Language of document : ECLI:EU:T:2019:274

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

2 mai 2019 (*)

« Fonction publique – Agents temporaires – Article 24 du statut des fonctionnaires – Demande d’assistance – Article 12 bis du statut des fonctionnaires – Harcèlement moral – Décision de rejet de la demande d’assistance – Principes d’objectivité et d’impartialité – Droit à une bonne administration – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire T‑748/16,

QH, agent temporaire du Parlement européen, représenté initialement par Mes N. Lhoëst et S. Michiels, puis par Me Lhoëst, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mmes M. Ecker et Í. Ní Riagáin Düro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du Parlement du 26 janvier 2016 par laquelle l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement de cette institution a rejeté la demande d’assistance introduite par le requérant le 11 décembre 2014 ainsi que la décision du 12 juillet 2016 par laquelle l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement a rejeté la réclamation du requérant et, d’autre part, à la réparation du préjudice qu’il aurait prétendument subi du fait des illégalités commises par cette autorité dans le traitement de cette demande d’assistance,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme I. Pelikánová, président, MM. V. Valančius et U. Öberg (rapporteur), juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, QH, est agent temporaire, au titre de l’article 2, sous c), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, de grade AST 6, travaillant au sein du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen (ci-après le « groupe S & D »).

2        Initialement, par contrat du 1er mars 2007, le requérant a été engagé comme agent temporaire de grade AST 3 par l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement du Parlement européen (ci-après l’« AHCC »), suivant la procédure organisée par le groupe de l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe pour le recrutement d’un attaché de presse.

3        Le requérant a été reclassé au grade AST 4 avec effet au 1er mars 2009.

4        Le 15 juillet 2009, le requérant a été transféré du groupe de l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe au groupe S & D, à l’unité « Presse et communications » dudit groupe.

5        Après son transfert, le requérant a déposé une réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), afin d’être classé dans le groupe de fonctions des administrateurs. Sa réclamation a été rejetée le 3 mars 2010.

6        Le requérant a été reclassé au grade AST 5 avec effet au 1er juin 2013.

7        S’estimant victime de harcèlement moral depuis le dépôt de sa réclamation, le requérant a introduit, le 11 décembre 2014, une demande d’assistance sur le fondement de l’article 24 et de l’article 90, paragraphe 1, du statut (ci-après la « demande d’assistance »), lesdits articles étant applicables par analogie aux agents temporaires en vertu, respectivement, de l’article 11 et de l’article  46 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne. À l’appui de cette demande, il faisait valoir que, depuis l’introduction de sa réclamation en 2009, il faisait l’objet d’un harcèlement continuel, d’une mise à l’écart, d’une marginalisation, de tentatives de dévalorisation de ses responsabilités et d’atteintes à sa dignité.

8        La demande d’assistance mettait en cause les personnes suivantes : [confidentiel] (1).

9        Dans sa demande d’assistance, le requérant demandait au président du groupe S & D, en sa qualité d’AHCC, d’ouvrir une enquête administrative et de le protéger contre le harcèlement moral allégué en le réaffectant temporairement à une fonction similaire dans une autre unité.

10      Le 16 décembre 2014, le président du groupe S & D a, en sa qualité d’AHCC, demandé au secrétaire général du Parlement d’ouvrir une enquête administrative.

11      Le 10 mars 2015, le secrétaire général du Parlement a demandé qu’une enquête soit menée afin d’établir les faits ayant donné lieu à la demande d’assistance et d’apprécier si les accusations de harcèlement moral étaient justifiées. À cette même date, il a nommé un administrateur en poste à l’unité de la gestion du personnel et des carrières de la direction générale du personnel du Parlement comme enquêteur chargé de l’enquête administrative (ci-après l’« enquêteur »).

12      Le 21 mai 2015, le requérant a été réaffecté sur un emploi de conseiller en communication au département de la citoyenneté et de la programmation politique du groupe S & D et, le 1er octobre 2015, au département de l’action extérieure dudit groupe, au sein du groupe de projet « Forum progressiste mondial ».

