Language of document : ECLI:EU:C:2018:922

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 15 novembre 2018 (1)

Affaire C399/17

Commission européenne

contre

République tchèque

« Infraction – Article 258 TFUE – Règlement (CE) no 1013/2006 – Transferts de déchets – Substance connue sous le nom de TPS-NOLO (Geobal) – Reprise d’un transfert illicite de déchets – Problèmes de classification – Article 28 – Substance à considérer comme un déchet en cas de désaccord en matière de classification – Recevabilité »






1.        Dans la présente affaire, la Cour est appelée à juger si la République tchèque a manqué à ses obligations au titre du règlement (CE) no 1013/2006 (2) (ci‑après le « règlement concernant les transferts de déchets »). De manière plus spécifique, il s’agit de savoir si la République tchèque a enfreint les dispositions dudit règlement en refusant de reprendre une substance connue sous le nom de TPS-NOLO (ou Geobal) transférée en Pologne en violation des formalités requises par le règlement concernant les transferts de déchets.

2.        La question ainsi posée soulève un certain nombre de problèmes : la notion large et fluctuante de déchet en droit de l’Union, le champ d’application du règlement concernant les transferts de déchets et les conditions d’un recours au titre de l’article 258 TFUE. Il s’agit là de problèmes qui ne peuvent être résolus aisément.

3.        La constatation de l’absence d’infraction dans la présente affaire est susceptible d’affaiblir l’efficacité et l’applicabilité du règlement concernant les transferts de déchets qui a pour principal objet et élément la protection de l’environnement. Toutefois, les tribunaux sont guidés avant tout par des principes procéduraux qui garantissent le respect de la procédure dans chaque cas d’espèce. Ces principes ne peuvent être sacrifiés à une cause plus importante, aussi noble soit elle.

I.      Le cadre juridique

A.      Le règlement concernant les transferts de déchets

4.        Conformément à son article 1er (intitulé « Champ d’application »), le règlement concernant les transferts de déchets « établit les procédures et les régimes de contrôle applicables au transfert de déchets, en fonction de l’origine, de la destination et de l’itinéraire du transfert, du type de déchets transférés et du type de traitement à appliquer aux déchets sur leur lieu de destination ».

5.        L’article 2 (intitulé « Définitions ») dispose :

« 1)      “déchet”, la définition qui en est donnée à l’article 1er, paragraphe 1, point a), de la directive 2006/12/CE ;

[…]

34)      “transfert”, le transport de déchets destinés à être éliminés ou valorisés qui est prévu ou a lieu :

a)      entre un pays et un autre pays ;

[…]

35)      “transfert illicite”, tout transfert de déchets :

a)      effectué sans notification à l’ensemble des autorités compétentes concernées en application du présent règlement ; ou

b)      effectué sans le consentement des autorités compétentes concernées en application du présent règlement ; ou

c)      effectué alors que le consentement des autorités compétentes concernées a été obtenu par le recours à la falsification, à une présentation erronée des faits ou à la fraude ; ou

d)      effectué d’une manière qui n’est pas matériellement indiquée dans la notification ou les documents de mouvement ; ou

e)      effectué d’une manière ayant pour résultat la valorisation ou l’élimination en violation de la réglementation communautaire ou internationale ; ou

f)      effectué en violation des articles 34, 36, 39, 40, 41 et 43 ; ou

g)      au sujet duquel, pour ce qui est des transferts de déchets visés à l’article 3, paragraphes 2 et 4 :

i)      il a été découvert que les déchets ne figurent pas aux annexes III, III A ou III B ; ou

ii)      les dispositions de l’article 3, paragraphe 4, n’ont pas été respectées ;

iii)      le transfert est effectué selon des modalités qui ne sont pas spécifiées concrètement dans le document figurant à l’annexe VII. »

6.        L’article 3 du règlement concernant les transferts de déchets traite du cadre procédural général des transferts de déchets et dispose :

« 1.      Sont soumis à la procédure de notification et de consentement écrits préalables, conformément aux dispositions du présent titre, les transferts ayant pour objet les déchets suivants :

a)      s’il s’agit de déchets destinés à être éliminés :

tous les déchets ;

b)      s’il s’agit de déchets destinés à être valorisés :

i)      les déchets figurant à l’annexe IV, laquelle comprend notamment les déchets énumérés aux annexes II et VIII de la convention de Bâle,

ii)      les déchets figurant à l’annexe IV A,

iii)      les déchets pour lesquels il n’existe pas de rubrique propre dans les annexes III, III B, IV ou IV A,

iv)      les mélanges de déchets pour lesquels il n’existe pas de rubrique propre dans les annexes III, III B, IV ou IV A, sauf s’ils figurent à l’annexe III A.

