Language of document : ECLI:EU:T:2018:907

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

12 décembre 2018 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché du périndopril, médicament destiné au traitement des maladies cardiovasculaires, dans ses versions princeps et génériques – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets – Concurrence potentielle – Restriction de concurrence par objet – Conciliation entre droit de la concurrence et droit des brevets – Imputation du comportement infractionnel – Amendes »

Dans l’affaire T‑682/14,      

Mylan Laboratories Ltd, établie à Hyderabad (Inde),

Mylan, Inc., établie à Canonsburg, Pennsylvanie (États-Unis),

représentées par MM. S. Kon, C. Firth et C. Humpe, solicitors,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée initialement par Mmes F. Castilla Contreras, T. Vecchi et M. B. Mongin, puis par Mme Castilla Contreras, MM. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de Mme S. Kingston, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application des articles 101 et 102 TFUE [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)], en tant qu’elle concerne les requérantes et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée par ladite décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni (rapporteur), président, L. Madise et R. da Silva Passos, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 27 juin 2017,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

A.      Sur le périndopril

1        Le groupe Servier, formé de Servier SAS et de plusieurs filiales (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »), a mis au point le périndopril, médicament indiqué en médecine cardiovasculaire, principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque, par le biais d’un mécanisme d’inhibition de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.

2        L’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’« IPA ») du périndopril, c’est-à-dire la substance chimique biologiquement active qui produit les effets thérapeutiques visés, se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine (ou tert-butylamine), qui présente une forme cristalline en raison du procédé employé par Servier pour sa synthèse.

1.      Brevet de molécule

3        Le brevet relatif à la molécule du périndopril (brevet EP0049658, ci-après le « brevet 658 ») a été déposé devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Le brevet 658 devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres de l’Union européenne, dont le Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003, ainsi que le permettait le règlement (CEE) no 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO 1992, L 182, p. 1). En France, la protection du brevet 658 a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.

2.      Brevets secondaires

4        En 1988, Servier a, en outre, déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication de la molécule du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008 : les brevets EP0308339, EP0308340, EP0308341 (ci-après, respectivement, le « brevet 339 », le « brevet 340 » et le « brevet 341 ») et EP0309324.

5        De nouveaux brevets relatifs à l’erbumine et à ses procédés de fabrication ont été déposés devant l’OEB par Servier entre 2001 et 2005, dont le brevet EP1294689 (dit « brevet beta »), le brevet EP1296948 (dit « brevet gamma ») et le brevet EP1296947 (dit « brevet alpha », ci-après le « brevet 947 »). Le brevet 947, relatif à la forme cristalline alpha de l’erbumine et à son procédé de préparation, a été demandé le 6 juillet 2001 et délivré par l’OEB le 4 février 2004.

3.      Périndopril de deuxième génération

6        À partir de 2002, Servier a commencé à développer un périndopril de deuxième génération, fabriqué à partir d’un autre sel que l’erbumine, l’arginine. Ce périndopril arginine devait présenter des améliorations en termes de durée de conservation, passant de deux à trois ans, de stabilité, permettant un seul type de conditionnement pour toutes les zones climatiques, et de stockage, ne nécessitant aucune condition particulière.

7        Servier a introduit une demande de brevet européen pour le périndopril arginine (brevet EP1354873B) le 17 février 2003. Ce brevet lui a été délivré le 17 juillet 2004, avec une date d’expiration fixée au 17 février 2023. L’introduction du périndopril arginine sur les marchés de l’Union a débuté en 2006.

B.      Sur les requérantes

8        Matrix Laboratories Ltd (ci-après « Matrix ») est une société indienne développant, produisant et commercialisant principalement des IPA à destination des sociétés de génériques.

9        À la suite de plusieurs prises de participations, dont une prise de participation majoritaire le 8 janvier 2007, la seconde requérante, Mylan, Inc., détient depuis 2011 entre 97 et 98 % du capital de Matrix, laquelle est dénommée Mylan Laboratories Ltd, du nom de la première requérante, depuis le 5 octobre 2011.

C.      Sur les activités des requérantes relatives au périndopril

10      Matrix a fusionné le 20 mai 2003 avec Medicorp Technologies India Ltd (ci-après « Medicorp »), qui avait conclu, le 26 mars 2001, avec une autre société à laquelle a succédé Niche Generics Ltd (ci-après « Niche »), un accord de développement et de licence en vue de commercialiser une forme générique du périndopril (ci-après l’« accord Niche-Matrix »). Un avenant à cet accord, conclu le 30 mars 2004, prévoyait que Matrix reprendrait toutes les responsabilités et les obligations incombant à Medicorp dans le cadre de l’accord Niche-Matrix. Ce dernier stipulait que les deux sociétés commercialiseraient le périndopril générique dans l’Union, étant précisé que Matrix était principalement chargée du développement et de la fourniture de l’IPA du périndopril, alors que Niche était principalement responsable des démarches requises en vue de l’obtention des autorisations de mise sur le marché (AMM) ainsi que de la stratégie commerciale.

11      Medicorp avait également conclu le 27 mars 2003 avec la société mère de Niche, Unichem Laboratories Ltd (ci-après « Unichem »), un accord de développement et de fabrication des comprimés de périndopril, par lequel Medicorp s’engageait à développer l’IPA du périndopril et à le fournir à Unichem, qui était responsable de la production du périndopril sous sa forme pharmaceutique finale. L’avenant à cet accord, conclu le 12 avril 2004, prévoyait que Matrix reprendrait toutes les responsabilités et les obligations incombant à Medicorp dans le cadre de l’accord.

D.      Sur les litiges relatifs au périndopril

1.      Litige devant l’OEB

12      Dix sociétés de génériques ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB en 2004, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés de l’absence de nouveauté et d’activité inventive et du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.

13      Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947 à la suite de légères modifications des revendications initiales de Servier. Sept sociétés ont formé un recours contre cette décision. Par décision du 6 mai 2009, la chambre de recours technique de l’OEB a annulé la décision de la division d’opposition et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier à l’encontre de cette décision a été rejetée le 19 mars 2010.

2.      Litiges devant les juridictions nationales

14      La validité du brevet 947 a, en outre, été contestée par des sociétés de génériques devant les juridictions de certains États membres, notamment au Royaume-Uni.

a)      Litige opposant Servier à Niche et à Matrix

15      Servier a introduit le 25 juin 2004 une action en contrefaçon devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], à l’égard de Niche, en invoquant ses brevets 339, 340 et 341, cette dernière ayant déposé des demandes d’AMM au Royaume-Uni pour la version générique du périndopril, développée en partenariat avec Matrix (voir point 10 ci-dessus). Le 9 juillet 2004, Niche a signifié à Servier une demande reconventionnelle en nullité du brevet 947.

16      L’audience devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], portant sur le bien-fondé de la contrefaçon alléguée a finalement été fixée aux 7 et 8 février 2005, mais n’a duré qu’une demi-journée, en raison du règlement amiable conclu entre Servier et Niche le 8 février 2005, qui a mis fin au contentieux entre ces deux parties.

17      Matrix a été tenue informée par Niche du déroulement de cette procédure contentieuse et y a été également associée en effectuant des dépositions devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], au nom de Niche. Servier a par ailleurs envoyé une lettre formelle d’avertissement à Matrix le 7 février 2005, en lui reprochant de violer les brevets 339, 340 et 341 et en la menaçant d’intenter une action en contrefaçon.

b)      Litige opposant Servier à Apotex

18      Le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon à l’encontre de la société Apotex, en invoquant la violation du brevet 947, cette dernière ayant lancé une version générique du périndopril au Royaume-Uni le 28 juillet 2006. Apotex a formé une demande reconventionnelle en annulation du brevet 947. Une injonction provisoire interdisant à Apotex d’importer, d’offrir à la vente ou de vendre du périndopril a été prononcée le 8 août 2006. Le 6 juillet 2007, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a jugé que le brevet 947 était invalide, en raison de l’absence de nouveauté et d’activité inventive par rapport au brevet 341. L’injonction a, par conséquent, été immédiatement levée et Apotex a pu reprendre les ventes de sa version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 9 mai 2008, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni] a rejeté le recours introduit par Servier contre l’arrêt de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)].

E.      Sur l’accord conclu entre Matrix et Servier

19      Servier a conclu une série d’accords de règlements amiables avec plusieurs sociétés de génériques avec lesquelles il avait des litiges relatifs aux brevets.

20      Le 8 février 2005, Servier a conclu avec Matrix un accord de règlement amiable (ci-après l’« Accord »). Le champ d’application territorial de l’Accord couvrait tous les pays dans lesquels les brevets 339, 340, 341 et 947 existaient, à l’exception de l’un d’eux [section 1, paragraphe 1, sous xiii), de l’Accord].

21      Par cet accord, Matrix s’est engagée à s’abstenir de fabriquer, de faire fabriquer, de détenir, d’importer, de fournir, de proposer de fournir ou de disposer de périndopril fabriqué selon le procédé mis au point avec Niche et que Servier considérait comme violant les brevets 339, 340 et 341, tels que validés au Royaume-Uni, selon un procédé substantiellement similaire ou selon tout autre procédé susceptible de violer les brevets 339, 340 et 341 (ci-après le « procédé litigieux ») jusqu’à l’expiration locale de ces brevets (articles 1er et 2 de l’Accord) (ci-après la « clause de non-commercialisation »). En revanche, l’Accord stipulait que Matrix serait libre de commercialiser le périndopril fabriqué à partir du procédé litigieux sans violer ces brevets après l’expiration desdits brevets (article 4 de l’Accord). Matrix était, en outre, tenue d’annuler, de résilier ou de suspendre, jusqu’à la date d’expiration des brevets, tous ses contrats déjà conclus relatifs au périndopril fabriqué à partir du procédé litigieux ainsi qu’à des demandes d’AMM de ce périndopril, au plus tard le 30 juin 2005 (articles 7 et 8 de l’Accord). Par ailleurs, elle s’est engagée à ne présenter aucune demande d’AMM du périndopril fabriqué à partir du procédé litigieux et à n’aider aucun tiers à obtenir une telle AMM (article 6 de l’Accord). Enfin, Matrix devait s’abstenir de toute action en invalidité ou en déclaration de non-contrefaçon à l’encontre des brevets 339, 340, 341, 947, EP1294689 et EP1296948 jusqu’à leur expiration, sauf à titre de défense dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet (article 5 de l’Accord) (ci-après la « clause de non-contestation »).

22      En contrepartie, Servier s’engageait, d’une part, à ne pas introduire d’action en contrefaçon contre Matrix fondée sur les brevets 339, 340, 341 et 947 à l’égard de tout acte de contrefaçon alléguée qui serait survenu avant la conclusion de l’Accord (article 3 de l’Accord) et, d’autre part, à verser à Matrix une somme de 11,8 millions de livres sterling (GBP) en deux versements (article 9 de l’Accord). Cette somme représentait la contrepartie des engagements de Matrix et des « coûts substantiels et responsabilités potentielles qui pourraient être supportés par Matrix du fait de la cessation de son programme de développement et de fabrication du périndopril fabriqué en utilisant le procédé [litigieux] ».

F.      Sur les faits postérieurs à la conclusion de l’Accord

23      En application de l’Accord, Matrix a, par courrier du 22 juin 2005 envoyé à Niche, déclaré la suspension avec effet immédiat de l’accord Niche-Matrix jusqu’à l’expiration des brevets 339, 340 et 341 en 2008.

24      Également en juin 2005, Matrix a acheté une société, qui a commercialisé une version générique du périndopril de Servier en Belgique à partir de septembre 2009, ainsi qu’une autre société, qui a commencé à commercialiser le périndopril aux Pays-Bas en novembre 2008 sur la base d’un contrat de licence et de fourniture du périndopril conclu avec Krka Tovarna Zdravil d.d. Matrix ne détient plus ces filiales depuis septembre 2010.

25      Plusieurs sociétés appartenant au groupe Mylan ont par ailleurs commencé à commercialiser des versions génériques du périndopril achetées à Servier en Belgique, en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni entre 2007 et fin 2009.

G.      Sur l’enquête sectorielle

26      Le 15 janvier 2008, la Commission a décidé d’ouvrir une enquête sur le secteur pharmaceutique sur le fondement de l’article 17 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), dans le but d’identifier, d’une part, les causes du recul de l’innovation dans ledit secteur, mesurée par le nombre de nouveaux médicaments entrant sur le marché, et, d’autre part, les raisons de l’entrée tardive sur le marché de certains médicaments génériques.

27      La Commission a publié un rapport préliminaire sur les résultats de son enquête le 28 novembre 2008, en vue d’une consultation publique. Le 8 juillet 2009, elle a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. La Commission a notamment indiqué, dans cette communication, qu’il convenait de continuer à surveiller les règlements amiables des litiges en matière de brevets conclus entre les sociétés de princeps et les sociétés de génériques, afin de mieux comprendre l’usage qui était fait de ces accords et d’identifier les accords retardant l’entrée des médicaments génériques sur le marché au détriment des consommateurs de l’Union et pouvant être constitutifs d’infractions aux règles de concurrence. La Commission a, ensuite, rendu six rapports annuels relatifs à la surveillance des accords de règlements amiables liés aux brevets.

H.      Sur la procédure administrative et la décision attaquée

28      Le 24 novembre 2008, la Commission a procédé à des inspections inopinées dans les locaux des sociétés concernées. La Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont les requérantes, en janvier 2009.

29      Le 2 juillet 2009, la Commission a adopté une décision d’ouverture de la procédure contre Servier et certaines sociétés de génériques concernées. Elle a formellement ouvert cette procédure contre Mylan le 27 juillet 2009.

30      En août 2009, puis de décembre 2009 à mai 2012, la Commission a adressé de nouvelles demandes de renseignements aux requérantes. De 2009 à 2012, les requérantes ont été invitées à participer à plusieurs réunions bilans.

31      Le 27 juillet 2012, la Commission a adopté une communication des griefs, adressée à plusieurs sociétés, dont les requérantes, qui y ont répondu le 12 décembre 2012.

32      À la suite de l’audition des sociétés concernées du 15 au 18 avril 2013, de nouvelles réunions bilans ont été organisées et de nouvelles demandes de renseignements ont été envoyées.

33      Le 18 décembre 2013, la Commission a donné accès aux éléments de preuve recueillis ou divulgués plus largement après la communication des griefs et a envoyé un exposé des faits auquel les requérantes ont répondu le 17 janvier 2014. La Commission a par ailleurs envoyé, le 4 avril 2014, des exposés des faits concernant la seule question de la responsabilité de la société mère notamment à Mylan et à Matrix, auxquels celles-ci ont répondu le 2 mai 2014.

34      Le conseiller-auditeur a présenté son rapport final le 7 juillet 2014.

35      Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 4955 final, relative à une procédure d’application des articles 101 et 102 TFUE [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci-après la « décision attaquée »).

36      En vertu de l’article 2 de la décision attaquée, les requérantes ont enfreint l’article 101 TFUE en participant à un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets contre paiement inversé, couvrant tous les États membres, à l’exception de la Croatie et de l’Italie, pour la période débutant le 8 février 2005, s’agissant de Mylan Laboratories, et pour celle débutant le 8 janvier 2007, s’agissant de Mylan, sauf en ce qui concerne la Lettonie (période débutant le 1er juillet 2005), la Bulgarie et la Roumanie (période débutant le 1er janvier 2007) ainsi que Malte (période débutant le 1er mars 2007), et s’achevant le 15 septembre 2008, sauf en ce qui concerne les Pays-Bas (période prenant fin le 1er mars 2007) et le Royaume-Uni (période prenant fin le 6 juillet 2007).

37      La Commission a infligé à Mylan Laboratories une amende d’un montant de 17 161 140 euros, dont 8 045 914 euros conjointement et solidairement avec Mylan [article 7, paragraphe 2, sous a), de la décision attaquée]. Les requérantes sont par ailleurs contraintes de s’abstenir de renouveler l’infraction sanctionnée et de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire (article 8 de la décision attaquée).

II.    Procédure et conclusions des parties

38      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 septembre 2014, les requérantes ont introduit le présent recours.

39      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous a), du règlement de procédure du Tribunal, a posé aux parties des questions écrites, en les invitant à y répondre lors de l’audience.

40      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est tenue le 27 juin 2017.

41      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les articles 2, 7 et 8 de la décision attaquée, dans la mesure où ils les concernent ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 7 de la décision attaquée, dans la mesure où il leur inflige une amende ;

–        à titre plus subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui leur a été infligée ;

–        à titre encore plus subsidiaire, annuler les articles 2, 7 et 8 de la décision attaquée, dans la mesure où ils concernent Mylan ;

–        condamner la Commission aux dépens.

42      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

A.      Sur la demande d’annulation des articles 2, 7 et 8 de la décision attaquée dans la mesure où ils concernent les requérantes

1.      Sur le moyen tiré d’erreurs de droit et d’appréciation dans l’analyse de la concurrence potentielle sur le marché

a)      Sur les critères d’appréciation de la concurrence potentielle

1)      Arguments des parties

43      Les requérantes font valoir que la Commission a appliqué un critère juridique erroné pour évaluer si Matrix était un concurrent potentiel de Servier. En effet, au lieu de vérifier, conformément à la jurisprudence, l’existence de possibilités réelles et concrètes d’entrer rapidement sur le marché selon une stratégie économique viable, la Commission aurait considéré qu’une société est un concurrent potentiel si elle a fait des efforts pour développer le produit en cause, si l’opérateur présent sur le marché percevait cette société comme une menace potentielle et si l’entrée sur le marché, bien que difficile et éloignée dans le temps, n’était pas impossible.

44      En particulier, les requérantes soulignent que le fait que des efforts aient pu être faits pour surmonter des obstacles d’ordre réglementaire, de fabrication ou qui seraient liés à la contrefaçon des brevets ne signifie pas que ceux-ci étaient susceptibles d’être couronnés de succès et qu’il existait une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché. De même, la Commission aurait, à tort, pris en compte la perception subjective de Servier, qui, en qualité de société de princeps, craignait la concurrence de nombreuses sociétés de génériques, alors que l’évaluation de la concurrence potentielle doit être objective. Elle aurait en outre privé de sa substance l’exigence d’une entrée sur le marché suffisamment rapide, en estimant que les retards dans le développement d’un produit étaient le signe d’une pression concurrentielle exercée sur une plus longue période.

45      La Commission rétorque s’être conformée à la jurisprudence constante selon laquelle le principal critère pour apprécier la concurrence potentielle est de savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence sur le marché. Elle ajoute que, sur la base de l’analyse des éléments de preuve existants, dont notamment l’avancée des recherches et les démarches en vue d’obtenir des AMM, elle pouvait conclure que « Matrix/Niche » avait la capacité et l’intention d’entrer sur le marché de l’Union avec son périndopril générique dans un court laps de temps et, partant, constituait réellement une menace concurrentielle pour Servier, ainsi que ce dernier, de même que d’autres sociétés de génériques, l’aurait d’ailleurs reconnu.

2)      Appréciation du Tribunal

46      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante également citée par les requérantes, une entreprise constitue un concurrent potentiel s’il existe des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intègre le marché en cause et concurrence les entreprises qui y sont établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332, point 86 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, points 166 et 167 et jurisprudence citée). Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché (arrêts du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, point 168 ; du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332, point 87, et de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, points 318 à 321).

47      Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas en l’espèce appliqué des critères d’appréciation de la concurrence potentielle ne correspondant pas à celui des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché, tel que consacré par la jurisprudence mentionnée au point 46 ci-dessus.

48      Premièrement, la Commission n’a pas retenu le critère de l’absence d’obstacles insurmontables à l’entrée sur le marché, qui, comme le soulignent à juste titre les requérantes, implique que toute possibilité, même théorique, d’entrer sur le marché suffit à établir l’existence d’une concurrence potentielle, et ainsi se distingue du critère des possibilités réelles et concrètes notamment par le seuil à partir duquel l’existence d’une concurrence potentielle est admise.

49      En effet, même si la Commission a fait référence au critère des obstacles insurmontables à plusieurs reprises dans la décision attaquée (voir notamment considérants 1125 et 1181) et à l’arrêt du 21 mai 2014, Toshiba/Commission (T‑519/09, non publié, EU:T:2014:263), qui a appliqué ce critère, elle a également cité les arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission (T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, EU:T:1998:198), du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission (T‑461/07, EU:T:2011:181), et du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission (T‑360/09, EU:T:2012:332), qui ont retenu le critère des possibilités réelles et concrètes, en mentionnant d’ailleurs certains de ces arrêts en introduction de sa présentation des règles de détermination des concurrents potentiels (considérants 1156 et 1157 de la décision attaquée).

