’un produit de l’entreprise en position dominante, comme le montreraient les affaires ayant donné lieu aux arrêts Magill et IMS Health, point 99 supra.

185
FSF-Europe fait très essentiellement valoir que les informations que la Décision impose à Microsoft de divulguer ont peu de valeur sur le plan de l’innovation et comportent nombre d’incompatibilités introduites à dessein dans des protocoles écrits préexistants. L’approche de Microsoft consisterait à adopter des protocoles préexistants, puis à les modifier dans le but d’empêcher ou d’interdire l’interopérabilité. Ainsi aurait-elle agi à l’égard de plusieurs protocoles de serveurs de groupe de travail, dont le groupe Samba sollicite la divulgation afin de créer un produit compatible, à savoir les protocoles CIFS, DCE/RPC (Distributed Computing Environment/Remote Procedure Call), DCE/RCP IDL (« Interface Definition Language »), Kerberos 5 et LDAP (Active Directory).

Sur le fumus boni juris

186
La Commission rejette d’emblée les affirmations de Microsoft selon lesquelles, d’une part, la présente affaire ne concerne que sa relation avec Sun Microsystems et, d’autre part, cette dernière n’a pas demandé à bénéficier de l’information que la Décision ordonne à Microsoft de divulguer.

187
La Commission rappelle ensuite que, dans ses observations préliminaires, elle a fait valoir qu’aucun droit d’auteur dont Microsoft serait titulaire n’empêcherait l’utilisation de l’information relative à l’interopérabilité pour rendre effective cette dernière (points 167 et 168 ci‑dessus). La Commission commente néanmoins les quatre critères posés par la jurisprudence à propos des licences obligatoires en posant l’hypothèse, aux fins de la discussion, d’une part, que certaines questions relatives aux droits de propriété intellectuelle sont en jeu et, d’autre part, qu’aucun autre critère n’est pertinent pour conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles, cette deuxième hypothèse étant cependant, selon la Commission, contredite par la formulation de l’arrêt IMS Health, point 99 supra (point 38).

188
S’agissant, en premier lieu, du caractère indispensable des informations prétendument couvertes par des droits de propriété intellectuelle, la Commission aurait déjà réfuté dans la Décision les allégations de Microsoft concernant les « nombreuses autres manières d’assurer l’interopérabilité » (considérants 666 à 687).

189
En deuxième lieu, la Commission rejette les affirmations de Microsoft selon lesquelles cette dernière n’a pas empêché l’apparition de produits nouveaux pour lesquels il aurait existé une demande non satisfaite de la part des consommateurs.

190
Il ressortirait en effet du point 49 de l’arrêt IMS Health, point 99 supra, qu’un « produit nouveau » est un produit qui ne se limite pas, « en substance, à reproduire » les produits déjà offerts sur le marché par le titulaire du droit d’auteur. Il suffirait par conséquent que le produit en cause contienne des éléments substantiels résultant de l’apport du licencié. Il ne serait donc pas exclu que les produits du titulaire du droit d’auteur et les futurs produits du licencié soient en concurrence, ainsi qu’en témoigneraient les faits à l’origine des affaires tranchées par le juge communautaire (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1991, RTE/Commission, T‑69/89, Rec. p. II‑485, point 73 ; arrêt Magill, point 53 ; arrêt IMS Health, point 99 supra). En outre, le critère du « produit nouveau » n’impliquerait pas l’obligation de démontrer concrètement que le produit du licencié attirerait des clients qui n’achèteraient pas les produits offerts par le fournisseur existant. Selon la Commission, toute autre interprétation priverait la jurisprudence d’une bonne partie de son sens, dans la mesure où les titulaires de droits de propriété intellectuelle ont, normalement, d’excellentes raisons d’octroyer des licences aux opérateurs qui entendent fabriquer des biens qui ne sont pas en concurrence avec les leurs. Ce type de scénario ne donnerait donc normalement pas lieu à refus. Dans l’arrêt IMS Health, point 99 supra, la Cour aurait d’ailleurs concentré son analyse sur la différenciation du produit susceptible d’influer sur les choix des consommateurs ou, en d’autres termes, sur le point de savoir s’il existe une « demande potentielle » pour le nouveau produit. Les conséquences exactes que cette différenciation aura sur les choix effectués et, à plus long terme, sur l’apparition de produits attirant de nouvelles catégories de clients seraient définies par le marché.

191
Or, en l’espèce, d’une part, le processus de mise en œuvre des protocoles pourrait revêtir des formes très diverses (considérants 24, 25 et 698), ce qui créerait des possibilités suffisantes de différenciation du produit, et, d’autre part, il existerait d’importantes possibilités de différenciation du produit, actuellement neutralisées par le comportement de Microsoft, par le biais desquelles la concurrence pourrait se déployer.

192
En troisième lieu, s’agissant de la question de l’élimination de la concurrence sur un marché dérivé, la Commission aurait analysé en profondeur dans la Décision l’évolution du marché en cause et l’importance de l’interopérabilité pour cette évolution (considérants 590 à 692) et, notamment, la prétendue « croissance régulière de Linux » (considérants 598 à 610). Or, dans sa demande en référé, Microsoft n’invoquerait aucune erreur à cet égard. Microsoft présumerait indûment que, lorsque l’élimination de la concurrence est progressive, des injonctions de ne pas faire ne pourraient être prononcées en vertu de l’article 82 CE qu’au moment où elles n’auraient plus aucun sens parce que le marché se serait irrévocablement mué en monopole, alors qu’il suffit que le refus d’octroyer la licence soit « de nature à » exclure la concurrence (arrêts Bronner, point 99 supra, point 40, et IMS Health, point 99 supra, points 37 et 38).

193
En quatrième lieu, Microsoft ne mentionnerait aucune justification objective particulière de son comportement, si ce n’est l’invocation générale de « ses droits de propriété intellectuelle », déjà réfutée dans la Décision (considérants 709 à 763).

194
La Décision montrerait donc, et Microsoft ne l’aurait pas sérieusement contesté, que son comportement remplissait les conditions énoncées par la jurisprudence.

195
Enfin, pour ce qui est de l’incompatibilité entre la Décision et l’ADPIC, la Commission renvoie aux constatations figurant aux considérants 1052 et 1053 de la Décision.

Sur l’urgence

196
La Commission considère que Microsoft n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable en l’absence de sursis à l’exécution de la Décision. Les parties intervenantes SIIA et FSF-Europe partagent l’argumentation de la Commission.

Sur la mise en balance des intérêts

197
La Commission estime que la balance des intérêts penche en faveur de l’exécution immédiate de l’article 5, sous a) à c), de la Décision et conclut, par conséquent, au rejet de la demande. Les parties intervenantes SIIA et FSF-Europe partagent l’argumentation de la Commission.

2.     Appréciation du juge des référés

a)     Sur le fumus boni juris

198
Au soutien de sa conclusion selon laquelle la condition relative au fumus boni juris est satisfaite, Microsoft fait essentiellement valoir, premièrement, que les conditions dans lesquelles un refus de fournir des informations protégées par des droits de propriété intellectuelle est constitutif d’un abus de position dominante prohibé par l’article 82 CE ne sont pas réunies en l’espèce, deuxièmement, que Sun Microsystems n’a pas demandé l’information que la Décision ordonne de fournir et que sa demande ne portait pas sur le développement de logiciels dans l’EEE et, troisièmement, que la Commission a méconnu les obligations imposées à la Communauté par l’ADPIC.

199
Au vu de l’argumentation développée par Microsoft dans le cadre de l’affaire en référé, les deuxième et troisième séries d’arguments ne peuvent pas être considérées comme suffisamment sérieuses pour constituer un fumus boni juris.

200
En effet, les arguments relatifs à la demande de Sun Microsystems ont été réfutés en détail dans la Décision (considérants 199 à 207, 564 et 565) sans que Microsoft démontre, à première vue, que la Commission a commis une quelconque erreur quant à l’étendue de la demande de Sun Microsystems. De même, l’argument selon lequel la demande de Sun Microsystems ne portait pas sur le développement de logiciels « dans l’EEE » ne saurait prospérer dès lors que, d’une part, la demande de Sun Microsystems était libellée en termes généraux et que l’EEE est nécessairement une partie du marché mondial pertinent, ainsi qu’il ressort clairement des considérants 185 et suivants et 427 de la Décision.

201
Quant au moyen tiré d’une méconnaissance de l’ADPIC, il n’a pas été développé de manière suffisante pour permettre au juge des référés de se prononcer utilement. En effet, d’une part, Microsoft s’est bornée à soutenir dans sa demande en référé que, « en imposant une licence obligatoire à Microsoft, la Commission ne pren[ait] pas correctement en compte les obligations imposées aux Communautés européennes par l’[ADPIC] ». D’autre part, le renvoi à l’argumentation développée dans l’annexe T.9 n’a pas été considéré conforme aux règles de forme applicables (voir point 88 ci-dessus).

202
L’examen du juge des référés portera donc sur le seul moyen tiré d’une violation de l’article 82 CE, étant précisé que Microsoft ne conteste pas, dans le cadre de la présente demande, qu’elle détient une position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients et sur celui des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail. Sa contestation ne porte donc que sur le caractère prétendument abusif du refus de divulguer les informations relatives à l’interopérabilité et d’en autoriser l’usage à des sociétés concurrentes.

203
À titre liminaire, il convient de rappeler que les considérants 546 à 791 de la Décision sont consacrés à l’examen du caractère abusif du refus de fournir les informations relatives à l’interopérabilité. La Commission y indique qu’il lui appartient d’analyser la totalité des éléments propres à chaque cas avant de pouvoir conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles caractérisant un refus abusif (considérants 546 à 559). En l’espèce, la Commission a considéré que les circonstances exceptionnelles étaient constituées par le fait que le refus de fournir les informations relatives à l’interopérabilité a été opposé à Sun Microsystems, s’est inscrit dans une ligne de conduite générale et a impliqué une diminution des divulgations d’informations (considérants 560 à 584), qu’il risque d’éliminer la concurrence (considérants 585 à 692) et qu’il a un effet négatif sur le développement technique, et ce au préjudice des consommateurs (considérants 693 à 708). Au vu de ces « circonstances exceptionnelles », la Commission a considéré que les arguments avancés par Microsoft ne suffisaient pas pour justifier objectivement le refus de divulguer les informations relatives à l’interopérabilité, qu’il s’agisse de l’incitation de Microsoft à innover (considérants 709 à 763) ou de l’absence d’intérêt à restreindre la concurrence (considérants 764 à 778).

204
En l’espèce, la condition relative au fumus boni juris doit être considérée comme satisfaite eu égard, d’une part, aux questions de principe soulevées par la présente affaire et, d’autre part, à l’examen approfondi requis par certains moyens et arguments. En substance, il s’agit de savoir si les circonstances prises en compte par la Commission sont factuellement correctes et juridiquement de nature à fonder la conclusion qu’il existe des circonstances exceptionnelles justifiant d’ordonner la divulgation d’informations de valeur protégées par des droits de propriété intellectuelle.

205
Les questions de principe portent sur les conditions dans lesquelles la Commission est fondée à conclure qu’un refus de divulguer des informations constitue un abus de position dominante prohibé par l’article 82 CE.

206
Premièrement, cette affaire soulève la question de savoir si les conditions énoncées par la Cour dans l’arrêt IMS Health, point 99 supra, sont nécessaires ou simplement suffisantes. En effet, la Commission soutient dans la Décision que l’existence de circonstances exceptionnelles doit être appréciée au cas par cas et qu’il ne saurait donc être exclu, sans un examen approfondi de chaque espèce, qu’un refus puisse présenter un caractère abusif, et ce alors même que les conditions énoncées jusqu’alors par le juge communautaire ne seraient pas satisfaites. À l’inverse, Microsoft soutient dans sa demande que le caractère abusif du refus de fournir ne peut être constaté que si les conditions posées par le juge communautaire sont remplies. À l’évidence, cette question ne peut être résolue au stade de la procédure de référé. Il importe toutefois de relever que, aux termes du point 38 de l’arrêt IMS Health, la Cour a dit pour droit qu’« il suffit », pour que « le refus d’une entreprise titulaire d’un droit d’auteur de donner accès à un produit ou un service indispensable pour exercer une activité déterminée puisse être qualifié d’abusif », « que ce refus fasse obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs, qu’il soit dépourvu de justification et de nature à exclure toute concurrence sur un marché dérivé ».

207
Deuxièmement, cette affaire pose la question de savoir si, lorsque l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle est en cause, il doit être tenu compte de la nature des informations protégées. En effet, Microsoft soutient que la Décision la contraint à communiquer à des concurrents une technologie qui est secrète et de grande valeur et qui est, par conséquent, intrinsèquement différente des informations en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Magill et IMS Health, point 99 supra. Ainsi, les conditions devant être remplies pour considérer qu’un refus de divulguer une information constitue un abus de position dominante seraient d’autant plus strictes que l’information est de grande valeur. La Commission, pour sa part, considère que le juge communautaire n’a jamais appréhendé la « valeur » d’un droit de propriété intellectuelle. Sur ce point, le juge des référés constate que, à l’évidence, les spécifications des protocoles de communication, jusqu’alors secrètes, que la Décision impose à Microsoft de rédiger et de divulguer sont fondamentalement différentes des renseignements qui étaient en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Magill et IMS Health, point 99 supra. Dans ces dernières affaires, l’information en cause était largement connue au sein du secteur : les grilles des programmes de télévision étaient envoyées gratuitement à des journaux chaque semaine, et la carte d’Allemagne était, en réalité, un standard du secteur pour présenter des chiffres de vente. Toutefois, la question de savoir si, et, dans l’affirmative, dans quelle mesure, il convient de faire une distinction selon que l’information est connue ou secrète peut d’autant moins être résolue à ce stade qu’il doit être tenu compte plus globalement de paramètres tels que la valeur de l’investissement sous-jacent, la valeur de l’information en cause pour l’organisation de l’entreprise dominante et la valeur cédée aux concurrents en cas de divulgation.

208
Cette affaire soulève également la question de savoir si les conditions énoncées par la Cour dans l’arrêt IMS Health, point 99 supra, sont réunies en l’espèce. La Commission ne conteste pas la pertinence de cet arrêt qui, en substance, consolide la position exprimée jusqu’alors par le juge communautaire quant aux conditions dans lesquelles le refus de délivrer une licence portant sur des droits de propriété intellectuelle constitue un abus.

209
La controverse entre les parties porte sur le caractère indispensable des informations en cause, sur l’obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existerait une demande insatisfaite, sur le risque d’élimination de la concurrence sur le marché dérivé et sur le caractère objectivement justifié du refus. S’il appartient au juge du fond de trancher les contestations relatives au respect de chacune de ces conditions, le juge des référés considère néanmoins nécessaire d’identifier les sources de différend entre les parties qu’il juge suffisamment sérieuses pour constituer un fumus boni juris. À cet égard, l’accent sera porté sur deux aspects spécifiques.

210
S’agissant, en premier lieu, du caractère indispensable des informations relatives à l’interopérabilité, il convient de relever que cette question est traitée aux considérants 666 à 687 de la Décision.

211
À ce sujet, Microsoft invoque plusieurs méthodes permettant d’assurer une interopérabilité suffisante entre les systèmes d’exploitation de différents fournisseurs.

212
Cette argumentation souligne le différend existant entre les parties quant au niveau d’interopérabilité requis. En effet, comme il est exposé aux considérants 743 à 763 de la Décision, les informations qui doivent être fournies en vertu de la mesure corrective sont les « informations nécessaires à l’interopérabilité », au sens de l’article 6 de la directive 91/250 relatif à la décompilation. Microsoft, pour sa part, considère que la décompilation prévue par l’article 6 de la directive 91/250 n’est autorisée que si les interfaces sont indispensables pour assurer la fonctionnalité d’un programme informatique créé de façon indépendante et que, en l’occurrence, les spécifications de ses protocoles de communication ne sont pas nécessaires pour assurer la fonctionnalité d’un système d’exploitation pour serveurs de groupe de travail créé de façon indépendante. Elle en conclut que l’information qu’elle a refusé de communiquer ne peut pas être considérée comme une information relative à l’interopérabilité.

213
Or, la directive 91/250 définit en ses considérants l’interopérabilité « comme étant la capacité d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement des informations échangées ». Cette même directive souligne en son considérant 27 que ses dispositions sont sans préjudice de l’application des règles de concurrence de l’article 82 CE « si un fournisseur occupant une position dominante refuse de mettre à disposition l’information nécessaire pour l’interopérabilité telle que définie dans la présente directive ». Toutefois, la question de savoir si, en l’espèce, les informations demandées à Microsoft sont effectivement nécessaires à l’interopérabilité, telle que définie dans la directive 91/250, impose un examen approfondi des éléments de fait à la lumière de la législation applicable qu’il revient au seul juge du fond d’effectuer.

214
S’agissant, en second lieu, du caractère objectivement justifié du refus, Microsoft considère qu’il lui était légitime de se prévaloir de ses droits de propriété intellectuelle et de refuser d’octroyer des licences portant sur sa technologie à des fournisseurs de systèmes d’exploitation pour serveurs concurrents. En réponse à une question écrite du juge des référés, Microsoft a également fait valoir que les renseignements demandés par Sun Microsystems portaient sur une technologie en cours de développement.

215
Afin de comprendre la portée de l’argumentation de Microsoft, le juge des référés a interrogé cette dernière lors de l’audition. Il en est ressorti qu’il ne saurait être exclu, selon Microsoft, que le refus puisse être objectivement justifié par les droits de propriété intellectuelle que Microsoft détient sur les informations réclamées par Sun Microsystems ou, en d’autres termes, que la justification du refus tienne dans la nécessité de ne pas divulguer des informations au motif qu’elles sont juridiquement protégées et de grande valeur.

216
Cette argumentation peut être comprise comme signifiant que Microsoft était en droit de refuser de divulguer des informations juridiquement protégées, et ce en présence ou non de circonstances exceptionnelles.

217
Ainsi, d’une part, l’argumentation de Microsoft signifie que, en l’absence de circonstances exceptionnelles dûment établies, l’exercice des prérogatives reconnues au titulaire de droits de propriété intellectuelle ne saurait donner lieu à un comportement abusif au sens de l’article 82 CE. Cette argumentation étant très liée à la question de savoir si la Commission a démontré qu’il existait, en l’espèce, des « circonstances exceptionnelles », son examen ne saurait en être dissocié (voir point 206 ci-dessus).

218
D’autre part, l’argumentation de Microsoft signifie également que, quand bien même des circonstances exceptionnelles auraient été établies par la Commission, son refus de communiquer les informations en cause était justifié par la nécessité de protéger les informations de grande valeur couvertes par des droits de propriété intellectuelle.

219
Développée par Microsoft lors de la procédure administrative, ainsi qu’il ressort du considérant 709 de la Décision, cette dernière argumentation a été réfutée par la Commission dans la Décision (considérants 710 à 712), qui a conclu à ce sujet que, au regard des circonstances exceptionnelles identifiées, « le simple fait que le refus de Microsoft constitue un refus de donner en licence de la propriété intellectuelle n’en constitue pas une justification objective » (considérant 712). La Commission a, par la suite, examiné les autres arguments que Microsoft a avancés pour démontrer que le refus de divulguer les informations en cause pouvait être justifié par la nécessité de protéger son incitation à innover. La Commission a conclu par la négative après avoir réfuté les arguments de Microsoft relatifs à la crainte du « clonage » de ses produits (considérants 713 à 729), exposé que la divulgation des informations relatives à l’interopérabilité est une pratique répandue de l’industrie concernée (considérants 730 à 735), indiqué que l’engagement pris par IBM envers la Commission en 1984 n’était pas substantiellement différent de ce qui est ordonné à Microsoft dans la Décision (considérants 736 à 742) et que son approche est conforme à la directive 91/250.

220
Il n’en demeure pas moins que l’argumentation de Microsoft, comprise comme visant à contester la légalité de l’appréciation de la Commission relative à l’absence de justification objective du refus, ne peut pas être écartée d’emblée comme dénuée de fondement eu égard aux circonstances spécifiques du cas d’espèce.

221
À ce sujet, il y a lieu de relever que les droits de propriété intellectuelle invoqués par Microsoft n’ont pas été déclarés valides par une juridiction nationale et que, de ce fait, la présente situation se distingue de celles à l’origine des arrêts Magill et IMS Health, point 99 supra. Toutefois, il convient de constater que la Commission n’a pas exclu l’existence de droits de propriété intellectuelle et qu’elle les a, en tout état de cause, pris en compte dans le cadre de son analyse du caractère justifié du refus en cause.

