Language of document : ECLI:EU:C:2015:666

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 6 octobre 2015 (1)

Affaire C‑308/14

Commission européenne

contre

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

«Manquement d’État – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) nº 883/2004 – Article 4 – Égalité de traitement en matière d’accès aux prestations de sécurité sociale – Prestations familiales – Droit de séjour – Directive 2004/38/CE – Législation nationale refusant l’octroi d’allocations familiales et d’un crédit d’impôt pour enfant aux personnes qui ne disposent pas d’un droit de séjour dans l’État membre en cause»





1.        La Commission européenne reproche au Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du règlement (CE) nº 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (2) en soumettant les demandeurs de certaines prestations sociales à un «test de droit de séjour» qui ne serait pas conforme à l’esprit dudit règlement et qui serait également discriminatoire.

2.        Dans ce cadre, la Cour doit à nouveau faire face, comme dans les récentes affaire Brey (3), Dano (4) et Alimanovic (5), à la question de la relation entre le règlement nº 883/2004 et la directive 2004/38/CE (6). En l’espèce, la question de la légitimité de la prise en considération de la légalité du séjour dans le contexte de l’octroi de prestations sociales se pose également, bien qu’avec d’importantes différences. Ainsi, alors que, dans ces affaires préjudicielles, la problématique portait sur l’interprétation de cette directive, avec le règlement nº 883/2004 en arrière-plan, la présente affaire porte sur un problème de respect de ce règlement dans le cadre duquel se pose la question de la pertinence même de l’application de ladite directive dans les circonstances de l’espèce.

3.        Le grief de traitement discriminatoire soulevé à l’encontre du Royaume‑Uni, qui constitue en réalité le grief principal, nous amènera en substance à faire une distinction basique entre deux questions: d’une part, la question de principe visant à savoir si, du fait de l’application du règlement précité, les dispositions de la directive 2004/38 qui encadrent la légalité du séjour d’un citoyen de l’Union dans un État membre autre que le sien doivent ou non être mises entre parenthèses et, d’autre part, la question, en soi différente, des circonstances et conditions dans lesquelles la vérification de ce séjour légal est, le cas échéant, compatible avec le principe de non-discrimination visé à l’article 4 du règlement nº 883/2004.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      Le règlement nº 883/2004

4.        L’article 1er, sous j) et z), du règlement nº 883/2004 dispose:

«Aux fins du présent règlement:

[…]

j)      le terme ‘résidence’ désigne le lieu où une personne réside habituellement;

[…]

z)      le terme ‘prestations familiales’ désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’annexe I.» 

5.        En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous j), dudit règlement:

«1.      Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:

[…]

j)      les prestations familiales.»

6.        L’article 4 du règlement nº 883/2004, intitulé «Égalité de traitement», dispose:

«À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci.» 

7.        L’article 11, paragraphes 1 et 3, sous e), de ce règlement dispose:

«1.      Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[…]

3.      Sous réserve des articles 12 à 16:

[…]

e)      les personnes autres que celles visées aux points a) à d) sont soumises à la législation de l’État membre de résidence, sans préjudice d’autres dispositions du présent règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres États membres.»

8.        L’article 67 du règlement nº 883/2004 dispose:

«Une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier État membre. […]» 

2.      La directive 2004/38

9.        Le libellé de l’article 7 de la directive 2004/38 est le suivant:

«1.      Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

a)      s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil; ou

b)      s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil; ou,

c)      –       s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et

–      s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour; ou

d)      si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).

[…]

3.      Aux fins du paragraphe 1, point a), le citoyen de l’Union qui n’exerce plus d’activité salariée ou non salariée conserve la qualité de travailleur salarié ou de non salarié dans les cas suivants:

a)      s’il a été frappé par une incapacité de travail temporaire résultant d’une maladie ou d’un accident;

b)      s’il se trouve en chômage involontaire dûment constaté après avoir été employé pendant plus d’un an et s’est fait enregistré en qualité de demandeur d’emploi auprès du service de l’emploi compétent;

c)      s’il se trouve en chômage involontaire dûment constaté à la fin de son contrat de travail à durée déterminée inférieure à un an ou après avoir été involontairement au chômage pendant les douze premiers mois et s’est fait enregistré en qualité de demandeur d’emploi auprès du service de l’emploi compétent; dans ce cas, il conserve le statut de travailleur pendant au moins six mois;

d)      s’il entreprend une formation professionnelle. À moins que l’intéressé ne se trouve en situation de chômage involontaire, le maintien de la qualité de travailleur suppose qu’il existe une relation entre la formation et l’activité professionnelle antérieure.

[…]»

10.      En vertu de l’article 14 de ladite directive:

«1.      Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.

2.      Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncées dans ces articles.

Dans certains cas spécifiques lorsqu’il est permis de douter qu’un citoyen de l’Union ou les membres de sa famille remplissent les conditions énoncées aux articles 7, 12 et 13, les États membres peuvent vérifier si c’est effectivement le cas. Cette vérification n’est pas systématique.

3.      Le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement.

[…]»

11.      Conformément à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2004/38, «[l]es procédures prévues aux articles 30 et 31 s’appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique».

12.      L’article 24 de ladite directive, intitulé «Égalité de traitement», dispose: 

«1.      Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille.» 

B –    Le droit britannique

13.      La législation britannique pertinente sera présentée au fil des présentes conclusions.

II – La procédure précontentieuse

14.      Au cours de l’année 2008, la Commission a reçu de nombreuses plaintes de ressortissants d’autres États membres résidant au Royaume-Uni, qui dénonçaient le fait que les autorités britanniques compétentes leur avaient refusé le bénéfice de certaines prestations sociales au motif qu’ils ne jouissaient pas d’un droit de séjour dans ce pays.

15.      La Commission a envoyé une demande de clarification à cet État membre, qui a répondu, par deux lettres datées du 1er octobre 2008 et du 20 janvier 2009, que, conformément à la législation britannique, alors que le droit de séjourner au Royaume-Uni est conféré à tous les ressortissants britanniques, il est considéré, dans certaines circonstances, que les ressortissants d’autres États membres n’en jouissent pas. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, cette restriction est fondée sur la notion de «droit de séjour» au sens de la directive 2004/38 et sur les limitations de ce droit établies par ladite directive, en particulier en ce qui concerne l’exigence qu’une personne économiquement non active dispose de ressources financières suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.

16.      Le 4 juillet 2010, la Commission a adressé au Royaume-Uni une lettre de mise en demeure concernant les dispositions de sa législation qui prévoient que, pour être admis au bénéfice de certaines prestations, les demandeurs doivent, à titre de condition préalable pour être considérés comme résidant habituellement au Royaume-Uni, avoir le droit d’y séjourner.

17.      Le 30 juillet 2010, le gouvernement du Royaume-Uni a répondu à la lettre de mise en demeure en exposant que son système national n’était pas discriminatoire et que la condition relative au droit de séjour se justifiait comme mesure proportionnée visant à garantir que les prestations soient versées à des personnes suffisamment intégrées au Royaume-Uni.

18.      La Commission a émis un avis motivé le 29 septembre 2011, auquel le Royaume-Uni a répondu par une lettre du 29 novembre 2011.

19.      Peu convaincue par cette réponse, la Commission a formé le présent recours en manquement. Eu égard aux considérations exposées par la Cour dans l’arrêt Brey (7), rendu au mois de septembre 2013, la Commission a décidé de restreindre son recours aux prestations familiales susmentionnées, à savoir les allocations familiales et le crédit d’impôt pour enfant, en excluant les «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» qui faisaient également l’objet de l’avis motivé et qui, conformément à cet arrêt, peuvent être qualifiées d’«assistance sociale» aux fins de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38.

III – La procédure devant la Cour

A –    Le recours de la Commission

1.      Le grief principal

20.      Le principal grief que la Commission soulève à l’encontre du Royaume‑Uni réside dans le fait qu’en exigeant du demandeur d’allocations familiales ou d’un crédit d’impôt pour enfant qu’il ait un droit de séjour au Royaume-Uni à titre de condition pour être traité comme résidant habituellement (8) dans le pays, le Royaume-Uni a ajouté une condition qui ne figure pas dans le règlement nº 883/2004 et qui prive les personnes qui ne la remplissent pas de la couverture de la législation en matière de sécurité sociale dans certains États membres, couverture que ledit règlement vise à assurer.

21.      Selon la Commission, l’article 1er, sous j), du règlement n° 883/2004 définit la «résidence», aux fins dudit règlement, comme «le lieu où une personne réside habituellement» (9). Pour la Commission, ce lieu est déterminé en fonction d’aspects purement factuels, à savoir l’endroit où se trouve le centre des intérêts de l’intéressé, l’article 7 de la directive 2004/38 n’ayant aucune influence à cet égard. La Commission ajoute que l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement nº 883/2004 établit un système de règles de conflit en vue de déterminer l’État membre dont la législation s’applique aux personnes qui relèvent du règlement n° 883/2004. Or, toujours selon la Commission, la condition relative au «droit de séjour» fixée par le Royaume-Uni «laisse inappliquées» les dispositions dudit règlement qui définissent la législation applicable, de telle sorte qu’aucun État membre n’est tenu de verser certaines prestations familiales aux personnes concernées, alors qu’elles vivent dans un État membre et qu’elles ont des enfants à charge.

2.      Le grief subsidiaire

22.      Subsidiairement, la Commission considère qu’en imposant une condition au droit à certaines prestations de sécurité sociale qui est automatiquement remplie par ses propres ressortissants, le Royaume-Uni a créé une situation de discrimination directe à l’encontre des ressortissants d’autres États membres et a donc violé l’article 4 du règlement nº 883/2004.

23.      Selon la Commission, le Royaume-Uni a, au cours de la procédure précontentieuse, changé de position, en soutenant d’abord que le critère du «droit de séjour» était une composante, parmi d’autres, du test de la résidence habituelle (10), puis qu’il s’agissait d’une condition distincte, discriminatoire, mais justifiée. La Commission – qui s’appuie sur les conclusions que l’avocat général Sharpston a présentées dans l’affaire Bressol e.a. (11) – estime que le critère du droit de séjour constitue une discrimination directe fondée sur la nationalité. Il s’agit d’une condition qui s’applique uniquement aux étrangers, puisque les ressortissants britanniques qui résident au Royaume-Uni la remplissent automatiquement, et la Commission considère qu’elle porte atteinte au principe d’égalité visé à l’article 4 du règlement nº 883/2004. S’agissant d’une discrimination directe, la Commission indique que rien ne saurait la justifier.

