Language of document : ECLI:EU:C:2013:694

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS Wahl

présentées le 24 octobre 2013 (1)

Affaire C‑82/12

Transportes Jordi Besora SL

contre

Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña (TEARC),

Generalitat de Catalunya

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Sala de lo Contencioso Administrativo) (Espagne)]

«Directive 92/12/CEE – Accises – Huiles minérales – Article 3, paragraphe 2 – Finalité spécifique – Respect de l’économie générale des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée – Impôt national sur la vente au détail de certains hydrocarbures – Limitation des effets d’un arrêt dans le temps»





1.        La présente affaire concerne l’interprétation correcte de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12/CEE (2). Cette disposition reconnaît la faculté, pour les États membres, d’introduire ou de maintenir des impositions indirectes sur des produits qui font déjà l’objet de règles harmonisées en matière d’accises. Cette faculté est toutefois soumise à deux conditions: (i) que l’imposition en cause poursuive une finalité spécifique et (ii) qu’elle respecte les règles applicables aux accises ou (3) à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt.

2.        Par sa demande de décision préjudicielle, le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice, Catalogne) (Espagne) s’interroge sur la question de savoir si une imposition indirecte spécifique sur les ventes au détail de certaines huiles minérales («Impuesto sobre las ventas minoristas de determinados hidrocarburos», ci-après l’«IVMDH») frappant la consommation de ces produits est conforme à l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. En particulier, la juridiction de renvoi cherche à être éclairée sur deux questions: ce qui constitue une «finalité spécifique» au sens de cette disposition et quelles sont les conditions pour qu’une imposition indirecte soit considérée comme respectant l’économie générale des règles de taxation relatives aux accises ou à la TVA. Vu les conséquences financières en jeu, la présente affaire soulève également la question de savoir si les effets d’une éventuelle déclaration d’incompatibilité devraient être limités dans le temps.

3.        Dans les développements qui suivent, j’expliquerai pourquoi je ne considère pas que l’IVMDH respecte l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. J’exposerai également les raisons pour lesquelles je ne pense pas qu’il est approprié de limiter les effets d’une déclaration d’incompatibilité dans les circonstances de l’espèce.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

4.        Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, l’objet de la directive sur les accises est de fixer «le régime des produits soumis à accise et autres impositions indirectes frappant directement ou indirectement la consommation de ces produits, à l’exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée et des impositions établies par [l’Union européenne]».

5.        En vertu de l’article 3, paragraphe 1, la directive sur les accises est applicable notamment aux huiles minérales. L’article 3, paragraphe 2, de la directive indique ce qui suit:

«Les produits mentionnés au paragraphe 1 peuvent faire l’objet d’autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt.»

6.        L’article 6, paragraphe 1, de la directive sur les accises est libellé comme suit:

«L’accise devient exigible lors de la mise à la consommation ou lors de la constatation des manquants qui devront être soumis à accise conformément à l’article 14 paragraphe 3.

Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:

a)      toute sortie […] d’un régime suspensif;

b)      toute fabrication […] de ces produits hors d’un régime suspensif;

c)      toute importation […] de ces produits lorsque ces produits ne sont pas mis sous un régime suspensif.»

B –    Le droit espagnol

7.        L’IVMDH a été introduit en Espagne par la loi nationale 24/2001 (4). L’article 9 de ladite loi dispose:

«Avec effet au 1er janvier 2002, un nouvel impôt est créé sur les ventes au détail de certaines huiles minérales, qui sera régi par les dispositions suivantes:

1. Nature

1.      L’impôt sur les ventes au détail de certaines huiles minérales est une taxe indirecte qui frappe la consommation de ces dernières, et qui impose à un seul niveau les ventes au détail des produits inclus dans son champ d’application matériel […]

[…]

3.      Les recettes du présent impôt seront affectées dans leur totalité à la couverture des dépenses de santé, selon des critères objectifs fixés au niveau national. Sans préjudice de ce qui précède, une partie des ressources dérivant des taux d’imposition autonomes pourra servir à financer des opérations environnementales, également fixées selon le même type de critères.

[…]

3. Champ d’application matériel

1.      Les huiles minérales qui sont incluses dans le champ d’application matériel de cet impôt sont les essences, le diesel, le fuel lourd et le kérosène non utilisé comme combustible pour le chauffage […]

[…]

5. Fait générateur

1.      Sont soumises à l’impôt les ventes au détail des produits inclus dans son champ d’application matériel. Sont également soumises à l’impôt les opérations impliquant l’autoconsommation, par les assujettis à l’impôt, des produits sur lesquels il porte.

[…]

7. Assujettis

Sont assujettis les propriétaires des produits frappés par l’impôt, qui effectuent sur ces derniers des opérations soumises à l’impôt.

[…]

8. Exigibilité

1.      L’impôt est exigible lorsque les produits inclus dans le champ d’application matériel sont mis à la disposition des acheteurs ou, le cas échéant, au moment de l’autoconsommation, à condition que le régime suspensif […] sur les accises ait été apuré.

[…]

9. Base d’imposition

1.      La base d’imposition sera constituée par le volume des produits soumis à l’impôt, exprimé en milliers de litres […]

10. Taux d’imposition

1.      Le taux d’imposition applicable à chaque produit soumis à l’impôt est le résultat de la somme des taux d’imposition étatique et autonome.

[…]

3.      Le taux d’imposition autonome est celui qui, en vertu des dispositions de la [loi qui régit les mesures fiscales et administratives du nouveau système de financement des Communautés autonomes et des villes dotées d’un statut d’autonomie], est approuvé par la Communauté autonome. Si la Communauté autonome n’en a approuvé aucun, seul le taux d’imposition étatique sera appliqué. […]»

II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

8.        Transportes Jordi Besora SL (ci-après «TJB») est une société de transport routier établie dans la Communauté autonome de Catalogne. Pour faire fonctionner ses véhicules, TJB achète de grandes quantités de carburant. Entre 2005 et 2008, ces achats ont été soumis à l’IVMDH et un montant total de 45 632,38 euros a été répercuté sur TJB.

