Language of document : ECLI:EU:T:2018:876

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

5 décembre 2018 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents concernant une procédure en manquement ouverte par la Commission à l’encontre de la République de Lituanie – Refus d’accès – Exception relative à la protection des activités d’inspection, d’enquête et d’audit – Présomption générale – Intérêt public supérieur »

Dans l’affaire T‑312/17,

Liam Campbell, demeurant à Dundalk (Irlande), représenté par M. J. MacGuill et Mme E. Martin-Vignerte, solicitors,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme C. Ehrbar et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2017) 2448 final de la Commission, du 7 avril 2017, refusant l’accès aux documents afférents à la procédure d’infraction 2013/0406 contre la République de Lituanie portant sur l’application de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO 2010, L 280, p. 1),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, R. Barents et J. Passer (rapporteur), juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 17 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par lettre du 30 janvier 2017, le requérant, M. Liam Campbell, a, au titre de l’article 6 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), présenté à la Commission européenne une demande d’accès à toute la correspondance échangée entre cette dernière et la République de Lituanie, et à toutes les procédures en ayant découlé, concernant le défaut de transposition de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO 2010, L 280, p. 1).

2        Par lettre du 7 mars 2017, la Commission a communiqué au requérant seize documents correspondant aux mesures nationales de transposition notifiées par les autorités lituaniennes. En revanche, elle a refusé l’accès à quatre autres documents sur le fondement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. Ces documents auxquels l’accès a été refusé étaient la lettre de mise en demeure adressée par la Commission aux autorités lituaniennes en ce qui concerne la procédure en manquement 2013/0406 (document no 14 de la liste figurant dans la réponse de la Commission), la réponse de la République de Lituanie (document no 18), l’avis motivé adressé par la Commission à la République de Lituanie (document no 19) et la réponse de cette dernière à l’avis motivé (document no 20).

3        Par lettre du 8 mars 2017, le requérant a présenté une demande confirmative d’accès aux documents conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.

4        Par la décision C(2017) 2448 final du 10 avril 2017 (ci-après la « décision attaquée »), le secrétaire général de la Commission a confirmé le refus d’accès sur le fondement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

5        La Commission a relevé que les documents en cause ont été rédigés dans le cadre de la procédure en manquement 2013/0406, qui était toujours en cours. Dès lors, la divulgation des documents dans le dossier de ladite procédure aurait risqué de porter atteinte au dialogue entre la Commission et la République de Lituanie. Partant, la Commission a fondé son refus sur la présomption générale de non-divulgation des documents afférents à la procédure en manquement pendant la phase précontentieuse de celle-ci. Par ailleurs, la Commission a conclu qu’aucun intérêt public supérieur ne justifiait la divulgation, qu’il n’était pas possible d’accorder un accès partiel et que le requérant n’avait pas apporté d’élément de nature à remettre en cause la validité de la conclusion selon laquelle les quatre documents litigieux étaient couverts par la présomption générale de non-divulgation découlant de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juin 2017, le requérant a introduit le présent recours.

7        Le 22 juin 2017, le requérant a demandé le bénéfice de l’anonymat en vertu de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal. Le Tribunal a rejeté cette demande par décision du 4 juillet 2017.

8        Le 19 juillet 2017, le requérant a demandé le bénéfice de la procédure accélérée en vertu de l’article 152 du règlement de procédure. Le Tribunal a rejeté cette demande par décision du 31 juillet 2017.

9        Par ordonnance du 8 novembre 2017, prise à la suite d’une demande déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2017 et des observations de la Commission du 17 juillet 2017, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis le requérant au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

10      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

11      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        rejeter la demande de la Commission tendant à ce qu’il soit condamné aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

13      Le requérant invoque, en substance, trois moyens au soutien de son recours, tirés, premièrement, de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret de la demande d’accès, en raison d’un recours illégal à une présomption générale, deuxièmement, de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret et effectif d’un éventuel accès partiel et, troisièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation concernant l’existence d’un intérêt public supérieur.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret de la demande d’accès, en raison d’un recours illégal à une présomption générale

14      Le requérant relève que la Commission a fondé la décision attaquée sur la présomption générale établie par la Cour dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738).