50      La Commission a par ailleurs clairement indiqué que la capacité à entrer sur un marché, caractéristique du critère des possibilités réelles et concrètes (voir point 46 ci-dessus), « demeur[ait] l’aspect crucial pour démontrer la concurrence potentielle » (considérant 1163 de la décision attaquée). La Commission a enfin et surtout, dans le cadre de son analyse de la qualité de concurrent potentiel de chacune des sociétés de génériques en cause, déduit de plusieurs données concrètes et propres à chacune d’elles, relatives notamment à leurs capacités de production et à leurs stocks de produits, à leurs contrats commerciaux, à leurs démarches en vue de l’obtention d’AMM et à leurs actions contentieuses contre Servier, qu’elles avaient toutes des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché. Or, une telle analyse circonstanciée à partir des données propres à chaque prétendu concurrent potentiel est caractéristique de l’examen de ses possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché et se distingue d’une vérification des seuls obstacles insurmontables à une entrée sur un marché donné, qui peut aboutir au constat de l’existence d’une concurrence potentielle du seul fait qu’un opérateur quelconque est entré sur le marché en cause.

51      Il peut être relevé au surplus que les requérantes ont elles-mêmes reconnu que la Commission avait également retenu d’autres critères, dont notamment celui des efforts fournis pour développer un produit générique (voir point 43 ci-dessus).

52      Deuxièmement, il convient de considérer, à cet égard, que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ce critère des efforts fournis pour développer un produit générique, tel que posé et appliqué dans la décision attaquée, est conforme à celui des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché.

53      En effet, les efforts accomplis pour développer un produit générique et dont la Commission précise qu’ils portent sur la fabrication du produit, sur le respect des brevets de la société de princeps et sur l’obtention d’une AMM (voir notamment considérants 1125 et 1181 de la décision attaquée) témoignent clairement d’une intention d’entrer sur le marché. Ils sont également révélateurs d’une capacité d’y entrer, dès lors qu’ils impliquent l’accomplissement de démarches actives visant à produire et à commercialiser le médicament générique et que, s’agissant de démarches n’ayant pas encore abouti, telles qu’une procédure d’AMM en cours, celles-ci sont prises en compte, comme le précise la Commission (voir notamment considérant 1181 de la décision attaquée), uniquement lorsqu’elles ne se heurtent pas à des problèmes insurmontables et ont ainsi des chances d’aboutir. Il y a lieu de préciser, à cet égard, que le recours par la Commission au critère des problèmes insurmontables dans son analyse ne revient pas à fonder ladite analyse sur ce seul critère, mais vise seulement et pertinemment, aux fins d’établir le caractère réel et concret des possibilités en cause, à compléter l’examen en l’occurrence de la capacité d’obtenir l’AMM demandée fondée sur les démarches accomplies par le demandeur.

54      Il est par ailleurs indifférent, contrairement à ce que font valoir les requérantes (voir point 44 ci-dessus), que les efforts en cause ne soient finalement pas couronnés de succès. En effet, la seule prise en compte des efforts fructueux, et ayant ainsi permis une entrée sur le marché, à la date d’appréciation de la concurrence potentielle reviendrait à nier la différence entre concurrence potentielle, supposant une absence d’entrée sur le marché, et concurrence réelle, impliquant que cette entrée ait eu lieu (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 159). Il convient en outre de rappeler que, de par sa seule existence, une entreprise extérieure au marché ayant la capacité d’y entrer peut, dans certains cas, être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant actuellement sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché (arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, point 169).

55      Troisièmement, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l’analyse, d’un point de vue temporel, de la concurrence potentielle effectuée par la Commission dans la décision attaquée est conforme aux principes applicables.

56      En effet, selon une jurisprudence constante rappelée par la Commission dans la décision attaquée (considérant 1158), pour qu’un opérateur puisse être qualifié de concurrent potentiel, son entrée potentielle doit pouvoir se faire suffisamment rapidement aux fins de peser et ainsi d’exercer une pression concurrentielle sur les participants au marché (arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, point 189 ; voir également, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332, point 114). Cette jurisprudence se réfère aux lignes directrices sur l’applicabilité de l’article [101 TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001 ») [voir également les lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 [TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2011 »)], qui non seulement affirment l’exigence d’une entrée suffisamment rapide, mais également donnent des durées indicatives de ce que peut être une entrée suffisamment rapide, n’excédant pas, selon les cas, un ou trois ans, en se fondant sur d’autres lignes directrices ainsi que sur des règlements d’exemption par catégorie.

57      Cependant, comme le précisent tant ces lignes directrices (note en bas de page no 9 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001 et note en bas de page no 3 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2011) que la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, points 171 et 189), ces délais ne sont qu’indicatifs et la notion d’entrée « suffisamment rapide » est fonction des faits de l’affaire traitée ainsi que du contexte juridique et économique dans lequel celle-ci s’inscrit, qui devront être pris en compte aux fins de déterminer si l’entreprise extérieure au marché exerce une pression concurrentielle sur les entreprises opérant actuellement sur ce marché (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, point 169).

58      Or, en l’espèce, d’une part, la Commission a pris en compte les spécificités du contexte économique et juridique de l’espèce, en évaluant les durées de chacune des étapes requises pour entrer sur le marché (considérant 1182 et note en bas de page no 1669 de la décision attaquée). Il convient de souligner que, en raison précisément des particularités du secteur pharmaceutique et notamment des diverses étapes devant être franchies ainsi que de l’existence de brevets, les sociétés de génériques entament souvent les démarches visant à entrer sur le marché bien avant l’expiration des brevets, de manière à avoir franchi les étapes requises au plus tard au moment de cette expiration. Ces démarches sont alors susceptibles d’exercer une pression concurrentielle sur la société de princeps, dès avant, voire bien avant, l’expiration des brevets et l’entrée effective des sociétés de génériques sur le marché [voir point 105 ci-après ; voir également, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C‑457/10 P, EU:C:2012:770, point 108 ; du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 163, et du 8 septembre 2016, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission, T‑460/13, non publié, sous pourvoi, EU:T:2016:453, points 77 à 79].

59      D’autre part, la Commission s’est fondée sur l’idée de pression concurrentielle inhérente à la concurrence potentielle pour considérer que les retards dans le processus d’entrée sur le marché éventuellement subis par les sociétés de génériques ne suffisaient pas à eux seuls pour exclure leur qualité de concurrent potentiel lorsqu’elles continuent à exercer une telle pression du fait de leur capacité à entrer et a cité, en ce sens, l’arrêt du 3 avril 2003, BaByliss/Commission (T‑114/02, EU:T:2003:100). Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas « inversé » l’exigence d’une entrée suffisamment rapide sur le marché, en déduisant de cet arrêt que des retards reflétant la complexité du développement d’un produit peuvent suggérer que le laps de temps durant lequel la pression concurrentielle peut être exercée par un entrant potentiel est plus long (considérant 1159 de la décision attaquée). En effet, dans la mesure où les retards concernés ne remettent pas en cause la capacité d’entrer de l’opérateur en cause, et plus généralement ses possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché, la Commission a considéré à juste titre que cet opérateur exerçait une pression concurrentielle, dont il convient de rappeler qu’elle est susceptible de s’exercer très en amont de l’entrée sur le marché et ainsi pendant la durée des démarches visant à une telle entrée (voir point 58 ci-dessus). Il est, à cet égard, indifférent que cette pression concurrentielle ne conduise pas à ce stade à une baisse des prix, dès lors qu’une telle baisse n’est pas inhérente à l’exercice d’une concurrence potentielle, mais résulterait de l’entrée d’un concurrent sur le marché et ainsi de l’exercice d’une concurrence réelle.

60      Quatrièmement, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir pris en compte la perception subjective par Servier de la qualité de concurrent potentiel de Matrix, en méconnaissance du critère objectif de la concurrence potentielle que constituent les possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché en cause.

61      Il ressort en effet de la décision attaquée que la Commission a utilisé le critère de la perception de l’opérateur en place, non comme un critère essentiel ou déterminant, mais comme un critère parmi d’autres aux fins de déterminer la qualité de concurrent potentiel des sociétés de génériques. En particulier, elle a considéré, lors de sa présentation des critères d’appréciation de la concurrence potentielle, que, pour répondre à la question de savoir si les sociétés de génériques exerçaient une pression concurrentielle sur Servier, la perception de l’opérateur en place, Servier, et des autres sociétés de génériques concurrentes serait « aussi » prise en compte (considérant 1163 de la décision attaquée). Elle a par la suite, lors de son appréciation de la qualité de concurrent potentiel des sociétés de génériques, et notamment de Matrix, pris en compte cette perception de Servier ensemble avec d’autres éléments attestant de sa capacité et de son intention d’entrer sur le marché, et ce d’ailleurs de manière très marginale par rapport à ces éléments (voir points 77 à 83 ci-après). Il ne saurait, partant, être reproché à la Commission, comme le font les requérantes, d’avoir accordé plus d’importance à la perception de Servier qu’aux intentions des sociétés de génériques d’entrer sur le marché dans son analyse de la concurrence potentielle.

62      En outre, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n’a pas entendu reconnaître un autre rôle que celui de critère complémentaire d’appréciation au critère de la perception de l’opérateur en place en citant le point 169 de l’arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission (T‑461/07, EU:T:2011:181), selon lequel, par sa seule existence, une entreprise peut être à l’origine d’une pression concurrentielle constituée par le risque d’entrée sur le marché. En effet, ce point, tel que repris en substance au considérant 1161 de la décision attaquée, fait suite notamment au point 168 de cet arrêt affirmant que l’élément essentiel sur lequel doit reposer la qualification de concurrent potentiel est constitué par la capacité de l’entreprise en cause à intégrer le marché, qui est également repris en substance au considérant 1163 de la décision attaquée. Ainsi, la pression concurrentielle perçue par l’opérateur en place, visée tant par le Tribunal que par la Commission dans la décision attaquée, est celle d’une entreprise en capacité d’entrer sur le marché.

63      Il convient d’ajouter que l’usage du critère de la perception de l’opérateur en place comme un critère d’appréciation parmi d’autres de la concurrence potentielle est conforme à la jurisprudence applicable en l’espèce, en vertu de laquelle ce critère est pertinent, mais non suffisant, pour apprécier l’existence d’une concurrence potentielle. En effet, comme le soulignent pertinemment les requérantes, compte tenu de sa nature subjective et ainsi variable selon les opérateurs en cause, leur connaissance du marché comme leurs rapports avec leurs hypothétiques concurrents, la perception de ces opérateurs, même expérimentés, ne peut à elle seule permettre de considérer qu’un autre opérateur donné est l’un de leurs concurrents potentiels. En revanche, cette perception est susceptible de conforter la capacité d’un opérateur à entrer sur un marché et, ce faisant, de contribuer à sa qualification de concurrent potentiel [voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, points 103 et 104, et du 8 septembre 2016, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission, T‑460/13, non publié, sous pourvoi, EU:T:2016:453, point 88].

64      Contrairement à ce que font valoir les requérantes, le Tribunal a clairement pris en compte le critère de la perception de l’opérateur en place dans l’arrêt du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission (T‑112/07, EU:T:2011:342), aux fins d’établir l’existence d’une concurrence potentielle. Il ressort ainsi des points 90, 226 et 319 de cet arrêt, rappelés au considérant 1160 de la décision attaquée, que non seulement les accords en cause conclus entre des producteurs européens et japonais constituaient des indices sérieux de ce que ces derniers étaient perçus par les premiers comme des concurrents potentiels crédibles, mais également qu’ils révélaient l’existence de possibilités pour les producteurs japonais de pénétrer le marché européen (voir également, en ce sens, arrêt du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, non publié, EU:T:2014:263, point 231). Certes, le Tribunal a également procédé à une analyse objective de la situation concurrentielle, en examinant notamment la capacité des producteurs japonais à entrer sur le marché européen (arrêt du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, EU:T:2011:342, points 157, 160 et 319 à 332), ainsi que l’a d’ailleurs relevé la Commission au considérant 1160 de la décision attaquée. Toutefois, cette analyse objective ne fait que démontrer que le critère subjectif de la perception de l’opérateur en place constitue uniquement un critère parmi d’autres pour apprécier l’existence d’une concurrence potentielle.

65      Il ressort en outre de cette jurisprudence que, parmi les éléments permettant d’attester de la perception de l’existence d’une concurrence potentielle par l’opérateur en place, le fait même qu’une entreprise déjà présente sur le marché cherche à conclure des accords avec des entreprises ayant des activités similaires dans le même secteur mais non présentes sur le marché aux fins de s’accorder sur leur entrée sur ledit marché, et a fortiori la conclusion de tels accords, bénéficient d’une force probante particulière (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 144). Ainsi, dans la mesure où les requérantes ne contestent pas la conclusion d’un tel accord entre Matrix et Servier, leur allégation selon laquelle certaines sociétés de génériques ne percevaient pas Matrix comme un concurrent potentiel, à supposer qu’elle soit établie, ne saurait prévaloir sur la perception de Matrix par Servier comme un concurrent potentiel, telle qu’elle résulte de la conclusion de l’Accord.

66      Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’a pas retenu en l’espèce de critères d’appréciation erronés de la concurrence potentielle.

b)      Sur l’appréciation erronée de la qualité de concurrent potentiel de Matrix

1)      Arguments des parties

i)      Sur la qualité de concurrent potentiel de Matrix (à elle seule)

67      Les requérantes soutiennent que la Commission a insuffisamment examiné si Matrix était, à elle seule, un concurrent potentiel de Servier. Or, en tant que simple fabricant d’IPA implanté en Inde, non présent dans l’Union, n’ayant ni la capacité de fabriquer le produit fini, ni le savoir-faire pour mener la procédure réglementaire d’obtention des AMM, et n’étant au surplus pas impliquée dans un litige relatif aux brevets de Servier, Matrix ne pourrait être considérée comme un concurrent potentiel de Servier.

68      Par ailleurs, les requérantes, premièrement, rejettent toute analyse fondée sur la concurrence potentielle du produit codéveloppé par Niche et Matrix, compte tenu de l’autonomie des deux sociétés en cause et de l’absence d’accord entre elles pour transiger avec Servier. Les requérantes se réfèrent notamment à plusieurs documents qui démontreraient que Niche aurait transigé avec Servier indépendamment de Matrix, eu égard notamment à la volonté de Niche d’abandonner le projet de produit codéveloppé avec Matrix, et que Servier aurait transigé avec Niche indépendamment de Matrix, ainsi que Servier l’aurait d’ailleurs affirmé, compte tenu notamment de sa stratégie antigénériques agressive soulignée par la Commission dans d’autres parties de la décision attaquée. Les requérantes reprochent en outre à la Commission d’avoir pour la première fois dans ses écritures justifié son analyse conjointe de la concurrence potentielle de Niche et de Matrix par le fait qu’une analyse séparée risquerait de compromettre l’efficacité de l’article 101 TFUE.

69      Les requérantes, deuxièmement, ajoutent que la question, analysée par la Commission dans la partie de la décision attaquée consacrée aux effets anticoncurrentiels de l’Accord, de savoir si Matrix aurait pu trouver un partenaire alternatif à Niche et constituer avec ce partenaire une menace importante pour Servier est sans intérêt aux fins de vérifier sa qualité de concurrent potentiel.

70      Selon les requérantes, la Commission n’aurait, en outre et en toute hypothèse, pas démontré que Matrix aurait pu trouver, à un stade aussi avancé des tentatives de commercialisation du périndopril générique, un partenaire pour remplacer Niche. En effet, la Commission aurait omis de prendre en considération toute une série d’éléments dont il résulterait que Matrix n’aurait pas pu trouver un partenaire alternatif pour développer le périndopril. Les requérantes font état, à cet égard, de la stratégie antigénériques de Servier relevée par ailleurs dans la décision attaquée et de sa volonté d’éliminer Matrix, notamment en achetant sa technologie d’IPA, qui auraient dissuadé les partenaires éventuels de Matrix, des obstacles techniques de fabrication du périndopril liés aux problèmes survenus avec l’IPA de Matrix ainsi que des obstacles de nature réglementaire liés à la préparation du dossier d’AMM et de l’incertitude importante à laquelle tout partenaire éventuel aurait été confronté en raison de la situation en matière de brevets, laquelle aurait impliqué la perspective hautement probable d’un contentieux futur avec Servier. Les requérantes ajoutent que la Commission a erronément considéré que l’acquisition par Matrix de deux sociétés établies dans l’Union démontrerait que celle-ci aurait pu entrer en relation avec des sociétés pour commercialiser du périndopril, dès lors que cette acquisition était postérieure à la conclusion de l’Accord et que les deux sociétés en cause n’avaient pas la capacité de transformer l’IPA en produit fini. De même, contrairement à ce qu’aurait estimé la Commission, Teva, qui n’avait envisagé un partenariat qu’avec Niche, ne pourrait être considérée comme un partenaire potentiel de Matrix.

71      La Commission rétorque que l’argument tiré de ce qu’elle serait tenue de prouver que Matrix, agissant seule, aurait été un concurrent potentiel n’a aucun fondement juridique ou économique dans une situation où Niche et Matrix menaient un projet commun visant à mettre au point et à lancer un produit concurrent de celui de Servier. Elle souligne, en précisant qu’il s’agit de répondre à l’argumentation des requérantes, que l’analyse de la concurrence potentielle proposée par ces dernières compromettrait sérieusement l’efficacité de l’article 101 TFUE, en particulier dans le secteur pharmaceutique, où la commercialisation des médicaments se ferait souvent par l’intermédiaire de partenariats.

72      La Commission, premièrement, ajoute que, en l’espèce, Matrix constituait en tout état de cause un concurrent potentiel de Servier indépendamment de Niche. Elle se fonde, à cet égard, sur les clauses de l’accord Niche-Matrix prévoyant la possibilité pour Matrix de commercialiser directement le périndopril, sur l’insistance subséquente de Servier à conclure un accord avec Matrix qu’il percevait comme un concurrent potentiel ainsi que sur le fait que Matrix ne dépendait pas de Niche pour trouver une voie d’accès au marché et avait mis fin de sa propre initiative à l’accord Niche-Matrix.

73      La Commission, deuxièmement, explique que son examen minutieux dans la décision attaquée des divers éléments allégués par les requérantes comme n’ayant pas été pris en compte lui a permis d’établir que Matrix aurait pu trouver un partenaire en remplacement de Niche. Il ressortirait ainsi des éléments du dossier que d’autres sociétés de génériques étaient très intéressées par la commercialisation du périndopril générique et la volonté alléguée de Servier d’acheter la technologie d’IPA de Matrix ne serait qu’une illustration de la menace concurrentielle représentée par les fournisseurs d’IPA. Matrix aurait par ailleurs œuvré à résoudre tous les problèmes techniques rencontrés et aurait pu bénéficier de l’aide de Niche, prévue en cas de résiliation de l’accord Niche-Matrix. En outre, selon la Commission, le dépôt d’une nouvelle demande d’AMM n’était pas nécessaire. Enfin, la Commission se fonde sur la conviction de Niche et de Matrix que l’action en contrefaçon engagée par Servier sur le fondement des brevets 339, 340 et 341 serait rejetée et que le brevet 947 serait déclaré invalide, pour exclure la pertinence en l’espèce du contentieux relatif aux brevets. Quant à l’acquisition de deux sociétés par Matrix, elle confirmerait l’intérêt soutenu de Matrix pour la commercialisation du périndopril et sa capacité à le faire. Quant à Teva, la Commission souligne que cette société avait la capacité de prendre en charge les engagements du partenariat précédemment assurés par Niche et avait engagé des discussions en vue de conclure un accord avec Matrix.

ii)    Sur la qualité de concurrent potentiel de Matrix (avec Niche)

74      Les requérantes font valoir, à titre subsidiaire, que la Commission n’a pas suffisamment démontré que Matrix était, avec Niche, un concurrent potentiel de Servier. Elles reprochent en particulier à la Commission de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance aux problèmes techniques suscités par le développement de l’IPA de Matrix, à la situation réglementaire et à la stratégie de Niche pour éviter la contrefaçon des brevets de Servier. Elles expliquent que ces difficultés techniques (taille réduite des particules d’IPA, présence d’impuretés, dureté moindre des comprimés) résulteraient d’une modification du procédé de fabrication de l’IPA du produit par Matrix pour éviter la contrefaçon des brevets de procédé de Servier (brevets 339, 340 et 341), mais qui aurait conduit à un risque de contrefaçon du brevet 947, auquel Niche n’était pas en mesure de faire face, compte tenu de ses difficultés financières, en poursuivant le contentieux ou en lançant le produit à risque. Les requérantes reprochent, à cet égard, à la Commission d’avoir ignoré les brevets de Servier, qui, même contestés, étaient présumés valides tant qu’une décision tranchant cette contestation n’avait pas été adoptée, et d’avoir ce faisant méconnu les lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie »). Elles ajoutent que les difficultés techniques rencontrées auraient également compromis la perspective d’obtenir une AMM et auraient même fait craindre à Niche le pire scénario, consistant à devoir recommencer la production. Les requérantes soulignent, à cet égard, que l’autorité réglementaire du Royaume-Uni avait soulevé certaines questions devant être traitées par Matrix et que l’AMM accordée à l’un des clients de Niche était dépourvue de pertinence, car elle n’était pas fondée sur le nouveau procédé de fabrication.