[…] »

7.        L’article 24 du règlement concernant les transferts de déchets régit la reprise de déchets dont le transfert est illicite et dispose :

« 1.      Lorsqu’une autorité compétente découvre un transfert qu’elle considère comme étant un transfert illicite, elle en informe immédiatement les autres autorités compétentes concernées.

2.      Si le transfert illicite est le fait du notifiant, l’autorité compétente d’expédition veille à ce que les déchets en question soient :

a)      repris par le notifiant de fait ou, si aucune notification n’a été effectuée,

b)      repris par le notifiant de droit ; ou, si cela est impossible,

c)      repris par l’autorité compétente d’expédition elle-même ou par une autre personne physique ou morale agissant en son nom ; [...]

[…]

La reprise, valorisation ou élimination doit avoir lieu dans les trente jours ou dans tout autre délai pouvant être fixé par les autorités compétentes concernées après que l’autorité compétente d’expédition a eu connaissance ou a été avisée par écrit par les autorités compétentes de destination ou de transit du transfert illicite et informée des raisons le justifiant. [...]

[…]

Aucune autorité compétente ne s’oppose ou ne formule d’objections à la réintroduction des déchets faisant l’objet d’un transfert illicite. [...]

[…]

7.      Lorsque la présence de déchets faisant l’objet d’un transfert illicite est découverte au sein d’un État membre, l’autorité compétente dans le ressort de laquelle cette présence a été découverte est chargée de veiller à ce que des dispositions soient prises pour assurer le stockage sûr des déchets en attendant leur réintroduction, ou leur valorisation ou élimination non intermédiaire par d’autres moyens. »

8.        L’article 28 du règlement concernant les transferts de déchets (intitulé « Désaccord en matière de classification ») dispose en outre :

« 1.      Si les autorités compétentes d’expédition et de destination ne peuvent pas se mettre d’accord sur sa classification en tant que déchet ou non, l’objet du transfert est traité comme s’il s’agissait d’un déchet. Ce[la] est sans préjudice du droit du pays de destination de traiter les matières transférées conformément à sa législation nationale, après l’arrivée desdites matières, et lorsqu’une telle législation est conforme au droit communautaire ou international.

[…]

4.      Les paragraphes 1 à 3 s’appliquent uniquement aux fins du présent règlement et sans préjudice du droit des parties concernées de porter tout litige relatif à ces questions devant les cours et tribunaux. »

B.      La directive-cadre sur les déchets

9.        La directive 2008/98/CE (3) (ci-après la « directive-cadre sur les déchets ») a remplacé la directive 2006/12/CE (4) et définit à son article 3 ce que l’on entend par « déchet » et « déchet dangereux » aux fins du règlement concernant les transferts de déchets.

10.      L’article 3 définit le « déchet » comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». En outre, on entend par « déchet dangereux », « tout déchet qui présente une ou plusieurs des propriétés dangereuses énumérées à l’annexe III ».

11.      L’article 6 de la directive-cadre sur les déchets précise à son tour les circonstances dans lesquelles des déchets cessent d’être des déchets :

« 1.      Certains déchets cessent d’être des déchets au sens de l’article 3, point 1, lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation ou de recyclage et répondent à des critères spécifiques à définir dans le respect des conditions suivantes :

a)      la substance ou l’objet est couramment utilisé à des fins spécifiques ;

b)      il existe un marché ou une demande pour une telle substance ou un tel objet ;

c)      la substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ; et

d)      l’utilisation de la substance ou de l’objet n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.

[…]

4.      Si aucun critère n’a été défini au niveau communautaire au titre de la procédure visée aux paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent décider au cas par cas si certains déchets ont cessé d’être des déchets en tenant compte de la jurisprudence applicable. Ils notifient de telles décisions à la Commission […] »

12.      Conformément à son article 40, la directive-cadre sur les déchets devait être transposée par les États membres dans leur droit national au plus tard le 12 décembre 2010.

C.      Le règlement REACH

13.      Conformément à son article 1er, paragraphe 1, le règlement (CE) no 1907/2006 (5) (ci-après le « règlement REACH ») a pour objet d’« assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. »

14.      L’article 2, paragraphe 2, du règlement REACH dispose que      « [l]es déchets tels que définis par la [directive 2006/12] ne sont pas une substance, un mélange ou un article au sens de [ce] règlement ».