9.        Le 30 novembre 2009, TJB a demandé à l’Oficina Gestora de Impuestos Especiales (Office de gestion des accises) de rembourser l’IVMDH payé entre 2005 et 2008 parce qu’il considérait l’IVMDH contraire à l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. Toutefois, la demande de TJB a été rejetée par décision du 1er décembre 2009.

10.      TJB a contesté cette décision devant le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña (Tribunal économique administratif régional de Catalogne) («TEARC»). Le recours a été rejeté par décision du 10 juin 2010.

11.      TJB a, par la suite, introduit un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi, qui sollicite à présent une décision préjudicielle sur les questions suivantes:

«1)      L’article 3, paragraphe 2, de la [directive sur les accises], et notamment l’exigence pour un impôt déterminé de poursuivre une ‘finalité spécifique’,

a)      doit-il être interprété en ce sens qu’il exige que l’objectif poursuivi ne soit pas susceptible d’être atteint au moyen d’un autre impôt harmonisé?

b)      doit-il être interprété en ce sens que la finalité qu’il poursuit est purement budgétaire lorsque une taxe déterminée a été établie en même temps que le transfert de certaines compétences à des Communautés autonomes auxquelles les recettes issues du recouvrement de la taxe ont ensuite été transférées, afin de leur permettre de supporter en partie les dépenses induites par le transfert de ces compétences, les taux d’imposition étant susceptibles de varier d’une Communauté autonome à l’autre?

c)      En cas de réponse négative à la question précédente, la notion de ‘finalité spécifique’ doit-elle être interprétée en ce sens que son objectif doit être unique ou bien, au contraire, peut-elle poursuivre plusieurs objectifs différents, dont l’objectif purement budgétaire de financer certaines compétences?

d)      S’il est répondu à la question précédente en ce sens que la pluralité d’objectifs est admise, quel degré de pertinence doit revêtir un objectif déterminé, aux fins de l’article 3, paragraphe 2, de [la directive sur les accises], pour que la condition, pour la taxe, de répondre à une ‘finalité spécifique’ au sens admis par la jurisprudence de la [Cour], soit remplie, et quels seraient les critères qui permettraient de distinguer la finalité principale de la finalité accessoire?

2)      L’article 3, paragraphe 2, de [la directive sur les accises], et notamment la condition du respect des règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de l’exigibilité,

a)      s’oppose-t-il à un impôt indirect non harmonisé (tel que l’IVMDH), qui est exigible lors de la vente au détail du carburant au consommateur final, à la différence de l’impôt harmonisé (‘Impuesto sobre Hidrocarburos’ [(5)], qui est exigible lorsque les produits sortent du dernier entrepôt fiscal) ou de la taxe sur la valeur ajoutée (qui, bien qu’elle soit également exigible au moment de la vente au détail finale, est exigible à chaque phase du processus de production et de distribution), au motif qu’il ne respecte pas – aux termes de l’arrêt [EKW et Wein & Co, précité, point 47] – l’économie générale de l’une ou de l’autre de ces techniques d’imposition telles qu’elles sont organisées par la réglementation [de l’Union européenne]?

b)      En cas de réponse négative à la question précédente, y a-t-il lieu d’interpréter que cette condition de respect est remplie sans que soit nécessaire l’existence de coïncidences quant à l’exigibilité, pour la simple raison que l’impôt indirect non harmonisé (en l’espèce l’IVMDH) n’interfère pas – en ce sens qu’il ne l’empêche ni ne le complique – avec le fonctionnement normal de l’exigibilité des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée?»

12.      Des observations écrites ont été déposées par TJB, la Generalitat de Catalunya, les gouvernements espagnol, grec et portugais ainsi que par la Commission européenne. À l’audience du 26 juin 2013, TJB, la Generalitat de Catalunya, les gouvernements espagnol et français ainsi que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries.

III – Analyse juridique

A –    Questions préliminaires

13.      La juridiction de renvoi a divisé ses deux questions en plusieurs parties. Toutefois, je comprends ces questions comme visant, en substance, à établir si l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises s’oppose à une imposition indirecte, telle que l’IVMDH en cause au principal.

14.      Étant donné que le respect de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises requiert que soient remplies les deux conditions auxquelles il est fait référence au point 1 des présentes conclusions, à savoir (i) que l’imposition poursuive une «finalité spécifique» et (ii) qu’elle respecte l’économie générale des accises ou de la TVA, j’aborderai chacune de ces conditions successivement. Toutefois, avant d’aborder la question de ce qui constitue une finalité spécifique, je ferai un bref commentaire sur la nature de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises au sein du système établi par cette directive.

15.      Il est nécessaire de garder à l’esprit que la proposition initiale de directive sur les accises de la Commission indiquait que les produits couverts par la directive ne seraient «[…] soumis à aucune imposition autre que l’accise et la taxe à la valeur ajoutée» (6). Le Conseil a toutefois insisté pour que les États membres conservent un pouvoir d’imposition résiduel. Cela était justifié par les approches divergentes en matière d’accises et le rôle des impositions indirectes dans la mise en œuvre de politiques non budgétaires dans les États membres. L’insertion de l’article 3, paragraphe 2 dans la directive sur les accises reflète la position adoptée par le Conseil quant à ce qu’il considérait être le niveau adéquat d’harmonisation dans ce domaine (7).

