Language of document : ECLI:EU:F:2008:160

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE
L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

4 décembre 2008 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BCE – Rémunération – Indemnité de dépaysement – Conditions prévues à l’article 17 des conditions d’emploi de la BCE – Condamnation du requérant aux dépens – Exigences d’équité – Article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure »

Dans l’affaire F‑6/08,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 36.2 du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, annexé au traité CE,

Jessica Blais, membre du personnel de la Banque centrale européenne, demeurant à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représentée par MB. Karthaus, avocat,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par M. F.Malfrère et Mme F. Feyerbacher, en qualité d’agents, assistés de MB. Wägenbauer, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. H. Tagaras, faisant fonction de président, H. Kanninen et S. Gervasoni (rapporteur), juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 7 janvier 2008 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 15 janvier suivant), Mme Blais demande l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 15 août 2007, telle que confirmée par la décision de son président, du 8 novembre 2007, de ne pas lui accorder l’indemnité de dépaysement.

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 1er des conditions d’emploi du personnel de la BCE (ci-après les « conditions d’emploi »), arrêtées par le conseil des gouverneurs de la BCE en application de l’article 36 du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la BCE :

« Aux fins de l’application des [c]onditions d’emploi, le ‘membre du personnel’ de la [BCE] désigne toute personne qui a signé un contrat de travail pour occuper un emploi à la BCE pendant une durée indéterminée ou une durée déterminée supérieure à un an et qui est entrée en fonctions. » (Traduction libre.)

3        En vertu de l’article 9, sous c), iii), des conditions d’emploi, la BCE applique les règles contenues dans les règlements et les directives communautaires concernant la politique sociale dont les États membres sont destinataires.

4        L’article 17 des conditions d’emploi dispose :

« Conformément aux conditions fixées par les règles applicables au personnel, une indemnité de dépaysement égale à 16 % du montant total du traitement de base, de l’allocation de foyer et de l’allocation pour enfant est payée :

i)      aux membres du personnel qui n’ont pas et qui n’ont jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé leur lieu d’affectation sauf s’ils ont habituellement résidé ou exercé leur activité professionnelle principale sur le territoire de cet État pendant la période entière de cinq ans prenant fin six mois avant leur entrée en fonctions au service de la BCE ;

ii)      aux membres du personnel qui ont ou qui ont eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de leur affectation et qui ont habituellement résidé en dehors du territoire actuel de cet État pendant la période entière de dix ans prenant fin à la date de leur entrée en fonctions à la BCE.

[…] »

5        En vertu de l’article 3.7 des règles applicables au personnel de la BCE, auxquelles renvoie l’article 17 des conditions d’emploi :

« 3.7 Indemnité d’expatriation

Il est fait application des dispositions des articles 17 et 18 des conditions d’emploi comme suit :

3.7.1 En vue de déterminer le droit à l’indemnité de dépaysement d’un membre du personnel qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, les périodes suivantes ne sont pas prises en compte :

a)      les périodes d’activité professionnelle dans l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu de son affectation, pendant lesquelles l’activité professionnelle avait été exercée pour le compte d’un autre État ou d’une organisation internationale ; et

b)      les périodes de formation ou de stage dans l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu de son affectation, s’il avait conservé sa résidence principale dans un autre pays pendant ce temps.

3.7.2 En vue de déterminer le droit à l’indemnité de dépaysement d’un membre du personnel qui a ou a eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, les périodes suivantes ne sont pas prises en compte :

a)      les périodes d’activité professionnelle hors de l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu de son affectation, pendant lesquelles l’activité professionnelle avait été exercée pour le compte de cet État ou d’une organisation internationale ; et

b)      les périodes de formation et de stage hors de l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu de son affectation, s’il avait conservé sa résidence principale dans cet État pendant ce temps.

3.7.3 La condition de résidence habituelle pour une période entière est considérée comme remplie même si cette période a été interrompue pendant une période n’excédant pas six mois par un emploi de courte durée ou une affectation provisoire, des séjours d’études, le service militaire ou civil, des stages, des vacances, etc.

3.7.4 Lorsque un membre du personnel a deux nationalités, dont celle de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, cette dernière nationalité détermine ses droits. » (Traduction libre.)

(« 3.7 Expatriation allowance

The provisions of Articles 17 and 18 of the Conditions of Employment shall be applied as follows :

3.7.1 In determining a member of staff’s entitlement to an expatriation allowance, where they are not and have never been a national of the State in whose territory their place of employment is situated, the following periods shall not be taken into account :

a)      periods of work within the State in whose territory his/her place of employment is situated, where the work was carried out for another State or for an international organisation ; and

b)      periods of education or training within the State in whose territory his/her place of employment is situated, if during that time his/her main residence remained in another country.

3.7.2 In determining a member of staff’s entitlement to an expatriation allowance, where they are or have been a national of the State in whose territory their place of employment is situated, the following periods shall not be taken into account :

a)      periods of work outside the State in whose territory their place of employment is situated, where the work was carried out for this State or for an international organisation ; and

b)      periods of education or training outside the State in whose territory their place of employment is situated, if during that time their main residence remained within the State.

3.7.3 The condition of habitual residence for an entire period shall be deemed fulfilled even if that period has been interrupted for a period not exceeding six months by short-term employment or secondment, study, military or alternative service, training periods, holidays, etc.

3.7.4 When a member of staff has dual nationality including that of the State in whose territory his/her place of employment is situated, the latter shall determine his/her entitlements. »)

6        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») :

« L’indemnité de dépaysement égale à 16 % du montant total du traitement de base ainsi que de l’allocation de foyer et de l’allocation pour enfant à charge versées au fonctionnaire, est accordée :

a)      au fonctionnaire :

–        qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation

et

–        qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l’application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération ;

b)      au fonctionnaire qui, ayant ou ayant eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, a, de façon habituelle, pendant la période de dix années expirant lors de son entrée en service, habité hors du territoire européen dudit État pour une raison autre que l’exercice de fonctions dans un service d’un État ou dans une organisation internationale.

[…] »

7        L’annexe II b des conditions d’emploi définit un régime particulier pour les titulaires de contrats d’une durée inférieure à un an, que le paragraphe 1, sous a), de ladite annexe dénomme agents contractuels de courte durée (« short-term contract employee »). Ce régime ne prévoit notamment pas le versement de l’indemnité de dépaysement.

8        L’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, mis en œuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999 (JO L 175, p. 43, ci-après l’« accord-cadre sur le travail à durée déterminée »), et figurant en annexe de cette dernière, définit, dans sa clause 3, paragraphe 1, le « travailleur à durée déterminée » comme « une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un évènement déterminé ».

9        Aux termes de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée :

« 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.

[…]

4. Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiés par des raisons objectives. »

 Faits à l’origine du litige

10      La requérante, née en 1983 au Canada, possède la double nationalité allemande et canadienne. Jusqu’en 2005, elle a résidé hors d’Allemagne, principalement au Canada.

11      Dans le cadre d’un échange universitaire entre l’université d’Ottawa (Canada) et la European Business School d’Oestrich-Winkel (Allemagne), la requérante a effectué un séjour d’études dans ce dernier pays du 1er septembre au 17 décembre 2005.

12      De février à août 2006, la requérante a travaillé au Canada dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée.

13      Le 4 octobre 2006, la requérante a loué un studio à Schmitten (Allemagne), près de Francfort-sur-le-Main, et y a emménagé avec un compagnon de nationalité allemande.

14      Le 10 novembre 2006, la requérante a signé avec l’agence de travail temporaire Bergwitz Personal GmbH un contrat de travail intérimaire à durée déterminée pour la période comprise entre le 13 novembre 2006 et le 12 mai 2007. Son employeur l’a affectée auprès de la BCE dès le 13 novembre 2006.