24.      Même si l’on considère qu’il s’agit d’une discrimination indirecte, comme l’affirme le Royaume-Uni, ce dernier n’a, selon la Commission, fourni aucun argument permettant de considérer que l’inégalité de traitement en cause est appropriée et proportionnée par rapport au but de garantir l’existence d’un lien véritable entre le demandeur de la prestation et l’État membre d’accueil.

25.      Par ailleurs, le Royaume-Uni a affirmé que les personnes économiquement non actives ne devraient pas devenir une charge pour le système de protection sociale de l’État d’accueil, sauf dans le cas où il existe un certain degré de rattachement entre elles et cet État. La Commission admet qu’un État membre veuille s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur de la prestation et l’État membre compétent, mais, dans le cas des prestations de sécurité sociale, c’est le législateur lui-même, dans le règlement nº 883/2004, qui détermine les moyens de vérifier l’existence de ce lien réel (en l’espèce, grâce au critère de la résidence habituelle), sans que les États membres puissent en modifier les dispositions ou ajouter des exigences supplémentaires. Selon la Commission, le Royaume-Uni n’a même pas tenté d’expliquer en quoi le critère du droit de séjour est approprié pour déterminer s’il existe, entre une personne et le Royaume-Uni, un lien suffisant pour que cette personne puisse se voir octroyer des prestations de sécurité sociale en vertu du règlement nº 883/2004.

B –    Le mémoire en défense

26.      Dans son mémoire en défense, le Royaume-Uni conteste le grief principal de la Commission en invoquant, fondamentalement, l’arrêt Brey (12), dans lequel la Cour, qui a rejeté des arguments identiques à ceux que la Commission invoque en l’espèce, a jugé que «rien ne s’oppose, en principe, à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil» (point 44). La Cour a également déclaré que l’article 70, paragraphe 4, du règlement n° 883/2004 – qui prévoit, à l’instar de l’article 11, une «règle de conflit» qui a pour but d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application dudit règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable – n’a pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations en cause dans cette affaire (prestations spéciales en espèces à caractère non contributif), et qu’«il appartient en principe à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions» (point 41). Selon le Royaume-Uni, le même raisonnement s’applique à la règle de conflit de l’article 11 du règlement n° 883/2004, qui remplit la même fonction que l’article 70, paragraphe 4, dudit règlement (qui vise spécifiquement les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif), aux fins de la détermination de la législation qui s’applique au demandeur.

27.      S’agissant du grief subsidiaire de la Commission, le Royaume-Uni affirme que le grief tenant à la discrimination directe ne figure pas dans l’avis motivé que la Commission lui a envoyé au cours de la procédure précontentieuse et apparaît pour la première fois dans la requête. Il considère que la Cour a déjà jugé dans plusieurs arrêts qu’il peut légitimement être exigé de ressortissants de l’Union économiquement non actifs qu’ils établissent avoir un droit de séjour pour pouvoir bénéficier de prestations de sécurité sociale et que le législateur, dans la directive 2004/38, l’autorise également expressément, afin que lesdits citoyens ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. Le principe d’égalité de traitement visé à l’article 4 du règlement nº 883/2004 doit être lu au regard de ce principe.

28.      Le Royaume-Uni observe que l’exigence tenant au droit de séjour n’est que l’une des trois conditions cumulatives qui doivent être remplies afin d’établir que le demandeur se trouve au Royaume-Uni. Les deux autres conditions (la présence et la résidence habituelle) peuvent être remplies indépendamment de la nationalité du demandeur, de sorte qu’un ressortissant britannique ne remplira pas automatiquement la condition tenant au fait de «se trouver au Royaume‑Uni», qui ouvre le droit aux prestations litigieuses. Toutefois, le Royaume-Uni reconnaît (13) que ces conditions sont remplies plus facilement par ses propres ressortissants que par ceux d’autres États membres et qu’il s’agit d’une mesure indirectement discriminatoire (14). Or, le Royaume-Uni considère que – comme le confirme la Cour au point 44 de l’arrêt Brey (15) dans un contexte similaire – la mesure est objectivement justifiée par la protection des finances publiques, étant donné que les deux prestations en cause sont financées non pas par les contributions des bénéficiaires, mais par l’impôt. De plus, rien n’indique que cette mesure serait disproportionnée pour atteindre l’objectif poursuivi, dans les termes exposés dans l’arrêt Brey (16).

C –    Le mémoire en réplique

29.      En ce qui concerne le grief principal, la Commission observe, dans son mémoire en réplique, que l’arrêt Brey (17) concernait seulement l’application de la directive 2004/38 aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, qui possèdent à la fois les caractéristiques de sécurité sociale et d’assistance sociale, alors que la présente affaire porte sur deux prestations familiales au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement nº 883/2004, c’est-à-dire de véritables prestations de sécurité sociale, auxquelles la directive 2004/38 ne s’applique pas. En ce sens, la Commission renvoie à un problème de traduction de l’arrêt Brey; ainsi, alors qu’au point 44 de la version en langue anglaise de celui‑ci la Cour parle de «social security benefits», dans la version en langue allemande de l’arrêt (version authentique, s’agissant d’une affaire autrichienne), elle emploie le terme «Sozialleistungen» (18).

30.      La Commission attire l’attention sur le fait que la législation du Royaume‑Uni, au lieu de favoriser la libre circulation des citoyens de l’Union, ce qui est l’objectif sous-jacent de la législation de l’Union en matière de coordination des régimes de sécurité sociale, entrave celle-ci, en introduisant un obstacle à cette liberté qui prend la forme d’une discrimination fondée sur la nationalité, qui a pour conséquence qu’une personne peut n’avoir droit aux prestations familiales litigieuses ni dans son État d’origine, dans lequel elle n’a plus sa résidence habituelle, ni dans l’État d’accueil, si elle ne jouit pas du droit de séjour dans celui-ci.

31.      En ce qui concerne le grief subsidiaire, la Commission critique, dans son mémoire en réplique, le fait que le Royaume-Uni interprète la règle de conflit de l’article 11 du règlement nº 883/2004 en ce sens qu’elle permettrait à un État membre d’introduire une condition discriminatoire pour l’accès au bénéfice d’une prestation de sécurité sociale. Le principe en vertu duquel les États membres peuvent imposer des restrictions légitimes afin d’éviter qu’un citoyen de l’Union ne devienne une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil est limité à l’assistance sociale et ne s’étend pas aux prestations de sécurité sociale. C’est justement parce que le mécanisme de coordination des régimes de sécurité sociale attribue la responsabilité du paiement des prestations familiales à l’État membre dans lequel le parent a sa résidence habituelle que l’objectif de protection des finances publiques invoqué par le Royaume-Uni n’est pas légitime. Quoi qu’il en soit, le critère fixé par le Royaume-Uni n’est pas proportionné en vue d’atteindre cet objectif (ainsi, une personne qui a payé des impôts au Royaume-Uni pendant de nombreuses années, mais qui se retrouve ensuite au chômage pendant un certain temps, peut perdre son droit de séjour dans ce pays et, par conséquent, le droit à la prestation en cause) et ne garantit pas non plus qu’une appréciation des circonstances du cas concret soit effectuée, comme l’exige la Cour dans l’arrêt Brey (19).

D –    Le mémoire en duplique

32.      Dans son mémoire en duplique, le Royaume-Uni insiste sur le fait que son droit national peut être applicable en vertu des règles de conflit du règlement n° 883/2004 et qu’une personne qui a sa résidence habituelle sur son territoire peut, malgré tout, ne pas avoir droit aux prestations sociales en cause.

33.      Le Royaume-Uni considère que l’expression «social benefits» est plus large que «social security benefits» et que, si dans l’arrêt Brey (20) la Cour emploie la première expression au lieu de la seconde dans les versions en langues allemande et française, cette circonstance élargit en tout cas le champ d’application du principe énoncé au point 44 de l’arrêt, qui couvre également les prestations de sécurité sociale. Il ne ressort en aucun cas de l’arrêt Brey que les considérations exposées par la Cour se limiteraient exclusivement aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif. Il en va de même en ce qui concerne l’arrêt Dano (21).

34.      De plus, selon le Royaume-Uni, il est difficile de concevoir que les États membres ne soient pas tenus de verser des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, qui garantissent un revenu minimal de subsistance, aux citoyens de l’Union qui n’ont pas de droit de séjour, alors qu’ils seraient en revanche tenus de leur verser des prestations telles que celles qui font l’objet du litige, qui vont au-delà de la garantie d’un revenu minimal de subsistance et qui, comme elles sont financées par l’impôt, peuvent également représenter une charge déraisonnable pour les finances publiques au sens de l’arrêt Brey (22). Le Royaume‑Uni ajoute que les deux prestations litigieuses en l’espèce présentent en tout cas des caractéristiques propres à l’assistance sociale, bien qu’il ne s’agisse pas d’une condition requise pour que le principe établi dans l’arrêt Brey (qui concerne, en général, les «prestations sociales») soit également applicable aux prestations qui font l’objet du présent recours en manquement. Selon le Royaume‑Uni, la Cour a confirmé dans l’arrêt Dano (23) que seuls les citoyens de l’Union économiquement non actifs dont le séjour remplit les conditions qui figurent à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 peuvent, en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales, prétendre à un droit à l’égalité de traitement par rapport aux ressortissants nationaux.

35.      En ce qui concerne l’argument de la Commission en vertu duquel la législation britannique ne permet pas une appréciation des circonstances du cas concret, comme l’exige la Cour dans l’arrêt Brey (24), le Royaume-Uni soutient que cet argument apparaît pour la première fois dans le mémoire en réplique de la Commission et n’a pas été mentionné au cours de la procédure précontentieuse, sa recevabilité étant donc exclue conformément à l’article 127 du règlement de procédure de la Cour de justice.