16.      En outre, lors de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises, il y a lieu de garder à l’esprit que cette disposition constitue une dérogation au système général des droits d’accise harmonisés. Par conséquent, celle-ci doit être interprétée de façon restrictive (8).

B –    Première condition: existence d’une «finalité spécifique» non budgétaire

17.      La jurisprudence de la Cour, et en particulier son arrêt EKW et Wein & Co, précité, contient des éléments dont il peut être déduit une réponse à la question posée par la juridiction de renvoi.

18.      En ce qui concerne la question de savoir ce qui constitue une «finalité spécifique» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises, la Cour a jugé qu’elle doit être comprise comme un but autre que «purement budgétaire» (9). Elle a également confirmé que le renforcement de l’autonomie communale par la reconnaissance d’un pouvoir de prélever des recettes fiscales constitue en soi un objectif purement budgétaire, de sorte qu’un tel objectif ne saurait relever de la dérogation prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises (10). Il est important de noter par conséquent que, pour respecter cette disposition, l’imposition indirecte en question ne doit pas servir uniquement un objectif budgétaire.

19.      À cet égard, il ressort des documents présentés à la Cour que l’IVMDH a été introduit au même moment que celui auquel certaines compétences dans le domaine de la santé ont été transférées aux Communautés autonomes. Il est admis que l’objectif de l’IVMDH était de couvrir en partie les coûts encourus en conséquence du transfert de ces compétences. La Generalitat de Catalunya, qui confirme ce point dans ses observations écrites, admet que l’objectif de la création de l’IVMDH était de garantir que les Communautés autonomes disposent de ressources suffisantes pour faire face aux coûts en matière de santé qu’elles reprenaient en conséquence du transfert de compétences dans le domaine de la santé. À l’audience, il a été précisé que les recettes générées par l’IVMDH sont utilisées notamment pour construire de nouveaux hôpitaux.

20.      Dans ce contexte se pose la question suivante: une imposition indirecte qui sert (à tout le moins en partie) une finalité budgétaire, en ce sens qu’elle finance les compétences transférées dans le domaine de la santé, peut-elle néanmoins être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises?

21.      Tandis que c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de constater les faits et d’appliquer aux faits de l’affaire pendante devant elle le cadre interprétatif donné par la Cour, je dois avouer avoir des difficultés à admettre qu’une imposition indirecte telle que l’IVMDH puisse servir une «finalité spécifique» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. En effet, selon la juridiction de renvoi, l’IVMDH poursuit le même objectif que le droit d’accise harmonisé (l’IH), à savoir celui de réduire les coûts sociaux (en matière de santé et d’environnement) encourus en conséquence de la consommation d’hydrocarbures.

22.      Il est vrai qu’il ne peut être exclu qu’une imposition qui – en plus de servir une finalité budgétaire – est spécifiquement destinée à protéger la santé publique ou l’environnement puisse poursuivre une «finalité spécifique» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises (11). Toutefois, selon moi, la circonstance que les objectifs des lois établissant l’IVMDH et l’IH coïncident exclut d’emblée la possibilité d’invoquer l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. En fait, en raison de ce chevauchement, l’IVMDH ne peut être interprété comme servant une finalité spécifique au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises (12). Une telle interprétation compromettrait tout simplement les efforts d’harmonisation du régime des accises et donnerait lieu à un droit d’accise supplémentaire, contrairement à la finalité même de la directive sur les accises qui est d’abolir les entraves au marché intérieur qui subsistent. En effet, en dépit de l’objectif, libellé dans des termes larges, relatif à la protection de la santé publique et de l’environnement, les deux instruments semblent servir, en dernière analyse, la même finalité budgétaire de faire face à des besoins généraux de dépenses publiques dans un domaine donné (13).

23.      En outre, même à supposer qu’un chevauchement des objectifs susmentionnés n’existe pas, je considère que deux critères peuvent être utilisés pour déterminer si une imposition indirecte, telle que l’IVMDH en cause au principal, poursuit ou non une «finalité spécifique» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. Il s’agit de: (i) la structure de la taxe elle-même (et, plus particulièrement, son mode de calcul) ou (ii) l’utilisation des recettes de la taxe pour poursuivre la réalisation d’une finalité spécifique (non budgétaire) (14). Je considère que le deuxième critère est secondaire par rapport au premier et qu’il n’intervient que s’il ne peut être déterminé, sur la base du premier critère, si l’imposition en question poursuit une finalité spécifique.

24.      Premièrement, la structure d’une imposition indirecte peut constituer une indication particulièrement utile de la finalité non budgétaire d’une imposition. En fait, il me semble que la «structure» constitue le principal instrument pour identifier une «finalité spécifique». Il en est ainsi parce qu’une imposition échappe rarement aux contraintes d’une finalité budgétaire, à moins que sa structure n’atteste de l’existence d’un autre but, non budgétaire.

25.      Plus spécifiquement, une finalité non budgétaire peut être identifiée lorsqu’une imposition est fixée à un niveau qui décourage ou encourage un certain comportement. Il en est ainsi, en particulier, lorsque le niveau de l’imposition varie en fonction des effets néfastes pour la santé ou l’environnement du produit taxé (15). Un point important à noter est que, dans la mesure où la structure de l’imposition indique que celle-ci sert une finalité spécifique, les recettes perçues peuvent être affectées à toute utilisation jugée appropriée. À cet égard – et nonobstant le fait que l’objectif déclaré de l’IVMDH est de réduire les effets néfastes de la consommation d’hydrocarbures – je note qu’il n’a pas été fourni à la Cour d’informations laissant penser que la structure de l’IVMDH est en fait destinée spécifiquement à décourager la consommation d’hydrocarbures ou, effectivement, à encourager l’utilisation d’un autre type de produit considéré comme moins dommageable du point de vue de la santé publique ou de l’environnement (16).