13      Le 10 novembre 2015, l’enquêteur a rendu son rapport sur les résultats de l’enquête administrative relative au requérant. Il a notamment estimé que si deux des quatre critères permettant de qualifier une situation de harcèlement moral étaient remplis, en revanche les deux autres ne l’étaient pas. À cet égard, il a estimé que les actes auxquels il était fait référence avaient été intentionnels et répétitifs, mais qu’ils n’avaient pas eu pour effet de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique du requérant et qu’ils n’avaient pas, objectivement, donné lieu à une conduite abusive.

14      Par lettre du 27 novembre 2015, le président du groupe S & D a, en sa qualité d’AHCC, informé le requérant de son intention de rejeter sa demande d’assistance et des motifs de ce rejet, en substance les mêmes que ceux évoqués par l’enquêteur, ainsi que de son droit d’être entendu.

15      Le 11 décembre 2015, le requérant a été entendu par le secrétaire général du groupe S & D, en présence du chef de l’unité des droits et obligations statutaires du service juridique du Parlement.

16      Par décision du 26 janvier 2016, le président du groupe S & D a, en sa qualité d’AHCC, rejeté la demande d’assistance, en substance pour les mêmes raisons que celles exposées par l’enquêteur (ci-après la « décision attaquée »).

17      Le 26 avril 2016, le requérant a introduit une réclamation à la suite du rejet de sa demande d’assistance qui, par décision du 12 juillet 2016, a également été rejetée par le président du groupe S & D, en sa qualité d’AHCC (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

18      Le requérant a été reclassé au grade AST 6 avec effet au 1er juin 2016.

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 octobre 2016, le requérant a introduit le présent recours.

20      Le 17 février 2017, le Parlement a déposé le mémoire en défense.

21      Par lettre du 30 mars 2017, en application de l’article 125 bis du règlement de procédure du Tribunal, le juge rapporteur, chargé à cette fin par le Tribunal, a proposé aux parties d’examiner les possibilités d’un règlement amiable du litige. Aucun accord entre les parties n’a été obtenu afin d’examiner ces possibilités.

22      Par ordonnance du 7 avril 2017, le Tribunal (première chambre) a ordonné au Parlement, sur le fondement des articles 91, sous b), 92, paragraphe 3, et 103 du règlement de procédure, de produire le rapport confidentiel interne de l’enquête administrative concernant la demande d’assistance dans son intégralité et toutes ses annexes, y compris les procès-verbaux des auditions et les témoignages écrits des témoins, ainsi que les déclarations écrites et le mémoire en réponse à la demande d’assistance préparés par les avocats du groupe S & D et des harceleurs présumés,ainsi quela version non confidentielle du rapport interne de l’enquête administrative qui avait déjà été communiquée au requérant, tout en précisant que ces documents ne seraient pas communiqués au requérant à ce stade de la procédure.

23      Le 28 avril 2017, le Parlement a produit les documents demandés et a sollicité le traitement confidentiel à l’égard du requérant du rapport confidentielinterne de l’enquête administrative et du mémoire en réponse préparé par les avocats du groupe S & D et des harceleurs présumés.

24      Par lettre du greffe du Tribunal du 20 juillet 2017, les parties ont été informées de la conclusion du Tribunal selon laquelle les documents produits par le Parlement, conformément à l’ordonnance du 7 avril 2017, étaient pertinents pour le présent litige, à l’exception d’une liste des collègues du requérant, retirée du dossier pour cette raison, et non confidentiels à l’égard du requérant. Les documents jugés pertinents ont été versés au dossier et ont été communiqués au requérant.

25      Par lettre du greffe du Tribunal du 21 juillet 2017, les parties ont été invitées, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal sur le fondement de l’article 83, paragraphe 3, et de l’article 89, paragraphe 2, sous b) et c), et paragraphe 3, sous a), du règlement de procédure, à répondre à certaines questions et à se prononcer concernant les points sur lesquels le deuxième échange de mémoires devait porter.

26      À l’issue d’un double échange de mémoires, la procédure écrite a été clôturée le 20 novembre 2017.