36.      En tout état de cause, le Royaume-Uni explique (25) comment fonctionne, en pratique, l’octroi des deux prestations litigieuses. Le service qui gère ces deux prestations, les Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs, prend en compte, parmi d’autres données, les informations fournies par le Department for Work and Pensions quant à la question de savoir si une personne a eu recours à l’assistance sociale. Ces informations lui permettent de déterminer si l’intéressé dispose d’un droit de séjour au Royaume-Uni et donc s’il peut bénéficier des prestations litigieuses. Lorsqu’il existe des doutes quant à la question de savoir si le demandeur dispose ou non de ce droit de séjour, il est procédé à une évaluation individuelle de la situation personnelle du demandeur, y compris en ce qui concerne l’historique de ses cotisations et la question de savoir s’il cherche activement du travail et a une chance réelle d’être embauché.

37.      Une audience s’est tenue le 4 juin 2015, au cours de laquelle les deux parties ont, pour l’essentiel, repris les arguments exposés et ont répondu aux questions de la Cour.

IV – Appréciation

A –    Introduction

38.      Comme nous l’avons déjà indiqué, par le présent recours, la Commission demande à la Cour de constater que le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4 du règlement nº 883/2004 en soumettant les demandeurs d’allocations familiales ou d’un crédit d’impôt pour enfant à un contrôle – ou test – relatif au séjour légal sur son territoire.

39.      Au soutien de son recours, la Commission fait valoir un grief principal et un grief subsidiaire. Par son grief principal, la Commission soutient que le Royaume-Uni a ajouté un test de séjour légal dans le cadre de l’examen de la condition relative à la résidence habituelle, prévue à l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement n° 883/2004, en imposant ainsi une condition supplémentaire qui n’est pas prévue par cette disposition. Subsidiairement, la Commission soutient que cet État membre impose une condition qui ne s’applique qu’aux étrangers (puisque les ressortissants du Royaume-Uni jouissent par principe d’un droit de séjour dans cet État), ce qui constitue une discrimination prohibée en vertu de l’article 4 dudit règlement.

40.      Par conséquent, au vu de l’approche de la Commission, il conviendrait en principe d’analyser ces griefs dans l’ordre de priorité indiqué: d’abord celui relatif au caractère irrégulier de l’ajout d’un test de séjour légal à ce qui, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement nº 883/2004, est un «test» de résidence habituelle; ensuite le grief relatif à la discrimination résultant du fait de soumettre les citoyens de l’Union non britanniques à un test de séjour légal, qui n’est pas exigé des ressortissants britanniques. Pour les raisons exposées ci‑dessous, ce n’est pas exactement de cette manière qu’il sera répondu à ces arguments.

41.      En effet, l’argument principal de la Commission a, pour ainsi dire, peu à peu perdu de son poids au cours de la présente affaire. Il convient de prendre en compte le fait que, à partir de sa réponse à l’avis motivé que lui a envoyé la Commission, le Royaume-Uni a continuellement contesté que, par la législation litigieuse, il ait voulu justifier un contrôle du caractère légal du séjour dans le cadre du contrôle du caractère habituel de la résidence. En effet, le Royaume-Uni a, à partir de ce moment, soutenu que le test du séjour légal qu’il applique dans des cas de figure tels que ceux qui font l’objet de la présente affaire est autonome par rapport au contrôle de la résidence habituelle (26). Le cœur du litige s’est ainsi déplacé vers le second grief, portant sur l’existence d’une discrimination prohibée en vertu de l’article 4 du règlement nº 883/2004.

42.      Par conséquent, j’examinerai d’abord relativement brièvement le grief principal invoqué par la Commission, pour ensuite me consacrer en détail au grief initialement soulevé à titre subsidiaire. Avant toute chose, les circonstances de l’espèce demandent toutefois que la nature des prestations sociales en cause soit précisée.

B –    Les prestations sociales sur lesquelles porte le recours

43.      Le présent recours en manquement concerne les allocations familiales («child benefit») et le crédit d’impôt pour enfant («child tax credit»). Il s’agit de deux prestations en espèces financées par l’impôt, et non pas par les cotisations des bénéficiaires, qui ont pour objectif commun de contribuer à couvrir les charges de famille. Aucune d’entre elles n’a été inscrite par le Royaume-Uni à l’annexe X du règlement n° 883/2004 et le fait qu’il ne s’agit pas de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif aux fins de l’article 70 dudit règlement n’a pas été mis en doute au cours de la procédure.

44.      En vertu de l’article 141 de la loi sur les cotisations et les prestations de sécurité sociale (Social Security Contributions and Benefits Act 1992), de 1992, «toute personne ayant à sa charge un enfant ou plus au cours de n’importe quelle semaine a le droit, conformément aux dispositions du présent titre, à des allocations (ci-après les ‘allocations familiales’) correspondant à ladite semaine, pour le ou les enfants à sa charge» (27). Les allocations familiales sont une prestation familiale destinée, fondamentalement, à compenser en partie les frais que supporte une personne ayant un ou plusieurs enfants à sa charge. Il s’agit en principe d’une prestation universelle; cependant, les demandeurs disposant de revenus élevés doivent rembourser, dans le cadre de leurs obligations fiscales, une somme d’un montant qui, au maximum, équivaut à la prestation perçue (28).

45.      Pour sa part, le crédit d’impôt pour enfant, qui est régi par les articles 8 et 9 de la loi sur le crédit d’impôt (Tax Credits Act), de 2002 (29), est également une prestation en espèces versée aux personnes ayant des enfants à charge, dont le montant varie en fonction des revenus familiaux, du nombre d’enfants à charge, ainsi que d’autres facteurs, tels que l’éventuel handicap d’un membre de la famille (30). Le crédit d’impôt pour enfant a remplacé une série de prestations complémentaires qui étaient versées aux demandeurs de différentes allocations de subsistance (qui étaient liées aux revenus) au titre des enfants à charge, et dont l’objectif d’ensemble était de réduire la pauvreté des enfants (31).

46.      Pour ce qui est de la nature de ces prestations, je partage l’opinion de la Commission selon laquelle il s’agit de prestations de sécurité sociale aux fins du règlement nº 883/2004. Concrètement, ce sont des prestations familiales au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), dudit règlement, dans la mesure où, conformément aux caractéristiques énumérées dans la jurisprudence de la Cour, il s’agit de prestations qui sont accordées automatiquement aux personnes qui répondent à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui visent à compenser les charges de famille (32).

47.      Par ailleurs, je partage également la position de la Commission selon laquelle la qualification des prestations litigieuses en tant que prestations de sécurité sociale n’est pas remise en question par le fait que leur octroi n’est soumis à aucune condition de cotisation. En effet, le mode de financement d’une prestation est sans importance pour la qualification de celle-ci comme prestation de sécurité sociale, ainsi que le prouve le fait qu’à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 883/2004, le législateur n’exclue pas les prestations non contributives du champ d’application dudit règlement (33).

C –    La conformité au règlement du test de séjour légal en tant que condition supplémentaire ajoutée à l’examen de la résidence habituelle

48.      Le grief principal de la Commission réside dans le fait que le Royaume-Uni ajoute un test de séjour légal à l’examen de la résidence habituelle prévu à l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement n° 883/2004 et crée ainsi une condition supplémentaire qui n’est pas prévue par cette disposition, en vertu de laquelle «les personnes autres que celles visées aux points a) à d) [de l’article 11, paragraphe 3] sont soumises à la législation de l’État membre de résidence». Certaines précisions devraient faciliter la réponse à ce grief.

49.      Il convient de rappeler que l’objectif du règlement nº 883/2004 est de coordonner les systèmes de sécurité sociale des États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. En ce sens, dans le règlement nº 883/2004, le législateur fixe une série de principes communs que doivent respecter les législations en matière de sécurité sociale de tous les États membres et qui garantissent, avec le système de règles de conflit prévu par le règlement, que les différents systèmes nationaux ne désavantagent pas les personnes qui font usage de leur droit de libre circulation et de séjour au sein de l’Union européenne parce qu’elles ont exercé ledit droit (34). L’un de ces principes communs est le principe d’égalité visé à l’article 4 du règlement nº 883/2004, qui met en œuvre, dans le domaine spécifique de la sécurité sociale, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité qui est consacré, pour l’ensemble du droit de l’Union, à l’article 18 TFUE (35).

50.      En tant que règle de conflit (36), l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement nº 883/2004 a pour but de déterminer la législation nationale applicable à la perception des prestations de sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1 (parmi lesquelles figurent les prestations familiales), en ce qui concerne les personnes autres que celles visées sous a) à d) de l’article 11, paragraphe 3, c’est-à-dire, fondamentalement, les personnes économiquement non actives. L’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement nº 883/2004 a ainsi pour but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales à une situation déterminée et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application de ce règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable (37).

51.      Les personnes qui relèvent de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement nº 883/2004 sont soumises à la législation de l’État membre de résidence – sans préjudice d’autres dispositions dudit règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres États membres – qui, en vertu de la définition de l’article 1er, sous j), de ce même règlement, est «le lieu où une personne réside habituellement» (38).

52.      Par conséquent, en vue de déterminer le lieu de la résidence «habituelle» d’une personne relevant du champ d’application du règlement nº 883/2004, aux fins de son article 11, paragraphe 3, sous e), il convient de s’orienter par rapport à des circonstances purement factuelles. En effet, la jurisprudence de la Cour (39) a, au fil du temps, élaboré une liste non exhaustive d’éléments (tous factuels) à prendre en considération en vue de déterminer le lieu de résidence habituel d’une personne [cette liste se retrouve maintenant dans l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 987/2009 (40)] et donc l’État membre dont la législation s’appliquera à sa situation concrète, dans le cadre du règlement nº 883/2004. Enfin, les parties au litige semblent d’accord sur le caractère factuel de la notion de «résidence habituelle».