26.      Deuxièmement, même si la structure n’indique pas l’existence d’une «finalité spécifique» véritable, l’imposition en question peut néanmoins être considérée comme relevant de la dérogation prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. C’est le cas lorsque les recettes obtenues sont utilisées pour financer des mesures spécifiques qui contribuent directement à la réalisation d’une finalité spécifique non budgétaire (relative, par exemple, à la protection de la santé publique ou de l’environnement). Dans cette deuxième hypothèse, subsidiaire, j’estime qu’il est d’une importance particulière – pour respecter le fait que l’article 3, paragraphe 2, constitue une exception à la règle générale – qu’un lien suffisamment étroit soit établi entre la manière dont les recettes obtenues sont utilisées, d’une part, et la réalisation de la finalité spécifique (non budgétaire) de l’imposition, d’autre part.

27.      Conformément à l’article 9, paragraphe 1, point 3, de la loi 24/2001, les recettes obtenues au moyen de l’IVMDH doivent être utilisées pour des mesures en matière de santé et d’environnement (bien que le financement de mesures en matière d’environnement semble être optionnel). Elles sont donc sans aucun doute affectées à une finalité prédéterminée. Toutefois, cette finalité demeure, selon moi, purement budgétaire. Dans les circonstances de l’espèce, l’utilisation des recettes est définie de manière très large: les mesures financées par l’IVMDH ne sont en aucune manière limitées à celles dont on pourrait soutenir qu’elles possèdent un lien étroit avec l’objectif de lutte contre les effets dommageables de l’utilisation des produits taxés.

28.      Il est important d’établir une distinction entre la finalité de l’imposition – qui constitue le cœur de la question examinée – et les utilisations auxquelles les recettes de celle-ci peuvent être affectées. À la différence du scénario se présentant pour le critère de la «structure» mentionné au point 24 des présentes conclusions (dans lequel les fonds obtenus peuvent être utilisés comme cela est jugé approprié), la question de la manière dont les recettes perçues sont utilisées est d’une importance particulière ici. Il en est ainsi parce que, pour établir un lien entre l’utilisation des recettes et la finalité spécifique de l’imposition en question, il est impératif que l’utilisation à laquelle les fonds sont affectés contribue à la réalisation de la finalité non budgétaire de l’imposition en question (ici: la réduction des coûts sociaux liés à la consommation d’hydrocarbures).

29.      En d’autres termes, accepter que le respect de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises exigerait simplement que les recettes fiscales soient affectées à une finalité prédéterminée (ou, le cas échéant, à des finalités prédéterminées, comme c’est le cas en l’espèce) priverait tout simplement la directive de son efficacité. En effet, une telle interprétation ouvrirait la dérogation à toute(s) finalité(s), budgétaire ou autre, à condition que les recettes fiscales en cause soient affectées d’une manière spécifique à la compensation de certains coûts supportés par les autorités publiques. En outre, cela permettrait aux États membres d’invoquer plusieurs finalités prédéterminées conjointes pour justifier la nécessité d’introduire d’autres impositions indirectes sur des produits régis par la directive.

30.      Selon moi, la simple affectation des recettes fiscales à des mesures en matière de santé et d’environnement en général ne suffit pas à établir que l’imposition poursuit une finalité non budgétaire comme cela est requis par l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. En l’espèce, aucun lien direct n’est établi entre, d’une part, les mesures financées par les recettes tirées de l’IVMDH et, d’autre part, l’objectif de prévenir et rectifier l’impact néfaste associé à la consommation d’hydrocarbures.

31.      En fait, rien dans les documents présentés à la Cour ne laisse penser que les recettes perçues au moyen de l’IVMDH doivent être affectées à des mesures spécifiques en matière de santé ou d’environnement qui pourraient, à leur tour, confirmer l’existence d’une finalité non budgétaire. Comme il a été mentionné ci-dessus, les recettes tirées de l’IVMDH sont utilisées pour couvrir des dépenses (de nature générale) liées, en particulier, aux soins de santé, une compétence qui a été transférée aux Communautés autonomes simultanément à l’introduction de l’IVMDH. Pour relever de la dérogation prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises, les règles nationales devraient spécifier, à tout le moins, la manière dont les recettes perçues doivent être affectées (pour poursuivre l’objectif non budgétaire de l’imposition). En outre, lorsque des niveaux de taxation différenciés sont adoptés, les règles fixant ces niveaux devraient également contenir des critères objectifs sur lesquels une telle différenciation peut être fondée.

32.      À la lumière de ce qui précède, je ne considère pas qu’une imposition indirecte telle que l’IVMDH puisse être considérée comme servant une «finalité spécifique» au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. Compte tenu de ce résultat, il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième condition (respect de l’économie générale des accises ou de la TVA). Pour l’hypothèse où la Cour souhaiterait néanmoins procéder à un tel examen, je présenterai les observations qui suivent.

C –    Deuxième condition: respect de l’économie générale des accises ou de la TVA

33.      Je rappellerai d’emblée que, aux fins de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises, il est suffisant, comme la juridiction de renvoi l’indique, qu’une imposition indirecte qui poursuit une finalité spécifique respecte les règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la TVA pour (i) la détermination de la base d’imposition, (ii) le calcul, (iii) l’exigibilité et (iv) le contrôle de l’impôt (17). La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si tel est le cas de l’IVMDH.

34.      La question de l’exigibilité est au cœur des interrogations de la juridiction de renvoi au sujet de la deuxième condition (18). Sur ce point, la Cour a indiqué dans son arrêt EKW et Wein & Co, précité, que l’imposition en cause dans cette procédure «ne respecte pas les règles relatives à l’exigibilité des accises, dès lors qu’elle n’est exigible qu’au stade de la vente au consommateur, et non lors de la mise à la consommation» (c’est nous qui soulignons) (19).