75      Or, l’ensemble de ces difficultés auraient, à tout le moins, retardé considérablement l’entrée de Matrix et de Niche sur le marché et le fait que celles-ci aient pu tenter de trouver activement des solutions n’indique pas si des solutions auraient été trouvées et si elles l’auraient été dans un laps de temps suffisamment court.

76      La Commission rétorque que les difficultés en cause ne constituent pas des obstacles extrêmement graves et encore moins des barrières insurmontables à l’entrée sur le marché, en rappelant la jurisprudence selon laquelle un retard dans le processus d’entrée est compatible avec l’existence d’une concurrence potentielle lorsque l’arrivant potentiel exerce une pression concurrentielle sur l’opérateur en place. Elle précise, en particulier, à propos des brevets de Servier, que la présomption de validité de ces brevets ne signifiait pas qu’une société de génériques était empêchée d’entrer sur le marché, que ces brevets ne créaient pas une « situation de blocage » au sens des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie et qu’il ressortirait des éléments de preuve que l’existence desdits brevets ne constituait pas un obstacle absolu à l’entrée empêchant toute concurrence.

2)      Appréciation du Tribunal

77      Il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les partenaires de développement, Niche et Unichem, d’une part, et Matrix, d’autre part, étaient étroitement liés dans leurs activités de lancement d’un périndopril générique sur le marché et que Matrix (avec Niche et Unichem) était un concurrent potentiel clé de Servier qui avait l’intention et la capacité d’entrer sur le marché dans un court laps de temps (considérants 1421, 1427 et 1434), en se fondant sur les cinq considérations suivantes.

78      Premièrement, la Commission a relevé que Niche, Unichem et Matrix avaient, depuis plusieurs années, investi des ressources en vue de la mise au point d’un produit générique de substitution au périndopril de Servier et que ce projet avait bien progressé. En attesteraient, d’une part, les démarches entreprises aux fins de se voir octroyer des AMM, dont l’obtention était prévue pour 2005 et dont l’une avait effectivement été obtenue aux Pays-Bas par un client de Niche en mai 2005 et, d’autre part, les lots commerciaux d’IPA en cours de préparation pour le lancement commercial prévu, lots que Matrix considérait comme suffisants pour satisfaire aux prévisions de commandes (considérant 1422 de la décision attaquée).

79      Deuxièmement, la Commission a souligné que Niche avait conclu quatorze accords avec des partenaires commerciaux souhaitant vendre du périndopril générique en Europe, ce qui démontrerait qu’elle était confiante dans sa capacité à commercialiser ce périndopril rapidement. Elle a précisé que Niche avait demandé à l’un de ses clients, en octobre 2004, de lui communiquer ses commandes pour 2005 afin de planifier sa production pour 2005 et qu’elle négociait, quelques jours seulement avant la conclusion de l’Accord, un accord de fourniture avec l’une des plus grandes sociétés de génériques (considérant 1423 de la décision attaquée).

80      Troisièmement, la Commission a constaté que Servier lui-même estimait que la coopération entre, d’une part, Matrix, qui était considérée « comme beaucoup plus qu’un simple fournisseur d’IPA », et, d’autre part, Niche et Unichem représentait une « menace générique », en se fondant notamment sur un audit qu’il avait réalisé en vue de l’acquisition de Niche, mettant en évidence la situation financière de cette dernière (considérant 1424 et note en bas de page no 1966 de la décision attaquée).

81      Quatrièmement, la Commission a évoqué la situation de Niche, telle qu’aidée par Matrix, au regard des litiges en matière de brevets. Elle a relevé, d’une part, que Matrix avait été constamment tenue informée des litiges devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], et l’OEB et avait notamment fourni des dépositions de témoins à Niche en vue de ces procédures et, d’autre part, qu’il ressortirait de plusieurs déclarations de Niche que cette dernière était confiante dans la perspective de remporter ces litiges (considérant 1425 de la décision attaquée).

82      Cinquièmement, la Commission a souligné que Matrix croyait au projet commun, qui aurait été économiquement viable eu égard aux revenus considérables qu’il aurait pu générer (considérant 1426 de la décision attaquée).

83      Enfin, la Commission a ajouté, en réponse à diverses allégations avancées par Niche, Matrix et Servier au cours de la procédure administrative, qu’il n’était pas nécessaire qu’un concurrent potentiel dispose d’un produit prêt à être commercialisé, pour autant qu’il était en mesure d’entrer rapidement sur le marché et qu’il ne se heurtait pas à des problèmes qui, pris ensemble, auraient représenté des difficultés insurmontables. L’absence de telles difficultés aurait notamment été attestée en l’espèce par la poursuite de la coopération entre Niche et Matrix en vue de les résoudre (considérants 1428 à 1430 de la décision attaquée). Quant aux arguments de Matrix selon lesquels elle n’avait pas la capacité de produire le produit fini de périndopril, elle n’avait pas la possibilité de demander une AMM en tant que société non établie dans l’Union, la conclusion d’un accord avec un autre partenaire commercial que Niche n’aurait pas été une option commerciale viable et l’environnement concurrentiel retenu pour évaluer la concurrence potentielle aurait été inapproprié, la Commission a répondu ce qui suit au considérant 1432 de la décision attaquée :

« L’évaluation de la concurrence potentielle entre Servier et Matrix telle que faite par la Commission se fonde sur le produit qui a été codéveloppé par Niche et Matrix et qui a exercé, à l’époque, une menace concurrentielle à l’égard de Servier et a abouti à la conclusion de l’accord de règlement amiable. En outre, la Commission s’est référée aux options que Matrix aurait eues en l’absence de l’accord à la fois avec et sans la participation de Niche (voir le [considérant] 1493) et n’a donc pas confondu l’environnement concurrentiel pertinent contrairement à ce qui est allégué par Matrix. Certains éléments permettent de douter que Servier aurait conclu un règlement amiable uniquement avec Niche ou qu’elle n’aurait pas imposé d’obligations relatives au comportement de Matrix via Niche. La négociation de l’accord Niche/Unichem illustre la volonté de Servier de soumettre les paiements à Niche à la condition que Matrix ne produise pas de périndopril […] Il est évident que la source du principe actif, qui pouvait également commercialiser le produit, devait être éliminée pour empêcher toute entrée à plus ou moins brève échéance […] Les documents cités aux [considérants] 543 et 622 montrent qu’il serait irrationnel pour Servier de conclure un accord de règlement amiable avec Niche sans s’assurer que Matrix sera empêchée d’importer un produit au Royaume-Uni. En tout état de cause, la Commission a démontré que l’accord de règlement amiable couvrait le produit codéveloppé par Niche et Matrix et que c’était avec ce produit que ces sociétés étaient des concurrents potentiels de Servier. Quant à l’absence de présence dans l’Union, la Commission note que Matrix avait acquis deux sociétés basées dans l’Union quelques mois après la conclusion de l’accord de règlement amiable […] Même si Matrix soutient que ces sociétés exerçaient principalement des activités de distribution, ces acquisitions montrent que Matrix aurait pu chercher (et entrer en relation avec) une société de l’Union cherchant à développer et commercialiser le produit de périndopril. Trouver un autre partenaire dans l’Union n’était donc pas si impossible, contrairement à ce qui était avancé, en particulier si la clause de résiliation de l’accord de développement entre Niche et Matrix est prise en considération (voir la note de bas de page no 2032). Cette clause permettait à Matrix de recueillir certaines données de Niche et, aussi limitées qu’aient pu être ces données, cette clause aurait permis à Matrix de ne pas complètement recommencer le projet. »

84      Il en résulte que la Commission a examiné la qualité de concurrent potentiel, non de Matrix prise isolément, mais principalement de Matrix avec Niche.

85      Or, les requérantes critiquent une telle analyse de la qualité de concurrent potentiel de Niche et de Matrix prises ensemble, en invoquant l’autonomie de ces deux sociétés et l’absence d’accord entre elles pour transiger avec Servier (voir point 68 ci-dessus).

86      Ce grief ne saurait être accueilli.

87      En effet, il convient de rappeler qu’un concurrent potentiel est celui qui dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché en cause et que l’élément essentiel sur lequel doit reposer cette qualification de concurrent potentiel est constitué par la capacité d’une entreprise à intégrer le marché (voir point 46 ci-dessus). Or, cette capacité doit être examinée au regard des éléments de fait caractérisant la situation d’espèce et des structures du marché pertinent (voir également point 46 ci-dessus), en particulier de la pratique de partenariats en vue d’accéder au marché. La Cour et le Tribunal ont ainsi vérifié s’il existait des possibilités réelles et concrètes d’intégrer un marché grâce à la conclusion d’accords avec des partenaires (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 1991, Delimitis, C‑234/89, EU:C:1991:91, point 21, et du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, points 83 et 90 à 94) et le Tribunal a même reproché à la Commission de ne pas avoir pris en compte la capacité d’un groupe, ne fabriquant pas le produit en cause, d’entrer sur le marché grâce à des accords conclus avec des sociétés fabriquant ledit produit (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2002, Tetra Laval/Commission, T‑5/02, EU:T:2002:264, point 331).

88      Il en résulte que la qualité de concurrent potentiel ne saurait être refusée à un opérateur au seul motif qu’il ne dispose pas à lui seul de la capacité d’entrer sur un marché donné, lorsqu’il a la possibilité de trouver des partenaires commerciaux lui permettant d’accéder audit marché, voire a déjà conclu un accord avec de tels partenaires commerciaux (voir, en ce sens, arrêts du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, EU:T:2011:181, points 82 et 83 et jurisprudence citée, et du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, points 197 et 204). Contrairement à ce qu’ont prétendu les requérantes lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal à propos de cette jurisprudence, la prise en considération des partenariats commerciaux aux fins de l’analyse de la concurrence potentielle ne revient pas à reconnaître une capacité d’entrer sur le marché à un opérateur qui n’en dispose pas, pour ensuite le sanctionner malgré son incapacité d’y entrer. Elle vise simplement à tenir compte, ainsi que le requiert la jurisprudence relative à l’analyse des possibilités réelles et concrètes, de la réalité et de la structure du marché concerné et, en particulier, du fait que plusieurs opérateurs disposent ensemble, mais pas isolément, d’une capacité d’entrer sur ce marché.

89      Ainsi, en l’espèce, la Commission a, à juste titre, examiné la qualité de concurrent potentiel de Matrix, ensemble avec Niche, en vérifiant si, grâce à l’accord Niche-Matrix, ces deux sociétés étaient en mesure d’entrer sur le marché avec le périndopril générique issu de la mise en œuvre de leur accord.

90      Il convient de préciser, à cet égard, que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le projet de périndopril commun issu de cet accord n’avait pas été abandonné à la date de conclusion des accords avec Servier. En effet, les requérantes se contentent d’alléguer un tel abandon et d’évoquer la dissimulation à Matrix des négociations entre Servier et Niche qui auraient débuté dès mai 2004, une prétendue méconnaissance par Niche d’une clause de l’accord Niche-Matrix, un courrier de Niche postérieur à la conclusion des accords avec Servier indiquant que le projet était « voué à l’échec » ainsi que des conseils juridiques prônant l’abandon de ce projet. Elles ne remettent, ce faisant, nullement en cause les considérations de la décision attaquée, fondées notamment sur des réponses de Niche et de Matrix à des demandes de renseignements de la Commission ainsi que sur différents échanges entre Niche et Matrix visant à la mise en œuvre de leur accord (voir également points 121 et 127 ci-après), en vertu desquelles Niche et Matrix avaient dans un premier temps poursuivi leur projet commun fondé sur l’accord Niche-Matrix après la conclusion des accords avec Servier le 8 février 2005, avant que Matrix ne déclare sa suspension avec effet immédiat le 22 juin 2005, sans qu’aucune des parties n’ait à aucun moment envisagé la résiliation de l’accord Niche-Matrix (considérants 625 à 632 de la décision attaquée). La Commission a, dès lors, à bon droit pris en compte cet accord dans son analyse de la concurrence potentielle.

91      Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que Niche et Matrix sont deux sociétés autonomes (voir point 68 ci-dessus). En effet, cette autonomie ne permet pas de remettre en cause le fait qu’elles ont conclu un accord visant à se répartir les tâches requises pour entrer sur le marché, accord qui devait, ainsi qu’il résulte de ce qui précède (voir point 88 ci-dessus), être pris en compte aux fins d’apprécier la capacité de chacune de ces sociétés à entrer sur le marché.

92      Elle ne l’est pas davantage par le fait que Niche et Matrix ont chacune conclu un accord avec Servier et auraient transigé indépendamment l’une de l’autre (voir point 68 ci-dessus). Cette allégation ne fait en effet que renvoyer à l’autonomie des deux sociétés en cause, qui permet certes à chacune d’elles de conclure des accords avec d’autres sociétés indépendamment l’une de l’autre, mais ne permet pas de remettre en cause l’existence de l’accord Niche-Matrix qu’elles ont conclu ensemble et qu’elles n’avaient pas résilié à la date et du fait de la conclusion de leurs accords le même jour avec Servier (voir point 90 ci-dessus).

93      Quant à l’argument des requérantes selon lequel Servier aurait transigé avec Niche indépendamment de Matrix (voir également point 68 ci-dessus), il renvoie à la perception par Servier de la qualité de concurrent potentiel de Matrix, à savoir l’absence d’une telle qualité que révélerait le fait que Servier n’ait pas estimé nécessaire de conclure un accord avec elle pour l’empêcher d’entrer sur le marché. Or, en l’espèce, il suffit de constater que Servier a conclu un tel accord avec Matrix, lequel bénéficie d’une force probante particulière aux fins d’établir la perception de l’existence d’une concurrence potentielle par l’opérateur en place (voir point 65 ci-dessus), et, en l’occurrence, la perception par Servier que Matrix constituait pour elle un concurrent potentiel.

94      Il convient encore d’ajouter que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir accordé un poids décisif dans son analyse de la concurrence potentielle à l’accord Niche-Matrix. En effet, ainsi que le relève à juste titre la Commission, elle n’a pas considéré dans la décision attaquée que la conclusion d’un accord de développement d’un produit concurrençant celui de la société de princeps suffisait à faire des deux contractants de cet accord des concurrents potentiels de ladite société. La Commission a examiné en détail les caractéristiques de cet accord et sa mise en œuvre pour en déduire la qualité de concurrents potentiels de Niche et de Matrix. En outre, si la Commission a principalement examiné le projet de périndopril fondé sur l’accord Niche-Matrix, c’est parce qu’elle a estimé que cet accord permettait à Niche et à Matrix d’entrer sur le marché et ainsi d’être qualifiées de concurrents potentiels de Servier. Il ne saurait toutefois en être déduit que la Commission n’aurait pas davantage approfondi son analyse des possibilités pour Matrix de trouver un autre partenaire, dans l’hypothèse où elle aurait considéré que le partenariat de Niche avec Matrix ne suffisait pas à qualifier cette dernière de concurrent potentiel (voir également point 88 ci-dessus).

95      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter les allégations critiquant l’analyse commune de la qualité de concurrents potentiels de Niche et de Matrix et de vérifier si, en l’espèce, la Commission a considéré, à juste titre, que l’accord Niche-Matrix permettait de qualifier Niche et Matrix de concurrents potentiels de Servier.

96      Il importe de souligner à cet égard, à titre liminaire, que les requérantes ne contestent pas que Matrix avait commencé à préparer des lots d’IPA de périndopril pour un lancement commercial, que Niche avait entrepris des démarches en vue de se voir octroyer des AMM (voir point 78 ci-dessus), qu’elle avait conclu quatorze accords avec des partenaires commerciaux souhaitant vendre du périndopril générique en Europe (voir point 79 ci-dessus) et que l’entrée sur le marché de Niche et de Matrix serait économiquement viable (voir point 82 ci-dessus).

97      Or, de tels éléments, en ce qu’ils attestent de démarches visant à la production et à la commercialisation prochaine de périndopril et des perspectives de rentabilité de cette commercialisation, permettent d’établir que Niche et Matrix avaient non seulement l’intention de prendre le risque d’entrer sur le marché européen, mais également la capacité d’y entrer.

98      Il convient, dès lors, de déterminer si les allégations des requérantes relatives aux obstacles liés aux brevets de Servier ainsi qu’aux difficultés techniques, réglementaires et financières de Niche et de Matrix sont susceptibles de remettre en cause leur capacité et leur intention d’entrer sur le marché, telles que déduites des éléments susvisés, et ainsi leurs possibilités réelles et concrètes de concurrencer Servier (voir, en ce sens, arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, points 386 et 441).

i)      Sur les obstacles liés aux brevets de Servier

99      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les parties avaient tort de prétendre, en se fondant notamment sur l’arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362), que l’entrée sur le marché était impossible, au motif que l’existence d’un brevet excluait toute possibilité de concurrence, et d’en conclure que les brevets de Servier créaient un « blocage unilatéral » au sens des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, lesquelles ne seraient au surplus pas applicables en l’espèce (considérants 1167 et 1168 ainsi que note en bas de page no 1638).

100    La Commission a ajouté que, en tout état de cause, les sociétés de génériques avaient la possibilité, premièrement, de contester la validité des brevets de Servier. Elle a rappelé, à cet égard, l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75, point 92), en vertu duquel il est de l’intérêt public d’éliminer, notamment par des actions contestant la validité des brevets, tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort, ainsi que l’arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, EU:C:2012:770, point 108), qui aurait affirmé que la concurrence potentielle pouvait exister même avant l’expiration du brevet de molécule (considérants 1132, 1165 et 1169 ainsi que note en bas de page no 1640 de la décision attaquée). La Commission a ajouté que le fait que Servier avait ou allait invoquer une contrefaçon de ses brevets était sans importance afin de déterminer si ces brevets étaient en mesure de bloquer l’entrée des génériques, en soulignant l’absence de présomption de contrefaçon et l’absence de décision de justice ayant constaté pendant la période pertinente une telle contrefaçon (considérants 1169 à 1171 de la décision attaquée). Elle a précisé qu’elle se fonderait, en ce qui concerne la possibilité perçue d’invalidité ou de contrefaçon des brevets de Servier, sur les évaluations réalisées par les parties elles-mêmes ainsi que par des tiers, telles qu’exposées dans des documents antérieurs à ou contemporains de la conclusion des accords litigieux (considérant 1172 de la décision attaquée).

101    La Commission a estimé que les sociétés de génériques avaient également la possibilité, deuxièmement, d’avoir recours à des voies alternatives pour accéder aux marchés où les litiges se déroulaient (considérant 1175). D’une part, les sociétés de génériques demeuraient libres de lancer le périndopril à risque, c’est-à-dire avec le risque que la société de princeps engage une action en contrefaçon. La Commission a souligné, à cet égard, que, compte tenu de la pratique du dépôt de brevets de procédé à la suite de l’expiration du brevet de molécule, la quasi-totalité des ventes après cette expiration étaient à risque et que l’entrée sur le marché à risque d’Apotex en 2006 s’était soldée par un jugement d’invalidité du brevet 947 et l’octroi de dommages et intérêts par Servier (considérants 1176 et 1177 de la décision attaquée). D’autre part, les sociétés de génériques auraient pu adapter leurs procédés, soit directement, soit en changeant de fournisseur d’IPA, pour éviter les allégations de contrefaçon. Bien que, le cas échéant, sources de retards réglementaires, ces changements représentaient, selon la Commission, une voie alternative viable pour accéder au marché (considérant 1178 de la décision attaquée).

102    La Commission a conclu, au considérant 1179 de la décision attaquée, comme suit :

« […] les règlements amiables ont été conclus dans un contexte où le brevet de molécule avait expiré, et où toutes les parties génériques étaient impliquées, directement ou indirectement, dans des actions en justice ou litiges concernant un ou plusieurs des brevets restants de Servier, que ce soit sous la forme d’une défense contre des actions en contrefaçon, ou par des actions ou des demandes reconventionnelles visant à invalider lesdits brevets. Les sociétés de génériques pouvaient également choisir d’autres mesures brevetaires comme pistes potentielles d’accès au marché. La Commission examinera en détail si les sociétés de génériques cherchant à surmonter les obstacles en matière de brevet et à lancer leur périndopril générique étaient une source de pression concurrentielle vis-à-vis de Servier en dépit de ses brevets. Il convient de rappeler, à cet égard, que tous les accords visés par la présente décision ont été conclus à un moment où il y avait une incertitude quant au fait de savoir si l’un quelconque des brevets avait été violé et en particulier si le brevet 947 pouvait être invalidé. La simple existence, et l’invocation, des brevets de Servier n’ont donc pas empêché toute possibilité de concurrence potentielle ou réelle. »

103    Contrairement à ce prétendent les requérantes, ces considérations de la Commission ne sont pas entachées d’erreurs.