15      En appliquant une telle présomption, la Commission aurait commis une erreur de droit. En effet, la Commission renverrait aux catégories de documents définies dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), sans tenir compte du fait que les documents en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernaient la procédure en manquement prévue par un règlement spécifique et non la procédure en manquement générale.

16      En ce qui concerne l’ensemble des catégories de documents définies par la Cour, une constante serait identifiable. Dans tous les cas, le règlement no 1049/2001 serait contrebalancé par un autre règlement qui prévoirait un cadre plus restrictif pour la divulgation de documents en cours d’enquête.

17      Une telle combinaison entre le règlement no 1049/2001 et un règlement spécifique encadrant la divulgation au public ne se retrouverait pas en l’espèce. La procédure en manquement engagée à l’encontre la République de Lituanie serait fondée sur l’article 258 TFUE. De plus, la directive 2010/64, objet de cette procédure en manquement, ne contiendrait pas de dispositions particulières en ce qui concerne l’enquête relative à un prétendu manquement.

18      En conséquence, la Commission n’aurait pas pu invoquer une présomption générale en l’espèce. En raison de cette erreur de droit, elle n’aurait pas procédé à un examen concret de chaque document.

19      Le requérant fait valoir que, au-delà du fait que la décision attaquée expose que les documents en cause ne peuvent être divulgués en raison d’une présomption générale, la Commission ne démontre aucun risque, qu’il soit hypothétique ou, à plus forte raison, réel et raisonnablement prévisible, d’atteinte à la procédure en manquement.

20      Le requérant invoque, au soutien de sa position, la publication par la Commission d’un communiqué de presse concernant la procédure en manquement en cause ainsi que la durée de cette procédure. Il fait valoir que la Commission n’a pas établi l’existence d’un risque pour la bonne fin de la procédure en manquement en cas de divulgation des quatre documents litigieux.

21      La Commission conteste la position du requérant.

22      À titre liminaire, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union sous réserve des principes et des conditions qui sont fixés par la législation de l’Union. Par ailleurs, ce même droit est reconnu à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

23      Le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent le considérant 4 et l’article 1er de celui-ci, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible. Il ressort également de ce règlement, notamment du considérant 11 et de l’article 4 de celui-ci qui prévoit un régime d’exceptions à cet égard, que ce droit d’accès n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 40). Néanmoins, dès lors que de telles exceptions dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêt du 13 juillet 2017, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑60/15 P, EU:C:2017:540, point 63).

24      En vertu de l’exception invoquée par la Commission, figurant à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

25      Il en découle que le régime des exceptions prévu à l’article 4 du règlement no 1049/2001, et notamment au paragraphe 2 de cet article, est fondé sur une mise en balance des intérêts qui s’opposent dans une situation donnée, à savoir, d’une part, les intérêts qui seraient favorisés par la divulgation des documents concernés et, d’autre part, ceux qui seraient menacés par cette divulgation. La décision prise sur une demande d’accès à des documents dépend de la question de savoir quel est l’intérêt qui doit prévaloir dans le cas d’espèce (arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 42, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 42).

26      Dans la présente affaire, il est constant que les documents visés par la demande du requérant et auxquels la Commission a opposé un refus d’accès relèvent d’une activité d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. En effet, le requérant demande l’accès aux documents contenus dans le dossier administratif de la Commission concernant une procédure en manquement ouverte contre la République de Lituanie, ce qui constitue indéniablement une activité d’enquête (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 1 et 43, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 43).

27      Or, pour justifier le refus d’accès à un document dont la divulgation a été demandée, il ne suffit pas, en principe, que ce document relève d’une activité mentionnée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. L’institution concernée doit également fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès audit document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cet article (arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 116 ; du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 44, et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 68).