35.      Cette conclusion est directement transposable en l’espèce.

36.      En effet, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive sur les accises, l’accise devient exigible «lors de la mise à la consommation» (20). Il s’agit du moment auquel le produit quitte le dernier entrepôt fiscal. Contrairement à ce que prévoit cette disposition, le dossier montre que l’IVMDH est perçu à l’occasion de la vente au détail de tels produits (qui intervient après la «mise à la consommation» au sens de la directive sur les accises).

37.      Il est vrai toutefois que la jurisprudence de la Cour précise que le respect de «l’économie générale» des accises (ou de la TVA) n’exige pas que l’imposition indirecte en cause respecte toutes les règles applicables aux accises pour la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt. Il exige plutôt que l’impôt indirect respecte sur ces quatre points l’économie générale soit des accises, soit de la TVA, telles qu’elles sont organisées par la réglementation de l’Union (21). En effet, comme l’avocat général Saggio l’a souligné, si la coïncidence entre les deux régimes devait être totale, cela réduirait non seulement à néant l’effet utile de l’article 3, paragraphe 2, mais risquerait de faire naître une autre forme d’accises, contrairement au principe de l’unicité de l’accise (22).

38.      En suivant ce raisonnement, il semble que, si un État membre souhaite introduire une imposition indirecte, avec une finalité spécifique liée à la protection de la santé publique (et de l’environnement), sur certains types d’huiles minérales, il ne peut le faire que dans la mesure où cette imposition respecte toutes les règles de l’Union relatives à la catégorie concernée de produits en matière soit d’accises, soit de TVA, mais il ne devrait pas, en outre, respecter à la lettre les règles spécifiques – à supposer que de telles règles existent en fait – relatives à une sous-catégorie particulière de ces produits (23).

39.      La question subsiste toutefois de savoir quand une imposition respecte l’«économie générale» de l’une de ces techniques d’imposition. En outre, la question est celle de savoir si une incompatibilité peut être déduite du fait que les impositions en cause ne deviennent pas exigibles au même moment.

40.      Selon moi, la réponse à ces questions se trouve dans la ratio legis de la directive sur les accises. La Cour a jugé que la directive vise à éviter que les impositions indirectes supplémentaires entravent indûment les échanges. Tel serait, notamment, le cas si les opérateurs économiques étaient soumis à des formalités autres que celles prévues par la réglementation européenne relative aux accises ou à la TVA (24). Lorsque l’imposition indirecte en cause entrave cet objectif, elle ne peut être compatible avec l’un ou l’autre de ces systèmes de taxation. Le critère pertinent est, par conséquent, de savoir si l’imposition entrave ou non le bon fonctionnement du marché. Il ne s’agit pas, comme le soutiennent la Generalitat de Catalunya et le gouvernement espagnol, de savoir si l’imposition en question entrave ou non le fonctionnement normal du système établi par la directive sur les accises (ou, effectivement, la directive sur la TVA (25)).

41.      En effet, alors que la directive sur les accises ne fait pas explicitement de distinction entre les quatre critères (base d’imposition, calcul, contrôle et exigibilité de l’impôt) pour ce qui est de l’ordre d’importance de chacun d’eux pour l’appréciation de la question de savoir si l’imposition en question respecte l’économie générale soit des accises, soit de la TVA, la directive met néanmoins un accent particulier sur l’exigibilité. Il en est ainsi en raison de l’importance de celle-ci pour le bon fonctionnement du marché intérieur (26).

42.      Un point qui ne devrait pas être négligé est que la différence en termes d’exigibilité aura un effet sur la durée du régime suspensif (bien que la différence de durée puisse dépendre de la nature des produits en cause). En vertu de la directive sur les accises, le contrôle du produit cesse dès qu’il quitte l’entrepôt fiscal. En l’espèce, l’IVMDH impose néanmoins la poursuite du contrôle jusqu’à ce que le produit soit vendu au consommateur final. Il est également devenu clair à l’audience que d’autres différences existent entre l’IVMDH et le système établi par la directive sur les accises: c’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’obligation de déclarer l’imposition en cause et la méthode de calcul de l’impôt (27).

43.      S’agissant de la TVA, je me contenterai de noter que, suite à l’arrêt EKW et Wein & Co de la Cour, précité, il est de jurisprudence constante qu’un impôt indirect tel que l’IVMDH, qui est uniquement perçu au stade de la vente au consommateur, et non, comme c’est le cas pour la taxe sur la valeur ajoutée, à chaque stade du processus de production et de distribution, ne peut pas être considéré comme compatible avec l’économie générale de la taxe sur la valeur ajoutée (28).

44.      En résumé, introduire une imposition supplémentaire qui devient exigible à un moment différent de celui de l’accise (ce qui implique également que les assujettis puissent être différents s’agissant des deux impositions) crée des formalités supplémentaires pour les opérateurs au sens de la jurisprudence de la Cour. Par conséquent, une telle imposition est exclue par l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises.

45.      Enfin, s’agissant de la question de savoir si l’IVMDH (à supposer qu’il poursuive une finalité spécifique) peut, malgré l’interprétation proposée ci-dessus, être interprété comme étant conforme à l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises, au simple motif qu’il n’empêche ni ne complique le fonctionnement normal de l’exigibilité des accises ou de la TVA, comme la juridiction de renvoi semble le soutenir dans la deuxième partie de la seconde question, je renvoie à mes observations au point 40 des présentes conclusions.

46.      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises exclut une imposition indirecte telle que l’IVMDH en cause dans la procédure au principal lorsque la juridiction nationale juge qu’un tel impôt ne sert pas de finalité spécifique non budgétaire et ne respecte pas l’économie générale des accises ou de la TVA pour la détermination de l’exigibilité.

