Language of document : ECLI:EU:C:2020:586

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 16 juillet 2020 (1)

Affaires jointes C682/18 et C683/18

Frank Peterson

contre

Google LLC,

YouTube LLC,

YouTube Inc.,

Google Germany GmbH (C682/18)

et

Elsevier Inc.

contre

Cyando AG (C683/18)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 3 – Communication au public – Notion – Mise en ligne d’œuvres protégées sur des plateformes Internet, réalisée par des utilisateurs de celles-ci, sans autorisation préalable des titulaires de droits – Absence de responsabilité primaire des exploitants de ces plateformes – Responsabilité secondaire de ces exploitants pour les atteintes au droit d’auteur commises par les utilisateurs de leurs plateformes – Question ne relevant pas du champ d’application de l’article 3 de la directive 2001/29 – Directive 2000/31/CE – Article 14 – Exonération de responsabilité pour les prestataires fournissant un “service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service” – Notion – Possibilité pour lesdits exploitants d’être exonérés de la responsabilité susceptible de résulter des informations qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes – Conditions pour bénéficier de cette exonération de responsabilité – Article 14, paragraphe 1, sous a) – Notions de “connaissance effective de l’activité ou de l’information illicites” et de “connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente” – Informations illicites concrètes – Article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE – Injonctions à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin – Conditions pour demander une telle injonction »






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. La directive 2000/31

B. La directive 2001/29

III. Les litiges au principal

A. L’affaire C682/18

1. YouTube

2. Le recours de M. Peterson

B. L’affaire C683/18

1. Uploaded

2. Le recours d’Elsevier

IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

V. Analyse

A. Sur la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 (premières questions)

1. Sur le fait que des exploitants de plateformes tels que YouTube et Cyando ne réalisent pas, en principe, d’actes de « communication au public »

2. Sur le fait que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne régit pas la responsabilité secondaire des personnes facilitant la réalisation, par des tiers, d’actes de « communication au public » illicites

3. À titre subsidiaire – sur le point de savoir si des exploitants tels que YouTube et Cyando facilitent délibérément la réalisation d’actes illicites par des tiers

B. Sur le champ d’application de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (deuxièmes questions)

C. Sur la condition d’exonération, tenant à l’absence de connaissance ou de conscience d’une information illicite, prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 (troisièmes questions)

D. Sur les conditions pour demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 (quatrièmes questions)

E. À titre subsidiaire – sur la notion de « contrevenant » au sens de l’article 13 de la directive 2004/48 (cinquièmes et sixièmes questions)

F. Sur le fait que l’objectif d’un niveau élevé de protection du droit d’auteur ne justifie pas une interprétation différente des directives 2000/31 et 2001/29

VI. Conclusion


I.      Introduction

1.        Les présentes demandes de décision préjudicielle ont été formées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne). Elles portent sur l’interprétation de la directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (2), de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (3) ainsi que de la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle (4).

2.        Ces demandes s’inscrivent dans le cadre de deux litiges. Dans le premier, Frank Peterson, un producteur de musique, poursuit YouTube LLC et sa maison-mère Google LLC au sujet de la mise en ligne, sur la plateforme de partage de vidéos YouTube, de plusieurs phonogrammes sur lesquels il allègue détenir des droits, réalisée par des utilisateurs de cette plateforme sans l’autorisation de M. Peterson. Dans le second, Elsevier Inc., un groupe éditorial, poursuit Cyando AG au sujet de la mise en ligne, sur la plateforme d’hébergement et de partage de fichiers Uploaded, exploitée par cette dernière société, de différents ouvrages dont Elsevier détient les droits exclusifs, mise en ligne effectuée par des utilisateurs de cette plateforme sans son autorisation.

3.        Les six questions posées par la juridiction de renvoi dans chacune de ses demandes de décision préjudicielle gravitent autour de la problématique, éminemment sensible, de la responsabilité des exploitants de plateformes en ligne s’agissant des œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont mises en ligne sur ces plateformes, de manière illicite, par leurs utilisateurs.

4.        La nature et l’étendue de cette responsabilité dépend, notamment, de l’interprétation de l’article 3 de la directive 2001/29, qui reconnaît aux auteurs le droit exclusif de communiquer au public leurs œuvres, et de l’article 14 de la directive 2000/31, qui offre aux prestataires intermédiaires une exonération relative de responsabilité pour les informations qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs services. Les présentes affaires inviteront ainsi la Cour à préciser, en particulier, si la première disposition est opposable à ces exploitants de plateformes, s’ils peuvent se prévaloir de la seconde disposition, et la manière dont ces dispositions s’articulent entre elles.

5.        Cette problématique est marquée par des clivages profonds. Pour certains, les plateformes en ligne permettraient une contrefaçon à grande échelle, contrefaçon dont leurs exploitants tireraient profit au détriment des titulaires de droits, ce qui justifierait de leur imposer d’importantes obligations de contrôle des contenus que les utilisateurs de leurs plateformes y mettent en ligne. Pour d’autres, imposer à ces exploitants pareilles obligations de contrôle affecterait significativement leur activité ainsi que les droits de ces utilisateurs et entraverait la liberté d’expression et de création en ligne.

6.        Ces clivages ont été poussés à leur paroxysme lors des débats qui ont entouré l’adoption, par le législateur de l’Union, de la directive (UE) 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (5). L’article 17 de cette nouvelle directive prévoit, s’agissant des exploitants tels que YouTube, un régime de responsabilité spécifique pour les œuvres illégalement mises en ligne par les utilisateurs de leurs plateformes. Je précise néanmoins que cette directive, entrée en vigueur au cours des présentes procédures préjudicielles, n’est pas applicable aux litiges au principal. C’est donc sous l’angle du cadre juridique antérieur à celle-ci que ces affaires devront être tranchées, indépendamment des solutions que vient d’adopter le législateur de l’Union.

7.        Dans les présentes conclusions, je proposerai à la Cour de juger que des exploitants de plateformes tels que YouTube et Cyando n’effectuent, en principe, pas d’actes de « communication au public », au sens de l’article 3 de la directive 2001/29, et, partant, ne sont pas directement responsables d’une violation de cette disposition lorsque leurs utilisateurs mettent en ligne des œuvres protégées de manière illicite. J’expliquerai également pourquoi ces exploitants peuvent, en principe, bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14 de la directive 2000/31, sous réserve de conditions dont je préciserai les contours. Enfin, j’expliquerai que les titulaires de droits peuvent obtenir, en vertu du droit de l’Union, des injonctions judiciaires à l’encontre desdits exploitants, susceptibles de leur imposer de nouvelles obligations, dont je préciserai les conditions.

II.    Le cadre juridique

A.      La directive 2000/31

8.        La section 4 de la directive 2000/31, intitulée « Responsabilité des prestataires intermédiaires », inclut les articles 12 à 15 de cette directive.

9.        L’article 14 de ladite directive, intitulé « Hébergement », dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a)      le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b)      le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.

3.      Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible. »

10.      L’article 15 de cette même directive, intitulé « Absence d’obligation générale en matière de surveillance », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. »

B.      La directive 2001/29

11.      Le considérant 27 de la directive 2001/29 énonce que « [l]a simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive ».

12.      L’article 3 de cette directive, intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés », dispose :

« 1.      Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

2.      Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :

a)      pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;

b)      pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;

[...]

3.      Les droits visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont pas épuisés par un acte de communication au public, ou de mise à la disposition du public, au sens du présent article. »

13.      L’article 8 de ladite directive, intitulé « Sanctions et voies de recours », prévoit, à son paragraphe 3, que « [l]es États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ».

III. Les litiges au principal

A.      L’affaire C682/18

1.      YouTube

14.      YouTube est une plateforme Internet exploitée par la société éponyme, dont Google est l’associée unique et la représentante légale. Cette plateforme, qui se décline en différents sites Internet et applications pour appareils intelligents, permet à ses utilisateurs de partager des vidéos sur Internet.

15.      Pour mettre en ligne une vidéo sur YouTube, il est nécessaire de créer un compte – avec un nom d’utilisateur et un mot de passe – et d’accepter les conditions générales d’utilisation de cette plateforme. L’utilisateur qui, après s’être ainsi enregistré, met en ligne une vidéo peut choisir de la laisser en mode « privé » ou de la publier sur la plateforme. Dans la seconde hypothèse, la vidéo en question peut être visionnée en flux continu (streaming) depuis ladite plateforme et partagée par tout internaute, ainsi que commentée par les autres utilisateurs enregistrés. Les utilisateurs enregistrés peuvent également créer des « chaînes » regroupant leurs vidéos.

16.      La mise en ligne d’une vidéo sur cette même plateforme s’effectue automatiquement, sans visionnage ou contrôle préalable par Google ou YouTube. Près de 35 heures de vidéo y seraient ainsi publiées par minute (6), ce qui représente plusieurs centaines de milliers de vidéos par jour.

17.      YouTube intègre une fonction de recherche et procède à un traitement des résultats de recherche prenant la forme, notamment, d’une évaluation de la pertinence des vidéos, spécifique à la région de l’utilisateur. Le résultat de cette évaluation est résumé sur la page d’accueil sous la forme des rubriques « vidéos vues actuellement », « vidéos promues » et « vidéos tendances ». YouTube indexe les vidéos et chaînes disponibles sous des rubriques telles que « divertissement », « musique » ou « film et animation ». Par ailleurs, si un utilisateur enregistré utilise la plateforme, il se voit présenter un aperçu des « vidéos recommandées », lesquelles dépendent notamment des vidéos précédemment visionnées par ce dernier.

18.      YouTube tire de sa plateforme, notamment, des recettes publicitaires. Des bandeaux publicitaires d’annonceurs tiers figurent ainsi en marge de la page d’accueil de celle-ci. En outre, des publicités sont insérées dans certaines vidéos, ce qui suppose la conclusion d’un contrat spécifique entre les utilisateurs concernés et YouTube.

19.      En vertu des conditions générales d’utilisation de YouTube, chaque utilisateur accorde à celle-ci, sur les vidéos qu’il met en ligne, et jusqu’à leur retrait de la plateforme, une licence mondiale, non exclusive et libre de redevance pour l’utilisation, la reproduction, la distribution, la création d’œuvres dérivées, l’exposition et l’exécution en lien avec la mise à disposition de la plateforme et les activités de YouTube, y compris la publicité.

20.      En acceptant ces conditions générales, l’utilisateur confirme qu’il dispose de tous les droits, accords, autorisations et licences nécessaires sur les vidéos qu’il met en ligne. YouTube appelle par ailleurs les utilisateurs de sa plateforme, dans les « Lignes directrices de la communauté », à respecter le droit d’auteur. Ceux-ci sont en outre informés, lors de chaque mise en ligne, qu’aucune vidéo portant atteinte à ce droit ne saurait être publiée sur la plateforme.

21.      YouTube a mis en place différents dispositifs techniques afin de faire cesser et de prévenir les infractions sur sa plateforme. Toute personne peut lui notifier la présence d’une vidéo illicite par écrit, télécopie, courrier électronique ou formulaire web. Un bouton de notification a été créé grâce auquel les contenus indécents ou contrefaisants peuvent être signalés. Les titulaires de droits ont également la possibilité, à travers un procédé spécial d’alerte, de faire éliminer de la plateforme, en indiquant les adresses Internet (URL) correspondantes, jusqu’à dix vidéos concrètement désignées par contestation.

22.      YouTube a, en outre, mis en place un programme de vérification des contenus (Content Verification Program). Ce programme est ouvert aux entreprises inscrites à cet effet, pas à de simples particuliers. Ledit programme offre aux titulaires de droits concernés différents outils leur permettant de contrôler plus aisément l’utilisation de leurs œuvres sur la plateforme. Ceux-ci peuvent notamment cocher directement dans une liste de vidéos celles qui, selon eux, portent atteinte à leurs droits. Si une vidéo est bloquée en raison d’un tel signalement, l’utilisateur qui l’a mise en ligne est alerté du fait que son compte sera bloqué en cas de récidive. YouTube met également à la disposition des titulaires de droits participant à ce même programme un logiciel de reconnaissance de contenu, dénommé « Content ID », développé par Google, qui a vocation à détecter automatiquement les vidéos utilisant leurs œuvres. À cet égard, selon les explications données par Google, les titulaires de droits devraient fournir à YouTube des fichiers de référence audio ou vidéo pour identifier les œuvres en question. Content ID créerait des « empreintes digitales » à partir de ces fichiers, qui seraient conservées dans une base de données. Content ID scannerait automatiquement chaque vidéo mise en ligne sur YouTube et la comparerait à ces « empreintes ». Ce logiciel pourrait, dans ce cadre, reconnaître la vidéo et l’audio, y compris les mélodies lorsqu’elles ont été reprises ou imitées. Lorsqu’une correspondance est détectée, les titulaires de droits concernés seraient automatiquement notifiés. Ces derniers auraient la possibilité de bloquer les vidéos en cause. Alternativement, ceux-ci pourraient choisir de suivre l’utilisation de ces vidéos sur YouTube au moyen des statistiques d’audience. Ils pourraient encore faire le choix de monétiser lesdites vidéos en y insérant des publicités, ou de percevoir une partie des recettes générées par celles préalablement insérées à la demande des utilisateurs ayant mis en ligne ces mêmes vidéos.

2.      Le recours de M. Peterson

23.      Les 6 et 7 novembre 2008, des titres issus de l’album A Winter Symphony de l’artiste Sarah Brightman ainsi que des enregistrements audio privés réalisés lors des concerts de sa tournée « Symphony Tour », associés à des images fixes ou animées, ont été publiés sur YouTube par des utilisateurs de cette plateforme.

24.      Par un courrier du 7 novembre 2008, M. Peterson, qui se prévaut du droit d’auteur et de droits voisins sur les titres et enregistrement en question (7), s’est adressé à Google Germany GmbH et a, en substance, enjoint à cette société, ainsi qu’à Google, de retirer les vidéos litigieuses sous peine de sanction. À cette fin, M. Peterson a fourni des captures d’écran de ces vidéos. YouTube a recherché manuellement, à l’aide de ces captures d’écran, les adresses Internet (URL) desdites vidéos et en a bloqué l’accès. Les parties au principal s’opposent néanmoins sur l’étendue de ces mesures de blocage.

25.      Le 19 novembre 2008, des enregistrements audio de concerts de Sarah Brightman, associés à des images fixes ou animées, étaient de nouveau accessibles sur YouTube.

26.      M. Peterson a consécutivement introduit, à l’encontre notamment (8) de Google et de YouTube, un recours devant le Landgericht Hamburg (tribunal régional d’Hambourg, Allemagne). Dans ce cadre, M. Peterson a demandé, en substance, à obtenir une injonction en cessation interdisant à ces sociétés de mettre à la disposition du public douze enregistrements audio ou interprétations tirés de l’album A Winter Symphony et douze œuvres ou interprétations tirés des concerts de la « Symphony Tour » ou, à titre subsidiaire, de permettre aux tiers de le faire. M. Peterson a également demandé à obtenir des renseignements sur les activités contrefaisantes en question et sur le chiffre d’affaires ou les bénéfices réalisés par YouTube grâce à ces activités. En outre, il a demandé que soit constatée en justice, notamment, l’obligation de cette société de lui verser des dommages-intérêts pour la mise à disposition du public des vidéos litigieuses. Enfin, M. Peterson a demandé, à titre subsidiaire, à obtenir des renseignements sur les utilisateurs qui ont mis en ligne ces vidéos.

27.      Par un arrêt du 3 septembre 2010, le Landgericht Hamburg (tribunal régional d’Hambourg) a fait droit au recours en ce qui concerne trois titres de musique et l’a rejeté pour le surplus. M. Peterson ainsi que YouTube et Google ont fait appel de cette décision.

28.      Par un arrêt du 1er juillet 2015, l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur d’Hambourg, Allemagne) a partiellement réformé l’arrêt rendu en première instance. Cette juridiction a interdit à YouTube et à Google, sous peine d’astreinte, de donner à des tiers la possibilité de mettre à la disposition du public des enregistrements audio ou des interprétations de sept des titres de l’album A Winter Symphony. Ladite juridiction a, par ailleurs, condamné ces sociétés à fournir à M. Peterson différents renseignements relatifs aux utilisateurs qui ont mis en ligne les vidéos litigieuses. Cette même juridiction a rejeté le recours de M. Peterson pour le surplus.

29.      M. Peterson a formé un pourvoi en « Revision » devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice). Dans ces conditions, par une décision du 13 septembre 2018, parvenue à la Cour le 6 novembre 2018, cette juridiction a sursis à statuer et a saisi la Cour.

B.      L’affaire C683/18

1.      Uploaded

30.      Uploaded est une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers – communément désignée comme un Sharehoster ou encore un Cyberlocker – exploitée par Cyando. Cette plateforme, accessible par le truchement de différents sites Internet, offre de l’espace de stockage permettant à tout un chacun d’héberger en ligne, gratuitement, des fichiers pouvant avoir n’importe quel contenu. Afin d’utiliser Uploaded, il est nécessaire de créer un compte – avec un nom d’utilisateur et un mot de passe, en fournissant notamment une adresse électronique. La mise en ligne d’un fichier s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par Cyando. À chaque fois qu’un fichier est versé par un utilisateur, un lien hypertexte permettant de le télécharger, dit download-link, est automatiquement généré et communiqué à cet utilisateur. Uploaded ne comporte ni index ni fonction de recherche des fichiers hébergés. Les utilisateurs peuvent néanmoins partager librement ces liens de téléchargement sur Internet, par exemple dans des blogs, des forums, ou encore dans des « collections de liens », c’est-à-dire des sites qui indexent ces liens, fournissent des informations relatives aux fichiers auxquels lesdits liens renvoient et permettent aux internautes de rechercher les fichiers qu’ils souhaitent télécharger.

31.      Pour autant que l’on dispose d’un compte et des liens adéquats, les fichiers hébergés sur Uploaded peuvent être téléchargés gratuitement. Néanmoins, pour les utilisateurs disposant d’un simple accès gratuit à la plateforme, les possibilités de téléchargement sont limitées (en termes, notamment, de quantité maximale de données téléchargeables, de vitesse du téléchargement, de nombre de téléchargements simultanés, etc.). En revanche, les utilisateurs peuvent souscrire un abonnement payant afin de bénéficier d’un volume de téléchargement quotidien bien plus conséquent, sans limitation de vitesse ou de nombre de téléchargements simultanés, et sans temps d’attente entre les téléchargements. Par ailleurs, Cyando a mis en place un programme de « partenariat » dans le cadre duquel elle verse, à certains des utilisateurs qui mettent en ligne des fichiers sur Uploaded, une rémunération en fonction du nombre de téléchargements des fichiers en question.

32.      Les conditions générales d’utilisation d’Uploaded stipulent que cette plateforme ne saurait être utilisée pour porter atteinte au droit d’auteur. Cela étant, il est établi que, dans les faits, ladite plateforme donne lieu à des utilisations légales ainsi que, « dans une large mesure » (9), à des utilisations qui portent atteinte au droit d’auteur, ce dont Cyando est consciente. À cet égard, Cyando a été informée de la présence, sur ses serveurs, de plus de 9 500 œuvres protégées, mises en ligne sans autorisation préalable des titulaires de droits, pour lesquelles des liens de téléchargement ont été partagés sur environ 800 sites Internet (collections de liens, blogs et forums) dont elle a connaissance.

2.      Le recours dElsevier

33.      Il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑683/18 qu’un certain nombre d’œuvres protégées, dont Elsevier détient les droits d’exploitation exclusifs, ont été hébergées sur la plateforme Uploaded et mises à la disposition du public, sans l’autorisation de cette société, par le truchement de collections de liens, blogs et autres forums. En particulier, sur la base de recherches effectuées du 11 au 13 décembre 2013, cette société a notifié à Cyando, par deux lettres expédiées les 10 et 17 janvier 2014, que des fichiers contenant trois de ces œuvres, à savoir Gray’s Anatomy for Students, Atlas of Human Anatomy et Campbell-Walsh Urology, étaient stockés sur ses serveurs et pouvaient être librement consultés par le biais des collections de liens rehabgate.com, avaxhome.ws et bookarchive.ws.

34.      Elsevier a intenté un recours, notifié le 17 juillet 2014, à l’encontre de Cyando devant le Landgericht München (tribunal régional de Munich, Allemagne). Dans ce cadre, Elsevier a notamment demandé que Cyando soit condamnée en cessation, à titre principal, en tant qu’auteur des atteintes au droit d’auteur commises concernant les œuvres litigieuses, à titre subsidiaire, comme complice de ces atteintes et, à titre infiniment subsidiaire, en tant que « perturbatrice ». Elsevier a également demandé que Cyando soit condamnée à lui fournir certains renseignements. En outre, la première société a demandé à cette juridiction de constater l’obligation de la seconde société de lui verser des dommages-intérêts pour ces mêmes atteintes.

35.      Par un arrêt du 18 mars 2016, le Landgericht München (tribunal régional de Munich) a condamné Cyando en cessation en raison de sa participation aux atteintes au droit d’auteur commises concernant les trois œuvres visées dans les lettres des 10 et 17 janvier 2014, et a accueilli les demandes formulées à titre subsidiaire par Elsevier. Ladite juridiction a rejeté le recours pour le surplus.

36.      Elsevier et Cyando ont chacune fait appel de cette décision. Par un arrêt du 2 mars 2017, l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne) a réformé l’arrêt rendu en première instance. Cette juridiction a condamné Cyando en cessation en tant que « perturbatrice » s’agissant des atteintes relatives aux trois œuvres visées dans les lettres du 10 et 17 janvier 2014, conformément à la demande formulée à titre infiniment subsidiaire par Elsevier. La juridiction d’appel a rejeté le recours pour le surplus.

37.      Elsevier a formé un pourvoi en « Revision » devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice). Dans ces conditions, par une décision du 20 septembre 2018, parvenue à la Cour le 6 novembre 2018, cette juridiction a sursis à statuer et a saisi la Cour.

IV.    Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

38.      Dans l’affaire C‑682/18, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’exploitant d’une plateforme vidéo en ligne sur laquelle les utilisateurs mettent à disposition du public des vidéos comportant des contenus protégés par le droit d’auteur sans l’accord des titulaires de droits procède-t-il à un acte de communication au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la [directive 2001/29] lorsque :

–        il tire des recettes publicitaires de la plateforme,

–        [la mise en ligne d’une vidéo] s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par l’exploitant,

–        l’exploitant obtient en application des conditions d’utilisation et pour la durée du placement de la vidéo sur la plateforme une licence mondiale, non exclusive et libre de redevance à l’égard des vidéos,

–        l’exploitant signale dans les conditions d’utilisation et dans le cadre du processus de [mise en ligne] que les contenus portant atteinte au droit d’auteur ne sauraient être placés sur la plateforme,

–        l’exploitant met à disposition des outils grâce auxquels les titulaires de droits peuvent agir pour faire bloquer l’accès aux vidéos portant atteinte à leurs droits,

–        l’exploitant procède sur la plateforme à un traitement des résultats de recherche sous forme de listes de classement et de rubriques de contenus, et présente aux utilisateurs enregistrés un aperçu de vidéos recommandées en fonction des vidéos déjà vues par ces utilisateurs,

s’il n’a pas concrètement connaissance de la disponibilité de contenus violant le droit d’auteur ou élimine immédiatement ou bloque sans délai l’accès à ces contenus lorsqu’il en prend connaissance ?

2)      En cas de réponse négative à la première question :

L’activité de l’exploitant d’une plateforme vidéo en ligne relève-t-elle dans les circonstances décrites dans la première question du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la [directive 2000/31] ?

3)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question :

La connaissance effective de l’activité ou de l’information illicites ou la connaissance des faits ou des circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicites est apparente doivent-elles, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la [directive 2000/31], concerner des activités ou informations illicites concrètes ?

4)      Toujours dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la deuxième question :

Est-il conforme à l’article 8, paragraphe 3, de la [directive 2001/29] que le titulaire de droits ne peut obtenir une ordonnance sur requête à l’encontre d’un prestataire de services dont le service consiste à stocker des informations fournies par un utilisateur et utilisées par un utilisateur pour porter atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, que lorsque, après qu’une infraction claire a été signalée, il y a récidive ?

5)      Dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative à la première et à la deuxième questions :

L’exploitant d’une plateforme vidéo en ligne est-il dans les circonstances décrites dans la première question un contrevenant au sens de l’article 11, première phrase, et de l’article 13 de la [directive 2004/48] ?

6)      En cas de réponse affirmative à la cinquième question :

L’obligation d’un tel contrevenant de verser des dommages-intérêts au titre de l’article 13, paragraphe 1, de la [directive 2004/48] peut-elle être soumise à la condition que celui-ci ait agi intentionnellement en ce qui concerne tant sa propre activité contrefaisante que celle d’un tiers et qu’il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que les utilisateurs utilisent la plateforme pour commettre des infractions concrètes ? »

39.      Dans l’affaire C‑683/18, cette juridiction a également posé six questions préjudicielles à la Cour, les deuxième à sixième questions étant, en substance, les mêmes que celles posées dans l’affaire C‑682/18. Seule la première question, reprise ci-dessous, diffère :

« 1)      a)      L’exploitant d’un service [d’hébergement et de partage de fichiers] grâce auquel les utilisateurs peuvent mettre à la disposition du public, sans autorisation des titulaires de droits, des données comportant des contenus protégés par le droit d’auteur procède-t-il à un acte de communication au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive [2001/29] si :

–        [la mise en ligne d’un fichier] s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par l’exploitant,

–        l’exploitant signale dans les conditions d’utilisation que les contenus portant atteinte au droit d’auteur ne sauraient être placés sur la plateforme,

–        il tire des recettes de l’exploitation du service,

–        le service est utilisé pour des applications légales, mais l’exploitant a également conscience de la disponibilité d’un nombre considérable de contenus portant atteinte au droit d’auteur (plus de 9 500 œuvres),

–        l’exploitant n’offre aucun répertoire et aucune fonction de recherche, mais les liens de téléchargement sans restriction qu’il met à disposition sont placés par des tiers sur Internet dans des collections de liens contenant des informations sur le contenu des fichiers et permettent la recherche de certains contenus,

–        il crée, en aménageant la rémunération versée pour les téléchargements en fonction de la demande, une incitation à télécharger des contenus protégés par des droits d’auteur qui sinon ne pourraient être obtenus par les utilisateurs que contre paiement,

et

–        en offrant la possibilité de télécharger des fichiers anonymement, il accroît la probabilité que les utilisateurs ne seront pas traduits en justice pour des atteintes au droit d’auteur ?

b)      Cette appréciation change-t-elle si la mise à disposition d’offres portant atteinte au droit d’auteur représente 90 à 96 % de l’utilisation globale du service d’hébergement mutualisé ? »

40.      Par décision du président de la Cour en date du 18 décembre 2018, les affaires C‑682/18 et C‑683/18 ont été jointes, compte tenu de leur connexité, aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

41.      M. Peterson, Elsevier, Google, Cyando, les gouvernements allemand, français et finlandais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour. Les mêmes parties et intéressés, à l’exception du gouvernement finlandais, ont été représentés lors de l’audience de plaidoirie qui s’est tenue le 26 novembre 2019.

V.      Analyse

42.      Les présentes affaires ont pour toile de fond les services du « web 2.0 ». Je rappelle que, à partir du milieu des années 2000, différents changements technologiques (allant de l’augmentation de la bande passante mondiale à la démocratisation des connections haut débit) et sociaux (qu’il s’agisse d’une modification de l’attitude des internautes s’agissant de la vie privée ou de la volonté de partager, de contribuer et de créer des communautés en ligne) ont entraîné le développement sur Internet de services dynamiques et interactifs, tels que les blogs, les réseaux sociaux et les plateformes de partage, constituant autant d’outils permettant à leurs utilisateurs de partager en ligne des contenus de toute sorte, désignés ainsi sous le terme de user-created content ou user-generated content. Les prestataires de ces services revendiquent le fait de permettre aux internautes de sortir du rôle de consommateur passif de divertissements, d’opinions ou d’informations et d’être activement impliqués dans la création et l’échange de ces contenus sur Internet. L’effet de réseau inhérent au succès de pareil service a rapidement permis à un petit nombre de ces prestataires de passer du statut de start-up à celui d’entreprise dominante (10).

43.      La plateforme YouTube, en cause dans l’affaire C‑682/18, est représentative à cet égard. Cette plateforme donne à ses utilisateurs (qui seraient plus de 1,9 milliard à en croire Google) l’opportunité de partager en ligne leurs contenus et, en particulier, leurs créations. Une multitude de vidéos y sont ainsi mises en ligne chaque jour, parmi lesquelles se trouvent des contenus culturels et divertissants, tels que des compositions musicales publiées par des artistes émergeants qui peuvent trouver un large public, des contenus informatifs sur des thèmes aussi divers que la politique, le sport et la religion, ou encore des « tutoriels » ayant vocation à permettre à tout un chacun d’apprendre à cuisiner, à jouer de la guitare, à réparer une bicyclette, etc. Des contenus sont publiés sur YouTube non seulement par des particuliers, mais également par des organismes publics et des professionnels, dont des entreprises de médias établies telles que des chaînes de télévision ou des maisons de disques. YouTube est organisée autour d’un modèle économique complexe, incluant notamment la vente d’espaces publicitaires sur sa plateforme (11). En outre, YouTube a mis en place un système par lequel elle partage un pourcentage de ses recettes publicitaires avec certains utilisateurs fournissant les contenus, ce qui permet à ces derniers de tirer un revenu de la plateforme (12).