104    En effet, si, comme le soulignent les requérantes, le droit exclusif que constitue le brevet a normalement pour conséquence de tenir les concurrents à l’écart, ces derniers étant tenus de respecter ce droit exclusif en vertu de la réglementation publique (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362), cet effet d’exclusion de la concurrence concerne les concurrents réels commercialisant des produits contrefaisants. Le brevet confère à son titulaire le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêts du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, point 9 ; du 14 juillet 1981, Merck, 187/80, EU:C:1981:180, point 9, et du 16 juillet 2015, Huawei Technologies, C‑170/13, EU:C:2015:477, point 46), mais ne s’oppose pas, par lui-même, à ce que des opérateurs entament les démarches requises pour être en mesure d’entrer sur le marché en cause à l’expiration du brevet et, ainsi, exercent une pression concurrentielle sur le titulaire du brevet caractéristique de l’existence d’une concurrence potentielle avant cette expiration. Il ne s’oppose pas davantage à ce que des opérateurs procèdent aux opérations nécessitées par la fabrication et la commercialisation d’un produit non contrefaisant, leur permettant d’être considérés comme des concurrents réels du titulaire du brevet à compter de leur entrée sur le marché et, le cas échéant, comme des concurrents potentiels jusqu’à cette entrée (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 164).

105    Statuant sur le pourvoi formé contre l’arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, EU:T:2010:266), la Cour a d’ailleurs elle-même reconnu, dans son arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, EU:C:2012:770, point 108), qu’une concurrence potentielle pouvait exister sur un marché même avant l’expiration d’un brevet. Plus précisément, la Cour a jugé, dans cet arrêt, repris par la Commission aux considérants 1165 et 1169 de la décision attaquée, que des certificats complémentaires de protection qui visent à prolonger les effets d’un brevet entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets, mais qu’ils étaient « également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration ».

106    Il en est d’autant plus ainsi dans le secteur pharmaceutique, dans lequel la législation relative à l’octroi des AMM qui sont requises pour qu’un médicament puisse être commercialisé sur le marché permet aux autorités compétentes d’accorder une AMM à un produit générique alors même que le produit de référence est protégé par un brevet. En effet, il ressort de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée, que les demandes d’AMM pour des produits génériques peuvent suivre une procédure abrégée s’appuyant sur les résultats des tests et des essais communiqués dans la demande d’AMM du produit de princeps et que les données relatives à ces résultats peuvent être utilisées et permettent, partant, l’octroi d’une AMM avant l’expiration du brevet sur le produit de princeps (article 10 de la directive 2001/83 ; voir également considérants 74 et 75 de la décision attaquée). Ainsi, la législation relative à la commercialisation des produits pharmaceutiques prévoit elle-même qu’une société de génériques peut entrer sur le marché grâce une AMM légalement octroyée ou, à tout le moins, entamer la procédure d’obtention de l’AMM au cours de la période de protection du brevet de la société de princeps.

107    Bien plus, le système de protection des brevets est conçu de telle sorte que, si les brevets sont présumés valides à compter de leur enregistrement (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362), cette présomption de validité n’implique pas ipso facto le caractère contrefaisant de tous les produits introduits sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, points 121 et 122). Comme le souligne à juste titre la Commission dans la décision attaquée (considérants 1169 à 1171), il n’existe pas de présomption de contrefaçon, une telle contrefaçon devant être constatée par un juge. En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75, point 52), si un opérateur privé titulaire d’un brevet pouvait substituer sa propre appréciation de l’existence d’une infraction à son droit de brevet à celle de l’autorité compétente, il pourrait utiliser cette appréciation aux fins d’étendre le champ de protection de son brevet (voir également considérant 1171 et note en bas de page no 1642 de la décision attaquée).

108    Contrairement à ce que font valoir les requérantes, cette approche de la Commission ne renverse pas la présomption de validité attachée aux brevets. Les requérantes se fondent en effet sur une lecture erronée de la décision attaquée, dès lors que la Commission y a considéré, en substance et à juste titre (voir points 105 à 107 ci-dessus), non que le brevet était présumé invalide jusqu’à l’adoption d’une décision juridictionnelle relative à sa validité et à l’existence d’une contrefaçon, mais que, jusqu’à l’adoption d’une telle décision, la présomption de validité du brevet n’empêchait pas une entrée à risque sur le marché (voir considérants 1171 et 1176 de la décision attaquée).

109    Il convient de souligner que la même absence de présomption de contrefaçon s’applique en cas de déclaration de validité du brevet en cause par une autorité compétente. En effet, dès lors qu’un brevet n’empêche pas en tant que tel l’entrée effective ou potentielle de concurrents sur le marché, la déclaration de validité dudit brevet, si elle n’est pas combinée à une déclaration de contrefaçon, n’exclut pas davantage une telle concurrence.

110    Il est par conséquent possible pour un opérateur de prendre le risque d’entrer sur le marché avec un produit y compris potentiellement contrefaisant du brevet en vigueur, cette entrée ou ce lancement à risque (voir notamment considérants 75 et 1176 de la décision attaquée) pouvant être couronnés de succès si le titulaire du brevet renonçait à introduire une action en contrefaçon ou si cette action en contrefaçon était rejetée dans l’hypothèse où elle aurait été introduite (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, points 128 et 165).

111    Il peut d’ailleurs être relevé à cet égard, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, que la Commission a, à juste titre, estimé, aux considérants 1132 et 1169 de la décision attaquée, que la contestation des brevets et des décisions relatives à ces brevets constituait une « expression […] de la concurrence » en matière de brevets. En effet, eu égard au risque de contrefaçon auquel est exposée toute société de génériques et à l’incompétence des opérateurs privés pour juger de la réalité de la contrefaçon, précédemment relevés (voir point 107 ci-dessus), l’action contentieuse constitue l’un des moyens à la disposition de la société de génériques pour réduire ce risque et entrer sur le marché, en obtenant soit une déclaration de non-contrefaçon, soit une invalidation du brevet potentiellement contrefait (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 122). Il en résulte également que, tant que des voies contentieuses sont ouvertes à la société de génériques pour contester les brevets concernés et ainsi lui ouvrir un accès au marché, il peut être considéré que lesdits brevets ne constituent pas des obstacles insurmontables à cet accès et, partant, n’empêchent pas une concurrence potentielle de se déployer.

112    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a estimé sans commettre d’erreur que les brevets de Servier ne constituaient pas en l’espèce des obstacles insurmontables à l’entrée des sociétés de génériques sur le marché. En effet, à la date de conclusion des accords litigieux, aucune décision définitive statuant sur le fond d’une action en contrefaçon n’avait constaté le caractère contrefaisant des produits desdites sociétés, en ce compris celui de Niche et de Matrix. La Commission a ainsi considéré, à juste titre, que les brevets de Servier ne créaient pas une « situation de blocage » au sens des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie (voir point 99 ci-dessus), à les supposer applicables. En effet, dans la mesure où seule une décision constatant une infraction au droit de propriété intellectuelle concerné, c’est-à-dire une contrefaçon du brevet en cause, pourrait empêcher une entrée à risque sur le marché, les « décisions des tribunaux » mentionnées dans ces lignes directrices (paragraphe 32) comme prouvant de manière certaine l’existence d’une situation de blocage renvoient à des décisions constatant la contrefaçon de ce brevet, qui n’ont pas été adoptées en l’espèce (arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, point 370).

113    Contrairement à ce que font par ailleurs valoir les requérantes, en l’absence de décision constatant l’existence d’une contrefaçon et a fortiori de décision définitive en ce sens et, ainsi, en l’absence d’obstacles insurmontables constitués par les brevets, la Commission a, à bon droit, pris en compte les perceptions subjectives par les parties du contentieux en matière de brevets aux fins de déterminer si les sociétés de génériques avaient des possibilités réelles et concrètes de surmonter les obstacles liés aux brevets et d’entrer sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 141). En effet, les évaluations réalisées par les parties elles-mêmes quant aux possibilités d’invalidation ou de contrefaçon de ces brevets sont susceptibles de donner une indication quant aux intentions, notamment contentieuses, de ces parties. En particulier, lorsqu’elles sont le fait des sociétés de génériques, elles peuvent contribuer à établir leur intention, compte tenu de leur perception subjective des brevets concernés, d’entrer sur le marché, mais non en tant que telles leur capacité d’y entrer, compte tenu de la seule compétence des juridictions nationales et de l’OEB pour établir la contrefaçon et la validité des brevets (voir point 107 ci-dessus et point 172 ci-après). Dès lors que l’intention est considérée comme un critère pertinent de détermination des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché (voir point 46 ci-dessus), il s’ensuit que les évaluations subjectives des parties peuvent valablement être prises en compte aux fins d’établir de telles possibilités. Il convient néanmoins de préciser que, dans la mesure où l’intention d’intégrer un marché, tout en étant pertinente aux fins de vérifier si une société peut être considérée comme un concurrent potentiel, n’intervient qu’à titre complémentaire (voir également point 46 ci-dessus), ces évaluations interviendront également uniquement à titre complémentaire dans la détermination de la qualité de concurrent potentiel de ladite société. Elles devront ainsi être confrontées à des éléments permettant d’évaluer la capacité d’entrer sur un marché ainsi que, le cas échéant, à d’autres éléments pouvant tout autant attester des intentions d’une société quant à son entrée sur un marché, aux fins de déterminer s’il peut en être déduit l’existence de possibilités réelles et concrètes de surmonter les obstacles en matière de brevets (arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, point 384).

114    De même, contrairement à ce que soutiennent également les requérantes, la mention par la Commission des voies alternatives d’accès au marché, dont en particulier le lancement à risque (voir point 101 ci-dessus), ne méconnaît pas les règles applicables à la détermination de la concurrence potentielle. En effet, en évoquant ces alternatives dans la partie de la décision attaquée présentant les règles qu’elle comptait appliquer à la détermination de la qualité de concurrent potentiel des sociétés de génériques en cause, la Commission s’est contentée d’évoquer des possibilités d’entrer sur un marché sur lequel des brevets sont en vigueur, possibilités dont elle a examiné ultérieurement dans le cadre de son analyse de chacun des accords litigieux si elles pouvaient être considérées comme réelles et concrètes et correspondre à une stratégie économique viable en fonction des caractéristiques propres à chacune des sociétés de génériques en cause. Elle n’a en revanche pas déduit du simple fait de l’existence de ces alternatives possibles que les sociétés de génériques, et en particulier Niche et Matrix, disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché selon une stratégie économique viable.

115    En outre, dans la mesure où les requérantes contestent l’existence en l’espèce de possibilités réelles et concrètes de Niche et de Matrix de surmonter les obstacles liés aux brevets, il y a lieu de constater qu’elles se fondent sur une mention par Niche de son souhait de ne pas intégrer le marché. Or, cette mention, selon laquelle le risque pour Niche d’être condamnée au versement de dommages et intérêts à Servier en raison de la contrefaçon de ses brevets était trop important pour qu’elle entre à risque sur le marché, figurant dans la réponse de Niche à la communication des griefs, ne saurait, en l’absence notamment de contestation des considérants de la décision attaquée rappelant les contentieux en matière de brevets menés par Niche contre Servier portant sur le périndopril développé en partenariat avec Matrix, suffire à écarter la qualité de concurrent potentiel de Niche et de Matrix. Il y a lieu d’ajouter qu’il en serait de même si devaient être pris en compte les documents émanant de Niche ou de ses conseillers présentés par les requérantes aux fins d’établir les inquiétudes sérieuses de Niche quant à la contrefaçon des brevets de Servier et ainsi les difficultés pour Matrix de trouver un partenaire disposé à conclure un partenariat dans ces circonstances. En effet, comme la mention susvisée de Niche qui atteste d’une intention de ne pas entrer sur le marché, ces documents, à supposer qu’ils puissent également être interprétés comme établissant une telle intention, doivent être confrontés aux actions contentieuses menées par Niche, qui révèlent, à tout le moins, une intention concrétisée, et non restée théorique, de surmonter les obstacles en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt de ce jour, Niche Generics/Commission, T‑701/14, point 139).

116    Les arguments des requérantes relatifs aux obstacles liés aux brevets de Servier ne permettent pas, dès lors, de remettre en cause les possibilités réelles et concrètes de Niche et de Matrix de concurrencer celui-ci.

ii)    Sur les difficultés techniques

117    Il convient de préciser, à titre liminaire, que, dans la mesure où l’examen des possibilités réelles et concrètes de fabriquer un produit diffère de celui des possibilités réelles et concrètes d’obtenir une AMM, mais que certains problèmes de fabrication peuvent avoir des conséquences sur l’obtention d’une AMM, les arguments des requérantes relatifs aux difficultés techniques de Niche et de Matrix seront examinés avant ceux relatifs à leurs difficultés d’obtenir les AMM demandées.

118    Il y a lieu de relever, s’agissant de ces difficultés techniques, qu’elles ne sont que sommairement évoquées par la Commission dans la partie de la décision attaquée spécifiquement consacrée à l’analyse de la qualité de concurrent potentiel de Niche et de Matrix (considérants 1282 à 1298 et 1421 à 1434 ; voir également points 77 à 83 ci-dessus) et que la Commission ne leur consacre pas de développements dans la partie de la décision attaquée visant à présenter les critères d’appréciation de la concurrence potentielle (considérants 1156 à 1183). Ces difficultés sont en revanche examinées de manière détaillée dans la partie de la décision attaquée relative à la présentation des accords entre Servier, d’une part, et Niche et Matrix, d’autre part, ainsi que des circonstances de leur conclusion (considérants 463 à 479) et il en ressort que la Commission s’est principalement fondée sur les efforts accomplis pour trouver des solutions aux difficultés techniques en cause et sur l’absence de preuve du caractère insurmontable de ces difficultés (considérant 479 ; voir également considérants 1296 et 1429).

119    Les requérantes ne contestent pas que Matrix et Niche ont œuvré pour obtenir un produit commercialisable et font principalement valoir, en substance, le caractère insurmontable des obstacles techniques auxquels la fabrication de ce produit se heurtait.

120    Quant à l’obstacle que représenteraient les impuretés décelées, les requérantes déduisent en substance son caractère insurmontable de l’arrêt de la production demandé par Niche en janvier 2005.

121    Il ressort cependant clairement du courrier électronique en cause, daté du 4 janvier 2005, envoyé par Niche à Unichem et à Matrix, que Niche a demandé à Matrix de poursuivre ses recherches quant à l’origine de l’impureté compte tenu de l’analyse différente à cet égard d’Unichem et d’arrêter, si possible, sa production le temps de trouver une solution au problème d’impureté, dans l’hypothèse où le taux d’impureté dans le matériel déjà produit serait supérieur à 0,1 %. L’arrêt de la production demandé par Niche était donc, d’une part, hypothétique, un courrier envoyé par Niche à Matrix le 7 mars 2005 indiquant d’ailleurs que le processus de fabrication n’avait été stoppé qu’après la conclusion de l’Accord (considérant 626 de la décision attaquée). Cet arrêt était, d’autre part et en tout état de cause, provisoire, car limité au temps requis pour le règlement de la difficulté technique en cause, règlement qui a d’ailleurs fait l’objet d’un échange entre Matrix et Unichem dès le 21 janvier 2005. Bien plus, quand bien même cet arrêt de la production aurait conduit au « pire scénario » évoqué par Niche, c’est-à-dire à « reprendre la production à zéro » (considérant 474 de la décision attaquée), il convient de relever qu’une telle reprise démontre précisément que le problème d’impureté n’était pas insurmontable.

122    Quant à la dureté des comprimés, les requérantes se fondent sur un rapport des tests menés en mars 2005 sur le produit de Niche et de Matrix envoyé par le consultant de Niche à cette dernière le 7 avril 2005 et dont il ressort que les problèmes de dureté des comprimés persistaient à cette date. Toutefois, un tel document postérieur et portant sur des données postérieures à la conclusion des accords entre Servier, d’une part, et Niche et Matrix, d’autre part, le 8 février 2005 reflète la mise en œuvre des accords et, en particulier, de leurs clauses interdisant la fabrication d’un produit contrefaisant les brevets de Servier. Il ne saurait partant permettre de déterminer si Niche et Matrix rencontraient des difficultés techniques insurmontables ou si elles avaient limité leurs efforts en vue de surmonter ces difficultés eu égard à ces clauses (voir, en ce sens, arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, point 464).

123    Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas établi que les difficultés techniques rencontrées par Niche et Matrix étaient insurmontables. Si elles font également valoir que ces difficultés auraient à tout le moins retardé le processus de mise au point du produit de Niche et de Matrix, il convient de souligner que, eu égard au délai moyen de deux à trois ans requis pour développer une technologie d’IPA de périndopril en vue d’une utilisation commerciale, retenu par la Commission dans la décision attaquée à partir des faits de l’espèce (note en bas de page no 1669) et non contesté par les requérantes, ainsi qu’au fait que Niche et Matrix ont commencé leur collaboration en mars 2001, date de l’accord Niche-Matrix, les efforts pris en compte par la Commission, datant de 2004-2005, sont les derniers efforts avant la finalisation en l’espèce des démarches réglementaires, lesquelles sont généralement menées en parallèle aux dernières démarches de mise au point du produit. Ainsi, de tels efforts accomplis à un stade avancé du développement du produit générique sont susceptibles, s’ils sont couronnés de succès, de permettre une entrée suffisamment rapide sur le marché et peuvent être considérés comme exerçant une pression concurrentielle sur la société de princeps (arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, point 459). Il s’ensuit que les retards subis à ce stade ne suffisent pas à eux seuls pour exclure la qualité de concurrent potentiel de Niche et de Matrix, dès lors qu’ils ne remettent pas en cause la pression concurrentielle résultant des efforts accomplis par lesdites sociétés à un stade avancé de la mise au point de leur produit (voir également point 59 ci-dessus).

124    Les arguments des requérantes relatifs aux difficultés techniques rencontrées par Niche et Matrix ne permettent pas, dès lors, de remettre en cause les possibilités réelles et concrètes de ces sociétés de concurrencer Servier.

iii) Sur les difficultés réglementaires

125    Il convient de souligner, à titre liminaire, que la Commission n’a pas exclu, dans la décision attaquée, que les obstacles réglementaires liés à la procédure d’octroi des AMM puissent constituer des obstacles insurmontables à l’entrée sur le marché. Elle a néanmoins considéré que l’absence d’AMM ne signifiait pas que le produit n’était pas en mesure d’atteindre le marché, aussi longtemps que la société de génériques maintenait ses efforts afin d’obtenir l’approbation réglementaire et que ces tentatives ne faisaient pas face à des problèmes objectivement insurmontables au moment du règlement amiable (considérants 1180 et 1181). La Commission a constaté, plus particulièrement s’agissant de Niche et de Matrix, que des démarches avaient été entreprises aux fins de l’octroi d’AMM, dont l’obtention était prévue pour 2005 et dont l’une avait effectivement été obtenue aux Pays-Bas par un client de Niche en mai 2005 (considérant 1422 de la décision attaquée ; voir également point 78 ci-dessus).

126    Il y a lieu de considérer que les arguments avancés par les requérantes ne permettent pas d’établir que Niche et Matrix étaient confrontées à des problèmes objectivement insurmontables dans la procédure d’AMM.

127    D’une part, les requérantes se fondent sur un courrier de l’autorité réglementaire du Royaume-Uni en date du 19 avril 2005, auquel elles estimaient être dans l’incapacité de répondre. Outre le fait que les requérantes mentionnent une seule demande de cette nature alors que Niche et ses partenaires ont engagé des procédures d’AMM dans plusieurs pays d’Europe (République tchèque, Danemark, France, Hongrie, Pays-Bas, Portugal, Slovénie, Suède, Royaume-Uni) (voir considérant 454 de la décision attaquée), il convient de relever, à la suite de la Commission, qu’il ressort d’un courrier du 13 mai 2005 envoyé par Niche à Matrix que Niche était convaincue de pouvoir répondre à la plupart des demandes et qu’elle laissait le soin à Matrix de répondre à deux d’entre elles. Il s’ensuit que Niche maintenait ses efforts en vue d’obtenir l’AMM concernée et qu’il ne saurait être déduit de la demande de l’autorité réglementaire du Royaume-Uni que l’obtention par Niche de son AMM dans ce pays était confrontée à des problèmes objectivement insurmontables.