15      Le 14 février 2007, la requérante a mis fin au contrat de travail qui la liait à l’agence de travail temporaire, après s’être vu proposer par la BCE un contrat de courte durée pour la période comprise entre le 15 février et le 14 juillet 2007.

16      En cours d’exécution de ce contrat de travail à durée déterminée, la requérante a signé un deuxième contrat de travail avec la BCE pour un emploi d’assistante de direction à la direction générale « Affaires juridiques », d’une durée déterminée de trois ans, prenant effet à compter du 1er juin 2007.

17      Par lettre du 15 juin 2007, la requérante a demandé à bénéficier de l’indemnité de dépaysement, telle que prévue à l’article 17 des conditions d’emploi.

18      Le 16 juillet 2007, ne recevant pas de réponse à sa lettre, la requérante a formé un recours précontentieux. Ce recours précontentieux a été rejeté par lettre du 15 août 2007 (ci-après la « décision litigieuse »).

19      Le 8 octobre 2007, la requérante a adressé une réclamation au président de la BCE, en application de l’article 41 des conditions d’emploi et de l’article 8.1.5 des règles applicables au personnel de la BCE. Le président de la BCE a rejeté cette réclamation par lettre du 8 novembre 2007.

 Conclusions des parties

20      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse, telle que confirmée par la décision du président de la BCE du 8 novembre 2007, de ne pas lui accorder l’indemnité de dépaysement ;

–        condamner la BCE aux dépens.

21      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la requête ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

22      À l’appui de ses conclusions, la requérante soulève, en substance, deux moyens :

–        le premier, tiré de la violation de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, dont la BCE lui aurait refusé le bénéfice alors qu’elle en aurait rempli les conditions ;

–        le second, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi

 Arguments des parties

23      La requérante présente quatre arguments à l’appui de ce moyen :

–        le premier argument, tiré de ce que la BCE aurait considéré à tort que la période de référence visée à l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi aurait pris fin le 1er juin 2007 au lieu du 15 février 2007 ;

–        le deuxième argument, tiré de ce que l’indemnité de dépaysement ne pourrait lui être refusée au motif qu’elle n’avait pas déménagé vers l’Allemagne pour entrer au service de la BCE ;

–        le troisième argument, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise la BCE en estimant qu’elle avait fixé sa résidence habituelle en Allemagne avant le 15 février 2007 ;

–        le quatrième argument, tiré de ce que la condition de résidence habituelle hors d’Allemagne pendant la période de référence aurait été interprétée en méconnaissance des dispositions de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE.

–       Sur le premier argument, tiré de ce que la période de référence aurait pris fin le 15 février 2007 et non le 1er juin 2007

24      Selon la requérante, la BCE aurait méconnu la clause 4, paragraphe 4, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, en considérant que la période de référence de dix ans visée à l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi avait pris fin le 1er juin 2007, date à laquelle a débuté le contrat à durée déterminée signé par la requérante avec la BCE, au lieu du 15 février 2007, date du début du contrat de courte durée de la requérante à la BCE. En d’autres termes, la BCE aurait considéré illégalement que la requérante était entrée à son service le 1er juin 2007, alors que cette dernière y serait entrée le 15 février précédent.

25      En effet, en vertu de l’article 15 de l’annexe II b des conditions d’emploi, dont le contenu est comparable à celui de l’article 9, sous c), des conditions d’emploi, la BCE serait notamment tenue d’appliquer les dispositions contenues dans les règlements et directives communautaires concernant la politique sociale et qui s’imposent aux États membres. Ainsi, les dispositions de la directive 1999/70 mettant en œuvre l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée s’imposeraient à la BCE.

26      Or, le titulaire d’un contrat de courte durée (« short-term contract employee »), tel qu’il est défini à la première partie, article 1er, de l’annexe II b des conditions d’emploi, serait un « travailleur à durée déterminée » au sens de la clause 3, paragraphe 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée.

27      La clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée énoncerait que les travailleurs à durée déterminée ne pourraient pas être traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée au seul motif qu’ils travailleraient à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives. La clause 4, paragraphe 4, dudit accord-cadre disposerait, en particulier, que les critères d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiés par des raisons objectives.

28      Or, en considérant que la requérante n’était entrée à son service que le 1er juin 2007, la BCE n’aurait pas pris en compte, dans le calcul de l’ancienneté de la requérante la période du 15 février au 31 mai 2007, pendant laquelle elle a été employée par la BCE en vertu d’un contrat de courte durée, comme elle l’aurait fait si l’intéressée avait alors bénéficié d’un contrat à durée indéterminée. Or, la BCE ne serait pas en mesure de justifier cette différence de traitement par des raisons objectives, ainsi que l’exigerait la clause 4, paragraphe 4, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée.

29      En outre, à supposer qu’il soit objectivement justifié de ne pas verser d’indemnité de dépaysement pendant un contrat de travail de courte durée, cette justification ne vaudrait que pour le contrat de travail de courte durée, mais non pour le contrat de travail à durée déterminée de la requérante, actuellement en cours, et à propos duquel se poserait la question de la reconnaissance de périodes d’ancienneté.

30      La BCE soutient qu’elle n’a pas enfreint la directive 1999/70 en retenant le 1er juin 2007 comme date de fin de la période décennale de référence pour déterminer le droit de la requérante à l’indemnité de dépaysement. Elle aurait tenu compte, à juste titre, des différences objectives existant entre le contrat à durée déterminée (« fixed-term contract ») régi par les conditions d’emploi et le contrat de courte durée (« short-term contract ») régi par des conditions d’emploi particulières applicables aux contrats de courte durée. À la différence de celle d’un contrat à durée déterminée, la conclusion d’un contrat de courte durée ne serait pas soumise à une procédure formelle de recrutement. De plus, un contrat de courte durée ne pourrait pas être converti en contrat à durée déterminée ni, a fortiori, en contrat à durée indéterminée. En outre, compte tenu de la différence de nature des relations d’emploi concernées, les titulaires d’un contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée supérieure à un an bénéficieraient d’une indemnité de dépaysement, s’ils remplissent les conditions de l’article 17 des conditions d’emploi, tandis que les titulaires d’un contrat de courte durée, qui n’ont pas droit à cette indemnité, pourraient solliciter, indépendamment de leur nationalité, la mise à disposition d’un logement provisoire et le paiement d’une indemnité mensuelle de déplacement, en application de l’article 4.2.1 des règles applicables aux contrats de courte durée. Ces différences justifieraient que les contrats de courte durée et les contrats à durée déterminée soient soumis à des règles différentes, notamment en ce qui concerne l’indemnité de dépaysement.

–       Sur le deuxième argument, tiré de ce que l’indemnité de dépaysement n’aurait pu être légalement refusée à la requérante au motif que cette dernière n’avait pas déménagé vers l’Allemagne pour entrer au service de la BCE

31      La BCE aurait commis une erreur de droit en refusant à la requérante l’attribution de l’indemnité de dépaysement au motif que l’intéressée n’aurait pas déménagé vers l’Allemagne pour entrer à son service et qu’elle n’aurait ainsi exposé aucune dépense supplémentaire ni supporté l’inconvénient d’une installation en Allemagne du fait de son entrée en fonctions à la BCE.

32      En effet, ce motif de refus méconnaîtrait la finalité de l’indemnité de dépaysement, telle qu’elle ressort de la jurisprudence communautaire. La finalité de l’indemnité de dépaysement ne serait pas de compenser les désagréments qui peuvent résulter d’un déménagement, ce qui serait l’objet de l’indemnité d’installation et des divers frais pris en charge par la BCE en vertu de l’article 22 des conditions d’emploi, mais de compenser le fait de séjourner à titre permanent dans un « pays étranger ».