44.      La plateforme Uploaded, en cause dans l’affaire C‑683/18, reflète une réalité certes liée, mais néanmoins distincte. De manière générale, un Cyberlocker fournit à ses utilisateurs un espace de stockage en ligne, permettant à ces derniers notamment de sauvegarder « dans le nuage » toute sorte de fichiers afin d’y accéder à tout moment, de l’endroit qu’ils souhaitent et au moyen de n’importe quel appareil. En tant que Sharehoster, Uploaded intègre également une fonction de partage des fichiers hébergés. Les utilisateurs ont ainsi la faculté de communiquer à des tiers les download-links générés pour chaque fichier mis en ligne. Cette fonction viserait, selon Cyando, à permettre à tout un chacun de transférer aisément des fichiers volumineux aux membres de sa famille, à ses amis ou encore à des partenaires commerciaux. En outre, les utilisateurs pourraient, grâce à ladite fonction, partager sur Internet des contenus libres de droits ou leurs propres œuvres. Les Cyberlockers adoptent différents modèles commerciaux. Uploaded se rémunère, pour sa part, grâce à la vente d’abonnements affectant notamment la capacité de téléchargement des fichiers hébergés.

45.      Si des plateformes telles que YouTube et Uploaded peuvent ainsi donner lieu à différentes utilisations licites, elles sont également utilisées de manière illégale. En particulier, des vidéos partagées sur YouTube peuvent contenir des œuvres protégées et porter atteinte aux droits de leurs auteurs. Par ailleurs, un Sharehoster tel qu’Uploaded, de par sa capacité même à stocker et à transférer des fichiers volumineux, est un outil pratique pour l’échange illicite de copies d’œuvres notamment cinématographiques ou musicales.

46.      Les titulaires de droits comme M. Peterson et Elsevier, soutenus en l’occurrence par le gouvernement français, dressent ainsi un portrait sévère des plateformes en question et de leurs exploitants. En permettant, dans le cadre de ces plateformes, une fourniture décentralisée et incontrôlée de contenu par n’importe quel internaute, ces exploitants généreraient un risque considérable d’atteinte au droit d’auteur. Ce risque serait démultiplié compte tenu du caractère ubiquitaire des contenus publiés sur lesdites plateformes, lesquels peuvent être consultés instantanément par un nombre indéfini d’internautes partout dans le monde (13). Les titulaires de droits se prévalent encore des difficultés qu’ils connaissent pour poursuivre les utilisateurs commettant de telles atteintes par l’intermédiaire de ces mêmes plateformes, du fait de leur insolvabilité, de leur anonymat ou encore de leur localisation.

47.      Les arguments des titulaires de droits ne se limitent pas au risque de contrefaçon généré par l’activité d’exploitants tels que YouTube ou Cyando. Ils reprochent plus largement à ces exploitants – et tout particulièrement à YouTube – d’avoir profondément modifié, à leurs dépens, la chaîne de valeur dans l’économie de la culture. En substance, les titulaires de droits avancent que lesdits exploitants inciteraient les utilisateurs de leurs plateformes à mettre en ligne des contenus attrayants, qui seraient, dans la plupart des cas, protégés par le droit d’auteur. Les mêmes exploitants monétiseraient pour leur propre compte ces contenus notamment grâce à la publicité (modèle « YouTube ») ou aux abonnements (modèle « Cyando ») et en tireraient des profits considérables, sans pour autant acquérir de licences auprès des titulaires de droits ni, partant, leur verser de rémunération. Les exploitants de plateformes accapareraient ainsi la majeure partie de la valeur générée par lesdits contenus, au détriment des titulaires de droits – il s’agit là de l’argument du value gap (écart de valeur), discuté dans le contexte de l’adoption de la directive 2019/790. En outre, les plateformes telles que YouTube entraveraient la possibilité, pour les titulaires de droits, de faire une exploitation normale de leurs œuvres. En effet, ces plateformes livreraient une concurrence déloyale aux médias traditionnels (chaînes de radio et de télévision, etc.) et aux fournisseurs de contenus numériques (Spotify, Netflix, etc.) qui acquièrent, pour leur part, les contenus qu’ils diffusent auprès des titulaires de droits contre rémunération, et qui seraient, du fait de cette concurrence déloyale, prêts à verser à ces derniers une rémunération moindre afin de rester compétitifs (14). Ainsi, pour obtenir le niveau élevé de protection de leur propriété intellectuelle que le droit de l’Union vise à leur assurer et une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres (15), les titulaires de droits devraient pouvoir se tourner vers les exploitants de plateformes eux-mêmes.

48.      À ce stade, il est utile de rappeler que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29  prévoit, pour les auteurs, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute « communication au public » de leurs œuvres, y compris la mise à la disposition du public de ces œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement (16). Il est porté atteinte à ce droit exclusif dès lors qu’une œuvre protégée est communiquée au public par un tiers sans autorisation préalable de son auteur (17), sauf à ce que cette communication relève de l’une des exceptions et limitations prévues de façon exhaustive à l’article 5 de cette directive (18).

49.      Or, les titulaires de droits sont d’avis que des exploitants tels que YouTube et Cyando réalisent, conjointement avec les utilisateurs de leurs plateformes, la « communication au public » des œuvres que ces derniers mettent en ligne. En conséquence, ces exploitants devraient, pour l’ensemble des fichiers que ces utilisateurs entendent partager, préalablement à leur mise en ligne, vérifier s’ils contiennent des œuvres protégées, déterminer les droits existants sur celles-ci et obtenir eux-mêmes, en général contre rémunération, une licence auprès des titulaires de ces droits ou, à défaut, empêcher cette mise en ligne. À chaque fois que lesdits exploitants ne rempliraient pas ces obligations et que, en conséquence, des œuvres seraient publiées de manière illicite depuis leurs plateformes, ils en seraient directement responsables, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. À ce titre, ces mêmes exploitants seraient notamment tenus, en vertu de l’article 13 de la directive 2004/48, de verser aux titulaires de droits concernés des dommages-intérêts.

50.      YouTube et Cyando, soutenues en l’occurrence par le gouvernement finlandais et la Commission, répliquent qu’elles ne sont que des intermédiaires fournissant des outils permettant aux utilisateurs de leurs plateformes de communiquer des œuvres au public. Ce serait donc non pas ces exploitants, mais lesdits utilisateurs, qui réalisent la « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsqu’ils partagent en ligne, depuis ces plateformes, des fichiers contenant des œuvres protégées. Ces mêmes utilisateurs supporteraient donc la responsabilité directe en cas de « communication » illicite. En tout état de cause, lesdits exploitants estiment bénéficier de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. Cette disposition les exonérerait de toute responsabilité susceptible de résulter des fichiers illicites qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes, pour autant, en substance, qu’ils n’en aient pas connaissance ou que, le cas échéant, ils les aient promptement supprimés. En outre, ces mêmes exploitants ne pourraient pas, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de cette directive, se voir imposer l’obligation générale de surveiller les fichiers qu’ils stockent ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. YouTube et Cyando estiment donc que, conformément à ces dispositions, elles sont tenues non pas de contrôler l’ensemble des fichiers fournis par les utilisateurs de leurs plateformes préalablement à leur mise en ligne, mais, pour l’essentiel, d’être suffisamment réactives aux notifications des titulaires de droits indiquant l’illégalité de certains d’entre eux.

51.      Dans ce contexte, les premières questions posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) visent à déterminer si l’activité d’exploitants de plateformes tels que YouTube et Cyando relève de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Les deuxièmes questions de cette juridiction visent à déterminer si ces exploitants peuvent bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 pour les fichiers qu’ils stockent à la demande de leurs utilisateurs. Ces questions sont étroitement liées. En effet, le législateur de l’Union entendait, par les directives 2000/31 et 2001/29, établir un cadre réglementaire clair en ce qui concerne la responsabilité des prestataires intermédiaires en cas de violation du droit d’auteur au niveau de l’Union (19). L’article 3, paragraphe 1, de la première directive et l’article 14, paragraphe 1, de la seconde doivent donc être interprétés de manière cohérente (20).

52.      J’examinerai, dans les sections A et B des présentes conclusions, tour à tour ces deux dispositions (21).

A.      Sur la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 (premières questions)

53.      Par ses premières questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos et l’exploitant d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers réalisent un acte de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsqu’un utilisateur de leurs plateformes y met en ligne une œuvre protégée.

54.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « communication au public » prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 est une notion autonome du droit de l’Union, dont le sens et la portée doivent être déterminés au regard du libellé de cette disposition, du contexte dans lequel elle s’insère et des objectifs poursuivis par cette directive (22). En outre, cette notion doit être interprétée, dans la mesure du possible, à la lumière des notions équivalentes contenues dans les textes du droit international liant l’Union (23).

55.      Conformément à cette jurisprudence, la notion de « communication au public » associe deux conditions cumulatives, à savoir un acte de « communication » d’une œuvre et un « public » (24).

56.      À cet égard,  d’une part, la notion de « communication » vise, comme le précise le considérant 23 de la directive 2001/29, toute transmission (ou retransmission) d’une œuvre  à un public non présent au lieu d’origine de la communication, quel que soit le procédé technique utilisé (25). En d’autres termes, une personne réalise un acte de « communication » lorsqu’elle transmet et rend ainsi perceptible une œuvre (26) à distance (27). L’exemple typique d’une telle transmission est, comme l’indique ce considérant, la radiodiffusion d’une œuvre, tandis que le terme « retransmission » vise, en particulier, la retransmission simultanée, par câble, satellite ou encore Internet, d’une émission radiodiffusée.

57.      Par ailleurs, la notion de « communication » inclut, comme je l’ai rappelé au point 48 des présentes conclusions, celle de « mise à disposition ». Cette dernière catégorie vise, comme le précisent le considérant 25 et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, les transmissions interactives à la demande, caractérisées par le fait que chacun peut avoir accès à l’œuvre de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. La notion de « mise à disposition » couvre ainsi le fait, pour une personne, de donner à un « public » la possibilité de se voir transmettre une œuvre dans ces conditions, typiquement en la mettant en ligne sur un site Internet (28).

58.      D’autre part, la notion de « public » se réfère à un nombre « indéterminé » et « assez important » de personnes. Cette notion vise donc des personnes en général, par opposition à des personnes déterminées appartenant à un groupe privé, et comporte un certain seuil de minimis (29).

59.      En l’occurrence, compte tenu de ce qui précède, il est incontestable que, lorsqu’une œuvre protégée est partagée en ligne, depuis une plateforme telle que YouTube ou Uploaded, cette œuvre est « mise à la disposition du public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

60.      En effet, lorsqu’une vidéo contenant une œuvre protégée est publiée sur YouTube, tout un chacun peut la consulter en streaming depuis cette plateforme, de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. Il en va de même lorsqu’un fichier contenant une œuvre est hébergé sur Uploaded et que le download link s’y rapportant est librement partagé sur Internet, dans des collections de liens, des blogs ou encore des forums (30). Dans les deux cas, l’œuvre est mise à la disposition d’un « public » (31) indépendamment du fait que sa consultation ou son téléchargement intervienne à la demande de personnes individuelles dans le cadre de transmission « un à un ». En effet, il faut, à cet égard, tenir compte du nombre de personnes pouvant y avoir accès parallèlement ainsi que successivement (32). Dans l’hypothèse évoquée, l’œuvre peut être consultée ou téléchargée, selon le cas, par l’ensemble des visiteurs, actuels et potentiels, de YouTube ou du site Internet sur lequel ce lien est partagé – soit, manifestement, un nombre « indéterminé » et « assez important » de personnes (33).

61.      Par conséquent, lorsqu’une œuvre protégée est publiée sur Internet, depuis une plateforme telle que YouTube ou Uploaded, par un tiers, sans autorisation préalable de son auteur, et que cette publication ne relève pas des exceptions et limitations prévues à l’article 5 de la directive 2001/29, il en résulte une atteinte au droit exclusif de « communication au public » que l’article 3, paragraphe 1, de cette directive reconnaît à ce dernier.

62.      Cela étant, toute la question est de savoir qui, de l’utilisateur mettant en ligne l’œuvre concernée, de l’exploitant de la plateforme, ou de ces deux personnes conjointement, réalise cette « communication » et en supporte l’éventuelle responsabilité.

63.      À ce stade, il convient de préciser que M. Peterson et Elsevier ont présenté, sur cette question, un argumentaire empreint de différentes logiques. Selon eux, des exploitants tels que YouTube et Cyando seraient responsables au titre de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 aux motifs, d’abord, qu’ils s’impliqueraient activement dans la « communication au public » des œuvres mises en ligne par les utilisateurs de leurs plateformes, de sorte qu’ils réaliseraient eux-mêmes cette « communication », ensuite, qu’ils auraient connaissance du fait que ces utilisateurs partagent des œuvres protégées de manière illicite et que, en outre, ils les inciteraient délibérément à le faire, et, enfin, qu’ils feraient preuve de négligence à cet égard, en ne respectant pas certaines obligations de diligence qui leur seraient imposées en contrepartie du risque de contrefaçon que génère leur activité (34).

64.      Cet argumentaire amalgame, selon moi, deux problématiques. D’une part, dans l’hypothèse où des exploitants tels que YouTube et Cyando réaliseraient la « communication au public » des œuvres que les utilisateurs de leurs plateformes mettent en ligne, ces exploitants supporteraient potentiellement une responsabilité directe (ou « primaire ») au titre de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Le point de savoir si tel est le cas constitue une question objective, à l’exclusion de considérations telles que la connaissance ou la négligence. En effet, la réponse à cette question dépend, en principe, uniquement du point de savoir si lesdits exploitants effectuent les actes de « communication » et si ces actes sont réalisés sans autorisation des auteurs des œuvres concernées. Dans la section 1, j’exposerai, en suivant ce cadre d’analyse, et en examinant uniquement les arguments pertinents, les raisons pour lesquelles, en principe, seuls les utilisateurs qui mettent en ligne des œuvres protégées réalisent la « communication au public » de ces œuvres. La responsabilité primaire susceptible de résulter de cette « communication » est donc, en règle générale, supportée uniquement par ces utilisateurs.

65.      D’autre part, la question de savoir si des exploitants tels que YouTube et Cyando sont responsables des atteintes au droit d’auteur commises par les utilisateurs de leurs plateformes aux motifs, par exemple, que ces exploitants en avaient connaissance et ont délibérément omis d’agir, qu’ils ont incité ces utilisateurs à commettre pareilles atteintes ou encore qu’ils ont été négligents à cet égard ne relève pas, à mon sens, de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Comme je l’expliquerai dans la section 2, si la Cour semble avoir interprété cette disposition, dans les arrêts GS Media (35), Stichting Brein  I (« Filmspeler ») (36) et Stichting Brein II (« The Pirate Bay ») (37), en ce sens qu’elle peut couvrir la responsabilité pour le fait des tiers (dite « accessoire », « subsidiaire », « secondaire » ou encore « indirecte »), j’estime, pour ma part, que cette responsabilité n’est, en réalité, pas harmonisée en droit de l’Union. Elle relève, partant, des règles en matière de responsabilité civile prévues dans le droit des États membres. À titre subsidiaire, j’examinerai, à la section 3, l’activité desdits exploitants au regard du cadre d’analyse résultant de ces arrêts et des arguments s’y rapportant.

1.      Sur le fait que des exploitants de plateformes tels que YouTube et Cyando ne réalisent pas, en principe, d’actes de « communication au public »

66.      Comme je l’ai expliqué aux points 55 à 58 des présentes conclusions, un acte de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, correspond à la transmission une œuvre protégée à un public. Dans ce cadre, un acte de « mise à disposition » consiste à offrir aux membres du public la possibilité d’une telle transmission, qui peut être réalisée à leur demande, de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement.

67.      Cela étant, toute transmission d’une œuvre à un public nécessite, en règle générale, une chaîne d’interventions effectuées par plusieurs personnes, impliquées à différents titres et à des degrés divers dans cette transmission. Par exemple, la possibilité, pour des téléspectateurs, de visionner une œuvre radiodiffusée sur leurs postes de télévision est le résultat des efforts combinés, notamment, d’un organisme de radiodiffusion, d’un ou de plusieurs diffuseurs, de l’opérateur du réseau hertzien ainsi que des personnes ayant fourni les antennes et les postes de télévision de ces téléspectateurs.

68.      Toutes ces interventions ne sauraient être considérées comme des actes de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. À défaut, n’importe quel maillon de la chaîne serait, indépendamment de la nature de son activité, responsable à l’égard des auteurs. Afin de prévenir le risque d’une telle interprétation extensive, le législateur de l’Union a précisé, au considérant 27 de cette directive, que la « simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de [cette directive] » (38).

69.      Il importe donc de distinguer, au sein de la chaîne d’interventions inhérente à toute transmission d’une œuvre à un public, la personne (39) réalisant l’acte de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, des prestataires qui, en fournissant les « installations » permettant de réaliser cette transmission, servent d’intermédiaires entre cette personne et le public (40).

70.      En l’occurrence, je suis d’avis, à l’instar de Google, de Cyando, du gouvernement finlandais et de la Commission, que le rôle joué par des exploitants tels que YouTube et Cyando dans la « communication au public » des œuvres mises en ligne par les utilisateurs de leurs plateformes est, en principe, celui de pareil intermédiaire. L’objection de M. Peterson, d’Elsevier ainsi que des gouvernements allemand et français selon laquelle ces exploitants iraient au-delà de ce rôle reflète, à mon sens, une mauvaise compréhension de ce qui distingue une « simple fourniture d’installations » d’un acte de « communication ».

71.      Je rappelle que les principes gouvernant cette distinction ont été posés dès la première décision rendue par la Cour concernant l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, à savoir l’arrêt SGAE (41). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le fait, pour un hôtelier, de capter une émission radiodiffusée et de la distribuer, au moyen de postes de télévision, aux clients installés dans les chambres de son établissement constitue un acte de « communication au public » des œuvres contenues dans cette émission. Si l’installation de ces postes de télévision dans les chambres constituait, en soi, une « fourniture d’installations », l’intervention de l’hôtelier ne se bornait pas à cette fourniture. En effet, en distribuant l’émission radiodiffusée auxdits postes, l’hôtelier transmettait volontairement (42) les œuvres qu’elle contenait à ses clients – lesquels constituaient non seulement un « public », mais encore un « public nouveau », c’est-à-dire à des personnes qui n’avaient pas été prises en compte par les auteurs de ces œuvres lorsqu’ils ont autorisé leur radiodiffusion (43) – qui, tout en se trouvant à l’intérieur de la zone de réception de l’émission, ne pourraient, en principe, jouir desdites œuvres sans son intervention (44).

72.      Il ressort de cet arrêt que, lorsqu’une œuvre est transmise à un public, la personne qui réalise l’acte de « communication » – par opposition aux prestataires qui « fournissent les installations » – est celle qui intervient volontairement pour transmettre cette œuvre à un public de sorte que, en l’absence de son intervention, ce public ne pourrait en jouir. En agissant ainsi, cette personne joue – pour reprendre la notion consacrée par la Cour dans sa jurisprudence subséquente – un « rôle incontournable » (45) dans cette transmission.

73.      Cette explication pourrait être mal comprise. Dans l’absolu, n’importe quel intermédiaire joue un rôle important, voire essentiel, dans pareille transmission, puisqu’il est l’un des maillons de la chaîne permettant sa réalisation. Toutefois, le rôle joué par la personne en question est plus fondamental. Son rôle est « incontournable » dès lors que c’est elle qui décide de transmettre une œuvre donnée à un public et qui initie activement cette « communication ».

74.      À l’opposé, les prestataires intermédiaires dont les services sont utilisés pour permettre ou réaliser une « communication » ne décident pas, de leur propre chef, de transmettre des œuvres à un public. Ils suivent, à cet égard, les instructions données par les utilisateurs de leurs services. Ces derniers décident de transmettre des contenus déterminés et initient activement leur « communication », en fournissant ces contenus aux intermédiaires et en les plaçant, de cette manière, dans un processus entraînant leur transmission à un « public » (46). Ce sont donc, en principe, ces utilisateurs qui, seuls, jouent le « rôle incontournable » envisagé par la Cour et réalisent les actes de « communication au public ». Sans leur intervention, les intermédiaires n’auraient rien à transmettre et le « public » ne pourrait jouir des œuvres en question (47).

75.      En revanche, un prestataire de services dépasse le rôle d’intermédiaire lorsqu’il intervient activement dans la « communication au public » des œuvres (48). Il en est ainsi, d’une part, si ce prestataire sélectionne le contenu transmis, le détermine d’une autre façon, ou encore le présente aux yeux du public d’une manière telle qu’il apparaît être le sien (49). Dans ces situations, ledit prestataire réalise, conjointement avec le tiers ayant initialement fourni le contenu, la « communication » (50). Tel est le cas, d’autre part, si ce même prestataire fait, de son propre chef, une utilisation subséquente de ladite « communication », en retransmettant celle-ci à un « nouveau public » ou selon un « mode technique différent » (51). Dans toutes ces hypothèses, un prestataire de services ne se borne pas à « fournir des installations », au sens du considérant 27 de la directive 2001/29. Il joue, en réalité, un « rôle incontournable » (52) dès lors qu’il décide, volontairement, de communiquer une œuvre donnée à un public (53).

76.      Il ressort des considérations qui précèdent que, contrairement à ce qu’avancent M. Peterson et le gouvernement allemand,  le seul fait que des plateformes telles que YouTube ou Uploaded permettent au public d’accéder à des œuvres protégées n’implique pas que leurs exploitants réalisent la « communication au public » de ces œuvres, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 (54).

77.      En effet, tout d’abord, comme le font valoir Google et le gouvernement finlandais, dans la mesure où les œuvres en question ont été mises en ligne par les utilisateurs de ces plateformes (55), ces derniers jouent un « rôle incontournable » dans leur mise à disposition du public. Ces utilisateurs ont décidé de communiquer ces œuvres au public par l’intermédiaire desdites plateformes, en choisissant l’option appropriée dans l’hypothèse de YouTube, et en partageant les download links correspondants sur Internet dans le cas d’Uploaded (56). Sans leur intervention, les exploitants de ces mêmes plateformes n’auraient rien à transmettre et le public ne pourrait jouir desdites œuvres.

78.      Ensuite, je rappelle que le processus de mise en ligne d’un fichier sur une plateforme telle que YouTube ou Uploaded, une fois initié par l’utilisateur, s’effectue de manière automatique (57), sans que l’exploitant de cette plateforme sélectionne ou détermine d’une autre manière les contenus qui y sont publiés. Je précise qu’un éventuel contrôle préalable réalisé par cet exploitant, le cas échéant de manière automatisée, ne constitue pas, selon moi, une sélection (58) pour autant que ce contrôle se borne à la détection des contenus illégaux et ne reflète donc pas une volonté dudit exploitant de communiquer certains contenus (et pas d’autres) au public (59).

79.      Enfin,  ces mêmes exploitants ne font pas d’utilisation subséquente des « communications au public » initiées par leurs utilisateurs dans la mesure où ils ne retransmettent pas les œuvres concernées à un « public nouveau » ou selon un « mode technique différent » (60). Il n’y a, en principe, qu’une seule « communication », celle décidée par les utilisateurs en question.

80.      Il s’ensuit, selon moi, que des exploitants tels que YouTube et Cyando se bornent, en principe, à fournir des « installations », tel qu’envisagé au considérant 27 de la directive 2001/29, permettant aux utilisateurs de leurs plateformes de réaliser la « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, des œuvres déterminées par ces derniers. À mon sens, aucun des arguments avancés devant la Cour ne remet en cause cette interprétation.

81.      Premièrement, contrairement à M. Peterson, à Elsevier ainsi qu’aux gouvernements allemand et français, j’estime que ni le fait qu’un exploitant tel que YouTube structure la manière dont les vidéos mises en ligne par les utilisateurs sont présentées sur la plateforme, en les intégrant dans une interface de visualisation standard et en les indexant sous différentes rubriques, ni le fait que cet exploitant fournisse une fonction de recherche et procède à un traitement des résultats de recherche, résumés sur la page d’accueil sous la forme d’un classement des vidéos dans diverses catégories, ne sont pertinents (61).

82.      À cet égard, j’observe que cette structure de présentation et ces différentes fonctions tendent à rationaliser l’organisation de la plateforme, à faciliter son utilisation et, ce faisant, à optimiser l’accès aux vidéos hébergées. Or, l’exigence, sous-entendue au considérant 27 de la directive 2001/29, selon laquelle un prestataire de services ne réalise pas d’acte de « communication au public » pour autant qu’il se borne à une « simple » fourniture d’installations ne signifie pas, à mon sens, que ce prestataire ne peut optimiser l’accès aux contenus transmis en organisant son service (62). En effet, rien n’exige que l’« installation » soit, en elle-même, « simple ». À mes yeux, la circonstance qu’une plateforme en ligne présente un certain degré de sophistication, dans le but d’en faciliter l’utilisation, n’importe donc pas. La limite que le prestataire ne peut pas franchir, selon moi, est celle de l’intervention active dans la communication au public des œuvres, tel qu’envisagé au point 75 des présentes conclusions.

83.      Or, une structure de présentation et de telles fonctions ne sont pas, à mes yeux, de nature à démontrer que l’exploitant outrepasse cette limite. Elles ne tendent notamment pas à indiquer qu’il détermine les contenus que les utilisateurs mettent en ligne sur la plateforme. Le fait d’optimiser l’accès aux contenus ne saurait, en particulier, se confondre avec le fait d’optimiser les contenus en eux-mêmes. L’exploitant n’en déterminerait la teneur que dans le second cas (63). En outre, le fait qu’une plateforme telle que YouTube comporte une interface de visualisation standard ne permet pas, selon moi, de conclure que son exploitant présente le contenu aux yeux du public d’une manière telle qu’il apparaît être le sien, pour autant que cette interface indique, pour chaque vidéo, quel utilisateur l’a mise en ligne.

84.      Deuxièmement, la circonstance selon laquelle, sur une plateforme telle que YouTube, les utilisateurs enregistrés se voient présenter un aperçu des « vidéos recommandées » n’est pas non plus déterminante à mon sens. Nul ne conteste le fait que ces recommandations exercent une influence sur les contenus consultés par ces utilisateurs. Néanmoins, dans la mesure où lesdites recommandations sont générées de manière automatique, sur la base des vidéos précédemment visionnées par l’utilisateur en cause, et ont pour seul but de faciliter l’accès de cet utilisateur à des vidéos analogues, elles ne reflètent pas une décision de l’exploitant de communiquer une œuvre donnée à un public. En toute hypothèse, il demeure que cet exploitant ne détermine pas, en amont, quelles œuvres sont disponibles sur sa plateforme.

85.      Troisièmement, contrairement à ce que font valoir M. Peterson et Elsevier, le fait qu’un exploitant tel que YouTube stipule, dans les conditions générales d’utilisation de sa plateforme, que chaque utilisateur lui accorde une licence d’exploitation mondiale, non exclusive et gratuite sur les vidéos qu’il met en ligne ne remet pas en cause l’interprétation que je suggère. En effet, ce type de stipulation (64), autorisant l’exploitant de la plateforme à diffuser les contenus mis en ligne par ses utilisateurs, et par laquelle celui-ci prétend, en outre, acquérir de façon automatique et systématique des droits sur l’ensemble de ces contenus (65), ne démontre pas, en soi, que cet exploitant intervient activement dans la « communication au public » des œuvres, tel qu’envisagé au point 75 des présentes conclusions. En effet, puisque cette stipulation s’applique, précisément, de manière systématique et automatique à n’importe quel contenu mis en ligne, elle ne tend pas à indiquer que ledit exploitant décide des contenus transmis. En revanche, lorsque ce même exploitant réutilise, en application de ladite licence, les contenus mis en ligne par les utilisateurs de la plateforme (66), il réalise, dans cette mesure, des actes de « communication au public ».

86.      Quatrièmement, n’emporte pas non plus ma conviction l’argument de M. Peterson et d’Elsevier selon lequel le modèle économique adopté par des exploitants tels que YouTube ou Cyando démontrerait que ces derniers ne se bornent pas à une « fourniture d’installations », au sens du considérant 27 de la directive 2001/29, mais réalisent la « communication au public » des œuvres mises en ligne par les utilisateurs de leurs plateformes. À cet égard, les requérants au principal font valoir que la rémunération perçue par ces exploitants, générée notamment par la vente d’espaces publicitaires (modèle « YouTube ») ou d’abonnements (modèle « Cyando »), n’est pas la contrepartie d’un service technique – ces derniers ne font, en particulier, pas payer aux utilisateurs pour l’espace de stockage en tant que tel – mais dépend de l’attractivité des contenus mis en ligne sur leurs plateformes. En effet, dans le cas de YouTube, les recettes publicitaires engrangées seraient d’autant plus importantes que la fréquentation de la plateforme est élevée et, dans le cas de Cyando, la perspective de pouvoir effectuer aisément de multiples téléchargements de contenus attractifs pousserait les internautes à souscrire un abonnement.

87.      De manière générale, le but lucratif poursuivi par un prestataire de services est, à mon sens, un élément d’une utilité toute relative pour distinguer les actes de « communication au public » de pareille « fourniture ». D’une part, je rappelle que, après réflexion (67), la Cour a jugé dans l’arrêt Reha Training (68), à juste titre selon moi, que le caractère lucratif n’est pas un critère de la notion de « communication au public », mais peut être pris en compte pour le calcul de l’éventuelle rémunération ou réparation due à l’auteur au titre d’une telle « communication » (69). Ainsi, le caractère lucratif peut, tout au plus, constituer un indice de l’existence de pareille « communication » (70). Or, le but lucratif poursuivi par un prestataire de services est un indice d’autant moins utile pour opérer une telle distinction que, d’autre part, la fourniture d’une « installation » permettant de réaliser une « communication au public » est, en règle générale, faite dans un tel but (71). En particulier, la vaste majorité des intermédiaires en ligne fournissent leurs services contre rémunération.