128    D’autre part, les requérantes se fondent sur le problème des impuretés décelées dans le produit de Niche et de Matrix. Or, il a été considéré que ce problème n’était pas insurmontable et, partant, qu’il n’empêchait pas la mise au point d’un produit apte à entrer sur le marché (voir point 123 ci-dessus). Il peut ainsi en être déduit que les études et autres démarches supplémentaires prétendument rendues nécessaires du fait de cette difficulté technique pour obtenir l’AMM, quand bien même elles auraient retardé l’obtention de cette AMM, n’auraient pas rendu cette obtention impossible.

129    S’agissant de ces retards, il convient de souligner que, dès lors qu’une pression concurrentielle est susceptible de s’exercer dès le dépôt de la demande d’AMM et aussi longtemps que des efforts sont accomplis en vue d’obtenir l’AMM sans se heurter à des problèmes objectivement insurmontables, les retards subis dans les procédures d’AMM ne suffisent pas à eux seuls à exclure la qualité de concurrent potentiel des demandeurs d’AMM concernés par de tels retards. En outre, dans la mesure où la procédure d’AMM précède généralement l’entrée sur le marché et où l’obtention d’une AMM permet en principe l’entrée immédiate sur le marché et ainsi l’exercice d’une concurrence effective, l’exigence d’une obtention particulièrement rapide de l’AMM ou d’absence de retard dans cette obtention reviendrait à nier la différence entre concurrence réelle et concurrence potentielle (voir arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, point 478 et jurisprudence citée).

130    Les arguments des requérantes relatifs aux difficultés réglementaires rencontrées par Niche et Matrix ne permettent pas, dès lors, de remettre en cause leurs possibilités réelles et concrètes de concurrencer Servier, et ce quand bien même, comme le font valoir les requérantes, la Commission n’aurait pas dû prendre en compte l’AMM obtenue par un client de Niche en mai 2005 pour en déduire de telles possibilités.

iv)    Sur les difficultés financières

131    Il y a lieu de préciser que, en faisant valoir que Niche avait de graves difficultés financières et qu’elle ne disposait pas des fonds nécessaires pour poursuivre le contentieux en matière de brevets, les requérantes visent à remettre en cause la capacité financière de Niche à entrer sur le marché à risque.

132    Cependant, les requérantes se fondent à cet égard sur une déclaration en ce sens de Niche dans sa réponse à la communication des griefs ainsi que sur le courrier d’un avocat de Niche daté du 5 février 2005, soit trois jours avant la conclusion de l’Accord, selon lequel toute condamnation à des dommages et intérêts relatifs au brevet 947 dépasserait la capacité financière de Niche. Elles ne fournissent en revanche aucune estimation, même approximative, des dommages et intérêts invoqués et de la situation financière de Niche et omettent de mentionner tant les versements et prêts effectués par Unichem et la direction de Niche pour faire face aux frais contentieux que le partage prévu de ces frais contentieux. Il ne saurait, partant, être considéré que les requérantes ont établi que Niche se trouvait, du point de vue de ses finances, dans l’incapacité d’entrer sur le marché avec Matrix.

133    Il résulte de tout ce qui précède que les allégations des requérantes relatives aux obstacles liés aux brevets de Servier ainsi qu’aux difficultés techniques, réglementaires et financières de Niche et de Matrix ne permettent pas de remettre en cause leur capacité et leur intention d’entrer sur le marché, telles qu’établies par la Commission dans la décision attaquée (voir point 97 ci-dessus). La Commission a, dès lors, considéré, à juste titre, que l’accord Niche-Matrix, tel que mis en œuvre, permettait de qualifier Niche et Matrix de concurrents potentiels de Servier.

134    Il s’ensuit également que la Commission n’avait pas, aux fins de déterminer la qualité de concurrent potentiel de Matrix, à examiner si celle-ci avait des possibilités réelles et concrètes de trouver d’autres partenaires, de sorte que les arguments des requérantes critiquant cette analyse (voir points 69 et 70 ci-dessus) doivent être écartés comme inopérants.

135    Par conséquent, le moyen tiré d’erreurs de droit et d’appréciation dans l’analyse de la qualité de concurrent potentiel de Matrix doit être écarté.

2.      Sur le moyen tiré d’erreurs de droit et d’appréciation dans la qualification de l’Accord de restriction par objet

a)      Sur l’interprétation et l’application erronées de la notion de « restriction par objet »

1)      Arguments des parties

136    Les requérantes font valoir, en premier lieu, que la Commission a cherché à élargir la notion de « restriction par objet » en concluant que l’Accord était restrictif par objet sur la base d’une simple possibilité d’atteinte à la concurrence. Or, la notion de « restriction par objet » devrait être interprétée de manière restrictive et ne concerner que les collusions qui sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, car elles entraîneraient nécessairement une restriction de concurrence, au vu de l’expérience acquise. Les requérantes rejettent, à cet égard, toute analogie entre l’Accord et l’accord en cause dans l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643).

137    Les requérantes soutiennent, en second lieu, que la Commission aurait dû appliquer, au lieu du critère du « transfert de valeur », le critère du « champ d’application du brevet » pour apprécier le caractère restrictif par objet des accords intervenant en matière de brevets, dès lors que ce critère assurerait un « bon équilibre » entre le droit de la concurrence et la protection des droits des brevets et respecterait la présomption de validité des brevets.

138    Les requérantes font valoir, en se fondant sur ce critère, que la Commission a erronément apprécié les clauses de non-commercialisation et de non-contestation de l’Accord, dès lors que les obligations imposées à Matrix par ces clauses relevaient du champ d’application des brevets en cause et, en particulier, ne l’empêchaient pas de commercialiser du périndopril non contrefaisant. Elles contestent également l’interprétation par la Commission des articles 1er, 4 et 7 de l’Accord, dont il ressortirait, contrairement à ce qu’a considéré la Commission, que l’obligation de non-commercialisation porte sur les brevets de procédé de Servier (brevets 339, 340 et 341) et non sur le brevet 947.

139    La Commission rétorque que, afin de conclure à une violation de l’article 101 TFUE, elle a appliqué le test de la restriction de concurrence par objet tel que défini par la jurisprudence, en examinant si les accords en cause présentaient un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, en tenant compte, pour chaque accord, de la teneur de ses dispositions, des objectifs qu’il visait à atteindre, du contexte juridique et économique dans lequel il s’insérait et de l’intention des parties. Elle rappelle les trois critères retenus en l’espèce pour conclure à l’objet restrictif de concurrence de l’Accord, à savoir la concurrence potentielle entre le laboratoire de princeps et la société de génériques, l’engagement de la société de génériques à limiter ses efforts en vue d’entrer sur le marché et l’existence d’un transfert de valeur du laboratoire de princeps représentant une incitation significative pour réduire la motivation de la société de génériques à poursuivre de tels efforts. Elle précise que la prise en compte de la qualité de concurrent potentiel au titre du premier critère, et ainsi de la possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché, n’implique pas qu’une simple possibilité de restriction de concurrence soit constitutive d’une restriction par objet. La Commission estime enfin que les arguments avancés par les requérantes pour distinguer la présente affaire de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), ne sont pas convaincants.

140    Quant au grief relatif au critère du champ d’application du brevet, la Commission estime qu’il doit être rejeté comme inopérant, en ce que l’Accord irait bien au-delà du champ d’application des brevets de procédé de Servier. Elle renvoie, en outre, à la décision attaquée, selon laquelle, même en cas de restrictions entrant dans le champ d’application du brevet, c’est-à-dire de restrictions qui auraient en théorie pu être obtenues par l’application des brevets de procédé de Servier, ces restrictions seront anticoncurrentielles lorsque, dans la pratique, elles sont obtenues non par l’appréciation des parties de la solidité du brevet, mais grâce à un transfert de valeur du laboratoire de princeps réduisant sensiblement la motivation de la société de génériques à poursuivre ses efforts indépendants pour entrer sur un ou plusieurs marchés de l’Union avec un produit générique.

141    La Commission estime, en outre, que la clause de non-commercialisation interdisait à Matrix d’entrer sur le marché avec tout périndopril utilisant un procédé contrefaisant les brevets de procédé et que l’allégation de non-inclusion du brevet 947 dans cette clause serait dépourvue de pertinence, dès lors que toute contrefaçon de ce brevet pourrait donner lieu à des poursuites de Servier. Elle ajoute que les requérantes feraient totalement abstraction de la clause de non-contestation.

2)      Appréciation du Tribunal

i)      Sur les erreurs de droit

142    Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a commis une erreur de droit en qualifiant de restriction de concurrence par objet un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets et qu’elle a méconnu la portée des droits de propriété intellectuelle que constituent les brevets. Par conséquent, il appartient au Tribunal de déterminer si de tels accords de règlement amiable peuvent être constitutifs d’une restriction de concurrence par objet, et dans quelles conditions, tout en examinant si, dans son analyse, la Commission a méconnu la portée des brevets.

143    Il convient de rappeler, à cet égard, que, dans la décision attaquée, la Commission a longuement analysé la façon dont, selon elle, les accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets devraient être appréciés au regard des dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et, en particulier, la possibilité de qualifier de tels accords de restrictions par objet (considérants 1102 à 1155 de la décision attaquée).

144    En substance, tout en reconnaissant, en général, le droit des entreprises de régler à l’amiable un litige, y compris lorsqu’il porte sur des brevets (considérant 1118 de la décision attaquée), la Commission a estimé que les accords de règlement amiable en matière de brevets devaient respecter le droit de la concurrence de l’Union et, plus spécialement, les dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir notamment considérants 1119, 1122 et 1123 de la décision attaquée).

145    La Commission a également tenu compte du contexte particulier dans lequel s’exerce, dans le secteur pharmaceutique, la concurrence entre les sociétés de princeps et les sociétés de génériques. Elle a en particulier relevé l’importance, dans ce secteur, de la contestation des brevets (considérants 1125 à 1132 de la décision attaquée).

146    Au vu de ces éléments, la Commission a estimé que, en principe, il pouvait être justifié pour les parties de conclure un accord de règlement amiable mettant fin à un litige et même d’inclure dans cet accord des clauses de non-commercialisation et de non-contestation (considérants 1133 et 1136 de la décision attaquée).

147    Toutefois, la Commission a considéré que, en fonction des circonstances particulières de l’affaire, un accord de règlement amiable en matière de brevets par lequel une société de génériques accepte des restrictions de sa capacité et de ses incitations à rivaliser avec ses concurrents en échange d’un transfert de valeur, sous la forme du versement d’une somme d’argent significative ou d’une autre incitation significative, pouvait constituer une restriction de concurrence par objet contraire à l’article 101 TFUE (considérant 1134 de la décision attaquée). En effet, dans une telle hypothèse, la renonciation de la société de génériques à ses efforts indépendants en vue d’entrer sur le marché résulterait non de l’appréciation par les parties du bien-fondé du brevet mais du transfert de valeur de la société de princeps vers la société de génériques (considérant 1137 de la décision attaquée) et, partant, d’un paiement d’exclusion constitutif d’un achat de la concurrence (considérant 1140 de la décision attaquée).

148    Par conséquent, la Commission a annoncé que, afin d’apprécier si les accords de règlement amiable en cause constituaient ou non des restrictions de concurrence par objet, elle procéderait à une analyse au cas par cas des faits relatifs à chacun de ces accords. À cette fin, elle a précisé qu’elle s’attacherait plus particulièrement à déterminer, premièrement, si « la société de génériques et la société de princeps étaient des concurrents au moins potentiels », deuxièmement, si « la société de génériques s’[était] engagée dans l’accord à limiter, pour la durée de l’accord, ses efforts indépendants afin d’entrer sur un ou plusieurs marchés de [l’Union] avec un produit générique » et, troisièmement, si « l’accord était lié à un transfert de valeur de la société de princeps qui représentait une incitation significative réduisant sensiblement les incitations de la société de génériques à maintenir ses efforts indépendants pour entrer sur un ou plusieurs marchés de [l’Union] avec un produit générique » (considérant 1154 de la décision attaquée).

149    La Commission a ensuite appliqué les trois critères énumérés au point 148 ci-dessus à chacun des accords de règlement amiable en cause et conclu, pour chacun de ces accords, que ces trois critères étaient satisfaits et que, par conséquent, lesdits accords devaient être qualifiés, notamment, de restrictions de concurrence par objet.

–       Sur les restrictions de concurrence par objet

150    L’article 101, paragraphe 1, TFUE dispose que sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui ont « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur. Selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, p. 359), le caractère alternatif de ces conditions, marqué par l’emploi de la conjonction « ou », conduit à la nécessité de considérer en premier lieu l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Cependant, dans l’hypothèse où l’analyse de la teneur de l’accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible (voir arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 116 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2015, ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:484, point 30 et jurisprudence citée). En revanche, il n’est pas nécessaire d’examiner les effets d’un accord sur la concurrence dès lors que son objet anticoncurrentiel est établi (voir arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 25 et jurisprudence citée).

151    La notion de restriction de concurrence par objet ne peut ainsi être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant, par leur nature même, un degré suffisant de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 359 ; du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 49, 50 et 58 et jurisprudence citée ; du 16 juillet 2015, ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:484, point 31, et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20).

152    Selon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d’apprécier si un accord entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère (voir arrêt du 16 juillet 2015, ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:484, point 33 et jurisprudence citée). Dans le cadre de l’appréciation du contexte juridique et économique, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 117 et jurisprudence citée). Néanmoins, il importe de rappeler que l’examen des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché en cause ne saurait conduire le Tribunal à apprécier les effets de la coordination concernée (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 72 à 82), sous peine de faire perdre son effet utile à la distinction prévue par les dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

153    En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un type de coordination entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 118 et jurisprudence citée). Toutefois, la seule circonstance qu’un accord poursuive également des objectifs légitimes ne saurait suffire à faire obstacle à une qualification de restriction de concurrence par objet (arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 21 ; voir également, en ce sens, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, point 25, et du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C‑551/03 P, EU:C:2006:229, point 64).

154    Il convient de considérer que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, la Commission a, dans la décision attaquée, correctement saisi la notion de restriction de concurrence par objet ainsi que les critères d’appréciation de cette notion, tels qu’explicités aux points 151 à 153 ci-dessus. En effet, elle a indiqué, aux considérants 1110 et 1113 de la décision attaquée, que ces restrictions étaient celles qui, « par leur nature même, peuvent être nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence », que, « pour apprécier si un accord constitue une restriction de concurrence par objet, il convient de s’attacher inter alia à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère » et que, « pour déterminer ce contexte, il est aussi approprié de prendre en compte la nature des biens et services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et la structure du ou des marchés en question ». Elle a également rappelé à juste titre que, « bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif de concurrence par objet d’un accord, rien n’interdisait à la Commission ou aux juridictions de l’Union d’en tenir compte » (considérant 1113 de la décision attaquée).

155    Il ne saurait en particulier être reproché à la Commission d’avoir commis une erreur de droit en considérant qu’une simple possibilité d’atteinte à la concurrence par l’Accord était suffisante pour le qualifier de restriction de concurrence par objet (voir point 136 ci-dessus). Il est vrai que, au considérant 1111 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en citant la jurisprudence de la Cour (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 31, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, points 35 à 38), que, « [p]our avoir un objet anticoncurrentiel, il suffit qu’un accord soit susceptible d’avoir un impact négatif sur la concurrence » et que, « [e]n d’autres termes, l’accord doit simplement être à même dans un cas concret, et en tenant compte du contexte juridique et économique dans lequel il s’inscrit, d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur ».

156    Toutefois, il convient, d’abord, de rappeler que la Commission a, dans la décision attaquée, correctement exposé la jurisprudence relative à la définition et à l’appréciation des restrictions de concurrence par objet, en particulier aux considérants 1109 et 1110, 1112 à 1117 et 1211 de ladite décision (voir point 154 ci-dessus), et de constater qu’elle l’a appliquée dans l’analyse de l’Accord (voir, notamment, considérants 1475 à 1481 de la décision attaquée).

157    Il importe, ensuite, de souligner que, au point 31 de l’arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343), repris par le point 38 de l’arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160), la Cour n’a pas entendu affirmer qu’un accord peu nocif et pouvant par conséquent éventuellement avoir un impact négatif sur la concurrence pouvait constituer une restriction de concurrence par objet, mais uniquement, d’une part, que l’identification des effets concrets d’un accord sur la concurrence n’était pas pertinente dans l’analyse de la restriction de concurrence par objet et que, d’autre part, la seule circonstance qu’un accord n’ait pas été mis en œuvre ne saurait empêcher de le qualifier de restriction de concurrence par objet. La lecture du point 31 de l’arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343), faite notamment à la lumière de ses points 29 et 30 et du point 46 des conclusions de l’avocat général Kokott dans cette affaire, auquel l’arrêt renvoie expressément, et du point 47 de ces conclusions, permet, en effet, de le replacer dans le contexte de la distinction entre les restrictions de concurrence par effet et celles par objet.

158    Par ailleurs, quant à l’argument des requérantes selon lequel la notion d’infraction par objet devrait être interprétée restrictivement, contrairement à l’approche retenue par la Commission dans la décision attaquée (voir point 136 ci-dessus), il importe d’abord de rappeler que, dans l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 58), la Cour a affirmé que la notion de restriction de concurrence par objet ne pouvait être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire et non à des accords dont il n’est en rien établi qu’ils sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence. Elle a, en conséquence, censuré pour erreur de droit l’affirmation du Tribunal selon laquelle il n’y avait pas lieu d’interpréter la notion d’infraction par objet de manière restrictive. La Cour n’a, cependant, pas remis en cause la jurisprudence selon laquelle les types d’accords envisagés à l’article 101, paragraphe 1, sous a) à e), TFUE ne forment pas une liste exhaustive de collusions prohibées (arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 23 ; voir également, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 58), constat qui ressort de l’emploi du terme « notamment » à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:467, point 46).

159    Il convient ensuite de relever que la Commission a retenu, en l’espèce, une approche conforme à l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204), en analysant les accords litigieux au regard des critères rappelés aux points 151 à 153 ci-dessus (voir point 156 ci-dessus), critères qui sont en tant que tels restrictifs, dès lors qu’ils supposent l’identification d’un degré suffisant de nocivité. Contrairement à ce que font valoir les requérantes, l’analyse de la Commission ne devait pas, a priori, être conditionnée par une approche plus restrictive que celle impliquée par les critères de la notion de restriction de concurrence par objet, mais elle supposait l’identification d’une restriction de concurrence présentant un degré suffisant de nocivité ou, à défaut, l’analyse des effets anticoncurrentiels concrets des accords litigieux.

160    De même, contrairement à ce que laissent entendre les requérantes (voir point 136 ci-dessus), le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de concurrence n’est pas en soi de nature à l’empêcher de le faire pour l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses (voir arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 438 et jurisprudence citée).

161    La jurisprudence n’exige pas non plus qu’un accord doive être suffisamment nocif pour la concurrence à première vue ou sans aucun doute, sans qu’il soit procédé par la Commission ou le juge de l’Union à un examen individuel et concret de son contenu, de sa finalité et de son contexte économique et juridique, pour pouvoir être qualifié de restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 51, et du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 775).

162    Après ce rappel des conditions d’application de la notion de restriction de concurrence par objet et l’examen des griefs des requérantes critiquant l’interprétation de cette notion, il convient de relever que, en l’espèce, l’Accord visait, selon les requérantes, à régler à l’amiable des litiges entre les parties contractantes et a été conclu dans le contexte particulier du droit des brevets, les litiges en cause portant sur les brevets de Servier. Or, dès lors que la détermination de l’existence d’une restriction par objet suppose l’examen de la teneur de l’accord en cause, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère (voir point 152 ci-dessus), il convient en l’espèce d’analyser les clauses de non-contestation des brevets et les clauses de non-commercialisation des produits contrefaisant ces brevets que contiennent les règlements amiables en général et en particulier l’Accord, au regard de leur objectif de régler à l’amiable les litiges en matière de brevets et de leur contexte spécifique, constitué par les brevets, aux fins de vérifier si la Commission a, à bon droit et selon des critères juridiquement adéquats, qualifié l’Accord de restrictif de concurrence par objet.

–       Sur les droits de propriété intellectuelle et, en particulier, les brevets

163    L’objet spécifique de l’attribution d’un brevet est d’assurer à son titulaire, afin de récompenser l’effort créatif de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, point 9). Lorsqu’il est accordé par une autorité publique, un brevet est normalement présumé être valide et sa détention par une entreprise est supposée être légitime. La seule possession par une entreprise d’un tel droit exclusif a normalement pour conséquence de tenir les concurrents à l’écart, ces derniers étant tenus de respecter, en vertu de la réglementation publique, ce droit exclusif (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362).