15.      L’article 128 du règlement REACH dispose en outre :

« 1.      Sous réserve du paragraphe 2, les États membres s’abstiennent d’interdire, de restreindre et d’entraver toute fabrication, importation, mise sur le marché ou utilisation d’une substance, telle quelle ou contenue dans un mélange ou un article, qui entre dans le champ d’application du présent règlement, qui est conforme au présent règlement et, le cas échéant, à des actes communautaires adoptés en application de celui-ci.

2.      Aucune disposition du présent règlement n’empêche les États membres de maintenir ou de fixer des règles nationales visant à protéger les travailleurs, la santé humaine et l’environnement et s’appliquant dans les cas où le présent règlement n’harmonise pas les exigences en matière de fabrication, de mise sur le marché ou d’utilisation. »

II.    Les faits à l’origine du recours et la procédure précontentieuse

16.      Le 3 décembre 2010, Jiří Paškůj, une personne relevant de la compétence du droit tchèque, et la société Biuro Rozwoju Gospodarczego sp.z.o.o. (ci-après « BRG »), dont le siège se trouve à Sosnowiec en Pologne, ont conclu un contrat pour l’expédition de 58 000 tonnes de TPS-NOLO (Geobal) destinées à la fabrication de ciment.

17.      Selon la Commission européenne, environ 20 000 tonnes de TPS-NOLO (Geobal), composé d’un mélange de goudrons acides provenant du raffinage de pétrole (code 05 01 07* selon le catalogue européen des déchets), de poussière de carbone et d’oxyde de calcium, ont été transférées par l’opérateur tchèque sur une parcelle de la rue Karol Woźniak à Katowice, louée par BRG, à la fin de l’année 2010 et au début de l’année 2011. La substance a été découverte par l’autorité polonaise compétente à une date située entre le début de l’année 2011 et le 11 septembre 2011.

18.      Le 11 septembre 2011, les autorités polonaises compétentes ont informé l’autorité tchèque compétente de la découverte de la substance qu’elles ont considérée comme ayant été transférée de manière illicite en Pologne au sens de l’article 2, paragraphe 35, sous a), du règlement concernant les transferts de déchets, puisque ni l’expéditeur ni le destinataire n’avait informé les autorités polonaises d’un transfert de déchets comme le prévoit l’article 3 dudit règlement. Les autorités polonaises considérant la substance comme un déchet dangereux figurant à l’annexe IV du règlement concernant les transferts de déchets [Résidus goudronneux (excepté ciments asphaltiques) de raffinage, de distillation ou de toute opération de pyrolyse de matières organiques], elles ont réaffirmé que le transfert de cette substance était soumis à notification et consentement écrits préalables.

19.      Au cours de la procédure administrative, le citoyen tchèque responsable du transfert en Pologne a présenté les normes adoptées par l’entreprise ainsi que la preuve que la substance en question était enregistrée conformément au règlement REACH et qu’elle avait été utilisée comme combustible.

20.      À la suite du refus des autorités tchèques compétentes, au cours de la procédure administrative, d’obliger le citoyen tchèque à reprendre la substance en République tchèque, alors que les autorités polonaises invoquaient l’article 28 du règlement concernant les transferts de déchets, qui prévoit que la substance doit être considérée comme un déchet en cas de désaccord, une plainte privée a été adressée à la Commission le 4 février 2014.

21.      Le 12 juin 2014, la Commission a décidé de donner suite à la plainte en ouvrant une enquête (affaire EU Pilot no 6603/14/ENVI). Dans sa réponse à la demande EU Pilot, la République tchèque a déclaré que le TPS-NOLO (Geobal) avait été enregistré conformément au règlement REACH et qu’il ne s’agissait donc pas d’un déchet. En conséquence, le règlement concernant les transferts de déchets ne s’appliquait pas.

22.      Après avoir examiné la réponse de la République tchèque, la Commission a conclu que cette dernière avait enfreint le droit de l’Union en ne s’acquittant pas des obligations qui lui incombent en vertu du règlement concernant les transferts de déchets et de la directive-cadre sur les déchets. Par conséquent, le 20 février 2015, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République tchèque. La République tchèque a répondu à cette lettre le jour même en reprenant en substance les arguments qu’elle avait avancés dans sa réponse à la demande EU Pilot.