222
La question centrale est donc celle de savoir si la Commission a pu conclure à bon droit que la nécessité de protéger la valeur alléguée des informations prétendument couvertes par des droits de propriété intellectuelle ne suffisait pas pour considérer que le refus de communiquer ces informations était objectivement justifié.

223
L’exercice auquel s’est livrée la Commission à cette fin a consisté à évaluer si, en dépit des circonstances exceptionnelles identifiées, les considérations avancées par Microsoft s’opposaient à l’adoption d’une mesure corrective. Cela ressort, en particulier, du considérant 783 de la Décision, selon lequel :

« La principale justification objective avancée par Microsoft a trait aux droits de propriété intellectuelle qu’elle détient sur Windows. Toutefois, un examen approfondi de la portée des divulgations en cause permet de conclure que, tout bien considéré, l’incidence négative éventuelle que l’imposition d’une obligation de fournir les informations en cause aurait sur les incitations de Microsoft à innover est compensée par ses effets positifs sur le niveau d’innovation dans l’ensemble du secteur (y compris Microsoft). Ainsi, la nécessité de préserver les incitations de Microsoft à innover ne saurait constituer une justification objective qui contrebalancerait les circonstances exceptionnelles identifiées ci-dessus. […] »

224
C’est toutefois au juge du fond qu’il appartient de vérifier si une erreur manifeste a été commise dans l’évaluation des intérêts en présence, notamment en ce qui a trait à la protection des droits de propriété intellectuelle invoqués et aux exigences de libre concurrence consacrées dans le traité CE.

225
Partant, le juge des référés estime que les arguments que Microsoft fait valoir sur les questions soulevées dans la présente affaire ne sauraient, dans le cadre de la procédure en référé, être considérés comme étant, à première vue, dépourvus de fondement, de sorte que la condition relative au fumus boni juris est satisfaite.

b)     Sur l’urgence

226
Afin d’apprécier s’il y a urgence à surseoir à l’exécution de l’article 5, sous a) à c), de la Décision, il est nécessaire de formuler quelques observations préliminaires.

Observations préliminaires

227
Les observations préliminaires portent, premièrement, sur l’objet de la mesure corrective et, deuxièmement, sur l’étendue du préjudice allégué.

228
En ce qui concerne l’objet de la mesure corrective, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 5, sous a), de la Décision, Microsoft doit divulguer « à toute entreprise souhaitant développer et distribuer des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail », les « informations relatives à l’interopérabilité » et, sous des « conditions raisonnables et non discriminatoires », en autoriser l’usage par ces entreprises pour le « développe[ment] et [la] distribu[tion] des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail ». La mesure corrective ainsi formulée vise à imposer à Microsoft de divulguer ce que la Commission lui reproche d’avoir abusivement refusé de divulguer [voir également article 2, sous a), et considérant 998 de la Décision].

229
Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des considérants 999 et 1004 de la Décision, la divulgation de codes sources n’est pas imposée par la mesure corrective en cause à Microsoft, ce que cette dernière ne conteste pas dans le cadre de la présente procédure en référé.

230
Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la Décision, les informations qu’il est ordonné à Microsoft de divulguer sont « les spécifications exhaustives et correctes de tous les protocoles implémentés dans les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs de groupe de travail et qui sont utilisés par les serveurs de groupe de travail Windows pour fournir aux réseaux Windows pour groupe de travail des services de partage des fichiers et d’impression, et de gestion des utilisateurs et des groupes d’utilisateurs, y compris les services de contrôleur de domaine Windows, le service d’annuaire Active Directory et le service ‘Group Policy’ ». Au considérant 999 de la Décision, il est précisé que « [c]ela comprend à la fois l’interconnexion et l’interaction directes entre un serveur de groupe de travail sous Windows et un PC client sous Windows, et l’interconnexion et l’interaction entre ces machines qui est indirecte et passe par un ou plusieurs autres serveurs de groupe de travail sous Windows ».

231
L’objectif poursuivi par la Commission est, selon la Décision, « d’assurer que les concurrents de Microsoft développent des produits [compatibles] avec l’architecture de domaine Windows qui est [originellement] intégrée au produit dominant que constitue le système d’exploitation Windows pour PC clients, et puissent ainsi concurrencer les produits Microsoft pour systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail » (considérant 1003 ; voir également les considérants 181 à 184).

232
Enfin, les parties conviennent que l’autorisation de faire usage des spécifications, prévue par l’article 5, sous a), de la Décision, signifie que les spécifications, qui décrivent en détail ce qui est attendu d’un produit logiciel, pourront être mises en œuvre par les concurrents de Microsoft. En revanche, les parties ne s’accordent pas sur le temps nécessaire pour mettre en œuvre les spécifications, c’est-à-dire pour les transcrire en code.

233
En ce qui concerne l’étendue du préjudice allégué, il convient de rappeler que la Décision impose à Microsoft de divulguer les spécifications des protocoles client-à-serveur et serveur-à-serveur.

234
Dans sa demande en référé, Microsoft a souligné la différence entre la Décision et la transaction américaine en indiquant que la transaction américaine n’autorisait un bénéficiaire de licence à utiliser les protocoles de communication Microsoft client-à-serveur que dans le but d’assurer l’interopérabilité avec les systèmes d’exploitation Windows pour PC clients, alors que la Décision lui impose d’octroyer des licences portant sur ces protocoles pour leur utilisation dans des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail qui fournissent des services de fichiers et d’impression et des services de gestion des utilisateurs et des groupes à tout système d’exploitation Windows pour PC clients ou pour serveurs. La différence existant entre la transaction américaine et la Décision a été relevée par la Commission aux considérants 688 à 691.

235
En réponse à une question écrite du juge des référés, Microsoft a expliqué que, en ce qui concerne les protocoles client-à-serveur, la transaction américaine et la Décision sont similaires en ce qu’elles contraignent toutes deux Microsoft à développer des spécifications décrivant certains de ses protocoles, à fournir ces spécifications à des concurrents et à permettre aux concurrents d’utiliser les spécifications pour réaliser dans leurs produits des protocoles que Microsoft a créés pour être utilisés dans ses systèmes d’exploitation Windows.

236
Lors de l’audition, Microsoft a fait valoir que le programme de licence américain durera jusqu’en novembre 2009 et que les licences accordées sont de portée mondiale. Elle en a conclu que l’exécution immédiate de l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles client-à-serveur n’est pas nécessaire, puisque la transaction américaine permet d’obtenir le même résultat jusqu’à la date à laquelle le Tribunal statuera sur le fond du litige.

237
À cet égard, le juge des référés rappelle qu’une décision est immédiatement exécutoire et que le sursis à son exécution ne peut être ordonné que dans les conditions prescrites par le traité CE, par le statut de la Cour de justice et par le règlement de procédure du Tribunal. Le caractère immédiatement exécutoire d’une décision n’est donc aucunement subordonné au caractère nécessaire de son exécution.

238
Il sera néanmoins tenu compte des éléments qui précèdent dans le cadre de l’examen de l’urgence à ordonner le sursis de l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles client-à-serveur.

239
Cette argumentation développée par Microsoft lors de l’audition amène à procéder à un examen séparé de la condition relative à l’urgence selon que la Décision lui impose de divulguer les spécifications des protocoles de communication serveur-à-serveur, d’une part, et les spécifications des protocoles de communication client-à-serveur, d’autre part.

Sur le préjudice grave et irréparable causé par l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles serveur-à-serveur

240
Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire (ordonnance du président de la Cour du 6 février 1986, Deufil/Commission, 310/85 R, Rec. p. 537, point 15 ; ordonnance du président du Tribunal du 30 juin 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99 R, Rec. p. II‑1961, point 134). C’est à cette dernière qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président de la Cour du 8 mai 1991, Belgique/Commission, C‑356/90 R, Rec. p. I‑2423, point 23 ; ordonnances du président du Tribunal du 30 avril 1999, Emesa Sugar/Commission, T‑44/98 R II, Rec. p. II‑1427, point 128, et du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II-3295, point 187).

241
Le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice [ordonnance de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C-280/93 R, Rec. p. I‑3667, et ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67].

242
En l’espèce, Microsoft fait valoir que l’exécution de la Décision porterait atteinte, d’une part, à ses droits de propriété intellectuelle et, d’autre part, à sa liberté commerciale et à sa capacité à développer ses produits. Elle soutient également que l’exécution de la Décision modifiera de manière irréversible les conditions du marché.

243
Chacun de ces trois chefs de préjudice fera l’objet d’un examen distinct.

–     Sur l’atteinte alléguée aux droits de propriété intellectuelle

244
Microsoft soutient que l’exécution de la Décision l’obligera à délivrer à ses concurrents des licences portant sur des informations de grande valeur protégées par des droits de propriété intellectuelle.

245
Il convient donc d’examiner si Microsoft a établi de manière concrète en quoi les effets que la Décision produit présentent un caractère grave et irréparable. À cette fin, il y a lieu de séparer la question de savoir si la divulgation des informations relatives à l’interopérabilité constitue par elle-même un préjudice grave et irréparable pour Microsoft et la question de savoir si l’utilisation de ces informations par ses concurrents engendre des conséquences graves et irréparables.

§
Sur la divulgation des informations relatives à l’interopérabilité

246
Les informations qu’il est ordonné à Microsoft de divulguer sont prétendument protégées par des droits de propriété intellectuelle et de grande valeur. Compte tenu de l’argumentation développée par Microsoft, il convient d’apprécier, successivement, si constituent des préjudices graves et irréparables, premièrement, l’atteinte portée aux prérogatives exclusives du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle et, deuxièmement, l’obligation de divulguer des informations.

247
En premier lieu, Microsoft fait valoir que la Décision, en l’obligeant à concéder des licences à ses concurrents, viole les droits de propriété intellectuelle qu’elle détient sur les informations devant être divulguées.

248
Sans qu’il soit besoin en l’espèce de prendre position sur l’existence de droits de propriété intellectuelle, ni, par conséquent, sur la question de savoir si l’exécution de la Décision contraindrait effectivement Microsoft à octroyer des licences portant sur son droit d’auteur ou sur ses brevets, il est patent que, dans l’hypothèse où de tels droits seraient en cause, le fait d’obliger une entreprise à délivrer des licences portant sur ses droits de propriété intellectuelle constituerait en soi une atteinte substantielle aux prérogatives exclusives qui en découlent pour cette entreprise.

249
Il n’en demeure pas moins que cette atteinte est la conséquence nécessaire de la jurisprudence issue de l’arrêt IMS Health, point 99 supra, dès lors que l’examen auquel procède le juge communautaire consiste précisément à pondérer, d’une part, la protection conférée par un droit de propriété intellectuelle à son titulaire et, d’autre part, les exigences de libre concurrence consacrées dans le traité CE. Ainsi, lorsque la Commission considère, en présence de circonstances exceptionnelles, que les exigences de libre concurrence commandent d’ordonner à une entreprise en position dominante de concéder une licence portant sur ses droits de propriété intellectuelle, il en résulte nécessairement une atteinte aux prérogatives du titulaire de ces droits. En l’occurrence, à supposer que les spécifications des protocoles de communication, une fois rédigées, soient protégées par un droit d’auteur, le fait même d’ordonner à Microsoft de mettre ses spécifications à la disposition d’entreprises concurrentes constitue une atteinte aux droits exclusifs conférés à l’auteur. De même, à supposer que certains des protocoles soient protégés par des brevets et que leur utilisation s’avère incontournable pour les entreprises visées à l’article 5 de la Décision, le fait même de ne pas pouvoir exploiter ses brevets comme Microsoft l’entend porte atteinte aux prérogatives conférées à l’inventeur.

250
Néanmoins, considérer qu’une atteinte aux prérogatives exclusives du titulaire du droit constitue, par elle-même et indépendamment des circonstances propres à chaque espèce, un préjudice grave et irréparable impliquerait que la condition relative à l’urgence est toujours satisfaite lorsque l’acte dont le sursis est demandé relève du cas de figure appréhendé par la jurisprudence issue de l’arrêt IMS Health, point 99 supra.

251
Il est donc nécessaire, dans de telles circonstances, d’examiner si, eu égard aux éléments de l’espèce, l’affectation des droits de propriété intellectuelle, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond du litige, est de nature à provoquer, au-delà de la seule atteinte aux prérogatives exclusives du titulaire des droits en cause, un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 11 mai 1989, RTE e.a./Commission, 76/89 R, 77/89 R et 91/89 R, Rec. p. 1141, point 18 ; ordonnance IMS Health/Commission, point 133 supra, points 126 à 131).

252
En second lieu, Microsoft fait valoir que la cause de son préjudice tient dans le fait que la divulgation en question a pour objet des informations secrètes et de grande valeur.

253
Il convient à cet égard de considérer, tout d’abord, qu’il n’est pas contestable que, une fois acquise, la connaissance d’une information jusqu’alors gardée secrète – soit en raison de l’existence d’un droit de propriété intellectuelle, soit en tant que secret d’affaires – peut demeurer. Une annulation éventuelle de la Décision ne permettrait pas d’effacer des mémoires la connaissance de cette information et une indemnisation serait très difficile en raison d’une évaluation chiffrée improbable de la valeur du transfert de connaissance. Microsoft n’explique toutefois pas quel préjudice irréparable pourrait lui causer le simple fait que des tiers aient connaissance de données divulguées par elle, par opposition aux développements résultant de l’emploi de cette connaissance.

254
Ensuite, il est observé que la divulgation d’une information jusqu’alors gardée secrète n’implique pas nécessairement la survenance d’un préjudice grave.

255
En l’espèce, Microsoft fait toutefois valoir, en substance, que les informations relatives à l’interopérabilité ont une valeur spécifique. Cette valeur tiendrait, tout d’abord, d’une part, dans le fait que les protocoles de communication sont le fruit d’efforts substantiels et coûteux et, d’autre part, dans le fait que leurs applications commerciales sont significatives. Microsoft ajoute que la rédaction des spécifications est également onéreuse.

256
Le juge des référés considère que, au vu des éléments du dossier, la preuve du caractère grave de ce préjudice n’a pas été rapportée. En particulier, l’allégation vague selon laquelle les protocoles de communication de Microsoft auraient « coûté des dizaines de millions de dollars [des États-Unis] », quand bien même elle serait fondée, n’est étayée par aucun élément de preuve. En outre, il doit être tenu compte du fait que de tels frais seront partiellement compensés par les redevances que Microsoft pourra exiger pour l’utilisation de ses protocoles dans le cadre des licences concédées en exécution de la Décision.

257
En tout état de cause, le préjudice financier allégué au point précédent ne saurait être considéré comme grave, eu égard à la puissance financière de Microsoft dont le chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice comptable américain allant de juillet 2002 à juin 2003 s’est élevé, selon le considérant 1 de la Décision, à 30 701 millions d’euros (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 23 mai 1990, Comos-Tank e.a./Commission, C‑51/90 R et C‑59/90 R, Rec. p. I‑2167, point 26).

258
Selon Microsoft, la valeur des informations en cause serait, ensuite, constituée par le fait que les spécifications des protocoles de communication serveur-à-serveur contiennent un nombre important d’informations sur le fonctionnement du répertoire « Active Directory », au sein des systèmes d’exploitation Windows. Ses protocoles de communication serveur-à-serveur ne seraient pas de simples interfaces sans lien avec la mise en œuvre sous-jacente des fonctionnalités accessibles via ces interfaces. En conséquence, la communication des protocoles aux concurrents reviendrait à leur transmettre une quantité importante d’informations sur la manière dont ces fonctionnalités sont fournies (annexe R.2 ; annexe T.7 ; annexe U.1, Madnick et Meyer « Réponse au document de M. Alepin annexée au mémoire de CCIA et aux observations de [FSF-Europe] », et annexe U.2).

259
Le juge des référés constate, en premier lieu, que Microsoft soutient dans ses écritures qu’elle serait tenue de divulguer des informations sur la structure interne ou les aspects novateurs de ses produits, mais que les exemples concrets se rapportent uniquement aux protocoles de duplication de l’Active Directory et, en second lieu, que cette affirmation est fondée sur les analyses de MM. Madnick et Meyer, d’une part, et de M. Campbell-Kelly, d’autre part.

260
À cet égard, le juge des référés considère que les allégations de Microsoft ne peuvent pas être considérées comme prouvées à suffisance de droit.

261
L’affirmation de Microsoft selon laquelle les informations qu’elle devrait communiquer révéleront le mode de fonctionnement de ses produits est illustrée par le seul exemple de l’Active Directory, défini, dans la Décision, comme le service d’annuaire inclus dans Windows 2000 Server (considérant 149). Dans ses observations sur les mémoires en intervention, Microsoft a, une nouvelle fois, souligné que « les spécifications se révéleront très instructives pour les concurrents sur le mode de fonctionnement de composantes importantes des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs, tels que l’Active Directory ». Lors de l’audition, la question posée par le juge des référés de savoir si les spécifications révéleraient des éléments portant sur des composantes des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs autres que le répertoire Active Directory n’a pas reçu non plus de réponse claire et convaincante. Sur ce point, l’un des experts de Microsoft a en effet indiqué qu’il « croyait » que seraient également révélées les règles régissant la gestion du répertoire.

262
Or, les allégations des experts de Microsoft et les exemples relatifs à l’Active Directory qu’ils ont invoqués reposent sur des analyses (voir point 116 ci‑dessus) qui ont été fortement critiquées par la Commission et les parties intervenant au soutien de ses conclusions. Ces parties ont contesté les postulats retenus dans ces analyses et, en particulier, que les protocoles utilisés pour assurer les communications entre deux copies d’un même système d’exploitation ainsi que la méthode de duplication soient à « couplage étroit ». Les contestations de la Commission – fondées sur une documentation produite par des experts (annexe S.2 et annexe U.1, « Mémorandum préparé par OTR, daté du 10 septembre 2004 ») –, de FSF-Europe ainsi que, avant leur désistement, de CCIA et de Novell portent essentiellement sur le caractère vague et conjectural de la démonstration contenue dans l’étude Madnick et Meyer et sur l’existence dans cette étude de théories qui sont contraires aux pratiques de Microsoft. Dans l’annexe 3 au mémoire en intervention de CCIA, M. Alepin soutient que des spécifications de protocole correctement écrites révèlent peu ou rien sur la structure interne, les algorithmes et les autres aspects novateurs des systèmes d’exploitation.

263
En présence de telles contestations et à défaut d’autres éléments plus précis produits par Microsoft, il n’est pas possible de tenir pour établies les allégations selon lesquelles les spécifications révéleront plus que ce qui est nécessaire pour assurer l’interopérabilité souhaitée par la Commission.

264
De même, comme l’a relevé la Commission dans une réponse à une question écrite, l’affirmation de Microsoft selon laquelle l’algorithme de compression unique utilisé par Active Directory devrait être divulgué en vertu de la mesure corrective imposée par la Décision n’est pas vérifiable faute d’éléments objectifs suffisants à cette fin.

265
À cet égard, le juge des référés considère que Microsoft avait la possibilité et était en droit de soumettre un dossier technique à la Commission, et ce à elle seule, de nature à lui permettre de commenter le degré de précision des spécifications et les risques de révélation d’informations allant nécessairement au-delà de la seule interopérabilité voulue par la Commission. Microsoft s’en est toutefois abstenue durant la procédure administrative. De même, après l’adoption de la Décision, Microsoft aurait pu exposer les raisons pour lesquelles des mesures de sauvegarde efficaces n’étaient pas envisageables pour contourner cette difficulté. En particulier, la Commission a affirmé lors de l’audition qu’elle avait demandé à Microsoft, le 30 juillet 2004, de lui communiquer les spécifications pour examen, mais qu’elles ne lui ont jamais été transmises, ce que ne conteste pas Microsoft.

§
Sur l’utilisation des informations relatives à l’interopérabilité

266
Microsoft fait valoir que, une fois divulguées, l’usage qui sera fait des informations relatives à l’interopérabilité sera la cause de plusieurs préjudices graves et irréparables.

Sur la dilution alléguée des informations

267
Microsoft soutient que les informations révélées pourront être utilisées par ses concurrents, risquent d’être versées dans le domaine public et que leur utilisation après annulation de la Décision sera invérifiable.