27      Par lettre du greffe du Tribunal du 17 janvier 2018, les parties ont été informées de la décision du président de la première chambre du Tribunal de rejeter la demande du requérant de rouvrir la procédure écrite pour déposer des observations écrites sur la duplique du Parlement.

28      Les parties ont été entendues lors de l’audience de plaidoiries du 20 septembre 2018.

29      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ainsi que la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le Parlement au paiement de 15 000 euros en réparation de son préjudice matériel et de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

30      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

31      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée et sont en tant que telles dépourvues de contenu autonome (arrêt du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, EU:T:2006:110, point 43 et jurisprudence citée).

32      En l’espèce, étant donné que la décision de rejet de la réclamation ne fait que confirmer la décision attaquée, il y a lieu de constater que les conclusions en annulation de la décision de rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer spécifiquement sur celles-ci, même si, dans l’examen de la légalité de la décision attaquée, il conviendra de prendre en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation.

 Sur le fond

 Sur le recours en annulation

33      A l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant soulève cinq moyens, tirés, respectivement :

–        d’un conflit d’intérêts et de la violation des droits de la défense, du principe du contradictoire, du principe de l’égalité des armes, de l’article 41, paragraphe 2, et de l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ;

–        d’une erreur manifeste d’appréciation dans la nomination de l’enquêteur, du manque d’indépendance et d’impartialité de l’enquêteur et de la violation de son mandat ;

–        de la violation de l’obligation de motiver une décision clôturant une enquête administrative ;

–        de la violation du droit à une bonne administration et du devoir de sollicitude ;

–        de l’erreur manifeste d’appréciation des motifs caractérisant le harcèlement moral.

34      Dans la mesure où le premier et le quatrième moyens sont tous deux tirés, à tout le moins partiellement, d’une violation de l’article 41 de la Charte, le Tribunal considère qu’il convient de les analyser conjointement.

35      Par ses premier et quatrième moyens, le requérant invoque, en substance, deux griefs, tirés, le premier, de l’existence d’un conflit d’intérêts concernant le président du groupe S & D, en sa qualité d’AHCC et, le deuxième, de la violation des droits de la défense, des principes du contradictoire et de l’égalité des armes et du droit à une bonne administration au titre de l’article 41, paragraphes 1 et 2, de la Charte.

36      Tout d’abord, selon le requérant, le fait que le président du groupe S & D ait été appelé, en sa qualité d’AHCC, à statuer sur la demande d’assistance et que le groupe S & D ait engagé un cabinet d’avocats pour l’assister, organiser la défense des harceleurs présumés et préparer la réponse à la demande d’assistance démontrerait que le groupe S & D avait intérêt à ce que les plaintes pour harcèlement soient rejetées.

37      Ensuite, le requérant invoque une violation de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte et du devoir de sollicitude de l’autorité publique envers les agents du service public, en ce que le suivi de la demande d’assistance et de l’enquête administrative aurait fait l’objet de retards excessifs et d’une absence de transparence à son égard.

38      Le requérant relève en outre que les harceleurs présumés ont pu, dès le début de la procédure administrative, bénéficier de l’assistance d’un cabinet d’avocats par l’intermédiaire du groupe S & D, tandis que la présence d’un avocat lui a été refusée lors d’une réunion avec l’enquêteur. Il ajoute que le groupe S & D aurait par ailleurs transmis sa demande d’assistance et les annexes aux harceleurs présumés ou à leurs avocats, alors qu’il s’est vu opposer un refus d’accès à l’intégralité du rapport d’enquête, ainsi qu’aux déclarations écrites et au mémoire en réponse du cabinet d’avocats des harceleurs présumés.

39      De plus, le requérant fait valoir qu’il ressort des déclarations de l’enquêteur que ce dernier a eu accès et a pris en considération les déclarations écrites et le mémoire en réponse présentés par le cabinet d’avocats du groupe S & D et des harceleurs présumés, de sorte que ces documents auraient dû lui être transmis également afin qu’il puisse exprimer son opinion à cet égard. Le requérant ajoute que le rapport d’enquête est manifestement partial, qu’il contient de nombreuses erreurs de fait et une fausse accusation de chantage, qu’il tire des conclusions négatives qui ne sont pas étayées et qu’il dénature les déclarations des témoins.