D –    Est-il approprié de limiter les effets dans le temps de l’arrêt de la Cour en l’espèce?

47.      Le gouvernement espagnol a demandé à la Cour de limiter les effets dans le temps de son arrêt, dans l’hypothèse où elle conclurait que l’IVMDH est incompatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises. Étant donné l’approche adoptée dans les présentes conclusions, il est nécessaire d’examiner si une telle limitation est justifiée en l’espèce. Tandis qu’il apparaît clairement des arguments (29) avancés par le gouvernement espagnol que les conséquences financières d’une déclaration d’incompatibilité ne peuvent en aucune manière être sous-estimées, je ne considère pas qu’il est approprié de limiter les effets dans le temps d’une déclaration d’incompatibilité dans les circonstances de l’espèce.

48.      Je rappellerai d’emblée qu’une interprétation donnée par la Cour d’une règle de droit de l’Union est destinée à éclairer et préciser la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle – telle qu’interprétée par la Cour – doit être appliquée à tous les rapports juridiques, y compris ceux nés et constitués avant l’arrêt dans lequel l’interprétation a été précisée (30). Par principe, la Cour ne peut, par conséquent, limiter les effets de ses arrêts dans le temps que dans des circonstances exceptionnelles (31).

49.      La Cour a précédemment admis que les effets dans le temps d’un arrêt puissent être limités lorsque deux conditions (cumulatives) sont remplies. D’une part, un «risque de répercussions économiques graves» doit être établi. Ces répercussions doivent résulter, notamment, d’un nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur. D’autre part, le comportement illicite doit avoir été adopté en conséquence de l’existence d’une incertitude objective et importante quant à l’interprétation et à la portée des dispositions en question du droit de l’Union. À cet égard, la Cour attache une importance particulière au comportement d’autres États membres et de la Commission qui a éventuellement contribué au comportement illicite en question (32).

50.      En l’espèce, le gouvernement espagnol fait valoir trois arguments pour justifier la limitation des effets dans le temps d’une déclaration d’incompatibilité. Premièrement, il soutient que l’application rétroactive d’un tel arrêt entraînerait des conséquences financières graves pour l’Espagne et ses Communautés autonomes. C’est le cas parce que les remboursements à accorder en cas de déclaration d’incompatibilité s’élèveraient, selon les estimations du gouvernement espagnol, à approximativement 13 milliards d’euros (ou 1,25 % du produit intérieur brut espagnol en 2011) (33). Deuxièmement, il fait valoir qu’une obligation de rembourser les impôts indûment perçus compromettrait gravement le financement du système de santé publique dans le territoire des Communautés autonomes. Troisièmement, le gouvernement espagnol considère que la Commission a contribué à la violation en question par son comportement.

51.      À l’audience, TJB et la Commission ont remis en question notamment les estimations faites par le gouvernement espagnol en ce qui concerne l’ampleur du risque financier en jeu. Selon eux, les règles nationales en matière de prescription excluraient automatiquement toute demande remontant à plus de quatre ans. En outre, vu le grand nombre d’affaires déjà pendantes, la Commission a également mis en doute l’effet pratique de la limitation de l’application rétroactive d’une déclaration d’incompatibilité.

52.      Même à supposer que les objections soient fondées, il ne fait aucun doute pour moi, comme mentionné ci-dessus, que les montants concernés demeurent considérables. En effet, en prenant en compte, en particulier, la situation financière précaire à laquelle l’Espagne et ses Communautés autonomes sont actuellement confrontées, on ne peut exclure que ces montants impliquent un «risque de répercussions économiques graves» au sens de la jurisprudence de la Cour (34).

53.      En outre, vu le grand nombre de rapports juridiques impliqués (même s’il semble probable que les remboursements seront principalement demandés par des entreprises telles que TJB), l’on peut concevoir qu’une déclaration d’incompatibilité aura des répercussions graves sur le système qui contribue au financement des Communautés autonomes. Une confusion et une perturbation du financement régional des soins de santé ne peuvent pas non plus être exclues vu l’importance de l’IVMDH dans le financement des mesures adoptées par les Communautés autonomes dans ce domaine. Sur la base de ces facteurs, il apparaît que la première condition est remplie en l’espèce.

54.      Toutefois, le (seul) fait qu’un arrêt rendu à titre préjudiciel puisse avoir des conséquences financières significatives pour un État membre ne suffit pas, en règle, à justifier la limitation des effets d’un arrêt dans le temps (35). Toute autre conclusion aurait pour conséquence paradoxale de traiter plus favorablement les violations les plus graves et de la durée la plus longue (36). C’est la raison pour laquelle la seconde condition, relative à l’incertitude quant à la signification et à la portée des dispositions en cause du droit de l’Union, doit également être remplie.

55.      Il ne semble pas exister une telle incertitude en l’espèce. En fait, la présente affaire doit être distinguée de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EKW et Wein & Co, précité, dans laquelle la Cour a admis que l’effet rétroactif de l’arrêt devrait être limité. Ceci était considéré comme justifié parce que, en premier lieu, l’article 3, paragraphe 2 n’avait pas précédemment fait l’objet d’une décision à titre préjudiciel et d’éléments d’interprétation de la part de la Cour. En deuxième lieu, la Cour a considéré que le comportement de la Commission avait pu amener le gouvernement autrichien à estimer raisonnablement que la réglementation en cause était conforme au droit de l’Union (37).