33      Par conséquent, la question déterminante ne serait pas de savoir si la requérante est venue s’installer en Allemagne afin d’y occuper un emploi, mais si elle a eu sa résidence habituelle en Allemagne pendant la période de référence comprise entre le 15 février 1997 et le 15 février 2007.

34      La BCE fait valoir que la requérante n’a pas été obligée de transférer sa résidence du pays de son domicile au pays d’affectation pour prendre ses fonctions à la BCE, puisque la requérante avait déjà déménagé vers l’Allemagne pour des raisons personnelles. Or, l’indemnité de dépaysement viserait à compenser les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de fonctions à la BCE pour les membres du personnel qui sont de ce fait obligés de transférer leur résidence du pays de leur domicile au pays d’affectation et de s’intégrer dans un nouveau milieu. Par suite, la requérante ne serait pas en droit d’obtenir le bénéfice de cette indemnité.

–       Sur le troisième argument, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise la BCE en estimant que la requérante avait fixé sa résidence habituelle en Allemagne avant le 15 février 2007

35      La BCE aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la requérante avait fixé en Allemagne sa résidence habituelle, au sens de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, avant le 15 février 2007.

36      La résidence habituelle serait le lieu où une personne fixe, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Par conséquent, la question de savoir si la requérante a réellement eu l’intention d’établir une résidence habituelle dans le pays de son lieu d’affectation devrait être examinée en tenant compte de la totalité des éléments pertinents dans le cas d’espèce, y compris ceux à caractère personnel.

37      Du 4 octobre au 13 novembre 2006, la requérante aurait séjourné en Allemagne sans avoir d’activité professionnelle et aurait alors ignoré combien de temps elle resterait en Allemagne. Sa relation avec son compagnon n’aurait pas été encore suffisamment affermie pour qu’elle se rende en Allemagne dans le but de partager durablement la vie de ce dernier. Elle aurait même prévu de rentrer au Canada dans le cas où elle n’aurait pas trouvé d’emploi qui lui convienne en Allemagne. Enfin, il ne saurait être déduit de sa déclaration de résidence auprès de la commune de Schmitten une quelconque intention d’y établir sa résidence habituelle. En effet, cette déclaration de résidence serait imposée par la loi du Land de Hesse aux signataires d’un contrat de bail.

38      Du 13 novembre 2006 au 14 février 2007, la requérante aurait exercé une activité d’intérimaire. Il se serait agi d’un emploi extrêmement précaire, le préavis de licenciement étant réduit à une semaine. Or, le Tribunal de première instance aurait jugé dans l’arrêt du 27 septembre 2006, Koistinen/Commission (T‑259/04, RecFP p. I‑A‑2‑177 et II‑A‑2‑879, point 38), que le seul fait pour une personne de résider dans un pays étranger pendant une période de temps limitée à l’exécution d’un contrat de travail à durée déterminée ne permet pas de présumer l’existence d’une volonté de déplacer dans ce pays le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Cette solution serait transposable à la présente affaire, car la requérante n’aurait pas eu de raison, pendant la durée d’un contrat de travail intérimaire à durée déterminée pratiquement résiliable à tout instant, de transférer sa résidence habituelle, définie comme le lieu où se situe le centre de ses intérêts, du Canada vers l’Allemagne. La précarité de son emploi empêcherait de présumer que la requérante aurait eu l’intention de transférer sa résidence habituelle.

39      La requérante aurait précédemment séjourné en Allemagne au titre d’un échange universitaire, du 1er septembre 2005 au 17 décembre 2005. Toutefois, selon la jurisprudence communautaire relative à l’article 4 de l’annexe VII du statut, le fait qu’un fonctionnaire ait séjourné en qualité d’étudiant dans le pays de son lieu d’affectation ultérieur ne s’opposerait pas au versement d’une indemnité de dépaysement.

40      La requérante soutient, en définitive, que pendant la période de référence comprise entre le 15 février 1997 et le 15 février 2007, elle n’aurait jamais établi en Allemagne sa résidence habituelle. Les conditions d’ouverture du droit à la perception de l’indemnité de dépaysement seraient donc réunies.

41      Selon la BCE, au contraire, un faisceau d’éléments permettrait d’affirmer que la requérante avait transféré sa résidence habituelle en Allemagne en octobre ou en novembre 2006, soit avant d’entrer en fonctions à la BCE.

42      Premièrement, la volonté de la requérante de transférer le centre de ses intérêts personnels en Allemagne ne ferait pas de doute. Cette dernière aurait exposé qu’elle avait déménagé en Allemagne en octobre 2006 en raison de sa relation avec M. S. et qu’ils avaient le projet de trouver tous les deux un emploi en Allemagne.

43      Deuxièmement, la requérante aurait elle-même considéré que sa situation était durable, ainsi qu’il ressortirait de la déclaration de partenariat non matrimonial du 13 août 2007 par laquelle M. S. et elle-même auraient déclaré qu’ils étaient engagés depuis septembre 2005 dans un partenariat non matrimonial.

44      Troisièmement, avant d’entrer au service de la BCE, la requérante aurait déjà résidé de manière permanente à Schmitten, où elle aurait loué un logement dès le 4 octobre 2006, et où elle se serait inscrite comme nouvelle résidente le 1er octobre 2006.

45      Quatrièmement, la requérante aurait signé le 10 novembre 2006 un contrat de travail intérimaire avec la société Bergwitz Personal GmbH dont le siège est à Eschborn (Allemagne) et aurait ainsi travaillé à plein temps en Allemagne depuis le 13 novembre 2006.

–       Sur le quatrième argument, tiré de ce que la condition de résidence habituelle hors d’Allemagne pendant la période de référence aurait été interprétée par la BCE en méconnaissance des dispositions de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE

46      La BCE aurait considéré à tort que la requérante avait perdu le droit d’obtenir le bénéfice de l’indemnité de dépaysement en séjournant, sans y fixer sa résidence habituelle, plus de six mois en Allemagne, compte tenu du séjour universitaire de 2005, de la recherche d’emploi du 4 octobre au 13 novembre 2006 et de la période de travail intérimaire.

47      La BCE commettrait une erreur de droit en faisant valoir que, en vertu de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, une durée totale de séjour de plus de six mois dans le pays d’affectation, quel qu’en soit le motif, suffirait à établir une résidence habituelle dans ce pays.

48      En effet, si une telle interprétation de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE devait être admise, elle aurait pour effet de restreindre l’étendue du droit institué par l’article 17 des conditions d’emploi et de modifier la notion de résidence habituelle, empruntée par l’article 3.7.3 à l’article 4 de l’annexe VII du statut et à la jurisprudence communautaire. Or, l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE ne saurait avoir légalement une telle portée, dès lors qu’en vertu de l’article 9, sous a), des conditions d’emploi, les règles applicables au personnel de la BCE sont des dispositions d’exécution des conditions d’emploi.

49      En outre, le mot « période », employé au singulier à l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, indiquerait sans doute possible que seule une période de séjour de plus de six mois pourrait fonder la présomption d’une résidence habituelle. D’ailleurs, il ressortirait de la jurisprudence communautaire que plusieurs séjours dans l’État du lieu d’affectation dont la durée totale excède six mois ne permettraient pas davantage de conclure à un transfert de la résidence habituelle.

50      Par ailleurs, l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE énumèrerait seulement des hypothèses de séjour qui, normalement, n’emportent pas d’intention d’établir une résidence habituelle. S’agissant d’une énumération non exhaustive, elle ne pourrait avoir qu’une valeur illustrative.