88.      Plus spécifiquement, le fait que la rémunération perçue par des exploitants tels que YouTube et Cyando dépende de l’attractivité des contenus publiés depuis leurs plateformes par les utilisateurs de celles-ci ne permet pas de conclure que ces exploitants réalisent eux-mêmes la « communication au public » des œuvres susceptibles de s’y trouver. Je rappelle que le critère décisif, selon moi, est de savoir si le prestataire de services intervient activement dans cette « communication », tel qu’expliqué au point 75 des présentes conclusions. Or, cette seule circonstance ne permet pas, à mes yeux, de le démontrer (72).

89.      L’interprétation que je suggère est confirmée, selon moi, par la jurisprudence de la Cour dans le domaine du droit des marques. À cet égard, je rappelle que, dans l’arrêt Google France, la Cour a jugé, en grande chambre, que l’emploi, en tant que mots clés dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, tel le service AdWords fourni par Google, de signes identiques ou similaires à des marques, sans autorisation de leurs titulaires, constitue un usage interdit de ces marques, au sens du droit de l’Union. Néanmoins, cet usage est effectué par l’utilisateur du service de référencement, qui a choisi ces signes comme mots clés, et non pas par le prestataire du service, qui se borne à lui donner les moyens de le faire. Le fait que ce prestataire soit rémunéré par ses clients pour l’usage de pareils signes est sans pertinence. En effet, pour la Cour, « le fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service, ne signifie pas que celui qui rend ce service fasse lui-même un usage dudit signe » (73).

90.      De manière similaire, dans l’arrêt L’Oréal/eBay, la Cour a jugé, de nouveau en grande chambre, que l’emploi, dans des offres à la vente publiées sur une place de marché en ligne, de signes correspondant à des marques, sans autorisation de leurs titulaires, constitue un usage interdit de ces marques. Néanmoins, là encore, cet usage est effectué non pas par l’exploitant de la place de marché, mais par les utilisateurs ayant publié ces offres à la vente. En effet, dans la mesure où cet exploitant se borne à permettre aux utilisateurs de son service de mettre en ligne de telles offres à la vente et, le cas échéant, d’utiliser pareils signes sur cette place de marché, il ne fait pas lui-même usage de ces signes (74).

91.      Or, il est constant que, en particulier, eBay structure la présentation générale des annonces de ses utilisateurs vendeurs, les indexe en différentes rubriques et a mis en place une fonction de recherche. Cet exploitant recommande, de manière automatique, aux utilisateurs acheteurs des offres analogues à celles qu’ils ont précédemment consultées. Par ailleurs, la rémunération des exploitants en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Google France et L’Oréal/eBay dépend de l’attractivité des contenus fournis par les utilisateurs de leurs services. Google, dans le cadre du service AdWords, est rémunéré en fonction du nombre de clics sur les liens promotionnels utilisant les mots clés choisis par les utilisateurs annonceurs (75). eBay perçoit un pourcentage sur les transactions effectuées à partir des offres à la vente postées sur sa place de marché (76). Ces différentes circonstances n’ont, à l’évidence, pas semblé déterminantes, voire pertinentes, aux yeux de la Cour, laquelle ne les a pas même évoquées dans son raisonnement. Je m’interroge donc sur les raisons pour lesquelles elles devraient avoir, dans les présentes affaires, l’importance que suggèrent les requérants au principal (77).

92.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux premières questions que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos et l’exploitant d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers ne réalisent pas un acte de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsqu’un utilisateur de leurs plateformes y met en ligne une œuvre protégée.

93.      En conséquence, ces exploitants ne sauraient être tenus directement responsables, au titre de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsque des tiers mettent des œuvres protégées à la disposition du public, par l’intermédiaire de leurs plateformes, sans autorisation préalable des titulaires de droits – et sans qu’une exception ou limitation soit applicable. Cette conclusion n’exclut pas qu’il puisse en résulter, pour lesdits exploitants, une forme de responsabilité secondaire. Cette question doit toutefois être examinée au regard des règles en matière de responsabilité civile prévues par les États membres, lesquelles doivent respecter les limites imposées aux articles 14 et 15 de la directive 2000/31 (78).

2.      Sur le fait que larticle 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne régit pas la responsabilité secondaire des personnes facilitant la réalisation, par des tiers, d’actes de « communication au public » illicites

94.      À titre liminaire, il convient de rappeler, tout d’abord, que, dans l’arrêt GS Media, la Cour a jugé, dans la lignée de son arrêt Svensson e.a. (79), que le fait de placer, sur un site Internet, des liens hypertextes renvoyant à des œuvres publiées de manière illicite sur un autre site Internet peut constituer une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. En substance, la Cour a considéré que, en plaçant pareils liens, une personne joue un « rôle incontournable » dès lors qu’elle donne au public un « accès direct » aux œuvres concernées. Néanmoins, un tel placement de liens ne constitue une « communication au public » qu’à condition qu’il soit démontré que la personne l’ayant effectué savait ou devait savoir que ces liens donnent accès à des œuvres illégalement publiées, cette connaissance devant être présumée lorsque cette personne poursuit un but lucratif (80).

95.      Ensuite, dans l’arrêt Stichting Brein  I (« Filmspeler »), la Cour a jugé que la vente d’un lecteur multimédia sur lequel ont été préinstallés des modules complémentaires contenant des liens hypertextes renvoyant à des sites Internet diffusant en streaming, de manière illicite, des œuvres protégées constitue une « communication au public ». Dans cette affaire, la Cour a considéré que le vendeur de ce lecteur ne se bornait pas à une « fourniture d’installations » mais jouait, au contraire, un « rôle incontournable » dans la communication des œuvres au motif que, sans les modules complémentaires qu’il avait préinstallés dans ledit lecteur, les acquéreurs de ce même lecteur « ne pourraient que difficilement bénéficier des œuvres protégées », puisque les sites de diffusion en streaming concernés ne sont pas facilement identifiables par le public. En outre, la Cour s’est attachée au fait que le vendeur dudit lecteur avait connaissance du fait que ces modules complémentaires permettaient d’accéder à des œuvres diffusées sur Internet de manière illicite (81).

96.      Enfin, dans l’arrêt Stichting Brein  II (« The Pirate Bay »), la Cour a jugé que constitue une « communication au public » la mise à disposition et la gestion d’une plateforme Internet, qui stocke et référence des fichiers torrents, mis en ligne par ses utilisateurs, permettant à ces derniers de partager et de télécharger des œuvres protégées dans le cadre d’un réseau peer-to-peer. Pour la Cour, les administrateurs de cette plateforme ne se bornaient pas à une « simple fourniture d’installations » mais jouaient un « rôle incontournable » dans la mise à disposition des œuvres aux motifs qu’ils offraient, sur la plateforme, différents moyens, dont une fonction de recherche et un index des fichiers torrents hébergés, facilitant la localisation de ces fichiers. Ainsi, sans leur intervention, « lesdites œuvres ne pourraient pas être partagées par les utilisateurs ou, à tout le moins, leur partage sur Internet s’avérerait plus complexe ». Là encore, la Cour a souligné le fait que les administrateurs de ladite plateforme avaient connaissance du fait que les œuvres partagées par l’intermédiaire de cette même plateforme l’étaient, en général, de manière illicite (82).

97.      En principe, ainsi que je l’ai expliqué au point 56 des présentes conclusions, comme l’indique le considérant 23 de la directive 2001/29 et comme la Cour l’a jugé à maintes reprises (83), une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, correspond à la transmission d’une œuvre à un public. Ce considérant précise, en outre, que cette disposition « ne couvre aucun autre acte ». Si, dans l’hypothèse d’une mise à disposition, il suffit que la personne en cause donne au public accès à l’œuvre, cet accès doit impliquer, comme je l’ai précisé au point 57 de ces conclusions, la possibilité d’une transmission de cette œuvre, intervenant à la demande d’un membre du public.

98.      Néanmoins, aucun des actes en cause dans les trois arrêts examinés dans la présente section ne consiste, à mon sens, en la transmission, actuelle ou potentielle, d’une œuvre à un public. L’arrêt Stichting Brein  II (« The Pirate Bay ») fournit, à cet égard, l’exemple le plus représentatif. Puisque les œuvres partagées sur le réseau peer-to-peer n’étaient pas publiées sur la plateforme litigieuse, ses administrateurs n’étaient pas, matériellement, en mesure de les transmettre au public. En réalité, cette plateforme ne faisait que faciliter les transmissions effectuées par ses utilisateurs sur ce réseau (84). Il en allait de même dans les arrêts GS Media et Stichting Brein I (« Filmspeler »). Le placement des liens hypertextes et la vente du lecteur multimédia litigieux en cause dans ces arrêts facilitaient l’accès aux œuvres illégalement mises à la disposition du public sur les sites Internet en question (85).

99.      En somme, dans ces arrêts, la Cour a, selon moi, fait entrer dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 des actes qui, à proprement parler, ne constituent pas des transmissions, actuelles ou potentielles, d’œuvres, mais qui facilitent la réalisation de telles transmissions illicites par des tiers (86).

100. En outre, la Cour a, dans ces mêmes arrêts, intégré à la notion de « communication au public » un critère tenant à la connaissance de l’illicéité. Or, comme l’ont fait valoir Elsevier et le gouvernement français, en principe, cette notion ne comporte pas un tel critère. Si la Cour juge, de manière constante, que l’existence d’une telle « communication » suppose que la personne concernée intervienne « en pleine connaissance des conséquences de son comportement », « délibérément », « volontairement » ou encore de manière « ciblée » (87), ces différents termes visent selon moi à indiquer, en principe, que, comme je l’ai expliqué au point 72 des présentes conclusions, ladite notion implique une volonté de transmettre une œuvre à un public (88). Cette question se distingue a priori du point de savoir si la personne qui réalise la « communication au public » d’une œuvre sans autorisation de l’auteur a connaissance du fait que pareille « communication » est, en principe, illicite.

101. À cet égard, comme je l’ai expliqué au point 64 des présentes conclusions, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, l’existence d’une « communication au public » est – sous réserve de la nuance indiquée au point précédent – généralement considérée comme un fait objectif. Le caractère licite ou illicite de cette « communication » ne dépend pas non plus, en principe, de la connaissance de la personne qui la réalise, mais essentiellement du point de savoir si l’auteur a autorisé ladite « communication » (89). En revanche, la connaissance de cette personne est prise en compte au stade des sanctions et réparations auxquelles celle-ci peut être condamnée. En particulier, il ressort de l’article 13 de la directive 2004/48 qu’une personne qui a porté atteinte à un droit de propriété intellectuelle en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir a l’obligation de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte. À l’inverse, lorsqu’une personne commet pareille atteinte sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, une condamnation moins lourde, prenant la forme du recouvrement des bénéfices qu’elle a réalisés ou le paiement de dommages-intérêts préétablis, peut être prononcée (90).

102. Cela étant, le fait, pour une personne – en particulier un prestataire intermédiaire – de faciliter sciemment la réalisation par des tiers d’actes de « communications au public » illicites constitue bien évidemment un comportement répréhensible. Néanmoins, il est généralement admis qu’il s’agit là d’une question de responsabilité secondaire, relevant des règles en matière de responsabilité civile prévues par les États membres (91). Cette responsabilité secondaire pour les atteintes au droit d’auteur commises par les tiers implique d’ailleurs, généralement, un élément moral tel que la connaissance de l’illicéité ou l’intention (92).

103. Or, à mon sens, dès lors que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 harmonise le contenu matériel du droit de « communication au public », il détermine les actes relevant de ce droit exclusif et, dans cette mesure, la responsabilité primaire supportée par ceux qui commettent de tels actes de manière illicite. En revanche, aucun élément, dans le libellé de cette disposition ou dans les autres dispositions de cette directive, ne tend à indiquer qu’elle aurait vocation à régler des questions de responsabilité secondaire (93). Cela est d’autant plus remarquable que, lorsque le législateur de l’Union souhaite que ces questions soient couvertes par les actes qu’il adopte, il ne manque pas de le préciser (94).

104. Pour ces motifs, j’éprouve des réserves à l’égard du raisonnement suivi par la Cour dans les arrêts GS Media, Stichting Brein  I (« Filmspeler ») et Stichting Brein II (« The Pirate Bay »). Indépendamment du point de savoir s’il serait souhaitable qu’une solution uniforme pour les agissements des personnes qui facilitent délibérément la réalisation d’actes illicites par des tiers existe au niveau de l’Union, et quand bien même pareille uniformité contribuerait à assurer un niveau élevé de protection du droit d’auteur, il demeure, à mon avis, que, en son état actuel, le droit de l’Union ne le prévoit pas (95). Il reviendrait au législateur de l’Union d’inclure un régime de responsabilité secondaire dans le droit de l’Union.

105. J’insiste sur le fait que le placement d’hyperliens renvoyant à des œuvres illégalement publiées sur un site Internet, effectué en toute connaissance de cette illicéité, la vente d’un lecteur tel que le « Filmspeler » et la gestion d’une plateforme comme « The Pirate Bay » doivent bien entendu être réprimés. Il n’est toutefois pas nécessaire de faire entrer de tels agissements dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 pour aboutir à ce résultat. À mon sens, une réponse à ces agissements peut, et doit, être trouvée dans le droit civil des États membres – voire dans le droit pénal de ces derniers. L’interprétation que je suggère ne laisse donc pas les auteurs démunis à cet égard.

106. Du reste, je rappelle que, dans les arrêts Google France et L’Oréal/eBay, la Cour a fait le choix de ne pas étendre, dans le domaine du droit des marques, le champ de la responsabilité primaire aux agissements des intermédiaires susceptibles de contribuer aux atteintes aux marques commises par les utilisateurs de leurs services. La Cour a renvoyé cette question, à juste titre, aux règles en matière de responsabilité civile prévues par les États membres et aux limites posées par la directive 2000/31 (96). Je m’interroge donc sur la nécessité de s’écarter d’une telle approche dans le domaine du droit d’auteur, la législation de l’Union ayant, dans ces deux domaines, un niveau d’harmonisation analogue et poursuivant le même objectif d’un haut niveau de protection de la propriété intellectuelle.

3.      À titre subsidiaire – sur le point de savoir si des exploitants tels que YouTube et Cyando facilitent délibérément la réalisation d’actes illicites par des tiers

107. Dans l’hypothèse dans laquelle la Cour estimerait opportun d’appliquer, dans les présentes affaires, le cadre d’analyse suivi dans les arrêts GS Media, Stichting Brein I (« Filmspeler ») et Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), malgré les réserves que j’ai exprimées dans la section précédente, je fournis, à titre subsidiaire, un examen des présentes affaires au regard de ce cadre d’analyse.

108. Selon ma compréhension de ces arrêts, l’intervention d’une personne dans la transmission d’une œuvre à un public, autre que celle qui, en ayant décidé de cette transmission, réalise à proprement parler l’acte de « communication au public », doit être assimilée à pareil acte de « communication » si deux critères sont remplis.

109. D’une part, la personne en question doit jouer un « rôle incontournable » dans ladite transmission. Conformément à l’acception qui en a été retenue dans lesdits arrêts, ce « rôle » est caractérisé dès lors que cette personne facilite cette transmission (97). En l’occurrence, ce critère est manifestement rempli s’agissant d’exploitants tels que YouTube et Cyando.

110. D’autre part, l’intervention de ladite personne doit avoir un « caractère délibéré », compris en ce sens qu’elle doit avoir connaissance de l’illicéité de la communication qu’elle facilite. La manière dont ce critère doit être interprété dans les présentes affaires est nettement moins évidente. Tout le problème résulte de l’absence d’un cadre, en droit de l’Union, relatif à cet élément moral. Il m’est donc uniquement possible de spéculer, en m’inspirant des indications ressortant des arrêts GS Media, Stichting Brein I (« Filmspeler ») et Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), de jurisprudences nationales en matière de responsabilité secondaire et de la logique se dégageant des conditions que doivent remplir les prestataires intermédiaires, conformément à l’article 14, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2000/31, pour bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition (98).

111. À cet égard,  il me semble possible de considérer, sans trop de difficulté, comme le fait valoir la juridiction de renvoi, et comme le soutient la Commission, qu’un exploitant tel que YouTube ou Cyando intervient « délibérément » dans la « communication au public » illicite d’une œuvre donnée, réalisée par le truchement de sa plateforme, lorsqu’il avait connaissance ou conscience de l’existence du fichier contenant l’œuvre en question – en particulier si celui-ci lui avait été notifié – et que cet exploitant n’a pas agi promptement, dès le moment où il avait acquis une telle connaissance ou conscience, pour retirer ce fichier ou en rendre l’accès impossible (99). En effet, dans une telle hypothèse, il peut raisonnablement être considéré que, en omettant d’agir alors qu’il avait le pouvoir de le faire, l’exploitant approuve cette « communication » illicite ou fait preuve d’une négligence manifeste à son égard. Les points de savoir dans quelles circonstances un exploitant acquiert pareille connaissance ou conscience et si, le cas échéant, il a agi « promptement » devraient, selon moi, être déterminés au regard des mêmes principes que ceux appliqués dans le cadre des conditions prévues à l’article 14, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2000/31 (100).

112. En revanche, à l’instar de la Commission, et contrairement à M. Peterson, à Elsevier ainsi qu’aux gouvernements allemand et français, j’estime que la connaissance de l’illicéité ne saurait être présumée au motif que l’exploitant en cause poursuit un but lucratif.

113. Certes, dans l’arrêt GS Media, la Cour a jugé que, lorsque la personne qui place sur un site Internet des liens hypertextes renvoyant à des œuvres protégées, publiées sans autorisation de leur auteur sur un autre site Internet, le fait dans un but lucratif, il y a lieu de présumer (de manière réfragable) qu’elle a connaissance du caractère protégé de ces œuvres et de cette absence d’autorisation (101). Toutefois, outre que la Cour me semble, dans sa jurisprudence subséquente, avoir limité cette solution à la question des hyperliens (102), j’estime que pareille présomption ne saurait, en toute hypothèse, être appliquée en l’occurrence.

114. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt GS Media, l’exploitant du site Internet en cause avait lui-même placé les liens litigieux. Il avait donc connaissance des contenus auxquels ceux-ci renvoyaient. Comme le fait valoir Cyando, cette circonstance constituait une base pour une présomption de fait. Sur cette base, la Cour pouvait attendre de cet exploitant qu’il réalise, préalablement à ce placement, les « vérifications nécessaires » pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’œuvres protégées, illégalement publiées sur le site auquel renvoyaient ces liens (103).

115. En revanche, je rappelle que l’exploitant d’une plateforme, en principe, n’est pas celui qui met le contenu en ligne. Appliquer, dans ce contexte, la solution dégagée dans l’arrêt GS Media reviendrait à dire que cet exploitant, dès lors qu’il poursuit de manière générale un but lucratif, serait présumé non seulement avoir connaissance de tous les fichiers se trouvant sur ses serveurs, mais encore connaître leur éventuel caractère illicite, à charge pour lui de renverser cette présomption en démontrant qu’il a fait les « vérifications nécessaires ». Or, une telle solution équivaudrait, à mon sens, à imposer à pareil exploitant l’obligation générale de surveiller les informations qu’il stocke et de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, en contradiction avec l’interdiction posée, à cet égard, à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (104).

116. Il reste encore à examiner le point de savoir si, comme le soutiennent M. Peterson, Elsevier et le gouvernement français, des exploitants tels que YouTube et Cyando pourraient être tenus responsables dès lors qu’ils avaient connaissance, de manière générale et abstraite, du fait que leurs plateformes sont (notamment) utilisées par des tiers pour partager en ligne, de manière illicite, des œuvres protégées.

117. Cette question est éminemment complexe. Bon nombre de produits ou services sont susceptibles, à l’instar des plateformes YouTube et Uploaded, d’être utilisés à des fins licites, voire socialement souhaitables, ainsi qu’à des fins illicites. À mon sens, on ne saurait tenir le fournisseur d’un tel produit ou service responsable des utilisations illicites qu’en font les tiers au seul motif qu’il a connaissance ou soupçonne pareilles utilisations. Un standard de responsabilité aussi bas serait de nature à dissuader la fabrication et la commercialisation de pareils produits ou services, au détriment de leurs utilisations licites – et, par extension, de freiner le développement de produits ou services similaires ou innovants (105).

118. Le seul fait qu’un fournisseur tire des profits de ces utilisations illicites ne saurait non plus être déterminant. À cet égard, M. Peterson, Elsevier et le gouvernement français ont mis en exergue que YouTube se finance notamment au moyen de publicités placées sur la plateforme, que les recettes publicitaires qu’elle engrange seraient d’autant plus importantes que des contenus attrayants y seraient publiés, et qu’il serait « communément admis » que, dans « la grande majorité des cas », il s’agit d’œuvres protégées mises en ligne sans autorisation de leurs auteurs. Outre que cette logique me semble quelque peu simpliste s’agissant d’une plateforme telle que YouTube (106), j’observe que les recettes générées par des publicités placées de manière indifférenciée sur cette plateforme dépendent de sa fréquentation générale – et, partant, sont fonction tant de ses utilisations licites que de ses utilisations illicites. Or, n’importe quel fournisseur d’un produit ou service susceptible de ces deux types d’utilisation tirera fatalement une partie de ses profits des utilisateurs qui l’achètent ou s’en servent à des fins illégales. D’autres circonstances doivent donc être démontrées.

119. Il convient, à cet égard, de ne pas perdre de vue la finalité d’un régime de responsabilité secondaire. Ainsi qu’il ressort du point 117 des présentes conclusions, selon moi, un tel régime doit tendre à dissuader les comportements facilitant les atteintes au droit d’auteur, sans pour autant dissuader l’innovation ou entraver le potentiel d’utilisation licite des produits ou des services qui peuvent également être utilisés à des fins illicites.

120. Dans ce cadre, comme le fait valoir le gouvernement finlandais, la responsabilité d’un prestataire de services peut, à mes yeux, être engagée, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que ce dernier avait connaissance ou conscience d’atteintes concrètes au droit d’auteur, lorsqu’il est démontré que ce prestataire avait l’intention, en fournissant son service, de faciliter la réalisation de pareilles atteintes par des tiers. Les arrêts Stichting Brein I (« Filmspeler ») et Stichting Brein II (« The Pirate Bay ») doivent, selon moi, être compris en ce sens. Dans le premier arrêt, la Cour a souligné que le vendeur du « Filmspeler » avait une connaissance générale du fait que ce lecteur pouvait être utilisé à des fins illicites (107). Dans le second arrêt, la Cour a relevé que les administrateurs de la plateforme « The Pirate Bay » savaient, de manière générale, que celle-ci facilite l’accès à des œuvres partagées sans autorisation préalable de leurs auteurs et que, en tout état de cause, ils ne pouvaient l’ignorer, eu égard à la circonstance qu’une très grande partie des fichiers torrents figurant sur cette plateforme renvoyaient à de telles œuvres (108). Or, dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, ces personnes exprimaient ouvertement leur intention de  faciliter, par leur lecteur ou leur plateforme, la réalisation d’actes de « communication au public » illicites par des tiers   (109).

121. En l’occurrence, ni YouTube ni Cyando ne promeuvent ouvertement les utilisations illicites de leurs plateformes. M. Peterson et Elsevier font néanmoins valoir que ces exploitants devraient être tenus responsables eu égard à la manière dont ils ont organisé leurs services. Sur ce point, les requérants au principal se prévalent, je le rappelle, de plusieurs logiques : premièrement, lesdits exploitants auraient fait preuve d’un aveuglement volontaire à l’égard des utilisations illicites de leurs plateformes (en permettant à leurs utilisateurs d’y publier des contenus de manière automatisée et sans contrôle préalable), deuxièmement, ils les inciteraient à faire de telles utilisations illicites et, troisièmement, ils auraient été négligents à l’égard de ces utilisations (dès lors qu’ils ont manqué à des obligations de diligence en ne procédant pas, là encore, au contrôle préalable des contenus mis en ligne) (110).

122. Certaines précisions s’imposent d’emblée. Selon moi, un exploitant ne saurait être tenu responsable, au titre d’un aveuglement volontaire ou d’une négligence fautive, au seul motif qu’il permet aux utilisateurs de sa plateforme d’y publier de manière automatisée des contenus et qu’il ne les contrôle pas de manière générale avant leur mise en ligne. D’une part, il ne saurait être raisonnablement soutenu, comme le fait pourtant Elsevier, que, en organisant sa plateforme de la sorte, cet exploitant vise simplement à échapper à toute responsabilité (111). D’autre part, l’article 15 de la directive 2000/31 empêche qu’il puisse être attendu d’un tel prestataire qu’il surveille, de manière générale et abstraite, les informations qu’il stocke et qu’il recherche activement des activités illicites sur ses serveurs. On ne saurait donc considérer comme un aveuglement volontaire ou une négligence le fait qu’il ne procède pas à une telle surveillance généralisée (112). Par ailleurs, et de manière plus générale, la seule négligence d’un prestataire ne devrait, par définition, pas suffire, sous réserve de la situation envisagée au point 111 des présentes conclusions, à démonter qu’il intervient « délibérément » pour faciliter les atteintes du droit d’auteur commises par les utilisateurs de son service.

123. Cela étant, à mon sens, la manière dont un prestataire organise son service peut, effectivement, dans certaines circonstances, démontrer le « caractère délibéré » de son intervention dans les actes de « communication au public » illicites commis par les utilisateurs de ce service, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, tel qu’interprété par la Cour dans les arrêts GS Media, Stichting Brein I (« Filmspeler ») et Stichting Brein II (« The Pirate Bay »). Tel est le cas lorsque les caractéristiques de ce même service révèlent la mauvaise foi du prestataire en question, pouvant se traduire par une volonté d’incitation ou un aveuglement volontaire, à l’égard de telles atteintes au droit d’auteur (113).

124. À cet égard, il convient, selon moi, de vérifier, d’une part, si les caractéristiques du service en question ont une explication objective et offrent une valeur ajoutée pour les utilisations licites de ce service et, d’autre part, si le prestataire a pris des mesures raisonnables pour prévenir les utilisations illicites dudit service (114). Sur ce dernier point, il ne saurait, à nouveau, être attendu du prestataire qu’il contrôle, de manière générale, l’intégralité des fichiers que les utilisateurs de son service entendent publier, préalablement à leur mise en ligne – article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 oblige. Le second volet du test devrait, à mon sens, plutôt constituer une défense pour les prestataires de services. À ce titre, le fait, pour le prestataire, de remplir généralement de manière diligente l’obligation de retrait découlant de l’article 14, paragraphe 1, sous b), de cette directive ou les éventuelles obligations qui, le cas échéant, lui auraient été imposées par le truchement d’une injonction judiciaire, ou encore le fait que ce prestataire a volontairement mis en œuvre d’autres mesures, tendra à démontrer sa bonne foi.

125. En l’occurrence, il reviendrait au juge national d’appliquer ce test à des exploitants tels que YouTube et Cyando. Néanmoins, il me semble utile de lui donner certaines indications à cet égard.

126. En premier lieu, il me semble difficile de considérer, eu égard aux caractéristiques d’une plateforme telle que YouTube, que son exploitant entend faciliter les utilisations illicites de cette plateforme. En particulier, le fait que les fonctions de recherche et d’indexation de ladite plateforme facilitent, le cas échéant, l’accès à des contenus illégaux ne saurait constituer un indice à cet égard. Ces fonctions ont une explication objective et offrent une valeur ajoutée pour les utilisations licites de ladite plateforme. Si, dans l’arrêt  Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), la Cour a présenté le fait que les administrateurs de la plateforme litigieuse avaient mis en place un moteur de recherche et indexaient les fichiers hébergés comme un indice du « caractère délibéré » de leur intervention dans le partage illicite d’œuvres protégées (115), cette appréciation ne saurait être détachée du contexte particulier de cette affaire, marquée par l’intention affichée de ces administrateurs de faciliter les violations du droit d’auteur.

127. Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir Elsevier, j’estime que le fait qu’un exploitant de plateforme tel que YouTube permette à certains utilisateurs d’insérer des publicités dans leurs vidéos et leur verse une partie des recettes générées (116) ne suffit pas à démontrer, de sa part, une volonté d’inciter ces derniers à mettre en ligne des œuvres protégées sans autorisation de leurs auteurs. Au contraire, il est constant que, s’agissant de YouTube, l’insertion de ces publicités se fait par le biais de Content ID, visant à assurer que cette possibilité ne bénéficie qu’aux titulaires de droits, puisqu’il détecterait automatiquement la mise en ligne de vidéos contenant des œuvres protégées effectuée par des tiers et, le cas échant, permettrait auxdits titulaires de placer eux-mêmes des publicités dans la vidéo en question et d’en percevoir les recettes publicitaires (117).

128. Cela m’amène au fait que, en outre, YouTube a mis en place des outils, en particulier ce logiciel, afin de lutter contre les violations du droit d’auteur sur sa plateforme (118). Cette circonstance participe à démontrer, comme je l’ai indiqué au point 124 des présentes conclusions, la bonne foi de l’exploitant à l’égard des utilisations illicites de sa plateforme (119).

129. En second lieu, je crains, en revanche, que les choses soient moins claires s’agissant d’Uploaded. À cet égard, d’une part, contrairement à Elsevier, je ne considère pas le fait qu’un exploitant permette aux utilisateurs de sa plateforme d’y mettre en ligne des fichiers « de manière anonyme » démontre une intention de sa part de faciliter la contrefaçon. Je précise qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour que la mise en ligne d’un fichier sur Uploaded nécessite de créer un compte en renseignant nom, prénom et une adresse email. Elsevier critique donc le fait que Cyando ne contrôle pas l’exactitude des renseignements fournis par l’utilisateur au moyen d’un système de vérification d’identité ou d’authentification. Or, si la possibilité pour tout un chacun d’utiliser Internet et les services en ligne sans un contrôle d’identité peut effectivement être détournée par des individus mal intentionnés pour des activités répréhensibles, j’estime que cette possibilité est néanmoins protégée par des normes aussi fondamentales que le droit à la vie privée, la liberté d’expression et de conscience ou encore la protection des données, notamment en droit de l’Union (120) et en droit international (121). Des systèmes de vérification d’identité ou d’authentification ne peuvent ainsi être mis en œuvre, selon moi, que pour des services spécifiques, dans des conditions prévues par la loi.