40      Le requérant relève également qu’il n’a reçu qu’une version anonymisée du rapport d’enquête, sans les annexes, et que le Parlement a refusé de lui donner accès audit rapport dans son intégralité et à toutes ses annexes, y compris les procès-verbaux des auditions et les témoignages écrits des témoins, ainsi qu’aux déclarations écrites et au mémoire en réponse présentés par le cabinet d’avocats des harceleurs présumés. À cet égard, le requérant soutient avoir un intérêt légitime à prendre connaissance du rapport d’enquête et de ses annexes afin de comprendre le motif du rejet de sa demande d’assistance, et ce d’autant plus qu’il soupçonne une absence d’adéquation entre le contenu des témoignages et le contenu dudit rapport.

41      Ces éléments seraient, en substance, constitutifs d’une violation des droits de la défense, des principes du contradictoire et de l’égalité des armes ainsi que du droit à une bonne administration au titre de l’article 41, paragraphes 1 et 2, de la Charte.

42      Enfin, le requérant soutient que, en communiquant sa demande d’assistance aux harceleurs présumés ou à leurs avocats, ainsi qu’en dévoilant des informations relatives à cette demande d’assistance lors d’une réunion de service de l’unité « Presse et communications », le groupe S & D a méconnu les principes de discrétion et de confidentialité tels qu’ils sont prévus à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte.

43      Le Parlement conclut au rejet des premier et quatrième moyens comme étant non fondés. Le Parlement conteste tout d’abord l’existence d’un conflit d’intérêts concernant le président du groupe S & D, en sa qualité d’AHCC, et soutient que l’enquêteur a élaboré son rapport sans tenir compte des déclarations écrites et du mémoire en réponse présentés par le cabinet d’avocats du groupe S & D et des harceleurs présumés. Dans ces conditions, il était donc justifié de ne pas communiquer ces déclarations au requérant.

44      Ensuite, le Parlement réfute les allégations de retards déraisonnables dans la procédure administrative et de manque de transparence. Il ajoute qu’il n’aurait pas été démontré que les harceleurs présumés ont reçu la demande d’assistance ni ses annexes. Selon le Parlement, le principe de confidentialité n’empêche toutefois pas que les personnes accusées de harcèlement soient informées d’une telle accusation et ne fait pas obstacle au devoir du groupe S & D de rétablir la réputation de collègues injustement accusés.

45      Enfin, le Parlement se réfère aux points 132 et 133 de l’arrêt du 11 juillet 2013, Tzirani/Commission, (F‑46/11, EU:F:2013:115), pour affirmer qu’il n’y avait aucune obligation de remettre au requérant le rapport d’enquête final dans son intégralité. Selon le Parlement, il aurait été justifié de ne fournir au requérant qu’une version non confidentielle dudit rapport, sans ses annexes.

46      Pour les besoins de la présente affaire, le Tribunal examinera en premier lieu les griefs du requérant ayant trait à la violation de l’article 41, paragraphes 1 et 2, de la Charte.

47      Il convient tout d’abord de rappeler que l’article 41 de la Charte, intitulé « Droit à une bonne administration », prévoit, au paragraphe 1, que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées, notamment, impartialement et équitablement par les institutions, organes et organismes de l’Union.

48      Cette exigence d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée qui est chargé de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 155 et jurisprudence citée). Seule l’impartialité objective fait l’objet du présent grief.

49      Par ailleurs, le droit à une bonne administration comprend, notamment, le droit, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

50      À cet égard, il convient également de rappeler que le but d’une enquête administrative ouverte par l’administration, en réponse à une demande d’assistance au sens de l’article 24 du statut, est d’apporter des éclaircissements, par les conclusions de l’enquête, sur les faits litigieux, afin que l’administration puisse prendre une position définitive à cet égard, lui permettant alors soit de classer sans suite la demande d’assistance, soit, lorsque les faits allégués sont avérés et relèvent du champ d’application de l’article 12 bis du statut, d’engager éventuellement une procédure disciplinaire en vue, le cas échéant, de prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre du harceleur présumé (voir arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑570/16, EU:T:2017:283, point 57 et jurisprudence citée).