51      Enfin, il ne serait pas possible d’interpréter l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE comme traduisant la volonté de celle-ci de limiter à six mois les séjours universitaires, alors que la jurisprudence communautaire reconnaît que ceux-ci, même lorsqu’ils sont plus longs, ne font pas obstacle à l’octroi d’une indemnité de dépaysement.

52      L’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE devrait être compris, conformément à la vocation d’une disposition d’exécution, comme un condensé de la jurisprudence du Tribunal de première instance selon laquelle certains types de séjours dans l’État d’affectation ne sont pas réputés établir une résidence habituelle.

53      La BCE fait valoir que, en tout état de cause, la requérante n’a pas le droit de bénéficier de l’indemnité de dépaysement, dès lors qu’elle a interrompu la période décennale de référence pendant plus de six mois. En effet, la condition relative à la période de référence ne serait pas remplie lorsque, pour l’un des motifs énumérés de manière non limitative par l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, le membre du personnel concerné aurait résidé pendant plus de six mois sur le territoire du pays d’affectation avant son entrée en fonctions. Même si le Tribunal devait exclure de la période de référence, la période d’activité accomplie par la requérante au service de la BCE dans le cadre d’un contrat de courte durée, la durée cumulée du séjour d’études en Allemagne (trois mois et demi) et du contrat à durée déterminée signé avec la société Bergwitz Personnal GmbH (du 13 novembre 2006 au 14 février 2007, c’est-à-dire trois mois et un jour, aurait de toute façon excédé six mois.

 Appréciation du Tribunal

54      Sur le modèle de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, l’article 17 des conditions d’emploi subordonne l’octroi de l’indemnité de dépaysement à une condition négative de résidence habituelle, à savoir l’absence de résidence habituelle dans l’État d’affectation durant une période donnée précédant l’entrée en fonctions de l’intéressé.

55      Cette période est définie de manière différente selon que le membre du personnel concerné possède ou non, a ou non possédé, la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé son lieu d’affectation. En vertu de l’article 17, premier alinéa, sous i), des conditions d’emploi, les membres du personnel qui n’ont pas et qui n’ont jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de leur affectation ont droit à l’indemnité de dépaysement, sauf s’ils ont habituellement résidé ou exercé leur activité professionnelle principale sur le territoire de cet État pendant la période entière de cinq ans prenant fin six mois avant leur entrée en fonctions au service de la BCE. En revanche, en vertu de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, les membres du personnel qui ont ou qui ont eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de leur affectation n’ont droit à l’indemnité de dépaysement que s’ils ont habituellement résidé en dehors du territoire de cet État pendant la période entière de dix ans prenant fin à la date de leur entrée en fonctions à la BCE.

56      La requérante, membre du personnel de la BCE, est affectée à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. La requérante ayant deux nationalités, allemande et canadienne, dont celle de l’État sur le territoire duquel elle a son affectation, c’est, en vertu de l’article 3.7.4 des règles applicables au personnel de la BCE, la nationalité allemande qui détermine ses droits aux fins de l’application de l’article 17 des conditions d’emploi.

57      Pour obtenir le bénéfice de l’indemnité de dépaysement, la requérante doit donc justifier, en application de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, qu’elle a résidé habituellement hors d’Allemagne pendant la période entière de dix ans prenant fin à la date de son entrée en fonctions à la BCE.

–       Sur la détermination de la période de référence

58      Aux fins de déterminer si la requérante satisfait à la condition de résidence habituelle, il convient de définir, au préalable, la période de référence.

59      Les parties débattent de la date d’entrée en fonctions de la requérante, qui coïncide, en vertu de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, avec la date d’expiration de la période de référence. Alors que la BCE a considéré que le terme de la période de référence devait être fixé au 1er juin 2007, date du recrutement de l’intéressée en qualité de membre du personnel de la BCE, la requérante soutient que ce terme est le 15 février 2007, date à laquelle elle est entrée au service de la BCE dans le cadre d’un contrat de travail de courte durée.

60      Selon l’argumentation de la requérante, il ne serait pas possible de retenir le 1er juin 2007 sans méconnaître la clause 4, paragraphes 1 et 4, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée rendu obligatoire par la directive 1999/70 et qui s’impose à la BCE, en vertu de l’article 9, sous c), des conditions d’emploi, comme l’ensemble des dispositions des règlements et directives communautaires relatives à la politique sociale.

61      La clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée énonce que les travailleurs à durée déterminée ne peuvent pas être traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives. Toutefois, en l’espèce, la requérante ne se plaint pas du fait que les titulaires de contrats d’une durée inférieure à un an ne bénéficient pas de l’indemnité de dépaysement au même titre que les titulaires de contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée supérieure à un an. Elle conteste seulement la date de son entrée en fonctions retenue par la BCE aux fins de l’application de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi. Par conséquent, la clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée ne peut être utilement invoquée à l’appui de cette contestation.

62      La clause 4, paragraphe 4, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée n’est pas davantage susceptible de permettre de déterminer la date d’entrée en fonctions de la requérante, au sens de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi. En effet, selon cette clause, les critères d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiés par des raisons objectives. Or, le bénéfice de l’indemnité de dépaysement n’est pas subordonné à une condition d’ancienneté, mais au fait d’avoir résidé habituellement hors du pays d’affectation au cours des dix années précédant l’entrée en fonctions, c’est-à-dire à une condition qui doit déjà être remplie lors de l’entrée en fonctions. De plus, la requérante critique le terme de la période de référence retenu par la BCE, c’est-à-dire le choix d’une date, nécessaire pour déterminer si l’intéressée remplit la condition négative de résidence habituelle posée par l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement, alors que la clause 4, paragraphe 4, de l’accord-cadre a pour objet d’interdire les discriminations entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée dans le calcul de l’ancienneté. Il suit de là que l’argument tiré de la violation de la clause 4, paragraphe 4, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée est également inopérant.

63      Selon l’argumentation de la BCE, les différences entre les contrats de courte durée et les contrats à durée indéterminée ou les contrats d’une durée déterminée supérieure à un an justifieraient que seuls les titulaires de ces derniers contrats bénéficient de l’indemnité de dépaysement. Cette argumentation se fonde sur la prémisse, non explicitée, que la date à laquelle prend fin la période de référence n’est pas différente de la date à compter de laquelle, du fait de son entrée en fonctions, le membre du personnel est en droit d’obtenir le versement de l’indemnité de dépaysement, s’il satisfait aux conditions fixées par les dispositions de l’article 17 des conditions d’emploi.

64      Or, ce présupposé ne saurait être admis de manière générale. En effet, comme l’a jugé le Tribunal de première instance dans l’arrêt du 28 septembre 1993, Magdalena Fernández/Commission (T‑90/92, Rec. p. II‑971, point 32) à propos de l’indemnité de dépaysement prévue par les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, c’est la relation concrète qu’entretient le fonctionnaire avec chacun des lieux où il est affecté qui conditionne le droit à l’indemnité de dépaysement. Ainsi, selon que le fonctionnaire a ou non établi, pendant la période de référence précédant son entrée en fonctions, des liens durables sur le territoire de l’État où se trouve son lieu d’affectation, le fonctionnaire peut perdre ou obtenir, à l’occasion d’une nouvelle affectation, le droit à l’indemnité de dépaysement. Il y a lieu de considérer que ce que le Tribunal de première instance a jugé sur ce point en ce qui concerne les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut vaut également pour les dispositions analogues de l’article 17 des conditions d’emploi. Il suit de là que la date à compter de laquelle le membre du personnel est en droit de bénéficier de l’indemnité de dépaysement peut être postérieure à la date de son entrée au service de l’institution.

