Language of document : ECLI:EU:C:2020:456

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Assistance mutuelle en matière de recouvrement de créances – Directive 76/308/CEE – Article 6, paragraphe 2, et article 10 – Directive 2008/55/CE –– Article 6, second alinéa, et article 10 – Créance fiscale de l’État membre requérant recouvrée par l’État membre requis – Qualité de cette créance – Notion de “privilège”– Compensation légale entre ladite créance et une dette fiscale de l’État membre requis »

Dans l’affaire C‑19/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 20 décembre 2018, parvenue à la Cour le 11 janvier 2019, dans la procédure

État belge

contre

Pantochim SA, en liquidation,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice‑présidente de la Cour, MM. M. Safjan, L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Pantochim SA, en liquidation, par Me J. Oosterbosch, avocate,

–        pour le gouvernement belge, par MM. P. Cottin et J.-C. Halleux ainsi que par Mme C. Pochet, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, initialement par M. A. Rubio González, puis par M. S. Jiménez García, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin ainsi que par Mmes J. Jokubauskaitė et C. Perrin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 10 de la directive 76/308/CEE du Conseil, du 15 mars 1976, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane (JO 1976, L 73, p. 18), ainsi que de l’article 6, second alinéa, et de l’article 10 de la directive 2008/55/CE du Conseil, du 26 mai 2008, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures (JO 2008, L 150, p. 28).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’État belge à Pantochim SA, en liquidation, au sujet de la compensation d’une créance de cette dernière à l’égard de cet État membre avec une dette de cette société envers l’État allemand.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 76/308

3        Les premier à troisième et huitième considérants de la directive 76/308 énonçaient :

« considérant qu’au stade actuel, une créance faisant l’objet d’un titre établi par les autorités d’un État membre ne peut pas être recouvrée dans un autre État membre ;

considérant que les dispositions nationales en matière de recouvrement constituent, par le seul fait de la limitation de leur champ d’application au territoire national, un obstacle à l’établissement ou au fonctionnement du marché commun; que cette situation ne permet pas l’application intégrale et équitable des réglementations communautaires, notamment dans le domaine de la politique agricole commune, et qu’elle facilite la réalisation d’opérations frauduleuses ;

considérant qu’il est nécessaire, par conséquent, d’arrêter des règles communes d’assistance mutuelle en matière de recouvrement ;

[...]

considérant que, lorsqu’elle est amenée à procéder pour le compte de l’autorité requérante au recouvrement d’une créance, l’autorité requise doit pouvoir, si les dispositions en vigueur dans l’État membre où elle a son siège le permettent et en accord avec l’autorité requérante, octroyer au redevable un délai de paiement ou un paiement échelonné dans le temps ; que les intérêts éventuellement à percevoir en raison de l’octroi de ces facilités de paiement doivent être transférés à l’État membre où l’autorité requérante a son siège ».

4        En vertu de l’article 1er de la directive 76/308, celle-ci fixait les règles que devaient comporter les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en vue d’assurer le recouvrement dans chaque État membre des créances relevant du champ d’application de cette directive qui sont nées dans un autre État membre.

5        L’article 6 de ladite directive disposait :

« 1.      Sur demande de l’autorité requérante, l’autorité requise procède selon les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables pour le recouvrement des créances similaires nées dans l’État membre où elle a son siège, au recouvrement des créances faisant l’objet d’un titre qui en permet l’exécution.

2.      À cette fin, toute créance faisant l’objet d’une demande de recouvrement est traitée comme une créance de l’État membre où l’autorité requise a son siège, sauf application de l’article 12. »

6        L’article 9 de la même directive, telle que modifiée par la directive 2001/44/CE du Conseil, du 15 juin 2001 (JO 2001, L 175, p. 17), prévoyait :

« 1.      Le recouvrement est effectué dans la monnaie de l’État membre où l’autorité requise a son siège. L’autorité requise transfère à l’autorité requérante la totalité du montant de la créance qu’elle a recouvré.

2.      L’autorité requise peut, si les lois, les règlements et les pratiques administratives en vigueur dans l’État membre où elle a son siège le permettent, et après avoir consulté l’autorité requérante, octroyer au redevable un délai de paiement ou autoriser un paiement échelonné. Les intérêts perçus par l’autorité requise du fait de ce délai de paiement sont également à transférer à l’État membre où l’autorité requérante a son siège.