56.      En revanche, lorsque l’IVMDH a été adopté, la Cour avait déjà fourni des éléments d’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises et, surtout, statué à titre préjudiciel sur l’incompatibilité d’un impôt interprété de manière similaire dans l’arrêt EKW et Wein & Co, précité (38). Je ne suis pas convaincu non plus par les arguments du gouvernement espagnol selon lesquels il a agi de bonne foi lorsqu’il a adopté l’IVMDH. En fait, rien dans les documents soumis à la Cour ne laisse penser que la Commission a induit le gouvernement espagnol en erreur au sujet de la légalité de l’IVMDH. Au contraire, elle a clairement indiqué qu’elle considérait l’IVMDH comme illégal.

57.      En fait, avant l’introduction de l’IVMDH, un certain nombre de questions préliminaires ont été posées à la Commission au sujet de la compatibilité avec le droit de l’Union de certaines solutions juridiques qui étaient envisagées. La réponse donnée par la Commission, qui est versée au dossier, ne corrobore pas, selon moi, les affirmations du gouvernement espagnol. Plutôt que d’induire l’Espagne en erreur en l’amenant à croire que la législation envisagée était conforme au droit de l’Union, je comprends que la Commission a clairement énoncé à nouveau, se référant notamment à l’arrêt EKW et Wein & Co de la Cour, précité, les conditions qui doivent être remplies pour qu’une imposition indirecte soit compatible avec le droit de l’Union. Dans la conclusion de son évaluation, elle a clairement indiqué qu’elle ne considérait pas le projet de législation en cause comme conforme au droit de l’Union. L’ouverture d’un recours en manquement contre l’Espagne sur cette question confirme encore l’opinion de la Commission quant à l’illégalité de l’IVMDH. Dès lors, il ne me paraît pas approprié de limiter en l’espèce les effets de l’arrêt de la Cour dans le temps.

58.      Ceci étant dit, je ne pense pas qu’il puisse catégoriquement être exclu que, dans certaines circonstances, tout à fait exceptionnelles, dans lesquelles l’impact financier de la rétroactivité serait particulièrement grave, la Cour puisse envisager la limitation des effets de son arrêt dans le temps, même lorsque la deuxième condition, relative à la bonne foi, n’est pas remplie. Ce serait le cas, en particulier, lorsque les conséquences financières sont jugées clairement disproportionnées par rapport au degré de négligence en cause. Je mettrais néanmoins en garde contre l’abandon du critère de bonne foi en l’espèce. Comme il a été noté ci-dessus, l’Espagne semble avoir sciemment pris le risque d’introduire la législation en cause et, en conséquence, cette législation est appliquée depuis de nombreuses années au détriment du consommateur final et du marché intérieur.

IV – Conclusion

59.      Eu égard aux arguments qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions déférées à titre préjudiciel par le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña comme suit:

L’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise s’oppose à une imposition indirecte telle que l’impôt sur les ventes au détail de certaines huiles minérales («Impuesto sobre las ventas minoristas de determinados hidrocarburos») en cause dans la procédure au principal lorsque la juridiction nationale juge qu’un tel impôt ne sert pas de finalité spécifique non budgétaire et ne respecte pas l’économie générale des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de l’exigibilité.


1 –      Langue originale: l’anglais.


2 –      Directive du Conseil du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée (ci‑après la «directive sur les accises»). La directive 92/12 a, à compter du 1er avril 2010, été abrogée et remplacée par la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO L 9, p. 12).


3 –      Le libellé de l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises a précédemment été source de confusion. En effet, certaines versions linguistiques font référence aux «accises et taxe sur la valeur ajoutée», alors que d’autres contiennent la formule «accises ou taxe sur la valeur ajoutée». Étant donné que les règles relatives aux accises et celles relatives à la TVA sont mutuellement incompatibles à de nombreux égards et que le respect des deux régimes entraînerait de nombreuses difficultés pratiques, la Cour a jugé qu’il suffit que l’imposition en question soit conforme à l’économie générale des accises ou de la TVA: voir arrêts du 24 février 2000, Commission/France (C‑434/97, Rec. p. I‑1129, points 24 et 27), et du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co (C‑437/97, Rec. p. I‑1157, points 44 et 47).


4 –      Loi 24/2001 portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social (Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social), du 27 décembre 2001 (BOE nº 313, du 31 décembre 2001, p. 50493).


5 –      L’«Impuesto sobre Hidrocarburos» (ci-après l’«IH») est régi par la loi 38/1992 sur les accises (Ley 38/1992, de 28 de dicíembre, de Impuestos Especiales), du 28 décembre 1992.


6 –      Proposition de directive du Conseil relative au régime général, à la détention et à la circulation des produits soumis à accise [COM(90) 431 final] (JO 1990, C 322, p. 1), article 3, paragraphe 2.


7 –      Voir arrêt Commission/France, précité (point 18).


8 –      Conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EKW et Wein & Co, précité (point 38).


9 –      Arrêt EKW et Wein & Co, précité (point 31). Voir, également, arrêts du 10 mars 2005, Hermann (C‑491/03, Rec. p. I‑2025, point 16), et Commission/France, précité (point 19).


10 –      Arrêt EKW et Wein & Co, précité (point 33).


11 –      Voir arrêt Commission/France, précité, et point 39 des conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EKW et Wein & Co, précité. Voir, également, conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 juin 1999, Braathens (C‑346/97, Rec. p. I‑3419, point 14).


12 –      Voir, de manière similaire, point 44 des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hermann, précité.


13 –      Bien qu’une accise, telle que l’IH, puisse être considérée comme un impôt environnemental étant donné que la production et l’utilisation d’huiles minérales affectent indubitablement l’environnement, cela ne modifie pas la finalité sous-jacente d’obtenir des fonds pour financer des fonctions publiques.


14 –      Voir, de manière similaire, point 15 des conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Braathens, précité, et point 40 des conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EKW et Wein & Co, précité.