65      Il apparaît ainsi que la BCE ne justifie pas de manière convaincante que la date du 1er juin 2007 s’imposait comme le seul terme possible de la période de référence.

66      La question posée est celle de savoir si l’entrée en fonctions visée à l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi correspond, dans le cas d’espèce, à l’entrée en fonctions en qualité d’agent de courte durée ou bien à celle en qualité de membre du personnel.

67      La jurisprudence communautaire interprète l’entrée en fonctions visée par les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, dont les dispositions en cause de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi s’inspirent directement, comme renvoyant à l’entrée en fonctions en qualité de fonctionnaire ou d’agent temporaire, c’est-à-dire à l’entrée en fonctions avec une qualité qui ouvre droit au versement de l’indemnité de dépaysement, et non à l’entrée en fonctions en qualité d’agent auxiliaire, c’est-à-dire à l’entrée en fonctions avec une qualité qui n’ouvre pas droit à cette indemnité (voir, en ce sens,arrêt Koistinen/Commission, précité, points 10 et 35). Par conséquent, si l’on considère que l’entrée en fonctions au sens de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi recouvre la même notion que celle définie par la jurisprudence à propos de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de l’annexe VII du statut, c’est seulement l’entrée en fonctions avec la qualité de membre du personnel, laquelle ouvre droit au bénéfice de l’indemnité de dépaysement, qui constituerait l’entrée en fonctions visée par l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi. Par suite, la requérante devrait être regardée comme étant entrée en fonctions le 1er juin 2007 et non le 15 février précédent.

68      Toutefois, l’article 4 de l’annexe VII du statut prévoit que les périodes de service effectuées pour un autre État que l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu d’affectation ou pour une organisation internationale ne sont pas prises en compte dans la période de référence. Par suite, la jurisprudence élaborée sur la base des dispositions statutaires considère que la période de référence prend fin à la date d’entrée en fonctions en qualité d’agent auxiliaire, lorsque, comme en l’espèce, la période d’activité au service de l’institution ou de l’organisme communautaire en qualité d’agent auxiliaire précède immédiatement le recrutement de l’intéressé comme agent temporaire ou fonctionnaire (voir, arrêt Koistinen/Commission, précité, point 35). Ainsi, une transposition complète au cas d’espèce de la solution dégagée par la jurisprudence communautaire sur le fondement de l’article 4 de l’annexe VII du statut aboutirait à fixer le terme de la période de référence au 15 février 2007, date de prise d’effet du contrat de courte durée de la requérante et non au 1er juin suivant.

69      Il est vrai que les dispositions de l’article 17 des conditions d’emploi, diffèrent sur ce point de celles de l’article 4 de l’annexe VII du statut, en ce que les premières ne prévoient pas que les périodes de services effectuées pour un autre État que l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu d’affectation ou pour une organisation internationale sont exclues de la période de référence. Si les articles 3.7.1 et 3.7.2 des règles applicables au personnel de la BCE reprennent cette règle de non prise en compte des services effectués pour un autre État que l’État d’affectation ou pour une organisation internationale, l’article 3.7.2 relatif aux membres du personnel qui ont ou qui ont eu la nationalité de l’État d’affectation en limite le champ d’application aux périodes d’activité accomplies hors du pays d’affectation.

70      Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de la différence des textes, la jurisprudence rappelée aux points 67 et 68 du présent arrêt et élaborée sur le fondement de l’article 4 de l’annexe VII du statut ne saurait être purement et simplement transposée au présent litige, et ne permet pas de trancher la question de savoir ce que, par analogie, on doit entendre par l’entrée en fonctions au sens de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi.

71      Par conséquent, l’interprétation de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi doit prendre appui sur les méthodes d’interprétation habituelles du juge communautaire.

72      Premièrement, l’interprétation de cette disposition peut être guidée par l’objectif qui en a justifié l’édiction. Selon une jurisprudence constante, applicable par analogie aux membres du personnel de la BCE, la raison d’être de l’indemnité de dépaysement est de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de l’exercice permanent de fonctions dans un pays avec lequel le fonctionnaire n’a pas ou n’a plus de liens durables avant son entrée en fonctions (voir arrêt de la Cour du 13 novembre 1986, Richter/Commission, 330/85, Rec. p. 3439, point 6 ; arrêt du Tribunal de première instance du 30 mars 1993, Vardakas/Commission, T‑4/92, Rec. p. II‑357, point 39). C’est pourquoi toute interprétation de l’article 17 des conditions d’emploi qui exclurait du bénéfice de l’indemnité de dépaysement des membres du personnel se trouvant dans cette situation méconnaîtrait la raison d’être de l’indemnité de dépaysement (voir, par analogie, arrêt du Tribunal de première instance du 14 décembre 1995, Diamantaras/Commission, T‑72/94, RecFP p. I‑A‑285 et II‑865, point 48). Or, tel serait le cas si l’entrée en fonctions visée à l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi était interprétée comme pouvant seulement désigner l’entrée en fonctions à la BCE en qualité de membre du personnel. En effet, dès lors que cette disposition exige que l’intéressé ait établi sa résidence habituelle hors du pays d’affectation pendant la période entière de référence, il suffirait que le recrutement d’un membre du personnel relevant de ladite disposition, sous ii), c’est-à-dire possédant ou ayant possédé la nationalité du pays d’affectation, soit précédé d’un contrat d’une durée déterminée inférieure à un an pour que ce membre du personnel, obligé de transférer sa résidence habituelle dans le pays de son lieu d’affectation avant son entrée en fonctions, soit automatiquement privé de la possibilité d’obtenir l’indemnité de dépaysement, même s’il n’a pas résidé de manière habituelle dans le pays d’affectation pendant les dix années qui ont précédé son recrutement comme agent contractuel de courte durée.

73      Deuxièmement, la Cour a considéré que, lorsqu’un texte se prête à plusieurs interprétations, il convenait d’écarter celle qui conduirait à priver ledit texte de toute portée utile (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 14 janvier 1981, Denkavit Nederland, 35/80, Rec. p. 45, point 30). Certes, l’interprétation de l’entrée en fonctions défendue par la BCE ne priverait pas directement l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi de toute portée utile. Toutefois, cette interprétation présenterait un tel risque pour les membres du personnel possédant la nationalité du pays d’affectation, si leur recrutement en qualité de membre du personnel devait être en pratique systématiquement précédé d’un contrat de courte durée.

74      Troisièmement et enfin, le juge communautaire privilégie, entre deux interprétations d’un texte, celle qui est compatible avec les normes supérieures (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 9 juin 1964, Nonnenmacher, 92/63, Rec. p. 557, p. 573, et du 13 décembre 1983, Commission/Conseil, 218/82, Rec. p. 4063, point 15 ; arrêt du Tribunal du 12 septembre 2006, De Soeten/Conseil, F‑86/05, RecFP p. I‑A‑1‑97 et II‑A‑1359 , point 42). Or, faire dépendre la détermination de la notion d’entrée en fonctions, comme le soutient la BCE, de la durée du contrat de la personne recrutée, avec les conséquences que cela implique sur la fixation de la période de référence et sur le droit à l’indemnité de dépaysement, entraînerait une différence de traitement disproportionnée entre les membres du personnel relevant du cas prévu à l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, selon les circonstances contingentes de leur recrutement. Cette différence de traitement ne refléterait pas une différence de situation entre ces membres du personnel qui permettrait de justifier objectivement le traitement différencié en cause au regard des finalités de ladite indemnité.

75      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’interpréter l’entrée en fonctions, au sens des dispositions de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, comme la première entrée en fonctions à la BCE, quel que soit le contrat de travail conclu par l’intéressé avec cette dernière.