28      Toutefois, la jurisprudence a reconnu qu’il est loisible à l’institution concernée de se fonder, à cet égard, sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature (arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 116 ; du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 45, et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 69).

29      Il y a lieu de constater que, selon la jurisprudence, il peut être présumé que la divulgation des documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, risque d’altérer le caractère de cette procédure ainsi que d’en modifier le déroulement et que, partant, cette divulgation porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 (arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 65, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 46).

30      Contrairement à ce que soutient le requérant, se référant à l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), la mise en œuvre de la présomption générale visant les documents afférents à une procédure en manquement ne suppose pas l’applicabilité, dans le cas concret, d’une réglementation spécifique prévoyant un cadre plus restrictif que celui du règlement no 1049/2001 pour la divulgation de documents en cours d’enquête.

31      À cet égard, il convient de relever que, lorsque la Cour, dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 52 à 55), s’est référée au règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), ce n’était pas pour constater que la mise en œuvre de la présomption générale supposait l’applicabilité de ce règlement mais, au contraire, pour constater que l’article 6, paragraphe 1, première phrase de ce règlement, qui consacre une règle visant à faciliter l’accès aux documents contenant des informations environnementales, disposait que cette règle ne s’appliquait pas aux enquêtes, notamment celles relatives à de possibles manquements au droit de l’Union (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 54).

32      Il en résultait, a poursuivi la Cour, que la procédure en manquement de l’article 258 TFUE était considérée, par le règlement no 1367/2006, comme une procédure qui, en tant que telle, présentait des caractéristiques s’opposant à ce qu’une pleine transparence soit accordée dans le domaine environnemental. La procédure en manquement occupait, par conséquent, une position particulière au sein du régime relatif à l’accès aux documents (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 55).

33      C’est donc à tort que le requérant soutient que la mise en œuvre de la présomption générale visant les documents afférents à une procédure en manquement suppose l’applicabilité, dans le cas concret, d’une réglementation spécifique prévoyant un cadre plus restrictif que celui du règlement no 1049/2001 pour la divulgation de documents en cours d’enquête.

34      En outre, dans la suite de l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), la Cour a procédé à des considérations générales sur les objectifs de la procédure en manquement de l’article 258 TFUE (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 56 à 64) pour conclure à l’existence de la présomption générale selon laquelle la divulgation des documents du dossier administratif afférent à une procédure en manquement porte, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 65 et 66).

35      La Cour a conclu que le Tribunal n’avait pas commis d’erreur de droit en reconnaissant à la Commission la faculté de se fonder sur la présomption générale selon laquelle l’accès, même partiel, du public aux documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, mettrait en péril la réalisation des objectifs de cette procédure, afin de refuser l’accès à ces documents sur la base de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 70).

36      Enfin, il convient de relever que, dans l’arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission (C‑562/14 P, EU:C:2017:356, point 40), la Cour a expressément rappelé avoir décidé, dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), que les documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse pouvaient bénéficier de la présomption générale de confidentialité. La Cour a rappelé avoir considéré, au point 65 de ce dernier arrêt, qu’il pouvait être présumé que la divulgation des documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, risquait d’altérer le caractère de cette procédure ainsi que d’en modifier le déroulement, et que, partant, cette divulgation porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

37      Par sa nature même, la présomption générale reconnue par le juge de l’Union, selon laquelle l’accès, même partiel, du public aux documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse mettrait en péril la réalisation des objectifs de cette procédure, a pour conséquence, lorsqu’elle est opposée à une demande d’accès, que l’institution qui s’en prévaut n’a pas à procéder à un examen concret et effectif du risque pour chaque document.