164    L’exercice des droits découlant d’un brevet octroyé conformément à la législation d’un État membre ne porte pas, en lui-même, infraction aux règles de concurrence fixées par le traité (arrêt du 29 février 1968, Parke, Davis and Co., 24/67, EU:C:1968:11, p. 109). Les règles en matière de propriété intellectuelle sont même essentielles pour le maintien d’une concurrence non faussée sur le marché intérieur (arrêt du 16 avril 2013, Espagne et Italie/Conseil, C‑274/11 et C‑295/11, EU:C:2013:240, point 22). En effet, d’une part, en récompensant l’effort créatif de l’inventeur, le droit des brevets contribue à promouvoir un environnement favorable à l’innovation et à l’investissement et, d’autre part, il vise à rendre publiques les modalités de fonctionnement des inventions et à permettre, ainsi, à d’autres avancées de voir le jour. Le paragraphe 7 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, dont les dispositions sont intégralement reprises par le paragraphe 7 des lignes directrices du 28 mars 2014 concernant l’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2014, C 89, p. 3, ci-après les « lignes directrices de 2014 sur les accords de transfert de technologie ») reconnaît ainsi ce qui suit :

« [Il n’y a pas] de conflit intrinsèque entre les droits de propriété intellectuelle et les règles de concurrence communautaires. En effet, selon ces dispositions, ces deux corpus législatifs ont le même objectif fondamental, qui est de promouvoir le bien-être des consommateurs ainsi qu’une répartition efficace des ressources. L’innovation constitue une composante essentielle et dynamique d’une économie de marché ouverte et concurrentielle. Les droits de propriété intellectuelle favorisent une concurrence dynamique, en encourageant les entreprises à investir dans le développement de produits et de processus nouveaux ou améliorés. C’est aussi ce que fait la concurrence en poussant les entreprises à innover. C’est pourquoi tant les droits de propriété intellectuelle que la concurrence sont nécessaires pour promouvoir l’innovation et assurer qu’elle soit exploitée dans des conditions concurrentielles. »

165    Selon une jurisprudence constante, le droit de propriété, dont font partie les droits de propriété intellectuelle, constitue un principe général du droit de l’Union (arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae, C‑275/06, EU:C:2008:54, point 62 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a., C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, point 126 et jurisprudence citée).

166    Le droit de propriété intellectuelle, et notamment le droit des brevets, n’apparaît toutefois pas comme une prérogative absolue, mais il doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société et il convient de le concilier avec d’autres droits fondamentaux, et des restrictions peuvent y être apportées afin de répondre à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, sans que celles-ci ne constituent cependant, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit garanti (voir arrêt du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a., C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, point 126 et jurisprudence citée). La Cour a, par exemple, considéré, dans des litiges relatifs à l’interprétation du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO 2009, L 152, p. 1), qu’il convenait de mettre en balance les intérêts de l’industrie pharmaceutique titulaire de brevets avec ceux de la santé publique (voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2015, Actavis Group PTC et Actavis UK, C‑577/13, EU:C:2015:165, point 36 et jurisprudence citée).

167    Il convient également de rappeler que l’article 3, paragraphe 3, TUE précise que l’Union établit un marché intérieur, lequel, conformément au protocole no 27 sur le marché intérieur et la concurrence, annexé au traité de Lisbonne (JO 2010, C 83, p. 309), qui, en vertu de l’article 51 TUE, a même valeur que les traités, comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée. Or, les articles 101 et 102 TFUE sont au nombre des règles de concurrence qui, telles celles visées à l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE, sont nécessaires au fonctionnement dudit marché intérieur. En effet, de telles règles ont précisément pour objectif d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs, contribuant ainsi au bien-être dans l’Union (arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83, points 20 à 22).

168    Si les traités n’ont jamais expressément prévu de conciliation entre les droits de propriété intellectuelle et le droit de la concurrence, l’article 36 du traité CE, dont les dispositions ont été reprises à l’article 36 TFUE, a cependant prévu une conciliation des droits de propriété intellectuelle avec le principe de libre circulation des marchandises, en indiquant que les dispositions du traité relatives à l’interdiction des restrictions quantitatives entre les États membres ne faisaient pas obstacle aux restrictions d’importation, d’exportation ou de transit justifiées, notamment, par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale, tout en précisant que ces restrictions ne devaient constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. La Cour considère que l’article 36 du traité CE a ainsi entendu établir une distinction entre l’existence d’un droit reconnu par la législation d’un État membre en matière de protection de la propriété artistique et intellectuelle, qui ne peut être affecté par les dispositions du traité, et son exercice, qui pourrait constituer une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 1982, Coditel e.a., 262/81, EU:C:1982:334, point 13).

169    Le législateur de l’Union a par ailleurs eu l’occasion de rappeler la nécessité d’une telle conciliation. Ainsi, la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45), qui a pour objectif de rapprocher les législations nationales afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur (considérant 10) et « vise à assurer le plein respect de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » (considérant 32), précise qu’elle « ne devrait pas avoir d’incidence sur l’application des règles de concurrence, en particulier les articles [101] et [102 TFUE] », et que « les mesures prévues par la présente directive ne devraient pas être utilisées pour restreindre indûment la concurrence d’une manière qui soit contraire au traité » (considérant 12).

170    La Cour a développé une jurisprudence relative aux différents types de droits de propriété intellectuelle visant à concilier les règles de concurrence avec l’exercice de ces droits, sans porter atteinte à leur substance, en utilisant le même raisonnement que celui lui permettant de concilier ces droits et la libre circulation des marchandises. Il s’agit ainsi, pour la Cour, de sanctionner l’usage anormal des droits de propriété intellectuelle et non leur exercice légitime, qu’elle définit à partir de leur objet spécifique, notion utilisée dans la jurisprudence de la Cour comme synonyme de celles de substance même de ces droits et de prérogatives essentielles du titulaire de ces droits. Selon la Cour, l’exercice de prérogatives qui font partie de l’objet spécifique d’un droit de propriété intellectuelle concerne ainsi l’existence de ce droit (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Gulmann dans l’affaire RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P, EU:C:1994:210, points 31 et 32 et jurisprudence citée). Néanmoins, la Cour considère que l’exercice du droit exclusif par son titulaire peut, dans des circonstances exceptionnelles, également donner lieu à un comportement contraire aux règles de concurrence (arrêt du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 691).

171    S’agissant des brevets, la Cour a dit pour droit qu’il n’était pas exclu que les dispositions de l’article 101 TFUE puissent trouver application au droit de la propriété intellectuelle si l’utilisation d’un ou de plusieurs brevets, concertée entre entreprises, devait aboutir à créer une situation susceptible de tomber sous les notions d’accords entre entreprises, décisions d’association d’entreprises ou pratiques concertées au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 29 février 1968, Parke, Davis and Co., 24/67, EU:C:1968:11, p. 110). Elle a à nouveau considéré, en 1974, que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice peuvent cependant relever des interdictions édictées par cet article et que tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

172    Il convient de rappeler que, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union du droit des brevets applicable dans la présente affaire, l’étendue de la protection conférée par un brevet délivré par un office national des brevets ou par l’OEB ne peut être déterminée qu’au regard de règles qui ne relèvent pas du droit de l’Union, mais du droit national ou de la convention européenne des brevets (voir, en ce sens, arrêts du 16 septembre 1999, Farmitalia, C‑392/97, EU:C:1999:416, point 26, et du 24 novembre 2011, Medeva, C‑322/10, EU:C:2011:773, points 22 et 23). Par conséquent, lorsque, dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre une décision de la Commission, le juge de l’Union est appelé à procéder à l’examen d’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet régi par d’autres règles que celles du droit de l’Union, il ne lui appartient pas de définir la portée dudit brevet ou de se prononcer sur sa validité. Il convient d’ailleurs de relever que, en l’espèce, dans la décision attaquée, si la Commission a évoqué, aux considérants 113 à 123, une stratégie de Servier de constitution d’un « halo de brevets » et de « brevets de papier », elle ne s’est toutefois pas prononcée sur la validité des brevets litigieux au moment de la conclusion des accords.

173    S’il n’appartient ni à la Commission ni au Tribunal de se prononcer sur la validité d’un brevet, l’existence du brevet doit cependant être prise en compte dans l’analyse effectuée dans le cadre des règles de concurrence de l’Union. En effet, la Cour a déjà indiqué que, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, il n’en reste pas moins que cette institution ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée du brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 et 102 TFUE, dès lors que, même dans le cas où la portée effective d’un brevet fait l’objet d’un litige devant des juridictions nationales, la Commission doit pouvoir exercer ses compétences conformément aux dispositions du règlement no 1/2003, que les constatations que la Commission peut faire ne préjugent en rien les appréciations que les juridictions nationales porteront sur les différends relatifs aux droits de brevet dont elles sont saisies et que la décision de la Commission est soumise au contrôle du juge de l’Union (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, points 26 et 27).

174    Enfin, il importe de souligner que les droits de propriété intellectuelle sont protégés par la charte des droits fondamentaux. Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, à laquelle le traité de Lisbonne a conféré une valeur juridique égale à celle des traités (article 6, paragraphe 1, TUE), « [t]oute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer », « [n]ul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte », et « [l]’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ». L’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux précise, en outre, que « [l]a propriété intellectuelle est protégée ». Par conséquent, les garanties prévues à l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux s’appliquent également à la propriété intellectuelle. Or, la Cour considère que la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle dans la charte des droits fondamentaux implique une exigence de protection élevée de ces derniers et qu’il convient de mettre en balance, d’une part, la préservation du libre jeu de la concurrence au titre duquel le droit primaire et notamment les articles 101 et 102 TFUE prohibent les ententes et les abus de position dominante et, d’autre part, la nécessaire garantie des droits de propriété intellectuelle, qui résulte de l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Huawei Technologies, C‑170/13, EU:C:2015:477, points 42 et 58).

–       Sur les règlements amiables des litiges en matière de brevets

175    À titre liminaire, il y a lieu de préciser que les développements qui suivent ne concernent pas les cas de brevets obtenus par fraude, de litiges « fictifs » ou de désaccords n’ayant pas atteint un stade juridictionnel. En effet, la Commission a admis au considérant 1170 de la décision attaquée que, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable, Servier et les sociétés de génériques étaient tous parties ou associés – comme Matrix en l’espèce (voir point 17 ci-dessus) – à un litige devant une juridiction nationale ou l’OEB, portant sur la validité de certains brevets de Servier ou sur le caractère contrefaisant du produit développé par la société de génériques.

176    Tout d’abord, il importe de relever qu’il est a priori légitime, pour les parties à un litige relatif à un brevet, de conclure un accord de règlement amiable plutôt que de poursuivre un contentieux devant une juridiction. Ainsi que l’a indiqué à juste titre la Commission au considérant 1102 de la décision attaquée, les entreprises sont généralement habilitées à régler à l’amiable les contentieux, y compris en matière de brevets, ces règlements amiables bénéficiant souvent aux deux parties au litige et permettant une allocation des ressources plus efficace que si le contentieux s’était poursuivi jusqu’à un jugement. Une partie requérante n’est, en effet, pas tenue de poursuivre un contentieux qu’elle a librement porté en justice. Il convient d’ajouter que le règlement juridictionnel des litiges, outre le fait qu’il occasionne un coût pour la collectivité, ne peut être considéré comme constituant la voie privilégiée et idéale de résolution des conflits. La multiplication des litiges devant les tribunaux peut être le reflet de dysfonctionnements ou d’insuffisances, qui peuvent trouver d’autres formes de remèdes ou faire l’objet d’actions de prévention adaptées. À supposer que les systèmes nationaux de délivrance des brevets ou celui de l’OEB connaissent de telles difficultés, par exemple en accordant trop libéralement une protection à des procédés dénués de caractère inventif, ces problèmes ne sauraient justifier une obligation ni même un encouragement des entreprises de poursuivre les litiges en matière de brevets jusqu’à une issue juridictionnelle.

177    De même, les paragraphes 204 et 209 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, applicables à tout le moins à des accords portant sur la concession de licences de technologie, reconnaissent la possibilité de conclure des accords de règlement et de non-revendication incluant la concession de licences et indiquent que, dans le cadre d’un tel accord de règlement et de non-revendication, des clauses de non-contestation sont généralement considérées comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le paragraphe 235 des lignes directrices de 2014 sur les accords de transfert de technologie, qui ont remplacé celles de 2004, énonce également que « les accords de règlement dans le cadre des litiges technologiques constituent en principe, comme dans beaucoup d’autres secteurs des litiges commerciaux, un moyen légitime de trouver un compromis mutuellement acceptable en cas de litige juridique de bonne foi ». Ce paragraphe précise, en outre, que « les parties peuvent préférer mettre un terme au différend ou au litige parce qu’il s’avère trop coûteux en ressources ou en temps et/ou parce que son issue est incertaine » et que « le règlement peut également éviter aux tribunaux et/ou aux organismes administratifs compétents d’avoir à statuer sur le litige et peut donc engendrer des avantages augmentant le bien-être ».

178    La Commission fait d’ailleurs elle-même usage d’une procédure administrative en matière d’ententes, qui s’apparente, à certains égards, à un règlement amiable. En effet, la procédure de transaction, qui a été instituée par le règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008, modifiant le règlement no 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engagées dans les affaires d’entente (JO 2008, L 171, p. 3), a pour objectif de simplifier et d’accélérer les procédures administratives ainsi que de réduire le nombre de recours introduits devant le juge de l’Union, en vue de permettre à la Commission de traiter davantage d’affaires avec les mêmes ressources (arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, points 59 et 60).

179    Selon la jurisprudence, le fait de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle, et le contrôle juridictionnel qu’il implique, est l’expression d’un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’intenter une action en justice est susceptible de constituer une infraction au droit de la concurrence (arrêt du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T‑111/96, EU:T:1998:183, point 60). Ainsi que l’a rappelé la Cour, l’exigence de protection élevée des droits de propriété intellectuelle implique que leur titulaire ne peut, en principe, se voir privé de la faculté de recourir aux actions en justice de nature à garantir le respect effectif de ses droits exclusifs (arrêt du 16 juillet 2015, Huawei Technologies, C‑170/13, EU:C:2015:477, point 58). De manière symétrique et ainsi que le soulignent en substance les requérantes, le fait pour une entreprise de décider de renoncer à la voie juridictionnelle en préférant recourir à un règlement extrajuridictionnel du litige n’est que l’expression d’une même liberté de choix des moyens d’assurer la défense de ses droits et ne saurait, en principe, constituer une infraction au droit de la concurrence.

180    Si l’accès au juge constitue un droit fondamental, il ne saurait cependant être considéré qu’il constitue une obligation, quand bien même il contribuerait à aviver la concurrence entre opérateurs économiques. En effet, d’une part, il importe de rappeler que, malgré la diversité des procédures et des systèmes de délivrance des brevets qui prévalait dans les différents États membres de l’Union et devant l’OEB au moment de la survenance des faits de l’espèce, un droit de propriété intellectuelle, accordé par une autorité publique, est normalement présumé être valide et sa détention par une entreprise est supposée être légitime (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362). D’autre part, s’il est certes de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (voir, en ce sens arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, points 92 et 93) et s’il est généralement admis que les budgets publics, notamment ceux consacrés à la couverture des dépenses de santé, sont soumis à des contraintes importantes et que la concurrence, en particulier celle que représentent les médicaments génériques développés par les sociétés de génériques, peut contribuer efficacement à la maîtrise de ces budgets, il importe également de rappeler, ainsi que la Commission l’a indiqué à juste titre au considérant 1201 de la décision attaquée, que toute entreprise demeure libre de décider d’introduire ou de ne pas introduire un recours contre les brevets sur les médicaments princeps détenus par les sociétés de princeps. En outre, une telle décision d’introduire ou non un recours ou de mettre fin à l’amiable à un litige n’empêche pas, en principe, d’autres entreprises de décider de contester lesdits brevets.

181    Il résulte de tout ce qui précède que, aux fins de concilier le droit des brevets et le droit de la concurrence dans le cadre particulier de la conclusion de règlements amiables entre des parties à un litige relatif à un brevet, il convient de trouver un point d’équilibre entre, d’une part, la nécessité de permettre aux entreprises de procéder à des règlements amiables dont le développement est favorable à la collectivité et, d’autre part, la nécessité de prévenir le risque d’un usage détourné des accords de règlement amiable, contraire au droit de la concurrence, conduisant au maintien de brevets dépourvus de toute validité et, en particulier dans le secteur des médicaments, à une charge financière injustifiée pour les budgets publics.

–       Sur la conciliation entre les accords de règlement amiable en matière de brevets et le droit de la concurrence

182    Il convient de rappeler que le recours au règlement amiable d’un litige en matière de brevets n’exonère pas les parties de l’application du droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, EU:C:1988:448, point 15, et du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 118 ; voir, par analogie, arrêt du 30 janvier 1985, BAT Cigaretten-Fabriken/Commission, 35/83, EU:C:1985:32, point 33 ; voir également paragraphe 204 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie ainsi que paragraphe 237 des lignes directrices de 2014 sur les accords de transfert de technologie).

183    La Cour a ainsi jugé, en particulier, qu’une clause de non-contestation d’un brevet, y compris lorsqu’elle était insérée dans un accord visant à mettre fin à un litige pendant devant une juridiction, pouvait avoir, eu égard au contexte juridique et économique, un caractère restrictif de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, EU:C:1988:448, point 14 à 16).

184    Il y a lieu dès lors d’identifier les éléments pertinents qui permettent de conclure au caractère restrictif de concurrence par objet d’une clause de non-contestation d’un brevet et, plus largement, d’un accord de règlement amiable en matière de brevets, étant rappelé que la détermination de l’existence d’une restriction par objet suppose l’examen de la teneur de l’accord en cause, des objectifs qu’il vise à atteindre et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère (voir point 162 ci-dessus).

185    À titre liminaire, il convient de relever qu’un accord de règlement amiable d’un litige en matière de brevets peut n’avoir aucune incidence négative sur la concurrence. Tel est le cas, par exemple, si les parties s’accordent pour estimer que le brevet litigieux n’est pas valide et prévoient, de ce fait, l’entrée immédiate de la société de génériques sur le marché.

186    Les accords en cause en l’espèce, et en particulier l’Accord, ne relèvent pas de cette catégorie, car ils comportent des clauses de non-contestation de brevets et de non-commercialisation de produits, lesquelles ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif de concurrence. En effet, la clause de non-contestation porte atteinte à l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, point 92) et la clause de non-commercialisation entraîne l’exclusion du marché d’un des concurrents du titulaire du brevet.

187    Cependant, l’insertion de telles clauses peut être légitime, mais seulement dans la mesure où elle se fonde sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet en cause (et, accessoirement, du caractère contrefaisant des produits génériques concernés).

188    En effet, d’une part et ainsi que le soulignent les requérantes, les clauses de non-commercialisation et de non-contestation sont nécessaires au règlement amiable de certains litiges relatifs aux brevets. Si les parties à un litige étaient mises dans l’impossibilité de faire usage de telles clauses, le règlement amiable du litige perdrait tout intérêt pour les litiges dans lesquels les deux parties s’accordent sur la validité du brevet. Il importe au demeurant de rappeler à cet égard, à la suite des requérantes, que la Commission a indiqué, au paragraphe 209 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, qu’« [u]ne caractéristique propre [aux accords de règlement] est que les parties conviennent de ne pas contester a posteriori les droits de propriété intellectuelle qu’ils couvrent[, car] le véritable objectif de l’accord est de régler les litiges existants et/ou d’éviter des litiges futurs ». Or, il est tout autant nécessaire, aux fins d’atteindre cet objectif, que les parties conviennent qu’aucun produit contrefaisant ne puisse être commercialisé.

189    D’autre part, l’insertion de clauses de non-commercialisation se borne, pour partie, à conforter les effets juridiques préexistants d’un brevet dont les parties reconnaissent explicitement ou implicitement la validité. En effet, le brevet a normalement pour conséquence, au profit de son titulaire, d’empêcher la commercialisation par des concurrents du produit objet du brevet ou du produit obtenu par le procédé objet du brevet (voir point 163 ci-dessus). Or, en se soumettant à une clause de non-commercialisation, la société de génériques s’engage à ne pas vendre de produits susceptibles d’être contrefaisants à l’égard du brevet en cause. Cette clause, si elle se limite au champ d’application du brevet litigieux, peut alors être regardée comme reproduisant, en substance, les effets de ce brevet, dans la mesure où elle se fonde sur la reconnaissance de la validité de celui-ci. S’agissant des clauses de non-contestation, le brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection contre les actions visant à contester la validité d’un brevet (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, point 92). Les effets de ces clauses ne se confondent donc pas avec les effets du brevet. Cependant, lorsqu’une clause de non-contestation est adoptée dans le cadre du règlement amiable d’un véritable litige dans lequel le concurrent a déjà eu l’opportunité de contester la validité du brevet en cause et reconnaît finalement cette validité, une telle clause ne peut être regardée, dans un tel contexte, comme portant atteinte à l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (voir point 186 ci-dessus).