76      Il suit de là que la requérante doit être regardée comme étant entrée en fonctions à la BCE le 15 février 2007 et non le 1er juin suivant. La période de référence s’étend donc aux dix années qui ont précédé cette date, du 15 février 1997 au 15 février 2007.

–       Sur l’interprétation de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE

77      Selon l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, la condition de résidence habituelle est considérée comme remplie même si la période de référence a été interrompue pendant une période n’excédant pas six mois par un emploi à durée déterminée ou une affectation provisoire, des séjours d’études, le service militaire ou civil, des stages, des vacances, etc.

78      Les parties s’opposent sur la signification et la portée de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE.

79      La requérante tire argument de l’emploi au singulier du mot « période » pour soutenir que seul un séjour d’une durée supérieure à six mois dans l’État d’affectation permettrait de considérer que l’intéressé a établi sa résidence habituelle dans ledit État. Il serait ainsi possible, selon la requérante, que plusieurs périodes d’une durée totale supérieure à six mois ne caractérisent pas un transfert de la résidence habituelle dans cet État, à condition que chacune de ces périodes n’excède pas six mois et qu’elles aient eu un des motifs mentionnés à l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE. Toutefois, force est de constater que le libellé de cet article n’autorise pas aisément à soutenir qu’« une période n’excédant pas six mois » désigne plusieurs périodes n’excédant pas six mois chacune. En outre, si la thèse de la requérante était retenue, le membre du personnel qui effectuerait de fréquents et réguliers séjours dans l’État d’affectation pour une période cumulée dépassant largement six mois pourrait encore être réputé remplir la condition de résidence habituelle en dehors du territoire de l’État d’affectation, en méconnaissance de l’article 17 des conditions d’emploi et de l’interprétation la plus naturelle de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, dont le libellé implique que la période de six mois visée constitue une durée maximale. Il convient donc d’écarter l’interprétation avancée par la requérante.

80      Selon la BCE, l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE signifie que la condition de résidence habituelle en dehors du territoire de l’État d’affectation est regardée comme remplie par l’intéressé si la durée totale de ses séjours dans le pays d’affectation pendant la période de référence de dix ans n’a pas excédé six mois.

81      Il est vrai que cette interprétation va au-delà du strict libellé de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE. En effet, le libellé de ce texte se limite à présumer que la résidence habituelle en dehors de l’État d’affectation pendant la période de référence n’est pas interrompue par une période de séjour d’au plus six mois, pour des motifs autres qu’un emploi de longue durée. Selon une lecture littérale du texte, toute autre période de séjour n’excédant pas six mois pourrait être analysée comme en dehors du champ d’application de la présomption édictée par l’article 3.7.3.

82      Toutefois, l’interprétation littérale susmentionnée appelle deux réserves. D’une part, elle ne prévoit pas l’hypothèse, en pratique la plus courante, dans laquelle la période de dix ans a été interrompue, non par un mais par plusieurs séjours, n’excédant pas six mois chacun, dans le pays d’affectation. Or, il est peu probable que les auteurs de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, en visant au singulier « une » période, aient entendu ne viser qu’une seule et unique période, au surplus sur une période de référence de dix ans. D’ailleurs, la version originale de l’article 3.7.3 en langue anglaise utilise l’article indéfini « a » et non l’adjectif numéral « one » avant le mot « period ». D’autre part, et par suite, l’interprétation purement littérale du texte ne fournit aucune règle claire pour déterminer, dans le cas d’une pluralité de périodes n’excédant pas au total six mois, à laquelle de ces périodes il serait fait application de la présomption de l’article 3.7.3.

83      Compte tenu, d’une part, de l’impossibilité de retenir l’interprétation proposée par la requérante, laquelle est contredite par le libellé de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, et, d’autre part, des difficultés soulevées par l’interprétation littérale de ce dernier, il y a lieu de retenir l’interprétation avancée par la BCE comme étant celle qui présente le moins de difficultés au regard du texte et de son application.

84      L’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE ne signifie pas pour autant que, si la période de référence a été interrompue par des séjours dans le pays d’affectation d’une durée totale excédant six mois, la condition de résidence habituelle ne peut pas être en tout état de cause regardée comme remplie. Si une telle interprétation a contrario était retenue, l’appréciation de la condition de résidence habituelle se ramènerait à une simple computation des séjours dans et hors du pays d’affectation et ferait abstraction des autres éléments à l’aune desquels ladite condition doit être examinée, alors même que l’article 17 des conditions d’emploi a fait de cette condition, définie par une abondante jurisprudence communautaire, le critère essentiel de l’attribution de l’indemnité de dépaysement. Or, il convient d’écarter, en vertu de la méthode d’interprétation rappelée au point 74 du présent arrêt, une interprétation de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE qui aboutirait à des solutions contraires à celle résultant de l’article 17 des conditions d’emploi, dans la mesure où une autre interprétation est possible. De surcroît, il ressort des dispositions de l’article 9, sous a), des conditions d’emploi que les règles applicables au personnel de la BCE sont des dispositions d’exécution des conditions d’emploi, de sorte que l’article 3.7.3 de ces règles ne pourrait légalement restreindre la portée de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi. Au demeurant, lors de l’audience, la BCE a souligné que l’article 3.7.3 n’instituait qu’une présomption simple, selon laquelle les séjours dont la durée totale n’excède pas six mois et effectués pour un des motifs visés par ledit article devraient être analysés, a priori, pris isolément, comme sans incidence sur la détermination de la résidence habituelle du membre du personnel concerné. La BCE a insisté sur le fait que l’article 3.7.3 n’avait ni pour objet ni pour effet d’interdire la prise en considération de l’ensemble des éléments pertinents pour cette détermination.

85      En l’espèce, il est constant que, pendant la période de référence, soit entre le 15 février 1997 et le 15 février 2007, la requérante a séjourné en Allemagne du 1er septembre au 17 décembre 2005, puis du 4 octobre 2006 au 15 février 2007, soit plus de six mois au total. Par conséquent, la présomption édictée à l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE ne trouve pas à s’appliquer au cas d’espèce.

86      Il y a donc lieu, d’examiner, non pas sur la seule base des motifs de séjour visés à l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE mais au vu de toutes les données relatives à la situation de la requérante, si celle-ci avait sa résidence habituelle hors d’Allemagne pendant toute la période de référence. Pour l’examen de cette condition, il convient, comme y invite l’article 9, sous c), des conditions d’emploi, de se référer à la jurisprudence communautaire dégagée à propos des dispositions, équivalentes à celles de l’article 17 des conditions d’emploi, de l’article 4 de l’annexe VII du statut.

–       Sur la résidence habituelle de la requérante pendant la période de référence

87      En vertu d’une jurisprudence constante, le lieu de la résidence habituelle est le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Le juge communautaire apprécie concrètement si la condition de résidence habituelle est satisfaite, en tenant compte de tous les éléments de fait pertinents de l’espèce (arrêt Koistinen/Commission, précité). En effet, la notion de dépaysement dépend de la situation particulière de l’intéressé, notamment du point de savoir s’il a, bien qu’ayant la nationalité de l’État membre du lieu de son affectation, interrompu effectivement ses liens sociaux et professionnels avec ledit État par le déplacement total et d’une longue durée de sa résidence habituelle en dehors du territoire dudit État (arrêt Richter/Commission, précité, point 6).

88      Il ressort également de la jurisprudence que la résidence effective, l’activité professionnelle et les liens personnels sont les critères principaux du lieu de résidence (voir, par exemple, arrêts Magdalena Fernández/Commission, précité, points 27 à 30, et du Tribunal de première instance du 25 octobre 2005, Dedeu i Fontcuberta/Commission, T‑299/02, RecFP p. I‑A‑303 et II‑1377, point 77 ; arrêt du Tribunal du 20 novembre 2007, Kyriazis/Commission, F‑120/05, non encore publié au Recueil, point 50).