23.      Après avoir été informée par l’inspecteur polonais de la protection de l’environnement que la substance en question n’avait toujours pas été reprise par la République tchèque et avoir examiné les arguments présentés par cette dernière dans sa réponse à la lettre de mise en demeure, la Commission a adressé à la République tchèque, par lettre du 22 octobre 2015, un avis motivé dans lequel elle exposait les raisons pour lesquelles elle ne pouvait accepter l’argumentation des autorités tchèques concluant à l’absence de manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du règlement concernant les transferts de déchets, plus particulièrement à son article 24, paragraphe 2, et à son article 28, paragraphe 1.

24.      La République tchèque a répondu par une lettre du 18 décembre 2015 dans laquelle elle indiquait que, de son point de vue juridique, elle n’avait pas manqué aux obligations lui incombant en vertu de ces dispositions puisque, lors de son transfert en Pologne, cette substance n’était pas un déchet.

25.      Après examen des observations de la République tchèque en réponse à l’avis motivé, la Commission a constaté que le manquement persistait. De plus, la Commission n’a pas été informée par la République tchèque de l’adoption par celle-ci de mesures requises pour se conformer aux obligations lui incombant en vertu de l’article 24, paragraphe 2, et de l’article 28, paragraphe 1, du règlement concernant les transferts de déchets.

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

26.      Dans sa requête du 3 juillet 2017, la Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        constater que, en refusant d’assurer la reprise de la substance connue sous le nom de TPS-NOLO (Geobal), qui avait été transférée de République tchèque à Katowice (Pologne), la République tchèque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 24, paragraphe 2, et de l’article 28, paragraphe 1, du règlement concernant les transferts de déchets, et

–        condamner la République tchèque aux dépens.

27.      La République tchèque conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        rejeter le recours comme infondé, et

–        condamner la Commission aux dépens.

28.      Tant le gouvernement tchèque que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries à l’audience du 20 septembre 2018.

IV.    Analyse

29.      Par son recours, la Commission demande à la Cour de constater que, en refusant d’assurer la reprise du TPS-NOLO (Geobal), qui avait été transféré de la République tchèque à Katowice (Pologne), la République tchèque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 24, paragraphe 2, et de l’article 28, paragraphe 1, du règlement concernant les transferts de déchets.

30.      Je vais tout d’abord présenter ci-après les arguments des parties et analyser ensuite le recours formé par la Commission.

A.      Arguments des parties

31.      La requête de la Commission n’est pas structurée, ce qui rend difficile la compréhension de ses arguments. Toutefois, la position de la Commission est présentée comme suit dans le résumé des moyens et des principaux arguments qui a été produit.

32.      La Commission soutient, en premier lieu, que le TPS-NOLO (Geobal) transféré de République tchèque en Pologne et qui provient de déchets dangereux d’un site d’élimination des déchets (bassins de résidus situés à Ostramo) est stocké sur un autre site d’élimination des déchets sur le territoire tchèque et est classé comme résidus de goudron résultant du raffinage, de la distillation et du traitement pyrolytique de matières organiques. En outre, cette substance est considérée par les autorités polonaises comme un déchet au sens de l’annexe IV du règlement concernant les transferts de déchets.

33.      En deuxième lieu, un problème de classification au sens de l’article 28, paragraphe 1, du règlement concernant les transferts de déchets s’est posé, puisque la République tchèque conteste la classification de la substance comme déchet en se fondant sur l’enregistrement de la substance conformément au règlement REACH. Cette disposition prévoit que la substance est traitée par conséquent comme un déchet.

34.      En troisième lieu, la Commission estime toutefois que le règlement REACH ne garantit en aucun cas que l’utilisation d’une substance n’a pas d’effet dommageable sur l’environnement ou la santé humaine, ou qu’une substance cesse automatiquement d’être un déchet. En l’absence d’une décision nationale confirmant qu’une substance a cessé d’être un déchet, il n’est pas possible de considérer l’enregistrement au titre du règlement REACH comme valide conformément à l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement.

35.      En dernier lieu, la substance en cause ayant été transférée par-delà les frontières sans notification, ce transfert doit être considéré comme illicite au sens de l’article 2, paragraphe 35, sous a), du règlement concernant les transferts de déchets. Dans ce cas, les autorités compétentes de l’État membre d’expédition sont informées du transfert afin d’assurer la reprise de la substance en cause, conformément à l’article 24, paragraphe 2, du règlement concernant les transferts de déchets. La République tchèque a refusé de le faire. Un enregistrement en vertu du règlement REACH qui garantit à son article 3 la libre circulation de substances, mélanges ou articles ne modifie pas cette obligation, les déchets étant expressément exclus du champ d’application du règlement REACH.