268
Cette argumentation méconnaît la possibilité de prévoir des mesures de sauvegarde contractuelles concernant la confidentialité et l’utilisation des informations en cause dans l’attente de la décision du Tribunal dans l’affaire au principal, de telles clauses étant de pratique courante dans le secteur. Des clauses de confidentialité, le cas échéant assorties de clauses pénales, pourront en effet être insérées dans les contrats de licence conclus avec les entreprises ayant un intérêt à développer et à distribuer des produits concurrents de ceux de Microsoft, au sens de l’article 5, sous a), de la Décision.

269
La Commission a, à ce propos, indiqué que Microsoft pouvait exiger des mesures de sauvegarde contractuelles raisonnables pour la divulgation, afin que les informations divulguées aux concurrents ne puissent plus être utilisées si la Décision venait à être annulée. Les contrats de licence conclus dans le cadre du MCPP et les accords de transfert de technologie constituent, à cet égard, des éléments pouvant tenir lieu de référence.

270
Dans ce contexte, il convient de relever que Microsoft elle-même a indiqué dans sa demande en référé que la révélation de secrets d’affaires à ses cocontractants était subordonnée au respect par ces derniers d’une obligation de confidentialité (voir point 125 ci-dessus).

271
Il faut ajouter que Microsoft s’est engagée, dans le cadre de l’accord avec Sun Microsystems, à communiquer les spécifications de ses protocoles de communication serveur-à-serveur. Microsoft n’a toutefois pas expliqué les raisons pour lesquelles des mesures de sauvegarde contractuelles identiques à celles insérées dans cet accord ne permettraient pas de garantir l’absence de publicité des informations divulguées en exécution de la Décision. En outre, ainsi qu’il ressort du considérant 211 de la Décision, « [d]ans les années 90, Microsoft a conclu une licence avec AT&T concernant la communication de certains éléments du code source de Windows ». Or, Microsoft n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle ne serait pas en mesure d’utiliser les mêmes mesures de sauvegarde contractuelles que celles qui ont dû être prévues par cet accord avec AT&T en vue de la divulgation des spécifications visées à l’article 5 de la Décision.

272
La possibilité de mesures de sauvegarde appropriées répond également à la crainte de Microsoft que la connaissance divulguée soit répandue au point de faire partie du domaine public. Outre le fait que la conclusion de licences n’implique aucunement que les données en cause relèvent, juridiquement, du domaine public, pour le moins en ce qui concerne des droits de propriété intellectuelle, la survenance du dommage allégué par Microsoft présuppose une méconnaissance par les tiers de leurs engagements contractuels, laquelle ne peut pas être présumée (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 15 juillet 1998, Prayon‑Rupel/Commission, T-73/98 R, Rec. p. II‑2769, point 41).

273
Quant au caractère invérifiable de leur utilisation après l’annulation de la Décision, Microsoft affirme qu’il est simpliste de croire que l’utilisation des spécifications de ses protocoles de communication serait immédiatement détectable en cas d’annulation de la Décision, et ce en raison du maintien de l’intéropérabilité des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail concurrents et des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs. Toutefois, dans ses observations sur les mémoires en intervention, Microsoft a indiqué que, « sans avoir accès au code source des produits concurrents », elle ne pourrait pas savoir dans quelle mesure les concurrents utilisent la connaissance qu’ils ont obtenue du fait de leur accès aux spécifications des protocoles de communication Microsoft. Il découle de cette argumentation que Microsoft estime possible de déterminer dans quelle mesure les concurrents utilisent la connaissance qu’ils ont obtenue grâce aux spécifications des protocoles de communication en ayant accès, en cas d’annulation de la Décision, au code source de leurs produits. Or, la possibilité qu’un expert indépendant – nommé d’un commun accord entre les cocontractants ou, en cas d’absence d’accord, par la Commission – accède au code source des produits des concurrents de Microsoft aux fins d’une telle vérification peut parfaitement être prévue dans les contrats de licence à conclure avec les entreprises visées à l’article 5 de la Décision. En outre, il est également loisible à Microsoft de prévoir dans ces mêmes contrats de licence des sanctions pécuniaires de nature à empêcher, en cas d’annulation de la Décision, ses concurrents de commercialiser des produits intégrant les informations relatives à l’interopérabilité. De telles stipulations contractuelles, relatives aux modalités de vérification et aux pénalités encourues en cas de violation de l’engagement consenti de ne pas utiliser les informations après une éventuelle annulation de la Décision, doivent être considérées comme suffisantes pour éviter la survenance d’un préjudice irréparable.

274
À titre surabondant, il y a lieu de constater que l’appréciation développée dans le point qui précède est confortée par le fait que, lors de l’audition, Novell a déclaré qu’elle était encline à autoriser l’accès au code source de ses produits pour permettre, après une éventuelle annulation de la Décision, la vérification de l’absence d’utilisation des informations relatives à l’interopérabilité. Or, Microsoft n’a pas fourni de réponse à cet égard.

Sur le maintien allégué des produits dans les canaux de distribution

275
Microsoft soutient que la Décision portera durablement atteinte à ses droits de propriété intellectuelle – plus précisément à son droit d’exploiter ses brevets – dans la mesure où, en cas d’annulation de la Décision, les produits intégrant sa technologie resteront dans les canaux de distribution et entre les mains des clients.

276
Le juge des référés considère que Microsoft n’a pas établi que ces circonstances constituaient un préjudice grave et irréparable.

277
En premier lieu, le moment auquel les produits concurrents mettant en œuvre les spécifications seront mis sur le marché n’est pas connu. À cet égard, il est constant que les entreprises qui recevront l’information devront, dans un premier temps, mettre en œuvre les spécifications et, dans un second temps, procéder à la mise sur le marché de leurs produits. Lors de l’audition, le représentant de Microsoft a déclaré que les spécifications des protocoles de communication seraient prêtes dans un délai de trois à quatre semaines.

278
La période totale séparant la date de réception des spécifications de celle de la mise sur le marché des produits a été évaluée à plusieurs années par la Commission dans la Décision (considérants 719 à 721 de la Décision). Dans ses observations, la Commission a opéré un renvoi à une « lettre de Sun [Microsystems] adressée à la Commission et datée du 20 juillet 2004 », dont le point 3, qui se réfère aux spécifications des protocoles de communication serveur-à-serveur, indique ce qui suit :

« En recourant à une équipe constituée [d’un nombre important] d’ingénieurs, il a fallu [plus d’un] ans à Sun [Microsystems] pour mener à son terme l’effort de développement et mettre sur le marché une version opérationnelle de AS/U conçue à partir des informations reçues de AT&T. Pour les raisons développées ci-après, Sun [Microsystems] s’attend à ce que plus de temps soit requis aux fins d’élaborer un produit complexe à partir des spécifications techniques fournies dans le cadre du ‘ Technical Collaboration Agreement ’ conclu avec Microsoft en avril 2004.»

279
Par ailleurs, dans son mémoire produit antérieurement à son désistement, CCIA soutient que, « même si les informations étaient divulguées demain (et en supposant qu’elles sont complètes et correctes), il est clair que cela prendrait quelques années (au moins deux) avant qu’un des concurrents de Microsoft ne puisse mettre sur le marché un produit utilisant ces informations », cette affirmation étant fondée sur l’annexe CCIA.R.3, dans laquelle M. Alepin estime qu’il n’est absolument pas réaliste de s’attendre à ce que des produits entièrement compatibles soient commercialement viables dans un délai de deux années (point 84). SIIA et, antérieurement à son désistement, Novell ont développé une même argumentation dans leurs écritures.

280
Invitée à prendre position par écrit sur ces éléments d’information relatifs à l’évaluation du temps nécessaire pour réaliser l’implémentation de ses propres spécifications, Microsoft a indiqué, en substance, que le temps nécessaire à la mise en œuvre d’une spécification dépend largement des ressources allouées à cet effort. Lors de l’audition, Microsoft a déclaré qu’un produit pouvait être mis sur le marché dans un délai inférieur à un trimestre, sans fournir toutefois de précisions suffisantes ni d’éléments permettant d’étayer cette allégation et d’en vérifier le fondement. Cette dernière ne saurait donc être retenue.

281
Il découle de ce qui précède, sans préjudice du fait qu’un certain temps sera nécessaire aux concurrents de Microsoft pour vendre les versions de leurs produits compatibles avec les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs de groupe de travail, qu’il n’est pas permis de croire que ces produits compatibles seront commercialisés à bref délai. Par conséquent, l’effet dont Microsoft se plaint ne trouverait à se concrétiser, en tout état de cause, que pour une période limitée comprise entre la date de mise sur le marché des produits en cause et celle de l’arrêt à intervenir dans l’affaire au principal.

282
En second lieu, le préjudice résultant le cas échéant du fait que des produits mettant en œuvre les spécifications des protocoles de Microsoft restent dans les canaux de distribution ne peut pas être considéré comme présentant un caractère irréversible, dans la mesure où un effet de cette nature est inévitablement limité dans le temps, soit parce que les produits finiront par être vendus et installés au sein des entreprises qui les auront acquis (voir point 283 ci-après), soit parce que les produits invendus deviendront technologiquement obsolètes.

283
En troisième lieu, il y a lieu de constater que Microsoft est fondée à soutenir que, même en cas d’annulation, les produits concurrents resteront installés au sein des entreprises qui les auront acquis. Néanmoins, ce fait ne peut pas être considéré comme la cause d’un préjudice grave et irréparable dans la mesure où, d’une part, Microsoft n’a pas démontré en quoi la présence de ces produits dans les réseaux des clients nuirait sensiblement à ses activités futures et, d’autre part, il est vraisemblable que la valeur commerciale de ces produits, qui auront répondu à une demande de la clientèle antérieure à un jugement sur le fond du litige, diminuera rapidement en cas d’annulation de la Décision par le Tribunal.

284
Sur ce dernier point, il convient de préciser que, après une éventuelle annulation de la Décision, Microsoft pourrait empêcher les systèmes d’exploitation concurrents d’être compatibles avec les nouvelles versions des systèmes Windows par une modification de ses protocoles de communication serveur-à-serveur et, de ce fait, diminuer sensiblement et rapidement la valeur des produits concurrents. La possibilité technique d’affecter l’interopérabilité entre l’environnement Windows et les systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail concurrents installés au sein des entreprises – qui est de nature à permettre à Microsoft de tirer conséquemment un bénéfice exclusif des améliorations subséquentes – a été confirmée lors de l’audition, sans que Microsoft soulève d’objection à ce sujet.

285
À supposer que Microsoft décide de ne pas modifier ses protocoles de communication après une annulation éventuelle de la Décision, le maintien des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail concurrents au sein de réseaux ne serait pas non plus de nature à lui causer un préjudice irréparable. Lors de l’audition, Microsoft a déclaré que, en cas d’annulation de la Décision, il serait techniquement possible de rompre l’interopérabilité avec les systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail concurrents, mais qu’il serait inconcevable d’un point de vue commercial de ne pas assurer une compatibilité en amont entre les anciens et les nouveaux systèmes. Toutefois, si le maintien de cette compatibilité permet aux systèmes d’exploitation concurrents d’interopérer en réseau avec la nouvelle version des systèmes d’exploitation Windows, cela ne retire rien au fait que les premiers systèmes ne sont technologiquement pas aussi avancés que les seconds et que, dans une perspective commerciale, ils deviendraient rapidement obsolètes. Il faut, à cet égard, rappeler que, si la Décision était annulée par le Tribunal, les concurrents de Microsoft ne pourraient plus utiliser les informations relatives à l’interopérabilité visées à l’article 5 de cette Décision (voir point 273 ci-dessus) et que, par conséquent, la compatibilité en amont serait seulement assurée pour les systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail commercialisés par ces concurrents avant la date de l’éventuelle annulation.

Sur le « clonage » des produits allégué

286
Microsoft soutient que les informations en cause pourront être utilisées pour « cloner » ses produits. Elle affirme que, à partir du moment où les concurrents auront acquis une connaissance approfondie des modes de fonctionnement internes des systèmes d’exploitation de Microsoft en étudiant les spécifications de ses protocoles de communication protégées par un droit d’auteur, ils pourront en faire usage pour leurs propres produits. Or, il serait difficile, voire impossible, pour Microsoft et pour les autorités judiciaires de déterminer si les concurrents font usage de cette connaissance lors de la conception de leurs propres systèmes d’exploitation pour serveurs.

287
À cet égard, il convient de rappeler que la prémisse d’un tel raisonnement, selon laquelle il sera possible d’obtenir des informations allant bien au-delà des seules informations relatives à l’interopérabilité, n’a pas pu être considérée comme établie (voir points 260 à 265 ci-dessus).

288
En outre, l’allégation de Microsoft est fondée sur une lecture de l’article 5 de la Décision qui ne tient pas compte des motifs de cette dernière. En effet, l’indication contenue à l’article 5, selon laquelle Microsoft doit autoriser l’utilisation des spécifications pour ses protocoles « pour développer et distribuer des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail », doit être lue à la lumière des considérants 1003 et 1004 de la Décision. Selon le considérant 1003, « [l]’objectif de la [Décision] est d’assurer que les concurrents de Microsoft développent des produits [compatibles] avec l’architecture de domaine Windows qui est [originellement] intégrée au produit dominant que constitue le système d’exploitation Windows pour PC clients, et puissent ainsi concurrencer les produits Microsoft pour systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail ». Quant au considérant 1004, il précise que, « en ce qui concerne l’usage qui sera fait des spécifications divulguées, les spécifications ne seront pas non plus reproduites, adaptées, arrangées ou modifiées, mais seront utilisées par des tiers pour écrire leurs propres interfaces, conformes à ces spécifications ».

289
Il s’ensuit que l’article 5 de la Décision doit être compris en ce sens que l’usage des protocoles n’est permis qu’à des fins d’interopérabilité et que, par conséquent, l’usage des protocoles à d’autres fins n’est pas autorisé. La Commission a expressément confirmé cette interprétation lors de l’audition et a insisté sur le fait que le respect de cette limitation pourra être vérifié par le « mandataire indépendant de Microsoft » visé à l’article 7 de la Décision.

–     Sur l’atteinte alléguée à la liberté commerciale

290
Microsoft soutient que sa liberté de déterminer les éléments essentiels de sa politique commerciale sera compromise du fait de l’exécution de la Décision : cette dernière l’obligerait à divulguer des informations à des concurrents, la priverait de sa capacité à développer ses produits et la contraindrait à « durcir » ses protocoles.

291
À cet égard, il convient de relever que, en principe, toute décision prise au titre de l’article 82 CE obligeant une entreprise dominante à mettre fin à un abus entraîne nécessairement un changement de la politique commerciale de cette entreprise. L’obligation imposée à une entreprise de modifier son comportement ne peut donc pas être considérée comme constitutive d’un préjudice grave et irréparable par elle-même, sauf à considérer que l’urgence est toujours satisfaite lorsque la décision dont le sursis est demandé ordonne de mettre fin à un comportement abusif.

292
Lorsqu’un requérant invoque une atteinte à la liberté commerciale pour démontrer qu’il y a urgence à ordonner la mesure provisoire sollicitée, il lui revient de rapporter la preuve soit que l’exécution de l’acte attaqué l’obligera à modifier certains éléments essentiels de sa politique commerciale et que les effets produits par l’exécution de cet acte l’empêcheront de reprendre, même après le prononcé d’un jugement lui donnant gain de cause sur le fond, sa politique commerciale initiale, soit que ces effets lui causeront un préjudice grave et irréparable d’une autre nature, étant rappelé que c’est à la lumière des circonstances de chaque espèce qu’il convient d’apprécier le préjudice allégué.

293
Ainsi, dans les ordonnances Bayer/Commission, point 138 supra, et IMS Health/Commission, point 133 supra, invoquées par Microsoft, le juge des référés a-t-il apprécié les conséquences des atteintes portées à la liberté des entreprises de définir leur politique commerciale à la lumière des effets de l’exécution de l’acte.

294
Dans l’ordonnance Bayer/Commission, point 138 supra, le juge des référés a effectivement souligné que, « [e]n l’espèce, si la thèse de la requérante devait être reconnue fondée par le Tribunal, l’application immédiate de la disposition en cause risquerait de priver l’intéressée de la possibilité de définir de manière autonome certains éléments essentiels de sa politique commerciale » (point 54). Il a constaté, en outre, qu’« une situation de ce type serait tout spécialement susceptible de causer un grave préjudice à la requérante dans le contexte du secteur pharmaceutique, qui se caractérise par la mise en œuvre, par les services de santé nationaux, de mécanismes de fixation ou de contrôle des prix et de modalités de remboursement engendrant de fortes disparités dans les prix pratiqués, pour un même médicament, dans les divers États membres » (point 55). La réglementation sectorielle des prix ayant été considérée comme un facteur limitant la marge de liberté commerciale des entreprises, le juge des référés a pu conclure qu’une atteinte supplémentaire à une liberté commerciale déjà restreinte constituait un préjudice grave. L’altération de la politique commerciale de la société Bayer n’a donc été considérée comme suffisante pour caractériser l’urgence qu’en considération des données propres à cette affaire.

295
Dans l’ordonnance IMS Health/Commission, point 133 supra, le juge des référés a estimé que la condition relative à l’urgence était satisfaite parce qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’un grand nombre des « évolutions du marché », que l’exécution immédiate de la décision attaquée entraînerait probablement, serait très difficilement réversible, voire irréversible, s’il était fait droit à la requête dans le recours au principal (point 129). Le « risque réel d’un préjudice grave et irréparable causé aux intérêts de la partie requérante » (point 127), identifié dans cette affaire, tient donc au caractère grave et irréversible des évolutions du marché. Les considérations tenant à l’atteinte à la liberté reconnue aux entreprises de définir leur politique commerciale (points 130 et 131) n’ont été retenues qu’aux fins de conforter la conclusion à laquelle le juge des référés était déjà parvenu quant à l’urgence, ainsi qu’en atteste l’absence d’analyse du caractère grave et irréparable de l’atteinte en cause.

296
Il convient dès lors d’examiner si Microsoft a démontré que l’atteinte à sa liberté commerciale est, eu égard aux circonstances de l’espèce, la cause d’un préjudice grave et irréparable.

§
Sur le prétendu changement fondamental de politique commerciale

297
Le changement fondamental dans la politique commerciale que la Décision imposerait à Microsoft est contredit par certains éléments du dossier.

298
Tout d’abord, il y a lieu de constater que tant la transaction américaine que la Décision obligent Microsoft à divulguer les spécifications des protocoles de communication. Certes, la transaction américaine n’oblige pas Microsoft à divulguer les spécifications des protocoles de communication serveur-à-serveur, mais elle l’oblige à concéder des licences pour tous les protocoles mis en œuvre dans un système d’exploitation Windows pour PC client en vue d’une interopérabilité avec un système d’exploitation Windows pour serveurs. Le juge des référés estime, au vu des éléments dont il dispose et compte tenu du fait que la Décision s’inscrit dans la politique de divulgation de Microsoft déjà engagée en exécution de la transaction américaine, que les différences existant en termes de politique commerciale entre cette transaction et la Décision ne peuvent pas être considérées comme revêtant un caractère fondamental. Il faut noter, dans ce contexte, qu’il n’est pas contesté que l’un des protocoles licenciés dans le cadre du MCPP est un protocole utilisé non seulement pour les communications client-à-serveur, mais aussi pour les communications serveur‑à‑serveur. Sur ce dernier point, il ressort, en particulier, du considérant 179 de la Décision que « [l]es serveurs du réseau peuvent parfois utiliser les mêmes protocoles que les PC clients afin de communiquer avec d’autres serveurs : par exemple, dans un domaine Windows, Microsoft Kerberos est utilisé pour l’authentification à la fois entre un PC client sous Windows et un serveur de groupe de travail sous Windows, ainsi que parmi les serveurs de groupe de travail sous Windows ». Il faut relever, au surplus, que l’atteinte alléguée à sa politique commerciale n’est pas irrémédiable, dès lors qu’une annulation de la Décision, à l’instar de la fin du MCPP prévue pour 2009, permettrait à Microsoft, dans l’hypothèse où tel serait son choix de ne plus concéder de licences portant sur ses protocoles de communication.