38      Quant à la circonstance que la Commission a publié un communiqué de presse informant le public de l’envoi d’un avis motivé à la République de Lituanie dans la procédure d’infraction en cause, elle ne porte pas atteinte à l’applicabilité de la présomption générale. Comme le relève à juste titre la Commission, le fait qu’une procédure en manquement soit en cours n’est pas confidentiel et celle-ci publie couramment des communiqués de presse pour informer le public de ces procédures. Ces circonstances ne retirent rien au fait que les documents afférents à ces procédures ne sauraient être rendus accessibles sauf à mettre en péril la réalisation des objectifs de ces procédures.

39      Quant à l’argument selon lequel la procédure en manquement serait longue et la République de Lituanie s’efforcerait de la faire durer, il convient de le rejeter. En effet, et indépendamment même du fait qu’il ne ressort pas du dossier que la République de Lituanie, laquelle a répondu dans le délai imparti à l’avis motivé, s’efforcerait de faire durer cette procédure, ni que cette procédure serait d’une durée excessive eu égard à la complexité, relevée par la Commission, des questions en cause, il convient de rappeler que la Cour, en retenant l’existence d’une présomption générale attachée aux documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, a visé à assurer la protection du dialogue entre la Commission et l’État membre concerné sans fixer un terme au-delà duquel le dialogue encore en cours ne devrait plus être protégé par la présomption.

40      Enfin, quant à l’argument selon lequel la Commission aurait divulgué seize documents sur les vingt identifiés par elle et ne pourrait invoquer une présomption générale de manière sélective, il convient de relever que les seize documents communiqués sont les mesures de transposition notifiées par la République de Lituanie, lesquelles sont des informations publiques que la Commission a transmises à titre informatif au requérant. En revanche, les quatre documents dont l’accès a été refusé sont les documents afférents à la procédure en manquement et bénéficient, à ce titre, de la présomption générale de confidentialité définie par la jurisprudence.

41      S’agissant de la référence opérée par le requérant à l’arrêt du 7 septembre 2017, France/Schlyter (C‑331/15 P, EU:C:2017:639), il convient de relever qu’elle est dépourvue de pertinence. En effet, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait non pas l’accès à des documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse, mais l’accès à un avis de la Commission émis dans le cadre de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 1998, L 204, p. 37). Ainsi que la Cour l’a relevé, le système spécifique de cette directive établissait une exigence de transparence, notamment en faveur des opérateurs économiques, afin qu’ils soient en mesure de connaître l’étendue des obligations susceptibles de leur être imposées et d’anticiper l’adoption des règles techniques en adaptant, le cas échéant, leurs produits ou leurs services en temps utile (arrêt du 7 septembre 2017, France/Schlyter, C‑331/15 P, EU:C:2017:639, points 72 à 82). La présente affaire concerne, différemment, la protection du dialogue entre la Commission et les États membres dans le cadre de la procédure d’infraction régie par l’article 258 TFUE et, dans ce cadre, la non‑divulgation des documents afférents à cette procédure.

42      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le requérant n’établit pas que la Commission aurait, dans le cadre de l’application de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, invoqué illégalement la présomption générale à l’égard des documents afférents à la procédure en manquement 2013/0406 et aurait, de ce fait, omis à tort de procéder à un examen concret de chaque document.

43      Le présent moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de procéder à un examen concret et effectif d’un éventuel accès partiel

44      Le requérant reproche à la Commission de ne pas avoir effectué un examen concret et effectif de la possibilité d’accorder un accès partiel. La Commission n’aurait pas été fondée à se prévaloir d’une présomption générale. Le requérant invoque l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738).

45      La Commission conteste la position du requérant.

46      Aux termes de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs exceptions au droit d’accès, les autres parties du document sont divulguées.

47      Il convient de relever que les présomptions générales, comme celle concernant l’accès aux documents afférents à une procédure en manquement, signifient que les documents couverts par celles-ci échappent à l’obligation d’une divulgation, intégrale ou partielle, de leur contenu (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 133 ; du 25 mars 2015, Sea Handling/Commission, T‑456/13, non publié, EU:T:2015:185, point 91, et ordonnance du 25 mai 2016, Syndial/Commission, T‑581/15, non publiée, EU:T:2016:337, point 53).