130. Le seul fait qu’un Sharehoster tel qu’Uploaded génère des liens de téléchargement pour les fichiers hébergés et permette aux utilisateurs de les partager librement ne démontre pas non plus, à mon sens, une intention de faciliter les atteintes au droit d’auteur. Ces liens ont une explication objective et offrent une valeur ajoutée pour les utilisations licites du service. Même la proportion d’utilisations illicites d’Uploaded – dont les parties au principal offrent des estimations pour le moins contrastées (122) – ne permet pas, selon moi, à elle seule, de démontrer pareille intention de la part de son exploitant, a fortiori si ce dernier a pris des mesures raisonnables pour lutter contre lesdites utilisations.

131. Je m’interroge néanmoins, d’autre part, sur un programme de « partenariat » tel que celui mis en place par Cyando. Je rappelle que, dans le cadre de ce programme, Cyando verse une rémunération à certains utilisateurs en fonction du nombre de téléchargements des fichiers qu’ils ont mis en ligne (123). J’éprouve des doutes en ce qui concerne l’explication objective et la valeur ajoutée d’un tel programme pour les utilisations licites du service. En revanche, il a été établi devant les juridictions nationales que ce programme a pour effet d’inciter les utilisateurs à mettre en ligne des œuvres populaires aux fins de leur téléchargement illicite. Je n’exclus donc pas que le « caractère délibéré » de l’intervention du prestataire dans les actes illicites commis par ses utilisateurs puisse être déduit de la mise en place de ce programme (124). Il appartiendrait, le cas échéant, au juge national de le vérifier.

B.      Sur le champ d’application de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (deuxièmes questions)

132. Ainsi que je l’ai indiqué, la section 4 de la directive 2000/31 contient plusieurs dispositions relatives à la responsabilité des prestataires intermédiaires. Au sein de cette section, les articles 12, 13 et 14 de cette directive prévoient chacun, à leur paragraphe 1, une « sphère de sécurité » (safe harbour), respectivement pour les activités de « simple transport », de « caching » et d’« hébergement » (125).

133. L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’applique, plus précisément, en cas de « fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service ». Cette disposition prévoit, en substance, que le prestataire d’un tel service ne peut être tenu responsable pour des informations qu’il stocke à la demande de ses utilisateurs, à moins que ce prestataire, après avoir pris connaissance ou conscience du caractère illicite de ces informations, ne les ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles.

134. Je souligne que cette disposition n’a pas pour objet de déterminer, de manière affirmative, la responsabilité de pareil prestataire. Elle se borne à limiter, de manière négative, les situations dans lesquelles sa responsabilité peut être engagée. En outre, l’exonération prévue à ladite disposition concerne uniquement la responsabilité susceptible de résulter des informations fournies par les utilisateurs de son service. Elle ne couvre aucun autre aspect de l’activité de ce prestataire (126).

135. Par ses deuxièmes questions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) souhaite, en substance, savoir si des exploitants tels que YouTube et Cyando peuvent bénéficier de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 pour les fichiers qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes.

136. À mon sens, tel est en général le cas. J’estime néanmoins nécessaire, avant d’expliquer ma position, de clarifier un point, tenant à la relation entre cette disposition et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

137. En effet, j’observe que la juridiction de renvoi a formulé ses deuxièmes questions uniquement dans l’hypothèse où la Cour répondrait – comme je lui suggère de le faire – par la négative aux premières questions, en ce sens que des exploitants tels que YouTube et Cyando ne réalisent pas la « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, des œuvres mises en ligne, le cas échéant de manière illicite, par les utilisateurs de leurs plateformes. Elle semble donc partir de la prémisse selon laquelle, dans l’hypothèse, inverse, où ces exploitants seraient directement responsables au titre dudit article 3, paragraphe 1, de ces « communications » illicites, ils ne sauraient, par principe, se prévaloir de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (127).

138. Néanmoins, l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’applique, de manière horizontale, à toute forme de responsabilité pouvant résulter, pour les prestataires visés, de n’importe quel type d’informations qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs services, quels que soient la source de cette responsabilité, le domaine du droit concerné et la qualification ou la nature exactes de ladite responsabilité. Cette disposition couvre donc, à mon avis, la responsabilité tant primaire que secondaire pour les informations fournies et les activités initiées par ces utilisateurs (128).

139. Partant, selon moi, si l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 est, par principe, inapplicable lorsqu’un prestataire communique au public son « propre » contenu, cette disposition est, en revanche, susceptible de s’appliquer lorsque le contenu communiqué a été fourni, comme c’est le cas en l’occurrence, par les utilisateurs de son service (129). Cette interprétation est, à mes yeux, étayée par le fait que ni cette disposition ni l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne prévoient d’exception pour les prestataires qui réalisent la « communication au public » d’œuvres fournies par les utilisateurs de leurs services. Au contraire, le considérant 16 de cette dernière directive souligne qu’elle s’applique « sans préjudice des dispositions relatives à la responsabilité de [la directive 2000/31] ».

140. Il s’ensuit que, dans l’hypothèse dans laquelle la Cour répondrait, contrairement à ce que je lui suggère, de manière affirmative aux premières questions, elle devrait tout de même, afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, répondre aux deuxièmes questions. Néanmoins, les critères caractérisant une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et les conditions d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 peuvent être interprétés de manière cohérente, comme je le démontrerai, de telle sorte que, en pratique, les chevauchements entre ces deux dispositions soient évités.

141. Cela étant clarifié, il ressort de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 que le champ d’application de cette disposition dépend de deux conditions cumulatives : d’une part, il doit y avoir fourniture d’un « service de la société de l’information » ; d’autre part, ce service doit « [consister] à stocker des informations fournies par un destinataire du service [...] à la demande » de ce dernier.

142. L’interprétation de la première condition ne soulève pas de difficulté dans les présentes affaires. À cet égard, je rappelle que la notion de « service de la société de l’information » vise « tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services » (130). Or, les services fournis par des exploitants tels que YouTube et Cyando sont manifestement prestés « à distance », « par voie électronique », et « à la demande individuelle d’un destinataire de services » (131). En outre, ces services sont fournis « contre rémunération ». Le fait qu’un exploitant tel que YouTube se rémunère notamment par la publicité et qu’il ne demande pas de paiement direct aux utilisateurs de sa plateforme (132) ne remet pas en cause cette interprétation (133).

143. En ce qui concerne la seconde condition, les choses sont moins évidentes à première vue. D’une part, il semble clair qu’un exploitant tel que Cyando preste, dans le cadre d’Uploaded, un service « consistant à stocker » sur ses serveurs des fichiers, c’est-à-dire des « informations » (134) qui sont « fournies par un destinataire de service », à savoir l’utilisateur qui procède à leur mise en ligne, et ce « à la demande » de ce dernier, puisqu’il décide des fichiers en question.

144. Néanmoins, d’autre part, s’il est constant qu’un exploitant tel que YouTube stocke les vidéos mises en ligne par les utilisateurs de sa plateforme, il ne s’agit que de l’un des nombreux aspects de son activité. Il importe donc de déterminer si cette circonstance empêche cet exploitant de bénéficier de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31.

145. À mon sens, tel n’est pas le cas. En effet, si cette disposition exige que le service fourni par le prestataire « [consiste] à stocker des informations fournies par un destinataire du service », elle n’impose pas que ce stockage en soit l’unique objet, ou même l’objet principal. Cette condition est, au contraire, formulée de manière large.

146. Il s’ensuit, selon moi, que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 peut, en principe, couvrir tout prestataire d’un « service de la société de l’information » qui réalise, à l’instar de YouTube ou de Cyando, dans le cadre de ce service, le stockage d’informations fournies par ses utilisateurs, à la demande de ces derniers (135). Néanmoins, je le répète, l’exonération prévue à cette disposition est, en toute hypothèse, limitée à la responsabilité susceptible de résulter de ces informations et ne s’étend pas aux autres aspects de l’activité du prestataire en question.

147. La jurisprudence de la Cour rendue jusqu’à présent suit cette approche. À cet égard, dans l’arrêt Google France, la Cour a jugé que le prestataire d’un service de référence sur Internet, tel que Google s’agissant du service AdWords, est susceptible de bénéficier de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. En effet, la Cour a considéré que ce service « [consiste] à stocker des informations fournies par un destinataire du service », au sens de cette disposition, dès lors que, dans le cadre dudit service, ce prestataire stocke certaines informations, telles que les mots clés sélectionnés par les utilisateurs annonceurs, les liens promotionnels et messages commerciaux accompagnant ceux-ci, ainsi que les adresses des sites de ces annonceurs (136). À l’évidence, la Cour n’a pas considéré problématique le fait que le stockage desdites informations s’intègre dans le cadre d’une activité plus large.

148. La Cour a néanmoins posé un tempérament. Selon elle, un prestataire de services peut bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 pour des informations qu’il stocke à la demande de ses utilisateurs uniquement si son comportement se limite à celui d’un « prestataire intermédiaire » au sens voulu par le législateur de l’Union dans le cadre de la section 4 de cette directive. À la lumière du considérant 42 de ladite directive, la Cour a jugé qu’il convient, à cet égard, d’examiner « si le rôle exercé par ledit prestataire est neutre, en ce que son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des informations qu’il stocke », ou si, au contraire, il joue « un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées » (137).

149. De manière similaire, dans l’arrêt L’Oréal/eBay, la Cour a jugé qu’un exploitant de place de marché en ligne, tel qu’eBay, est susceptible de bénéficier de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. Là encore, la Cour a relevé, d’une part, que le service fourni par cet exploitant consiste notamment à stocker des informations fournies par les utilisateurs de la place de marché. Il s’agit, en particulier, des données de leurs offres de vente. D’autre part, elle a rappelé qu’un prestataire de services ne peut bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition pour de telles informations que s’il agit comme un « prestataire intermédiaire ». Tel n’est pas le cas lorsque ce prestataire, « au lieu de se limiter à une fourniture neutre de [son service] au moyen d’un traitement purement technique et automatique des données fournies par ses clients, joue un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle de ces données » (138).

150. Il ressort de ces arrêts que des exploitants tels que YouTube et Cyando, qui réalisent, dans le cadre de leur activité, le stockage d’informations fournies par les utilisateurs de leurs plateformes, peuvent bénéficier, s’agissant de la responsabilité susceptible de résulter du caractère illicite de certaines de ces informations, de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, pour autant qu’ils n’aient pas joué un « rôle actif » de nature à leur conférer « une connaissance ou un contrôle » des informations en question.

151. À cet égard, je précise que, comme le souligne la Commission, tout prestataire de services stockant des informations fournies par ses utilisateurs a nécessairement un certain contrôle sur celles-ci. Il a, en particulier, la capacité technique de les supprimer ou d’en rendre l’accès impossible. C’est précisément pour cela qu’il est attendu de lui, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2000/31, qu’il agisse de la sorte lorsque des informations illicites sont portées à sa connaissance (139). Cette capacité de contrôle ne saurait, en soi, démontrer qu’un prestataire de services joue un « rôle actif » – sauf à priver ledit article 14, paragraphe 1, de tout effet utile (140).

152. En réalité, le « rôle actif » envisagé par la Cour se rapporte, à bon droit, au contenu même des informations fournies par les utilisateurs. Je comprends la jurisprudence de la Cour en ce sens que le prestataire joue pareil « rôle actif » de nature à lui conférer « une connaissance ou un contrôle » des informations qu’il stocke à la demande des utilisateurs de son service lorsqu’il ne se borne pas à un traitement de ces informations qui soit neutre en ce qui concerne leur contenu, mais que, de par la nature de son activité, il est réputé acquérir la maîtrise intellectuelle de ce contenu. Tel est le cas si le prestataire sélectionne les informations stockées (141), s’il s’implique activement dans leur contenu d’une autre façon ou encore s’il présente ces informations aux yeux du public d’une manière telle qu’elles apparaissent être les siennes. Dans de telles hypothèses, le prestataire sort du rôle d’intermédiaire des informations fournies par les utilisateurs de son service : il se les approprie (142).

153. Or, selon moi, des exploitants tels que YouTube et Cyando ne jouent pas, en principe, un tel « rôle actif » s’agissant des informations qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes.

154. En effet, premièrement, je rappelle que la mise en ligne de fichiers sur pareilles plateformes se fait de manière automatique, sans visualisation ou sélection préalable par leurs exploitants. Comme le font valoir, en substance, le gouvernement finlandais et la Commission, ces exploitants n’acquièrent donc pas la maîtrise de ces informations au moment de leur mise en ligne.

155. Deuxièmement, contrairement à ce qu’avance  Elsevier, le fait que les informations stockées puissent être consultées ou téléchargées directement depuis ces mêmes plateformes n’est pas de nature à indiquer un « rôle actif » de la part de leurs exploitants. À cet égard, il n’importe pas qu’un prestataire maîtrise l’accès aux informations qu’il stocke à la demande des utilisateurs de son service. À titre d’exemple, afin d’accéder aux annonces mises en ligne par le biais de AdWords, il est nécessaire d’utiliser le moteur de recherche de Google (143). De même, l’accès aux offres de vente mises en ligne sur eBay nécessite de se rendre sur sa place de marché (144). La Cour n’a pas considéré cette circonstance comme pertinente dans les arrêts Google France, et L’Oréal/eBay, et ce à juste titre. En effet, seul compte le point de savoir si le prestataire maîtrise le contenu des informations stockées. La circonstance que ces dernières soient accessibles depuis la plateforme ou le site Internet du prestataire n’est pas de nature à l’indiquer, puisque leur consultation ou leur téléchargement à la demande individuelle d’un utilisateur est réalisé au moyen de procédés « purement techniques et automatiques ».

156. Troisièmement, malgré ce que laisse entendre Elsevier, je ne suis pas convaincu qu’un exploitant tel que YouTube ou Cyando présente, aux yeux des tiers, les informations qu’il stocke à la demande de ses utilisateurs et auxquelles il donne accès depuis sa plateforme d’une manière telle qu’elles apparaissent être les siennes. D’une part, tel n’est pas le cas dans la mesure où un exploitant comme YouTube indique, pour chaque vidéo publiée sur sa plateforme, quel utilisateur l’a mise en ligne. D’autre part, un internaute moyen, raisonnablement avisé, sait que les fichiers stockés via une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers comme Uploaded ne proviennent pas, en règle générale, de son exploitant.

157. Quatrièmement, j’estime que ni le fait qu’un exploitant tel que YouTube (145) structure la manière dont les vidéos fournies par les utilisateurs sont présentées sur la plateforme, en les intégrant dans une interface de visualisation standard et en les indexant sous différentes rubriques, ni le fait que cette plateforme intègre une fonction de recherche et que l’exploitant effectue un traitement des résultats de recherche, résumés sur la page d’accueil sous la forme d’un classement des vidéos en diverses catégories, ne sont de nature à démontrer que cet exploitant joue un « rôle actif » à l’égard de ces vidéos.

158. D’une part, le fait qu’un prestataire structure la manière dont les informations fournies par les utilisateurs de son service sont présentées sur sa plateforme ou son site Internet, afin de faciliter son utilisation et, partant, d’optimiser l’accès à ces informations, n’est pas pertinent à mon sens. L’argument contraire avancé notamment par M. Peterson et le gouvernement français reflète, selon moi, une mauvaise compréhension de l’arrêt L’Oréal/eBay. Si la Cour a jugé, dans cet arrêt, qu’un prestataire tel qu’eBay joue un « rôle actif » lorsqu’il prête à certains vendeurs, s’agissant d’offres à la vente données, une assistance consistant à « optimiser la présentation [de ces offres] » (146), elle visait par là le fait qu’eBay fournit parfois une assistance individuelle sur la manière d’optimiser, de mettre en valeur et de structurer le contenu d’offres concrètes (147). En effet, en fournissant pareille assistance, eBay s’implique activement dans le contenu des offres en question, tel qu’envisagé au point 152 des présentes conclusions (148).

159. La Cour ne visait en revanche pas le fait qu’eBay structure la présentation générale des offres de ventes mises en ligne sur sa place de marché (149). Le fait, pour un prestataire, d’avoir la maîtrise des conditions de présentation des informations qu’il stocke à la demande des utilisateurs de son service ne démontre pas qu’il maîtrise le contenu de ces informations. À mon sens, seule une assistance individuelle concernant une information concrète est pertinente à cet égard. En somme, pour autant qu’un exploitant tel que YouTube n’assiste pas les utilisateurs de sa plateforme, individuellement, sur la manière d’optimiser leurs vidéos (150), il ne joue pas un « rôle actif » s’agissant des vidéos hébergées.

160. Concernant, d’autre part, les fonctions de recherche et d’indexation, outre que celles-ci sont indispensables pour permettre aux utilisateurs de la plateforme de retrouver les informations qu’ils souhaitent consulter, je rappelle que ces fonctions sont réalisées de manière automatisée. Elles procèdent donc de « traitements purement techniques et automatiques » des informations stockées à la demande des utilisateurs, tel qu’envisagé par la Cour dans sa jurisprudence (151). La circonstance que le prestataire a développé les outils et, en particulier, l’algorithme permettant ces traitements et qu’il maîtrise, de ce fait, notamment les conditions d’affichage des résultats de recherche, ne démontre pas qu’il maîtrise le contenu des informations recherchées (152).

161. Cinquièmement, contrairement à ce que soutiennent M. Peterson et le gouvernement français, le fait qu’un exploitant tel que YouTube fournisse aux utilisateurs enregistrés sur sa plateforme un aperçu des « vidéos recommandées » n’est pas non plus de nature à démontrer un « rôle actif » dudit exploitant. Ici, encore, cet argument reflète une mauvaise compréhension de l’arrêt L’Oréal/eBay. En jugeant, dans cet arrêt, qu’un prestataire tel qu’eBay joue un tel « rôle actif » lorsqu’il prête à certains vendeurs, s’agissant d’offres de vente données, une assistance consistant « à promouvoir ces offres » (153), la Cour visait la circonstance qu’eBay fait parfois elle-même la promotion de certaines offres à l’extérieur de sa place de marché, sur Internet, par l’intermédiaire notamment du service de référencement AdWords (154). eBay acquiert la maîtrise intellectuelle de ces offres, puisqu’elle s’en sert pour faire de la publicité pour sa place de marché et, ainsi, se les approprie.

162. En revanche, le fait pour un exploitant tel que YouTube de recommander aux utilisateurs de sa plateforme, de manière automatisée, des vidéos analogues à celles qu’ils ont précédemment visionnées ne me semble pas déterminant. Il est constant qu’eBay recommande également aux utilisateurs de sa place de marché, de la même manière, des offres analogues à celles qu’ils ont consultées par le passé. Pour autant, la Cour n’a pas, selon moi, tenu compte de cette circonstance dans l’arrêt L’Oréal/eBay (155). Il s’agit a priori, là encore, d’un « traitement purement technique et automatique » des informations stockées. À nouveau, la circonstance que le prestataire a développé les outils et, en particulier, l’algorithme permettant ce traitement et qu’il maîtrise, de ce fait, les conditions d’affichage des informations recommandées ne démontre pas qu’il maîtrise le contenu de ces dernières (156).

163. Sixièmement, contrairement à ce que font valoir M. Peterson et Elsevier, le modèle économique adopté par des exploitants tels que YouTube et Cyando n’est pas de nature à démontrer que ces derniers ont un « rôle actif » sur les informations qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes.

164. À cet égard, le fait, pour un prestataire, d’être rémunéré en contrepartie de son service est l’une des conditions caractérisant un « service de la société de l’information ». Il s’agit donc, par extension, d’un prérequis pour relever de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. Par ailleurs, le fait que cette rémunération consiste notamment en des recettes publicitaires, qui dépendent non pas de l’espace de stockage fourni, mais de l’attractivité des informations stockées à la demande des utilisateurs de la plateforme n’est pas, à mon sens, pertinent (157). Sur ce point, je rappelle que le législateur de l’Union souhaitait inclure dans le champ d’application de cette directive les prestataires de services qui se financent notamment par la publicité (158). En outre, rien, dans le libellé de l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive, ne tend à indiquer qu’un tel prestataire devrait être exclu du bénéfice de cette disposition au motif qu’il se rémunère de cette manière.

165. Du reste, je rappelle que la Cour a jugé, dans les arrêts Google France et L’Oréal/eBay, que la seule circonstance qu’un service soit payant et que le prestataire en fixe les modalités de rémunération n’est pas de nature à démontrer un « rôle actif » de sa part (159). Or, la rémunération de Google, dans le cadre du service AdWords, dépend de l’attractivité des informations stockées, puisque, notamment, cette rémunération varie en fonction du nombre de clics sur les liens promotionnels utilisant les mots clés choisis par les utilisateurs annonceurs (160). De manière similaire, la rémunération d’eBay dépend également des informations stockées, puisqu’eBay perçoit un pourcentage sur les transactions effectuées à partir des offres à la vente (161). La Cour a donc, dans ces arrêts, implicitement, mais nécessairement, reconnu que pareille circonstance est dénuée de pertinence (162).

166. Septièmement, un prestataire ne saurait être considéré comme jouant un « rôle actif » à l’égard des informations qu’il stocke au seul motif qu’il effectue proactivement certains contrôles, tels que ceux réalisés par YouTube par le biais de Content ID, afin de détecter la présence d’informations illicites sur ses serveurs. En effet, ainsi que le souligne le gouvernement finlandais, il ressort du considérant 40 de la directive 2000/31 que les dispositions de cette directive relative à la responsabilité des prestataires intermédiaires « ne doivent pas faire obstacle au développement et à la mise en œuvre effective [...] d’instruments techniques de surveillance rendus possibles par les techniques numériques ». Du reste, il convient, selon moi, d’éviter de retenir une interprétation de la notion de « rôle actif » qui soit de nature à entraîner le résultat paradoxal selon lequel un prestataire de services effectuant certaines recherches de son propre chef dans les informations qu’il stocke afin de lutter notamment contre les violations du droit d’auteur, dans l’intérêt des titulaires de droits, perdrait le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive et serait, ainsi, traité plus sévèrement qu’un prestataire n’en faisant pas (163).

167. Enfin, je rappelle que, par analogie, dans les arrêts SABAM (164) et Glawischnig-Piesczek (165), la Cour a relevé qu’« il est constant » que des exploitants de plateformes de réseau social peuvent se prévaloir de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 pour les informations qu’ils stockent à la demande de leurs utilisateurs. Si, comme l’a fait remarquer le gouvernement français lors de l’audience, l’expression « il est constant » souligne que la Cour s’est fondée, dans ces arrêts, sur une prémisse non disputée par les parties ou les juridictions de renvoi, j’observe néanmoins que la Cour ne manque pas, dans le cadre des décisions préjudicielles, de remettre en cause les prémisses concernant l’interprétation du droit de l’Union qui lui semblent douteuses (166). Or, elle ne l’a pas fait en l’occurrence (167).

168. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux deuxièmes questions que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos, tel que YouTube, et l’exploitant d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, tel que Cyando, peuvent, en principe, bénéficier de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 pour toute responsabilité susceptible de résulter des fichiers qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes (168).

C.      Sur la condition d’exonération, tenant à l’absence de connaissance ou de conscience d’une information illicite, prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 (troisièmes questions)

169. Comme je l’ai expliqué dans le cadre de mon analyse des deuxièmes questions préjudicielles, des exploitants tels que YouTube ou Cyando peuvent, en principe, se prévaloir de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. Conformément à cette disposition, un prestataire ne peut pas être tenu responsable des informations qu’il stocke à la demande des utilisateurs de son service pour autant que, (a) il n’ait pas « effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites » et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, qu’il n’ait pas « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicites est apparente » (169), ou que, (b) après avoir acquis de telles connaissances, il ait « promptement agi pour retirer les données en cause ou rendre l’accès à celles-ci impossible ».

170. Par ses troisièmes questions, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de la condition visée audit article 14, paragraphe 1, sous a). Elle cherche, en substance, à savoir si cette condition se réfère à des informations illicites concrètes.

171. La réponse à cette question a des implications importantes pour toutes les situations dans lesquelles la responsabilité d’un prestataire de services est recherchée pour des informations illicites qu’il stocke. En substance, elle revient à savoir si, afin de faire perdre au prestataire concerné le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, le requérant doit établir que ce prestataire avait « connaissance » ou « conscience » de ces informations en particulier, ou bien s’il lui suffit de démontrer que ledit prestataire avait une « connaissance » ou une « conscience » générale et abstraite du fait qu’il stocke des informations illicites et que ses services sont utilisés pour des activités illicites.

172. À mon sens, les hypothèses visées à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 se réfèrent effectivement à des informations illicites concrètes.

173. Comme le souligne la juridiction de renvoi, et comme l’ont fait valoir Google ainsi que les gouvernements allemand et français, cette interprétation ressort du libellé même de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, laquelle utilise un article défini (« l’activité ou [...] l’information illicites » et « l’activité ou l’information illicite ») (souligné par mes soins) (170). Si le législateur de l’Union avait souhaité se référer à une connaissance ou conscience générale du fait que des informations illicites se trouvent sur les serveurs du prestataire ou que ses services sont utilisés pour des activités illicites, il aurait choisi un article indéfini (« une activité ou une information illicites » ou « d’activités ou d’informations illicites »). Je relève encore que l’article 14, paragraphe 1, sous b), de ladite directive utilise également un article défini (« retirer les informations ou l’accès à celles-ci impossible ») (souligné par mes soins).

174. Cette interprétation s’impose également au regard du contexte général dans lequel s’inscrit l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 et de l’objectif que poursuit cette disposition.

175. À cet égard, je rappelle que le législateur de l’Union entendait, en instaurant les exonérations de responsabilité prévues à la section 4 de la directive 2000/31, permettre aux prestataires intermédiaires de fournir leurs services sans encourir un risque disproportionné de responsabilité pour les informations qu’ils traitent à la demande de leurs utilisateurs. En particulier, l’article 14, paragraphe 1, de cette directive vise à éviter que ces prestataires ne soient généralement tenus responsables en raison de l’illicéité des informations qu’ils stockent, dont le nombre est souvent considérable et dont ils n’ont, de ce fait, en principe, pas la maîtrise intellectuelle. Ledit législateur entendait instaurer, à cet égard, un équilibre entre les différents intérêts en jeu. D’une part, lesdits prestataires ne sauraient, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive, se voir imposer l’obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou l’obligation générale de rechercher activement les faits ou des circonstances révélant des activités illicites. D’autre part, les mêmes prestataires doivent, dès qu’ils prennent effectivement connaissance ou conscience d’une information illicite, agir promptement pour retirer cette information ou rendre l’accès à celle-ci impossible, dans le respect du principe de la liberté d’expression et de procédures établies à cet effet au niveau national (171).

176. L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 a donc vocation à constituer une base pour le développement, au niveau des États membres, de procédures dites de « notification et retrait » (notice and take down) (172) et les conditions prévues à ses points a) et b) reflètent, partant, la logique de ces procédures : lorsqu’une information illicite concrète est portée à l’attention d’un prestataire de services (173), il doit promptement la supprimer.

177. M. Peterson et Elsevier répliquent néanmoins que des plateformes telles que YouTube et Uploaded donnent lieu à un nombre important d’utilisations illicites, utilisations qui sont régulièrement notifiées à leurs exploitants. Dès lors, les requérants au principal font, à nouveau, valoir que ces exploitants devraient supporter des obligations de diligence impliquant de prévenir et de rechercher activement les infractions commises sur leurs plateformes. En conséquence, ils ne pourraient se prévaloir de leur ignorance des informations illicites concrètes qui s’y trouvent. À cet égard, leur « connaissance » ou leur « conscience » devrait être présumée.

178. À mon sens, l’interprétation ainsi suggérée par les titulaires de droits n’est tout simplement pas conciliable avec le droit de l’Union, en son état actuel.

179. Une telle argumentation n’est d’emblée pas compatible avec la première incise de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, relative à la « connaissance effective ». Afin de démontrer pareille « connaissance effective », il faut s’attacher non pas à ce que le prestataire aurait su s’il avait été diligent, mais à ce qu’il savait réellement (174).

180. Davantage d’explications s’imposent s’agissant de l’hypothèse de la « conscience » visée à la seconde incise de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31. La Cour a apporté différentes précisions à ce sujet dans l’arrêt L’Oréal/eBay. Je rappelle que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la responsabilité d’eBay était recherchée pour certaines offres de vente, mises en ligne sur sa place de marché, qui étaient susceptibles de porter atteinte à des marques de L’Oréal. Dans ce contexte, la Cour a précisé que, afin de déterminer si l’exploitant d’une place de marché a « conscience » de pareilles offres, au sens de cette disposition, il y a lieu de vérifier si celui-ci a « connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un  opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité en cause et agir conformément [à l’article 14, paragraphe 1, sous b), de cette directive] ». Cela peut être le cas dans « toute situation dans laquelle le prestataire concerné prend connaissance,  d’une façon ou d’une autre, de tels faits ou circonstances » et, en particulier, lorsqu’il « découvre l’existence d’une activité ou d’une information illicites à la suite d’un examen effectué de sa propre initiative » ou encore si « l’existence d’une telle activité ou d’une telle information lui est notifiée » (175).

181. Il ressort de cet arrêt que certaines obligations de diligence s’imposent effectivement à un prestataire de services au titre de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. À ce titre, un tel prestataire peut parfois perdre le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition au motif qu’il aurait dû savoir qu’une information donnée était illicite et que, malgré cela, il ne l’a pas supprimée.