299
Ensuite, il ressort du dossier que les dirigeants de Microsoft ont déclaré vouloir conduire une politique consistant à promouvoir activement des licences portant sur les protocoles prévues par la transaction américaine et à affirmer la volonté d’offrir des droits d’utilisation dans un domaine plus étendu que celui imposé par cette transaction. Ainsi ressort-il d’une information communiquée à la presse par Microsoft le 1er août 2003 (annexe N.12) ce qui suit :

« Microsoft a aussi annoncé qu’elle est généralement disposée à fournir un domaine d’utilisation des droits pour la technologie de l’entreprise relative aux protocoles encore plus étendu que ce qui est exigé en vertu de l’arrêt définitif [rendu] dans l’affaire antitrust ou que ce qui est reflété dans les accords standards de licence MCPP. Microsoft a déjà volontairement octroyé en vertu du MCPP des droits d’utilisation à un nombre de licenciés qui dépassait les exigences de l’arrêt définitif, et Microsoft encourage d’autres développeurs qui seraient intéressés par l’obtention d’une licence [portant] sur la technologie de l’entreprise relative aux protocoles à discuter de leurs exigences techniques avec l’équipe de Microsoft chargée des licences portant sur les protocoles. »

300
Enfin, l’accord conclu entre Microsoft et Sun Microsystems prévoit la divulgation des protocoles de communication serveur-à-serveur couverts par la Décision. Dans la mesure où cet accord prévoit la communication des protocoles que la Décision lui impose précisément de divulguer, Microsoft n’est pas fondée à faire valoir que l’exécution de la Décision l’obligerait à modifier fondamentalement sa politique commerciale.

301
Au vu des éléments qui précèdent, le juge des référés ne peut pas tenir pour établi le fait que la Décision causera un changement suffisamment significatif de la politique commerciale de Microsoft.

302
Cette conclusion est confortée par le fait que la Commission a indiqué, lors de l’audition, en réponse à une question du juge des référés, que, au cours des négociations menées avec la Commission durant la procédure administrative, Microsoft était disposée à divulguer plus d’informations en matière d’interopérabilité que celles visées par la Décision. Tout en insistant sur le caractère particulier de chaque négociation, fruit de concessions réciproques, Microsoft n’a pas infirmé les propos de la Commission sur ce point.

§
Sur la prétendue difficulté d’améliorer les protocoles

303
Microsoft affirme que l’exécution de la Décision aura pour effet de limiter la flexibilité dont elle a besoin pour améliorer régulièrement les protocoles concernés, réduisant ainsi sa capacité à innover (annexes R.2 et T.7).

304
À cet égard, il importe de rappeler que l’article 5, sous a) à c), de la Décision oblige Microsoft à communiquer les spécifications de ses protocoles à ses concurrents, mais laisse Microsoft libre de concevoir ses protocoles comme elle le souhaite. L’amélioration des protocoles reste donc une décision qu’il revient à Microsoft de prendre en fonction des conséquences attendues d’une telle décision. Or, Microsoft n’a pas établi qu’une décision d’améliorer les protocoles durant la période intermédiaire – jusqu’au jugement du Tribunal sur le fond du litige – aurait des conséquences pratiques d’une ampleur telle qu’elles constitueraient un obstacle réel à l’innovation.

305
Ensuite, l’argument selon lequel la souplesse avec laquelle elle pourra apporter des améliorations aux protocoles concernés sera affectée par la contrainte, imposée par la réalité commerciale, de devoir assurer une compatibilité en amont avec les produits des concurrents fondés sur ses protocoles ne peut pas être retenu eu égard à certains éléments du dossier.

306
En premier lieu, il convient de rappeler que, historiquement, Microsoft ne s’est pas estimée tenue par une telle obligation lorsqu’elle a décidé de rendre inopérant le NDS pour NT de Novell (considérants 298 à 301 et 686 de la Décision).

307
En deuxième lieu, Microsoft assure en tout état de cause la compatibilité en amont avec les versions antérieures de ses propres produits. Il n’existe dans le dossier aucun élément permettant de croire que, en assurant cette compatibilité, elle ne soit pas non plus en mesure d’assurer la compatibilité en amont avec toutes les implémentations conformes. Il convient de relever à cet égard que Microsoft a indiqué qu’elle assurait la compatibilité en amont avec une gamme de produits en soulignant qu’« il [s’agissait] déjà d’un défi d’ingénierie pour Microsoft, dans le cadre des lancements successifs de nouveaux systèmes d’exploitation Windows pour serveurs, de maintenir une compatibilité à rebours avec les milliers d’interfaces publiées qui sont utilisées par les programmes informatiques de tiers ».

308
En troisième lieu, il convient de relever que l’accroissement de complexité représenté par le développement de systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail compatibles n’a pas été évalué. En tout état de cause, le surcroît d’effort doit être considéré comme limité pendant la période intermédiaire en raison du nombre vraisemblablement peu élevé de produits compatibles qui seront mis sur le marché et achetés par les clients, avant qu’il soit statué par le Tribunal sur le fond du litige. À ce sujet, il convient d’observer qu’une nouvelle version du système d’exploitation de Microsoft, connu sous l’appellation « Longhorn », sera, selon Microsoft, prête pour 2006 et que, comme l’ont souligné les parties intervenant au soutien de la Commission, l’effet d’annonce de son lancement sera de nature à influencer les achats des clients au détriment des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail concurrents.

309
En quatrième lieu, la transaction américaine, qui profite non seulement aux fabricants de systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail, au sens de la Décision, mais également à la quasi-totalité des fabricants de systèmes d’exploitation pour serveurs, aurait dû avoir une incidence négative de même nature que celle dont Microsoft se prévaut devant le juge des référés. Or, il ne ressort pas des écritures des parties que l’exécution de la Décision pourrait affecter la flexibilité dont dispose Microsoft pour changer ses protocoles dans une mesure plus grande que celle résultant des engagements acceptés par Microsoft dans le cadre de la transaction américaine. À ce sujet, il ressort de l’une des réponses de Microsoft aux questions écrites que, en certaines circonstances, la transaction américaine permet à Microsoft de choisir d’exploiter des innovations dans des protocoles client-à-serveur pour augmenter le caractère attractif des systèmes d’exploitation Windows, sans mettre cette technologie à la disposition des concurrents. Elle ajoute ce qui suit :

« Si Microsoft développe notamment de nouveaux protocoles de client-à-serveur qui ne sont pas inclus dans son système d’exploitation de clients Windows, mais sont installés séparément, Microsoft ne devra pas mettre ces protocoles à la disposition des concurrents. Par exemple, Microsoft pourrait développer des protocoles novateurs en relation avec une nouvelle version de son système d’exploitation pour serveurs Windows. Quand un réseau utilisant ce système d’exploitation pour serveurs sera installé, les clients seront priés d’installer le logiciel de clients mettant en œuvre ces protocoles sur leurs ordinateurs personnels. (C’est le modèle traditionnellement suivi par Novell.) »

310
Cette déclaration confirme le fait que Microsoft a l’intention d’améliorer ses produits et que les contraintes relatives au manque de flexibilité quant à la possibilité de les améliorer effectivement ne sont pas telles qu’elles empêcheraient cette amélioration. Il importe peu à cet égard de savoir si la mise à disposition desdites améliorations résulte d’une volonté délibérée ou d’une contrainte légale.

311
En cinquième lieu, l’accord conclu avec Sun Microsystems, qui couvre les protocoles concernés par la Décision, tend à démontrer que l’impact sur la capacité de Microsoft à changer ses protocoles ne présente pas un caractère irréversible.

§
Sur la prétendue nécessité de « durcir » les protocoles

312
Microsoft affirme qu’elle devrait « durcir » les protocoles afin d’éviter la « possibilité de dysfonctionnements, d’incidents et de risques pour la sécurité » qui découleraient d’un « usage inconsidéré ou malveillant ».

313
À supposer que la « possibilité de dysfonctionnements, d’incidents et de risques pour la sécurité » soit avérée, le juge des référés constate que Microsoft se borne à invoquer le préjudice résultant des efforts prétendument nécessaires pour éviter qu’une telle possibilité se concrétise sans indiquer en quoi ce préjudice serait grave et irréparable. Microsoft ne démontre notamment pas que ce « durcissement » des protocoles devrait perdurer en cas d’annulation de la Décision ou qu’il serait la cause d’un autre préjudice. En outre, comme le soutient la Commission, les bénéficiaires de l’information relative à l’interopérabilité seraient fortement incités à rendre leurs produits sûrs et stables et à en éviter un « usage inconsidéré » et n’auraient aucun intérêt à un usage « malveillant ». Au contraire, comme le fait encore valoir la Commission, les entreprises bénéficiaires de la divulgation auront un intérêt manifeste à éviter des dommages fortuits, en testant leur implémentation par rapport à celle de Microsoft et en faisant en sorte que leurs produits ne provoquent pas de perte ni de corruption de données chez les clients. Ces tests s’étendront naturellement à tous les produits Windows avec lesquels le concurrent concerné entendra établir une interopérabilité. En conséquence, Microsoft n’aura selon toute probabilité aucun besoin d’adapter rétroactivement des produits préalablement installés.

314
Pas plus que pour la prétendue atteinte à sa faculté de concevoir librement ses produits, Microsoft n’a établi que les risques évoqués dans le point qui précède se sont matérialisés en exécution de la transaction américaine. Enfin, alors que Samba ou AS/U mettent en œuvre plusieurs protocoles qui avaient été initialement conçus pour être « privés », selon la terminologie de Microsoft, cette dernière n’invoque pas d’exemple de transmission de données « inattendues » à Windows de nature à causer la perte de données ou à les altérer.

315
Les contraintes alléguées pesant sur la capacité de Microsoft à développer ses produits sont déjà inhérentes à la transaction conclue avec Sun Microsystems, laquelle englobe les protocoles pertinents dans le cadre de la Décision. Le préjudice qui en résulte, à supposer qu’il existe, est donc indépendant de la mesure corrective et Microsoft n’a pas établi que le sursis à exécution demandé modifierait sensiblement sa position actuelle.

316
Enfin, des conditions techniques précises pourraient par ailleurs être convenues contractuellement, ainsi que cela est prévu dans le cadre de la transaction américaine. En réponse à une question du juge des référés, Microsoft a en effet indiqué que la transaction américaine lui permet d’assortir la divulgation de protocoles liés à la sécurité à certaines conditions visant à minimiser le risque que lesdits protocoles soient utilisés de mauvaise foi pour compromettre la sécurité informatique. Ainsi, la crainte liée à une utilisation malveillante de l’information en cause ou à une insuffisance des tests de mise en œuvre pourrait être dissipée par la possibilité de demander à la Commission l’autorisation de refuser de fournir cette information dans une telle situation.

–     Sur la prétendue évolution irréversible des conditions du marché

317
Microsoft soutient que l’octroi obligatoire de licences modifiera irrémédiablement à son détriment les conditions prévalant sur le marché, parce que l’examen des spécifications détaillées des protocoles de communication en cause révélera aux concurrents des aspects importants de la conception des systèmes d’exploitation Windows pour serveurs. La divulgation à grande échelle de telles informations permettrait aux concurrents de reproduire dans leurs systèmes d’exploitation pour serveurs une série de fonctionnalités que Microsoft a développées grâce à ses propres efforts de recherche et de développement.

318
La prémisse factuelle sur laquelle Microsoft fonde son analyse n’a pas été considérée comme prouvée à suffisance de droit par le juge des référés (voir points 260 à 265 ci‑dessus). En outre, Microsoft n’a pas fourni d’éléments sur l’évolution du marché qui devrait, selon elle, résulter du problème allégué en dépit des critiques formulées sur ce point par la Commission dans ses observations en défense. L’argument de Microsoft ne peut donc pas être accueilli.

319
En tout état de cause, à supposer même que l’argumentation de Microsoft puisse être comprise comme signifiant que la divulgation des informations relatives à l’interopérabilité modifie les conditions du marché de manière telle qu’elle perdrait des parts de marché et qu’il ne lui serait plus possible, en cas d’annulation de la Décision, de regagner les parts de marché perdues, le juge des référés constate que Microsoft n’a produit aucun élément de fait au soutien de cette argumentation. Microsoft n’a en particulier pas démontré qu’il existerait des obstacles l’empêchant de récupérer une partie importante des parts qu’elle aurait pu perdre sous l’effet de la mesure corrective [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 111 ; ordonnance du président du Tribunal du 16 janvier 2004, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03 R, Rec. p. II‑205, points 82 à 84].

Sur le préjudice grave et irréparable causé par l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles client-à-serveur

320
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les différents chefs de préjudice allégués par Microsoft n’ont pas été retenus au titre de l’urgence en ce qui concerne l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles de communication serveur-à-serveur.

321
Microsoft n’ayant fait valoir aucun argument supplémentaire de nature à permettre de conclure différemment en ce qui concerne les effets de la divulgation des protocoles de communication client-à-serveur, le juge des référés est nécessairement conduit à conclure que Microsoft n’a pas démontré que la condition relative à l’urgence était satisfaite relativement à ce second volet de l’obligation de divulgation. À cet égard, il importe de rappeler que, comme la Commission l’a exposé à bon droit dans la Décision, l’interopérabilité client-serveur et, d’autre part, l’interopérabilité serveur-serveur sont deux composantes indissociables de l’interopérabilité à l’intérieur d’un système informatique englobant plusieurs PC clients sous Windows et plusieurs serveurs de groupe de travail sous Windows, tous reliés entre eux dans un réseau (considérants 144 à 184, et 689).

322
En tout état de cause, il doit être tenu compte du fait que Microsoft a insisté lors de l’audition sur l’absence de nécessité à l’obliger à divulguer les spécifications des protocoles de communication client-à-serveur, compte tenu du fait que ces spécifications peuvent être obtenues jusqu’en 2009 dans le cadre du MCPP. Cette argumentation ne peut être comprise que comme signifiant que la divulgation de ces spécifications ordonnée par la Décision ne peut pas être la cause d’un préjudice grave et irréparable pour Microsoft.

323
La demande en référé doit donc également être rejetée pour défaut d’urgence en ce qu’elle vise à obtenir le sursis à l’exécution de l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles de communication client-à-serveur et à en autoriser l’usage par les concurrents de Microsoft.

324
Au vu de tout ce qui précède, la condition relative à l’urgence faisant défaut, la demande de sursis à l’exécution de l’article 5, sous a) à c), doit être rejetée sans qu’il soit besoin de mettre en balance les différents intérêts en présence.

325
Il importe de préciser que, selon l’article 109 du règlement de procédure, le rejet de la demande relative à une mesure provisoire n’empêche pas la partie qui l’avait introduite de présenter une autre demande fondée sur des faits nouveaux. En l’occurrence, il ne saurait être exclu que puisse être considérée comme un « fait nouveau » la persistance d’un désaccord portant sur certaines modalités d’exécution de la Décision. Plus précisément, eu égard aux références, contenues dans l’appréciation qui précède, aux stipulations contractuelles de nature à justifier la conclusion selon laquelle la condition relative à l’urgence n’est pas satisfaite (voir points 268, 273, 285 et 316 ci-dessus), le refus de telles clauses de sauvegarde dans les accords de licence à conclure avec les entreprises visées à l’article 5 de la Décision pourrait être considéré comme une modification des circonstances susceptible de remettre en cause certains des motifs sur lesquels la présente ordonnance est fondée.

B – Sur la question des ventes liées

1.     Arguments des parties

a)     Arguments de Microsoft et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

Sur le fumus boni juris

326
Microsoft soutient qu’elle a présenté, dans son recours en annulation, des arguments justifiant, à première vue, l’annulation des dispositions de la Décision en ce qui a trait au prétendu abus constitué de pratiques de ventes liées.

327
Dans la Décision, la Commission prétendrait que l’intégration par Microsoft d’une fonctionnalité multimédia améliorée dans Windows constitue un abus au sens de l’article 82 CE, « en particulier » au sens du deuxième alinéa, sous d), de cet article, ainsi qu’en application d’un nouveau critère en matière de ventes liées découlant de l’article 82 CE. Ainsi qu’il ressortirait du considérant 841 de la Décision, dans les cas classiques de ventes liées, la vente groupée d’un produit distinct serait, selon la Commission et le juge communautaire, l’indice de l’effet d’exclusion de cette pratique sur les vendeurs concurrents. Or, selon Microsoft, il ressort du même considérant de la Décision, d’une part, que le présent cas n’est pas un « cas classique de ventes liées » et, d’autre part, que « les utilisateurs peuvent se procurer d’autres lecteurs multimédias via Internet, parfois gratuitement ». La Commission admettrait donc qu’« [i]l existe […] de bonnes raisons pour ne pas tenir pour acquis, sans un complément d’analyse, que la vente liée de [Windows Media Player] constitue un comportement susceptible, par nature, de restreindre la concurrence » (considérant 841).

328
La Commission parviendrait toutefois à la conclusion qu’il existe, en l’espèce, un effet d’exclusion des concurrents du marché, et ce en se fondant sur une théorie hautement spéculative, selon laquelle la large diffusion de la fonctionnalité multimédia de Windows obligera les fournisseurs de contenu à avoir presque exclusivement recours aux formats multimédias de Windows, ce qui aura pour effet d’exclure du marché tous les lecteurs multimédias concurrents puis, indirectement, d’obliger les consommateurs à n’utiliser que la fonctionnalité multimédia de Windows (considérants 836 et 842 de la Décision). Selon Microsoft, il existe, au sens de la jurisprudence, un « différend sérieux concernant le bien-fondé de la conclusion juridique essentielle étayant » les allégations de la Commission relatives à la conception et à l’intégration de Windows Media Player (ordonnance IMS Health/Commission, point 133 supra, point 106). Microsoft estime également qu’est satisfaite la condition exigeant de démontrer l’illégalité, à première vue, de la constatation d’une infraction sur laquelle repose l’article 6, sous a), de la Décision.

329
Premièrement, en effet, la théorie spéculative de la Commission en matière d’exclusion du marché ne reposerait sur aucun fondement. La Décision ne refléterait pas les réalités du marché, notamment en ce que, d’une part, les utilisateurs de PC clients fonctionnant avec Windows estiment qu’il est facile d’utiliser différents lecteurs multimédias avec différents formats et, d’autre part, les fournisseurs de contenu ont quotidiennement recours à des formats multiples. La conclusion de la Commission serait également en contradiction avec la théorie très différente appliquée dans la décision AOL/Time Warner [décision 2001/718/CE de la Commission, du 11 octobre 2000, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et avec l’accord EEE (Affaire COMP/M.1845 – AOL/Time Warner), JO 2001, L 268, p. 28]. De plus, la Commission conclurait dans la Décision que la thèse de l’exclusion du marché est seulement applicable dans le cas où la fonctionnalité multimédia de Windows est développée par Microsoft, alors que cette thèse n’aurait pas trouvé à s’appliquer de 1995 à 1998, lorsque le lecteur multimédia de RealNetworks était « lié » à Windows.

330
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft ajoute que la Commission ne réagit aucunement, tout d’abord, au fait que les principaux sites Internet continuent de présenter des contenus multimédias dans deux formats ou plus, ensuite, au fait que le nombre de formats utilisés sur les sites Internet populaires à contenu multimédia a augmenté et se situe maintenant aux environs de trois et, enfin, au fait que, au cours du printemps 2004, près de 80 % des sites Internet populaires présentaient des contenus dans les formats de RealNetworks.

331
En outre, la Commission ne tiendrait pas compte des développements récents du marché, notamment de la croissance exponentielle d’appareils autres que les PC clients, tels que l’iPod d’Apple, qui lit des contenus multimédias de formats différents de ceux de Windows, ou de la future génération de téléphones mobiles qui inclura des lecteurs multimédias. Selon Microsoft, les fournisseurs de contenu qui souhaitent atteindre l’audience la plus large possible continueront d’avoir recours à des formats multiples, en vue d’atteindre, d’une part, les utilisateurs d’appareils, autres que les PC clients, qui ne sont pas capables de lire des contenus dans des formats Windows Média, et, d’autre part, les consommateurs qui utilisent des lecteurs multimédias d’entreprises tierces sur leur PC client plutôt que la fonctionnalité multimédia de Windows.

332
Deuxièmement, selon Microsoft, les avantages découlant du « concept architectural » du système d’exploitation de Microsoft, lequel implique le développement de nouvelles versions de Windows intégrant de nouvelles fonctionnalités, sont substantiels et auraient dû être davantage pris en considération par la Commission.