190    La Commission a elle-même indiqué, dans la décision attaquée, que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation étaient généralement inhérentes à tout règlement amiable. Elle a ainsi considéré qu’il était « peu probable qu’un règlement amiable conclu dans le cadre d’un litige ou d’un contentieux en matière de brevets sur la base de l’appréciation par chaque partie du contentieux auquel elle est confrontée enfreigne le droit de la concurrence, quand bien même l’accord prévoirait l’obligation pour la société de génériques de s’abstenir d’utiliser l’invention couverte par le brevet pendant la durée de protection de celui-ci (par exemple par une clause de non-commercialisation) et/ou de ne pas contester le brevet en cause devant les tribunaux (par exemple par une clause de non-contestation) » (considérant 1136 de la décision attaquée).

191    Ainsi, la seule présence, dans des accords de règlement amiable, de clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont la portée se limite à celle du brevet en cause ne permet pas, malgré le fait que ces clauses ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif (voir point 186 ci-dessus), de conclure à une restriction de concurrence présentant un degré suffisant de nocivité pour être qualifiée de restriction par objet, lorsque ces accords se fondent sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet (et, accessoirement, du caractère contrefaisant des produits génériques concernés).

192    La présence de clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont la portée se limite à celle du brevet en cause est, en revanche, problématique lorsqu’il apparaît que la soumission de la société de génériques à ces clauses n’est pas fondée sur la reconnaissance par celles-ci de la validité du brevet. Comme le relève à juste titre la Commission, « même si les limitations contenues dans l’accord [à] l’autonomie commerciale de la société de génériques ne vont pas au-delà du champ d’application matériel du brevet, elles constituent une violation de l’article 101 [TFUE] lorsque ces limitations ne peuvent être justifiées et ne résultent pas de l’évaluation par les parties du bien-fondé du droit exclusif lui-même » (considérant 1137 de la décision attaquée).

193    À cet égard, il convient de relever que l’existence d’un « paiement inversé », c’est-à-dire d’un paiement de la société de princeps vers la société de génériques, est doublement suspecte dans le cadre d’un accord de règlement amiable. En effet, en premier lieu, il importe de rappeler que le brevet vise à récompenser l’effort créatif de l’inventeur en lui permettant de tirer un juste profit de son investissement (voir point 163 ci-dessus) et qu’un brevet valide doit donc, en principe, permettre un transfert de valeur vers son titulaire, et non l’inverse. En second lieu, l’existence d’un paiement inversé introduit une suspicion quant au fait que le règlement amiable est fondé sur la reconnaissance par les parties à l’accord de la validité du brevet en cause.

194    Cependant, la seule présence d’un paiement inversé ne saurait permettre de conclure à l’existence d’une restriction par objet. En effet, il n’est pas exclu que certains paiements inversés, lorsqu’ils sont inhérents au règlement amiable du litige en cause, soient justifiés (voir points 213 à 216 ci-après). En revanche, dans l’hypothèse où un paiement inversé non justifié intervient dans la conclusion du règlement amiable, la société de génériques doit alors être regardée comme ayant été incitée à se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation et il y a lieu de conclure à l’existence d’une restriction par objet. Dans cette hypothèse, les restrictions de concurrence qu’introduisent les clauses de non-commercialisation et de non-contestation ne sont plus liées au brevet et au règlement amiable, mais s’expliquent par le versement d’un avantage incitant la société de génériques à renoncer à ses efforts concurrentiels.

195    Il convient de relever que, si ni la Commission ni le juge de l’Union ne sont compétents pour statuer sur la validité du brevet (voir points 172 et 173 ci-dessus), il n’en demeure pas moins que ces institutions peuvent, dans le cadre de leurs compétences respectives et sans statuer sur la validité intrinsèque du brevet, constater l’existence d’un usage anormal de celui-ci, lequel est sans rapport avec son objet spécifique (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 1968, Parke, Davis and Co., 24/67, EU:C:1968:11, p. 109 et 110, et du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, points 7 et 8 ; voir également, par analogie, arrêts du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, point 50, et du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, points 104 à 106).

196    Or, le fait d’inciter un concurrent à accepter des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, au sens décrit au point 194 ci-dessus, ou son corollaire, le fait de se soumettre à de telles clauses en raison d’une incitation, constituent un usage anormal du brevet.

197    Ainsi que l’a indiqué à juste titre la Commission au considérant 1137 de la décision attaquée, « le droit des brevets ne prévoit pas un droit de payer ses concurrents réels ou potentiels afin qu’ils restent en dehors du marché ou qu’ils s’abstiennent de contester un brevet avant d’entrer sur le marché ». De même, toujours selon la Commission, « les titulaires de brevets ne sont pas autorisés à payer des sociétés de génériques pour les maintenir en dehors du marché et réduire les risques dus à la concurrence, que ce soit dans le cadre d’un accord de règlement amiable en matière de brevets ou par un autre moyen » (considérant 1141 de la décision attaquée). Enfin, la Commission a ajouté à bon droit que « payer ou inciter autrement des concurrents potentiels à rester en dehors du marché ne f[ais]ait partie d’aucun droit lié aux brevets et ne correspond[ait] à aucun des moyens prévus par le droit des brevets pour faire respecter les brevets » (considérant 1194 de la décision attaquée).

198    Lorsque l’existence d’une incitation est constatée, les parties ne peuvent plus se prévaloir de leur reconnaissance, dans le cadre du règlement amiable, de la validité du brevet. Le fait que la validité du brevet soit confirmée par une instance juridictionnelle ou administrative est, à cet égard, indifférent.

199    C’est alors l’incitation, et non la reconnaissance par les parties au règlement amiable de la validité du brevet, qui doit être considérée comme étant la véritable cause des restrictions de concurrence qu’introduisent les clauses de non-commercialisation et de non-contestation (voir point 186 ci-dessus), lesquelles, étant dépourvues dans ce cas de toute légitimité, présentent dès lors un degré de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence suffisant pour qu’une qualification de restriction par objet puisse être retenue.

200    En présence d’une incitation, les accords en cause doivent ainsi être regardés comme étant des accords d’exclusion du marché, dans lesquels les restants indemnisent les sortants. Or, de tels accords consistent en réalité en un rachat de concurrence et doivent par conséquent être qualifiés de restrictions de concurrence par objet, ainsi que cela ressort de l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643, points 8 et 31 à 34), et des conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:467, point 75), cités notamment aux considérants 1139 et 1140 de la décision attaquée. Contrairement à ce que prétendent les requérantes (voir point 136 ci-dessus), la Commission a, à juste titre, qualifié de tels accords d’accords d’exclusion du marché, au même titre que les accords examinés dans l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643). En effet, le constat de l’existence d’une incitation dans lesdits accords implique que l’exclusion du marché des sociétés de génériques qu’ils comportent résulte, non des effets des brevets en cause et de l’objectif légitime de régler à l’amiable les litiges relatifs à ces brevets, mais d’un versement financier ou d’un autre avantage commercial, représentant la contrepartie de cette exclusion (voir point 199 ci-dessus), au même titre que la contrepartie financière versée aux entreprises ayant accepté de quitter le marché de la viande bovine irlandaise en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

201    De plus, l’exclusion de concurrents du marché est une forme extrême de répartition de marché et de limitation de la production (arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 435) qui présente, dans un contexte tel que celui des accords en cause, un degré de nocivité d’autant plus élevé que les sociétés exclues sont des sociétés de génériques dont l’entrée sur le marché est, en principe, favorable à la concurrence et contribue par ailleurs à l’intérêt général d’assurer des soins de santé à moindre coût. En outre, cette exclusion est confortée, dans de tels accords, par l’impossibilité pour la société de génériques de contester le brevet litigieux.

202    Il résulte de tout ce qui précède que, dans le contexte des accords de règlement amiable de litiges relatifs à des brevets, la qualification de restriction de concurrence par objet suppose la présence, au sein de l’accord de règlement amiable, à la fois d’un avantage incitatif à l’égard de la société de génériques et d’une limitation corrélative des efforts de celle-ci à faire concurrence à la société de princeps. Lorsque ces deux conditions sont remplies, un constat de restriction de concurrence par objet s’impose eu égard au degré de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence de l’accord ainsi conclu.

203    Ainsi, en présence d’un accord de règlement amiable en matière de brevets comportant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont le caractère intrinsèquement restrictif (voir point 186 ci-dessus) n’a pas été valablement mis en cause, l’existence d’une incitation de la société de génériques à se soumettre à ces clauses permet de fonder le constat d’une restriction par objet, et ce alors même qu’il existerait un véritable litige, que l’accord de règlement amiable inclurait des clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont la portée ne dépasserait pas celle du brevet litigieux et que ce brevet pourrait, eu égard, en particulier, aux décisions adoptées par les autorités administratives ou les juridictions compétentes, légitimement être estimé valide par les parties à l’accord au moment de l’adoption de celui-ci.

204    Le respect du champ d’application du brevet litigieux ne suffit pas, dès lors, à exclure la qualification de restriction par objet pour les accords de règlement amiable en matière de brevets. Il ne saurait, partant, ainsi que l’a à bon droit estimé la Commission aux considérants 1193 à 1201 de la décision attaquée et contrairement à ce que soutiennent les requérantes (voir point 137 ci-dessus), être considéré à lui seul comme un critère d’appréciation pertinent du caractère restrictif par objet de ces accords. En effet, un tel respect du champ d’application du brevet litigieux n’exclut pas que l’exclusion du marché impliquée par les accords visant à régler des litiges en matière de brevets résulte d’une incitation en ce sens, laquelle constitue un usage anormal du brevet (voir point 196 ci-dessus) et ne saurait être protégée au titre du respect des droits de propriété intellectuelle et de la présomption de validité attachée à de tels droits (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 495). Il convient d’ajouter que, contrairement à ce que font également valoir les requérantes, le critère du champ d’application du brevet n’a pas été implicitement retenu par l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75). En effet, la Cour a certes considéré que la première clause contestée était restrictive de concurrence en excluant l’invocation de la protection découlant du brevet qui ne couvrait pas le bien en cause (points 51 à 53 de cet arrêt), mais elle a également précisé (point 46 de cet arrêt) que, même à supposer que le brevet allemand ait couvert toute la planche à voile, et donc également le flotteur, ce qui aurait impliqué que la clause dont il était question entrait dans le champ d’application du brevet, cela ne signifiait pas qu’une telle clause était compatible avec l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 488).

205    Il résulte de ce qui précède que la Commission a, à juste titre, examiné, dans la décision attaquée, si les accords litigieux comportaient un transfert de valeur de la société de princeps vers la société de génériques représentant une incitation « significative », c’est-à-dire de nature à conduire cette dernière société à accepter de se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, pour en déduire, en présence d’une telle incitation, l’existence d’une restriction de concurrence par objet.

206    En retenant ce critère de l’incitation, la Commission s’est précisément, et contrairement à ce que font valoir les requérantes (voir point 136 ci-dessus), fondée non sur une simple possibilité d’atteinte à la concurrence dépendant de l’issue des litiges relatifs aux brevets en cause (voir également points 155 à 157 ci-dessus), mais sur un critère, celui de l’incitation à se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, permettant de déduire que l’Accord révélait un degré suffisant de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (voir points 199 et 205 ci-dessus).

207    N’est pas davantage pertinent, au soutien de l’argument des requérantes, le considérant 1144 de la décision attaquée. En effet, en affirmant dans ce considérant, comme le relèvent les requérantes, que la simple suppression d’une possibilité d’entrer sur le marché constituait une restriction par objet, la Commission a précisément assimilé l’Accord à un accord d’exclusion d’un concurrent potentiel du marché, qui est considéré par la jurisprudence comme une restriction par objet (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, points 9, 32 à 34 et 38 ; voir, également, point 200 ci-dessus).

208    En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas accordé au critère du « transfert de valeur » une importance décisive (voir point 137 ci-dessus). D’une part, il y a lieu de préciser, dans la mesure où les requérantes évoquent le « critère du transfert de valeur », qu’il ressort des points 197 et 205 ci-dessus que la Commission n’a pas considéré que tout avantage ou transfert de valeur était révélateur d’un objet restrictif de concurrence, mais que seuls les accords comportant un avantage ou un transfert de valeur incitatif, c’est-à-dire ceux dans lesquels les clauses restrictives s’expliquent par cette incitation et non par les effets des brevets et le règlement amiable des litiges en matière de brevets, étaient suffisamment nocifs pour être qualifiés de restrictions de concurrence par objet (voir également points 199 et 200 ci-dessus). D’autre part, il peut être relevé que la Commission ne s’est pas limitée à vérifier l’existence d’un avantage incitatif à l’égard de la société de génériques, mais a également et à juste titre vérifié l’existence d’une limitation corrélative des efforts de celle-ci à faire concurrence à la société de princeps (voir notamment considérant 1154 de la décision attaquée), la réunion de ces deux conditions permettant de constater l’existence d’une restriction de concurrence par objet (voir point 202 ci-dessus).

209    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’a pas entaché la décision attaquée d’erreurs de droit, en retenant le critère de l’incitation aux fins de distinguer les accords de règlement amiable constituant des restrictions par objet de ceux qui ne constituent pas de telles restrictions, critère qui sera désigné ci-après comme étant celui de l’« incitation » ou de l’« avantage incitatif ».

ii)    Sur les erreurs d’appréciation

210    La Commission n’a pas davantage commis d’erreur d’appréciation en considérant que l’Accord était restrictif de concurrence par objet.

211    En effet, la Commission a valablement retenu l’existence, dans l’Accord, d’une incitation des requérantes à se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation prévues par l’Accord.

212    Il convient de relever, à cet égard, que les requérantes ne remettent pas en cause l’existence de clauses de non-commercialisation et de non-contestation dans l’Accord. Elles ne présentent par ailleurs aucun élément de nature à remettre en cause la stipulation par l’article 9 de l’Accord d’un transfert de valeur incitatif.

213    En effet, afin de déterminer si un paiement inversé, c’est-à-dire un transfert de valeur de la société de princeps en direction de la société de génériques, constitue ou non une incitation à accepter des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, il convient d’examiner, en tenant compte de sa nature et de sa justification, s’il ne couvre que des coûts inhérents au règlement amiable du litige. Dans la décision attaquée, la Commission a ainsi, à juste titre, examiné si le transfert de valeur correspondait aux coûts spécifiques du règlement amiable supportés par la société de génériques (voir considérants 1461 à 1464 de la décision attaquée).

214    Dans l’hypothèse où le paiement inversé prévu dans un accord de règlement amiable comportant des clauses restrictives de concurrence viserait à compenser les coûts inhérents au règlement amiable supportés par la société de génériques, ce paiement ne pourrait en principe être considéré comme incitatif. En effet, par leur inhérence au règlement amiable, de tels coûts impliquent qu’ils sont, en tant que tels, fondés sur la reconnaissance de la validité des brevets litigieux que ce règlement amiable vise à entériner en mettant fin à la contestation de cette validité et à la potentielle contrefaçon desdits brevets. Il ne saurait ainsi être considéré qu’un tel paiement inversé introduit une suspicion quant au fait que le règlement amiable est fondé sur la reconnaissance par les parties à l’accord de la validité du brevet en cause (voir points 193 et 194 ci-dessus). La constatation de l’existence d’une incitation et d’une restriction de concurrence par objet n’est pas pour autant exclue dans cette hypothèse. Elle suppose toutefois que la Commission établisse que les montants correspondant à ces coûts inhérents au règlement amiable, même établis et précisément chiffrés par les parties à ce règlement, ont un caractère excessif (voir, en ce sens, considérants 1338, 1465, 1600 et 1973 de la décision attaquée). Une telle disproportion romprait en effet le lien d’inhérence entre les coûts concernés et le règlement amiable et, partant, empêcherait de déduire du remboursement de ces coûts que l’accord de règlement en cause est fondé sur la reconnaissance de la validité des brevets litigieux.

215    Il peut être considéré que les coûts inhérents au règlement amiable du litige recouvrent, notamment, les frais contentieux supportés par la société de génériques dans le cadre du litige qui l’oppose à la société de princeps. Ces frais ont, en effet, été exposés aux seules fins des contentieux de validité ou de contrefaçon des brevets en cause, auquel le règlement amiable vise précisément à mettre un terme sur la base d’un accord reconnaissant la validité des brevets. Leur prise en charge est donc en lien direct avec un tel règlement amiable. Par conséquent, lorsque les montants des frais contentieux de la société de génériques sont établis par les parties au règlement amiable, la Commission ne peut constater leur caractère incitatif qu’en démontrant que ceux-ci seraient disproportionnés. À cet égard, doivent être considérés comme disproportionnés des montants qui correspondraient à des frais contentieux dont le caractère objectivement indispensable pour la conduite de la procédure litigieuse, eu égard notamment à la difficulté juridique et factuelle des questions traitées ainsi que de l’intérêt économique que le litige présente pour la société de génériques, ne serait pas établi sur le fondement de documents précis et détaillés.

216    En revanche, certains frais incombant à la société de génériques sont, a priori, trop extérieurs au litige et à son règlement pour pouvoir être considérés comme inhérents au règlement amiable d’un litige en matière de brevets. Il s’agit, par exemple, des coûts de fabrication des produits contrefaisants, correspondant à la valeur du stock desdits produits, ainsi que des frais de recherche et de développement exposés pour mettre au point ces produits. En effet, de tels coûts et frais sont a priori exposés indépendamment de la survenance de litiges et de leur règlement et ne se traduisent pas par des pertes du fait de ce règlement, ainsi qu’en atteste en particulier le fait que les produits en cause sont souvent, en dépit de l’interdiction de leur commercialisation par l’accord de règlement, vendus sur des marchés non couverts par ledit accord et que les recherches correspondantes peuvent être utilisées aux fins de la mise au point d’autres produits. Il en est de même des sommes devant être versées par la société de génériques à des tiers en raison d’engagements contractuels conclus en dehors du litige (par exemple des contrats de fourniture). De tels frais de résiliation de contrats conclus avec des tiers ou d’indemnisation de ces tiers sont en effet généralement imposés par les contrats en cause ou en lien direct avec ces contrats, lesquels ont au surplus été conclus par la société de génériques concernée indépendamment de tout litige avec la société de princeps ou de son règlement. Il appartient alors aux parties à l’accord en cause, si elles souhaitent que le paiement de ces frais ne soit pas qualifié d’incitatif et de constitutif d’un indice de l’existence d’une restriction de concurrence par objet, de démontrer que ceux-ci sont inhérents au litige ou à son règlement, puis d’en justifier le montant. Elles pourraient également, aux mêmes fins, se fonder sur le montant insignifiant du remboursement de ces frais a priori non inhérents au règlement amiable du litige et, ainsi, insuffisant pour constituer une incitation significative à accepter les clauses restrictives de concurrence prévues par l’accord de règlement (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 360).

217    En l’espèce, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre aux considérants 1452 et 1453 de la décision attaquée, l’existence d’une telle incitation ressort clairement des termes mêmes de l’Accord, qui stipule en son article 9 que, « [e]n contrepartie des engagements [prévus par l’accord] et des coûts substantiels et responsabilités potentielles qui pourraient être supportés par Matrix du fait de la cessation de son programme de développement et de fabrication du périndopril fabriqué en utilisant le procédé [litigieux], Servier réglera à Matrix […] la somme de 11,8 millions de GBP ». En effet, les engagements visés sont les clauses de non-contestation et de non-commercialisation, dont le paiement est ainsi expressément prévu par cet article. En outre, comme le relève pertinemment la Commission dans ses écritures, les requérantes n’ont donné aucune explication à ce transfert de valeur autre que celle résultant des termes de l’Accord.

218    Il est, par ailleurs, indifférent en l’espèce que l’article susvisé de l’Accord stipule, selon une proportion non déterminée, que le versement de la somme de 11,8 millions de GBP est la contrepartie non seulement des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, mais également d’autres frais, dès lors que cette autre compensation ne remet pas en cause le constat selon lequel les clauses restrictives concernées ont été achetées par Servier et, ainsi, l’existence d’une incitation des requérantes à se soumettre à ces clauses.