36.      D’autre part, le gouvernement tchèque soutient que la substance n’était pas, à l’époque pertinente pour la présente procédure, un déchet au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive-cadre sur les déchets, puisqu’elle est enregistrée en vertu du règlement REACH et qu’elle est utilisée comme combustible. En outre, ledit gouvernement soutient que la Commission ne peut pas invoquer l’article 28, paragraphe 1, du règlement concernant les transferts de déchets. Si cette disposition pouvait être appliquée de manière volontaire par un État membre, sans qu’il y ait la moindre indication objective qu’une substance est effectivement un déchet, cela constituerait une violation grave de la libre circulation des marchandises. Les États membres pourraient, par exemple, s’immiscer dans l’importation de produits alimentaires en provenance d’autres États membres.

37.      Le gouvernement tchèque affirme en substance que la Commission n’a pas apporté la preuve que le transfert en cause était un transfert de déchets au sens du règlement concernant les transferts de déchets et ne constituait donc pas un transfert illicite au sens dudit règlement. Le gouvernement tchèque estime donc que le recours formé par la Commission est manifestement infondé.

38.      Il est néanmoins constant entre les parties qu’un transfert de TPS-NOLO (Geobal) de République tchèque en Pologne a eu lieu.

39.      Compte tenu du manque de clarté de la requête de la Commission, il convient d’abord d’apprécier la recevabilité du recours.

B.      Recevabilité

40.      La République tchèque n’a pas soulevé d’exception d’irrecevabilité. La Cour peut toutefois examiner d’office si les conditions prévues à l’article 258 TFUE pour l’introduction d’un recours en manquement sont remplies et si la demande présentée satisfait aux exigences procédurales applicables (6).

41.      Or, il résulte de l’article 120 du règlement de procédure de la Cour et de la jurisprudence y relative que toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens sur lesquels elle se fonde, et que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent donc ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la requête (7). Les griefs doivent être formulés de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur l’un de ceux-ci (8).

42.      La requête de la Commission doit notamment contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons l’ayant amenée à la conviction que l’État membre concerné a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu des traités (9). De plus, l’explication de la demande doit être conforme aux conclusions de la requête (10).

43.      Dans la présente affaire, la Commission a demandé à la Cour de juger que, en refusant d’assurer la reprise par la République tchèque du TPS-NOLO (Geobal) expédié de cet État membre à Katowice (Pologne), la République tchèque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 24, paragraphe 2, et de l’article 28, paragraphe 1, du règlement concernant les transferts de déchets.

44.      Toutefois, les arguments sur lesquels se fonde la Commission ne ressortent pas clairement des conclusions présentées dans le corps de sa requête, ni de ses réponses aux questions posées par la Cour à l’audience (11). Les obligations découlant des deux dispositions mentionnées au point précédent ne sont pas définies de manière cohérente.

45.      La Commission semble, d’une part, faire valoir que le règlement concernant les transferts de déchets impose aux États membres l’obligation absolue et catégorique de garantir la reprise de certains transferts qu’un autre État membre considère comme contenant des déchets. Une telle obligation, fait-elle valoir, persisterait quelles que soient les circonstances de l’affaire et qu’une substance ou un objet soit effectivement ou non un déchet. L’État membre faisant l’objet de l’obligation dans ce cas ne pouvait invoquer aucun moyen pour éviter de reprendre le transfert litigieux.

46.      Dans le même temps, la Commission semble laisser entendre que l’obligation de reprendre un transfert n’existe pas lorsqu’une substance ou un objet n’est pas, en réalité, un déchet. En outre, d’importantes parties de la requête de la Commission visent à établir que la substance en question est effectivement un déchet. C’est ainsi qu’elle introduit apparemment la notion d’obligation conditionnée par le fait que la substance en question est en réalité un déchet.

47.      Selon moi, ces arguments sont inconciliables.

48.      D’une manière ou d’une autre, il semble que la Commission ait réuni deux arguments alternatifs en une argumentation unique. C’est peut-être la raison pour laquelle les arguments présentés semblent confus et incohérents.

49.      La manière inhabituelle dont la requête a été rédigée ajoute à la confusion. Au lieu de présenter ses arguments, la Commission semble plutôt présenter une réponse aux arguments fournis par la République tchèque en réponse à l’avis motivé. Il est donc très difficile pour la Cour de discerner les arguments de la Commission dans la présente affaire, car le lecteur doit reconstituer l’argumentation à partir de ces contre-arguments.