51      Lorsque, en réponse à une demande d’assistance, l’administration décide que les éléments invoqués à l’appui de la demande d’assistance ne sont pas fondés et que, partant, les comportements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut, une telle décision fait grief à l’auteur de la demande d’assistance (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2007, Combescot/Commission, T‑249/04, EU:T:2007:261, point 32), et l’affecte défavorablement au sens de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.

52      Le droit d’être entendu poursuit ainsi un double objectif : d’une part, il sert à l’instruction du dossier et à l’établissement des faits le plus précisément et correctement possible et, d’autre part, il permet d’assurer une protection effective de l’intéressé. Le droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief est adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (voir arrêt du 13 décembre 2017, HQ/OCVV, T‑592/16, non publié, EU:T:2017:897, point 85 et jurisprudence citée).

53      Dès lors, l’auteur d’une demande d’assistance doit nécessairement, conformément à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, être utilement entendu avant qu’une décision de rejet de la demande d’assistance ne soit adoptée par l’administration. Cela implique que l’intéressé soit préalablement entendu sur les motifs que l’administration entend invoquer au soutien du rejet de cette demande (arrêt du 29 juin 2018, HF/Parlement, T‑218/17, sous pourvoi, EU:T:2018:393, point 74 ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2013, Sabou, C‑276/12, EU:C:2013:678, point 38).

54      Enfin, il appartient à l’institution, l’organisme ou l’organe de l’Union européenne d’apporter la preuve que l’intéressé a été mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet d’un projet de décision rejetant sa demande d’assistance ou sa plainte pour harcèlement moral (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2007, Marcuccio/Commission, C‑59/06 P, EU:C:2007:756, point 47 ; du 3 juin 2015, BP/FRA, T‑658/13 P, EU:T:2015:356, point 54, et du 5 octobre 2016, ECDC/CJ, T‑395/15 P, non publié, EU:T:2016:598, point 57).

55      En l’espèce, il n’est pas contesté que les harceleurs présumés ont été représentés par le même cabinet d’avocats que celui qui assistait le groupe S & D dès le début de l’enquête administrative. Ainsi que le Parlement l’expose, dans son mémoire en défense, le groupe S & D a fait appel aux services du même cabinet d’avocats afin, d’une part, d’obtenir un conseil juridique approfondi permettant de traiter convenablement la situation exposée dans la demande d’assistance et, d’autre part, de s’assurer de bien préparer la défense des harceleurs présumés. En revanche, en date du 25 mars 2015, l’enquêteur a adressé au requérant un courrier dans lequel il l’informait de ce que, « comme [il s’agissait de la] phase précontentieuse, la présence d’un avocat n’[étai]t pas nécessaire, et ne sera[it] donc pas autorisée [lors d’une réunion avec lui] ».

56      Ensuite, le Tribunal constate que les avocats du groupe S & D ont reçu la demande d’assistance dans son intégralité et qu’il peut ainsi être présumé que le contenu de cette demande a également été porté à la connaissance des harceleurs présumés. En effet, il ressort de la réponse du cabinet d’avocats des harceleurs présumés, envoyée à l’enquêteur par lettre du 15 avril 2015, que ces derniers ont pris connaissance du contenu de la demande d’assistance, afin de pouvoir répondre point par point à ses allégations.

57      Par contre, le requérant n’a pu recevoir ni les déclarations écrites ni le mémoire en réponse du cabinet d’avocats des harceleurs présumés à la demande d’assistance, de sorte qu’il n’a pu faire valoir ses observations à l’égard des allégations des harceleurs présumés.

