Language of document : ECLI:EU:C:2020:705

ORDONNANCE DE LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR

10 septembre 2020 (*)

« Pourvoi – Référé – Article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal – Décision des représentants des gouvernements des États membres portant nomination de trois juges et d’un avocat général à la Cour de justice – Recours en annulation – Fumus boni juris »

Dans l’affaire C‑424/20 P(R),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 5 septembre 2020,

Représentants des gouvernements des États membres, représentés par MM. M. Bauer et R. Meyer, ainsi que par Mme A. Sikora-Kalėda, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Eleanor Sharpston,

partie demanderesse en première instance,

Conseil de l’Union européenne,

partie défenderesse en première instance,

LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur pourvoi, les représentants des gouvernements des États membres demandent l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal de l’Union européenne, du 4 septembre 2020, Eleanor Sharpston/Conseil de l’Union européenne et Représentants des gouvernements des États membres (T‑550/20 R, non publiée, ci‑après l’« ordonnance attaquée ») par laquelle celui‑ci a ordonné que l’exécution et tous les effets subséquents de la décision des représentants des gouvernements des États membres, du 2 septembre 2020, portant nomination de trois juges et d’un avocat général à la Cour de justice (JO 2020, L 292, p. 1, ci‑après l’« acte litigieux »), pour autant qu’elle concerne la nomination de M. Athanasios Rantos au poste d’avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne, soient suspendus jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure en référé entamée par la demanderesse au principal.

 Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

2        En 2006, sur proposition du gouvernement du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, les représentants des gouvernements des États membres ont nommé Mme Sharpston pour exercer les fonctions d’avocat général à la Cour de justice pour une durée de six ans. À la suite d’une nouvelle proposition du même gouvernement, la demanderesse en première instance a été nommée, en vertu de la décision (UE, Euratom) 2015/578 des représentants des gouvernements des États membres du 1er avril 2015 portant nomination de juges et d’avocats généraux à la Cour de justice (JO 2015, L 96, p. 11), pour exercer les fonctions d’avocat général pour la période du 7 octobre 2015 au 6 octobre 2021. Elle a exercé et continue d’exercer ses fonctions à ce poste.

3        La décision du Conseil de l’Union européenne, du 25 juin 2013, portant augmentation du nombre d’avocats généraux à la Cour de Justice de l’Union européenne (JO 2013, L 179, p. 92), fixe le nombre d’avocats généraux à la Cour de justice à onze, avec effet au 7 octobre 2015.

4        Le 2 septembre 2020, les représentants des gouvernements des États membres ont adopté l’acte litigieux, qui a été publié au registre des documents publics du Conseil de l’Union européenne après son adoption. Le service de presse du Secrétariat Général de cette institution a également publié immédiatement un communiqué de presse. Il ressort, notamment, de l’acte litigieux que M. Rantos a été nommé avocat général à la Cour de justice pour la période du 7 septembre 2020 au 6 octobre 2021, à la suite du retrait du Royaume Uni de l’Union européenne.

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal de l’Union européenne le 4 septembre 2020, Mme Sharpston a demandé, conformément aux articles 278 et 279 TFUE et à l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, que :

–        l’exécution de l’acte litigieux, pour autant qu’il concerne la nomination de M. Athanasios Rantos au poste d’avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne, soit suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande dans l’affaire T‑550/20, Eleanor Sharpston/Conseil de l’Union européenne et Représentants des gouvernements des États membres, ou jusqu’au prononcé d’une autre ordonnance ;

–        les effets de l’acte litigieux soient suspendus pour autant qu’ils concernent l’expiration des contrats de travail ou le détachement des collaborateurs de Mme Sharpston, mentionnés à l’annexe A.3 de la requête en référé ;

–        les mesures provisoires susmentionnées soient octroyées avant le 7 septembre 2020 ou dans les plus brefs délais à compter de cette date.

6        Le 4 septembre 2020, le juge des référés du Tribunal a, en application de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, provisoirement fait droit à la demande de mesures provisoires jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure en référé entamée par la demanderesse en première instance.

7        En particulier, le juge des référés du Tribunal a, au point 9 de l’ordonnance attaquée, constaté que la demande de mesures provisoires satisfaisait aux deux conditions auxquelles l’octroi des mesures provisoires sollicitées serait, selon la jurisprudence évoquée au point 8 de ladite ordonnance, soumis, à savoir que les mesures provisoires apparaissent nécessaires pour permettre au juge d’obtenir des informations suffisantes afin d’être en mesure de statuer sur une situation factuelle et/ou juridique complexe, soulevée par la demande en référé, ou qu’il apparaît nécessaire, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de maintenir le statu quo jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure en référé.