50.      À cet égard, il est utile de rappeler qu’il n’appartient pas au juge de l’Union de se substituer au requérant, ou à son avocat, en essayant de rechercher et d’identifier lui-même les éléments qu’il pourrait considérer comme étant susceptibles de justifier les conclusions formulées dans la requête (12).

51.      En outre, je m’étonne que la Commission semble demander à la Cour de constater l’existence d’une infraction qui, à l’avenir, pourrait se révéler ne pas constituer une infraction. Je doute que ce type d’infraction temporaire conditionnelle puisse être envisagé dans le cadre de la procédure décrite à l’article 258 TFUE (13). En tout état de cause, si la Commission cherche effectivement à faire valoir une telle infraction, elle n’a pas étayé ses arguments par les motifs qui l’ont amenée à se prononcer sur l’existence d’une infraction.

52.      Qui plus est, le manque de clarté de la requête de la Commission a affecté la réponse de la République tchèque à celle-ci. La Commission n’ayant pas clairement défini les obligations incombant aux États membres en vertu de l’article 24, paragraphe 2, et de l’article 28, paragraphe 1, du règlement concernant les transferts de déchets, la République tchèque n’a pas été en mesure de répondre de manière approfondie.

53.      Dans ces conditions, j’estime que la Cour ne dispose pas d’informations suffisantes lui permettant d’apprécier la violation du droit de l’Union imputée à la République tchèque et donc pour déterminer s’il y a eu manquement à des obligations comme l’allègue la Commission (14).

54.      Cela dit, je peux comprendre pourquoi la Commission a probablement rencontré des difficultés pour exposer de manière cohérente les raisons qui sous-tendent les conclusions formulées dans sa requête. En particulier en ce qui concerne l’article 28 du règlement concernant les transferts de déchets, il semble difficile de concilier le libellé des différents paragraphes de cette disposition avec, d’une part, le reste de ce règlement et, d’autre part, les principes d’interprétation en jeu.

55.      Néanmoins, je conclus que le recours doit être rejeté comme irrecevable.

V.      Conclusion

56.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la Commission européenne aux dépens.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Règlement (CE) no 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant les transferts de déchets (JO 2006, L 190, p. 1).


3      Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3).


4      Directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets (JO 2006, L 114, p. 9).


5      Règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1).


6      Voir arrêt du 15 novembre 2012, Commission/Portugal (C‑34/11, EU:C:2012:712, point 42 et jurisprudence citée). Voir également arrêts du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas (C‑233/14, EU:C:2016:396, point 33) ; du 26 janvier 2012, Commission/Slovénie (C‑185/11, non publié, EU:C:2012:43, points 28 à 30 et jurisprudence citée), et du 26 avril 2007, Commission/Finlande (C‑195/04, EU:C:2007:248, point 21 et jurisprudence citée).


7      Arrêt du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas (C‑233/14, EU:C:2016:396, point 32 et jurisprudence citée). Voir également arrêts du 9 janvier 2003, Italie/Commission (C‑178/00, EU:C:2003:7, point 6), et du 26 avril 2007, Commission/Finlande (C‑195/04, EU:C:2007:248, point 22 et jurisprudence citée).


8      Arrêt du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas (C‑233/14, EU:C:2016:396, point 34 et jurisprudence citée).


9      Voir arrêt du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas (C‑233/14, EU:C:2016:396, point 35 et jurisprudence citée).


10      Voir arrêts du 14 octobre 2004, Commission/Espagne (C‑55/03, non publié, EU:C:2004:628, points 28 et 29), et du 26 janvier 2012, Commission/Slovénie (C‑185/11, non publié, EU:C:2012:43, points 30 à 33).


11      Arrêt du 26 avril 2007, Commission/Finlande (C‑195/04, EU:C:2007:248, points 28 à 30).


12      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Italie/Commission (C‑178/00, EU:C:2002:541, point 9 et jurisprudence citée).


13      Voir, par analogie, ordonnance du 13 septembre 2000, Commission/Pays-Bas (C‑341/97, EU:C:2000:434, points 9 et 10, ainsi que 18 à 21), et arrêt du 3 décembre 2009, Commission/Allemagne (C‑424/07, EU:C:2009:749, points 25 à 31).


14      Voir arrêt du 26 avril 2007, Commission/Finlande (C‑195/04, EU:C:2007:248, point 32 et jurisprudence citée).