333
Troisièmement, la Commission n’établirait pas l’existence d’une violation de l’article 82 CE, en particulier de son deuxième alinéa, sous d). Notamment, la Décision n’établirait pas que Windows et sa fonctionnalité multimédia appartiennent à deux marchés de produit distincts. La Commission considérerait, à tort, uniquement la question de savoir si le produit prétendument lié est disponible séparément du produit prétendument « dominant », alors que la question appropriée consisterait à déterminer si ce dernier produit est régulièrement commercialisé sans le produit lié. En outre, selon Microsoft, il ne saurait être question en l’espèce de prestation supplémentaire, puisque les consommateurs, tout d’abord, ne doivent payer aucun supplément pour la fonctionnalité multimédia de Windows, ensuite, ne sont pas tenus d’utiliser cette dernière et, enfin, ne sont nullement empêchés par Microsoft d’utiliser les lecteurs multimédias d’entreprises tierces au lieu de ou en sus de la fonctionnalité multimédia de Windows. La Commission n’aurait pas non plus démontré que la fonctionnalité multimédia n’est pas liée, par sa nature ou selon les usages commerciaux, aux systèmes d’exploitation pour PC clients. En effet, les autres systèmes d’exploitation intégreraient une fonctionnalité multimédia et Microsoft aurait, pour sa part, intégré dans Windows une telle fonctionnalité, améliorée de façon continue depuis 1992.

334
Quatrièmement, la Commission n’aurait pas suffisamment pris en compte, en l’espèce, les obligations imposées à la Communauté européenne par l’ADPIC.

335
Cinquièmement, la mesure corrective serait disproportionnée.

336
CompTIA et Exor soutiennent la position de Microsoft sur le fumus boni juris. Elles considèrent que Microsoft a démontré l’illégalité, à première vue, de l’article 4 et de l’article 6, sous a), de la Décision.

Sur l’urgence

337
Microsoft soutient que l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision causera deux types de préjudices graves et irréparables résultant, d’une part, de l’abandon du concept architectural fondamental à la base de son système d’exploitation Windows et, d’autre part, d’une atteinte à sa réputation.

–     Sur le préjudice résultant selon Microsoft de l’abandon du concept architectural fondamental à la base du système d’exploitation Windows

338
Selon Microsoft, le concept architectural fondamental qui sous-tend son système d’exploitation Windows constitue la base du modèle commercial de Windows. Le modèle commercial de Microsoft aurait pour objectif la conception d’une plateforme commune pour le développement et le fonctionnement d’applications, quels que soient les éléments matériels du PC client utilisé par le consommateur.

339
Or, l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision contraindrait Microsoft à abandonner ledit concept, lui causant ainsi un préjudice grave et irréparable. En l’obligeant à offrir une version de Windows dépourvue du code logiciel correspondant à ce que la Commission identifie comme le « Windows Media Player », l’article 6, sous a), de la Décision interdirait à Microsoft de concevoir son système d’exploitation de façon à inclure de manière uniforme des fonctionnalités multimédias nouvelles ou améliorées. Il empêcherait également les fabricants de logiciels, les fournisseurs de contenus, les équipementiers et les consommateurs de retirer de la plateforme Windows les avantages dont ils bénéficient actuellement.

340
Microsoft rappelle que, selon la jurisprudence, un préjudice grave et irréparable est causé lorsqu’une partie est obligée d’exécuter immédiatement une décision de la Commission qui entraînerait des changements de nature structurelle ou l’empêcherait de déterminer des aspects essentiels de sa politique commerciale (ordonnance RTE e.a./Commission, point 251 supra ; ordonnance du président de la Cour du 13 juin 1989, Publishers Association/Commission, C‑56/89 R, Rec. p. 1693 ; ordonnances du président du Tribunal du 16 juillet 1992, SPO e.a./Commission, T‑29/92 R, Rec. p. II‑2161 ; du 19 février 1993, Langnese-Iglo et Schöller Lebensmittel/Commission, T‑7/93 R et T‑9/93 R, Rec. p. II‑131 ; du 10 mars 1995, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑395/94 R, Rec. p. II‑595 ; Bayer/Commission, point 138 supra ; du 7 juillet 1998, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98 R, Rec. p. II‑2641, et IMS Health/Commission, point 133 supra). Or, en cas d’exécution immédiate de la Décision, les avantages résultant de l’uniformité de la plateforme Windows seraient irréversiblement perdus, causant de la sorte un préjudice grave et irréparable à Microsoft.

341
Microsoft ajoute que ce préjudice ne serait pas réparé par l’annulation éventuelle de la Décision. En effet, les ingénieurs de Microsoft devraient partir du principe que, pour le moins, certaines copies de Windows distribuées dans l’EEE seront dépourvues de fonctionnalité multimédia. Étant donné que ces versions dégradées de Windows ne pourraient pas être récupérées auprès des utilisateurs dans l’hypothèse d’une annulation subséquente de la Décision, les ingénieurs de Microsoft devraient tenir compte de l’existence de deux versions pendant de nombreuses années, tout comme les tiers qui dépendent de la stabilité et de la cohérence de la plateforme Windows, ce qui augmenterait leurs coûts et réduirait l’attrait pour Windows de manière continue. Ces difficultés d’organisation seraient, par ailleurs, aggravées par les conditions imposées à l’article 4 de la Décision.

–     Sur le préjudice causé à la réputation de Microsoft

342
Microsoft soutient que la distribution de la version de Windows imposée par l’article 6, sous a), de la Décision (ci-après la « version imposée par l’article 6 ») causerait un préjudice grave et irréparable à sa réputation en tant que fabricant de logiciels de qualité.

343
Premièrement, en effet, la version imposée par l’article 6 ne contiendrait pas la fonctionnalité multimédia mise en principe à la disposition des applications exécutées sur Windows. En conséquence, de nombreuses applications ne fonctionneraient pas avec cette version du système d’exploitation, et ce alors même que cette version serait appelée « Windows ». Ce dysfonctionnement porterait atteinte à la valeur centrale de Windows. Il obligerait également Microsoft, ainsi que les équipementiers et les concepteurs de logiciels, à résoudre les problèmes engendrés par la Décision et à fournir entre-temps l’assistance nécessaire aux clients mécontents. Résoudre les nombreux problèmes prévisibles et potentiellement imprévisibles s’avérerait extrêmement difficile, coûteux et préjudiciable à la réputation de Microsoft.

344
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft conteste les affirmations de la Commission selon lesquelles Microsoft pourrait maintenir, dans la version imposée à l’article 6, une « fonctionnalité multimédia de base ». La Commission n’expliquerait pas ce qu’elle entend par « fonctionnalité multimédia de base » et son affirmation ne saurait être exacte que si elle se référait à la possibilité de générer certains sons ou d’afficher des images statiques sur l’écran. En toute hypothèse, la version imposée par l’article 6 éliminerait toute possibilité de lire des fichiers son ou image, notamment à partir de disques compacts ou de disques numériques polyvalents (DVD), ou encore des documents dans des formats standards tels que MP 3 téléchargés à partir d’Internet sur le disque dur d’un PC client. Selon Microsoft, un consommateur considérera qu’un système d’exploitation pour PC client qui s’avère incapable, en 2004, d’accomplir des tâches aussi banales est sérieusement dégradé.

345
De plus, la Commission ne contesterait pas la liste non exhaustive de toutes les fonctionnalités Windows qui ne fonctionneront plus de manière correcte dans la version imposée par l’article 6.

346
Deuxièmement, les problèmes générés par la version imposée par l’article 6 ne seraient pas résolus par l’installation de lecteurs multimédias d’entreprises tierces. Selon Microsoft, de tels produits ne pourraient pas se substituer à la fonctionnalité multimédia de Windows, dans la mesure où ils ne présentent pas les mêmes API, ce qui provoquerait certains dysfonctionnements des applications concurrentes et des sites Internet qui reposent sur la fonctionnalité multimédia de Windows.

347
Troisièmement, Microsoft subirait un préjudice équivalent, voire plus important, en raison du fait que les autres éléments de Windows qui se fondent sur sa fonctionnalité multimédia ne fonctionneraient plus correctement dans la version imposée par l’article 6, notamment en ce qui concerne le répertoire « My Music » et le transfert de fichiers en format MP 3 vers un large éventail de lecteurs multimédias numériques portables.

348
Il ressortirait de la liste non exhaustive des défauts générés par la version imposée par l’article 6, d’une part, que seuls certains de ces défauts pourraient être corrigés par l’installation d’un lecteur multimédia d’une entreprise tierce et, d’autre part, que les défauts corrigés varieraient en fonction du lecteur multimédia qui serait installé.

349
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft conteste l’argumentation de la Commission selon laquelle les lecteurs multimédias d’entreprises tierces installés sur les nouveaux PC clients par les équipementiers peuvent remplacer les fonctionnalités multimédias de Windows. Cette affirmation, apparemment fondée sur l’hypothèse selon laquelle le code logiciel qui fournit la fonctionnalité multimédia serait parfaitement substituable, serait fausse d’un point de vue technique. La Commission n’indiquerait pas le moindre lecteur multimédia d’une entreprise tierce offrant dans son ensemble la fonctionnalité multimédia qui ne figurerait pas dans la version imposée par l’article 6. Microsoft ne conteste pas qu’une partie de la fonctionnalité multimédia de Windows pourrait être rétablie en installant certains lecteurs multimédias. Néanmoins, une partie de la fonctionnalité multimédia du système d’exploitation resterait détériorée. Or, l’activité des fabricants de lecteurs multimédias ne consisterait pas à réparer les défauts de la fonctionnalité multimédia de Windows. Le cas échéant, la mesure dans laquelle l’installation d’un lecteur multimédia d’une entreprise tierce pourra rétablir une partie de la fonctionnalité multimédia dans la version imposée par l’article 6 variera en tout état de cause grandement en fonction du lecteur multimédia installé.

350
Microsoft précise que, dans la mesure où les lecteurs multimédias d’entreprises tierces rendent leur fonctionnalité disponible par le biais des interfaces publiées, ces dernières sont différentes de celles utilisées par les applications pour faire appel à la fonctionnalité multimédia dans Windows. En conséquence, les différents logiciels de plateforme utiliseraient différentes interfaces pour présenter des types de fonctionnalités similaires. Les autres parties de Windows et les applications conçues pour faire appel à la fonctionnalité multimédia dans Windows ne peuvent pas soudainement obtenir cette fonctionnalité d’un lecteur multimédia d’une entreprise tierce. Il serait à tout le moins nécessaire d’apporter des modifications à Windows ou à une application Windows pour permettre aux lecteurs multimédias d’entreprises tierces d’utiliser les interfaces alternatives. Ces modifications seraient probablement substantielles et devraient être réalisées pour chacun des lecteurs multimédias. En conséquence, les bénéfices résultant d’une plateforme uniforme seraient perdus, et ce même si les lecteurs multimédias d’entreprises tierces étaient capables de fournir toute la fonctionnalité multimédia ne figurant pas dans la version imposée par l’article 6.

351
Quatrièmement, l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision porterait un préjudice sérieux et irréparable aux marques commerciales « Microsoft » et « Windows », car Microsoft serait obligée de vendre un produit dégradé incompatible avec son concept commercial de base. La réputation de Microsoft, en tant que fournisseur de logiciels de qualité, serait affectée si elle était obligée d’apposer son nom sur un produit dégradé ne fournissant pas la fonctionnalité multimédia que les consommateurs attendent d’un système d’exploitation moderne.

352
Cinquièmement, Microsoft précise qu’elle ne pourrait pas éviter qu’il soit porté atteinte à sa réputation en informant les consommateurs de la nature de la version imposée par l’article 6, dans la mesure où il lui serait impossible d’effectuer l’ensemble des tests nécessaires pour dresser une liste complète des applications qui ne fonctionneront pas correctement avec la version imposée par l’article 6. En pratique, il serait probable que de nombreux consommateurs ne seront pas en mesure de comprendre les conséquences de l’absence de technologie multimédia dans la version imposée par l’article 6.

353
Sixièmement, l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision causerait un préjudice grave au droit d’auteur dont Microsoft est titulaire à propos de Windows. Microsoft serait en effet tenue d’adapter son œuvre en en retirant les éléments du code logiciel qui fournissent la fonctionnalité multimédia que Microsoft estime devoir intégrer dans un système d’exploitation moderne et dont l’absence rend le produit défectueux. Ce préjudice causé au droit d’auteur de Microsoft serait irréparable, car, une fois l’adaptation commercialisée, il n’existerait aucun moyen de récupérer les versions dégradées de Windows qui seront en circulation.

354
Dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft conteste plusieurs arguments de la Commission relatifs à l’atteinte aux marques et à la réputation de Microsoft. Microsoft conteste, en particulier, la critique de la Commission qui retient que l’« impression […] selon laquelle les systèmes d’exploitation Windows garantissent toujours la présence du concept architectural de base de [Microsoft] […] est inexacte dans les faits », la Commission notant à cet égard que Microsoft produit déjà plusieurs versions différentes de Windows. Selon Microsoft, l’existence des produits mentionnés par la Commission n’a aucune incidence sur le préjudice grave et irréparable démontré par elle. En effet, Windows CE et Windows XP Embedded ne seraient pas des systèmes d’exploitation pour PC clients. Les autres versions de Windows XP identifiées par la Commission, à savoir Professional, Home, Media Center Edition et Tablet PC Edition, présenteraient toutes le même noyau commun d’interfaces, à savoir lesdites « API Win32 ». Il s’agirait des interfaces que les fabricants de logiciels ont utilisées pour concevoir les applications Windows depuis le lancement de Windows NT 3.5 et Windows 95, de sorte que toutes les versions de Windows XP seraient en mesure d’assurer le fonctionnement de l’ensemble des applications Windows existantes. Dans ses observations sur les mémoires en intervention, Microsoft conteste également en ce sens les affirmations de RealNetworks selon lesquelles la plateforme Windows est déjà fragmentée.

355
Ce qui importerait, pour Microsoft et les utilisateurs finals, serait que la version la plus récente de Windows destinée à être utilisée comme système d’exploitation à usage général, à savoir Windows XP, dans toutes ses versions, permette l’exécution de toute application Windows conçue au cours des dix dernières années. Cela ne serait pas envisageable dans l’hypothèse de la version imposée par l’article 6, et ce alors même que cette version sera perçue par les consommateurs comme un système d’exploitation pour PC clients à usage général.

356
Enfin, également dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft ajoute que la Commission semble partager son avis sur le caractère irréparable des préjudices invoqués, puisque, selon elle, les « versions découplées de Windows ne [pourront] pas être reprises aux utilisateurs ». La Commission soutiendrait néanmoins que le préjudice résiduel ne serait pas irréversible, parce que « Microsoft serait en mesure d’utiliser Internet pour distribuer [Windows Media Player] à tout client ayant acheté une [version imposée par l’article 6] ». Cette possibilité hypothétique serait inexacte dans les faits. Elle ne tiendrait nullement compte des utilisateurs de la version imposée par l’article 6 dépourvus de connexion à Internet. D’autre part, Microsoft ne téléchargerait et n’installerait aucun code logiciel sur les PC clients des utilisateurs sans obtenir au préalable leur accord. Les versions imposées par l’article 6 resteraient entre les mains des consommateurs pendant une longue période, voire indéfiniment. Microsoft ajoute que, à supposer que la Commission ait raison de considérer qu’il existe des utilisateurs qui préféreraient la version imposée par l’article 6, il lui faudrait également admettre qu’il existe des utilisateurs qui n’autoriseraient pas Microsoft à restaurer la fonctionnalité multimédia dans leur système d’exploitation.

357
La position de Microsoft sur l’existence d’un préjudice grave et irréparable est soutenue par Exor. Selon cette dernière, le préjudice subi ne dépendrait ni de décisions de tiers, à savoir de la décision des consommateurs d’acheter la version imposée par l’article 6, ni d’un « manque de diligence » de la part de Microsoft. La version imposée par l’article 6 serait inévitablement un produit dégradé, car la suppression de l’un des composants du système d’exploitation Windows engendrerait des dysfonctionnements au sein d’autres composants qui faisaient appel au code supprimé pour offrir des fonctionnalités multimédias. Par ailleurs, même s’il était techniquement possible de restructurer complètement Windows afin d’éliminer ces interdépendances, les gains d’efficience qui découlent de ces interdépendances seraient intégralement perdus. La Décision imposerait à Microsoft le développement d’une version totalement différente de Windows. Par conséquent, la simple installation a posteriori de la fonctionnalité multimédia ne serait pas suffisante, car les composants qui auraient été modifiés pour ne plus faire appel à ladite fonctionnalité ne seraient plus en mesure de le faire ultérieurement.

Sur la mise en balance des intérêts

358
Microsoft considère que la mise en balance des intérêts en présence penche fortement en faveur du sursis à l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision. Microsoft soutient, premièrement, qu’il n’est pas nécessaire d’exécuter immédiatement l’article 6, sous a), de la Décision, deuxièmement, que ladite exécution causerait des dommages graves à elle-même et aux tiers et, troisièmement, que la mise en balance des intérêts doit tenir compte des obligations de la Communauté en vertu des traités internationaux.

–     Sur l’absence de nécessité d’une exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision

359
Tout d’abord, Microsoft soutient que l’intérêt de la Commission à imposer une réparation effective ne requiert pas l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision. La mesure corrective imposée viserait expressément à priver Microsoft d’un prétendu avantage concurrentiel déterminant de la fonctionnalité multimédia de Windows, à savoir le fait qu’elle bénéficie d’une large diffusion parce qu’elle est intégrée dans le principal système d’exploitation pour PC clients. Or, selon Microsoft, plusieurs faits démontrent que la crainte de la Commission quant à la large diffusion de la fonctionnalité multimédia de Windows n’est pas justifiée.

360
Premièrement, l’intégration de la fonctionnalité multimédia dans Windows n’empêcherait nullement les consommateurs d’utiliser, sous Windows, un ou plusieurs lecteurs multimédias d’entreprises tierces, mais, au contraire, faciliterait le développement de ces lecteurs multimédias en ce que ces derniers sont, dans une certaine mesure, fondés sur cette fonctionnalité.

361
Deuxièmement, les fournisseurs de lecteurs multimédias d’entreprises tierces seraient libres de distribuer largement leurs produits, notamment par le biais d’accords avec les équipementiers ou par téléchargement à partir d’Internet.

362
Troisièmement, en vertu de la transaction américaine, les fournisseurs de lecteurs multimédias d’entreprises tierces seraient libres de conclure des accords exclusifs avec les équipementiers en vertu desquels la fonctionnalité multimédia fournie dans leur produit serait la seule proposée à l’utilisateur final.

363
Quatrièmement, les fournisseurs de lecteurs multimédias d’entreprises tierces pourraient concevoir leurs produits de manière qu’ils puissent lire des fichiers dans les formats Windows Media.

364
Cinquièmement, la Commission aurait elle-même souligné la facilité avec laquelle les consommateurs sont en mesure de télécharger des lecteurs multimédias sur leurs PC clients. Par ailleurs, la Commission n’aurait accordé aucune importance à la large diffusion de la fonctionnalité multimédia de Windows dans le cadre de l’examen de la probabilité que, à la suite de la concentration AOL/Time Warner, le lecteur multimédia d’AOL devienne très vite le lecteur multimédia le plus prisé au monde (voir point 329 ci-dessus).

365
Ensuite, Microsoft soutient que la position de la Commission et la mesure corrective imposée sont fondées sur un raisonnement excessivement spéculatif, selon lequel la large diffusion de la fonctionnalité multimédia de Windows contraindra dans le futur les fournisseurs de contenu à avoir exclusivement recours aux formats Windows Media, ce qui évincerait du marché tous les lecteurs multimédias d’entreprises tierces. Aucun élément ne justifierait les spéculations de la Commission selon lesquelles tout retard dans l’application de l’article 6, sous a), de la Décision donnerait lieu à un « basculement » du marché en faveur de Windows Media Player qui exclurait toute concurrence.

366
Ainsi, premièrement, l’intégration d’une fonctionnalité multimédia dans Windows n’aurait nullement empêché l’émergence de lecteurs multimédias d’entreprises tierces, comme l’attesterait l’exemple d’iTunes. En outre, Microsoft produit des données qui démontreraient que, d’avril 2003 à avril 2004, bien que l’utilisation de Windows Media Player ait augmenté, tant RealPlayer que QuickTime ont maintenu le nombre de leurs utilisateurs.

367
Deuxièmement, il n’y aurait pas non plus la moindre preuve d’un « basculement » des fournisseurs de contenu vers les formats Windows Media.

368
Troisièmement, les faits contrediraient la théorie selon laquelle la suppression du code de Windows Media Player est nécessaire dans la mesure où les équipementiers ne sont pas disposés à préinstaller des lecteurs multimédias d’entreprises tierces s’ils ne sont pas autorisés à distribuer Windows sans la fonctionnalité multimédia (considérant 851 de la Décision).