89      En l’espèce, la requérante a résidé sur le territoire de l’État où est situé son lieu d’affectation, à savoir l’Allemagne, pendant deux périodes, d’abord du 1er septembre au 17 décembre 2005, à l’occasion d’un séjour d’études, puis du 4 octobre 2006 au 15 février 2007, date de son entrée en fonctions à la BCE.

90      La requérante ne peut pas être regardée comme ayant établi sa résidence habituelle en Allemagne pendant le séjour pour études accompli en 2005. En effet, ainsi que l’a jugé le Tribunal de première instance dans son arrêt du 19 juin 2007, Asturias Cuerno/Commission (T‑473/04, non encore publié au Recueil, point 74), le seul fait de résider dans un pays afin de compléter des études universitaires et de réaliser des stages pratiques professionnels ne permet pas de présumer l’existence d’une volonté de déplacer le centre permanent de ses intérêts dans ce pays. En outre, il est constant que le séjour pour études de la requérante n’a pas duré plus de trois mois et demi.

91      En revanche, pendant la période comprise entre le 4 octobre 2006 et le 15 février 2007, la requérante a vécu en partenariat non matrimonial avec un ressortissant allemand dans le logement qu’ils avaient loué ensemble à Schmitten, près de Francfort-sur-le-Main, et exercé une activité professionnelle en Allemagne dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée. La requérante expose aussi que son compagnon et elle-même avaient le « projet commun » de trouver chacun un emploi en Allemagne. L’ensemble de ces éléments conduit à considérer que l’intéressée avait déplacé en Allemagne le centre habituel de ses intérêts avant son entrée en fonctions à la BCE. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les allégations, non sérieusement étayées, selon lesquelles la requérante aurait conservé son lieu de résidence habituelle au Canada pendant cette période et aurait envisagé, au demeurant de manière hypothétique, de quitter l’Allemagne avec son compagnon, si l’un et l’autre ne parvenaient pas à y trouver un travail à leur convenance. À titre surabondant, à supposer même que la période comprise entre le 4 octobre 2006 et le 15 février 2007 soit analysée comme une période de court séjour motivée uniquement par un emploi de courte durée, et qu’elle soit ainsi couverte par l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, la requérante ne pourrait obtenir l’annulation de la décision litigieuse. En effet, la prise en considération de cette période et du séjour d’études effectuées en 2005 par la requérante, aboutirait à un séjour total en Allemagne supérieur à six mois qui, en vertu dudit article 3.7.3, permettrait de considérer que la requérante n’a pas maintenu sa résidence habituelle en dehors de cet État pendant toute la période de référence, ainsi que l’exige l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi.

92      Il résulte de ce qui précède que la requérante doit être regardée comme n’ayant pas habituellement résidé hors d’Allemagne pendant toute la période de référence. C’est, par suite, à bon droit que la BCE lui a refusé le bénéfice de l’indemnité de dépaysement. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la BCE n’aurait pas fait une correcte application de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

 Arguments des parties

93      La requérante allègue que le refus de lui accorder le bénéfice de l’indemnité de dépaysement serait discriminatoire. Celui-ci serait soumis à des conditions plus strictes pour les ressortissants du pays d’affectation que pour les autres membres du personnel, parce que leur nationalité permettrait de présumer qu’ils possèdent des liens durables avec le pays d’affectation. Toutefois, ladite présomption serait susceptible d’être infirmée dans des cas comme celui de la requérante. Allemande par sa mère, la requérante n’aurait pour autant aucun lien social ni culturel avec l’Allemagne, où elle n’aurait jamais résidé avant 2005, et alors qu’elle devrait fournir de réels efforts pour s’intégrer dans ce pays. Par conséquent, l’indemnité de dépaysement ne pourrait lui être refusée sans que ce refus constitue une différence de traitement injustifiée.

94      Selon la BCE, la requérante prétendrait à tort qu’elle se trouve dans une situation comparable à celle de personnes relevant du champ d’application de l’article 17, premier alinéa, sous i), des conditions d’emploi.

95      Premièrement, la BCE ne commettrait aucune discrimination en traitant comme des nationaux allemands des personnes qui possèdent, outre la nationalité allemande, une autre nationalité.

96      Deuxièmement, se fonder sur les relations plus étroites de la requérante avec le Canada qu’avec l’Allemagne, comme l’intéressée y invite le Tribunal, reviendrait à accueillir la théorie de la nationalité effective, alors que le Tribunal, suivant en cela la jurisprudence de la Cour, a expressément rejeté cette théorie.

97      Troisièmement, la comparaison effectuée avec des personnes qui ne possèdent pas la nationalité allemande et qui, le cas échéant, relèvent de l’article 17, premier alinéa, sous i), des conditions d’emploi, serait dénuée de pertinence. En effet, la requérante possédant la nationalité allemande, c’est-à-dire la nationalité de l’État du lieu d’affectation, c’est cette nationalité qui déterminerait ses droits, en vertu de l’article 3.7.4. des règles applicables au personnel de la BCE, même si l’intéressée possède une autre nationalité. Par suite, la requérante ne pourrait prétendre au bénéfice des dispositions de l’article 17, premier alinéa, sous i), des conditions d’emploi.

98      Quatrièmement, la requérante ne saurait se prévaloir de sa nationalité canadienne pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement, dès lors que la possession de la nationalité d’un État membre de l’Union européenne constituerait une condition sine qua non pour être recruté par la BCE.

 Appréciation du Tribunal

99      La requérante soutient que le refus de la BCE de lui accorder le bénéfice de l’indemnité de dépaysement serait contraire au principe d’égalité de traitement.

100    En première analyse, ce moyen pourrait sembler inopérant. En effet, ainsi qu’il a été exposé précédemment, la BCE a fait correctement application, dans le cas d’espèce, des dispositions de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi. Par conséquent, si la décision litigieuse était entachée d’une violation du principe d’égalité de traitement, ce ne pourrait être qu’en conséquence du caractère discriminatoire des dispositions de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi et de l’article 3.7.4 des règles applicables au personnel de la BCE, sur le fondement desquelles ladite décision a été prise. C’est pourquoi le moyen tiré de la violation du principe d’égalité ne peut être opérant que s’il est dirigé contre les dispositions servant de base légale à la décision litigieuse. Or, la requérante ne soulève expressément aucune exception d’illégalité à l’encontre de ces dispositions. Néanmoins, le Tribunal considère qu’une telle exception est implicitement contenue dans l’argumentation de la requérante et suffisamment étayée pour qu’elle soit examinée au fond.

101    La requérante soutient en substance que, bien qu’ayant reçu de sa mère la nationalité allemande, elle ne possédait aucun lien social ni culturel avec l’Allemagne et qu’elle ne pouvait, par suite, pas être traitée comme n’importe quelle ressortissante allemande et différemment des personnes étrangères, comme elle, à l’Allemagne.