53.      Cela dit, tout indique que le problème a pour origine les termes employés par la législation britannique, qui renvoient à une sorte de fiction juridique lorsqu’elle dispose que les personnes qui ne séjournent pas légalement au Royaume-Uni, conformément au droit de l’Union, «ne se trouvent pas» sur son territoire (41). Ce faisant, la législation nationale mêlerait inutilement deux concepts, celui du «séjour légal» et celui de la «résidence habituelle» qui, comme l’expose à juste titre la Commission, ne doivent pas être confondus. De plus, une lecture s’appuyant strictement sur le libellé de cette législation pourrait même nous conduire à donner raison à la Commission lorsque celle-ci soutient que le Royaume-Uni a ajouté un élément supplémentaire au test de la résidence habituelle, celui du séjour légal, qui lui est complètement étranger et qui, d’une certaine manière, le dénature, et donc à conclure, pour ce seul motif, que le Royaume-Uni a manqué aux obligations résultant du règlement nº 883/2004.

54.      Or, une telle approche serait trop simplificatrice et, en définitive, à mes yeux, erronée. Il est évident que, abstraction faite du caractère clairement douteux de la formulation ou de la terminologie employée, le législateur national ne «dénature» pas le test de la résidence habituelle en l’espèce en recourant au critère de la légalité du séjour pour apprécier le caractère habituel de la résidence (42). En effet, comme nous l’indiquions plus haut, le Royaume-Uni a, à partir de sa réponse à l’avis motivé de la Commission, pris ses distances avec une défense du test du séjour légal qui le lierait au contrôle de la résidence habituelle au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement nº 883/2004. Ce que demande en réalité le Royaume-Uni, c’est que, indépendamment du respect de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement nº 883/2004 – et même du règlement dans son ensemble –, la légalité du séjour soit contrôlée au regard du droit de l’Union (et notamment de la directive 2004/38) dans le cadre de l’octroi de certaines prestations sociales.

55.      La Commission a elle-même pris en compte cette réorientation de l’argumentation du Royaume-Uni en formulant son grief subsidiaire en ce sens que, si aucun test de séjour légal n’est incorporé à l’examen de la résidence habituelle et que le contrôle de la légalité du séjour est effectué de manière autonome, il s’agit alors, inévitablement, d’une discrimination prohibée en vertu de l’article 4 du règlement n° 883/2004. On peut dire que la Commission a dès le départ été consciente du fait que le nœud du problème réside dans cette disposition. En effet, si la Commission a bien focalisé toute son argumentation relative au grief principal sur le contrôle de la résidence (habituelle) en tant que critère de rattachement utilisé dans la règle de conflit de l’article 11, paragraphe 3, sous e), dudit règlement, elle ne reproche en réalité au Royaume-Uni qu’un manquement à l’article 4 de ce règlement.

56.      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le grief soulevé par la Commission à titre principal, dans la mesure où le test du séjour légal introduit par la législation britannique n’affecte pas, en soi, les dispositions de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement n° 883/2004.

D –    La discrimination contraire à l’article 4 du règlement n° 883/2004 que le Royaume-Uni pourrait avoir causée en procédant à un contrôle de la légalité du séjour du demandeur dans le cadre de la procédure d’octroi de certaines prestations sociales

1.      Considérations liminaires

57.      Selon la Commission, même si l’on accepte que le test du séjour légal puisse être autonome par rapport au contrôle de la résidence habituelle au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement n° 883/2004, le Royaume-Uni viole en tout état de cause ledit règlement. La Commission estime que le fait de vérifier la légalité du séjour dans le cadre de la procédure d’octroi d’une prestation de sécurité sociale est discriminatoire et contraire à l’article 4 du règlement n° 883/2004, car il s’agit d’une exigence applicable aux seuls étrangers, les ressortissants du Royaume-Uni jouissant par principe d’un droit de séjour dans cet État membre. À l’article 4 du règlement nº 883/2004, le législateur impose en effet une égalité de traitement en ce qui concerne les obligations et le bénéfice des prestations que prévoit la législation nationale en matière de sécurité sociale. Cet argument requiert une réponse un peu plus complexe que la présentation qu’en fait la Commission.

58.      En premier lieu, il convient d’aborder la question de principe de savoir si un État membre est tenu d’octroyer des prestations sociales, telles que celles qui font l’objet de la présente affaire, qu’il accorde à ses propres ressortissants et aux citoyens de l’Union séjournant légalement sur son territoire, à un citoyen de l’Union dont le séjour sur son territoire n’est pas régulier (c’est-à-dire qui ne remplit pas les conditions fixées, notamment, par la directive 2004/38). En fonction de la réponse apportée à cette question, il apparaîtra s’il est en soi discriminatoire, au sens de l’article 4 du règlement nº 883/2004, qu’un État membre n’octroie certaines prestations sociales qu’aux personnes séjournant légalement sur son territoire.

59.      En second lieu, une fois que les doutes relatifs à cette question auront été levés, il conviendra de se pencher sur la problématique plus spécifique, mais présentant également un caractère de principe, de savoir si l’État membre auprès duquel est sollicitée une prestation sociale telle que celles en cause en l’espèce peut légitimement contrôler la régularité du séjour du demandeur à l’occasion de la vérification du caractère habituel de la résidence et simultanément à celle-ci.

60.      Finalement, une fois cette problématique résolue, il conviendra encore d’examiner la question de savoir si cette faculté de l’État membre est, pour ainsi dire, absolue ou si, au contraire, elle n’est légitime qu’à certaines conditions. Comme nous le verrons, cette dimension du problème n’apparaît qu’en toute fin de procédure, de manière laconique, dans le mémoire en réplique de la Commission, raison pour laquelle le Royaume-Uni considère que les arguments la concernant sont irrecevables, car tardifs. Le cas échéant, il faudra donc aborder l’éventuelle irrecevabilité de cette argumentation, indépendamment du fait que des considérations d’opportunité puissent me conduire à proposer une réponse à cet égard.

2.      Relation avec la jurisprudence résultant des arrêts Brey et Dano

61.      Toutefois, préalablement à l’ordre de présentation exposé ci-dessus, il convient de mentionner l’éventuelle pertinence, pour la présente affaire, de la jurisprudence établie dans les arrêts Brey (43) et Dano (44), auxquels les parties ont continuellement fait référence au cours de la procédure (45).

62.      Tout d’abord, il est indubitable que la jurisprudence résultant des arrêts Brey (46) et Dano (47) est pertinente en l’espèce, dans la mesure où la Cour aborde la question de la légitimité de la prise en compte du droit de séjour dans le cadre de l’octroi, par un État membre, de prestations sociales aux citoyens de l’Union qui résident sur son territoire.

63.      Or, alors que dans les affaires préjudicielles Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565) et Dano (C‑333/13, EU:C:2014:2358), la Cour avait à se prononcer sur l’interprétation correcte de l’article 7 de la directive 2004/38, dont la pertinence n’était pas mise en doute, dans la présente affaire, qui est un recours en manquement, le débat porte sur l’opportunité d’appliquer ladite directive – et notamment son article 7 – dans le cadre de l’application du règlement n° 883/2004 (48).

64.      Ensuite, à la différence de la présente affaire, ces arrêts, tout comme l’arrêt Alimanovic (49), avaient pour objet des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, régies par l’article 70 du règlement nº 883/2004, et considérées comme des prestations d’assistance sociale aux fins de la directive 2004/38 (50). À cet égard, alors que dans la directive 2004/38 le législateur prend en considération la nécessité de recourir à des prestations d’assistance sociale dans le contexte de la légalité du séjour (51), il ne dit rien sur les prestations de sécurité sociale telles que celles qui font l’objet de la présente affaire.

65.      Cela dit, j’apporterai les références pertinentes à cette jurisprudence au fil de mon argumentation.

3.      L’obligation de l’État membre d’octroyer des prestations sociales en relation avec la légalité du séjour et ses conséquences pour le grief relatif au traitement discriminatoire

66.      La première question qu’il convient d’aborder, à titre de question de principe, est celle de savoir si un État membre n’est obligé d’octroyer les prestations sociales qu’il accorde à ses propres ressortissants à un citoyen de l’Union résidant sur son territoire que si le séjour de celui-ci remplit les conditions établies, notamment, par la directive 2004/38. Comme je l’ai déjà indiqué, la conclusion de cette analyse aura des conséquences sur la question de savoir si le fait qu’un État membre n’octroie pas des prestations sociales telles que celles qui font l’objet de la présente affaire aux personnes qui ne séjournent pas légalement sur son territoire est discriminatoire au sens de l’article 4 du règlement n° 883/2004.

67.      Pour répondre à cette question, il convient tout d’abord de rappeler, comme le fait la Cour dans l’arrêt Dano (52), que l’article 20, paragraphe 1, TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union. Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux qui, parmi ces derniers, se trouvent dans la même situation d’obtenir, dans le domaine d’application ratione materiae du TFUE, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (53).

68.      Tout citoyen de l’Union peut donc se prévaloir de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité figurant à l’article 18 TFUE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit de l’Union. Ces situations comprennent celles relevant de l’exercice de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par les articles 20, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), TFUE et 21 TFUE (54).

69.      À cet égard, comme l’a jugé la Cour dans l’arrêt Dano (55), il convient toutefois de constater qu’en vertu de l’article 18, paragraphe 1, TFUE, toute discrimination exercée en raison de la nationalité «[d]ans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient» est interdite. À l’article 20, paragraphe 2, second alinéa, TFUE, il est précisé, expressément, que les droits qu’il confère aux citoyens de l’Union s’exercent «dans les conditions et limites définies par les traités et les mesures adoptées en application de ceux-ci». En outre, l’article 21, paragraphe 1, TFUE subordonne, lui aussi, le droit des citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres au respect des «limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application» (56). Cette référence au caractère limité de cette liberté se retrouve également dans l’explication de l’article 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – qui consacre la liberté de circulation et de séjour –, en vertu de laquelle «[l]e droit garanti par le paragraphe 1 est le droit garanti par l’article 20, paragraphe 2, point a), [TFUE] […]. Conformément à l’article 52, paragraphe 2, il s’applique dans les conditions et limites prévues dans les traités» (57).