48      Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été jugé dans le cadre du premier moyen, c’est à bon droit que la Commission a invoqué la présomption générale de non-divulgation.

49      Au point 4 de la décision attaquée, la Commission a examiné la possibilité de donner un accès partiel et l’a rejetée, eu égard à l’application en l’espèce de la présomption générale et à l’absence de preuve susceptible de remettre en cause la conclusion selon laquelle les documents en cause étaient couverts par cette présomption dans leur intégralité. Force est de constater que le requérant n’a pas avancé d’éléments de nature à réfuter ces considérations.

50      Quant à la référence opérée par le requérant au point 67 de l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), il suffit de rappeler que, comme cela a déjà été relevé dans le cadre du premier moyen, il n’a pas établi que la procédure en manquement concernée par la demande d’accès aurait présenté des caractéristiques justifiant que la présomption générale de non-divulgation soit écartée.

51      Il s’ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation concernant l’existence d’un intérêt public supérieur

52      Le requérant fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne reconnaissant pas l’existence d’un intérêt public supérieur.

53      Le requérant admet que sa demande de documents visait à fournir autant d’informations que possible à la High Court (Haute Cour, Irlande) afin que celle-ci soit la mieux placée pour statuer équitablement sur sa demande tendant à obtenir sa remise à la République de Lituanie.

54      Il fait cependant valoir qu’il ne serait pas dans l’intérêt public que le droit à un procès équitable et les droits de la défense soient affectés par le refus de donner accès aux documents relatifs à une procédure en manquement. Le requérant invoque l’arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission (T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190), notamment ses points 110 à 112. L’exception au droit d’accès devrait être mise en balance avec l’objectif de protéger le droit à un procès équitable en donnant aux citoyens la possibilité de contrôler la véracité des informations fournies par les États membres à la Commission.

55      Il y aurait un intérêt public supérieur à la divulgation pour permettre au public de vérifier l’efficacité de la procédure en manquement dans le cas où une divulgation tardive aurait un effet opposé à celui, de protection des droits, recherché par la procédure en manquement. La Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne reconnaissant pas l’existence d’un intérêt public supérieur et, en tout état de cause, en considérant la procédure en manquement comme étant le moyen le plus rapide d’assurer la protection complète du droit à un procès équitable de la personne soupçonnée ou accusée garanti par la directive 2010/64. Pour toutes ces raisons, le requérant soutient que, en l’espèce, il convient de divulguer l’ensemble du dossier relatif à la procédure en manquement.

56      La Commission conteste la position du requérant.

57      Il convient de relever que les présomptions générales reconnues par la jurisprudence à l’égard de certaines catégories de documents, parmi lesquelles celle relative aux documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse de cette procédure, n’excluent pas la possibilité de démontrer qu’un document donné, dont la divulgation est demandée, n’est pas couvert par la présomption en cause ou qu’il existe, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement no 1049/2001, un intérêt public supérieur justifiant la divulgation du document visé (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 66, et du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 48).

58      Il incombe toutefois au demandeur d’invoquer de manière concrète des circonstances fondant un intérêt public supérieur qui justifie la divulgation des documents concernés (arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 94, et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 90).

59      L’exposé de considérations d’ordre purement général ne saurait suffire aux fins d’établir qu’un intérêt public supérieur prime les raisons justifiant le refus de divulgation des documents en cause (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 158 ; du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 93 ; du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, EU:C:2014:112, point 105, et du 2 octobre 2014, Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, point 131).

60      Pour autant que le requérant invoque sa volonté de fournir certaines informations à une juridiction nationale dans le cadre d’un litige le concernant, il y a lieu de constater que cette circonstance ne démontre pas l’existence d’un intérêt public, mais d’un intérêt privé (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Herbert Smith Freehills/Commission, T‑755/14, non publié, EU:T:2016:482, point 75).