182. Néanmoins, ces obligations de diligence sont nettement plus ciblées que le suggèrent les requérants au principal. On ne saurait, selon moi, déduire dudit arrêt qu’un prestataire de services, afin de se comporter en « opérateur économique diligent », devrait, dès lors qu’il a une connaissance abstraite du fait que des informations illicites se trouvent sur ses serveurs, rechercher activement, de manière générale, de telles informations illicites et serait, en conséquence, présumé avoir « conscience » de chacune d’elles.

183. À cet égard, il est évident que, compte tenu du nombre d’offres de vente publiées quotidiennement sur une place de marché telle qu’eBay, l’exploitant de celle-ci sait qu’un certain nombre d’entre elles sont susceptibles de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle. Pour autant, la Cour n’a pas jugé, dans l’arrêt L’Oréal/eBay, qu’un tel exploitant est réputé avoir « conscience » de n’importe laquelle de ces offres contrefaisantes. Elle a, au contraire, estimé qu’il y a lieu de vérifier si des faits ou des circonstances concernant les offres à la vente en cause ont été portés à la connaissance de ce prestataire. Selon la Cour, il convient notamment de vérifier si ledit prestataire a reçu une notification suffisamment précise et étayée concernant ces offres (176).

184. Il en ressort que l’hypothèse visée à la seconde incise de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, dans laquelle un prestataire de services a « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicites est apparente », se réfère au cas où le prestataire a (effectivement) connaissance d’éléments objectifs, se rapportant à une information concrète présente sur ses serveurs, qui devraient lui suffire, pour peu qu’il fasse preuve de la diligence requise, pour se rendre compte de l’illicéité de cette information et la supprimer, conformément à l’article 14,audit paragraphe 1, sous b), de cette directive.

185. En somme, un prestataire de services a l’obligation de traiter de manière diligente les faits et circonstances portées à sa connaissance, en particulier dans le cadre de notifications, concernant des informations illicites concrètes. Cela ne saurait se confondre avec une obligation de rechercher activement, de manière générale, de tels faits et circonstances. Une telle interprétation renverserait la logique de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 et serait incompatible avec l’article 15 de cette directive (177).

186. En outre, il convient de ne pas perdre de vue que la logique de « notification et retrait » sous-tendant ledit article 14, paragraphe 1, vise, ainsi que je l’ai indiqué, à instaurer un équilibre entre les différents intérêts en jeu et, en particulier, à sauvegarder la liberté d’expression des utilisateurs.

187. Dans ce cadre, la logique de notifications ne vise pas seulement à permettre à un prestataire de services de découvrir l’existence et la localisation d’une information illicite présente sur ses serveurs. Une notification vise également à lui donner suffisamment d’éléments pour s’assurer du caractère illicite de cette information. En effet, conformément à ce même article 14, paragraphe 1, un prestataire doit retirer pareille information uniquement lorsque son caractère illicite est « apparent », c’est-à-dire manifeste (178). Cette exigence vise, selon moi, à éviter qu’un prestataire doive trancher lui-même des questions juridiques complexes et que, ce faisant, il se transforme en arbitre de la légalité en ligne.

188. Or, si le caractère illicite de certaines informations s’impose d’emblée (179), tel n’est, en règle générale, pas le cas en matière de droit d’auteur. L’appréciation du caractère contrefaisant d’un fichier réclame plusieurs éléments de contexte et peut nécessiter une analyse juridique poussée. Par exemple, déterminer si une vidéo mise en ligne sur une plateforme telle que YouTube viole un droit d’auteur implique, en principe, de vérifier, premièrement, si cette vidéo contient une œuvre, deuxièmement, si le tiers qui s’en plaint est titulaire de droits sur cette œuvre, troisièmement, si l’utilisation ainsi faite de l’œuvre enfreint ses droits, ce dernier point nécessitant d’évaluer, d’abord, si l’utilisation a été faite avec son autorisation, et, ensuite, si une exception est applicable. L’analyse est, en outre, compliquée par le fait que les éventuels droits et licences sur l’œuvre sont susceptibles de varier d’un État membre à l’autre, de même que ces exceptions, en fonction du droit applicable(180).

189. Si un prestataire de services devait rechercher activement les informations contrefaisantes présentes sur ses serveurs, sans l’assistance des titulaires de droits, cela le contraindrait à apprécier lui-même, de manière générale et sans les éléments de contexte nécessaires, ce qui relève de la contrefaçon. Si certaines situations laissent peu de place au doute (181), nombre d’autres sont équivoques. Par exemple, déterminer qui détient des droits sur une œuvre est rarement chose aisée (182). En outre, lorsqu’un extrait d’une œuvre protégée est inclus dans une vidéo postée par un tiers, certaines exceptions, telles que l’utilisation aux fins de citation ou de parodie (183), pourraient s’appliquer. Le risque est que, dans toutes ces situations équivoques, le prestataire penche en faveur du retrait systématique des informations présentes sur ses serveurs, afin d’éviter tout risque de responsabilité à l’égard des titulaires de droits. En effet, il lui semblera souvent plus simple de retirer une information plutôt que de devoir lui-même plaider, dans le cadre d’une éventuelle action en responsabilité, par exemple, l’application de pareille exception. Un tel « sur-retrait » poserait un problème évident en matière de liberté d’expression (184).

190. Pour ces raisons, comme le fait valoir la juridiction de renvoi, le caractère contrefaisant d’une information ne peut être considéré comme « apparent », au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, que lorsque le prestataire concerné a reçu une notification lui donnant des éléments qui permettraient à un « opérateur économique diligent » placé dans sa situation de constater ce caractère aisément et sans examen juridique et matériel approfondi. Concrètement, cette notification doit identifier l’œuvre protégée, décrire l’atteinte reprochée et fournir des indices suffisamment clairs quant aux droits que la victime allègue avoir sur l’œuvre. J’ajouterai que, lorsque l’application d’une exception n’est pas d’emblée exclue, la notification doit contenir des explications raisonnables sur les raisons pour lesquelles elle devrait l’être. Seule une telle interprétation est, à mon sens, de nature à éviter le risque que les prestataires intermédiaires se transforment en arbitres de la légalité en ligne et le risque de « sur-retrait » évoqués aux points précédents (185).

191. Cela étant clarifié, deux précisions finales doivent encore être apportées. En premier lieu, il existe, selon moi, un cas dans lequel un prestataire de services ne saurait se cacher derrière le fait qu’il n’avait pas effectivement « connaissance » ou « conscience » des informations illicites concrètes pour lesquelles sa responsabilité est recherchée, et dans lequel une connaissance générale et abstraite du fait qu’il stocke des informations illicites et que ses services sont utilisés pour des activités illicites devrait suffire. Il s’agit de celui dans lequel ce prestataire facilite délibérément la réalisation d’actes illicites par les utilisateurs de son service. Lorsque des éléments objectifs démontrent la mauvaise foi dudit prestataire (186), ce dernier perd, à mon sens, le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (187).

192. En second lieu, M. Peterson et Elsevier font valoir que, lorsqu’un prestataire de services a reçu une notification suffisamment précise et étayée concernant une information illicite, l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive 2000/31 exigerait de ce prestataire non seulement qu’il retire l’information ou rende celle-ci inaccessible, mais encore qu’il prenne les mesures nécessaires pour « bloquer » cette information, c’est-à-dire empêcher qu’elle soit à nouveau mise en ligne. En d’autres termes, dans l’hypothèse où un prestataire recevrait pareille notification, il serait réputé avoir « conscience » non seulement de l’information se trouvant actuellement sur ses serveurs, mais également de toutes les éventuelles futures mises en ligne de la même information, sans qu’une nouvelle notification soit requise pour chacune d’elles.

193. À cet égard, les titulaires de droits font régulièrement valoir que les informations ayant fait l’objet d’une notification et ayant été retirées par un prestataire de services sont souvent remises en ligne peu de temps après. En conséquence, ils seraient contraints de surveiller continuellement tous les sites Internet susceptibles d’héberger leurs œuvres et de multiplier les notifications. La solution suggérée par ces titulaires afin de pallier le problème serait d’interpréter l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 en ce sens qu’il sous-tend un système non seulement de « notification et retrait » (notice and take down), mais encore de « notification et blocage » (notice and stay down).

194. À mon sens, intégrer à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 une obligation de stay down modifierait significativement la portée de cette disposition. Retirer une information implique, pour le prestataire de services, de réagir (diligemment) à une notification. Bloquer une information nécessite, en revanche, de mettre en place une technologie de filtrage des informations qu’il stocke. Dans ce cadre, il s’agit d’empêcher non seulement la remise en ligne d’un fichier informatique donné, mais encore de tout fichier ayant un contenu équivalent. Indépendamment du fait que certains prestataires, dont, semble-t-il, YouTube, disposent de technologies permettant un tel stay down et qu’ils les mettent volontairement en œuvre, il me semble délicat d’intégrer, par la voie d’une interprétation « dynamique », une telle obligation à cette disposition et de la faire ainsi peser sur n’importe quel prestataire de services, y compris ceux ne disposant pas des ressources nécessaires pour mettre en œuvre pareille technologie (188).

195. En revanche, j’estime qu’une obligation de stay down peut, dans des conditions que je préciserai dans le cadre de mon analyse des quatrièmes questions, être imposée à certains prestataires de services, en fonction notamment de leurs capacités, dans le cadre d’une injonction judiciaire, conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.

196. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux troisièmes questions que l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que les hypothèses y visées, à savoir celle dans laquelle un prestataire de services a « effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites » et celle dans laquelle un tel prestataire a « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicites est apparente », se réfèrent, en principe, à des informations illicites concrètes.

D.      Sur les conditions pour demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 (quatrièmes questions)

197. Dans l’hypothèse où la Cour jugerait que des exploitants de plateformes tels que YouTube et Cyando peuvent se prévaloir de l’article 14 de la directive 2000/31, ces derniers seraient exonérés de toute responsabilité susceptible de résulter des fichiers qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes, pour autant qu’ils remplissent les conditions prévues au paragraphe 1 de cet article.

198. Néanmoins, comme le précise son paragraphe 3, ledit article « n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation ». En d’autres termes, ce même article n’empêche pas un prestataire de services d’être le destinataire, notamment, d’une injonction judiciaire, et ce même lorsqu’il remplit ces conditions (189).

199. À cet égard, l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 oblige les États membres à veiller à ce que « les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin » (190).

200. Par ses quatrièmes questions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) demande à la Cour de préciser les conditions que doivent remplir les titulaires de droits afin de pouvoir demander pareille injonction, conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.

201. Cette juridiction s’interroge, plus spécifiquement, sur la compatibilité de sa jurisprudence avec le droit de l’Union. Selon cette jurisprudence, ledit article 8, paragraphe 3, est mis en œuvre, en droit allemand, par le truchement de la « responsabilité du perturbateur » (Störerhaftung), une forme de responsabilité indirecte établie de longue date. Cette institution prévoit que, en cas d’atteinte à un droit absolu, tel un droit de propriété intellectuelle, celui qui, sans être auteur ou complice de cette atteinte, y contribue d’une manière quelconque, délibérément, et avec un lien de causalité adéquat, peut être poursuivi en tant que « perturbateur » (Störer). Il peut suffire, dans ce cadre, que la personne en question soutienne ou exploite le comportement du tiers auteur de cette même atteinte, agissant de sa propre autorité, si cette personne avait juridiquement et matériellement la possibilité de prévenir l’atteinte commise (191).

202. Comme l’explique la juridiction de renvoi, afin de ne pas étendre la « responsabilité du perturbateur » outre mesure aux personnes qui ne sont ni auteur ni complice d’infractions, cette responsabilité présuppose la violation d’obligations de comportement. L’étendue de ces obligations dépend du point de savoir si l’on peut raisonnablement attendre du « perturbateur », eu égard aux circonstances, et le cas échéant dans quelle mesure, qu’il contrôle ou surveille les tiers afin de prévenir pareilles infractions. Cela doit être déterminé, dans chaque cas, en tenant compte de la fonction et des missions du « perturbateur », ainsi que de la responsabilité personnelle des auteurs de ces infractions.

203. Dans ce contexte, un prestataire intermédiaire qui stocke des informations fournies par les utilisateurs de son service peut être poursuivi comme « perturbateur » et faire l’objet d’une injonction en cessation sur ce fondement si, d’une part, il a reçu une notification suffisamment précise et étayée concernant une information illicite concrète, et, d’autre part, il y a eu « récidive » au motif que ce prestataire n’a soit pas agi promptement pour retirer l’information en cause ou rendre l’accès à celle-ci impossible, soit pas pris les mesures nécessaires pour empêcher que cette information ne soit à nouveau mise en ligne (192). En conséquence, les titulaires de droits ne peuvent pas demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dès le moment où une atteinte à leurs droits a été commise par un utilisateur de ses services.

204. En substance, il y a lieu de déterminer si l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 s’oppose à ce que la possibilité pour les titulaires de droits de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire soit conditionnée par l’exigence d’une telle récidive.

205. La juridiction de renvoi considère que tel n’est pas le cas. Google, Cyando ainsi que les gouvernements allemand et finlandais sont du même avis. Pour ma part, je tends à considérer, à l’instar de M. Peterson, d’Elsevier, du gouvernement français et de la Commission, que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 s’oppose effectivement à cette exigence.

206. Tout d’abord, je rappelle que ledit article 8, paragraphe 3, reconnaît aux titulaires de droits le droit de demander une injonction à l’encontre des « intermédiaires », « dont les services sont utilisés par un tiers », pour « porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». Conformément à la jurisprudence de la Cour, constitue un « intermédiaire », au sens de cette disposition, tout prestataire fournissant un service susceptible d’être employé par d’autres personnes pour porter atteinte à pareil droit de propriété intellectuelle (193). Tel est indiscutablement le cas de YouTube et de Cyando. Leurs services sont « utilisés par un tiers » pour « porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin » à chaque fois qu’un de leurs utilisateurs publie en ligne, depuis leurs plateformes, de manière illicite, une œuvre protégée.

207. Ensuite, si le considérant 59 de la directive 2001/29 indique que les conditions et modalités concernant une telle injonction relèvent, en principe, du droit interne des États membres, il s’ensuit simplement que ces derniers disposent d’une marge d’appréciation à cet égard. Ces conditions et procédures doivent, en toute hypothèse, être aménagées de manière à ce que l’objectif poursuivi à l’article 8, paragraphe 3, de cette directive soit réalisé (194). Cette marge d’appréciation ne saurait donc permettre à ces États de modifier l’étendue et, partant, la substance du droit que cette disposition reconnaît aux titulaires de droits.

208. Dans ce contexte, j’observe que la possibilité pour les titulaires de droits d’obtenir une injonction à l’encontre d’un prestataire intermédiaire, conformément aux conditions de la « responsabilité du perturbateur », dépend du comportement de ce dernier. Ainsi que je l’ai indiqué, une injonction délivrée sur le fondement de cette institution est une injonction en cessation. Elle implique que ce prestataire a violé certaines obligations de comportement (195) et permet d’en obtenir l’exécution forcée en justice.

209. Or, l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 procède d’une logique différente. Contrairement aux injonctions à l’encontre des contrevenants, envisagées au paragraphe 2 de cet article, les injonctions à l’encontre des intermédiaires prévues au paragraphe 3 du même article ne tendent pas (seulement) à faire cesser certains comportements répréhensibles de leur part. Mêmes des intermédiaires « innocents », en ce sens qu’ils remplissent généralement toutes les obligations que la loi leur impose, sont visés par cette disposition. Elle permet aux titulaires de droits d’exiger d’eux qu’ils s’impliquent davantage dans la lutte contre les atteintes au droit d’auteur commises par les utilisateurs de leurs services, au motif qu’ils sont généralement les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. Dans cette optique, ladite disposition permet d’imposer à ces mêmes intermédiaires de nouvelles obligations par voie d’injonctions judiciaires. Il s’agit, en somme, d’une forme de coopération forcée (196).

210. Cette différence de logique pourrait ne pas être problématique en soi. Ainsi que je l’ai indiqué, seul compte le résultat obtenu par les États membres, pas les modalités selon lesquelles ils mettent en œuvre l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29. Dans l’absolu, tout ce qui compte à cet égard, c’est la possibilité pour les titulaires de droits d’obtenir une injonction enjoignant aux intermédiaires de suivre un certain comportement protecteur de leurs intérêts. Peu importe que, sur le plan théorique, cette injonction soit présentée comme sanctionnant des obligations de comportement préexistantes ou comme en imposant de nouvelles.

211. Cependant, subordonner la délivrance de pareille injonction à la violation, par l’intermédiaire, d’obligations de comportement préexistantes a pour conséquence de retarder et, en cela, de limiter le droit que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 reconnaît aux titulaires de droits (197). En pratique, comme le fait valoir M. Peterson, ces derniers ne peuvent demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire que lorsqu’une première information illicite a été commise et a été dûment notifiée à ce dernier (notification donnant naissance à des obligations de comportement), et que, en outre, l’infraction a été répétée (ce qui caractérise le manquement de l’intermédiaire à ces obligations).

212. Or, à mon sens, un titulaire de droits doit pouvoir demander pareille injonction dès lors qu’il est établi que des tiers portent atteintes à ses droits par le truchement du service de l’intermédiaire, sans devoir attendre qu’il y ait eu récidive, et sans avoir à démontrer un comportement fautif de ce dernier (198). Je précise que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 ne s’oppose pas, selon moi, aux règles de la « responsabilité du perturbateur » en tant que telles. Il s’oppose plutôt au fait que les titulaires de droits ne disposent pas d’un autre  fondement juridique, en droit allemand, leur permettant de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dans ces conditions.

213. Cette interprétation n’est pas remise en cause, à mes yeux, par l’argument, avancé par la juridiction de renvoi et réitéré par Google, Cyando et le gouvernement finlandais, selon lequel permettre aux titulaires de droits de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire, conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, avant même qu’il y ait récidive, reviendrait à imposer à ce dernier une obligation générale de surveillance et de recherche active, contraire à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31. Selon eux, admettre une telle possibilité reviendrait à dire que l’intermédiaire aurait dû, avant même de recevoir une notification suffisamment précise et étayée, retirer l’information en cause et bloquer sa remise en ligne, ce qui impliquerait qu’il surveille ses serveurs et recherche activement, de manière générale, les informations illicites susceptibles de s’y trouver.

214. Or, une telle conséquence ne découle pas de l’interprétation que je suggère. Le fait, pour les titulaires de droits, de pouvoir demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dans un cas donné ne signifie pas que ce dernier était nécessairement tenu d’agir d’une certaine manière avant la délivrance de cette injonction. Je le répète, les injonctions envisagées à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 ont en principe vocation non pas à sanctionner un manquement des intermédiaires à des obligations de diligence préexistantes, mais à leur imposer de nouvelles obligations, valables pour l’avenir.

215. Enfin, j’ai bien conscience du fait que la condition de la « responsabilité du perturbateur » tenant à la violation, par l’intermédiaire, d’obligations de comportement a pour objectif, ainsi que la juridiction de renvoi l’a indiqué, de limiter le cercle des personnes susceptibles de devoir supporter une injonction. Toutefois, l’interprétation que je suggère ne revient pas à dire que les titulaires de droits devraient pouvoir demander n’importe quelle injonction à l’encontre de n’importe quel prestataire intermédiaire. Les juridictions nationales doivent, selon moi, appliquer le principe de proportionnalité pour déterminer l’étendue des obligations qui peuvent raisonnablement être imposées à un prestataire donné, compte tenu notamment de sa situation s’agissant des atteintes au droit d’auteur en cause. Dans certains cas, un prestataire pourrait être trop éloigné de ces atteintes pour qu’il soit proportionné de requérir sa coopération. Quoi qu’il en soit, cette question ne se pose pas en l’occurrence. En effet, des exploitants tels que YouTube et Cyando sont proches des atteintes commises par les utilisateurs de leurs plateformes puisqu’ils stockent sur leurs serveurs les fichiers correspondants.

216. Les parties au principal ont également soulevé, devant la Cour, la question de l’étendue des injonctions pouvant être délivrées à l’encontre des intermédiaires – les titulaires de droits estimant que la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) ne va, à cet égard, pas assez loin, là où les exploitants de plateformes considèrent, à l’inverse, que cette jurisprudence va au-delà de ce que permet le droit de l’Union. Dès lors que cette question n’a pas été posée à la Cour par cette juridiction, mais qu’elle est intimement liée aux problèmes généralement soulevés dans les présentes affaires, je formulerai quelques brèves observations à son sujet.

217. La Cour a déjà clarifié qu’une injonction délivrée conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 peut enjoindre à un intermédiaire de prendre des mesures qui contribuent non seulement à mettre fin aux atteintes au droit d’auteur commises par les utilisateurs de son service, mais également à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature (199). Les mesures qui peuvent lui être imposées dans le cadre d’une telle injonction doivent être effectives, proportionnées et dissuasives, assurer un juste équilibre entre les différents droits et intérêts en jeu, et ne doivent pas créer d’obstacles aux utilisations licites du service (200).

218. Par ailleurs, ces mesures doivent respecter les limites posées à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (201). En l’occurrence, il s’agit notamment de savoir si une injonction peut imposer à un exploitant de détecter et de bloquer la mise en ligne illicite d’œuvres protégées sur sa plateforme, et dans quelle mesure. Ainsi que je l’ai indiqué (202), cela nécessitera généralement, pour le prestataire, d’utiliser une technologie de filtrage des informations qu’il stocke. Il s’agit donc de savoir si pareille injonction doit nécessairement être considérée comme impliquant des obligations générales de surveillance et de recherche active, interdites à cette disposition.

219. Sur ce point, j’observe que, d’une, part, dans l’arrêt SABAM (203), la Cour a jugé que l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’oppose à ce que l’exploitant d’une plateforme de réseau social soit contraint de mettre en place un système de filtrage des informations stockées à la demande des utilisateurs de son service, qui s’applique indistinctement à l’égard de l’ensemble de ces utilisateurs, à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation dans le temps, capable d’identifier des fichiers contenant des œuvres sur lesquelles le demandeur détient des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer la mise à disposition du public desdites œuvres. La Cour s’est également attachée au fait qu’une telle mesure impliquerait, pour cet exploitant, de surveiller la totalité ou la plus grande partie des informations qu’il stocke, viserait toute atteinte future et supposerait de devoir protéger non seulement des œuvres existantes, mais également les œuvres qui n’ont pas encore été créées au moment de la mise en place dudit système.

220. D’autre part, la Cour a jugé, dans l’arrêt Glawischnig-Piesczek (204), qui concerne cette fois le domaine des atteintes à l’honneur des personnes, qu’une injonction peut imposer à un prestataire intermédiaire de détecter et de bloquer une information précise, dont le contenu a été analysé et apprécié par une juridiction qui, à l’issue de son appréciation, l’a déclarée illicite. Une juridiction peut ainsi exiger du prestataire qu’il bloque l’accès aux informations identiques à celle-ci, quel que soit l’utilisateur ayant demandé leur stockage. Une injonction peut même s’étendre aux informations équivalentes, pour autant qu’elles comportent des éléments spécifiques dûment identifiés dans l’injonction et que le prestataire ne soit pas obligé de procéder à une appréciation autonome de leur caractère diffamatoire mais que, au contraire, il puisse recourir à des techniques et à des moyens de recherche automatisés. Pour la Cour, une telle injonction entraîne uniquement des obligations spécifiques de surveillance et de recherche active, conformes à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (205).

221. Il ressort de ces arrêts que, selon la Cour, l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 ne s’oppose pas à toute obligation de détection et de blocage. Si cette disposition interdit de contraindre un prestataire, par la voie d’une injonction, à un filtrage généralisé des informations qu’il stocke à la recherche de n’importe quelle contrefaçon (206), elle ne s’opposerait pas, a priori, à ce que ce prestataire soit contraint de procéder à un blocage concernant un fichier précis, faisant une utilisation d’une œuvre protégée, jugé illicite par une juridiction. Selon ma compréhension de la jurisprudence de la Cour, ladite disposition ne s’opposerait pas, dans ce cadre, à ce que le prestataire soit tenu de détecter et bloquer non seulement les copies identiques de ce fichier, mais également d’autres fichiers équivalents, c’est-à-dire, à mon sens, ceux faisant une même utilisation de l’œuvre en question. Dans cette mesure, la même disposition ne s’opposerait donc pas à ce qu’une obligation de stay down soit imposée à un prestataire intermédiaire.

222. Néanmoins, je rappelle que les mesures prises à l’encontre d’un prestataire intermédiaire dans le cadre d’une injonction doivent être proportionnées. À ce titre, il importe de tenir compte des ressources de ce prestataire. En particulier, si bloquer une copie identique d’un fichier jugé contrefaisant semble relativement aisé (207), il est nettement plus complexe de détecter d’autres fichiers faisant une même utilisation de l’œuvre en question (208). Si YouTube prétend pouvoir le faire (209), tout prestataire ne dispose pas de la technologie nécessaire ou de ressources pour s’en doter (210). Je rappelle également que les mesures imposées par la voie d’une injonction doivent assurer un juste équilibre entre les différents droits et intérêts en jeu et ne doivent pas créer d’obstacles aux utilisations licites du service. En particulier, une obligation de blocage ne saurait, à mon sens, avoir pour objet ou pour effet d’empêcher les utilisateurs d’une plateforme d’y mettre en ligne des contenus légaux et, notamment, de faire une utilisation licite de l’œuvre concernée (211). Il reviendrait aux juridictions nationales de déterminer ce qui peut raisonnablement être attendu du prestataire en cause.

223. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux quatrièmes questions en ce sens que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 s’oppose à ce que les titulaires de droits puissent demander une ordonnance sur requête à l’encontre d’un prestataire dont le service, consistant à stocker des informations fournies par un utilisateur, est utilisé par des tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, uniquement lorsque, après qu’une infraction claire a été signalée, il y a récidive.

E.      À titre subsidiaire – sur la notion de « contrevenant » au sens de l’article 13 de la directive 2004/48 (cinquièmes et sixièmes questions)

224. Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a formulé ses cinquièmes et sixièmes questions uniquement dans l’hypothèse où la Cour répondrait de manière négative tant aux premières qu’aux deuxièmes questions. La juridiction de renvoi vise donc l’hypothèse selon laquelle, d’une part, l’activité d’exploitants tels que YouTube et Cyando ne relèverait pas de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et, d’autre part, ces exploitants ne pourraient bénéficier de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 pour la responsabilité susceptible de résulter des informations qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes (212).

225. Par ses cinquièmes questions, cette juridiction demande si, dans cette hypothèse, lesdits exploitants devraient être considérés comme des « contrevenants », au sens notamment de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48, au motif qu’ils ont joué un « rôle actif » s’agissant des fichiers contenant des œuvres protégées mis en ligne, de manière illicite, par les utilisateurs de leurs plateformes.

226. Dans l’affirmative, ladite juridiction s’interroge, par ses sixièmes questions, sur la compatibilité avec ledit article 13, paragraphe 1, des règles en matière de complicité prévues à l’article 830 du BGB. Cette dernière disposition, qui prévoit une forme de responsabilité secondaire, permet à la victime d’une infraction – contrairement à la « responsabilité du perturbateur » – d’obtenir des dommages-intérêts d’une personne qui s’en porte complice. Serait considéré comme tel celui qui a délibérément incité un tiers à commettre intentionnellement une infraction ou qui lui a apporté assistance à cette fin. La responsabilité du complice supposerait néanmoins, outre une participation objective à une infraction concrète, une intention du moins partielle en ce qui concerne cette infraction et qui doit s’étendre à la conscience de l’illégalité. En pratique, un prestataire intermédiaire ne pourrait donc être tenu responsable en tant que complice que des infractions concrètes au droit d’auteur, commises par les utilisateurs de son service, dont il a connaissance et qu’il a délibérément facilitées. Or, la juridiction de renvoi se demande si, en vertu de ce même article 13, paragraphe 1, il devrait être suffisant, pour condamner un prestataire intermédiaire à verser des dommages-intérêts aux titulaires de droits, que celui-ci ait connaissance ou conscience, de manière générale et abstraite, du fait que son service est utilisé pour porter atteinte au droit d’auteur.

227. Selon moi, l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 n’a tout bonnement pas vocation à régir les conditions de la responsabilité des prestataires intermédiaires pour les atteintes au droit d’auteur commises par les utilisateurs de leurs services.

228. À cet égard, je rappelle que cette disposition prévoit que, « à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte ». Au sens de ladite disposition, le « contrevenant » est donc la personne qui se livre à une « activité contrefaisante » ou, en d’autres termes, celle qui porte atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

229. Néanmoins, l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 a pour unique objet de prévoir des règles, d’ordre procédural, relatives à l’octroi et à la détermination des dommages-intérêts lorsqu’une telle atteinte est commise. Cette disposition n’a pas vocation à déterminer, en amont, quels droits de propriété intellectuelle sont protégés, quels actes portent atteinte à ces droits, qui en sont les responsables et qui est le « titulaire du droit » auquel les dommages-intérêts doivent être versés. Toutes ces questions relèvent des règles matérielles du droit de la propriété intellectuelle (213). Je rappelle que, de manière générale, la directive 2004/48 harmonise uniquement certains aspects procéduraux de la propriété intellectuelle, à l’exclusion de telles questions d’ordre matériel (214).

230. Dans le domaine du droit d’auteur, les règles matérielles pertinentes figurent, en particulier, dans la directive 2001/29. Une personne se livre à une « activité contrefaisante », et devient en cela un « contrevenant », lorsqu’elle réalise un acte relevant d’un droit exclusif que cette directive reconnaît à l’auteur – lequel est, dans ce contexte, en principe, le « titulaire du droit » –, sans autorisation préalable de ce dernier et sans qu’une exception ou limitation ne soit applicable.