[...] »

7        Aux termes de l’article 10 de la directive 76/308 :

« Les créances à recouvrer ne jouissent d’aucun privilège dans l’État membre où l’autorité requise a son siège. »

8        L’article 10 de la directive 76/308, telle que modifiée par la directive 2001/44, était libellé comme suit :

« Nonobstant l’article 6, paragraphe 2, les créances à recouvrer ne jouissent pas nécessairement des privilèges des créances analogues nées dans l’État membre où l’autorité requise a son siège. »

 La directive 2008/55

9        Les considérants 1 et 10 de la directive 2008/55 énonçaient :

« (1)      La directive [76/308] a été modifiée à plusieurs reprises et de façon substantielle. Il convient, dans un souci de clarté et de rationalité, de procéder à la codification de ladite directive.

[...]

(10)      Lorsqu’elle est amenée à procéder pour le compte de l’autorité requérante au recouvrement d’une créance, l’autorité requise devrait pouvoir, si les dispositions en vigueur dans l’État membre où elle a son siège le permettent et en accord avec l’autorité requérante, octroyer au redevable un délai de paiement ou un paiement échelonné dans le temps. Les intérêts éventuellement à percevoir en raison de l’octroi de ces facilités de paiement devraient être transférés à l’État membre où l’autorité requérante a son siège. »

10      Selon l’article 1er de la directive 2008/55, celle-ci fixait les règles que devaient comporter les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en vue d’assurer le recouvrement dans chaque État membre des créances relevant du champ d’application de cette directive qui sont nées dans un autre État membre.

11      L’article 6 de cette directive disposait :

« Sur demande de l’autorité requérante, l’autorité requise procède selon les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables pour le recouvrement des créances similaires nées dans l’État membre où elle a son siège, au recouvrement des créances faisant l’objet d’un titre qui en permet l’exécution.

À cette fin, toute créance faisant l’objet d’une demande de recouvrement est traitée comme une créance de l’État membre où l’autorité requise a son siège, sauf dans le cas où l’article 12 s’applique. »

12      L’article 10 de ladite directive prévoyait :

« Nonobstant l’article 6, deuxième alinéa, les créances à recouvrer ne jouissent pas nécessairement des privilèges des créances analogues nées dans l’État membre où l’autorité requise a son siège. »

 Le droit belge

13      La directive 76/308 a été transposée en droit belge par la loi du 20 juillet 1979 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certains cotisations, droits, taxes et autres mesures (Moniteur belge du 30 août 1979, p. 9457).

14      Aux termes de l’article 12 de cette loi, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi du 20 juillet 1979 ») :

« L’autorité belge requise procède aux recouvrements demandés par l’autorité étrangère requérante comme s’il s’agissait de créances nées dans le royaume. »

15      L’article 15 de la loi du 20 juillet 1979 était libellé comme suit :

« Les créances à recouvrer ne jouissent d’aucun privilège. »

16      L’article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004 (Moniteur belge du 31 décembre 2004, p. 87006), dans sa version applicable jusqu’au 7 janvier 2009, énonçait :

« Toute somme à restituer ou à payer à un redevable dans le cadre de l’application des dispositions légales en matière d’impôts sur les revenus et de taxes assimilées, de taxe sur la valeur ajoutée ou en vertu des règles de droit civil relatives à la répétition de l’indu peut être affectée sans formalités par le fonctionnaire compétent au paiement des précomptes, des impôts sur les revenus, des taxes y assimilées, de la taxe sur la valeur ajoutée, en principal, additionnels et accroissements, des amendes administratives ou fiscales, des intérêts et des frais dus par ce redevable, lorsque ces derniers ne sont pas ou plus contestés.

L’alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d’insolvabilité. »

17      L’article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, tel que modifié par l’article 194 de la loi-programme du 22 décembre 2008 (Moniteur belge du 29 décembre 2008, p. 68649), applicable à partir du 8 janvier 2009, disposait :

« Toute somme à restituer ou à payer à une personne, soit dans le cadre de l’application des lois d’impôts qui relèvent de la compétence du service public fédéral Finances ou pour lesquelles la perception et le recouvrement sont assurés par ce service public fédéral, soit en vertu des dispositions du droit civil relatives à la répétition de l’indu, peut être affectée sans formalités et au choix du fonctionnaire compétent au paiement des sommes dues par cette personne en application des lois d’impôts concernées ou au règlement de créances fiscales ou non-fiscales dont la perception et le recouvrement sont assurés par le service public fédéral des Finances par ou en vertu d’une disposition ayant force de loi. Cette affectation est limitée à la partie non contestée des créances à l’égard de cette personne.

L’alinéa précédent reste applicable en cas de saisie, de cession, de situation de concours ou de procédure d’insolvabilité. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

18      Pantochim a été mise en liquidation par un jugement du 26 juin 2001 du tribunal de commerce de Charleroi (Belgique).