58      En outre, il ressort des courriels envoyés au requérant par l’enquêteur, en date des 20 et 22 avril 2015, que ce dernier a reçu et analysé la réponse du cabinet d’avocats du groupe S & D et des harceleurs présumés à la demande d’assistance. Bien que l’enquêteur ait affirmé ne pas avoir pris en considération les déclarations figurant dans ladite réponse dans la rédaction du rapport d’enquête final, le Tribunal constate que, ces déclarations lui ayant été transmises, elles paraissent avoir eu une influence sur ses conclusions et sur le rapport d’enquête final. En effet, d’une part, il ressort du courriel du 20 avril 2015 que l’enquêteur a reçu le mémoire en réponse du cabinet d’avocats des harceleurs présumés. Dans ce courriel, l’enquêteur indique avoir reporté la réunion prévue avec le requérant « afin d’analyser [ladite] réponse ». D’autre part, le rapport d’enquête reprend certaines des allégations des harceleurs présumés présentes dans ladite réponse, telles que le comportement agressif, négatif et individualiste du requérant, des allégations graves et non étayées de chantage auquel le requérant se serait livré, ainsi que ses exigences de solutions « sur mesure », sans pour autant que le requérant ait eu la possibilité de présenter ses observations à cet égard.

59      Le Tribunal constate par ailleurs que les déclarations figurant dans la réponse du cabinet d’avocats du groupe S & D et des harceleurs présumés à la demande d’assistance, y compris les allégations de chantage, ont également servi de fondement à la décision attaquée ainsi qu’à la décision de rejet de la réclamation.

60      Il résulte de ce qui précède que le requérant n’a pu faire utilement connaître son point de vue sur les déclarations et les observations ayant servi de base au rapport d’enquête et à la décision attaquée et a pu avoir des appréhensions justifiées concernant l’impartialité objective de la part d’une institution de l’Union dans le traitement de sa plainte pour harcèlement moral.

61      Partant, son droit d’être entendu avant que ne soit prise la décision rejetant sa demande d’assistance, ainsi prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, ainsi que son droit de voir ses affaires traitées impartialement et équitablement par les institutions de l’Union, tel que cela est prévu à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, ont été méconnus.

62      S’agissant des conséquence du non-respect du droit à une bonne administration, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, même en présence d’une violation du droit d’être entendu, il faut en outre, pour que le moyen puisse être retenu, que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, ordonnance du 14 avril 2016, Dalli/Commission, C‑394/15 P, non publiée, EU:C:2016:262, point 41 ; arrêts du 6 février 2007, Wunenburger/Commission, T‑246/04 et T‑71/05, EU:T:2007:34, point 149, et du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, point 157).

63      En l’espèce, le requérant fait en substance valoir que, s’il avait été entendu utilement avant l’adoption de la décision attaquée, il aurait pu être informé des griefs précis des harceleurs présumés à son égard, lesquels ont par la suite été retenus par l’enquêteur, et faire ainsi valoir ses observations pour contester les faits et les allégations contenus dans le rapport d’enquête et sur lesquels l’AHCC s’est fondée.

64      À cet égard, il ressort des points 58 et 59 ci-dessus que la décision attaquée, le rapport final de l’enquêteur et les déclarations des harceleurs présumés présentent une certaine concordance, de sorte qu’il est permis de considérer que les allégations des harceleurs présumés ont sensiblement influencé l’enquêteur, sans que le requérant ait pu être entendu sur ces allégations, permettant qu’un autre résultat que celui auquel a abouti la procédure eût été possible.

65      En effet, il ne peut être exclu que l’appréciation de l’enquêteur et de l’AHCC aurait pu être différente si le requérant avait été utilement entendu avant que n’intervienne la décision attaquée.

66      Partant, il convient d’accueillir les griefs tirés de la violation de l’article 41, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), de la Charte et d’annuler la décision attaquée, telle qu’elle est confirmée par la décision de rejet de la réclamation, dans son intégralité, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs et moyens soulevés par le requérant.

 Sur les conclusions indemnitaires

67      À l’appui de ses conclusions indemnitaires, le requérant fait valoir qu’il a subi un préjudice moral du fait des erreurs et des illégalités commises par l’AHCC dans le traitement de sa demande d’assistance, lequel préjudice ne serait pas intégralement réparé par l’annulation de la décision attaquée. Il aurait notamment été exposé à un état d’incertitude et d’angoisse. Il revendique, pour ces motifs, l’octroi d’un montant de 25 000 euros.