369
Quatrièmement, dans ses observations du 21 juillet 2004, la Commission soutiendrait pour la première fois que « même une part de 5 % pour les PC équipés exclusivement d’un lecteur multimédia concurrent incitera les concepteurs de logiciels à concevoir des applications pour ce lecteur également ». Cette thèse serait erronée, confirmerait que l’objectif de la Commission est la fragmentation de Windows et serait contraire à l’objectif de la Commission d’accroître le choix du consommateur.

370
Cinquièmement, dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle l’exécution immédiate de la mesure corrective est nécessaire pour « permettre au consommateur de choisir ».

371
Sixièmement, également dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft estime que les lecteurs multimédias d’entreprises tierces continuent à être distribués en grand nombre et qu’une grande partie des contenus continue à être diffusée dans des formats autres que ceux de Microsoft.

372
Septièmement, dans ses observations sur les mémoires en intervention, Microsoft ajoute que la mise en œuvre de la mesure corrective prévue par l’article 6, sous a), de la Décision dans le segment « utilisateur final » et le canal « équipementiers » ne répondra à aucune des préoccupations qui sont à la base de la Décision. En effet, en premier lieu, il serait difficile de voir quels avantages un « utilisateur final » pourrait retirer de l’obtention d’une version imposée par l’article 6 plutôt que d’une version complète de Windows, puisque les deux seraient offertes au même prix. En second lieu, la Commission n’aurait pas analysé la mesure dans laquelle les équipementiers seraient disposés à conclure des accords d’exclusivité pour les PC clients qu’ils distribuent dans l’EEE.

–     Sur les préjudices résultant de l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision

373
Microsoft considère que les préjudices qui résulteraient de l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision seraient réels et importants, puisque ladite exécution ne permettrait pas à Microsoft de maintenir le modèle commercial efficace et bien établi qui est le sien, ainsi qu’elle l’aurait démontré dans ses arguments relatifs à l’urgence. Par ailleurs, Microsoft, soutenue plus largement sur ce point par CompTIA, ACT, Mamut et TeamSystem, DMDsecure.com e.a. et Exor, fait valoir qu’il conviendrait de tenir compte des intérêts des fabricants de logiciels et des créateurs de sites Internet dont l’activité dépend d’une plateforme Windows uniforme.

374
Premièrement, les applications et les sites Internet qui ont été conçus sur la prémisse d’une fonctionnalité multimédia de Windows ne fonctionneraient plus correctement dans la version imposée par l’article 6.

375
Deuxièmement, une exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision affecterait les applications et les sites Internet actuellement en cours de développement et ceux qui seront développᄅs dans le futur, ces préjudices sérieux et irréparables ne pouvant être évités par l’installation de lecteurs multimédias d’entreprises tierces.

376
Troisièmement, dans ses observations du 19 août 2004, Microsoft conteste les arguments de la Commission selon lesquels, d’une part, les fabricants de logiciels qui développent des applications reposant sur la fonctionnalité Windows peuvent « utiliser » la « possibilité de ‘ redistribuer le lecteur intégré dans leur application et à partir de leur site [Internet] ’ » et, d’autre part, « il est courant dans le secteur des logiciels que les concepteurs élaborent leurs applications de manière à ce qu’elles puissent s’adapter intelligemment à l’absence éventuelle de lecteur multimédia (mise à jour) », de sorte que « les coûts de ces adaptations d’applications […] devraient […] être négligeables, ou du moins ne pas dépasser ceux qui sont normalement supportés lorsque Microsoft fournit une nouvelle version (ou mise à jour) de Windows ». En pratique, le procédé consistant à rétablir la fonctionnalité multimédia dans la version imposée par l’article 6 serait tout aussi complexe et onéreux pour les tiers que pour Microsoft.

377
Quatrièmement, Microsoft ajoute que, lors de l’examen des différents intérêts en cause dans la présente affaire, il convient de garder à l’esprit l’importance attribuée, dans la procédure devant la District Court ayant entériné la transaction américaine, aux intérêts des fabricants de logiciels et aux inconvénients résultant de la fragmentation de Windows.

–     Sur les obligations de la Communauté en vertu de l’ADPIC

378
Microsoft souhaite enfin que le Tribunal prenne en compte les obligations qui s’imposent à la Communauté en vertu de l’ADPIC.

b)     Arguments de la Commission et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

Sur le fumus boni juris

379
La Commission, soutenue par CCIA sur ce point avant son désistement, estime que la thèse de Microsoft est, à première vue, dénuée de fondement et doit être rejetée.

380
La Commission soutient que ses constatations relatives à la vente liée se fondent sur des théories juridiques et économiques tout à fait reconnues et que l’abus relatif à la vente liée présente bien les caractéristiques définies par la jurisprudence en matière de vente liée (considérants 794 et suivants de la Décision). Microsoft ne mettrait en avant aucun gain d’efficience technique dont l’« intégration » de Windows Media Player à Windows serait la condition préalable (considérants 962 à 969 de la Décision).

381
Ainsi, premièrement, s’agissant de l’existence d’un effet d’exclusion sur le marché, la Commission ne voit pas, tout d’abord, en quoi l’existence d’une différence avec certaines affaires précédentes visées par Microsoft étaye son affirmation selon laquelle une nouvelle théorie a été appliquée en l’espèce. Le fait de démontrer un effet d’exclusion là où il est normalement présumé ne signifierait pas qu’une nouvelle théorie juridique est appliquée. La Commission admet que la Décision, contrairement à celles adoptées dans certaines affaires précédentes (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T‑30/89, Rec. p. II‑1439, confirmé par arrêt de la Cour du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C‑53/92 P, Rec. p. I‑667, et arrêt Tetra Pak/Commission, point 126 supra, confirmé par arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, Rec. p. I‑5951), ne conclut pas à l’existence d’un effet d’exclusion sur le marché per se (considérants 841 et suivants), mais prend en compte les circonstances spécifiques de l’espèce, c’est-à-dire le fait que des lecteurs multimédias peuvent être téléchargés, parfois gratuitement, sur Internet.

382
Toutefois, les éléments de preuve en la matière montreraient, tout d’abord, qu’aucun autre fabricant de lecteurs multimédias ne peut égaler l’omniprésence de Windows Media Player, qui résulte de son couplage à Windows, et que, par ailleurs, cette situation est susceptible d’avoir une influence non négligeable sur les fabricants de logiciels et de contenus complémentaires. La réduction, par la vente liée, des applications et des contenus disponibles pour les lecteurs multimédias des autres fabricants serait, en dernière analyse, préjudiciable pour les consommateurs, car elle limiterait l’innovation pour ces produits, quelle qu’en soit la valeur intrinsèque. Or, Microsoft n’aurait fait valoir aucune justification objective de cette pratique.

383
Par ailleurs, l’affirmation de Microsoft selon laquelle les constatations de la Commission relatives à l’exclusion de la concurrence reposent sur des conjectures serait erronée en fait et en droit. Les considérants 879 à 896 de la Décision fourniraient une description claire de l’impact de la vente liée sur les fournisseurs de contenu et les fabricants de logiciels indépendants. Il ressortirait de la Décision que l’utilisation de Windows Media Player progresse alors que, selon Microsoft elle-même, d’autres lecteurs multimédias sont plus appréciés en termes de qualité par les utilisateurs (considérants 948 à 951). Au surplus, la jurisprudence n’obligerait pas la Commission à démontrer que tous les lecteurs multimédias concurrents ont été évincés (arrêts du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 239 ; du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, Rec. p. II‑4653, points 149 et 160, et du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T‑219/99, Rec. p. II‑5917, point 293).

384
Deuxièmement, s’agissant de l’existence de produits distincts, la Commission fait valoir que la Cour et le Tribunal ont jugé que l’existence de fabricants indépendants spécialisés dans la production du produit lié indique déjà l’existence d’une demande distincte de la part des consommateurs et, partant, d’un marché distinct pour le produit lié. Cette approche serait également conforme à la jurisprudence américaine.

385
Troisièmement, les arguments de Microsoft visant à démontrer l’absence de coercition exercée sur les consommateurs auraient déjà été rejetés dans la Décision.

386
La Commission rejette enfin les arguments avancés par Microsoft à propos de ses deux autres moyens. Premièrement, s’agissant de la mention par Microsoft des obligations incombant à la Communauté en vertu de l’ADPIC, la Commission renvoie à ses développements concernant la mesure corrective prévue par l’article 5, sous a), de la Décision (voir point 195 ci-dessus). Deuxièmement, la Commission estime que la mesure corrective prévue par l’article 6, sous a), de la Décision est proportionnée dans la mesure où, d’une part, Microsoft conserve le droit de proposer une version de Windows couplée avec Windows Media Player et, d’autre part, même si certains clients choisissaient la version imposée par l’article 6, ils auraient encore la possibilité de compléter ce produit par Windows Media Player s’ils le souhaitaient.

Sur l’urgence

387
La Commission, soutenue sur ce point par RealNetworks et SIIA, ainsi que par CCIA antérieurement à son désistement, estime que Microsoft n’a pas démontré l’existence d’un préjudice grave et irréparable qui lui serait causé par l’exécution immédiate de la Décision.

Sur la mise en balance des intérêts

388
La Commission considère que la mise en balance des intérêts penche en faveur du rejet de la demande de Microsoft, notamment en ce qui a trait à l’intérêt du public au maintien, pour le moins, d’une concurrence effective. Le marché des lecteurs multimédias se rapprocherait du stade auquel il pourrait commencer à basculer. La Commission est soutenue sur ce point par RealNetworks et SIIA. La Commission ajoute à cet égard que l’exécution immédiate de la mesure corrective ne serait pas de nature à modifier radicalement la position de Microsoft sur le marché des lecteurs multimédias, mais permettrait simplement d’équilibrer la concurrence sur ce marché et donc de préserver le statu quo en ce qui concerne la structure dudit marché. Seule l’exécution immédiate de la mesure corrective pourrait préserver le choix des consommateurs et leur permettrait de tirer avantage de l’innovation dans les services multimédias numériques.

389
En ce qui concerne le risque de préjudices causés aux tiers, la Commission conteste les arguments tirés de prétentions que pourraient éventuellement faire valoir certains fabricants de logiciels, certains créateurs de sites Internet ou encore des fournisseurs de contenu. La Commission minimise également le risque de préjudice causé indirectement au secteur de l’informatique en général.

2.     Appréciation du juge des référés

a)     Sur le fumus boni juris

390
Aux termes de l’article 2, sous b), de la Décision, il est reproché à Microsoft d’avoir enfreint l’article 82 CE en « subordonnant la fourniture du système d’exploitation Windows pour PC clients à l’acquisition simultanée de Window[s] Media Player, de mai 1999 à la date de notification de la [Décision] ». Pour remédier à cette situation, l’article 4 de la Décision impose à Microsoft de mettre fin à cette infraction conformément aux dispositions de l’article 6 de la Décision. L’article 6, sous a), de la Décision impose à Microsoft de commercialiser une « version totalement fonctionnelle de son système d’exploitation Windows pour PC clients ne comprenant pas Windows Media Player ». La Décision précise cependant que « Microsoft conserve le droit de proposer son système d’exploitation Windows pour PC clients couplé avec Windows Media Player ».

391
Au soutien de sa conclusion selon laquelle la condition relative au fumus boni juris est satisfaite, Microsoft fait valoir une série d’arguments constituée en substance de cinq branches. Microsoft soutient, premièrement, que la Commission a appliqué dans la Décision une théorie spéculative ne reposant sur aucun fondement, deuxièmement, que les avantages découlant du concept architectural du système d’exploitation Windows auraient dû être davantage pris en considération par la Commission, troisièmement, que la Décision n’établit pas de violation de l’article 82 CE, quatrièmement, que la Décision ne prend pas suffisamment en compte les obligations imposées à la Communauté par l’ADPIC et, cinquièmement, que la mesure corrective imposée par la Décision est disproportionnée.

392
Au vu de l’argumentation développée par Microsoft dans le cadre de l’affaire en référé, les quatrième et cinquième branches de cette argumentation ne peuvent pas être considérées comme suffisamment sérieuses pour constituer un fumus boni juris.

393
En effet, la branche relative à la disproportion de la mesure corrective a été présentée de façon excessivement succincte par Microsoft dans sa demande. Microsoft a seulement indiqué à cet égard que « la mesure corrective imposée par la Décision [était] disproportionnée ». Microsoft n’explique pas, en particulier, en quoi la disproportion alléguée de la mesure imposée par l’article 6, sous a), de la Décision devrait être constatée par le Tribunal. Quant à la branche relative à une méconnaissance de l’ADPIC, elle n’a pas été développée de manière suffisante pour permettre au juge des référés de se prononcer utilement. En effet, d’une part, Microsoft s’est bornée à soutenir, dans sa demande en référé, que « la Décision ne pren[ait] pas suffisamment en compte les obligations imposées aux Communautés européennes par l’[ADPIC] ». D’autre part, le renvoi à l’argumentation développée dans l’annexe T.9 n’a pas été considéré conforme aux règles de forme applicables (voir point 88 ci-dessus).

394
Le juge des référés estime cependant que les autres arguments de Microsoft soulèvent des questions complexes qu’il appartient au Tribunal de résoudre dans l’affaire au principal et que lesdits arguments ne peuvent être considérés, dans le cadre de la procédure en référé, comme étant à première vue dépourvus de fondement.

395
En premier lieu, cette affaire soulève une question complexe concernant la première branche de l’argumentation de Microsoft, tirée en substance de l’application illégale, par la Commission, d’une nouvelle théorie en matière de ventes liées.

396
Par cette argumentation, Microsoft reproche en substance à la Commission d’avoir considéré que le marché des lecteurs multimédias allait « basculer » en sa faveur, sans pour autant essayer de concilier cette théorie avec les réalités du marché. Microsoft invoque notamment le fait, d’une part, que, pour les utilisateurs de PC clients fonctionnant avec Windows, il est facile de recourir à différents lecteurs multimédias utilisant différents formats et, d’autre part, que les fournisseurs de contenu ont recours à différents formats. La Décision s’appuierait, à cet égard, sur de simples suppositions.

397
Dans la Décision, afin de considérer que la vente de Windows Media Player conjointement à Windows constituait une vente liée prohibée par l’article 82 CE, premièrement, la Commission a considéré que Microsoft détenait une position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients (point 799), ce que ne conteste pas Microsoft. Deuxièmement, la Commission a estimé que les lecteurs multimédias permettant une lecture en continu et les systèmes d’exploitation pour PC clients constituaient des produits distincts (considérants 800 à 825). Troisièmement, la Commission a estimé que Microsoft ne permettait pas à ses clients de se procurer Windows sans Windows Media Player (considérants 826 à 834). Quatrièmement, la Commission a examiné l’existence d’effets d’exclusion sur le marché. À cet égard, il ressort du considérant 841 de la Décision que la Commission a répondu dans les termes suivants aux arguments de Microsoft selon lesquels la pratique dénoncée par la Commission n’avait pas de tels effets : « Il y a effectivement des circonstances qui justifient, pour ce qui est de la vente liée du lecteur [Windows Media Player], un examen plus attentif des effets que cette pratique produit sur la concurrence. Alors que, dans les cas classiques de ventes liées, la Commission et le juge communautaire ont estimé que la vente groupée d’un produit distinct avec le produit dominant était l’indice de l’effet d’exclusion que cette pratique avait sur les vendeurs concurrents, on ne saurait nier qu’en l’espèce les utilisateurs peuvent se procurer – ce qu’ils font d’ailleurs – d’autres lecteurs multimédias via Internet, parfois gratuitement. Il existe donc de bonnes raisons pour ne pas tenir pour acquis, sans un complément d’analyse, que la vente liée du lecteur Windows Media Player constitue un comportement susceptible, par nature, de restreindre la concurrence. » Par conséquent, eu égard aux caractéristiques du marché en cause, la Commission a reconnu la spécificité de l’espèce du point de vue de sa pratique antérieure et de ce qu’elle estimait refléter les principes développés par la jurisprudence communautaire en matière de ventes liées.

398
De ce fait, l’argumentation de Microsoft est susceptible de soulever une ou plusieurs questions de principe importantes pouvant affecter la légalité de l’analyse de la Commission. À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 91 ; arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, Rec. p. II‑2969, point 111).

399
Or, en l’espèce, la Commission a estimé, en substance, que l’effet anticoncurrentiel de la vente liée résultait d’« effets de réseau indirects ». Lesdits effets tiendraient au fait que la présence de Windows Media Player dans tous les systèmes d’exploitation distribués par Windows incite les fournisseurs de contenu et les fabricants d’applications à concevoir leurs produits sur la base de Windows Media Player (considérant 842). Aux fins de sa démonstration, la Commission s’est appuyée en grande partie sur des éléments factuels présents ou passés concernant les incitations des fournisseurs de contenu et des fabricants d’applications (considérants 879 à 896). Néanmoins, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 842 et 984 de la Décision, ces éléments viennent au soutien d’une analyse au moins partiellement prospective quant aux risques pour la concurrence résultant de la pratique sanctionnée.

400
Certes, ainsi que l’a noté la Commission, aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 82 CE, il suffit de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est de nature à, ou susceptible de, avoir un tel effet (arrêts Michelin/Commission, point 383 supra, point 239, et British Airways/Commission, point 383 supra, point 293). La présente affaire pose néanmoins la question complexe de savoir si la Commission peut, et, dans l’affirmative, dans quelles conditions, se fonder sur un probable « basculement » du marché pour sanctionner une vente liée pratiquée par une entreprise dominante lorsque, le cas échéant, ce comportement n’est pas susceptible, par nature, de restreindre la concurrence.

401
En deuxième lieu, une question importante se pose dans le cadre de l’examen de l’argumentation de Microsoft selon laquelle la Commission aurait dû prendre davantage en compte les effets positifs du « concept architectural » du système d’exploitation Windows. Cette argumentation pourrait, en effet, amener le Tribunal, dans le cadre de l’affaire au principal, à examiner les conditions dans lesquelles l’existence d’une justification objective peut être de nature à permettre de conclure qu’une pratique de vente liée ayant des effets anticoncurrentiels n’est pas prohibée par l’article 82 CE. La résolution de cette question délicate justifie à première vue d’examiner si des effets positifs éventuels liés à la standardisation croissante de certains produits peuvent constituer une justification objective ou si, comme le soutient la Commission, les effets positifs de la standardisation ne peuvent être admis que lorsqu’ils résultent du jeu du processus concurrentiel ou de décisions d’organismes de normalisation.

402
En troisième lieu, au-delà des questions de principe que soulève l’examen de ces deux branches, Microsoft conteste la portée des prémisses factuelles sur lesquelles l’analyse de la Commission est fondée. Elle soutient en particulier, s’agissant de la première branche de son argumentation, que l’analyse de la Commission relative à l’existence d’« effets de réseau indirects » est contredite par le fait que les fournisseurs de contenu continuent de recourir à des formats différents. À cet égard, il convient de constater que la Commission n’a pas contesté que tel était le cas, au moins dans une certaine mesure. Or, c’est au Tribunal qu’il appartient de se prononcer, dans le cadre de l’affaire au principal, sur ces questions factuelles et sur les conséquences qu’il convient d’en tirer, le cas échéant, quant à la validité de l’analyse de la Commission.

403
En quatrième lieu, l’argumentation de Microsoft selon laquelle « Windows et sa fonctionnalité multimédia » ne constituent pas deux produits distincts aux fins de l’application de l’article 82 CE en matière de ventes liées ne saurait, dans le cadre de la procédure en référé, être considérée comme étant à première vue dépourvue de fondement, eu égard notamment au fait que Microsoft et d’autres fabricants intègrent depuis de nombreuses années certaines fonctionnalités multimédias dans leurs systèmes d’exploitation pour PC clients.

404
Les trois premières branches des arguments de Microsoft soulèvent donc plusieurs questions importantes, notamment au regard des appréciations économiques complexes qu’elles impliquent en droit comme en fait. Le juge des référés estime que les arguments de Microsoft ne sauraient, dans le cadre de la procédure en référé, être considérés comme étant à première vue dépourvus de fondement, de sorte que la condition relative au fumus boni juris est satisfaite.

b)     Sur l’urgence

405
Microsoft soutient que l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision portera atteinte, de manière irréversible, à la valeur de la plateforme Windows, ce qui lui causerait deux types de préjudices graves et irréparables. Ces deux préjudices doivent être appréciés de façon distincte.