19      Dans le cadre de cette liquidation, l’État belge a déclaré une créance privilégiée en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui a été totalement apurée par Pantochim, ainsi qu’une créance de l’État allemand d’un montant de 634 257,50 euros, comprenant de la TVA et des intérêts, qui a été admise au passif de cette société à titre chirographaire.

20      Il ressort de la décision de renvoi que cette créance de l’État allemand a fait l’objet d’une demande d’assistance au recouvrement par cet État membre et qu’aucune contestation n’est soulevée quant à l’existence et à la régularité de cette demande.

21      Pour sa part, Pantochim détient, à l’égard de l’État belge, une créance résultant de l’application de dispositions en matière fiscale, que cet État entend compenser, sur le fondement de l’article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, avec la créance susmentionnée de l’État allemand.

22      Pantochim s’est opposée à cette compensation et a saisi le tribunal de première instance du Hainaut, division de Mons (Belgique), lequel a jugé que l’État belge n’était pas fondé, en droit, à opposer une telle compensation.

23      Par un arrêt du 27 juin 2016, la cour d’appel de Mons (Belgique) a confirmé cette décision et a condamné l’État belge à payer une somme de 502 991,47 euros à Pantochim, augmentée des intérêts.

24      L’État belge a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, la Cour de cassation (Belgique).

25      C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La disposition [selon laquelle] la créance faisant l’objet d’une demande de recouvrement “est traitée comme une créance de l’État membre où l’autorité requise a son siège”, ainsi que cela est prévu à l’article 6, [second] alinéa, de la directive [2008/55], qui se substitue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive [76/308], doit-elle être comprise en ce sens que la créance de l’État requérant est assimilée à celle de l’État requis en sorte que la créance de l’État requérant acquiert la qualité de créance de l’État requis ?

2)      Le terme “privilège” visé à l’article 10 de la directive [2008/55] et, avant la codification, par l’article 10 de la directive [76/308] doit-il s’entendre du droit préférentiel attaché à la créance qui lui confère un droit de priorité sur les autres créances en cas de concours, ou de tout mécanisme qui a pour effet d’aboutir, en cas de concours, à un paiement préférentiel de la créance ?

La faculté dont dispose l’administration fiscale d’opérer, dans les conditions prévues à l’article 334 de la loi-programme du 27 [décembre] 2004, une compensation en cas de concours doit-elle être considérée comme un privilège au sens de l’article 10 des directives précitées ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 2, de la directive 76/308 et l’article 6, second alinéa, de la directive 2008/55 doivent être interprétés en ce sens que la créance de l’État membre requérant est assimilée à une créance de l’État membre requis et acquiert la qualité de créance de ce dernier.

27      À titre liminaire, il importe de relever que la directive 76/308 et la directive 2008/55, visées par les questions préjudicielles, bien que désormais abrogées, étaient en vigueur au moment des faits du litige au principal. En effet, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, l’État belge a procédé à l’imputation, en apurement de la créance de l’État allemand faisant l’objet de la demande de recouvrement en cause au principal, de différentes créances fiscales que Pantochim était fondée à faire valoir auprès de l’administration fiscale belge entre le 1er janvier 2005 et le 20 avril 2009.

28      Selon l’article 6, paragraphe 2, de la directive 76/308 et l’article 6, second alinéa, de la directive 2008/55, qui doivent, respectivement, être lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 76/308 et l’article 6, premier alinéa, de la directive 2008/55, lorsqu’une créance fait l’objet d’une demande de recouvrement, celle-ci est traitée « comme » une créance de l’État membre requis, ce dernier devant procéder au recouvrement de cette créance selon les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables pour le recouvrement des créances similaires de cet État membre.

29      Il résulte ainsi des libellés mêmes de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 76/308 et de l’article 6, second alinéa, de la directive 2008/55 qu’une créance faisant l’objet d’une demande de recouvrement n’acquiert pas la qualité de créance de l’État membre requis, mais qu’elle est « traitée comme » une créance de cet État aux seules fins de son recouvrement par celui-ci, ce dernier étant ainsi amené à mettre en œuvre les compétences et les procédures définies par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables aux créances relatives aux droits, impôts ou taxes identiques ou similaires dans son ordre juridique (voir, par analogie, arrêt du 26 avril 2018, Donnellan, C‑34/17, EU:C:2018:282, point 48).

30      Par conséquent, si, en vertu de ces dispositions, l’État membre requis est, aux fins du recouvrement d’une créance faisant l’objet d’une telle demande, tenu de traiter cette dernière de la même manière que ses propres créances (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2010, Kyrian, C‑233/08, EU:C:2010:11, point 43), cela n’implique pas une cession de la créance concernée de l’État membre requérant à l’État membre requis. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 35 de ses conclusions, cette créance demeure, d’un point de vue matériel, une créance de l’État membre requérant, distincte de celles de l’État membre requis.