68      Le requérant revendique également un montant qu’il évalue, à titre provisoire, à 40 000 euros en raison du préjudice moral résultant de la violation du devoir de sollicitude et du devoir d’assistance du groupe S & D ainsi que de la détérioration de son état de santé à partir du mois d’août 2012 en raison de la situation de détresse dans laquelle il se trouvait et du harcèlement constant dont il faisait l’objet.

69      Le requérant soutient ensuite avoir subi un préjudice moral du fait de la mauvaise administration imputable au Parlement en raison, d’une part, de la violation de l’obligation de confidentialité et des règles relatives à la protection des données à caractère personnel et, d’autre part, de l’atteinte à sa réputation et à sa crédibilité. À ce titre, le requérant revendique, respectivement, un montant de 30 000 et un montant de 5 000 euros.

70      Par ailleurs, le requérant revendique un montant de 15 000 euros en raison du préjudice matériel correspondant à la perte de la possibilité de faire avancer sa carrière.

71      Le Parlement conclut au rejet des conclusions indemnitaires, en soulignant, en l’espèce, que la décision attaquée était licite et fondée, que le requérant n’a pas établi que ses problèmes de santé résultaient de l’existence d’un harcèlement moral, qu’il n’a par ailleurs subi aucun harcèlement moral et qu’une mauvaise administration ne peut être reprochée au groupe S & D. Le Parlement ajoute que le requérant n’a pas établi l’impossibilité d’avancement de sa carrière.

72      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions quant à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (voir arrêt du 1er avril 2004, N/Commission, T‑198/02, EU:T:2004:101, point 134 et jurisprudence citée).

73      S’agissant du préjudice moral, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité, tel que la décision attaquée, constitue, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé. Tel ne saurait toutefois être le cas lorsque le requérant démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2006:148, point 131 ; du 19 mai 2015, Brune/Commission, F‑59/14, EU:F:2015:50, point 80, et du 16 juillet 2015, Murariu/AEAPP, F‑116/14, EU:F:2015:89, point 150).

74      Or, en l’espèce, s’agissant du préjudice moral subi par le requérant du fait de l’illégalité de la décision attaquée ainsi que de la mauvaise administration imputable au Parlement, il convient de constater que le requérant s’est contenté d’affirmer s’être trouvé dans un état d’incertitude et d’angoisse et avoir subi une atteinte à sa réputation et à sa crédibilité. Il reste cependant en défaut d’apporter les éléments de preuve nécessaires venant étayer ces affirmations et les conclusions indemnitaires formulées à ce titre doivent être rejetées.

75      S’agissant du préjudice matériel et du préjudice moral prétendument causés par le harcèlement moral ainsi que par le manquement allégué au devoir de sollicitude et d’assistance, y compris les conséquences sur l’état de santé du requérant, force est de constater que ces chefs de préjudice sont directement tributaires du constat selon lequel les comportements exposés dans la demande d’assistance sont constitutifs d’un harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut. Or, le Tribunal constate que l’AHCC, à qui il appartiendra d’examiner à nouveau la demande d’assistance, après avoir mené une nouvelle enquête administrative, devra encore prendre position sur la question de savoir si ces comportements relèvent ou non de l’article 12 bis du statut. Ces conclusions indemnitaires sont donc prématurées et doivent être rejetées.

76      Partant, à supposer les conclusions indemnitaires recevables, en particulier au regard du respect de la procédure prévue à l’article 90, paragraphe 1, du statut, il y a lieu de les rejeter dans leur intégralité.

 Sur les dépens

77      Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou sur plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

78      Il résulte des motifs ci-dessus que chaque partie succombe sur au moins un chef. Il y a donc lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du Parlement européen du 26 janvier 2016 rejetant la demande d’assistance de QH, telle qu’elle est confirmée par la décision du 12 juillet 2016 rejetant la réclamation, est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.


3)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Pelikánová

Valančius

Öberg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 mai 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Données confidentielles occultées.