231. Or, je rappelle que les cinquièmes et sixièmes questions se fondent sur l’hypothèse selon laquelle des exploitants tels que YouTube et Cyando ne réalisent pas d’actes de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Dans cette hypothèse, ces exploitants ne sauraient être considérés comme des « contrevenants » se livrant à des « activités contrefaisantes », au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48.

232. Cela étant, la directive 2004/48 ne procède qu’à une harmonisation minimale (215). Comme le fait remarquer la Commission, il est donc loisible aux États membres de prévoir dans leur droit national, en faveur des titulaires de droits victimes d’« activités contrefaisantes », le droit d’obtenir des dommages-intérêts de personnes autres que le « contrevenant », au sens de l’article 13 de cette directive, y compris des prestataires intermédiaires ayant facilité de telles activités. En toute hypothèse, les conditions d’une telle responsabilité secondaire relèvent, comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises dans ces conclusions, du droit national.

F.      Sur le fait que l’objectif d’un niveau élevé de protection du droit d’auteur ne justifie pas une interprétation différente des directives 2000/31 et 2001/29

233. Contrairement à M. Peterson et Elsevier, je ne considère pas que l’objectif de la directive 2001/29 consistant à assurer un niveau élevé de protection du droit d’auteur appelle une interprétation de cette directive et de la directive 2000/31 différente de celle suggérée dans les présentes conclusions.

234. Je souligne d’emblée que cette interprétation n’a pas pour conséquence de laisser les titulaires de droits démunis face à la mise en ligne illicite de leurs œuvres sur des plateformes telles que YouTube et Uploaded.

235. En particulier, les titulaires de droits ont, tout d’abord, la possibilité de poursuivre en justice les utilisateurs ayant réalisé de telles mises en ligne illicites. À cette fin, la directive 2004/48 reconnaît notamment à ces titulaires le droit d’obtenir d’exploitants tels que YouTube et Cyando certaines informations utiles, dont les noms et adresses de ces utilisateurs (216). Ensuite, lesdits titulaires peuvent notifier à ces exploitants la présence, sur leurs plateformes, de fichiers contenant leurs œuvres, mis en ligne de manière illicite. Conformément à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, lesdits exploitants sont tenus de réagir promptement à pareille notification, en retirant les fichiers concernés ou en rendant l’accès à ceux-ci impossible. À défaut, ces mêmes exploitants perdent le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition et peuvent voir, le cas échéant, leur responsabilité engagée conformément au droit national applicable. En outre, dans l’hypothèse où un exploitant faciliterait délibérément la réalisation d’actes illicites par les utilisateurs de sa plateforme, l’application de cette disposition serait, à mon sens, exclue d’emblée. Enfin, les titulaires de droits peuvent en toute hypothèse obtenir, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, des injonctions à l’encontre des exploitants de plateformes, par lesquelles des obligations supplémentaires peuvent leur être imposées afin de mettre fin à des atteintes au droit d’auteur commises par les utilisateurs de leurs plateformes et de prévenir de telles atteintes.

236. Les titulaires de droits ne rencontrent donc pas, pour faire valoir leurs droits et lutter contre la mise en ligne illicite de fichiers contenant leurs œuvres par l’intermédiaire de plateformes telles que YouTube et Uploaded, les difficultés qu’ils connaissent s’agissant du partage de fichiers sur un réseau peer-to-peer, facilité par une plateforme telle que « The Pirate Bay ». En effet, dans cette dernière hypothèse, compte tenu de l’organisation décentralisée inhérente à un tel réseau (217), les mesures envisagées au point précédent perdent leur efficacité. En revanche, en l’occurrence, les fichiers sont stockés, de manière centralisée, sur les serveurs de YouTube et de Cyando, ces dernières ayant ainsi la capacité de les supprimer, tel que cela est envisagé par le législateur de l’Union à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (218). Une interprétation de la notion de « communication au public » telle que celle retenue par la Cour dans l’arrêt Stichting Brein  II (« The Pirate Bay ») se justifierait donc d’autant moins dans les présentes affaires.

237. Les titulaires de droits répliquent que les droits exclusifs dont ils disposent sur leurs œuvres ne sont pas respectés dès lors que les mesures en question sont essentiellement réactives plutôt que proactives – puisqu’elles n’empêchent pas ex ante toute mise en ligne d’un contenu illicite, mais permettent surtout le retrait et, dans certains cas, le blocage d’un tel contenu a posteriori – et qu’elles exigent leur collaboration. Selon eux, un niveau élevé de protection de leurs droits serait assuré uniquement si les exploitants de plateformes prévoyaient un système, ne nécessitant pas pareille collaboration, et permettant de vérifier la légalité de l’ensemble des contenus avant leur mise en ligne.

238. À cet égard, je rappelle que, de manière générale, la Cour ne suit pas, dans sa jurisprudence, une logique simpliste voulant que les droits exclusifs prévus aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29 soient nécessairement interprétés de manière large (et illimité), pas plus qu’elle n’interprète les exceptions et limitations envisagées à l’article 5 de cette directive, en toute hypothèse, strictement. À mes yeux, la Cour vise, lorsqu’elle précise tant les contours de ces droits (219) que la portée desdites exceptions et limitations (220), à aboutir à une interprétation raisonnable, assurant la finalité poursuivie par ces différentes dispositions et préservant le « juste équilibre » que le législateur de l’Union entendait mettre en œuvre, dans ladite directive, entre différents droits fondamentaux et intérêts opposés. Ainsi, l’article 3, paragraphe 1, de cette même directive ne doit pas nécessairement être interprété d’une manière qui assure une protection maximale aux titulaires de droits (221).

239. De même, si le droit d’auteur est protégé en tant que droit fondamental, notamment, à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, ce droit n’est pas absolu et doit généralement être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux et intérêts.

240. Une telle mise en balance s’impose en l’occurrence. D’une part, les exploitants de plateformes peuvent se prévaloir de la liberté d’entreprise garantie à l’article 16 de la Charte, qui les protège, en principe, contre des obligations de nature à affecter de manière significative leur activité.

241. D’autre part, les droits fondamentaux des utilisateurs de ces plateformes ne sauraient être ignorés. Il en va ainsi de la liberté d’expression et d’information, garantie à l’article 11 de la Charte (222), qui, je le rappelle, comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées. Il ressort tant de la jurisprudence de la Cour que de celle de la Cour européenne des droits de l’homme qu’Internet revêt une importance particulière à cet égard (223). Plus spécifiquement, cette dernière juridiction a relevé que YouTube constitue un moyen important d’exercice de cette liberté (224). Il en va également de la liberté des arts, garantie à l’article 13 de la Charte et étroitement liée à la liberté d’expression, compte tenu des nombreuses personnes utilisant les plateformes telles que YouTube pour partager leurs créations en ligne.

242. Or, exiger des exploitants de plateformes qu’ils contrôlent, de manière générale et abstraite, la totalité des fichiers que leurs utilisateurs entendent publier avant leur mise en ligne à la recherche de toute atteinte au droit d’auteur emporterait un risque significatif d’entrave à ces différents droits fondamentaux. En effet, eu égard au nombre potentiellement considérable de contenus hébergés, d’une part, il serait impossible de procéder manuellement à un tel contrôle préalable et, d’autre part, le risque en matière de responsabilité serait démesuré pour ces exploitants. En pratique, les plus petits d’entre eux risqueraient de ne pas survivre à cette responsabilité et ceux disposant de ressources suffisantes seraient contraints de procéder à un filtrage généralisé des contenus de leurs utilisateurs, sans contrôle judiciaire, générant un risque conséquent de « sur-retrait » de ces contenus.

243. À cet égard, je rappelle que, dans l’arrêt SABAM (225), la Cour a jugé qu’imposer à l’exploitant d’une plateforme une obligation générale de filtrage des informations qu’il stocke non seulement ne serait pas compatible avec l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31, mais encore n’assurerait pas un « juste équilibre » entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits, et celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les prestataires de services en vertu de l’article 16 de la Charte. En effet, une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à cette liberté puisqu’elle obligerait cet exploitant à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais (226). Par ailleurs, une telle obligation de filtrage généralisé porterait atteinte à la liberté d’expression des utilisateurs de cette plateforme, au sens de l’article 11 de la Charte, puisque l’outil de filtrage risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de cette dernière catégorie de contenus (227). J’ajouterai qu’un tel résultat emporterait un risque d’entrave à la création en ligne, contraire à l’article 13 de la Charte. Le danger, à cet égard, est qu’une protection maximale de certaines créations intellectuelles ne se fasse au détriment d’autres formes de création toutes aussi socialement souhaitables (228).

244. En somme, il me semble que la mise en balance à effectuer est sensiblement plus délicate que ne l’affirment les titulaires de droits (229).

245. Dans ce contexte, les directives 2000/31 et 2001/29 reflètent un équilibre entre ces différents droits et intérêts, souhaité par le législateur de l’Union lors de leur adoption. Par la directive 2000/31, le législateur de l’Union entendait favoriser le développement des prestataires intermédiaires, afin de stimuler plus généralement la croissance du commerce électronique et des « services de la société de l’information » dans le marché intérieur. Il s’agissait donc de ne pas imposer à ces prestataires une responsabilité de nature à mettre en péril la rentabilité de leur activité. Les intérêts des titulaires de droits devaient être sauvegardés et mis en balance avec la liberté d’expression des utilisateurs desdits services essentiellement dans le cadre des procédures de « notification et retrait » (230). Le législateur de l’Union a maintenu cet équilibre, dans la directive 2001/29, en considérant que les intérêts des titulaires de droits seraient sauvegardés à suffisance par la possibilité d’obtenir des injonctions à l’encontre de ces prestataires intermédiaires (231).

246. Les circonstances ont sans aucun doute changé depuis l’adoption de ces directives. Les prestataires intermédiaires n’ont plus le même visage, et cet équilibre n’est peut-être plus justifié. En toute hypothèse, si de tels changements de circonstances peuvent, dans une certaine mesure, être pris en compte par la Cour, lorsqu’elle exerce la marge d’interprétation que laissent les textes du droit de l’Union, il revient surtout au législateur de l’Union de les apprécier et, le cas échéant, de faire évoluer ces textes, en substituant un nouvel équilibre à celui qu’il avait initialement mis en œuvre.

247. Or, je rappelle que le législateur de l’Union vient, précisément, de réévaluer, pour l’avenir, l’équilibre des droits et intérêts en matière de droit d’auteur. En effet, au cours des présentes procédures préjudicielles, la directive 2019/790 est entrée en vigueur (232). L’article 17, paragraphe 1, de cette directive oblige désormais les États membres à prévoir qu’un « fournisseur de services de partage de contenus en ligne (233) effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public aux fins de la présente directive lorsqu’il donne au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs ». En conséquence, comme le précise le paragraphe 2 de cet article, un tel « fournisseur » doit lui-même obtenir une autorisation des titulaires de droit, par exemple en concluant un accord de licence, pour les œuvres mises en ligne par ses utilisateurs. En outre, le paragraphe 3 dudit article précise que, lorsque pareil « fournisseur » procède à un acte de communication au public ou de mise à la disposition du public, dans les conditions fixées par cette directive, l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 ne s’applique pas.

248. L’article 17, paragraphe 4, de la directive 2019/790 dispose encore que, à défaut d’obtenir pareille autorisation, les « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » sont responsables des actes illicites de communication au public réalisés par l’intermédiaire de leur plateforme. Cette disposition prévoit toutefois que ces « fournisseurs » ne sont pas responsables s’ils démontrent que (a) ils ont fourni leurs « meilleurs efforts » pour obtenir une autorisation, (b) ils ont fourni leurs « meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle », pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires, et en tout état de cause (c) ils ont « agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites Internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils soient mis en ligne dans le futur, conformément au point b) » (234). Les paragraphes 5 et 6 du même article prévoient que l’intensité des obligations de moyen reposant ainsi sur lesdits « fournisseurs » varie en fonction de différents paramètres, dont « le type, l’audience et la taille du service », les « petits » fournisseurs bénéficiant en outre d’obligations allégées (235).

249. Un dernier point doit être examiné. M. Peterson et le gouvernement français ont fait valoir, lors de l’audience, que, comme l’indique le considérant 64 de la directive 2019/790 (236), le législateur de l’Union entendait simplement, en adoptant l’article 17 de cette directive, « clarifier » la manière dont la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, aurait toujours dû être comprise et appliquée à l’égard d’exploitants de plateformes tels que YouTube. Je déduis de leur argument que ledit article 17 se bornerait également à « clarifier » le fait que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 n’aurait jamais été applicable à ces exploitants. L’article 17 de la directive 2019/790 constituerait ainsi une sorte de « loi interprétative », se bornant à préciser le sens que les directives 2000/31 et 2001/29 aurait toujours dû avoir. Les solutions se dégageant de ce nouvel article 17 devraient donc s’appliquer, avant même l’expiration du délai de transposition de la directive 2019/790, fixé au 7 juin 2021 (237), rétroactivement, y compris aux affaires au principal.

250. Je ne peux accepter un tel argument. Il serait, à mes yeux, contraire au principe de sécurité juridique de déduire une telle application rétroactive du simple usage d’un terme ambigu dans un considérant dénué de valeur juridique contraignante (238).

251. Du reste, j’observe que, mis à part son considérant 64, aucune disposition de la directive 2019/790 ne tend à indiquer que le législateur de l’Union entendait donner une interprétation rétroactive de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et de l’article 14 de la directive 2000/31, et ce alors qu’il a, par ailleurs, pris le soin de préciser l’application dans le temps de la directive 2019/790 à l’égard des œuvres et objets protégés (239), et de prévoir une disposition transitoire pour l’application d’un autre de ses articles (240). Du reste, l’article 17 de la directive 2019/790 précise, à ses paragraphes 1 et 3, que la notion de « communication au public » qu’il donne vaut « aux fins de la présente directive » et « dans les conditions fixées par la présente directive ». La responsabilité directe des « fournisseurs » y visée pour les actes de communication commis par les utilisateurs de leurs plateformes, prévue audit article 17, n’est pas la simple conséquence de la manière dont l’article 3 de la directive 2001/29 aurait toujours dû être compris, mais « découle » de ce même article 17 (241). Ainsi, à supposer même que le législateur de l’Union puisse, près de 20 ans après l’adoption d’une directive, en donner l’interprétation authentique, j’estime que cette question ne se pose pas en l’occurrence.

252. Comme l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, le législateur de l’Union n’a pas « clarifié » le droit, tel qu’il aurait toujours dû être compris. Il a créé un nouveau régime de responsabilité pour certains intermédiaires en ligne dans le domaine du droit d’auteur. L’idée était « d’adapter et de compléter » le cadre actuel de l’Union en la matière (242). Comme l’a souligné cette institution, l’article 17 de la directive 2019/790 reflète un choix politique du législateur de l’Union en faveur des industries créatives (243).

253. Cet article 17 s’inscrit également dans la lignée d’une série de consultations publiques (244), de communications de la Commission (245) et de nouvelles réglementations sectorielles (246) qui, dans l’optique d’« adapter » et de « moderniser » le droit de l’Union aux nouvelles circonstances évoquées plus haut, tendent à exiger une implication davantage proactive des intermédiaires afin d’éviter la prolifération des contenus illicites en ligne (247).

254. Au demeurant, il convient de garder à l’esprit les conséquences qui résulteraient de l’application rétroactive suggérée par M. Peterson et le gouvernement français. Du fait de la « clarification » apportée par l’article 17, paragraphes 1 et 3, de la directive 2019/790, les exploitants de plateformes seraient généralement responsables de la totalité des actes de communication au public réalisés par leurs utilisateurs et ne pourraient bénéficier de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. En revanche, les paragraphes 4 et suivants de cet article 17, qui prévoient notamment, comme je l’ai indiqué, un régime d’exonération pour ces exploitants, ne s’appliqueraient pas, pour leur part, rétroactivement. Or, en prévoyant ces derniers paragraphes, le législateur de l’Union visait, à mon sens, à assurer un équilibre entre les différents droits et intérêts en jeu (248).

255. Ainsi, procéder à une application rétroactive de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2019/790 dans des affaires telles que celles au principal non seulement ne respecterait pas l’équilibre souhaité par le législateur de l’Union lors de l’adoption des directives 2000/31 et 2001/29, mais ne respecterait pas non plus celui souhaité par ce même législateur lors de l’adoption de la directive 2019/790. En réalité, cette solution ne refléterait, selon moi, aucun équilibre.

VI.    Conclusion

256. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) dans les affaires C‑682/18 et C‑683/18 comme suit :

1)      L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos et l’exploitant d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers ne réalisent pas un acte de « communication au public », au sens de cette disposition, lorsqu’un utilisateur de leurs plateformes y met en ligne une œuvre protégée.

2)      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos et l’exploitant d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers peuvent, en principe, bénéficier de l’exonération prévue à cette disposition pour toute responsabilité susceptible de résulter des fichiers qu’ils stockent à la demande des utilisateurs de leurs plateformes.

3)      L’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que les hypothèses visées à cette disposition, à savoir celle dans laquelle un prestataire de services a « effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites » et celle dans laquelle un tel prestataire a « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicites est apparente », se réfèrent, en principe, à des informations illicites concrètes.




4)      L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les titulaires de droits puissent demander une ordonnance sur requête à l’encontre d’un prestataire dont le service, consistant à stocker des informations fournies par un utilisateur, est utilisé par des tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, uniquement lorsque, après qu’une infraction claire a été signalée, il y a récidive.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 (JO 2000, L 178, p. 1).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 (JO 2001, L 167, p. 1).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 (JO 2004, L 157, p. 45, et rectificatif JO 2004, L 195, p. 16).


5      Directive du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 (JO 2019, L 130, p. 92).


6      Il s’agit du chiffre établi par la juridiction d’appel dans l’affaire au principal. Google évoque, pour sa part, le chiffre de 400 heures de vidéo par minute.


7      Plus précisément, M. Peterson se prévaut de droits propres en tant que producteur de l’album A Winter Symphony ainsi que des droits propres et des droits découlant de ceux de l’artiste à l’égard de l’exécution des titres de cet album réalisés avec sa participation artistique en tant que producteur et choriste. Il fait par ailleurs valoir, à l’égard des enregistrements des concerts de la « Symphony Tour », qu’il serait compositeur et auteur des textes de divers titres dudit album. En outre, il aurait, en tant qu’éditeur, des droits dérivés de ceux des auteurs à l’égard de plusieurs de ces titres.


8      Si M. Peterson avait, en outre, assigné YouTube Inc. et Google Germany, la juridiction de renvoi a indiqué que ces sociétés ne sont plus parties au litige au principal.


9      La mesure exacte est disputée entre les parties au principal et n’a pas été établie par les juridictions nationales.


10      Voir, pour plus de détails, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « Participative Web: User-Created Content », Working Party on the Information Economy, DSTI/ICCP/IE(2006)7/Final, 12 avril 2007.


11      Comme l’a souligné le gouvernement allemand, YouTube collecte un nombre considérable de données personnelles sur les internautes visitant sa plateforme, sur la manière dont ils l’utilisent, sur leurs préférences en termes de contenus, etc., et ce, notamment, afin de cibler les publicités diffusées sur cette plateforme en fonction de l’utilisateur. Les interrogations soulevées par cette collecte généralisée de données et le traitement qui leur est réservé dépassent néanmoins l’objet des présentes conclusions.


12      Voir, pour plus de détails, Fontaine, G., Grece, C., Jimenez Pumares, M., « Online video sharing: Offerings, audiences, economic aspects », European Audiovisual Observatory, Strasbourg, 2018.


13      Voir, par analogie, arrêt du 13 mai 2014, Google Spain et Google (C‑131/12, EU:C:2014:317, point 80 ainsi que jurisprudence citée).


14      Voir, pour plus de détails, Fédération internationale de l’industrie phonographique, « Rewarding creativity: Fixing the value gap », Global music report 2017, et Bensamoun, A., « Le value gap ou le partage de la valeur dans la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique », Entertainment, Bruylant, n° 2018-4, p. 278-287.


15      Voir considérants 4, 9 et 10 de la directive 2001/29.


16      J’utiliserai le terme de « communication au public » pour désigner, de manière générale, les actes de communication au public au sens strict et les actes de mise à disposition du public. Je me référerai plus précisément à l’une ou l’autre de ces catégories lorsque cela sera nécessaire. Par ailleurs, l’article 3 de la directive 2001/29 reconnaît, à son paragraphe 2, sous a) et b), un droit de mise à disposition du public – mais pas le droit de communication au public au sens strict – en tant que droit voisin du droit d’auteur, respectivement, aux artistes interprètes ou exécutants, s’agissant des fixations de leurs exécutions, et aux producteurs de phonogrammes, concernant leurs phonogrammes. Cette disposition est également pertinente dans l’affaire C‑682/18 dans la mesure où M. Peterson dispose, s’agissant de certains des phonogrammes mis en ligne sans son autorisation, de droits voisins en tant qu’artiste interprète ou exécutant et/ou de producteur (voir note en bas de page 7 des présentes conclusions). Cela étant, puisque les affaires au principal concernent, comme je l’expliquerai par la suite, des actes de « mise à disposition du public » et que cette notion a la même signification au paragraphe 1 et au paragraphe 2 de cet article 3, je me bornerai, par commodité, à évoquer le droit d’auteur visé au premier paragraphe, mon analyse étant néanmoins transposable aux droits voisins figurant au second paragraphe.


17      Ou, plus généralement, du titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre en question, qui n’est pas nécessairement l’auteur. J’utilise les notions d’« auteur » et de « titulaire de droits » de manière interchangeable dans les présentes conclusions.


18      Voir, notamment, arrêt du 14 novembre 2019, Spedidam (C‑484/18, EU:C:2019:970, point 38 et jurisprudence citée).


19      Voir considérant 50 de la directive 2000/31 et considérant 16 de la directive 2001/29.


20      Il s’agit notamment d’éviter, dans la mesure du possible, une situation dans laquelle un prestataire de services serait responsable, au titre de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, tout en étant exonéré de cette responsabilité au titre de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31. Voir, pour plus de détails, points 137 à 139 des présentes conclusions.


21      Je n’aborderai pas, dans les présentes conclusions, la question des copies générées par la mise en ligne d’une œuvre sur des plateformes telles que YouTube ou Uploaded et par sa consultation ou son téléchargement par le public. En effet, cette question relève de l’interprétation du droit de reproduction prévu à l’article 2 de la directive 2001/29 ainsi que des exceptions et limitations à ce droit prévues à l’article 5 de cette directive, sur laquelle la Cour n’est pas interrogée. Du reste, à l’exception de Cyando, qui s’est prévalue de l’exception de copie privée prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de ladite directive, cette problématique n’a pas été débattue devant la Cour.


22      Voir, notamment, arrêt du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634, point 17 et jurisprudence citée).


23      Voir, notamment, arrêt du 2 avril 2020, Stim et SAMI (C‑753/18, EU:C:2020:268, point 29 et jurisprudence citée). En particulier, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété à la lumière de l’article 8 du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur, signé le 20 décembre 1996 à Genève et approuvé au nom de l’Union européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO 2000, L 89, p. 6) (ci-après le « TDA »), que la première disposition vise à mettre en œuvre (voir considérant 15 de la directive 2001/29).


24      Voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 61, ainsi que jurisprudence citée).


25      Voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, points 49 et 62, ainsi que jurisprudence citée).


26      Plus précisément, il s’agit de donner aux destinataires la possibilité de percevoir, de toute manière appropriée (auditivement pour un phonogramme, etc.), tout ou partie des éléments qui compose l’œuvre et qui sont l’expression de la création intellectuelle propre à son auteur. Voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, point 47).


27      Les formes « traditionnelles » de communication au public que constituent les représentations et exécutions directes, par exemple les spectacles vivants réalisés devant un public qui se trouve en contact physique avec l’exécutant des œuvres, ne relèvent pas de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Voir, notamment, arrêt du 24 novembre 2011, Circul Globus Bucureşti (C‑283/10, EU:C:2011:772, points 35 à 41).


28      Voir arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, points 41 à 44 et 63).


29      Voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 66 et jurisprudence citée).


30      Le fait que la consultation d’une œuvre depuis une plateforme telle que YouTube se fasse en streaming et que, partant, il n’en résulte pas de copie permanente pour le membre du public concerné est sans pertinence aux fins de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 (voir, notamment, Walter, M. M., et von Lewinski, S., European Copyright Law – A Commentary, Oxford University Press, Oxford, 2010 p. 983). Par ailleurs, le fait qu’une œuvre soit téléchargeable depuis Uploaded et que les membres du public puissent ainsi, à l’inverse, obtenir pareille copie n’exclut pas le jeu de cette disposition au profit du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive [voir arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, points 40 à 45 et 51)].


31      En revanche, il n’y a pas « mise à disposition du public » lorsqu’un utilisateur met en ligne une œuvre sur YouTube, qu’il la laisse en mode « privé » et, le cas échéant, qu’il la partage uniquement à sa famille ou à ses amis. Il en va de même lorsqu’un utilisateur d’Uploaded y met en ligne une œuvre et ne partage pas son download link, ou le partage uniquement à ces personnes. En effet, il s’agit là non pas d’un « public », mais d’un groupe privé (voir point 58 des présentes conclusions).


32      Voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, points 44, 67 et 68, ainsi que jurisprudence citée).


33      Voir, par analogie, arrêt du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634, point 45). Il va sans dire que, dans un cas comme dans l’autre, le « public » n’est pas présent au lieu d’origine de la communication. Par ailleurs, il est sans pertinence de savoir si ce « public » consulte ou télécharge effectivement l’œuvre. En effet, l’acte déterminant est celui qui consiste à mettre l’œuvre à la disposition du public et donc à l’offrir sur un site accessible au public [voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, points 63 et 64)].


34      Voir points 46 et 47 des présentes conclusions.


35      Arrêt du 8 septembre 2016 (C‑160/15, ci-après l’« arrêt GS Media », EU:C:2016:644).


36      Arrêt du 26 avril 2017 [C‑527/15, ci-après l’« arrêt Stichting BreinStichting Brein I (“filmspeler”) », EU:C:2017:300].


37      Arrêt du 14 juin 2017 [C‑610/15, ci-après l’« arrêt Stichting Brein II (“The Pirate Bay”) », EU:C:2017:456].


38      Ce considérant reprend la déclaration commune concernant l’article 8 du TDA adoptée par la conférence diplomatique le 20 décembre 1996.


39      Il peut s’agir d’une ou de plusieurs personnes. J’utilise le singulier par commodité.


40      L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 suit cette logique lorsqu’il se réfère à la possibilité pour les titulaires de droits d’obtenir une injonction à l’encontre des « intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». Voir, également, considérant 59 de cette directive.


41      Arrêt du 7 décembre 2006 (C‑306/05, EU:C:2006:764).


42      La Cour a, plus précisément, indiqué que l’hôtelier intervenait « en pleine connaissance des conséquences de son comportement » (voir arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 42). Cette expression est, selon moi, synonyme d’intervention volontaire (voir point 100 des présentes conclusions).


43      En effet, selon la Cour, les auteurs, lorsqu’ils autorisent la radiodiffusion de leurs œuvres, sont réputés ne prendre en compte que les détenteurs d’appareils de télévision qui captent l’émission individuellement ou dans leur sphère privée ou familiale. Voir arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 41).


44      Voir arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, points 36 à 44). La Cour a suivi le même raisonnement dans des contextes proches. Voir, notamment, arrêts du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, points 183 à 207) ; du 27 février 2014, OSA (C‑351/12, EU:C:2014:110, points 22 à 36), ainsi que du 31 mai 2016, Reha Training (C‑117/15, EU:C:2016:379, points 35 à 65).


45      Voir, notamment, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training (C‑117/15, EU:C:2016:379, point 46). Dans certains arrêts, ce raisonnement est traduit en deux critères : le « rôle incontournable » joué par la personne réalisant l’acte de communication et le « caractère délibéré de son intervention » [voir, notamment, arrêt Stichting Brein II (“The Pirate Bay”) », point 26)]. Comme je l’expliquerai par la suite, en réalité, ces critères sont inextricablement liés (voir note en bas de page 88 des présentes conclusions).


46      Voir notes accompagnant la proposition du TDA, n° 10.10, expliquant que, en matière de « mise à disposition », l’acte déterminant est l’acte initial de mise à disposition, pas la fourniture d’espace de stockage ou d’un service de communication électronique. Voir, également, Koo, J., The Right of Communication to the Public in EU Copyright Law, Hart publishing, Oxford, 2019, p. 161-162.


47      Par exemple, en matière de radiodiffusion, la « communication au public » est réalisée par l’organisme de radiodiffusion qui décide des œuvres transmises et qui initie activement leur « communication », en introduisant celles-ci dans le processus technique permettant leur transmission au « public » [voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stim et SAMI (C‑753/18, EU:C:2020:4, point 23) et article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JO 1993, L 248, p. 15)]. En revanche, les diffuseurs, qui suivent les instructions de cet organisme, font une « simple fourniture d’installations ».


48      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stim et SAMI (C‑753/18, EU:C:2020:4, points 32 à 37).


49      Voir, en Allemagne, la jurisprudence du Bundesgerichsthof (Cour fédérale de justice), dans le domaine du droit des médias, selon laquelle un prestataire adopte l’affirmation d’un tiers lorsqu’il s’identifie avec celle-ci et l’intègre dans sa propre chaîne de pensée d’une telle manière qu’elle apparaît être la sienne [voir notamment Bundesgerichsthof (Cour fédérale de justice), 17 décembre 2013, VI ZR 211/12, § 19]. Cette approche été envisagée en matière de propriété intellectuelle [voir Bundesgerichsthof (Cour fédérale de justice), 30 avril 2008, I ZR 73/05].