8        Dans ces conditions, le juge des référés du Tribunal a provisoirement accueilli la demande de mesures provisoires introduite par la demanderesse en première instance.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

9        Par son pourvoi, les représentants des gouvernements des États membres (ci‑après la « partie requérante ») demandent à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        de rejeter la demande de mesures provisoires dans son intégralité ;

–        de réserver la décision sur les dépens.

10      La partie requérante demande également à la Cour, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, de statuer sur le présent pourvoi, sans entendre, au préalable, les autres parties.

11      Compte tenu des éléments du dossier dont dispose la Cour, notamment, des arguments développés tant par la partie demanderesse en première instance, devant le Tribunal, que par la partie requérante, devant la Cour, la vice-présidente de la Cour estime qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le présent pourvoi. Partant, il y a lieu, conformément à l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, applicable au présent pourvoi, en vertu des articles 39 et 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de statuer sur le présent pourvoi sans entendre, au préalable, les autres parties.

 Sur le pourvoi

12      À l’appui de son pourvoi, la partie requérante soulève trois moyens.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation

13      Par son deuxième moyen, qu’il convient d’examiner, en premier lieu, la partie requérante fait valoir, en substance, que, en accueillant provisoirement la demande de mesures provisoires introduite par la demanderesse en première instance alors que, selon ladite partie, le recours au principal est manifestement irrecevable, le juge des référés du Tribunal a commis une erreur de droit.

14      La partie requérante rappelle, que, conformément à une jurisprudence constante du Tribunal, un recours en annulation formé en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE, ne peut être dirigé que contre l’une des institutions qu’il mentionne ou contre tout organe, organisme ou agence de l’Union compétent pour adopter l’acte attaqué et qui est l’auteur dudit acte attaqué.

15      Or, selon la partie requérante, le contenu et l’ensemble des circonstances dans lequel l’acte litigieux a été adopté révèlent manifestement qu’il s’agit d’un acte pris par les ambassadeurs des États membres, qui se sont réunis en tant que représentants des gouvernements des États membres et ont exprimé leur « commun accord » sur la nomination de membres de la Cour, ainsi qu’il est prévu à l’article 253 TFUE.

16      Dans ces conditions, la partie requérante soutient que le recours au principal est manifestement irrecevable en tant qu’il est dirigé contre le Conseil de l’Union européenne.

17      Par ailleurs, la partie requérante explique qu’une conférence des représentants des gouvernements des États membres n’est pas destinée à être un organe de décision de l’Union mais constitue une dimension intergouvernementale rare dans le système complexe du droit de l’Union, qui reste en dehors du champ d’application de l’article 263 TFUE. En effet, la plupart des compétences que les auteurs des traités n’ont pas conférées aux institutions mais ont laissées aux États membres seraient exercées individuellement par ces derniers. Toutefois, pour certaines questions très spécifiques et particulièrement sensibles, les traités fixeraient un cadre mais laisseraient la décision proprement dite aux États membres, agissant collectivement. Tel serait, notamment, le cas en ce qui concerne la nomination des juges et la détermination des sièges des institutions de l’Union européenne, ainsi qu’il ressort de l’article 341 TFUE. Les États membres, en tant que maîtres des traités, se seraient, ainsi, réservés, collectivement, l’adoption de certains actes. Or, ces derniers échapperaient, en tant que tels, au contrôle juridictionnel de la Cour de justice de l’Union européenne, qui, par définition, ne serait compétente que pour examiner la légalité des actes ayant été adoptés par les institutions dans l’exercice des compétences qui leur sont conférées.

18      Dans ces conditions, la partie requérante soutient que le recours au principal est manifestement irrecevable en ce que l’acte litigieux, qui a été adoptée sur la base de l’article 253, premier alinéa, TFUE, d’un commun accord par les 27 représentants des gouvernements des États membres, échappe manifestement aux compétences conférées par les auteurs des traités à l’Union et, partant, au contrôle juridictionnel de la Cour de justice de l’Union européenne.

 Appréciation

19      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

20      Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours au fond. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence [ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 21 mars 2019, Crédit agricole et Crédit agricole Corporate and Investment Bank/Commission, C‑4/19 P(R), non publiée, EU:C:2019:229, point 12 et jurisprudence citée).