70.      À cet égard, il convient de rappeler que le sens du règlement n° 883/2004 est directement lié au droit fondamental à la libre circulation des citoyens de l’Union, puisqu’il a été adopté en vue de faciliter et de garantir son exercice effectif grâce à la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale (58). En effet, comme je l’ai déjà rappelé, l’objectif du règlement nº 883/2004 est de coordonner les systèmes nationaux de sécurité sociale des États membres en vue – comme le soulignent ses considérants – de «garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes» (considérant 45) et, ainsi, de «contribuer à l’amélioration [du] niveau de vie et des conditions [d’] emploi» des personnes qui se déplacent au sein de l’Union (considérant 1). Par conséquent, les droits que reconnaît le législateur dans le règlement n° 883/2004 sont des droits destinés à garantir la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union, dans les conditions légales dans lesquelles cette liberté est reconnue (59).

71.      Certaines des conditions et limitations auxquelles les articles 20 TFUE et 21 TFUE soumettent l’exercice de la liberté de circulation et de séjour au sein de l’Union – en tant que liberté non absolue (60) et «régulée» – sont fixées par la directive 2004/38 (61). Cette directive – dont la conformité aux traités n’a pas été mise en doute par la Cour dans les arrêts Brey (62), Dano (63) et Alimanovic (64) et n’a pas été débattue au cours de la présente procédure – a été adoptée, en vertu de son considérant 4, en vue de dépasser l’approche sectorielle et fragmentaire avec laquelle le droit de circuler et de séjourner librement était réglementé jusqu’à ce moment et dans le but de faciliter l’exercice de ce droit.

72.      Ainsi, il convient de partir du principe que les dispositions de la directive 2004/38 qui réglementent la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union restent pleinement applicables dans le cadre d’un règlement tel que celui qui est en cause en l’espèce, qui vise en fin de compte à garantir le caractère effectif du droit de séjour et de libre circulation au sein de l’Union, et ne sauraient être considérées comme inopérantes dans ce contexte. En ce sens, je ne partage pas le point de vue de la Commission (65) selon lequel «la notion de ‘résidence’ au sens du règlement (CE) nº 883/2004 […] n’est pas subordonnée à d’éventuelles conditions légales préalables» (66).

73.      Dans ces conditions, il ne me semble pas superflu de rappeler que l’ordre juridique de l’Union pourrait difficilement se composer d’une pluralité de compartiments étanches. Il en va d’autant plus ainsi dans le cas de deux règles de droit de l’Union aussi étroitement liées que celles qui font l’objet de la présente affaire (67). Si, comme indiqué, le droit de l’Union soumet l’exercice de la liberté de circulation et de séjour à certaines limitations et conditions, prévues notamment par la directive 2004/38, il semble clair que les dispositions du règlement n° 883/2004 ne sauraient être interprétées d’une manière qui conduise à neutraliser les conditions et les limitations associées à la reconnaissance et à la proclamation de cette liberté (68). Il convient, en définitive, de trouver une interprétation qui promeuve, aussi pleinement que possible, le statut de la citoyenneté de l’Union et la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union, tout en respectant les objectifs poursuivis par ces deux instruments et les règles qu’ils contiennent.

74.      Par ailleurs, je considère que ce point de vue est validé par la jurisprudence de la Cour, qui a traditionnellement associé l’accès aux prestations sociales dans les mêmes conditions que les ressortissants de l’État membre d’accueil au fait que le demandeur séjourne «légalement» sur le territoire de cet État (69). De plus, la Cour l’a récemment confirmé dans l’arrêt Brey, dans lequel elle a jugé que «rien ne s’oppose, en principe, à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil» (70), ainsi que dans l’arrêt Dano, dans lequel elle indique qu’«un citoyen de l’Union, pour ce qui concerne l’accès à des prestations sociales, […] ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil que si son séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil respecte les conditions de la directive 2004/38» (71). Il me semble que rien, dans ces arrêts, ne permet de déduire que ces affirmations s’appliqueraient exclusivement aux prestations d’assistance sociale ou aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif qui faisaient l’objet de ces affaires et pas à d’autres prestations sociales (72).

75.      Dans ces conditions, l’on ne saurait nier que la prémisse du caractère régulier du séjour du demandeur d’une prestation sociale telle que celles qui font l’objet de la présente affaire pourrait être vue sous l’angle d’une différence de traitement entre les ressortissants du Royaume-Uni et ceux des autres États membres. Or, si l’on adopte une telle approche, cette différence de traitement en matière de droit de séjour est inhérente au système et, pour ainsi dire, préexistante (73): par définition, le droit de séjour dans un État membre n’est pas refusé à un ressortissant de celui-ci.

76.      En d’autres termes, la différence entre les ressortissants du Royaume-Uni et ceux d’autres États membres réside dans la nature même du système, en ce sens que, en l’état actuel du droit de l’Union, le rattachement à un État membre ou un autre n’est pas dépourvu de pertinence aux fins de l’exercice de la liberté de circulation et de séjour.

77.      En définitive, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime qu’en vertu du règlement nº 883/2004, un État membre n’est tenu d’octroyer des prestations sociales telles que celles qui font l’objet de la présente affaire qu’à un citoyen de l’Union qui exerce sa liberté de circulation et de séjour sur son territoire de manière régulière, c’est-à-dire dans le respect, notamment, des conditions fixées par la directive 2004/38. En ce sens, la différence entre les ressortissants du Royaume-Uni et ceux d’autres États membres se situe à un stade antérieur à celui de l’entrée en scène de l’article 4 du règlement n° 883/2004 et n’affecte donc pas son applicabilité.

4.      Le contrôle de la régularité du séjour du demandeur dans le cadre de la procédure d’octroi de certaines prestations sociales

78.      La question de principe examinée ci-dessus ayant trouvé une réponse, il convient maintenant d’aborder un second aspect, qui, selon moi, touche plus directement à l’argumentation de la Commission: il s’agit de savoir si, dans ces conditions, un État membre peut, sans porter atteinte au principe de non-discrimination visé à l’article 4 du règlement nº 883/2004, procéder à un contrôle de la régularité du séjour d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, justement à l’occasion de l’examen d’une demande de prestation sociale telle que celles en cause en l’espèce.

79.      Ainsi délimitée, la question est maintenant fondamentalement de savoir si l’État membre introduit une inégalité quant aux «obligations», pour reprendre les termes employés à l’article 4 du règlement n° 883/2004, en raison du fait, qu’il serait difficile de nier, que ce sont avant tout les citoyens de l’Union originaires d’autres États membres, plutôt que les ressortissants du Royaume-Uni, qui devront supporter la gêne occasionnée par le fait de se soumettre – le cas échéant, avec succès – à la procédure de vérification, par les autorités britanniques, de la régularité de leur séjour à l’occasion de l’examen des demandes d’obtention d’une prestation telle que les allocations familiales ou le crédit d’impôt pour enfant. Il ressort des explications fournies par le Royaume-Uni lors de l’audience que l’intensité du contrôle dépend en tout cas des circonstances particulières de l’intéressé, les citoyens de l’Union économiquement non actifs étant, comme l’on peut s’y attendre, ceux qui subissent le plus cette gêne.

80.      En ce sens, il convient déjà d’indiquer que cette complication additionnelle dans la procédure d’octroi des prestations en cause pourrait en pratique être évitée dans la mesure où la directive 2004/38 prévoit des mécanismes (à savoir en son article 8) (74) qui permettent de prouver le caractère régulier du séjour d’un citoyen de l’Union non ressortissant de l’État membre d’accueil au moyen d’une attestation délivrée par les autorités compétentes de l’État membre, qui vérifient en particulier, à cet effet, que les conditions de l’article 7 de ladite directive sont remplies. Si le demandeur dispose de cette attestation, la gêne qu’il subira au moment de l’examen d’une demande de prestation sociale sera minime ou même inexistante: il lui suffira de produire, sur demande, le document qui prouve que l’État membre considère que son séjour sur son sol est régulier.

81.      Or, lors de l’audience, le Royaume-Uni a attiré l’attention sur le fait que, bien que les citoyens de l’Union aient la possibilité de demander aux autorités du Royaume-Uni un document prouvant leur droit de séjour sur son sol (ce qui facilite évidemment la preuve à cet égard), la possession d’un tel document n’est pas obligatoire. De fait, dans la plupart des cas, le demandeur ne dispose pas d’une attestation prouvant la régularité de son séjour au Royaume-Uni.

82.      Cependant, le fait qu’un État membre puisse prévoir que de tels documents doivent obligatoirement être délivrés n’exclut pas la viabilité d’un système tel que celui du Royaume-Uni qui, à défaut, dans la majorité des cas, d’un document de reconnaissance délivré en amont tel que celui décrit ci-dessus, applique un test de séjour légal à l’occasion de l’examen des demandes de prestations sociales.

83.      Il convient donc de reconnaître l’existence d’une différence de traitement, qui devrait être qualifiée de discrimination indirecte dans la mesure où ce sont les citoyens de l’Union non britanniques (et, surtout, économiquement non actifs) qui seront affectés de manière plus importante par les gênes et les inconvénients qu’implique cette procédure.

84.      À cet égard, la question qui se pose est celle de savoir si cette discrimination indirecte peut être justifiée, ce à quoi la Commission répond par la négative. En ce sens, et sans qu’il soit nécessaire de développer un raisonnement détaillé, je considère que l’argument de la nécessité de protéger les finances de l’État membre d’accueil (75), qui est invoqué par le Royaume-Uni (76), justifie en principe à suffisance la possibilité de contrôler le caractère régulier du séjour à ce moment-là. En fin de compte, ce contrôle constitue le moyen, pour l’État membre d’accueil, de s’assurer qu’il n’octroie pas des prestations sociales telles que celles qui font l’objet de la présente affaire à des personnes auxquelles il n’est pas tenu de les accorder, pour les motifs exposés dans la partie précédente, sous 3.

85.      En conclusion, je considère que, en termes de principe, l’État membre d’accueil est en droit, le cas échéant, de s’assurer qu’un citoyen de l’Union ne se trouve pas irrégulièrement sur son territoire – et donc, fondamentalement, qu’il remplit les conditions de la directive 2004/38 – à l’occasion et au moment d’une demande de prestations sociales, telles que celles en cause en l’espèce, sans que la différence de traitement entre les ressortissants du Royaume-Uni et les autres citoyens de l’Union que ce contrôle implique constitue une discrimination prohibée en vertu de l’article 4 du règlement nº 883/2004, dans la mesure où ce contrôle est justifié dans les termes que je viens d’exposer.