61      S’agissant de la référence aux points 110 à 112 de l’arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission (T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190), il convient de relever que les passages de cet arrêt cités par le requérant portaient sur l’application de l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête, et non sur la question de l’existence d’un intérêt public supérieur. Dès lors, cet arrêt ne saurait soutenir les prétentions de la requérante dans le cadre du troisième moyen visant à démontrer l’existence d’un intérêt public supérieur dans la divulgation des documents demandés.

62      Quant à la référence au fait qu’il ne serait pas dans l’intérêt public que le droit à un procès équitable et les droits de la défense, garantis par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux, soient affectés par le refus de donner accès aux documents relatifs à une procédure en manquement, il convient de relever que certes, l’existence du droit à un procès équitable et des droits de la défense présentent en soi un intérêt public. Toutefois, le fait que ces droits se manifestent en l’espèce par l’intérêt subjectif du requérant de se défendre devant le juge irlandais implique que l’intérêt dont il se prévaut n’est pas un intérêt public, mais, ainsi qu’il l’a été déjà relevé au point 60 ci-dessus, un intérêt privé (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 138).

63      À cet égard, s’agissant de l’observation du requérant selon lequel il appartiendrait au juge national, saisi d’une procédure de remise susceptible d’affecter les droits fondamentaux de la personne concernée, de rechercher tous les éléments de preuve pertinents, observation qui corrobore que l’intérêt dont le requérant recherche la protection en l’espèce est bien son intérêt privé, il convient de relever que, lors de l’audience, la Commission a indiqué que, en application du principe de coopération loyale visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE et mentionné dans l’ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a. (C‑2/88‑IMM, EU:C:1990:315, points 17 et 18), il était loisible au juge national de lui demander la communication des éléments de la procédure en manquement aux fins d’examiner la question d’une atteinte aux droits fondamentaux du requérant, mais que, en l’espèce, une telle demande n’avait pas été formée.

64      Quant à la revendication d’un intérêt public supérieur à la divulgation pour permettre de vérifier l’efficacité de la procédure en manquement, il convient de relever que des considérations générales relatives au principe de transparence et au droit du public d’être informé sur le travail des institutions ne sauraient justifier la divulgation de documents afférents à la phase précontentieuse d’une procédure en manquement (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, points 91 et 93). De plus, la Commission, comme elle l’a relevé à juste titre et comme elle l’a d’ailleurs fait en l’espèce, veille à informer le public de l’avancement de dossiers d’infraction spécifiques par la publication régulière de communiqués de presse.

65      Il résulte des considérations qui précèdent que le requérant n’établit pas que la Commission a à tort conclu à l’absence d’un intérêt public supérieur de nature à fonder la divulgation des documents de la procédure en manquement en l’espèce.

66      Le présent moyen doit donc être rejeté.

67      Le recours n’étant fondé en aucun de ses moyens, il convient de le rejeter.

 Sur les dépens

68      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

69      Le requérant soutient que, en raison des questions soulevées en l’espèce, il ne devrait pas être condamné au paiement des dépens de la Commission. La Commission conteste cette appréciation.

70      Aux termes de l’article 149, paragraphe 5, du règlement de procédure, lorsque le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle succombe, le Tribunal peut, si l’équité l’exige, en statuant sur les dépens dans la décision mettant fin à l’instance, décider qu’une ou plusieurs autres parties supportent leurs propres dépens ou que ceux-ci sont, totalement ou en partie, pris en charge par la caisse du Tribunal au titre de l’aide juridictionnelle.

71      En l’espèce, eu égard aux circonstances particulière de l’espèce, le Tribunal estime qu’il y a lieu de faire application de l’article 149, paragraphe 5, du règlement de procédure, et de décider que chaque partie supportera ses dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Liam Campbell et la Commission européenne supporteront chacun leurs propres dépens.

Collins

Barents

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.