21      S’agissant, notamment, de la condition relative au fumus boni juris, la Cour a précisé que cette condition est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux (ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne, C‑791/19 R, EU:C:2020:277, point 52 et jurisprudence citée).

22      Il en résulte que la condition relative au fumus boni juris ne saurait être remplie, et, par voie de conséquence, la demande en référé ne saurait être accueillie, ne serait-ce que provisoirement, dès lors qu’il apparait, à première vue, que le recours au principal n’est pas susceptible de prospérer.

23      Or, en l’occurrence, il ressort, d’emblée, du contenu de l’acte litigieux que celui-ci a été adopté non pas par le Conseil de l’Union européenne mais par les représentants des gouvernements des États membres, sur la base de l’article 253, paragraphe 1, TFUE.

24      Par conséquent, il apparait, a première vue, que le recours au principal est manifestement irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le Conseil de l’Union européenne.

25      Par ailleurs, il ressort du libellé même de l’article 263 TFUE que seuls les actes des institutions, organes et organismes de l’Union sont soumis au contrôle de légalité exercé par la Cour de justice de l’Union européenne sur la base de de cette disposition.

26      Dans ce contexte, la Cour a précisé qu’il ressort de l’article 263 TFUE que les actes adoptés par les représentants des États membres agissant non pas en qualité de membres du Conseil de l’Union européenne ou de membres du Conseil européen, mais en leur qualité de représentants de leur gouvernements, et exerçant ainsi collectivement les compétence des États membres, ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union (arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271, point 12).

27      Tel est, à première vue, le cas de l’acte portant nomination des juges et des avocats généraux de la Cour de justice, lequel, conformément à l’article 253, paragraphe 1, TFUE, est adopté d’un commun accord par les gouvernements des États membres.

28      Par conséquent, il apparait, également à première vue, que le recours au principal est manifestement irrecevable dans la mesure où il tend à l’annulation d’une décision émanant non pas d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union mais des représentants des gouvernements des États membres exerçant les compétences de ces États, de telle sorte qu’une telle décision échappe au contrôle de légalité exercé par la Cour de Justice de l’Union européenne sur la base de l’article 263 TFUE.

29      Ainsi, le recours au principal n’étant pas, à première vue, susceptible de prospérer, il y a lieu de constater, conformément au point 22 de la présente ordonnance, que, en accueillant la demande en référé, ne serait-ce que provisoirement, le juge des référés du Tribunal a commis une erreur de droit.

30      Le deuxième moyen soulevé par la partie requérante étant, ainsi, fondé, il y a lieu d’accueillir le présent pourvoi et d’annuler, en conséquence, l’ordonnance attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens.

 Sur la demande de mesures provisoires introduite devant le Tribunal

31      En vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. La disposition susmentionnée s’applique également aux pourvois formés conformément à l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne [ordonnance du vice-président de la Cour du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 59 et jurisprudence citée].

32      En l’espèce, compte tenu des éléments du dossier dont dispose la Cour, et, notamment ceux visés au point 11 de la présente ordonnance, la vice‑présidente de la Cour estime que la demande de mesures provisoires est en état d’être jugée.

33      À cet égard, selon la jurisprudence rappelée au point 20 de la présente ordonnance, les conditions pour l’octroi des mesures provisoires sont cumulatives, de telle sorte que la demande de telles mesures doit être rejetée dès lors que l’une de ces conditions fait défaut.

34      Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 22 de la présente ordonnance, la condition relative au fumus boni juris ne saurait être remplie dès lors qu’il apparait, à première vue, que le recours au principal n’est pas susceptible de prospérer.

35      Tel est le cas en l’occurrence, ainsi qu’il a été constaté au point 29 de la présente ordonnance, le recours au principal étant, à première vue, manifestement irrecevable pour les motifs énoncés aux points 23 à 28 de la même ordonnance.

36      Par conséquent, la demande de mesures provisoires doit être rejetée.

Par ces motifs, la vice-présidente de la Cour ordonne :

1)      L’ordonnance du juge des référés du Tribunal de l’Union européenne du 4 septembre 2020, Eleanor Sharpston/Conseil de l’Union européenne et Représentants des gouvernements des États membres (T550/20 R, non publiée), est annulée.

2)      La demande de mesures provisoires est rejetée dans son intégralité.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.