5.      Les exigences que doit remplir le contrôle du caractère régulier du séjour dans l’État membre d’accueil

86.      Les considérations exposées me semblent suffisantes pour rejeter les arguments de la Commission relatifs au défaut de légitimité, en termes de principe, du test du séjour légal prévu par la législation britannique. Toutefois, il convient de prendre en compte le fait que cette conclusion ne revient pas à accepter tout mode de contrôle du caractère régulier du séjour. Au contraire, je considère que, pour qu’il soit conforme au droit de l’Union, le contrôle doit respecter une série de conditions, du point de vue procédural et même du point de vue substantiel, que j’exposerai ci-dessous.

87.      Il ne faut en effet pas oublier que ce contrôle, dans la mesure où il peut affecter la liberté de circulation et de séjour qui fait partie du statut de la citoyenneté de l’Union, doit être interprété en conformité avec ce droit fondamental et être pratiqué de la manière la moins intrusive possible.

88.      Or, il convient de signaler à nouveau que le recours de la Commission n’avait pas pour objet de débattre de la manière dont le Royaume-Uni effectue ce contrôle. Il est vrai que la Commission a reproché au Royaume-Uni que l’examen du respect des conditions de l’article 7 de la directive 2004/38 qu’il effectue ne garantit pas une appréciation des circonstances du cas concret, comme l’exige la Cour dans l’arrêt Brey (77). Cependant, cet argument apparaît pour la première fois dans le mémoire en réplique de la Commission et il n’a été mentionné ni au cours de la procédure précontentieuse ni dans la requête. La Commission a observé, lors de l’audience, qu’il s’agit non pas d’un moyen nouveau, mais simplement d’un élément supplémentaire à prendre en compte en vue d’apprécier si le test du séjour légal, en tant que mesure discriminatoire, est proportionné aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi. Toutefois, je pense, comme le Royaume-Uni, qu’il s’agit d’un moyen nouveau qui a été invoqué à un stade de la procédure où il n’est pas recevable, conformément à l’article 127 du règlement de procédure de la Cour.

89.      La Commission a focalisé son recours sur le fait que, dans le cadre de l’examen de demandes de prestations sociales telles que celles qui font l’objet de la présente affaire, un État membre ne peut pas exiger des demandeurs desdites prestations qu’ils ne se trouvent pas en situation irrégulière sur son territoire et effectuer un contrôle à cet égard, et non sur la manière dont les autorités du Royaume-Uni vérifient, tant du point de vue procédural que du point de vue matériel, si un citoyen de l’Union remplit ou non les conditions de la directive 2004/38.

90.      Quoi qu’il en soit, au cas où la Cour estimerait qu’elle doit examiner cet argument sur le fond, et comme le Royaume-Uni a apporté certains éléments de réponse dans son mémoire en duplique et lors de l’audience, j’exposerai ci‑dessous une série de considérations non exhaustives à ce sujet.

91.      Du point de vue procédural, la différence de traitement par rapport aux ressortissants de l’État membre en cause, qui résulte de la possibilité de contrôle de la régularité du séjour par les autorités nationales, ne sera compatible avec le statut de la citoyenneté de l’Union et avec le principe d’égalité que dans la mesure où ledit contrôle est réalisé dans le strict respect du principe de proportionnalité, c’est-à-dire d’une manière appropriée à l’objectif poursuivi, la moins intrusive possible et dans la mesure de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre cet objectif.

92.      Par ailleurs, la vérification, par les autorités nationales, dans le cadre de l’octroi des prestations sociales en cause, du fait que le demandeur ne se trouve pas irrégulièrement sur le territoire doit être considérée comme un cas de figure de contrôle du caractère régulier du séjour des citoyens de l’Union, conformément à l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2004/38, et doit donc remplir les exigences de cette dernière (78).

93.      Comme il ressort des observations formulées par le Royaume-Uni lors de l’audience, le contrôle du respect des conditions fixées par la directive 2004/38 pour l’existence du droit de séjour n’est pas effectué systématiquement, ce qui serait, à mon sens, prohibé en vertu de l’article 14, paragraphe 2, de ladite directive (79): bien que tous les demandeurs des prestations sociales en cause (80) doivent indiquer dans le formulaire correspondant les informations qui font apparaître s’ils jouissent d’un droit de séjour dans cet État membre, ce n’est qu’en cas de doute que les autorités britanniques procèdent – conformément à ce qu’indique le Royaume-Uni au point 21 du mémoire en duplique et comme il l’a confirmé lors de l’audience – aux vérifications nécessaires pour déterminer si le demandeur remplit, ou non, les conditions de la directive 2004/38 (et en particulier de son article 7) et donc s’il dispose d’un droit de séjour conformément à cette directive.

94.      Il me semble qu’il ne ressort pas non plus des affirmations du Royaume‑Uni que cet État membre présume que le demandeur des prestations en cause en l’espèce se trouve sur son territoire de manière irrégulière, ce qui serait contraire aux articles 20, paragraphe 2, TFUE et 21 TFUE, qui consacrent le droit des citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. En effet, le statut de la citoyenneté de l’Union et, en particulier, la proclamation de principe du droit du citoyen de l’Union à fixer sa résidence sur le territoire de n’importe quel État membre, dans les conditions déterminées par le droit de l’Union, empêche la réglementation nationale d’adopter une approche qui puisse équivaloir à une présomption en vertu de laquelle un tel citoyen, à l’issue des trois premiers mois de séjour et avant de bénéficier d’un séjour permanent, se trouve irrégulièrement sur ce territoire, de telle sorte que la charge de prouver qu’il n’en va pas ainsi incomberait systématiquement audit citoyen. En principe, la présomption devrait plutôt être inverse.

95.      Par ailleurs, la vérification légitime de la régularité de la présence du demandeur au Royaume-Uni s’inscrivant dans le cadre de l’article 14, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/38, l’éventuelle constatation, par les autorités nationales, du fait que ce citoyen de l’Union ne dispose pas d’un droit de séjour conformément à ladite directive, car il ne remplit pas les conditions fixées par celle-ci – indépendamment du fait que ce constat soit accompagné ou non d’une mesure d’expulsion et malgré son caractère purement déclaratoire (81) –, est une «décision limitant la libre circulation d’un citoyen de l’Union» au sens de l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive (82), ce qui, en vertu de cette disposition, a pour conséquence de déclencher les garanties prévues aux articles 30 et 31 de cette directive.

96.      À mes yeux, cela signifie que les autorités compétentes ne sauraient se contenter, dans de telles circonstances, de refuser sans autre forme de procès la prestation demandée et que, conformément à l’article 30 de la directive 2004/38, en ce qui concerne spécifiquement le constat du défaut de droit de séjour sur le fondement de la directive 2004/38, elles doivent en outre informer l’intéressé des motifs «précis et complets» de ce constat, «dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets», en indiquant la juridiction ou l’autorité administrative devant laquelle l’intéressé peut introduire un recours ainsi que le délai de recours. Les garanties procédurales de l’article 31 de la directive 2004/38 sont également activées, ce qui permettra à l’intéressé de soumettre la légalité de l’appréciation de l’administration à un contrôle (administratif et/ou juridictionnel).

97.      Enfin, du point de vue substantiel, il convient fondamentalement de prendre en compte le fait que, dans le cas particulier des citoyens économiquement non actifs, les autorités nationales doivent examiner, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, si ceux-ci disposent pour eux et les membres de leur famille «de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil» au cours de leur séjour et d’une assurance maladie. Sur ce point, je dois rappeler que le simple fait qu’un citoyen de l’Union recoure à l’assistance sociale dans l’État membre d’accueil ne suffit pas pour lui refuser le droit de séjour (83); à cet égard, il est en effet nécessaire qu’il soit devenu une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État. Dans le cadre de l’appréciation de cette question, les autorités nationales doivent respecter les règles établies par la jurisprudence de la Cour – notamment l’obligation de prendre en compte les circonstances du cas concret à laquelle il est fait référence dans l’arrêt Brey (84) – et, le cas échéant, informer le demandeur de l’issue négative de leur appréciation, dans les termes prévus à l’article 30 de ladite directive.

98.      Cela dit, et pour le cas où il serait jugé opportun d’examiner sous cet angle la légalité de la législation nationale litigieuse, j’estime que la Commission n’a pas démontré le non-respect, par le Royaume-Uni, des conditions de forme et de fond susmentionnées. Il n’y a donc pas non plus lieu de faire droit au présent recours en manquement à cet égard.

6.      Résumé

99.      En conclusion, je considère que le fait que la législation nationale prévoie que, à l’occasion de l’examen des demandes d’octroi de prestations sociales telles que les allocations familiales ou le crédit d’impôt pour enfant, les autorités de l’État membre puissent effectuer les vérifications nécessaires pour s’assurer de la régularité du séjour sur leur territoire des ressortissants d’autres États membres qui demandent de telles prestations ne constitue pas une discrimination prohibée en vertu de l’article 4 du règlement nº 883/2004. Cependant, à cet effet, les autorités en charge de ce contrôle doivent en tout cas, du point de vue procédural, respecter les principes exposés – notamment le principe de proportionnalité – ainsi que les dispositions des articles 14, paragraphe 2, deuxième alinéa, 15, paragraphe 1, 30 et 31 de la directive 2004/38.

V –    Sur les dépens

100. Étant donné que je conclus au rejet du recours, la Commission doit être condamnée aux dépens, conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

VI – Conclusion

101. Par conséquent, eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit:

1)         rejeter le recours;

2)         condamner la Commission européenne aux dépens.


1 – Langue originale: l’espagnol.


2 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 (JO L 166, p. 1).


3 – C‑140/12, EU:C:2013:565.


4 – C‑333/13, EU:C:2014:2358.


5 – C‑67/14, EU:C:2015:597. Voir également les conclusions que l’avocat général Wathelet a présentées dans l’affaire García-Nieto e.a., C‑299/14, EU:C:2015:366.


6 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77).


7 – C‑140/12, EU:C:2013:565.