31      Cette interprétation est également confortée par le libellé de l’article 10 de la directive 76/308, telle que modifiée par la directive 2001/44, et celui de l’article 10 de la directive 2008/55, aux termes desquels les créances à recouvrer ne jouissent pas nécessairement des privilèges des créances analogues nées dans l’État membre requis.

32      Il ressort également de l’article 9 de la directive 76/308, telle que modifiée par la directive 2001/44, et de l’article 9 de la directive 2008/55 que la créance de l’État membre requérant, recouvrée par l’État membre requis, n’acquiert pas la qualité de créance de ce dernier, puisque ces dispositions prévoient que l’État membre requis est tenu de transférer à l’État membre requérant la totalité du montant de la créance qu’il a recouvré ainsi que, le cas échéant, les intérêts dus au titre de l’octroi d’un délai de paiement.

33      En outre, il découle du considérant 8 de la directive 76/308 et du considérant 10 de la directive 2008/55 que l’intention du législateur de l’Union a été que l’État membre requis procède au recouvrement d’une créance « pour le compte » de l’État membre requérant.

34      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 76/308 et l’article 6, second alinéa, de la directive 2008/55 doivent être interprétés en ce sens que la créance de l’État membre requérant n’est pas assimilée à une créance de l’État membre requis et n’acquiert pas la qualité de créance de ce dernier.

 Sur la seconde question

35      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10 de la directive 76/308 et l’article 10 de la directive 2008/55 doivent être interprétés en ce sens que le terme « privilège », visé à ces dispositions, fait référence à un droit préférentiel attaché à une créance, conférant à celle-ci un droit de priorité sur les autres créances en cas de concours, ou à tout mécanisme ayant pour effet d’aboutir, en cas de concours, à un paiement préférentiel de cette créance. Cette juridiction demande également si l’article 10 de la directive 76/308 et l’article 10 de la directive 2008/55 doivent être interprétés en ce sens que la faculté, dont dispose l’administration fiscale d’un État membre requis, d’opérer une compensation en cas de concours constitue un « privilège », au sens de ces dispositions.

36      Il y a lieu de relever que les directives 76/308 et 2008/55 ne définissent pas le terme « privilège » ni ne comportent un renvoi au droit des États membres à cette fin.

37      Selon la jurisprudence de la Cour, les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, notamment, arrêts du 13 octobre 2016, Mikołajczyk, C‑294/15, EU:C:2016:772, point 44, et du 16 novembre 2017, Kozuba Premium Selection, C‑308/16, EU:C:2017:869, point 38).

38      Concernant l’objectif poursuivi par les directives 76/308 et 2008/55, il convient de rappeler que, conformément à leur article 1er respectif, celles-ci établissent des règles communes concernant l’assistance mutuelle afin de garantir le recouvrement dans chaque État membre des créances relevant du champ d’application de ces directives qui sont nées dans un autre État membre.

39      Il découle des premier à troisième considérants de la directive 76/308 que celle-ci a pour objet de supprimer les obstacles à l’établissement et au fonctionnement du marché commun découlant de la limitation territoriale du champ d’application des dispositions nationales en matière de recouvrement (arrêt du 18 octobre 2012, X, C‑498/10, EU:C:2012:635, point 45).

40      Cette directive prévoit ainsi des mesures d’assistance sous forme de communication des renseignements utiles pour le recouvrement, de notification des actes au destinataire ainsi que sous forme de recouvrement des créances faisant l’objet d’un titre qui en permet l’exécution (arrêt du 18 octobre 2012, X, C‑498/10, EU:C:2012:635, point 46).

41      S’agissant du contexte des dispositions concernées, il importe de rappeler que l’article 10 de ladite directive prévoit que les créances à recouvrer ne jouissent d’aucun privilège dans l’État membre requis. Il établit ainsi la règle selon laquelle les privilèges reconnus aux créances de l’État membre requis ne sont pas accordés aux créances faisant l’objet d’une demande de recouvrement.

42      Cet article 10 a été modifié par la directive 2001/44, puis remplacé par l’article 10 de la directive 2008/55. Ces directives ont introduit, par dérogation à cette règle, la possibilité, pour l’État membre requis, d’accorder ces privilèges aux créances à recouvrer de l’État membre requérant.