50      Voir, par analogie, au Royaume-Uni, section 6, paragraphe 3, du Copyright, Designs and Patents Act (loi sur le droit d’auteur, les dessins et modèles et les brevets, de 1988), indiquant, en matière de radiodiffusion, que la ou les personnes qui réalisent l’acte de « communication au public » sont « (a) [...] the person transmitting the programme, if he has responsibility to any extent for its contents, and (b) [...] any person providing the programme who makes with the person transmitting it the arrangements necessary for its transmission ».


51      Voir arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le fait pour un organisme de capter une émission radiodiffusée et de la retransmettre de manière simultanée, inchangée et intégrale en live streaming sur Internet constitue une utilisation subséquente de cette émission équivalant à un acte autonome de « communication au public », au motif que cette retransmission utilisait un « mode technique spécifique », différant de la radiodiffusion.


52      Comme je l’exposerai dans mon analyse des deuxièmes questions préjudicielles, la Cour interprète les articles 12 à 14 de la directive 2000/31 en ce sens qu’un prestataire intermédiaire ne peut se prévaloir des exonérations de responsabilité y prévues lorsqu’il joue un « rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle » des informations fournies par les utilisateurs de son service [voir arrêts du 23 mars 2010 (C‑236/08 à C‑238/08, ci-après l’« arrêt Google France », EU:C:2010:159, points 112 à 114), ainsi que du 12 juillet 2011 (C‑324/09, ci-après l’« arrêt L’Oréal/eBay », EU:C:2011:474, point 113)]. L’approche que je suggère pour la distinction entre « acte de communication » et « simple fourniture d’installations » est proche de ce raisonnement et permet d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 de manière cohérente. Voir, dans le même sens, Husovec, M., Injunctions Against Intermediaries in the European Union – Accountable But Not Liable?, Cambridge University Press, Cambridge, 2017, p. 55 à 57.


53      Par exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764), l’hôtelier ne se bornait pas à intervenir passivement dans une transmission décidée par l’organisme de radiodiffusion. Il avait décidé, de son propre chef, de faire une utilisation subséquente, non envisagée par cette organisme, de l’émission radiodiffusée, en la retransmettant à ses clients. De même, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 13 octobre 2011, Airfield et Canal Digitaal (C‑431/09 et C‑432/09, EU:C:2011:648, points 74 à 82), un fournisseur de bouquet satellitaire qui regroupe plusieurs émissions émanant de différents organismes de radiodiffusion au bénéfice de ses clients ne se borne pas à une « fourniture d’installations » puisqu’il s’implique activement pour offrir, à un public qu’il a lui-même défini, un catalogue de chaînes de télévision sélectionnées par ses soins. En outre, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 29 novembre 2017, VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:913, points 37 à 51), le prestataire qui capte des émissions radiodiffusées et permet aux utilisateurs de son service d’enregistrer « dans le nuage » les émissions qu’ils souhaitent ne se borne pas non plus à telle une « fourniture ». En effet, ce prestataire intervient activement dans la « communication » puisque, notamment, il sélectionne les chaînes relevant de son service.


54      De même, le fait que des exploitants tels que YouTube et Cyando hébergent, sur leurs serveurs, les œuvres protégées et qu’ils les transmettent lorsqu’ils reçoivent une requête en ce sens d’un membre du public n’est pas déterminant.


55      YouTube dispose également d’une chaîne sur laquelle elle diffuse ses « propres » contenus. Or, cet exploitant fait la « communication au public » de ces contenus dès lors qu’il les a produits et/ou sélectionnés.


56      Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:649, point 27).


57      Voir points 16 et 30 des présentes conclusions.


58      Le contrôle que ces exploitants exercent  a posteriori, notamment, pour réagir promptement aux notifications qu’ils reçoivent des titulaires de droits, ne saurait a fortiori être considéré comme pareille sélection.


59      YouTube réalise un tel contrôle par le biais de Content ID (voir point 22 des présentes conclusions). Je souligne que, selon moi, le fait qu’un contrôle préalable soit effectué de manière automatisée n’est pas l’élément décisif. En effet, dans l’absolu, il est possible d’imaginer un processus de sélection de contenu effectué par un logiciel déterminant, de manière algorithmique, les contenus qui correspondent le mieux à ce que l’exploitant souhaite avoir sur sa plateforme. Tel n’est cependant pas le cas d’un simple contrôle de légalité.


60      Je tiens à souligner que les critères du « public nouveau » et du « mode technique spécifique » ne sont pertinents que s’agissant des utilisations subséquentes d’une communication initiale. Ces critères permettent d’identifier, parmi ces utilisations subséquentes, celles qui doivent être considérées comme étant des « communications secondaires » (ou « retransmissions ») nécessitant une autorisation spécifique (par exemple, la retransmission par câble d’une émission radiodiffusée). Ces hypothèses ne sauraient être confondues avec celle dans laquelle une œuvre, qui a fait l’objet d’une communication au public par le passé, donne lieu à une nouvelle communication au public, indépendante de la précédente. À cet égard, conformément à l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 2001/29, chacune de ces communications au public doit être autorisée, quand bien même elles viseraient toutes deux le même public ou utiliseraient le même mode technique. En conséquence, il n’importe pas de savoir si des œuvres mises en ligne sur YouTube ou Uploaded sont légalement disponibles sur un autre site Internet. Ces deux mises en ligne sont indépendantes et doivent chacune donner lieu à autorisation. Voir, en ce sens, arrêt du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634).


61      Cette question ne se pose pas s’agissant d’une plateforme telle qu’Uploaded, qui ne dispose pas de fonctions de recherche ou d’index des fichiers hébergés. Dans ce contexte, je ne suis pas convaincu par l’argument avancé par Elsevier et le gouvernement allemand selon lequel l’absence de ces fonctions ne serait pas déterminant au motif que des sites tiers, faisant fonction de collections de liens, permettent au public de retrouver, parmi le contenu ainsi hébergé, les œuvres qu’ils souhaitent télécharger. Outre que, en tout état de cause, lesdites fonctions ne sont pas, à mes yeux, pertinentes aux fins de savoir si un prestataire de services réalise une « communication au public », il me semble qu’il convient, à cet égard, de s’attacher aux actes de ce prestataire, et non à ceux des tiers avec lesquels il n’entretient aucune relation.


62      Au contraire, faciliter la rencontre entre les tiers souhaitant communiquer des contenus et le public est le propre d’un intermédiaire. Voir OCDE, The Economic and Social Role of Internet Intermediaries, avril 2010, p. 15.


63      Par ailleurs, contrairement à ce qu’avance Elsevier, le fait qu’un exploitant tel que YouTube convertisse en plusieurs formats les vidéos mises en ligne afin de les adapter à différents lecteurs et vitesses de connexion n’est à mon avis pas pertinent. En effet, il s’agit là d’opérations techniques tendant à permettre et à faciliter la transmission des données et, partant, la lecture de ces vidéos par les membres du public sur leurs navigateurs (ou l’application dédiée). Pareilles opérations techniques ne sauraient être assimilées à une modification du contenu par le prestataire. Voir, par analogie, arrêt du 13 octobre 2011, Airfield et Canal Digitaal (C‑431/09 et C‑432/09, EU:C:2011:648, points 60 et 61).


64      Selon mes recherches, pareille stipulation se retrouve fréquemment dans les conditions générales d’utilisations des plateformes en ligne. Voir, notamment, celles de Facebook (version du 31 juillet 2019, point 3.3, « Les autorisations que vous nous accordez », accessibles à l’adresse https://m.facebook.com/terms?locale=fr_FR).


65      Il est permis de s’interroger sur la compatibilité d’une telle stipulation et de la généreuse licence d’exploitation qu’elle prévoit avec d’autres dispositions du droit de la propriété intellectuelle ou encore, s’agissant des utilisateurs non professionnels, avec le droit de la consommation de l’Union. Néanmoins, cette question dépasse l’objet des présentes conclusions. Je me bornerai à indiquer que, concernant les utilisateurs professionnels, des règles en la matière sont désormais prévues à l’article 3, paragraphe 1, sous e), du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (JO 2019, L 186, p. 57).


66      Je songe notamment aux compilations du type « YouTube Rewind ».


67      La Cour avait, tour à tour, premièrement, réservé la question de savoir si l’existence d’une « communication au public » dépend de son caractère lucratif [voir arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 44)] ; deuxièmement, jugé, avec prudence, qu’il s’agit d’un élément qui « n’est pas dénué de pertinence » [voir arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, points 204 à 206)] ; troisièmement, considéré, de manière nette, que le caractère lucratif est un « critère » de la notion de « communication au public », son absence excluant pareille « communication » [voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, SCF (C‑135/10, EU:C:2012:140, points 97 à 99)], avant, quatrièmement, d’affirmer que le caractère lucratif « [n’est] pas nécessairement une condition indispensable » et « n’est pas déterminant » à cet égard [arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147, points 42 et 43)].


68      Arrêt du 31 mai 2016 (C‑117/15, EU:C:2016:379, points 49 et 62 à 64).


69      En effet, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 est indifférent au fait que la « communication au public » ait ou non un caractère lucratif. Comme je l’ai indiqué, l’existence d’une telle communication est un fait objectif. Par ailleurs, puisque cette disposition reconnaît à l’auteur un droit exclusif, toute « communication au public » d’une œuvre effectuée par un tiers sans son autorisation porte, en principe, atteinte à ce droit – que ce tiers poursuive ou non un but lucratif. L’article 5, paragraphe 3, sous a), b) et j), de cette directive donne néanmoins aux États membres la faculté de prévoir des exceptions pour certaines « communications » réalisées sans but lucratif.


70      Par exemple, le fait qu’une personne diffuse des œuvres dans un but lucratif tend à indiquer qu’elle le fait non pas pour un groupe privé, mais pour des personnes en général, c’est-à-dire un « public ». Ce statut de simple indice explique, selon moi, le fait que, dans plusieurs arrêts, la Cour a caractérisé certains actes comme étant des « communications au public » sans évoquer la question du caractère lucratif. Voir arrêts du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76) ; du 27 février 2014, OSA (C‑351/12, EU:C:2014:110) ; du 29 novembre 2017, VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:913) ; du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634), ainsi que du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111).


71      Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stim et SAMI (C‑753/18, EU:C:2020:4, points 43 et 44).


72      Du reste, les recettes publicitaires perçues par une plateforme telle que YouTube sont fonction de la popularité de la plateforme, dans toutes ses utilisations possibles. De même, les abonnements tels que ceux proposés par Cyando offrent différents avantages en matière de téléchargement de contenu, mais également, semble-t-il, en termes de capacité de stockage. Dans un tel contexte, la frontière séparant la « contrepartie pour le service » et la « contrepartie pour le contenu » me semble ténue. À l’inverse, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 13 octobre 2011, Airfield et Canal Digitaal (C‑431/09 et C‑432/09, EU:C:2011:648, point 80), le prix de l’abonnement versé par le public à un fournisseur de bouquet satellitaire est (indiscutablement) la contrepartie de l’accès aux œuvres communiquées par satellite.


73      Voir arrêt Google France, points 50 à 57 ainsi que 104.


74      Voir arrêt L’Oréal/eBay, points 98 à 105. Voir, encore, dans le même sens, arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany (C‑567/18, EU:C:2020:267, points 34 à 48).


75      Voir arrêt Google France, point 25.


76      Voir arrêt L’Oréal/eBay, points 28 et 110.


77      Du reste, par analogie, dans l’arrêt du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, notamment points 27 et 40), la Cour est partie de la prémisse selon laquelle l’exploitant d’une plateforme de réseau social se borne à fournir un service permettant à ses utilisateurs de communiquer des œuvres au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Je ne vois pas de raison de m’écarter de cette approche en l’occurrence.


78      Voir, par analogie, arrêt Google France, point 57 ; arrêt L’Oréal/eBay, point 104, ainsi qu’arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany (C‑567/18, EU:C:2020:267, point 49).


79      Arrêt du 13 février 2014 (C‑466/12, EU:C:2014:76).


80      Voir arrêt GS Media, points 40 à 51.


81      Voir arrêt Stichting Brein I (« filmspeler »), points 41 à 51.


82      Voir arrêt Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), points 35 à 46.


83      Voir, en particulier, arrêts du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 193) ; du 31 mai 2016, Reha Training (C‑117/15, EU:C:2016:379, point 38), ainsi que du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers (C‑263/18, EU:C:2019:1111, points 49 et 62). Dans l’arrêt du 24 novembre 2011, Circul Globus Bucureşti (C‑283/10, EU:C:2011:772, point 40), la Cour a également jugé que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne couvre pas des actes qui n’impliquent pas la « transmission » ou la « retransmission » d’une œuvre.


84      Je précise que la responsabilité des utilisateurs d’un réseau peer-to-peer au titre de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 fait l’objet de l’affaire pendante C‑597/19, M.I.C.M.


85      La question des hyperliens dépasse l’objet des présentes conclusions. La Cour aura l’occasion d’examiner à nouveau cette question dans l’affaire pendante C-392/19, VG Bild-Kunst.


86      Voir, dans ce cadre, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire GS Media (C‑160/15, EU:C:2016:221, points 54 à 61). D’ailleurs, au point 26 de l’arrêt Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), la Cour a modifié la définition initiale du « rôle incontournable », désormais compris comme le fait, pour une personne, « [d’intervenir] en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée » (souligné par mes soins).


87      Voir, notamment, arrêts du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 42) ; du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 194) ; du 15 mars 2012, SCF (C‑135/10, EU:C:2012:140, points 91 et 94), ainsi que du 27 février 2014, OSA (C‑351/12, EU:C:2014:110, point 26).


88      La transmission fortuite d’une œuvre à un public – par exemple, une musique, diffusée dans un domicile privé par des haut-parleurs réglés à un volume élevé, que des passants entendraient depuis la rue – ne constitue donc pas une « communication au public ». Le caractère volontaire d’une communication se déduit d’éléments objectifs tenant à la nature même de l’intervention de la personne en cause. Cela explique que, les arrêts GS Media, Stichting Brein I (« Filmspeler ») et Stichting Brein II (« The Pirate Bay ») mis à part, la Cour n’a jamais procédé à un examen séparé de cette question et l’a présentée, à bon droit, comme étant inextricablement liée à celle du « rôle incontournable » de la personne en cause.


89      Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Stichting Brein (C‑527/15, EU:C:2016:938, point 71).


90      Par ailleurs, certaines des mesures prévues par la directive 2004/48 ne le sont que pour les actes perpétrés à l’échelle commerciale, à l’exclusion des actes qui sont perpétrés par des consommateurs finaux agissant de bonne foi. Voir considérant 14 ainsi qu’article 6, paragraphe 2, article 8, paragraphe 1, et article 9, paragraphe 2, de cette directive.


91      En Allemagne, la responsabilité pour complicité est prévue à l’article 830 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil) (ci-après le « BGB ») (voir, sur le sujet, mon analyse des cinquièmes et sixièmes questions préjudicielles). Au Royaume-Uni, le fait d’autoriser, de procurer les moyens ou d’inciter à la contrefaçon constitue un délit (tort) (voir Arnold, R., et Davies, P. S., « Accessory liability for intellectual property infringement: the case of authorisation », Law Quarterly Review, n° 133, 2017, p. 442-468). Voir, encore, par analogie, aux États-Unis, les règles de contributory infringement (voir Ginsburg, J. C., « Separating the Sony Sheep from the Grokster Goats: Reckoning the Future Business Plans of Copyright-Dependent Technology Entrepreneurs », Arizona Law Review, vol. 50, 2008, p. 577-609).


92      Voir, notamment, Leistner, M., « Copyright law on the internet in need of reform: hyperlinks, online plateforms and aggregators », Journal of Intellectual Property Law & Practice, 2017, vol. 12, n° 2, p. 136-149 ; Angelopoulos, C., « Communication to the public and accessory copyright infringement », Cambridge Law Journal, 2017, vol. 76, n° 3, p. 496-499 ; Koo, J., op. cit., p. 117, ainsi que Ohly, A., « The broad concept of “communication to the public” in recent CJEU judgments and the liability of intermediaries: primary, secondary or unitary liability? », Journal of Intellectual Property Law & Practice, 2018, vol. 13, n° 8, p. 664-675.


93      À l’exception, néanmoins, des règles relatives aux injonctions à l’encontre des intermédiaires prévues à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 (voir mon analyse des quatrièmes questions préjudicielles).


94      De nombreuses directives incluent un article obligeant les États membres à ériger en infraction le fait d’inciter à commettre, de participer ou de se rendre complice des actes qu’elles visent à réprimer à titre principal. Voir, notamment, article 7 de la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (JO 2011, L 335, p. 1) ; article 8 de la directive 2013/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 12 août 2013, relative aux attaques contre les systèmes d’information et remplaçant la décision-cadre 2005/222/JAI du Conseil (JO 2013, L 218, p. 8) ; article 6 de la directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (directive relative aux abus de marché) (JO 2014, L 173, p. 179) ; article 5 de la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal (JO 2017, L 198, p. 29) ; article 4 de la directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal (JO 2018, L 284, p. 22).


95      Voir conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans les affaires jointes Google France et Google (C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2009:569, point 48) ; conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire L’Oréal e.a. (C‑324/09, EU:C:2010:757, points 55 et 56), ainsi que conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, point 3).


96      Voir arrêt Google France, point 57, et arrêt L’Oréal/eBay, point 104.


97      Voir, en ce sens, arrêt Stichting Brein I (« Filmspeler »), points 41 et 42, ainsi que arrêt Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), points 26, 34, 36 et 37. Voir, sur la notion de « rôle incontournable », telle qu’elle est comprise, à mon sens, dans les autres arrêts de la Cour, point 72 des présentes conclusions.


98      En effet, si la Cour souhaite maintenir un critère de connaissance de l’illicéité dans le cadre de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, elle devra suivre les principes qui découlent de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, sauf à prendre le risque d’aboutir à la situation, évoquée à la note en bas de page 20 des présentes conclusions, dans laquelle un prestataire de service serait responsable au titre de la première disposition, mais exonéré en vertu de la seconde.


99      Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, points 51 et 52), et, par analogie, arrêt GS Media, point 49.


100      Je renvoie donc, sur ces points, à mon analyse des troisièmes questions préjudicielles. Je précise toutefois que l’idée de « conscience » (qui se réfère à l’incise de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, selon laquelle « le prestataire [...] [a] connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente ») correspond à l’idée, évoquée au point 49 de l’arrêt GS Media, selon laquelle une personne est responsable lorsqu’elle « aurait dû savoir » qu’elle facilitait une communication illicite.


101      Voir arrêt GS Media, point 51.


102      Au point 49 de l’arrêt Stichting Brein I (« Filmspeler »), la Cour a évoqué la présomption posée dans l’arrêt GS Media. Cependant, bien que la vente du lecteur multimédia en cause était réalisée dans un but lucratif, elle n’a pas véritablement fait application de cette présomption. De surcroît, dans l’arrêt Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), la Cour n’a pas même évoqué ladite présomption.


103      Voir arrêt GS Media, point 51.


104      Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, point 52). Jusqu’à présent, la Cour a précisé les limites que pose l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’agissant des injonctions judiciaires pouvant être délivrées à l’encontre d’un prestataire stockant des informations fournies par les utilisateurs de son service (voir, notamment, arrêt L’Oréal/eBay, point 139). Selon moi, il faut tenir compte de cette disposition au-delà de la question de ces injonctions. En effet, on ne saurait retenir une interprétation du droit de l’Union ayant pour effet d’imposer ex ante une telle obligation à pareil prestataire. Par ailleurs, à supposer même que la Cour juge, dans le cadre des deuxièmes questions préjudicielles, que des exploitants tels que YouTube ou Cyando ne relèvent pas du champ d’application des articles 14 et 15 de cette directive, une obligation générale de surveillance et de recherche active serait inconciliable avec d’autres dispositions du droit de l’Union (voir section F des présentes conclusions).


105      Voir Supreme Court of the United States (Cour suprême, États-Unis), Sony Corp. of America v. Universal City Studios Inc., 464 US 417 (1984). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, les titulaires de droits cherchaient à engager la responsabilité secondaire de Sony pour la fabrication et la commercialisation du magnétoscope « Betamax » au motif que cette société fournissait aux tiers, par ce magnétoscope, les moyens de commettre des violations du droit d’auteur (notamment la copie illicite de programmes télédiffusés) et qu’elle pouvait raisonnablement savoir que de telles violations se produiraient. Néanmoins, leur recours a été rejeté au motif que ledit magnétoscope, s’il pouvait être utilisé de manière illicite, pouvait également donner lieu à un nombre substantiel d’utilisations licites.


106      À cet égard, j’observe que si YouTube bénéficie très certainement du fait que sa plateforme héberge des œuvres populaires, telles que des émissions de télévision, des films ou des clips musicaux de grands artistes, leur présence sur celle-ci n’a souvent rien d’illicite. En effet, ainsi que Google l’a fait valoir sans être contredite, un grand nombre de fournisseurs de contenus et de titulaires de droits publient des contenus sur YouTube. Par ailleurs, Google a fait valoir, à nouveau sans être contredite, que YouTube donne accès à des contenus culturels, informatifs et instructifs, créés par les utilisateurs, qui sont, en eux-mêmes, attractifs (voir point 43 des présentes conclusions).


107      Voir, en ce sens, arrêt Stichting Brein I (« Filmspeler »), point 50.


108      Voir arrêt Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), point 45.


109      Voir arrêt Stichting Brein I (« Filmspeler »), points 18 et 50, ainsi que arrêt Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), point 45. Comme je l’expliquerai dans le cadre de mon analyse des troisièmes questions préjudicielles, un prestataire en ligne démontrant une telle intention perd, selon moi, également le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue aux articles 12 à 14 de la directive 2000/31. Voir, par analogie, Supreme Court of the United States (Cour suprême), MGM Studios Inc. v Grokster Ltd., 545 US 913, 2005. Dans cet arrêt, deux sociétés, fournisseurs de logiciels permettant le partage de fichiers sur un réseau peer-to-peer, ont été jugées responsables des violations du droit d’auteur commises par les utilisateurs de ces logiciels, dès lors qu’elles avaient ouvertement fait la promotion de leurs possibles utilisations illicites.


110      Voir point 63 des présentes conclusions.


111      Elsevier vise par-là, en réalité, la responsabilité qui pèse sur les fournisseurs de contenus « traditionnels », qui sélectionnent les contenus qu’ils transmettent. Or, comme j’ai tâché de le démontrer, les plateformes ne jouent pas le même rôle.


112      Je répète que, même si la Cour devait considérer que des exploitants tels que YouTube ou Cyando ne relèvent pas du champ d’application des articles 14 et 15 de la directive 2000/31, d’autres dispositions du droit de l’Union s’opposeraient à pareille solution.


113      En agissant de la sorte, un prestataire de services perd, en outre, selon moi, le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31.


114      Voir, dans le même sens, Stallings, E., « Improving Secondary Liability Standards in Copyrights by Examining Intent: Why Courts Should Consider Creating a Good-Faith Standard for Secondary Liability », Journal of the Copyright Society of the U.S.A., vol. 57, n° 4, 2010, p. 1017 à 1038.


115      Voir arrêt Stichting Brein II (« The Pirate Bay »), points 36 et 38.


116      Je rappelle que, selon les indications de la juridiction de renvoi, les vidéos en cause dans l’affaire C‑682/18 ne contenaient a priori pas de telles publicités.


117      Voir point 22 des présentes conclusions.


118      Voir points 21 et 22 des présentes conclusions.


119      Je souligne que cette interprétation ne signifie pas que n’importe quel prestataire de services devrait mettre en place pareil logiciel et que, à défaut, un aveuglement volontaire devrait lui être imputé. En l’état actuel du droit de l’Union, rien ne l’y oblige – sans préjudice, toutefois, de la possibilité d’imposer, par la voie d’injonction, à un prestataire de services, dans des conditions bien définies, en fonction de ses ressources, l’utilisation d’un outil de filtrage (voir mon analyse des quatrièmes questions préjudicielles).


120      Outre les dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») visant les droits en question, voir, dans un domaine voisin, considérants 9, 33, 34, article 6, paragraphe 1 et article 9, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO 2002, L 201, p. 37).


121      Voir Conseil de l’Europe, déclaration sur la liberté de la communication sur l’internet adoptée par le Comité des ministres le 28 mai 2003, lors de la 840e réunion des délégués des ministres, principe 7 ; Office of the Special Rapporteur for Freedom of Expression, Inter-American Commission on Human Rights, Freedom of expression and the Internet, points 130 à 136, ainsi que Organisation des Nations unies, Assemblée générale, rapport du rapporteur spécial sur la promotion de la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, A/HRC/29/32, 29 mai 2015, p. 12, 16 et 56.


122      Elsevier affirme que les contenus portant atteinte au droit d’auteur représentent entre 90 et 96 % des fichiers hébergés sur Uploaded, raison pour laquelle le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) interroge la Cour, par sa première question, sous b), dans l’affaire C‑683/18, sur la pertinence d’une telle circonstance. Cette juridiction explique, par ailleurs, que, dans l’hypothèse où il s’agirait effectivement d’un élément pertinent, cette affirmation devrait être démontrée par Elsevier dans le cadre d’une réouverture de la procédure d’appel. Cyando avance, pour sa part, que seul un pourcentage très faible (de l’ordre de 1,1 %) de tous les fichiers effectivement consultés concernerait la mise à disposition du public de contenus protégés par le droit d’auteur, ce qui correspondrait à 0,3 % du volume total des données stockées.


123      De l’ordre de plusieurs dizaines d’euros par millier de téléchargements. Voir point 31 des présentes conclusions.


124      Voir, par analogie, Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), 15 août 2013, I ZR 80/12 (File-Hosting Service), GRUR 1030, § 38. Un tel programme diffère sensiblement du partage de recettes publicitaires opéré par une plateforme de partage de vidéos telle que YouTube. D’une part, si un partage de recettes peut s’expliquer dans le cadre d’une telle plateforme, un programme de « partenariat » semble plus curieux dans le cadre d’une plateforme ayant vocation à héberger des fichiers. D’autre part, je rappelle que, dans le cadre de YouTube, ce partage de recettes est mis en œuvre d’une manière sécurisée.


125      Les articles 12 à 15 de la directive 2000/31 s’inspirent du Digital Millennium Copyright Act (DMCA) (loi du millénaire sur le droit d'auteur numérique), adopté par le législateur fédéral américain en 1998, qui a mis en place des exemptions de responsabilité similaires concernant spécifiquement le droit d’auteur [figurant au titre 17, chapitre 5, section 512, du United States Code (code des États-Unis)].


126      Voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire L’Oréal e.a. (C‑324/09, EU:C:2010:757, point 153).


127      J’observe que cette question est expressément posée à la Cour dans les affaires pendantes C‑442/19, Stichting Brein, et C-500/19, Puls 4 TV.


128      Voir considérant 16 de la directive 2001/29 ; conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Mc Fadden (C‑484/14, EU:C:2016:170, point 64) ; proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur [COM(1998) 586 final (JO 1999, C 30, p. 4)], p. 27 et 29, ainsi que rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, du 21 novembre 2003, Premier rapport sur l’application de la [directive 2000/31] [COM(2003) 702 final], p. 13. L’exonération de responsabilité prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’applique néanmoins sans préjudice de la possibilité, réservée au paragraphe 3 de cet article, d’obtenir une injonction à l’encontre d’un prestataire de services (voir mon analyse des quatrièmes questions préjudicielles).


129      L’application de cette disposition est également exclue, par principe, dans l’hypothèse dans laquelle l’utilisateur qui a fourni les informations en cause agissait sous l’autorité ou le contrôle du prestataire (voir article 14, paragraphe 2, de la directive 2000/31).


130      Plus précisément, l’article 2, sous a), de la directive 2000/31 définit la notion de « services de la société de l’information » par référence à l’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO 1998, L 217, p. 18). La directive 98/34 a été remplacée par la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1), dont l’article 1er, paragraphe 1, sous b), reprend la même définition.


131      Voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, points 47 et 48). À cet égard, conformément à l’article 2, sous d), de la directive 2000/31, le « destinataire du service » est « toute personne physique ou morale qui, à des fins professionnelles ou non, utilise un service de la société de l’information, notamment pour rechercher une information ou la rendre accessible ». Cette notion couvre donc tant l’utilisateur qui met un fichier en ligne que celui qui le consulte ou le télécharge.


132      On ne saurait toutefois parler de « gratuité » du service pour les utilisateurs. Comme je l’ai indiqué dans la note en bas de page 11 des présentes conclusions, YouTube collecte un nombre considérable de données personnelles concernant ses utilisateurs, qui représentent en elles-mêmes un prix. Voir, à cet égard, considérant 24, article 2, point 7), et article 3 de la directive (UE) 2019/770 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2019, relative à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques (JO 2019, L 136, p. 1).


133      Voir considérant 18 de la directive 2000/31 et arrêt du 11 septembre 2014, Papasavvas (C‑291/13, EU:C:2014:2209, points 26 à 30).


134      La notion d’« informations » envisagée à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, doit être comprise largement (voir proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur, p. 27).


135      Voir, en ce sens, Montero, E., « Les responsabilités liées au web 2.0 », Revue du droit des technologies de l’information, 2008, n° 32, p. 368, et Van Eecke, P., « Online Service Providers and Liability: A Plea for a Balances Approach », Common Market Law Review, 2011, vol. 47, p. 1473. Cette interprétation est étayée par le rapport sur l’application de cette directive, p. 13, qui se réfère, de manière large, à « différents cas dans lesquels il y a stockage de contenus appartenant à des tiers ».