102    Au vu de la finalité de l’indemnité de dépaysement, qui est de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de l’exercice permanent de fonctions dans un pays avec lequel le fonctionnaire n’a pas établi de liens durables avant son entrée en fonctions, la différence de traitement prévue par l’article 17 des conditions d’emploi, désavantageuse pour le membre du personnel ressortissant du pays de son affectation, ne peut être justifiée que sur la base de la présomption suivant laquelle la nationalité d’une personne constitue un indice sérieux de l’existence de liens multiples et étroits entre cette personne et le pays dont elle est ressortissante. Dans le cadre du pouvoir d’appréciation dont il dispose en la matière, le conseil des gouverneurs de la BCE était fondé à déduire de ce qui précède que les membres du personnel possédant la nationalité de leur pays d’affectation, même ceux ayant été obligés de changer de résidence du fait de leur entrée en fonctions auprès de la BCE, ne supportaient pas les charges et désavantages que l’indemnité de dépaysement visait à compenser, à tout le moins pas au même niveau d’intensité que les membres du personnel ne possédant pas cette nationalité, et devaient dès lors, en règle générale, ne pas bénéficier de cette indemnité. Il était en outre fondé à soumettre les exceptions apportées à cette règle d’exclusion à des conditions strictes, notamment l’absence de toute résidence habituelle dans le pays d’affectation pendant une période de dix années précédant l’entrée en service (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, B/Commission, F‑7/06, non encore publié au Recueil, point 39 et la jurisprudence citée).

103    Certes, les ressortissants du pays d’affectation qui n’ont jamais résidé dans ce pays avant la période de référence, à l’instar de la requérante, se trouvent dans une situation sensiblement différente de celle des ressortissants du pays d’affectation qui y ont résidé de manière permanente ou fréquente avant ladite période de référence.

104    Il est vrai également que les personnes possédant, comme la requérante, une double nationalité ne se trouvent pas exactement dans la même situation que les personnes ne possédant qu’une seule nationalité. Il peut, en effet, être raisonnablement admis que, en règle générale, les personnes possédant une double nationalité n’entretiennent pas avec chacun des deux pays dont elles ont la nationalité des liens aussi intenses que ceux entretenus avec l’un ou l’autre de ces pays par une personne n’ayant la nationalité que d’un seul de ces pays. Le Conseil des gouverneurs de la BCE aurait ainsi pu adopter en la matière une règle spéciale pour les membres du personnel ayant une double nationalité (arrêt B/Commission, précité, point 40).

105    Toutefois, l’absence de prise en compte de ces différences de situation ne saurait être regardée comme une discrimination arbitraire ou inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par l’article 17 des conditions d’emploi ni justifier l’annulation de la décision litigieuse (arrêt du Tribunal de première instance du 13 décembre 2004, E/Commission, T‑251/02, RecFP p. I‑A‑359 et II‑1643, points 124 et 126).

106    En effet, d’une part, il appartient au conseil des gouverneurs de la BCE, dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont il dispose en la matière, de déterminer les conditions dans lesquelles les ressortissants du pays d’affectation peuvent être regardés comme dépaysés dans ce pays. Or, le critère édicté par la BCE à l’article 17 des conditions d’emploi, à savoir le fait de n’avoir pas résidé dans le pays d’affectation pendant une période de dix ans précédant l’entrée en fonctions, n’apparaît pas inadéquat ni déraisonnable. Il convient, au demeurant, de rappeler que le même critère a été retenu par le législateur communautaire à l’article 4 de l’annexe VII du statut pour l’attribution de l’indemnité de dépaysement aux fonctionnaires communautaires.

107    D’autre part, la BCE était en droit, compte tenu également de son large pouvoir d’appréciation, de soumettre les personnes possédant une double nationalité aux règles communes, dans le but de réserver le bénéfice de l’indemnité de dépaysement, due en application de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, aux personnes objectivement dépaysées dans l’État où elles sont affectées. Ainsi, l’article 3.7.4 des règles applicables au personnel de la BCE assimile, pour l’application de l’article 17, premier alinéa, sous ii), des conditions d’emploi, le membre du personnel possédant deux nationalités, dont celle de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, au membre du personnel qui a seulement la nationalité dudit État.

108    Le Tribunal ne saurait écarter l’application de cette règle dans le cas d’espèce au motif, invoqué par la requérante, que les liens de celle-ci avec le Canada auraient été beaucoup plus intenses durant la période de référence que ceux qu’elle a entretenus avec l’Allemagne, comme le révélerait la circonstance qu’elle ne parle pas bien l’allemand. En effet, admettre cet argument de la requérante équivaudrait en pratique à admettre l’applicabilité en la matière de la théorie de la nationalité effective, théorie que la Cour a expressément écartée (arrêt de la Cour du 14 décembre 1979, Devred/Commission, 257/78, Rec. p. 3767, point 14). De plus, comme l’a fait justement valoir la BCE, il serait paradoxal de prendre en compte la nationalité canadienne plutôt qu’allemande de la requérante pour la détermination de son droit à l’obtention de l’indemnité de dépaysement, alors que seule sa nationalité allemande lui a permis d’être recrutée par la BCE.

109    Il y a lieu de conclure de ce qui précède que la décision litigieuse n’a pas méconnu le principe d’égalité de traitement. Par suite, le second moyen doit également être écarté.

110    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

111    Aux termes de l’article 87 du règlement de procédure :

« 1. Sous réserve des autres dispositions du présent chapitre, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

2. Lorsque l’équité l’exige, le Tribunal peut décider qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre. »

112    Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal estime, conformément aux dispositions précitées, que l’équité exige que la requérante, bien qu’elle succombe en ses conclusions et que la BCE ait demandé sa condamnation aux entiers dépens, ne soit condamnée que partiellement à ce titre.

113    En effet, d’abord, il ressort des mémoires des parties comme de leurs plaidoiries à l’audience que le présent litige a en partie son origine dans une divergence d’interprétation de l’article 3.7.3 des règles applicables au personnel de la BCE, divergence qui résulte, comme le montrent les points 77 à 85 du présent arrêt, d’une rédaction imprécise, voire obscure, de ces dispositions, dont la partie défenderesse est l’auteur. La présente procédure peut donc être considérée comme ayant été en partie occasionnée par le comportement de la BCE.

114    Ensuite, il y a lieu de relever que le litige représente un enjeu pécuniaire important, compte tenu du poids de l’indemnité de dépaysement dans la rémunération d’un membre du personnel de la BCE.

115    Par ailleurs, les arguments de la requérante n’étaient, notamment en raison de l’ambiguïté des dispositions applicables, pas dénués de sérieux. En particulier, le Tribunal a considéré que c’était à bon droit que la requérante contestait la fixation de la période de référence. La requérante a donc pu se croire fondée à saisir le juge communautaire.

116    Enfin, la situation personnelle de la requérante doit être prise en considération. D’une part, la requérante est en début de carrière et n’est engagée par la BCE qu’en vertu d’un contrat de trois ans. Elle ne se trouve donc pas dans la même situation qu’une personne titulaire d’un contrat à durée indéterminée ou qu’un fonctionnaire, au sens du statut, en litige avec son administration. D’autre part, le montant des dépens que la requérante pourrait assumer est plus élevé que dans la plupart des litiges dont le Tribunal est saisi. En effet, la BCE a choisi de se faire représenter non seulement par ses propres agents mais également par un avocat, alors que les institutions communautaires telles que la Commission des Communautés européennes, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen confient le plus souvent le soin exclusif d’assurer leur défense à des agents de leur propre service juridique.

117    Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, il serait inéquitable de mettre à la charge de la requérante l’intégralité des frais de la BCE. Par conséquent, il y a lieu, bien que la requérante succombe dans la présente instance, de mettre seulement à sa charge, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par la BCE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Blais supporte, outre ses dépens, la moitié des dépens de la Banque centrale européenne.

3)      La Banque centrale européenne supporte la moitié de ses dépens.

Tagaras

Kanninen

Gervasoni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 décembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Gervasoni

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions communautaires citées dans celle-ci et non encore publiées au Recueil sont disponibles sur le site internet de la Cour de justice : www.curia.europa.eu


* Langue de procédure : l’allemand.