Sur l’atteinte alléguée au « concept architectural de base » du système d’exploitation Windows

406
L’article 6, sous a), de la Décision impose à Microsoft de concevoir et de mettre sur le marché un produit qu’elle ne commercialise pas actuellement et dont elle indique qu’il n’est pas compatible avec un élément fondamental de sa politique commerciale. Plus particulièrement, Microsoft soutient que l’article 6, sous a), de la Décision cause une atteinte au « concept architectural de base » du système d’exploitation Windows. En substance, Microsoft invoque ainsi une atteinte à sa liberté commerciale.

407
À cet égard, il ressort du dossier que Microsoft commercialise depuis de nombreuses années un système d’exploitation dont elle estime qu’il propose à ses utilisateurs des fonctionnalités communes, étendues de façon progressive et incluant, notamment, depuis 1992, certaines fonctionnalités multimédias. Il ressort en outre suffisamment clairement du dossier que Microsoft s’efforce de faire en sorte, du moins de façon générale, que la dernière version commercialisée de son système d’exploitation Windows à usage général permette le fonctionnement des applications conçues pour ses versions antérieures.

408
Or, il convient de souligner que l’exécution de la Décision imposerait à Microsoft de commercialiser un système d’exploitation sans certaines fonctionnalités multimédias dont elle estime qu’elles en font partie intégrante. La Décision porte donc atteinte à la liberté commerciale de Microsoft. En outre, certaines applications conçues pour fonctionner sur l’ensemble constitué de Windows et de Windows Media Player pourraient ne pas fonctionner de façon satisfaisante dans la version imposée par l’article 6, du moins dans l’hypothèse où cette dernière reste dépourvue de tout lecteur multimédia.

409
À cet égard, le juge des référés rappelle que, au regard du principe du libre exercice des activités professionnelles, qui, selon la jurisprudence constante de la Cour (arrêts de la Cour du 13 décembre 1979, Hauer, 44/79, Rec. p. 3727, points 31 à 33, et du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil, C‑184/02 et C‑223/02, Rec. p. I‑7789, point 51), fait partie des principes généraux du droit communautaire, les entreprises actives sur le territoire de la Communauté sont libres, en principe, de choisir la politique commerciale qu’elles estiment appropriée. Cela implique, notamment, qu’il revient en principe à chaque entreprise de décider librement de la nature et des propriétés des produits qu’elle entend mettre sur le marché. Il ne saurait cependant être considéré qu’une atteinte à la politique commerciale d’une entreprise constitue toujours pour cette dernière un préjudice grave et irréparable aux fins d’une demande en référé. C’est ainsi au regard des circonstances de chaque affaire que le caractère éventuellement grave et irréparable d’une atteinte à la liberté commerciale d’une entreprise doit être apprécié (voir point 292 ci-dessus).

410
Or, dans les circonstances de l’espèce, force est de retenir que l’atteinte à la liberté commerciale de Microsoft, lorsqu’elle est envisagée en tant que telle et indépendamment de ses effets concrets sur le marché, ne saurait être considérée comme étant irréparable. En effet, s’il n’est pas tenu compte des conséquences que la Décision pourrait entraîner sur le marché avant l’annulation éventuelle de la Décision, il n’apparaît pas que, dans l’hypothèse où Microsoft aurait gain de cause au principal, elle serait dans l’impossibilité d’appliquer de nouveau son « concept architectural de base » à tous les produits qu’elle commercialisera après cette annulation. Par conséquent, dans cette hypothèse, même à supposer que Microsoft ait démontré que la seule atteinte à sa liberté commerciale constitue un préjudice grave, ce dernier n’apparaîtrait pas comme étant irréparable.

411
Il convient néanmoins d’examiner si l’atteinte à la liberté commerciale de Microsoft est susceptible de causer, au regard de ses conséquences concrètes sur le marché durant la période allant jusqu’à l’arrêt au principal, un dommage grave et irréparable pour cette entreprise. À cet égard, il y a lieu de tenir compte des conséquences qui pourraient résulter pour Microsoft, premièrement, de la conception de la version imposée par l’article 6, deuxièmement, de la mise sur le marché de cette version et, troisièmement, de la possibilité qu’elle soit achetée par les clients de Microsoft.

412
En premier lieu, Microsoft a soutenu durant l’audition que, même dans l’hypothèse où la version imposée par l’article 6 ne serait pas achetée dans des quantités significatives, il serait porté atteinte à son « concept », au regard notamment de l’« exercice futile » que constituerait la conception de la version imposée par l’article 6.

413
Pour autant que Microsoft fasse par là même référence à la nécessité de concevoir la version imposée par l’article 6, elle n’aurait pas apporté de précisions suffisantes sur les inconvénients qui résulteraient de cette obligation. À titre surabondant, il y a d’ailleurs tout lieu de penser que le préjudice subi de ce fait par Microsoft se traduirait pour l’essentiel en coûts de développement. Or, à défaut de démonstration contraire, un tel dommage constituerait un préjudice d’ordre financier, lequel, sauf circonstances exceptionnelles qui ne sont pas réunies en l’espèce, ne constitue pas un préjudice irréparable (ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C‑213/91 R, Rec. p. I‑5109, point 24 ; ordonnance du président du Tribunal du 28 mai 2001, Poste Italiane/Commission, T‑53/01 R, Rec. p. II‑1479, point 119).

414
En deuxième lieu, pour autant que l’argumentation de Microsoft doive être comprise comme signifiant qu’elle subirait un préjudice du simple fait qu’elle devrait mettre sur le marché la version imposée par l’article 6, et ce indépendamment de l’achat effectif de cette version, Microsoft n’aurait pas apporté de précisions suffisantes sur la nature, la gravité et le caractère irréparable de ces prétendus inconvénients. Pour autant que l’argumentation de Microsoft doive être comprise comme signifiant qu’il serait porté atteinte à sa réputation, elle sera examinée conjointement au second chef de préjudice invoqué par elle (voir points 442 à 475 ci-après).

415
Durant l’audition, Microsoft a néanmoins ajouté que, même dans l’hypothèse où il n’y aurait pas de demande pour la version imposée par l’article 6, il en résulterait une certaine incertitude pour les tiers, en particulier les fournisseurs de contenu. En effet, ceux-ci ne connaîtraient pas le nombre de versions imposées par l’article 6 diffusées. Cela causerait, selon Microsoft, une baisse d’attrait pour Windows.

416
À cet égard, il convient de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un dommage grave et irréparable soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire (voir jurisprudence citée au point 240 ci‑dessus). Par conséquent, pour autant que l’incertitude invoquée par Microsoft puisse causer un préjudice à des tiers, elle ne peut pas être prise en compte au titre de l’urgence (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 6 mai 1988, Union des producteurs de cédrats de Crète/Commission, 112/88 R, Rec. p. 2597, point 20). Il convient cependant d’examiner les arguments de Microsoft selon lesquels l’incertitude créée chez les tiers produirait, en retour, une baisse d’attrait de sa plateforme.

417
Tout d’abord, Microsoft ne fournit ni précisions ni éléments de preuve permettant d’apprécier la nature exacte, l’existence, la gravité et le caractère irréparable de la baisse d’attrait pour Windows qui serait causée par cette prétendue incertitude. À supposer en particulier que la baisse d’attrait invoquée par Microsoft signifie que certains tiers dépendant « de la stabilité de Windows » pourraient décider, en raison de la commercialisation de la version imposée par l’article 6, de ne plus concevoir leurs produits pour cette plateforme, Microsoft ne fournit pas de preuves suffisantes pour démontrer qu’un tel choix pourrait être effectué par ces opérateurs dans des proportions significatives.

418
Sur ce point, le juge des référés relève à titre surabondant qu’aucune des parties intervenues au soutien des conclusions de Microsoft n’a soutenu qu’elle pourrait, du fait de l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision, cesser de concevoir ses produits pour la plateforme Windows. En effet, ces parties ont indiqué que l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision risquait de leur causer un préjudice, notamment en ce qu’elle les amènerait à devoir choisir de s’adapter ou non à l’incertitude créée sur le marché. En revanche, d’une part, la possibilité qu’elles choisissent de ne pas adapter leurs produits à la version imposée par l’article 6 reste, à ce stade, très largement hypothétique. D’autre part, à supposer même que la probabilité que ces opérateurs n’adaptent pas leurs produits à la version imposée par l’article 6 ait été prouvée à suffisance de droit, comme le souligne la Commission, cela ne prouverait pas qu’ils cesseraient pour autant de concevoir leurs produits pour la version de Windows comprenant Windows Media Player. De fait, aucune des parties intervenant au soutien de Microsoft n’a soutenu qu’elle pourrait être amenée, en raison de la Décision, à concevoir ses produits pour un autre système d’exploitation. Il n’est donc pas démontré que la baisse d’attrait de Windows, ne fût-ce qu’à l’égard de ces seules parties intervenantes, pourrait être significative pour Microsoft en pratique.

419
Enfin, Microsoft n’a à aucun moment démontré de façon concrète que l’incertitude concernant l’uniformité de la plateforme Windows causerait une baisse d’attrait auprès des consommateurs finals ou de ses clients.

420
En troisième lieu, il convient d’examiner les conséquences résultant pour Microsoft de la possibilité que la version imposée par l’article 6 soit achetée dans des quantités significatives.

421
À cet égard, il y a lieu de constater, à titre préliminaire, que la mesure corrective visée à l’article 4 et à l’article 6, sous a), de la Décision vise à ce qu’il soit mis fin à l’infraction constatée par la Commission et ne préjuge pas les évolutions futures du marché. Comme la Commission l’a noté lors de l’audition, la mesure corrective n’exclut pas la possibilité que Windows Media Player, eu égard à ses propres mérites et par le jeu d’une concurrence qui, selon la Commission, serait restaurée, continue en pratique à être toujours acheté avec le système d’exploitation de Microsoft.

422
En outre, Microsoft exprime pour sa part des doutes sérieux quant à la probabilité que la version imposée par l’article 6 soit vendue dans des quantités significatives.

423
Il ressort à cet égard des points 69 et 70 de la Décision que les systèmes d’exploitation pour PC clients sont commercialisés essentiellement dans deux circuits de distribution, c’est-à-dire, d’une part, la distribution aux consommateurs finals et, d’autre part, la distribution aux équipementiers, qui assemblent les PC clients et, en général, y installent un système d’exploitation.

424
Or, dans ses observations sur les mémoires en intervention, Microsoft a indiqué que, s’agissant de la distribution aux utilisateurs finals, « [o]n voit difficilement quels avantages un client de ce canal pourrait retirer de l’obtention d’une version [imposée par l’article 6] plutôt que d’une version complète de Windows puisque les deux seraient offertes au même prix ». Dans ces mêmes observations, Microsoft précise qu’« il est […] difficile d’imaginer comment un utilisateur final doué de bon sens pourrait opter pour une pareille version ».

425
S’agissant, par ailleurs, des équipementiers, Microsoft indique qu’« il est parfaitement concevable qu’un éditeur de lecteurs multimédias tiers cherche à encourager un équipementier, moyennant compensation financière, à prendre en licence la version [imposée par l’article 6] et de la lier, de manière exclusive, à son lecteur multimédia ». Cependant, Microsoft reproche ensuite à la Commission de ne pas avoir analysé la mesure dans laquelle les équipementiers seraient disposés à conclure de tels accords. Elle ajoute que « [l]e fait que les équipementiers installent actuellement plusieurs lecteurs multimédias et qu’aucun éditeur de lecteurs multimédias ne semble avoir rémunéré les équipementiers afin de retirer tout accès visible au Windows Media Player […] suggère que les éditeurs de lecteurs multimédias ne sont pas suffisamment intéressés par la conclusion d’accords exclusifs payants en vue de persuader les équipementiers de choisir la version [imposée par l’article 6] ». De plus, lors de l’audition, même si elle a continué à envisager la possibilité que certains de ses concurrents puissent conclure des accords d’exclusivité avec les équipementiers, Microsoft a réitéré ses doutes quant au caractère potentiellement significatif des ventes de la version imposée par l’article 6.

426
Il y a donc lieu de constater que Microsoft doute sérieusement de la possibilité que la version imposée par l’article 6 puisse être vendue dans des quantités significatives.

427
Or, il est de jurisprudence constante que c’est à la partie qui sollicite la mesure provisoire qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice grave et irréparable (voir jurisprudence citée au point 240 ci-dessus). Dans ce contexte, il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, que ce préjudice soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (ordonnance Allemagne/Conseil, point 241 supra, points 22 et 34, et ordonnance HFB e.a./Commission, point 241 supra, point 67). Le requérant demeure cependant tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage grave et irréparable (ordonnance HFB e.a./Commission, point 241 supra, point 67).

428
En l’espèce, à défaut de présentation par Microsoft d’éléments de preuve suffisants pour procéder en sens contraire, il n’appartient pas au juge des référés de préjuger l’effet que la mesure corrective imposée par l’article 6, sous a), de la Décision aura sur le marché. Force est donc de constater que, comme Microsoft semble elle-même en convenir, la possibilité que les ventes de la version imposée par l’article 6 puissent atteindre des niveaux significatifs reste, à ce stade et au regard des éléments de preuve dont dispose le juge des référés, très largement hypothétique.

429
La prémisse sur laquelle repose, dans cette hypothèse, le préjudice allégué par Microsoft ne saurait donc être considérée comme démontrée.

430
En tout état de cause, même à supposer que Microsoft ait démontré à suffisance de droit la probabilité que la version imposée par l’article 6 soit vendue dans des quantités significatives, il convient de noter que, comme le soutient la Commission, Microsoft n’invoque pas en l’espèce une évolution irréversible du marché résultant de ces ventes. Microsoft aurait en effet la possibilité, en cas d’annulation de la Décision, de reprendre la commercialisation de la seule version de Windows avec Windows Media Player et donc d’appliquer, de nouveau et de façon exclusive, ce qu’elle estime être le « concept architectural de base » du système d’exploitation Windows. Il n’est pas démontré qu’il existerait des obstacles de nature à empêcher Microsoft de retrouver la position qu’elle occupait sur le marché antérieurement à l’exécution de la mesure corrective.

431
En dépit de ces éléments, Microsoft soutient qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable pour deux raisons distinctes.

432
En premier lieu, selon Microsoft, « les avantages résultant de l’uniformité de la plateforme Windows seraient irréversiblement perdus ». Microsoft ajoute que le préjudice causé ne serait pas réparé par une annulation de la Décision, car, d’une part, « les ingénieurs de Microsoft devraient partir du principe que pour le moins quelques copies de Windows distribuées dans l’EEE seront dépourvues de fonctionnalité multimédia », ce qui leur imposerait de « tenir compte de l’existence de deux versions pendant de nombreuses années ».

433
Cependant, Microsoft ne précise pas suffisamment en quoi l’obligation qui pèserait sur ses ingénieurs affecterait ou rendrait impossible la reprise de son « concept architectural de base » après l’annulation éventuelle de la Décision. Ainsi, Microsoft n’explique pas tout d’abord en quoi, après l’annulation éventuelle de la Décision, elle serait empêchée de distribuer, de nouveau de façon exclusive, la version de Windows avec Windows Media Player.

434
Microsoft semble ensuite considérer que le préjudice invoqué par elle ne serait pas illimité dans le temps, puisque selon elle il serait constaté « pendant de nombreuses années ».

435
En outre, Microsoft ne fournit pas d’éléments de preuve permettant d’évaluer à suffisance de droit la gravité du préjudice résultant des efforts supplémentaires que ses concepteurs devraient mettre en œuvre afin de tenir compte de l’existence de deux versions. En l’absence de précisions à cet égard, il y a d’ailleurs tout lieu de penser que ces efforts se traduiraient par des coûts supplémentaires et, par conséquent, par un préjudice financier qui, sauf circonstances exceptionnelles non réunies en l’espèce, ne constitue pas un préjudice irréparable (ordonnances Abertal e.a./Commission, point 413 supra, point 24, et Poste Italiane/Commission, point 413 supra, point 119).

436
Enfin, Microsoft ne démontre pas non plus en quoi il lui serait impossible ou, à tout le moins, irréparablement et gravement préjudiciable, dans l’hypothèse où l’article 4 et l’article 6, sous a), de la Décision seraient annulés, de ne plus tenir compte de l’existence des copies de la version imposée par l’article 6 déjà commercialisées.

437
Le premier chef de préjudice invoqué par Microsoft ne saurait donc fonder la perspective d’un dommage grave et irréparable.

438
En second lieu, Microsoft soutient que « les tiers qui dépendent de la stabilité et de la cohérence de la plateforme Windows » devraient également tenir compte de l’existence de deux versions pendant plusieurs années, « ce qui augmenterait leurs coûts et réduirait l’attrait pour Windows de manière continue ».

439
À cet égard, il convient de réitérer, dans ce contexte, les observations faites aux points 421 à 428 ci-dessus. Il n’est pas démontré qu’il existe en pratique un risque suffisamment important, même dans l’hypothèse où la version imposée par l’article 6 serait vendue dans des quantités significatives, que les opérateurs qui conçoivent actuellement leurs produits pour Windows cesseraient d’agir en ce sens ou que les consommateurs, clients et autres opérateurs dont Microsoft estime qu’ils dépendent de la stabilité de Windows pourraient diminuer leurs achats ou leur usage de ce produit.

440
Enfin, s’agissant des deux chefs de préjudice invoqués par Microsoft, outre le constat déjà effectué au point 430 ci-dessus, le juge des référés estime, en tout état de cause, que la Commission a fait état d’éléments convaincants permettant de démontrer que, après l’annulation éventuelle de la Décision, Microsoft aurait la possibilité d’utiliser certains mécanismes, notamment de mise à jour de son système d’exploitation, afin de distribuer Windows Media Player et, par conséquent, de rétablir au moins dans une très large mesure le couplage de Windows Media Player et de son système d’exploitation. Microsoft et les parties intervenues au soutien de ses conclusions n’ont pas contredit ces affirmations de façon suffisamment circonstanciée pour que puisse être écartée la forte probabilité que Microsoft puisse diffuser Windows Media Player dans des proportions tout à fait suffisantes pour éviter le préjudice grave qu’elle invoque.

441
Il y a donc lieu de conclure que Microsoft n’a pas démontré que l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision lui causerait un préjudice grave et irréparable du fait de l’atteinte à son « concept architectural de base » ou, plus généralement, en raison d’une atteinte à sa liberté commerciale.

Sur l’atteinte alléguée à la réputation de Microsoft

442
Microsoft soutient que l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision portera atteinte à sa réputation en tant que « concepteur de produits logiciels de qualité », essentiellement en raison des dysfonctionnements dont sera affectée, selon Microsoft, la version imposée par l’article 6.

443
En l’espèce, le préjudice allégué par Microsoft repose en grande partie sur la prémisse selon laquelle la version imposée par l’article 6 de Windows affectera le fonctionnement, d’une part, d’applications et de sites Internet faisant appel à certaines fonctionnalités de Windows Media Player et, d’autre part, de certains éléments du système d’exploitation Windows lui-même.

444
Il convient donc, en premier lieu, d’évaluer dans quelle mesure les problèmes invoqués par Microsoft existent et, le cas échéant, s’ils ne pourraient être évités aisément.

445
À cet égard, il convient de constater tout d’abord que, en réponse aux questions posées par le juge des référés, la Commission a indiqué que selon elle un produit présentant les caractéristiques mentionnées par Microsoft – c’est-à-dire un produit qui ne permettrait pas au système d’exploitation de faire appel aux fonctionnalités mentionnées par Microsoft comme déficientes – constituerait une version « totalement fonctionnelle » de Windows, au sens de l’article 6, sous a), de la Décision, à la condition que lesdites fonctionnalités soient bien celles qui sont normalement offertes par Windows Media Player.

446
Il convient ensuite d’examiner séparément, d’une part, les problèmes qui, selon Microsoft, affecteraient le fonctionnement du système d’exploitation Windows et, d’autre part, ceux qui, selon Microsoft, affecteraient le fonctionnement de certaines applications et de certains sites Internet.

447
S’agissant, d’une part, des problèmes qui, selon Microsoft, affecteraient le fonctionnement du système d’exploitation Windows, RealNetworks a réalisé et produit une série de tests afin de démontrer qu’ils peuvent être résolus par l’installation d’un lecteur multimédia d’une entreprise tierce. Microsoft ne conteste pas que cela soit le cas pour une partie des problèmes invoqués, mais soutient néanmoins que des problèmes non résolus persisteraient et que la mesure dans laquelle il pourrait y être remédié dépendrait du lecteur multimédia installé.