15 –      Voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité, qui concernait une imposition indirecte sur l’alcool due sur les boissons alcooliques d’une teneur en alcool supérieure à 25 % vol. Voir, également, point 15 des conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Braathens, précité, et point 43 des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hermann, précité.


16 –      Il ressort, toutefois, de la décision de renvoi que des niveaux de taxation différents sont appliqués dans certaines Communautés autonomes. Bien que l’effet dissuasif puisse certainement dépendre de diverses circonstances (et puisse même être l’objet de différences régionales), ceci semblerait indiquer que l’IVMDH est un instrument purement budgétaire dans la mesure où sa structure (en pratique, le niveau de taxation) n’est pas fixée de manière non équivoque à un niveau considéré comme suffisamment élevé pour décourager l’utilisation des huiles minérales taxées. En outre, je rappellerai que l’introduction et le maintien de niveaux différenciés de taxation requiert une autorisation conformément à l’article 19 de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO L 283, p. 51), qui s’applique aux huiles minérales.


17 –      Voir point 1 des présentes conclusions. Voir, également, arrêts précités Commission/France (point 27), ainsi que EKW et Wein & Co (points 44 et 47).


18 –      La juridiction de renvoi n’a pas fourni à la Cour d’informations détaillées sur les différences de base d’imposition, de calcul et de contrôle de l’impôt. À l’audience, TJB a fourni à la Cour des informations sur les différences entre l’IVMDH et les prescriptions contenues dans la directive sur les accises, tandis que le gouvernement espagnol a conclu, après une comparaison approfondie de l’IVMDH avec les accises et la TVA, portant sur la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, que l’IVMDH n’entrave aucun de ces systèmes d’imposition.


19 –      Point 48.


20 –      Voir, également, article 4, paragraphe 2, de la directive 2003/96, qui dispose que «[a]ux fins de la présente directive, on entend par ‘niveau de taxation’ le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la TVA) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation».


21 –      Arrêt EKW et Wein & Co, précité (point 47).


22 –      Voir point 46 des conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EKW et Wein & Co, précité.


23 –      Par conséquent – et contrairement à ce que le gouvernement français a soutenu à l’audience – je ne considère pas qu’il est pertinent pour l’imposition des huiles minérales que l’article 21, paragraphe 5, de la directive 2003/96 dispose, s’agissant de l’électricité et du gaz naturel (qui ne font pas partie des huiles minérales), que la taxe devient exigible au moment de la fourniture de ces produits par le distributeur ou le redistributeur.


24 –      Voir arrêts précités Commission/France (point 26), ainsi que EKW et Wein & Co (point 46).


25 –      Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).


26 –      Le quatrième considérant de la directive sur les accises souligne spécifiquement la nécessité de garantir que l’exigibilité des accises soit identique dans tous les États membres.


27 –      L’IH doit être repris dans une déclaration fiscale mensuelle, tandis que l’IVMDH est repris dans une déclaration fiscale trimestrielle. S’agissant du calcul de l’impôt, l’accise sur les huiles minérales est calculée sur la base de leur température à 18°, tandis que la température pertinente pour l’IVMDH est la température de l’air.


28 –      Point 49. Lorsqu’elle a jugé l’imposition en cause dans cette procédure incompatible avec le droit de l’Union, la Cour a également souligné le fait que, à la différence de la TVA, une imposition indirecte qui devient exigible seulement au stade de la vente au consommateur final est calculée sans aucune déduction pour l’impôt en amont. Tandis que ceci semble être la conséquence directe d’une imposition devenant exigible lorsque le produit est vendu au consommateur final, il y a lieu de noter que, même sur ce point, l’IVMDH obéit à la même logique que l’imposition en cause dans l’arrêt EKW et Wein & Co, précité.


29 –            Voir point 50 ci-dessous.


30 –      Voir, par exemple, arrêt du 10 mai 2012, FIM Santander Top 25 Euro Fi (C‑338/11 à C‑347/11, point 58 et jurisprudence citée).


31 –      Ibidem (point 59 et jurisprudence citée). Voir également, par exemple, arrêt du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C‑292/04, Rec. p. I‑1835, point 36 et jurisprudence citée).


32 –            Par exemple, voir arrêt FIM Santander Top 25 Euro Fi, précité (point 60 et jurisprudence citée). Ceci vaut également pour les affaires relatives à des impôts recouvrés par les autorités nationales compétentes; voir arrêt EKW et Wein & Co, précité (points 55 à 60).


33 –      Bien qu’une telle charge financière supplémentaire aurait sans aucun doute des conséquences dévastatrices pour tout État, la gravité des conséquences en jeu pour un État membre dans la situation financière de l’Espagne ne peut pas, selon moi, être sous-estimée.


34 –      Voir points 34 et 35 des conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Meilicke e.a., précité. Dans cette affaire, le gouvernement allemand a estimé que la non-limitation de l’effet d’une déclaration d’incompatibilité aurait équivalu à des remboursements fiscaux correspondant à 0,25 % du produit intérieur brut allemand en 2004. Il y a lieu également de noter que la Cour n’a pas suivi la proposition de l’avocat général de limiter la rétroactivité de son arrêt dans cette affaire.


35 –      Arrêt du 15 mars 2005, Bidar (C‑209/03, Rec. p. I‑2119, point 68 et jurisprudence citée).


36 –      Voir point 65 des conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EKW et Wein & Co, précité.


37 –      Arrêt EKW et Wein & Co, précité (point 58).


38 –      Voir, également, arrêt Commission/France, précité. Ici, il y a lieu de noter que la «finalité spécifique» de l’imposition française en cause n’a pas été remise en question, mais seulement sa compatibilité avec les règles des accises ou de la TVA. Il en est ainsi, selon moi, parce que l’imposition était structurée d’une manière permettant de poursuivre la finalité non budgétaire avancée par les autorités françaises.