136      Voir arrêt Google France, points 110 et 111.


137      Voir arrêt Google France, points 112 à 114 et 120 (souligné par mes soins).


138      Voir arrêt L’Oréal/eBay, points 110, 112 et 113.


139      Voir arrêt du 15 septembre 2016, Mc Fadden (C‑484/14, EU:C:2016:689, points 61 à 64). Ce constat avait amené l’avocat général Jääskinen, dans ses conclusions dans l’affaire L’Oréal e.a. (C‑324/09, EU:C:2010:757, points 139 à 142), à conclure que, selon lui, le considérant 42 de la directive 2000/31, dont la Cour s’est inspiré dans l’arrêt Google France pour dégager l’exigence du « rôle neutre » du prestataire s’agissant des informations fournies par les utilisateurs de son service, vise non pas l’activité d’hébergement, mais uniquement le simple transport et le caching.


140      Voir, en ce sens, arrêt L’Oréal/eBay, point 115.


141      En ce sens, dans l’arrêt du 11 septembre 2014, Papasavvas (C‑291/13, EU:C:2014:2209, points 45 et 46), la Cour a jugé qu’un éditeur de presse qui publie sur son site Internet la version électronique d’un journal a connaissance des informations qu’il publie et exerce un contrôle sur celles-ci – puisqu’il les sélectionne – de sorte que cet éditeur ne saurait être considéré comme un « prestataire intermédiaire » au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31.


142      Voir, dans le même sens, Husovec, op. cit., p. 56 et 57.


143      Voir arrêt Google France, point 117.


144      Elsevier fait encore valoir que, sur une place de marché en ligne telle qu’eBay, ce n’est pas l’exploitant, mais l’utilisateur vendeur qui donne au public l’accès aux produits vendus, puisque ce dernier livre ces produits aux acheteurs. À l’inverse, s’agissant de YouTube, ce serait l’exploitant qui donnerait accès aux vidéos. Cet argument repose, selon moi, sur une confusion. Les « informations » stockées à la demande des utilisateurs d’une place de marché sont non pas les produits proposés à la vente, mais les offres de vente elles-mêmes. eBay donne accès à ces dernières « informations » de la même manière que YouTube donne accès aux « informations » que constituent les vidéos mises en ligne par ses utilisateurs. Dans les deux cas, ces différentes « informations » sont fournies par les utilisateurs.


145      Tel n’est pas le cas, je le rappelle, s’agissant de la plateforme Uploaded.


146      Voir arrêt L’Oréal/eBay, points 114 et 116.


147      Voir arrêt L’Oréal/eBay, point 31.


148      Voir, dans le même sens, arrêt Google France, point 118, où la Cour a considéré comme pertinent le « rôle joué par Google dans la rédaction du message commercial accompagnant le lien promotionnel ou dans l’établissement ou la sélection des motsclés ».


149      J’en veux pour preuve que la Cour s’est attachée à l’idée d’optimiser « la présentation des offres à la vente en cause » (arrêt L’Oréal/eBay, point 116) (souligné par mes soins). Si la Cour avait visé la structuration générale des offres de vente présentées sur la place de marché, elle n’aurait pas apporté une telle précision, et n’aurait pas non plus renvoyé à la juridiction nationale le soin de vérifier si eBay avait joué un « rôle actif » « par rapport aux offres à la vente en cause dans l’affaire au principal » (point 117 de cet arrêt). En effet, eBay aurait eu un « rôle actif » à l’égard de n’importe quelle offre de vente puisque toutes s’inscrivent dans cette structure générale.


150      Par exemple, en modifiant certains passages des vidéos en question, en choisissant une meilleure musique de fond, en améliorant le montage, etc.


151      Voir, par analogie, arrêt L’Oréal/eBay, point 113.


152      Voir, par analogie, arrêt Google France, points 115 et 117.


153      Arrêt L’Oréal/eBay, point 116.


154      Voir arrêt L’Oréal/eBay, points 38, 39 et 114.


155      Là encore, si la Cour avait eu à l’esprit ce type de recommandations, elle n’aurait pas renvoyé à la juridiction nationale le soin de vérifier si eBay avait joué un « rôle actif » « par rapport aux offres à la vente en cause dans l’affaire au principal » (arrêt L’Oréal/eBay, point 117). En effet, ce « rôle actif » aurait existé pour l’ensemble des offres présentes sur la place de marché, puisque n’importe laquelle d’entre elles peut potentiellement être recommandée, selon la programmation de l’algorithme, à un utilisateur donné.


156      Voir, par analogie, arrêt Google France, point 115. Cela est sans préjudice de la possibilité, pour un prestataire de services, dès lors qu’il a la maîtrise d’un tel algorithme, d’être tenu responsable des dommages causés par le fonctionnement de cet algorithme en lui-même. Tel pourrait être le cas, notamment, si ledit algorithme discriminait illégalement certains contenus ou certains utilisateurs. Je le répète, l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 ne concerne que la responsabilité résultant des informations stockées.


157      Voir, par analogie, Cour de cassation (France), première chambre civile, arrêt no 165 du 17 février 2011, Carion c/ Société Dailymotion, n° 09-67.896.


158      Voir considérant 18 de la directive 2000/31.


159      Voir arrêt Google France, point 116, et arrêt L’Oréal/eBay, point 115.


160      Voir arrêt Google France, point 25.


161      Voir arrêt L’Oréal/eBay, points 28 et 110.


162      Cela est d’autant plus remarquable que l’avocat général Poiares Maduro, dans ses conclusions dans les affaires jointes Google France et Google (C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2009:569, points 144 et 145), avait suggéré à la Cour l’approche opposée.


163      Voir, en ce sens, considérant 26 de la recommandation (UE) 2018/334 de la Commission, du 1er mars 2018, sur les mesures destinées à lutter, de manière efficace, contre les contenus illicites en ligne (JO 2018, L 63, p. 50). Du reste, il ressort implicitement, mais nécessairement, de arrêt L’Oréal/eBay qu’un prestataire de services peut faire ses propres recherches sans perdre, pour ce motif, son « rôle neutre » (voir points 46 et 122 de cet arrêt).


164      Arrêt du 16 février 2012 (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 27).


165      Arrêt du 3 octobre 2019 (C‑18/18, EU:C:2019:821, point 22).


166      Voir, en particulier, arrêt du 29 juillet 2019, Funke Medien NRW (C‑469/17, EU :C :2019 :623, points 16 à 26).


167      Au surplus, le législateur de l’Union semble lui-même considérer qu’un exploitant de plateforme tel que YouTube peut bénéficier de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 puisque différentes dispositions du droit de l’Union envisagent l’application de cet article à pareil exploitant. Voir, notamment, article 28 bis, paragraphe 5, de la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »), compte tenu de l’évolution des réalités du marché (JO 2018, L 303, p. 69), indiquant que « [l]es articles [...] 12 à 15 de la directive [2000/31] s’appliquent aux fournisseurs de plateformes de partage de vidéos réputés être établis dans un État membre » (voir aussi article 28 ter de cette directive).


168      Sans préjudice, néanmoins, de la limite rappelée au point 146 des présentes conclusions.


169      Par commodité, j’utilise, dans les présentes conclusions, la notion de « connaissance effective » pour désigner l’hypothèse visée à la première incise de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 et la notion de « conscience » pour désigner l’hypothèse visée à la seconde incise de cette disposition.


170      Tel est également le cas dans la vaste majorité des autres versions linguistiques de la directive 2000/31. M. Peterson et Elsevier répliquent que la version en langue anglaise de cette directive supporte l’interprétation opposée. Je n’en suis pas convaincu. Certes, dans cette version, la première incise de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive ne comporte pas d’article défini (« [...] the provider does not have actual knowledge of illegal activity or information [...] »). Toutefois, la seconde incise utilise bien, quant à elle, un article défini (« [...] is not aware of facts or circumstances from which the illegal activity or information is apparent [...] ») (souligné par mes soins).


171      Voir considérants 40, 41 et 46 de la directive 2000/31.


172      Voir considérant 40 et article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31. Contrairement à la section 512 introduite par DMCA, la directive 2000/31 ne prévoit donc pas de procédure de notification et de retrait harmonisée.


173      J’entends par là : portée à la connaissance d’un employé du prestataire de services. On ne saurait considérer qu’un prestataire a « connaissance » ou « conscience » d’une information illicite qu’il stocke, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 au motif, par exemple, qu’il a fait un traitement automatisé de cette information. Une telle interprétation priverait cette disposition de tout effet utile, puisque tout prestataire hébergeant des informations est nécessairement amené à opérer pareil traitement.


174      Voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire L’Oréal e.a. (C‑324/09, EU:C:2010:757, points 162 et 163).


175      Arrêt L’Oréal/eBay, respectivement points 120, 121 et 122.


176      Voir arrêt L’Oréal/eBay, point 122.


177      Voir, dans le même sens, Riordan, J., The Liability of Internet Intermediaries, Oxford University Press, Oxford, 2016, p. 407 et 408. La Cour a d’ailleurs précisé, au point 139 de l’arrêt L’Oréal/eBay, que les mesures qui peuvent être exigées d’un prestataire de service tel qu’eBay « ne peuvent consister en une surveillance active de l’ensemble des données de chacun de ses clients afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle via le site du prestataire ». De la même manière, l’indication donnée par la Cour, au point 120 de cet arrêt, selon laquelle un prestataire peut découvrir des faits et circonstances rendant l’illégalité apparente dans le cadre de ses propres recherches, tend simplement à indiquer que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 autorise un prestataire à effectuer de telles recherches. Le cas échéant, ce prestataire doit bien entendu supprimer les informations illicites qu’il découvre. Cela ne saurait signifier qu’il serait, de manière générale, obligé d’effectuer pareilles recherches.


178      Voir Conseil constitutionnel (France), décision n° 2004-496 du 10 juin 2004.


179      Je me réfère, par exemple, aux images pédopornographiques. Pour ce type d’informations qui sont, en elles-mêmes, manifestement et indiscutablement illicites, la directive 2000/31 n’interdit pas, selon moi, d’exiger du prestataire qu’il soit proactif s’agissant de leur retrait. Voir, en ce sens, considérant 48 de cette directive et, concernant spécifiquement la pédopornographie, considérant 47 et article 25 de la directive 2011/93.


180      Voir, notamment, arrêt du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 50).


181      Par exemple, la mise en ligne, par un obscur utilisateur, d’une copie de piètre qualité, filmée à l’aide d’un caméscope, d’un film sorti récemment en salle.


182      Il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑682/18 qu’une partie significative de l’arrêt d’appel est consacrée au point de savoir si, et dans quelle mesure, M. Peterson détient des droits sur les œuvres concernées.


183      Voir article 5 de la directive 2001/29.


184      Je relève notamment que la directive 2000/31 ne prévoit aucune garantie aux utilisateurs, telle qu’une procédure de « contre-notification » permettant de contester le « sur-retrait » de leurs informations. Le considérant 46 de cette directive se borne à indiquer que les États membres peuvent « définir des exigences spécifiques auxquelles il doit être satisfait promptement avant de retirer des informations ou d’en rendre l’accès impossible ».


185      Voir, en ce sens, Riordan, J., op. cit., p. 406. De manière générale, la question de savoir si les « faits et circonstances » portés à la connaissance d’un prestataire de services étaient suffisants pour lui donner la « conscience » d’une information illicite, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, dépend de toutes les circonstances de chaque affaire, en particulier du degré de précision de la notification, de la complexité de l’analyse nécessaire pour comprendre l’illégalité de cette information et des ressources dont dispose ce prestataire. Il en va de même concernant la question de savoir si le prestataire a agi « promptement », au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous b), de cette directive.


186      Pour cette question, je renvoie le lecteur aux points 120 à 131 des présentes conclusions.


187      En effet, il est selon moi inconcevable que, par exemple, les administrateurs de la plateforme « The Pirate Bay » puissent se prévaloir de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 pour échapper à leur responsabilité secondaire, en vertu du droit national, pour les informations stockées sur cette plateforme. Comme le fait valoir le gouvernement français, cette disposition tend à protéger les prestataires de services qui sont généralement de bonne foi, pas les prestataires dont l’intention même est de faciliter les atteintes au droit d’auteur.


188      En revanche, une obligation de stay down figure à l’article 17, paragraphe 4, de la directive 2019/790. J’observe néanmoins que le législateur a prévu une exception pour les « petits » prestataires de service, n’ayant pas les ressources ou la technologie nécessaire pour mettre en œuvre une telle obligation.


189      Voir, également, considérant 45 de la directive 2000/31.


190      Cette obligation figure également à l’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48, laquelle s’applique aux atteintes à différents droits de propriété intellectuelle, dont le droit d’auteur (voir article 2, paragraphe 1, de cette directive). Néanmoins, cette disposition est, comme elle le précise, « sans préjudice » de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29. En toute hypothèse, dès lors que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et l’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48 sont libellés de manière quasi identique et que ces directives poursuivent le même objectif d’un haut niveau de protection de la propriété intellectuelle (voir considérant 9 de la première directive et considérant 10 de la seconde), ces dispositions doivent, selon moi, recevoir la même interprétation.


191      La « responsabilité du perturbateur » permet d’obtenir une injonction. Elle ne constitue donc pas un fondement pour l’octroi de dommages-intérêts, contrairement à la responsabilité primaire de l’auteur d’une infraction et à la responsabilité du complice, prévue à l’article 830 du BGB.


192      Voir, notamment, Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), arrêts du 26 juillet 2012, I ZR 18/11, GRUR 2013, 370 – Alone in the Dark, ainsi que du 19 mars 2015, I ZR 94/13, GRUR 2015 1129 – Hotelbewertungsportal. Conformément à la jurisprudence de cette juridiction, des exploitants tels que YouTube et Cyando ne sont, en règle générale, pas directement responsables des atteintes au droit d’auteur commises par l’intermédiaire de leurs plateformes dans la mesure où ils ne réalisent pas la « communication au public » des œuvres qui y sont mises en ligne. Ces exploitants ne sont pas non plus, en principe, tenus responsables en tant que complices de ces atteintes, au sens de l’article 830 du BGB, dès lors qu’une condamnation sur ce fondement implique de démontrer une intention et une connaissance relatives à une infraction concrète (voir mon analyse des cinquièmes et sixièmes questions préjudicielles). C’est donc essentiellement dans le cadre des injonctions fondées sur la « responsabilité du perturbateur » que cette juridiction réglemente le comportement de pareils exploitants. Dans les affaires au principal, les juridictions d’appel ont ainsi condamné YouTube et Cyando en tant que « perturbatrices » pour n’avoir pas respecté leurs obligations de comportement.


193      Voir, par analogie, arrêt du 7 juillet 2016, Tommy Hilfiger Licensing e.a. (C‑494/15, EU:C:2016:528, point 23 ainsi que jurisprudence citée).


194      Voir arrêt L’Oréal/eBay, point 136.


195      Les obligations de comportement reposant concrètement sur les prestataires de services se livrant à une activité consistant notamment en l’hébergement de fichiers fournis par des tiers, conformément à la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), reflètent la condition prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive 2000/31. Ces obligations vont néanmoins, selon ma compréhension, au-delà de cette disposition : cette juridiction impose que le prestataire ait non seulement retiré l’information notifiée, mais encore bloqué cette information, dans une logique de stay down.


196      Voir considérant 59 de la directive 2001/29 ainsi que Husovec, op. cit., p. XV, XVI, 8 et 10 à 13. À mon sens, le fait que les intermédiaires bénéficient financièrement, dans une certaine mesure, des utilisations illicites de leurs services justifie également qu’ils aient à supporter de telles injonctions.


197      Voir, dans le même sens, Nordemann, J. B., « Liability for Copyright Infringements on the Internet: Host Providers (Content Providers) – The German Approach », Journal of Intellectual Property, Information Technology and Electronic Commerce Law, vol. 2, n° 1, 2011, p. 40.


198      Voir, dans le même sens, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, du 29 novembre 2017, Orientations sur certains aspects de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil relative au respect des droits de propriété intellectuelle [COM(2017) 708 final], p. 19 : « les autorités judiciaires compétentes ne peuvent pas exiger des demandeurs qu’ils démontrent que l’intermédiaire est responsable, même indirectement, en ce qui concerne une violation (alléguée), en tant que condition à l’ordonnance d’une injonction ».


199      Voir, par analogie, arrêt L’Oréal/eBay, point 131.


200      Voir article 3 de la directive 2004/48 et, par analogie, arrêt L’Oréal/eBay, points 140 à 144. Je rappelle que cette directive s’applique également en matière de droit d’auteur. Partant, les exigences posées à ses dispositions générales doivent être respectées dans le cadre d’une injonction délivrée conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.


201      Voir arrêt du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, points 31 à 33).


202      Voir point 194 des présentes conclusions.


203      Arrêt du 16 février 2012 (C‑360/10, EU:C:2012:85, points 35 à 38).


204      Arrêt du 3 octobre 2019 (C‑18/18, EU:C:2019:821, points 33 à 47).


205      Voir considérant 47 de la directive 2000/31.


206      Voir, également, arrêt L’Oréal/eBay, point 139.


207      À cet égard, les copies d’un même fichier peuvent être identifiées grâce à des filtres MD5 (ou hash filters), qui semblent courants.


208      Par exemple, s’agissant d’une œuvre cinématographique, une multitude de variations sont possibles en termes de format ou de qualité d’image, de durée, etc.


209      Selon les explications données par Google, une fois qu’un fichier de référence pour une œuvre a été versé dans la base de données de Content ID, ce logiciel reconnaîtrait automatiquement (presque) tous les fichiers contenant cette œuvre lors de leur mise en ligne.


210      Selon les informations données par Google, celle-ci aurait dépensé plus de 100 millions de dollars (environ 88 millions d’euros) pour développer Content ID.


211      Voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 50). En particulier, une injonction ne doit pas créer d’obstacles à la possibilité, pour les utilisateurs d’une plateforme, de faire une utilisation d’œuvres protégées relevant des exceptions et limitations prévues à l’article 5 de la directive 2001/29. Concernant une plateforme comme YouTube, il s’agit notamment de permettre aux utilisateurs de partager des vidéos utilisant des œuvres à des fins de critique, de revue ou encore de parodie, dans les conditions prévues au paragraphe 3, sous d) et k), de cet article 5. Concernant un Cyberlocker, il s’agit notamment de ne pas priver les utilisateurs du droit à la copie privée visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive [voir, sur ce point, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:649, points 23 à 28)].


212      Je rappelle que, selon moi, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 doivent être interprétés de manière cohérente. En particulier, le « rôle incontournable », au sens de la jurisprudence de la Cour concernant la première disposition, devrait correspondre, en pratique, pour les prestataires intermédiaires qui stockent des informations fournies par les utilisateurs de leurs services, au « rôle actif » envisagé dans sa jurisprudence relative à la seconde. Je ne répondrai donc aux cinquièmes et sixièmes questions préjudicielles que brièvement et à titre subsidiaire.


213      Voir, notamment, article 4 de la directive 2004/48 précisant que « [l]es États membres reconnaissent qu’ont qualité pour demander l’application des mesures, procédures et réparations visées au présent chapitre : a) les titulaires de droits de propriété intellectuelle, conformément aux dispositions de la législation applicable » (souligné par mes soins). Il peut s’agir des règles matérielles prévues tant en droit de l’Union qu’en droit national (voir article 2, paragraphe 1, de cette directive).


214      Voir considérant 15 et article 2, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/48.


215      Voir article 2, paragraphe 1, de la directive 2004/48.


216      Voir article 8, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, de la directive 2004/48. Voir, également, sur le sujet, mes conclusions dans l’affaire Constantin Film Verleih (C‑264/19, EU:C:2020:261).


217      Je rappelle que les œuvres partagées sont stockées sur les ordinateurs des différents utilisateurs du réseau, une plateforme telle que « The Pirate Bay » se bornant à héberger les fichiers torrents permettant de retrouver ces œuvres sur ce réseau.


218      Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, points 19 et 20).


219      Voir arrêts GS Media, points 44 et 45, ainsi que du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634, point 41).


220      Voir, notamment, arrêts du 3 septembre 2014, Deckmyn et Vrijheidsfonds (C‑201/13, EU:C:2014:2132, points 22 à 27) ; du 29 juillet 2019, Funke Medien NRW (C‑469/17, EU:C:2019:623, points 51, 58 et 65 à 76), ainsi que du 29 juillet 2019, Spiegel Online (C‑516/17, EU:C:2019:625, points 36, 38 et 50 à 59).


221      En particulier, le fait que les titulaires de droits ne disposent pas d’une protection maximale de leur propriété intellectuelle implique, selon moi, qu’il puisse être exigé d’eux une certaine vigilance s’agissant des utilisations de leurs œuvres en ligne et une collaboration avec les exploitants de plateformes. Voir, par analogie, dans le domaine du droit des marques, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Backaldrin Österreich The Kornspitz Company (C‑409/12, EU:C:2013:563, point 83).


222      Je rappelle que cet article 11 contient des droits correspondant à ceux garantis à l’article 10, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et que le premier article doit, partant, être interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme afférente au second. Voir, notamment, arrêt du 29 juillet 2019, Funke Medien NRW (C‑469/17, EU:C:2019:623, point 73).


223      Voir, notamment, arrêt GS Media, point 45, et Cour EDH, 18 décembre 2012, Ahmet Yıldırım c. Turquie, CE:ECHR:2012:1218JUD000311110, § 54 ; Cour EDH, 1er décembre 2015, Cengiz e.a. c. Turquie, CE:ECHR:2015:1201JUD004822610, § 49. Voir, également, dans le même sens, Cour EDH, 10 mars 2009, Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (n os1 et 2), CE:ECHR:2009:0310JUD000300203, § 27, et Cour EDH, 10 janvier 2013, Ashby Donald et autres c. France, CE:ECHR:2013:0110JUD003676908, § 34.


224      Cour EDH, 1er décembre 2015, Cengiz e.a. c. Turquie, CE:ECHR:2015:1201JUD004822610, § 51 et 52. Voir, également, en ce sens, arrêt du 14 février 2019, Buivids (C‑345/17, EU:C:2019:122, points 56 et 57).


225      Arrêt du 16 février 2012 (C‑360/10, EU:C:2012:85).


226      Je répète, à cet égard, que tous les prestataires de services ne disposent pas des mêmes capacités et ressources que YouTube.


227      Voir arrêt du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, points 44 à 52). Ainsi, à supposer même que les exploitants de plateformes ne relèvent pas du champ d’application des articles 14 et 15 de la directive 2000/31, l’obligation de contrôler ex ante la totalité des fichiers mis en ligne par les utilisateurs serait, en toute hypothèse, contraire au droit fondamentaux garantis par la Charte.


228      Il en est ainsi des vidéos telles que les tutoriels en ligne et d’autres vidéos à vocation divertissantes ou informatives, qui peuvent en principe utiliser des œuvres protégées, dans certaines conditions, conformément à certaines exceptions prévues à l’article 5 de la directive 2001/29. À ce sujet, je note que des interrogations entourent le logiciel Content ID de YouTube, celui-ci ayant déjà, semble-t-il, mépris des vidéos innocentes pour des œuvres protégées illégalement mises en ligne et bloqué des vidéos pour l’utilisation d’extraits de quelques secondes d’une telle œuvre (voir notamment, Signoret, P., « Sur YouTube, la détection automatique des contenus soumis à droit d’auteur ne satisfait personne », Le Monde, blog Pixels, 5 juillet 2018). À cet égard, YouTube reconnaît que Content ID ne détecte pas l’éventuelle application des exceptions au droit d’auteur (voir vidéo YouTube Creators, « Content ID sur YouTube », accessible à l’adresse https://youtu.be/9g2U12SsRns).


229      En outre, la complexité de cette question est encore renforcée, selon moi, par le caractère ambivalent d’Internet, et plus spécialement des plateformes telles que YouTube, en ce qui concerne la contrefaçon. En effet, si YouTube offre des outils pouvant être utilisés pour porter atteinte au droit d’auteur, ces outils, en particulier son moteur de recherche, facilitent dans le même temps la découverte de ces atteintes.


230      Voir considérants 40, 41, 45 à 49 de la directive 2000/31 ainsi que proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur , p. 4, 12, 16.


231      Voir considérants 16 et 59 ainsi qu’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.


232      Voir article 31 de la directive 2019/790.


233      L’article 2, point 6, de la directive 2019/790 dispose que, aux fins de cette directive, un « fournisseur de services de partage de contenus en ligne » est un « fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives ». Voir, également, considérants 62 et 63 de cette directive.


234      Comme je l’ai indiqué, tandis que l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive 2000/31 prévoit, selon moi, une obligation de take down, l’article 17, paragraphe 4, sous c), de la directive 2019/790 impose désormais, de manière générale et ex ante, une obligation de stay down.


235      Plus précisément, il ressort de l’article 17, paragraphe 6, de la directive 2019/790, en substance, que, pour les « fournisseurs » de moins de trois ans, dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros, ceux-ci doivent seulement prouver leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation des titulaires de droits et ne supportent qu’une obligation de take down.


236      Aux termes de ce considérant : « Il convient de clarifier dans la présente directive que les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne effectuent un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public lorsqu’ils donnent au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés que leurs utilisateurs ont téléversés. [...] »


237      Voir article 29 de la directive 2019/790.


238      Voir, notamment, arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 42 ainsi que jurisprudence citée). Du reste, si, conformément à la jurisprudence de la Cour, un tel considérant peut préciser le contenu de l’acte dont il fait partie, il s’agirait en l’occurrence d’éclairer le sens des dispositions non pas de la directive 2019/790, mais des directives 2000/31 et 2001/29.


239      Voir article 26 de la directive 2019/790, précisant que celle-ci s’applique à l’égard de l’ensemble des œuvres et autres objets protégés qui sont protégés par le droit national en matière de droit d’auteur au 7 juin 2021 ou après cette date, et qu’elle est sans préjudice des actes conclus et des droits acquis avant cette date.


240      Voir article 27 de la directive 2019/790, précisant que les contrats de licence ou de transfert des droits des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants sont soumis à l’obligation de transparence énoncée à l’article 19 de cette directive à partir du 7 juin 2022.


241      Voir considérant 65 de la directive 2019/790.


242      Voir considérants 3 et 4 de la directive 2019/790.


243      En prévoyant que des exploitants tels que YouTube réalisent la « communication au public » des œuvres que les utilisateurs de leurs plateformes y mettent en ligne, le législateur de l’Union entendait remédier au value gap mis en avant par les titulaires de droits (voir point 47 des présentes conclusions). Voir, à cet égard, considérants 3 et 61 de la directive 2019/790 ainsi que proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2016, sur le droit d’auteur sur le marché unique numérique [COM(2016) 593 final], p. 2 et 3.


244      Voir, notamment, en 2010, « Public Consultation on the Future of Electronic Commerce in the Internal Market and the Implementation of the Directive on Electronic Commerce (2000/31/EC) » ; en 2012, « A Clean and Open Internet: Public Consultation on Procedures for Notifying and Acting on Illegal Content Hosted by Online Intermediaries » et, en 2015, « Public Consultation on the Regulatory Environment for Platforms, Online Intermediaries, Data and Cloud Computing and the Collaborative Economy ». De manière similaire, aux États-Unis, le United States Copyright Office  (Bureau du droit d’auteur des États-Unis), à l’issue d’une consultation publique lancée en 2015, a rendu, le 21 mai 2020, un rapport recommandant au United State Congress (Congrès des États-Unis) de moderniser les dispositions de la section 512 introduite par le DMCA (voir Bureau du droit d’auteur des États-Unis, Section 512 Study, accessible à l’adresse https://www.copyright.gov/policy/section512/).


245      Voir communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 11 janvier 2012, « Un cadre cohérent pour renforcer la confiance dans le marché unique numérique du commerce électronique et des services en ligne » [COM(2011) 942 final], p. 13 à 16 ; du 6 mai 2015, « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » [COM(2015)192 final], p. 4, 8 et 12 à 14 ; du 9 décembre 2015, « Vers un cadre moderne et plus européen pour le droit d’auteur » [COM(2015) 626 final], p. 2, 3 et 10 à 12 ; du 25 mai 2016, « Les plateformes en ligne et le marché unique numérique – Perspectives et défis pour l’Europe » [COM(2016) 288 final], p. 8 à 10.


246      Voir directive 2018/1808, laquelle fait entrer les plateformes de partage de vidéos dans le champ de la réglementation des « services de médias audiovisuels » et oblige les exploitants de telles plateformes à prendre des mesures appropriées, réalisables et proportionnées pour protéger les mineurs des vidéos susceptibles de nuire à leur épanouissement et le grand public des vidéos comportant une incitation à la violence, à la haine ou au terrorisme [voir article 1er, paragraphe 1, sous b), et articles 28 bis et 28 ter de la directive 2010/13, ajoutés par la directive 2018/1808]. Voir, également, recommandation 2018/334 sur les mesures destinées à lutter, de manière efficace, contre les contenus illicites en ligne. Voir, encore, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, du 12 septembre 2018, relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne [COM(2018) 640 final].


247      Voir, également, pour des développements en ce sens, Conseil de l’Europe, recommandation CM/Rec(2018)2 du Comité des ministres aux États membres sur les rôles et les responsabilités des intermédiaires d’Internet (adoptée par le Comité des ministres le 7 mars 2018, lors de la 1309e réunion des délégués des ministres), ainsi que Cour EDH, 16 juin 2015, Delfi AS c. Estonie, CE:ECHR:2015:0616JUD006456909.


248      En particulier, les règles prévues aux paragraphes 4 et suivants de l’article 17 de la directive 2019/790 visent, semble-t-il, à offrir certaines garanties aux exploitants concernés ainsi qu’aux utilisateurs de leurs plateformes. Je souligne toutefois que les détails du nouveau régime de responsabilité prévu audit article 17 dépassent l’objet des présentes conclusions. Je n’entends pas non plus exprimer, dans ces conclusions, une opinion sur la compatibilité de ce nouveau régime avec les droits fondamentaux garantis par la Charte. La Cour est saisie, à cet égard, d’un recours en annulation (voir affaire C‑401/19, Pologne/Parlement et Conseil) qui lui donnera l’occasion de se prononcer sur la question.