448
Au regard des éléments produits par les parties, le juge des référés estime qu’il n’a pas été démontré que les lecteurs multimédias d’entreprises tierces pourraient garantir, en toutes circonstances, un remplacement complet des fonctionnalités identifiées par Microsoft. Le remplacement de ces dernières dépend en effet étroitement des possibilités techniques du lecteur multimédia installé. En revanche, l’installation d’un tel lecteur multimédia pourrait permettre de remplacer dans une assez large mesure ces diverses fonctionnalités.

449
S’agissant, d’autre part, des problèmes concernant l’utilisation de certaines applications et de certains sites Internet, au regard des éléments de preuve fournis par les parties intervenues au soutien des conclusions de la Commission, il convient également de noter que les fonctionnalités en cause peuvent être remplacées dans une large mesure par l’installation de lecteurs multimédias d’entreprises tierces. En outre, les concepteurs de sites Internet et d’applications qui reposent actuellement sur Windows Media Player devraient être fortement incités, même si cela pourrait avoir un coût pour eux, à encourager les utilisateurs à télécharger ce logiciel ou à le diffuser eux-mêmes grâce aux licences habituellement consenties à cet effet par Microsoft.

450
Or, les éléments mentionnés aux trois points précédents diminuent substantiellement la probabilité que les problèmes invoqués par Microsoft puissent être constatés par les consommateurs finals.

451
Dans ses observations sur les mémoires en intervention et lors de l’audition, Microsoft a certes soutenu que les problèmes allégués n’ont pu être résolus, dans les tests réalisés par RealNetworks, qu’au prix de l’installation de certains codes de Windows Media Player. Ce point n’a pas été contredit formellement par la Commission et par RealNetworks s’agissant des problèmes concernant le fonctionnement de certaines applications et de certains sites Internet. RealNetworks a néanmoins précisé que l’installation de ces codes avait été réalisée par les applications elles-mêmes ou, s’agissant des sites Internet, au moyen d’un mécanisme de téléchargement disponible sur ces sites. Les parties s’accordent donc en partie sur l’argumentation de Microsoft. Néanmoins, celle-ci reste en tout état de cause sans conséquences sur l’appréciation de l’urgence à ordonner le sursis à exécution demandé. En effet, il n’importe pas en l’espèce que certains des problèmes allégués par Microsoft ne puissent être réparés qu’au prix de l’installation, par l’application en cause ou par le biais du site Internet eux-mêmes, de certains codes de Windows Media Player, voire, le cas échéant, des codes de Windows Media Player dans leur intégralité, si cette installation peut résoudre effectivement une part suffisante des problèmes allégués par Microsoft.

452
Est également sans pertinence l’argumentation de Microsoft selon laquelle la réinstallation différenciée de certains codes de Windows Media Player causerait des problèmes de sécurité ou de stabilité de la version imposée par l’article 6. En effet, Microsoft n’a pas apporté de preuves permettant de démontrer que l’installation éventuelle de codes anciens de Windows Media Player pourrait causer une instabilité du système d’exploitation Windows ou que d’autres problèmes du même type pourraient être constatés. Enfin, pour autant que Microsoft entende que l’ajout de codes distincts sur les diverses copies des versions imposées par l’article 6 remet en cause l’uniformité de sa plateforme, elle n’ajoute rien à l’argumentation concernant l’atteinte à son « concept architectural de base » qui a déjà été écartée (voir points 406 à 441 ci-dessus).

453
Il n’est donc pas démontré que les problèmes invoqués par Microsoft ne pourraient pas être évités au moins dans une large mesure.

454
En deuxième lieu et en tout état de cause, pour autant que certains des problèmes allégués par Microsoft subsistent, force est de constater qu’elle ne produit pas devant le juge des référés d’éléments de preuve permettant de démontrer à suffisance de droit que les consommateurs finals ou, plus généralement, ses clients associeraient l’absence ou le mauvais fonctionnement éventuels de ces fonctionnalités à un dysfonctionnement non prévu du produit de Microsoft plutôt qu’aux conséquences normales de l’absence d’un lecteur multimédia et, plus spécifiquement, de Windows Media Player. En effet, même à supposer que l’intégralité des problèmes mentionnés par Microsoft existent et ne puissent être évités, Microsoft n’a pas prouvé qu’il lui serait impossible ou interdit par la Décision d’avertir ses clients des caractéristiques objectives de la version imposée par l’article 6 et de les amener ainsi à faire des choix en toute connaissance de cause.

455
À cet égard, Microsoft a certes soutenu qu’il lui serait impossible d’effectuer les tests lui permettant d’identifier tous les défauts de la version imposée par l’article 6 et, notamment, toutes les applications qui ne fonctionneraient pas sur cette version. Microsoft n’a cependant fourni aucun élément de preuve permettant d’évaluer l’impossibilité de réaliser ces tests pour les problèmes causés, selon elle, à son système d’exploitation. S’agissant ensuite des tests nécessaires pour évaluer le bon fonctionnement de certaines applications et de certains sites Internet, Microsoft n’a pas démontré en quoi le simple fait pour ses clients de savoir que Windows Media Player n’est pas présent sur la version imposée par l’article 6 ne suffirait pas à les informer de la possibilité que certaines applications et certains sites Internet s’appuyant sur les fonctionnalités de Windows Media Player puissent ne pas fonctionner de façon adéquate.

456
Plus généralement, il convient de souligner que la Commission a expressément indiqué que, selon elle, Microsoft a le droit d’informer ses clients de l’absence de Windows Media Player dans la version imposée par l’article 6. Or, Microsoft n’a pas démontré que cette seule connaissance serait insuffisante pour permettre à ses clients de comprendre les conséquences éventuelles de leur choix quant à la disponibilité de certaines fonctionnalités multimédias.

457
De fait, s’agissant de la distribution directe de ses produits aux consommateurs finals, si Microsoft soutient que peu d’entre eux comprennent la façon dont les applications Windows font appel aux fonctionnalités multimédias, elle n’apporte cependant aucun élément de preuve permettant d’étayer ses allégations et d’apprécier l’étendue réelle de l’ignorance des consommateurs.

458
Par ailleurs, s’agissant de la distribution aux équipementiers, il y a tout lieu de penser qu’ils constituent des acheteurs particulièrement avisés et qu’ils peuvent donc effectuer des choix de façon éclairée. Si, par conséquent, la version imposée par l’article 6 présente les problèmes irrémédiables invoqués par Microsoft, il y a tout lieu de penser, en l’absence de preuves contraires, soit qu’elle ne sera tout simplement pas achetée par ces équipementiers, soit qu’ils l’achèteront en toute connaissance de cause et donc sans préjudice pour Microsoft.

459
Dans ces conditions, il n’est pas démontré que le fait pour un client de Microsoft, quel qu’il soit, de choisir la version imposée par l’article 6 et de se trouver confronté aux problèmes invoqués par Microsoft serait susceptible d’altérer la réputation de cette entreprise.

460
En troisième lieu, même en supposant qu’il ait été démontré à suffisance de droit, d’une part, que tous les problèmes allégués par Microsoft ne pourraient pas être évités et, d’autre part, que les clients et consommateurs ne pourraient pas faire un choix éclairé, Microsoft n’a pas avancé d’éléments de preuve permettant d’évaluer la gravité réelle de ces défauts et, en particulier, la mesure dans laquelle ils pourraient, concrètement, avoir des effets sur sa réputation auprès des différents opérateurs du secteur.

461
Microsoft ne produit pas en effet d’éléments de preuve permettant de démontrer que les défauts identifiés par elle seraient susceptibles d’affecter de façon substantielle la perception des consommateurs finals et des équipementiers. Microsoft ne produit en particulier aucun élément de preuve concernant la façon dont ces opérateurs appréhendent les fonctionnalités qu’elle décrit dans sa demande comme étant déficientes. À cet égard, Microsoft a mentionné à plusieurs reprises l’exemple du répertoire « My Music », qui offre une vue détaillée des fichiers enregistrés sur le disque dur d’un PC client et, plus particulièrement, de certains contenus multimédias numériques. Selon Microsoft, la version imposée par l’article 6 ne permettrait pas une telle vue détaillée, avec ou sans lecteur multimédia concurrent. Néanmoins, Microsoft ne produit aucun élément de preuve permettant au juge des référés d’évaluer la probabilité que ce problème soit perçu de façon suffisamment courante par les consommateurs finals. Microsoft ne démontre pas non plus que ce problème, à supposer qu’il soit couramment perçu, serait susceptible d’affecter sa réputation de façon significative. Dès lors, en l’absence de preuves suffisantes quant à l’importance effective des fonctionnalités en cause pour les consommateurs finals et quant à leurs attentes, le juge des référés est dans l’incapacité d’évaluer les conséquences réelles des problèmes invoqués par Microsoft sur sa réputation.

462
Par ailleurs, Microsoft n’a pas non plus prouvé que l’exécution de l’article 4 et de l’article 6, sous a), de la Décision aurait des effets significatifs sur sa réputation auprès des autres opérateurs économiques que ses clients et, notamment, sur sa réputation auprès des concepteurs de sites Internet et des fabricants d’applications. Il est d’ailleurs significatif de constater à cet égard qu’aucune des parties intervenues au soutien de Microsoft n’a indiqué que sa propre perception de cette entreprise pourrait être altérée ou qu’elle pourrait ne plus concevoir ses produits en vue de leur utilisation avec ceux de Microsoft.

463
En quatrième lieu, il n’apparaît pas que Windows Media Player ne serait pas aisément disponible et ne pourrait pas être installé facilement dans la version imposée par l’article 6. En conséquence, même à supposer que certains consommateurs ou clients ne fassent pas un choix éclairé et qu’il en résulte de leur part un certain mécontentement, Microsoft n’a pas démontré en quoi il ne pourrait y être mis fin aisément en les informant de la possibilité qu’ils ont de se procurer ultérieurement Windows Media Player.

464
En cinquième lieu, toujours en supposant que les défauts allégués soient prouvés à suffisance de droit et irrémédiables, la gravité de l’atteinte à la réputation de Microsoft dépendrait dans une large mesure de la diffusion effective de la version imposée par l’article 6. Or, il y a lieu de réitérer, dans ce contexte, le constat déjà effectué (voir points 421 à 428 ci-dessus) et selon lequel, d’une part, à défaut d’éléments de preuve suffisants, il n’appartient pas au juge des référés de préjuger les effets sur le marché de la mesure corrective et, d’autre part, Microsoft elle‑même exprime des doutes quant à l’importance des ventes de la version imposée par l’article 6 et n’allègue pas un risque d’évolution irréversible sur le marché.

465
En sixième lieu, même à supposer que, en dépit de tout ce qui précède, Microsoft ait démontré à suffisance de droit un risque d’atteinte grave à sa réputation, elle n’aurait pas pour autant démontré qu’il existe des obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchant de mettre en œuvre les mesures de publicité qui lui permettraient de rétablir sa réputation.

466
Microsoft n’a donc pas réussi à démontrer que l’exécution de l’article 4 et de l’article 6, sous a), de la Décision est susceptible de causer un préjudice grave et irréparable à sa réputation.

467
Microsoft invoque cependant l’existence d’un préjudice à sa réputation sous deux aspects supplémentaires et plus spécifiques, à savoir, d’une part, une atteinte à ses marques et, d’autre part, une atteinte à son droit d’auteur.

–     Sur l’atteinte alléguée aux marques de Microsoft

468
S’agissant, en premier lieu, de l’atteinte aux marques de Microsoft, pour autant qu’elle soit censée causer une atteinte à sa réputation, ou résulter de ladite atteinte, notamment du fait de la mauvaise qualité de la version imposée par l’article 6, cette argumentation doit être écartée pour les motifs déjà exposés aux points 454 à 459 ci-dessus. En effet, Microsoft n’a pas démontré, notamment, que les défauts allégués, même à supposer qu’ils existent, affecteraient de façon négative et significative la perception des consommateurs finals. Il convient donc d’écarter notamment l’argumentation développée dans l’« Opinion sur le droit des marques » (annexe R.6) jointe à la demande de Microsoft.

469
En outre, pour autant que l’argumentation de Microsoft signifie que sa marque Windows ne garantirait plus la présence de son « concept de base », le juge des référés rappelle que la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance. Pour que la marque puisse jouer son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité CE entend établir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qui en sont revêtus ont été fabriqués sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (voir, notamment, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Björnekulla Fruktindustrier, C‑371/02, Rec. p. I‑5791, point 20). Pour autant que la marque permettrait de garantir la présence de certaines caractéristiques objectives d’un produit, ainsi que Microsoft semble le soutenir, le juge des référés ne dispose de toutes façons pas d’éléments de preuve permettant d’apprécier avec suffisamment de précision, au‑delà de la perception que Microsoft a de son « concept de base » et de sa marque, la façon dont cette dernière est effectivement perçue par les clients sur le marché en cause. Tel est le cas, en particulier, des éléments permettant d’apprécier, du point de vue desdits clients, les caractéristiques objectives qui pourraient y être associées, ainsi que, le cas échéant, la gravité réelle d’une variation desdites caractéristiques.

470
En tout état de cause, dès lors que, d’une part, en cas d’annulation de l’article 6, sous a), de la Décision, Microsoft aura la possibilité de commercialiser, de nouveau et de façon exclusive, la version de Windows avec Windows Media Player et que, d’autre part, Microsoft n’a pas démontré qu’il lui serait impossible de mettre en œuvre, le cas échéant, des mesures de publicité appropriées, elle n’a pas démontré que le préjudice allégué à sa marque, à le supposer établi et grave, serait irréparable.

–     Sur l’atteinte alléguée au droit d’auteur de Microsoft

471
S’agissant, en dernier lieu, de l’atteinte alléguée au droit d’auteur de Microsoft, il convient de souligner à titre préliminaire que Microsoft n’a pas indiqué en quoi une atteinte audit droit pourrait avoir un lien avec le préjudice à sa réputation qu’elle allègue.

472
En outre, l’argumentation de Microsoft est, sur ce point, très brève et particulièrement vague. Microsoft n’invoque pas, dans ce contexte, de réglementation précise selon laquelle le fait de procéder elle-même à une adaptation de son œuvre – même forcée – constituerait une atteinte à son droit d’auteur.

473
Par ailleurs, le seul fait qu’une décision de la Commission puisse affecter dans une certaine mesure des droits de propriété intellectuelle est, à défaut d’explications complémentaires, insuffisant pour conclure à l’existence d’un préjudice grave et irréparable, du moins indépendamment des effets concrets de ladite atteinte. Or, en l’espèce, les seuls effets concrets allégués par Microsoft sont ceux qui ont été précédemment décrits et rejetés comme insuffisants pour constituer un préjudice grave et irréparable (points 411 à 466 ci-dessus).

474
Enfin, pour autant que Microsoft signifie que la circulation de copies de la version imposée par l’article 6, c’est-à-dire d’une adaptation forcée de ses œuvres, lui causerait un préjudice moral, celui-ci ne serait, à défaut de preuves en sens contraire, ni grave ni irréparable. C’est d’autant plus le cas que, ainsi qu’il a déjà été constaté ci-dessus (points 422 à 429 ci-dessus), il n’est pas démontré que la version imposée par l’article 6 pourrait être diffusée dans des quantités significatives ou que la distribution ultérieure de Windows Media Player ne remédierait pas dans une très large mesure à la diffusion de la version imposée par l’article 6.

475
Microsoft n’a donc pas démontré que l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision, serait susceptible de lui causer un préjudice grave et irréparable en raison d’une atteinte à sa réputation.

476
En conséquence, Microsoft n’a pas démontré que l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision risquait de lui causer un préjudice grave et irréparable. Par conséquent, sans qu’il soit besoin de procéder à la balance des intérêts en cause, la demande de sursis à l’exécution de l’article 6, sous a), de la Décision doit être rejetée.

477
Quant à la demande de sursis à l’exécution de l’article 4 de la Décision (point 27 ci-dessus), elle ne peut pas être accueillie. Premièrement, il convient de constater que cet article, pris en son premier alinéa, renvoie aux articles 5 et 6 de la Décision. Le défaut d’urgence à ordonner le sursis à l’exécution des articles 5 et 6 conduit donc nécessairement au rejet de la demande de sursis à l’exécution de cette disposition de renvoi. Deuxièmement, pour autant que la demande en référé vise à obtenir le sursis à l’exécution de l’article 4, second alinéa, de la Décision, il suffit de relever que Microsoft n’a pas développé d’argumentation suffisante au soutien de cette conclusion et que, en tout état de cause, les effets de la prohibition visée à cet alinéa restent à ce stade purement hypothétiques.

478
Il y a donc lieu de rejeter la demande dans son intégralité.


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL



ordonne :

1)
Il est fait droit, au stade de la procédure de référé, à la demande de traitement confidentiel présentée par Microsoft Corp.

2)
Audiobanner.com, agissant sous la dénomination commerciale VideoBanner, est admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans la procédure de référé.

3)
Computer & Communications Industry Association est radiée de l’affaire en tant que partie intervenant au soutien des conclusions de la Commission dans la procédure de référé.

4)
Novell Inc. est radiée de l’affaire en tant que partie intervenant au soutien des conclusions de la Commission dans la procédure de référé.

5)
La demande en référé est rejetée.

6)
Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 22 décembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf

Table des matières

Antécédents du litige

La Décision

    I –  Marchés pertinents identifiés dans la Décision et position dominante de Microsoft sur deux de ces marchés

        A –  Marchés pertinents identifiés dans la Décision

        B –  Position dominante de Microsoft sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients et sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail

    II –  Comportements abusifs identifiés dans la Décision

        A –  Refus identifié dans la Décision

        B –  Vente liée identifiée dans la Décision

    III –  Mesures correctives et amende infligée à Microsoft

Procédure pour violation du droit antitrust américain

Procédure

En droit

    I –  Sur la demande de traitement confidentiel

    II –  Sur la demande d’intervention de VideoBanner

    III –  Sur les effets du désistement de certains intervenants

    IV –  Sur le respect des conditions de forme relatives aux écrits

        A –  Sur les renvois au recours au principal

        B –  Sur la production de documents en cours d’instance

        C –  Sur l’absence de preuves

        D –  Sur le non-respect de certaines autres conditions de forme

    V –  Sur le fond

        A –  Sur la question des informations relatives à l’interopérabilité

            1.  Arguments des parties

                a)  Arguments de Microsoft et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

                    Sur le fumus boni juris

                    Sur l’urgence

                        –  Atteinte aux droits de propriété intellectuelle

                        –  Entrave à la liberté commerciale de Microsoft

                        –  Modification irréversible des conditions du marché

                    Sur la balance des intérêts

                b)  Arguments de la Commission et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

                    Observations préliminaires

                        –  Sur le droit d’auteur

                        –  Sur les brevets

                        –  Sur les secrets d’affaires

                    Sur le fumus boni juris

                    Sur l’urgence

                    Sur la mise en balance des intérêts

            2.  Appréciation du juge des référés

                a)  Sur le fumus boni juris

                b)  Sur l’urgence

                    Observations préliminaires

                    Sur le préjudice grave et irréparable causé par l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles serveur-à-serveur

                        –  Sur l’atteinte alléguée aux droits de propriété intellectuelle

                        –  Sur l’atteinte alléguée à la liberté commerciale

                        –  Sur la prétendue évolution irréversible des conditions du marché

                    Sur le préjudice grave et irréparable causé par l’obligation de divulguer les spécifications des protocoles client-à-serveur

        B –  Sur la question des ventes liées

            1.  Arguments des parties

                a)  Arguments de Microsoft et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

                    Sur le fumus boni juris

                    Sur l’urgence

                        –  Sur le préjudice résultant selon Microsoft de l’abandon du concept architectural fondamental à la base du système d’exploitation Windows

                        –  Sur le préjudice causé à la réputation de Microsoft

                    Sur la mise en balance des intérêts

                        –  Sur l’absence de nécessité d’une exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision

                        –  Sur les préjudices résultant de l’exécution immédiate de l’article 6, sous a), de la Décision

                        –  Sur les obligations de la Communauté en vertu de l’ADPIC

                b)  Arguments de la Commission et des parties admises à intervenir au soutien de ses conclusions

                    Sur le fumus boni juris

                    Sur l’urgence

                    Sur la mise en balance des intérêts

            2.  Appréciation du juge des référés

                a)  Sur le fumus boni juris

                b)  Sur l’urgence

                    Sur l’atteinte alléguée au « concept architectural de base » du système d’exploitation Windows

                    Sur l’atteinte alléguée à la réputation de Microsoft

                        –  Sur l’atteinte alléguée aux marques de Microsoft

                        –  Sur l’atteinte alléguée au droit d’auteur de Microsoft



1
Langue de procédure : l'anglais.