43      Ces dispositions corroborent le fait que, même si, ainsi qu’il a été relevé aux points 28 à 30 du présent arrêt, ces créances doivent, aux fins de leur recouvrement, être traitées de la même manière que les créances de l’État membre requis, elles sont néanmoins distinctes de ces dernières et elles ne jouissent pas, en principe, de privilèges dans cet État membre.

44      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de retenir une acception large du terme « privilège », visé auxdites dispositions, englobant l’ensemble des mécanismes permettant à l’État membre requis d’obtenir, en cas de concours, le paiement préférentiel ou prioritaire de ses créances, par dérogation au principe de l’égalité des créanciers.

45      S’agissant de la faculté de compensation en cause au principal, dont dispose l’administration fiscale belge à l’égard de ses propres créances fiscales, les indications fournies par la juridiction de renvoi ne permettent pas de déterminer si le recours à cette faculté permet à cette administration d’obtenir, en cas de concours, un paiement préférentiel ou prioritaire de ses créances ou si elle constitue un mécanisme de compensation de droit commun.

46      Dans l’hypothèse où ladite faculté constituerait un mécanisme de compensation de droit commun, destiné à simplifier la procédure de recouvrement, sans conférer à l’État belge un droit de préférence ou de priorité aux fins du paiement de ses créances ni un quelconque privilège dérogeant au principe de l’égalité des créanciers, elle devrait être regardée comme relevant de l’article 6 de la directive 76/308 et de l’article 6 de la directive 2008/55, de telle sorte que cet État devrait également y recourir pour recouvrer les créances d’un autre État membre faisant l’objet d’une demande de recouvrement, au titre de ces directives.

47      Dans l’hypothèse contraire, où le recours à la faculté de compensation en cause au principal aurait pour effet de conférer à l’État belge un tel droit de préférence ou de priorité dont ne disposeraient pas les autres créanciers, cette faculté constituerait, en tant que dérogation au principe de l’égalité des créanciers se trouvant dans une situation de concours, un « privilège », au sens de l’article 10 de la directive 76/308 et de l’article 10 de la directive 2008/55.

48      Dans cette hypothèse, l’État belge ne pourrait pas recourir à ladite faculté aux fins de recouvrer les créances d’un autre État membre faisant l’objet d’une demande de recouvrement, au titre de ces directives, puisqu’il ressort de la décision de renvoi que, conformément à l’article 15 de la loi du 20 juillet 1979, les créances à recouvrer ne jouissent d’aucun privilège.

49      En toute hypothèse, il importe de souligner que l’État membre requis ne saurait avoir recours à une faculté de compensation telle que celle en cause au principal qu’au profit et au bénéfice de l’État membre requérant.

50      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question que :

–        l’article 10 de la directive 76/308 et l’article 10 de la directive 2008/55 doivent être interprétés en ce sens que le terme « privilège », visé à ces dispositions, fait référence à tout mécanisme ayant pour effet d’aboutir, en cas de concours, à un paiement préférentiel d’une créance.

–        l’article 10 de la directive 76/308 et l’article 10 de la directive 2008/55 doivent être interprétés en ce sens que la faculté, dont dispose l’État membre requis, d’opérer une compensation en cas de concours constitue un privilège, au sens de ces dispositions, lorsque le recours à cette faculté a pour effet de conférer à cet État membre un droit de préférence ou de priorité aux fins du paiement de ses créances, dont ne disposent pas les autres créanciers, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 6, paragraphe 2, de la directive 76/308/CEE du Conseil, du 15 mars 1976, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d’opérations faisant partie du système de financement du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane, et l’article 6, second alinéa, de la directive 2008/55/CE du Conseil, du 26 mai 2008, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures, doivent être interprétés en ce sens que la créance de l’État membre requérant n’est pas assimilée à une créance de l’État membre requis et n’acquiert pas la qualité de créance de ce dernier.

2)      L’article 10 de la directive 76/308 et l’article 10 de la directive 2008/55 doivent être interprétés en ce sens que :

–        le terme « privilège », visé à ces dispositions, fait référence à tout mécanisme ayant pour effet d’aboutir, en cas de concours, à un paiement préférentiel d’une créance ;

–        la faculté, dont dispose l’État membre requis, d’opérer une compensation en cas de concours constitue un privilège, au sens de ces dispositions, lorsque le recours à cette faculté a pour effet de conférer à cet État membre un droit de préférence ou de priorité aux fins du paiement de ses créances, dont ne disposent pas les autres créanciers, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

Bonichot

Silva de Lapuerta

Safjan

Bay Larsen

 

Toader

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juin 2020.

Le greffier

Le président de la Ière chambre

A. Calot Escobar

 

J.-C. Bonichot


*      Langue de procédure : le français.