8 – En réalité, comme l’observe le Royaume-Uni, le test de la résidence habituelle (qui s’applique effectivement aux autres prestations sociales visées dans l’avis motivé, mais pas à celles qui font l’objet du recours en manquement) ne s’applique pas aux prestations litigieuses en l’espèce, pour lesquelles il est exigé que le demandeur «se trouve au Royaume-Uni». L’une des conditions à remplir pour que l’on puisse considérer qu’une personne «se trouve au Royaume-Uni» est, outre la présence physique de l’intéressé, qui doit résider dans le pays de manière habituelle, le fait qu’il y dispose d’un droit de séjour.


9 – Par opposition au «séjour» qui, en vertu de l’article 1er, sous k), du règlement n° 883/2004, signifie «le séjour temporaire».


10 – En réalité du test permettant de déterminer si le demandeur se trouve au Royaume‑Uni, voir note en bas de page 8.


11 – C‑73/08, EU:C:2009:396. Son raisonnement n’a pas été suivi par la Cour qui, dans l’arrêt Bressol e.a. (C‑73/08, EU:C:2010:181), a jugé que l’inégalité de traitement en question constituait une discrimination indirecte (point 47).


12 – C‑140/12, EU:C:2013:565. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que le «supplément compensatoire destiné à compléter la pension de retraite» prévu par le droit autrichien, qui faisait l’objet de cette affaire, devait être considéré tant comme une «prestation spéciale en espèces à caractère non contributif» aux fins du règlement nº 883/2004 que comme une «prestation d’assistance sociale» aux fins de la directive 2004/38. Pour ce motif, la Cour a jugé en principe conforme au droit de l’Union le fait que le droit à bénéficier de ce supplément compensatoire dépende, dans le cas de citoyens de l’Union, de la démonstration de l’existence d’un «droit de séjour légal» en Autriche, afin de garantir que la perception de cette prestation par les citoyens de l’Union économiquement non actifs ne constitue pas une charge déraisonnable pour les finances publiques autrichiennes. La Cour a estimé qu’il convient en tout cas d’examiner les circonstances concrètes du cas d’espèce afin de déterminer si l’octroi de la prestation en cause à une personne dans la situation de M. Brey est susceptible de représenter une charge déraisonnable pour le système national d’assistance sociale.


13 – Point 35 du mémoire en défense.


14 – Point 36 du mémoire en défense.


15 – C‑140/12, EU:C:2013:565.


16 – C‑140/12, EU:C:2013:565, points 71 à 78.


17 – C‑140/12, EU:C:2013:565.


18 – En français «prestations sociales», qui équivaut à «social benefits» en anglais; en espagnol, c’est l’expression «prestaciones sociales» qui est employée.


19 – C‑140/12, EU:C:2013:565, points 63 à 80.


20 – C‑140/12, EU:C:2013:565, point 44.


21 – C‑333/13, EU:C:2014:2358.


22 – C‑140/12, EU:C:2013:565.


23 – C-333/13, EU:C:2014:2358, point 73.


24 – C‑140/12, EU:C:2013:565, points 63 à 80.


25 – Point 21 du mémoire en duplique.


26 – Voir, en particulier, réponse du Royaume-Uni à l’avis motivé, p. 3.


27 – Voir, en ce qui concerne les allocations familiales pour le Royaume-Uni, article 146 de la loi sur les cotisations et les prestations de sécurité sociale, de 1992, ainsi que l’article 23 des règlements (généraux) sur les allocations familiales [Child Benefit (General) Regulations], de 2006, dans la version modifiée par les règlements (généraux) (modifiés) sur les allocations familiales et les crédits d’impôt (séjour) [Child Benefit (General) and the Tax Credits (Residence) (Amendment) Regulations 2014], de 2014, et, pour l’Irlande du Nord, article 142 de la loi sur les cotisations et les prestations de sécurité sociale (Irlande du Nord) [Social Security Contributions and Benefits (Northern Ireland) Act 1992], de 1992, ainsi qu’article 27 des règlements (généraux) sur les allocations familiales (dans leur version modifiée).


28 – Voir le site Internet du gouvernement du Royaume-Uni expliquant en détail le fonctionnement de ces allocations (https://www.gov.uk/child-benefit). Suivant ces informations, les allocations familiales s’élèvent actuellement à 20,70 livres sterling (GBP) par semaine pour le premier enfant et à 13,70 GBP par semaine pour chaque enfant supplémentaire. Voir également le site Internet https://www.citizensadvice.org.uk/benefits/children-and-young-people/benefits-for-families-and-children/#h-child-benefit, qui apporte des précisions pratiques sur la demande et l’obtention de ces allocations.


29 – Voir, en ce qui concerne la condition de séjour dans le cas du crédit d’impôt pour enfant, article 3 des règlements (généraux) sur les crédits d’impôt (séjour) [Tax Credits (Residence) Regulations], de 2003 [dans la version modifiée par les règlements (généraux) (modifiés) sur les allocations familiales et les crédits d’impôt (séjour), de 2014].


30 – Malgré sa dénomination, le crédit d’impôt pour enfant correspond à une somme que l’administration compétente verse périodiquement sur le compte bancaire des bénéficiaires et qui semble être associée à la qualité de contribuables de ceux-ci. Le site Internet https://www.gov.uk/child-tax-credit/what-youll-get ne mentionne aucun montant concret, puisque ce dernier dépend de certains facteurs personnels et familiaux. Davantage de détails sur le fonctionnement du crédit d’impôt pour enfant peuvent être trouvés sur le site Internet https://www.citizensadvice.org.uk/benefits/children-and-young-people/benefits-for-families-and-children/#h-child-benefit.


31 – Point 6 du mémoire en défense du Royaume-Uni.


32 – Arrêt Hoever et Zachow, C‑245/94 et C‑312/94, EU:C:1996:379, point 27. Voir également arrêt Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, point 22. Il est vrai que le montant du crédit d’impôt pour enfant dépend des revenus de la famille ainsi que du nombre d’enfants et qu’il n’est plus possible d’en bénéficier si lesdits revenus dépassent certains seuils. Toutefois, au point 17 de l’arrêt Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, la Cour a déjà jugé qu’il n’en résulte pas que l’octroi de cette prestation dépende d’une appréciation individuelle des besoins personnels du demandeur, caractéristique de l’assistance sociale, car il s’agit là de critères objectifs et légalement définis qui, dès lors qu’ils sont remplis, ouvrent droit à cette prestation sans que l’autorité compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles.


33 – Voir arrêt Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, point 21.


34 – Voir, à cet égard, Lenaerts, K., et van Nuffel, P., European Union Law, 3e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2011, p. 269; et Eichenhofer, E., Sozialrecht der Europäischen Union, 3e éd., Erich Schmidt, Berlin, 2006, p. 49, 50 ainsi que 68 et suiv.


35 – Voir, au sujet du contenu du principe d’égalité et de non-discrimination en raison de la nationalité dans la branche spécifique du droit de l’Union relative à la sécurité sociale, Husmann, M., «Diskriminierungsverbot und Gleichbehandlungsgebot des Art. 3 VO 1408/71 und der Artt. 4 und 5 VO 883/2004», Zeitschrift für europäisches Sozial- und Arbeitsrecht, nº 3, 2010, p. 97 et suiv., ainsi que Bokeloh, A., «Die Gleichbehandlung der Staatsangehörigen in der Europäischen Sozialrechtskoordinierung», Zeitschrift für europäisches Sozial- und Arbeitsrecht, nº 10, 2013, p. 398 et suiv., ainsi qu’Eichenhofer, E., op.cit., p. 82 et suiv. ainsi que bibliographie et jurisprudence citées.


36 – Le système de règles de conflit prévu par le règlement nº 883/2004 est caractérisé par le fait qu’il a pour effet de soustraire au législateur de chaque État membre le pouvoir de détermination de l’étendue et des conditions d’application de sa législation nationale, quant aux personnes qui y sont soumises et le territoire à l’intérieur duquel les dispositions nationales produisent leurs effets (arrêt Ten Holder, 302/84, EU:C:1986:242, point 21).


37 – Voir, par analogie, arrêt Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, points 38 et suiv.


38 – La Cour a déjà jugé que, aux fins de ces dispositions, le terme «résidence» signifie le séjour habituel, à savoir le lieu où les personnes concernées résident habituellement et où se trouve également le centre habituel de leurs intérêts, et constitue dès lors une notion autonome et propre au droit de l’Union (arrêts B., C‑394/13, EU:C:2014:2199, point 26, ainsi que Swaddling, C‑90/97, EU:C:1999:96, points 28 et 29).


39 – Voir, notamment, arrêts Swaddling, C‑90/97, EU:C:1999:96, point 29, ainsi que Wencel, C‑589/10, EU:C:2013:303, points 45 et suiv.


40 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) nº 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 284, p. 1).


41 – Tant dans le cas des allocations familiales que dans celui du crédit d’impôt pour enfant, la législation nationale pertinente exige, pour que le droit à ces prestations soit ouvert, que le demandeur «se trouve au Royaume-Uni» (en anglais: «is in Great Britain» ou en Irlande du Nord). Or, nous préciserons plus loin que cette condition n’est remplie que si le demandeur a) se trouve physiquement au Royaume-Uni, b) a sa résidence ordinaire au Royaume-Uni et c) jouit du droit de séjour au Royaume-Uni. Ainsi, l’octroi de ces prestations est exclu si le demandeur ne dispose pas du droit de séjour au Royaume-Uni, car, dans ce cas, à l’article 23, paragraphe 4, des règlements (généraux) sur les allocations familiales, de 2006, et à l’article 3, paragraphe 5, des règlements (généraux) sur les crédits d’impôt de 2003, lus en relation avec l’article 146 de la loi sur les cotisations et les prestations de sécurité sociale, de 1992, le législateur considère que l’intéressé «ne se trouve pas» au Royaume-Uni.


42 – Le Royaume-Uni le reconnaît expressément au point 32 de son mémoire en défense et au point 7 de son mémoire en duplique.


43 – C‑140/12, EU:C:2013:565.


44 – C‑333/13, EU:C:2014:2358.


45 – Voir, également, le récent arrêt Alimanovic, C‑67/14, EU:C:2015:597, qui n’a pas été mentionné par les parties, car il a été rendu postérieurement à la tenue de l’audience dans la présente affaire.


46 – C‑140/12, EU:C:2013:565.


47 – C‑333/13, EU:C:2014:2358.


48 – Il convient de tenir compte du fait que c’est la directive 2004/38 – notamment son article 7, paragraphe 1, sous b), dans le cas de citoyens économiquement non actifs – qui établit les conditions que doit contrôler l’État membre d’accueil pour déterminer si la présence sur son territoire du demandeur des prestations sociales qui font l’objet de la présente affaire (et qui relèvent du champ d’application matériel du règlement nº 883/2004) est régulière.


49 – C‑67/14, EU:C:2015:597, point 43.


50 – Voir, notamment, arrêt Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, points 58 et suiv.


51 – En provoquant nécessairement, comme le souligne l’avocat général Wathelet au point 96 des conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Dano, C‑333/13, EU:C:2014:341, une «potentialité d’inégalité de traitement dans l’octroi des prestations d’assistance sociale entre les ressortissants de l’État membre d’accueil et les autres citoyens de l’Union». 


52 – C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 57.


53 – Arrêts Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31; D’Hoop, C‑224/98, EU:C:2002:432, point 28, et N., C‑46/12, EU:C:2013:97, point 27.


54 – Voir, entre autres, arrêts Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 59, et N., C‑46/12, EU:C:2013:97, point 28.


55 – C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 60.


56 – Voir, notamment, arrêts Baumbast et R, C‑413/99, EU:C:2002:493, points 84 et suiv.; Trojani, C‑456/02, EU:C:2004:488, points 31 et suiv., ainsi que Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, points 46 et 47.


57 – Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17).


58 – Voir à cet égard arrêt Wencel, C‑589/10, EU:C:2013:303: les principes, qui sous-tendent les règles de coordination des législations nationales de sécurité sociale, correspondent à ceux inhérents au domaine de la libre circulation des personnes, dont le principe fondamental est celui selon lequel l’action de l’Union comporte, notamment, l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes (point 39).


59 – Le règlement nº 883/2004 n’harmonise pas les législations des États membres en matière de sécurité sociale, de sorte qu’il appartient toujours aux États membres de décider des prestations qu’ils octroient, des bénéficiaires et des conditions d’octroi de celles-ci, ainsi que du mode de financement de leurs systèmes sociaux. Ce règlement ne préjuge en principe pas des conditions matérielles que chaque État membre établit en matière d’octroi des prestations de sécurité sociale qui font l’objet de la coordination qu’il prévoit, dès lors que les principes communs qu’il établit sont respectés (voir, en ce sens, arrêt Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 41 et jurisprudence citée).


60 – Comme la Commission l’a reconnu lors de l’audience.


61 – Voir, également, point 90 des conclusions que l’avocat général Wathelet a présentées dans l’affaire Dano, C‑333/13, EU:C:2014:341.


62 – C‑140/12, EU:C:2013:565, points 46 et 47.


63 – C‑333/13, EU:C:2014:2358, points 60 et suiv.


64 – C‑67/14, EU:C:2015:597.


65 – Point 33 de la requête.


66 – Point 32 de la requête.


67 – La Cour s’est penchée à de nombreuses reprises sur la relation entre la libre circulation des citoyens de l’Union économiquement non actifs ou en situation de recherche d’emploi et leur accès à des prestations sociales de différentes natures. Voir, en particulier, et parmi de nombreux autres, arrêts Martínez Sala, C‑85/96, EU:C:1998:217; Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458; D’Hoop, C‑224/98, EU:C:2002:432; Collins, C‑138/02, EU:C:2004:172; Trojani, C‑456/02, EU:C:2004:488; Bidar, C‑209/03, EU:C:2005:169; Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:344, ainsi qu’arrêts Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565; Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, et Alimanovic, C‑67/14, EU:C:2015:597.


68 – En ce sens, je ne partage pas l’opinion de la Commission, exposée au point 18 de son mémoire en réplique, selon laquelle, en ce qui concerne les prestations de sécurité sociale telles que celles qui font l’objet de la présente affaire, le test du séjour légal introduit une entrave à la libre circulation qui n’existerait pas si seul le test de la résidence habituelle s’appliquait.


69 – Voir, notamment, arrêt Martínez Sala, C‑85/96, EU:C:1998:217, point 63: «un citoyen de l’Union européenne qui […] réside légalement sur le territoire de l’État membre d’accueil peut se prévaloir de l’article 6 du traité dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire» (mise en italique par mes soins). Cette affirmation est réitérée littéralement dans les arrêts Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 32, et Bidar, C‑209/03, EU:C:2005:169, point 32. En vertu du point 46 de ce dernier arrêt, «[…] l’article 3 de la directive 93/96 ne fait pas obstacle à ce qu’un ressortissant d’un État membre qui, en vertu de l’article 18 CE et de la directive 90/364, séjourne légalement sur le territoire d’un autre État membre où il envisage d’entamer ou de poursuivre des études supérieures invoque, pendant ce séjour, le principe fondamental d’égalité de traitement consacré à l’article 12, premier alinéa, CE» (mise en italique par mes soins). Voir également arrêt Trojani, C‑456/02, EU:C:2004:488, dans lequel, avant d’examiner les effets du principe d’égalité de traitement dans le cas de M. Trojani, la Cour souligne que celui-ci «séjourne légalement en Belgique» (point 37). 


70 – C‑140/12, EU:C:2013:565, point 44, intensément débattu par les parties au cours de la présente procédure.


71 – C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 69.


72 – Indépendamment du fait que, dans l’arrêt Alimanovic, C‑67/14, EU:C:2015:597, qui cite le point 69 de l’arrêt Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, la Cour soit plus précise dans les termes employés lorsqu’elle fait référence à «l’accès à des prestations d’assistance sociale, telles que celles en cause au principal» (point 49). 


73 – À cet égard, voir arrêt Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358: «l’existence éventuelle d’une inégalité de traitement entre les citoyens de l’Union ayant fait usage de leur liberté de circulation et de séjour et les ressortissants de l’État membre d’accueil à l’égard de l’octroi des prestations sociales est une conséquence inévitable de la directive 2004/38» (point 77, qui cite les points 93 et 96 des conclusions que l’avocat général Wathelet a présentées dans cette même affaire, C‑333/13, EU:C:2014:341).


74 – Voir également, en ce qui concerne la permanence du séjour, article 19 de la directive 2004/38.


75 – Finalité jugée légitime par la Cour depuis l’arrêt Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 44. Il convient de tenir compte du fait que l’objectif de protection des finances publiques ne présente pas une nature strictement économique et que la Cour l’a associé à l’objectif indirect de préservation du niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État (arrêts Bidar, C‑209/03, EU:C:2005:169, point 56; Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 61, et Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 63).


76 – Point 37 du mémoire en défense.


77 – C‑140/12, EU:C:2013:565, notamment point 69.


78 – Il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2004/38, «[l]es citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncées dans ces articles. Dans certains cas spécifiques lorsqu’il est permis de douter qu’un citoyen de l’Union ou les membres de sa famille remplissent les conditions énoncées aux articles 7, 12 et 13, les États membres peuvent vérifier si c’est effectivement le cas. Cette vérification n’est pas systématique».


79 – Selon le Royaume-Uni, ce contrôle s’effectue comme suit: le demandeur doit indiquer, dans le formulaire de demande, une série de données qui font apparaître l’existence ou non d’un droit de séjour au Royaume-Uni; une fois le formulaire reçu, les autorités compétentes pour l’octroi de ces prestations vérifient ce point; dans des cas particuliers, elles exigent des demandeurs qu’ils apportent des preuves en vue de montrer qu’ils jouissent effectivement du droit de séjour qui découle des informations inscrites dans le formulaire.


80 – Il convient de tenir compte du fait que cette procédure ne s’applique pas qu’aux citoyens de l’Union, mais également aux ressortissants de pays tiers, qui peuvent avoir accès aux prestations familiales en question s’ils disposent d’un droit de séjour au Royaume-Uni et s’ils remplissent les critères de présence et de résidence habituelle dans ce pays.


81 – La perte du droit de séjour dans l’État membre d’accueil en vertu de la directive 2004/38 est une conséquence automatique du non-respect des conditions qu’elle fixe.


82 – En vertu de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2004/38, «[l]es procédures prévues aux articles 30 et 31 s’appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique». Comme l’a souligné l’avocat général Wahl dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Brey, C‑140/12, EU:C:2013:337, «les citoyens de l’Union jouissent indubitablement des garanties procédurales visées à l’article 15 de la directive 2004/38 qui ne peuvent être contournées par des procédures qui ne traitent pas uniquement du droit d’une personne à une prestation, mais également en même temps son droit de séjour» (point 93).


83 – Malgré ce que semble indiquer la version en langue allemande de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive; voir, à cet égard, points 74 et suiv. des conclusions que l’avocat général Wahl a présentées dans l’affaire Brey, C‑140/12, EU:C:2013:337.


84 – C‑140/12, EU:C:2013:565, points 64 et suiv. Je partage également l’avis défendu par l’avocat général Wathelet dans les conclusions qu’il a présentées dans les affaires Alimanovic, C‑67/14, EU:C:2015:210, points 107 et suiv., ainsi que García-Nieto e.a., C‑299/14, EU:C:2015:366, point 85 et suiv., en ce sens que les autorités nationales doivent aussi prendre en compte, à cet effet, d’autres éléments représentatifs qui permettent de démontrer l’existence d’un lien réel entre le citoyen de l’Union et l’État membre d’accueil (et donc qu’il est intégré à celui-ci du point de vue économique et social, ce que le Royaume-Uni affirme en fin de compte vouloir garantir), comme peuvent l’être l’exercice d’un travail dans le passé, l’existence d’un historique de cotisations dans cet État, la scolarisation des enfants (voir les considérations exposées par la Cour dans l’arrêt Ibrahim et Secretary of State for the Home Department, C‑310/08, EU:C:2010:80) ou l’existence de liens étroits de nature personnelle avec l’État membre concerné (voir, à cet égard, arrêts Prete, C‑367/11, EU:C:2012:668, point 50, et Stewart, C‑503/09, EU:C:2011:500, point 100).