219    En effet, même à supposer que ces autres frais – ou à tout le moins certains d’entre eux –, décrits dans l’Accord comme les « coûts substantiels et responsabilités potentielles qui pourraient être supportés par Matrix du fait de la cessation de son programme de développement et de fabrication du périndopril fabriqué en utilisant le procédé [litigieux] », puissent être considérés comme des coûts inhérents au règlement amiable du litige de nature à exclure leur caractère incitatif, la Commission a constaté (considérants 1462 à 1464 de la décision attaquée) et les requérantes n’ont pas contesté que Matrix s’était bornée à indiquer la nature des frais couverts et qu’elle n’avait ni établi, ni a fortiori chiffré, les « coûts » et les « responsabilités » en cause. Or, il convient de rappeler qu’il appartient aux parties au règlement amiable d’apporter à la Commission des éléments de preuve permettant d’établir la réalité des coûts prétendument inhérents au règlement amiable, en les chiffrant de manière précise (voir points 214 et 215 ci-dessus).

220    Il s’ensuit que la Commission a valablement retenu l’existence dans l’Accord d’une incitation de Matrix à se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation prévues par ledit accord.

221    Il s’ensuit également que, compte tenu de ce qui précède (voir, en particulier, points 194 à 200 ci-dessus), la Commission a, à juste titre, déduit du constat de cette incitation que l’Accord avait un objet restrictif de concurrence.

222    Il est, dès lors, indifférent que, comme le font valoir les requérantes, les clauses de non-commercialisation et de non-contestation ne dépassaient pas le champ d’application des brevets litigieux. En effet, il convient de rappeler que l’existence d’une incitation de la société de génériques à se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation permet de fonder le constat d’une restriction de concurrence par objet, et ce alors même que l’accord de règlement amiable inclurait des clauses dont la portée ne dépasserait pas celle du brevet litigieux (voir points 203 et 204 ci-dessus). Sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le prétendu respect par les clauses de l’Accord du champ d’application des brevets litigieux, les arguments des requérantes visant à établir que les obligations imposées par les clauses de non-commercialisation et de non-contestation ne dépassaient pas le champ de ces brevets (voir point 138 ci-dessus) doivent, par conséquent, être écartés comme inopérants.

223    Il résulte de tout ce qui précède que la première branche du présent moyen doit être écartée.

b)      Sur l’appréciation erronée de la situation en l’absence d’accord

1)      Arguments des parties

224    Les requérantes, premièrement, reprochent à la Commission d’avoir considéré que, en l’absence d’accord, Matrix aurait poursuivi ou engagé une action contre Servier ou négocié un règlement amiable prévoyant une entrée anticipée sur le marché. En effet, la Commission aurait, dans la décision attaquée, fait abstraction du fait que Matrix n’était pas partie au litige entre Servier et Niche et retenu à tort la probabilité d’une action en contrefaçon de Servier contre Matrix, simple fabricant d’IPA, ainsi que celle d’une action de Matrix, n’ayant pas les ressources contentieuses nécessaires, contre Servier. Par ailleurs, Matrix n’aurait été aucunement impliquée dans les négociations relatives à l’Accord et Servier n’aurait été disposé à consentir à aucune entrée anticipée sur le marché, et ce d’autant plus que Matrix, simple fabricant d’IPA, ne disposait pas de la capacité d’entrer sur le marché du produit fini. Les requérantes précisent, dans la réplique, que la prise en compte de la situation dans laquelle se serait trouvée Matrix en l’absence d’accord et des possibilités qui s’offraient à elle ne revient pas à effectuer une analyse des effets de l’Accord, mais relève de l’appréciation du contexte de l’Accord, laquelle aurait été négligée par la Commission, qui aurait à tort accordé un poids décisif au « transfert de valeur » incitatif.

225    Les requérantes, deuxièmement, estiment que les obligations imposées par l’Accord n’auraient pas empêché Matrix de faire ce qu’elle aurait fait sans l’Accord, pour en déduire que lesdites obligations ne constituaient pas des restrictions graves de concurrence. En effet, d’une part, l’Accord lui interdirait de fabriquer un IPA enfreignant les brevets de procédé et Matrix n’aurait eu aucune intention de fabriquer un tel IPA. D’autre part, l’Accord lui aurait interdit d’engager certaines actions contre Servier et il ne serait pas prouvé que Matrix était capable d’introduire de telles actions ou les avait envisagées. Les requérantes ajoutent que l’Accord n’a eu aucun impact concurrentiel significatif en raison de la décision de Niche d’abandonner Matrix, laquelle était ainsi privée d’accès au marché indépendamment de l’Accord.

226    La Commission souligne que, pour les accords, tels que celui de l’espèce, restreignant la concurrence sans qu’il soit nécessaire d’apprécier leurs effets, il n’est pas non plus nécessaire d’établir un scénario contrefactuel, lequel aurait été envisagé dans la décision attaquée uniquement dans le cadre de l’analyse des effets de l’Accord. Elle insiste, dans la duplique, sur l’importance, aux fins de l’établissement d’une restriction de concurrence par objet, du critère du « transfert de valeur », auquel les requérantes n’ont donné aucune explication autre que celle résultant des termes de l’Accord.

227    Ensuite, la Commission, premièrement, relève, quant à l’hypothèse contrefactuelle relative aux actions opposant Matrix et Servier, que les requérantes se contredisent en affirmant que Servier n’aurait jamais poursuivi Matrix, alors qu’elles prétendaient auparavant que Matrix n’aurait jamais pu entrer sur le marché sans être poursuivie par Servier. Quant à l’hypothèse contrefactuelle relative à la conclusion d’un règlement amiable prévoyant une entrée anticipée sur le marché, la Commission renvoie à sa réponse aux arguments relatifs à la concurrence potentielle ainsi qu’aux éléments de preuve et aux considérations de la décision attaquée non réfutés par les requérantes, qui attesteraient que le montant important du transfert de valeur aurait incité Matrix à conclure l’Accord.

228    La Commission, deuxièmement, estime que les requérantes ne décrivent pas de manière complète les obligations impliquées par l’Accord. Elle ajoute que Servier n’aurait pas versé un montant de 11,8 millions de GBP à Matrix si cette dernière ne s’était pas ensuite comportée différemment en l’absence d’accord. Enfin, selon la Commission, c’est l’Accord qui aurait ôté à Matrix toute motivation et capacité à faire concurrence, compte tenu de l’obligation qu’il lui imposait de mettre un terme à l’accord Niche-Matrix.

2)      Appréciation du Tribunal

229    Il y a lieu de relever que les arguments avancés par les requérantes au soutien de cette seconde branche du moyen visent tous, en substance, à contester la qualité de concurrent potentiel de Matrix. En effet, par ces arguments, les requérantes contestent tant la capacité que l’intention de Matrix d’entrer sur le marché et, en particulier, sa capacité et son intention d’engager des actions contre les brevets de Servier et de fabriquer un produit fini.

230    Or, l’ensemble de ces arguments ayant été rejetés dans le cadre de l’examen du premier moyen (voir point 135 ci-dessus), il s’ensuit que la présente branche du deuxième moyen doit également être rejetée. Il convient d’ajouter qu’il en serait de même si, comme le soutient la Commission (voir point 226 ci-dessus et considérant 1492 de la décision attaquée, d’ailleurs cité par les requérantes), les arguments en cause visaient à remettre en cause le scénario contrefactuel établi par la Commission dans le cadre de l’analyse du caractère restrictif de concurrence par effet de l’Accord, dès lors qu’il a été jugé que la Commission avait, à juste titre, qualifié l’Accord de restriction de concurrence par objet (voir points 238 à 240 ci-après).

231    Le deuxième moyen doit, partant, être écarté en son entier.

3.      Sur le moyen tiré d’erreurs de droit et d’appréciation dans la qualification de l’Accord de restriction par effet

a)      Arguments des parties

1)      Sur l’absence d’analyse contrefactuelle

232    Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis une erreur de droit en réutilisant son analyse de l’objet restrictif de concurrence de l’Accord aux fins de l’analyse de ses effets restrictifs. Ainsi, en omettant d’analyser les difficultés rencontrées par Niche et Matrix, dont en particulier le fait que Matrix n’était pas une société de génériques, la Commission n’aurait pas établi l’état de la concurrence qui aurait existé en l’absence d’accord et, par suite, les effets anticoncurrentiels de l’Accord.

233    La Commission affirme, au contraire, avoir procédé à une analyse contrefactuelle dans la décision attaquée, en ce compris celle du comportement concurrentiel que Matrix aurait été susceptible d’adopter en l’absence d’accord.

2)      Sur la prise en compte erronée de la position dominante de Servier

234    Les requérantes soutiennent que la Commission s’est fondée à tort sur la position dominante de Servier pour démontrer que l’Accord avait pour effet de restreindre la concurrence, alors que seule cette position dominante serait à l’origine d’effets anticoncurrentiels sur le marché.

235    La Commission rétorque qu’elle a, dans la décision attaquée, tenu compte du contenu de l’Accord et du cadre concret dans lequel il a déployé ses effets, à savoir du contexte économique et juridique, de la nature du produit visé, des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché concerné, pour apprécier si l’Accord a eu des effets anticoncurrentiels. Elle précise que, dans le cadre de cette appréciation, le pouvoir de marché de Servier a été d’une importance capitale, puisqu’il augmentait la possibilité d’effets négatifs sur la concurrence au sein du marché en cause.

b)      Appréciation du Tribunal

236    Il convient de rappeler que, dans la mesure où certains motifs d’une décision sont, à eux seuls, de nature à justifier à suffisance de droit celle-ci, les vices dont pourraient être entachés d’autres motifs de cette décision sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif. En outre, dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu pour le Tribunal d’annuler cette décision, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse dès lors que cette erreur n’a pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution auteur de cette décision (voir arrêt du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, points 42 et 43 et jurisprudence citée).

237    Or, ainsi qu’il a été relevé au point 150 ci-dessus, pour apprécier si un accord est prohibé par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la prise en considération de ses effets concrets est superflue lorsqu’il apparaît qu’il a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur.

238    Par conséquent, lorsque la Commission fonde le constat d’une infraction à la fois sur l’existence d’une restriction par objet et sur celle d’une restriction par effet, une erreur entachant d’illégalité le motif tiré de l’existence d’une restriction par effet n’a, en tout état de cause, pas une influence déterminante quant au dispositif retenu par la Commission dans cette décision, dans la mesure où le motif tiré de l’existence d’une restriction par objet, qui peut fonder à lui seul le constat d’infraction, n’est pas entaché d’illégalité.

239    En l’espèce, il résulte de l’examen du moyen tiré d’erreurs d’appréciation et de droit relatives à la qualification de restriction de concurrence par objet de l’Accord que les requérantes n’ont pas établi que la Commission avait commis une erreur en concluant, dans la décision attaquée, que les accords en cause avaient pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

240    Le présent moyen doit donc être écarté comme inopérant.

B.      Sur la demande subsidiaire d’annulation de l’article 7 de la décision attaquée dans la mesure où il inflige une amende aux requérantes

1.      Sur le moyen tiré de la violation du principe de légalité des délits et des peines et du principe de sécurité juridique

a)      Arguments des parties

241    Les requérantes soutiennent que, compte tenu de la nature pénale des amendes, la Commission serait contrainte de respecter le principe de légalité des délits et des peines ainsi que son corollaire, le principe de sécurité juridique. Or, en l’espèce, la Commission aurait méconnu ces deux principes en infligeant une amende aux requérantes pour un comportement qui n’a jamais été considéré auparavant comme étant anticoncurrentiel et dont elles ne pouvaient prévoir qu’il serait qualifié ainsi dans le futur. Les requérantes ajoutent qu’il n’était pas prévisible que la Commission considérerait Matrix comme un concurrent potentiel de Servier.

242    La Commission renvoie à sa réponse au moyen tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, pour déduire que les requérantes auraient raisonnablement dû savoir que l’Accord était restrictif de concurrence.

b)      Appréciation du Tribunal

243    À titre liminaire, il convient de souligner que la répression efficace des infractions en matière de droit de la concurrence ne peut aller jusqu’à méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, tel que consacré à l’article 49 de la charte des droits fondamentaux (voir, par analogie, s’agissant de sanctions pénales et de l’obligation des États membres de lutter contre les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 61).

244    Il importe ensuite de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, le principe de légalité des délits et des peines exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 40 et jurisprudence citée).

245    Le principe de légalité des délits et des peines ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 41 et jurisprudence citée).

246    La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (voir arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 42 et jurisprudence citée).

247    Il convient d’ajouter que le recours aux conseils de professionnels apparaît d’autant plus évident lorsqu’il s’agit, comme c’était le cas en l’espèce, de préparer et de rédiger un accord censé prévenir ou régler à l’amiable un litige.

248    Dans ce contexte, même si, à l’époque des infractions constatées dans la décision attaquée, les juridictions de l’Union n’avaient pas encore eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur un accord de règlement amiable du type de celui conclu par Servier et Matrix, celle-ci aurait dû s’attendre, au besoin après avoir recouru à des conseils éclairés, à ce que son comportement puisse être déclaré incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union, eu égard, notamment, à la portée large des notions d’« accord » et de « pratique concertée » résultant de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 43).

249    Matrix pouvait en particulier supposer que le fait d’accepter de se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, par elles-mêmes restrictives de concurrence, sur la base d’une incitation et non de la reconnaissance de la validité du brevet, faisait perdre toute légitimité à l’insertion de telles clauses dans un accord de règlement amiable en matière de brevets et constituait un usage anormal du brevet, sans rapport avec son objet spécifique (voir points 199 et 204 ci-dessus). Matrix pouvait donc raisonnablement prévoir qu’elle adoptait un comportement relevant de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 46, et du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 764).

250    Au surplus, il y a lieu de relever que, bien avant la date de la conclusion de l’Accord, la jurisprudence s’était prononcée sur la possibilité de faire application du droit de la concurrence dans des domaines caractérisés par la présence de droits de propriété intellectuelle (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, T‑471/13, non publié, sous pourvoi, EU:T:2016:460, points 314 et 315 et jurisprudence citée).

251    À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que la Cour a considéré, dès 1974, que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle n’étaient pas affectés dans leur existence par l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice pouvaient cependant relever des interdictions édictées par cet article et que tel pouvait être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaissait comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

252    Ensuite, depuis l’arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke (65/86, EU:C:1988:448), il est clair que les règlements amiables des litiges relatifs à des brevets peuvent être qualifiés d’accords au sens de l’article 101 TFUE.

253    Enfin, il y a lieu de souligner que, par l’Accord, Matrix et Servier ont, en réalité, décidé de conclure un accord d’exclusion du marché (voir points 200 et 221 ci-dessus). Or, s’il est vrai que ce n’est que dans un arrêt prononcé postérieurement à la conclusion de l’Accord que la Cour a jugé que les accords d’exclusion du marché, dans lesquels les restants indemnisent les sortants, constituent une restriction de concurrence par objet, elle a cependant précisé que ce type d’accords se heurtait « de manière patente » à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché (arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, points 8 et 32 à 34). En concluant un tel accord, Matrix ne pouvait donc ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement.

254    Certes, si, du fait que l’Accord avait été conclu sous la forme d’un règlement amiable relatif à des brevets, son caractère infractionnel pouvait ne pas apparaître, de manière claire, à un observateur extérieur tel que la Commission, il n’en allait pas de même pour les parties à l’Accord.

255    Par ailleurs, la conclusion présentée au point 249 ci-dessus ne saurait être remise en cause par l’argument des requérantes fondé sur l’absence de caractère prévisible du constat par la Commission de l’existence d’une concurrence potentielle entre Servier et Matrix. En effet, au regard de l’analyse consacrée au moyen relatif à la contestation de l’existence d’une concurrence potentielle entre Servier et Matrix (voir points 77 à 135 ci-dessus) et compte tenu également de la jurisprudence de la Cour qui admet la possibilité d’une clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par la jurisprudence (voir point 245 ci-dessus), Matrix pouvait raisonnablement prévoir qu’elle serait considérée par la Commission comme étant un concurrent potentiel de Servier. Il convient d’ajouter que la présence même dans l’Accord d’une clause de non-commercialisation est un élément qui permet également de conclure que Matrix se percevait comme étant un concurrent, au moins potentiel, de Servier.

256    Il résulte de tout ce qui précède que le présent moyen doit être écarté.

2.      Sur le moyen tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003

a)      Arguments des parties

257    Les requérantes font valoir que la Commission a méconnu l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, dans la mesure où elle leur a infligé une amende alors que Matrix n’avait pas agi de propos délibéré ou par négligence. En effet, Matrix n’aurait eu aucune intention de restreindre la concurrence, dès lors que la conclusion de l’Accord était la seule option rationnelle qui lui était ouverte pour limiter ses pertes dues au comportement abusif de Servier, qui a incité le partenaire commercial de Matrix à ne pas entrer sur le marché. Matrix aurait ainsi été la victime de Servier au sens où elle aurait été contrainte par lui d’agir ainsi qu’elle l’a fait. Elle n’aurait pas davantage agi par négligence, dans la mesure où elle ne pouvait raisonnablement anticiper à la date de conclusion de l’Accord que ce dernier serait considéré comme contraire à l’article 101 TFUE.

258    La Commission renvoie à ses arguments exposés en réponse au moyen relatif à l’analyse de la concurrence potentielle pour soutenir que Matrix n’était nullement contrainte de conclure l’Accord et ajoute que l’allégation de Matrix relative à son intention de limiter ses pertes en concluant l’Accord n’est pas étayée. Elle estime par ailleurs que le caractère restrictif par objet d’un accord excluant un concurrent réel ou potentiel du marché en contrepartie d’un paiement n’a rien d’inédit et que ne sont pas pertinentes en l’espèce les pratiques de certains pays portant sur des règlements amiables différents.

b)      Appréciation du Tribunal

259    S’agissant de la question de savoir si les infractions ont été commises de propos délibéré ou par négligence et sont, de ce fait, susceptibles d’être sanctionnées par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, il résulte de la jurisprudence que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement (arrêts du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 37 ; du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 156, et du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 762).

260    Or, en l’espèce, Matrix, qui a accepté de se faire payer pour rester en dehors du marché, ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel d’un tel comportement.

261    En effet, un accord ayant pour objet l’exclusion de concurrents du marché constitue une forme extrême de répartition de marché et de limitation de la production (arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 435) qui présente, selon la jurisprudence, un caractère infractionnel « patent » (voir point 253 ci-dessus).

262    Si, du fait que l’Accord avait été conclu sous la forme d’un règlement amiable relatif à un brevet, son caractère infractionnel pouvait ne pas apparaître, de manière claire, à un observateur extérieur tel que la Commission, il n’en allait pas de même pour les parties à l’Accord (voir point 254 ci-dessus).

263    Le constat fait au point 260 ci-dessus n’est pas susceptible d’être remis en cause par les autres arguments des requérantes.

264    En premier lieu, les requérantes soutiennent que Matrix aurait été la victime de Servier au sens où elle aurait été contrainte par ce dernier, sans aucune possibilité de pouvoir s’y opposer, de signer l’Accord, ce qui permettrait, selon elles, d’établir que l’Accord n’a pas été conclu de propos délibéré ou par négligence.

265    Cependant, l’existence d’une telle contrainte n’est pas établie.

266    En effet, la présence même d’un avantage incitatif, laquelle a été constatée au point 220 ci-dessus, démontre que Matrix a tiré bénéfice de l’Accord, ce qui contredit la thèse selon laquelle elle aurait été contrainte par Servier de passer cet accord. Cette thèse est d’autant moins crédible que le montant du transfert de valeur dont a bénéficié Matrix, soit 11,8 millions de GBP, est important, ce qui est un indice de l’influence dont elle disposait dans la négociation.

267    En tout état de cause, à supposer que des pressions irrésistibles aient été effectivement exercées par Servier à l’encontre de Matrix au point qu’elle ait été contrainte de signer l’Accord, cette dernière aurait pu les dénoncer aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 369 et 370 ; du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 79, et du 6 avril 1995, Sotralentz/Commission, T‑149/89, EU:T:1995:69, point 53). Matrix disposait donc toujours d’une possibilité d’empêcher la réalisation de l’infraction en cause.

268    En second lieu, l’existence d’un « risque » de n’avoir « aucun retour sur l’investissement […] fait en tentant de développer un IPA de périndopril » ou d’une absence « d’autre choix que de conclure le règlement amiable si elle voulait récupérer son investissement dans le projet de périndopril », ou encore la circonstance que l’intention de Matrix ait été de « limiter ses pertes dans le projet de périndopril », ne sauraient conduire, à supposer même qu’elles soient établies, à constater que l’Accord n’a pas été conclu de propos délibéré ou par négligence. Ces éléments tendent plutôt à démontrer que la conclusion de l’Accord par Matrix relevait au contraire d’un choix délibéré fondé sur un calcul de rentabilité.

269    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter le présent moyen.

C.      Sur la demande plus subsidiaire de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes par l’article 7 de la décision attaquée

1.      Arguments des parties

270    Les requérantes font valoir que le montant de l’amende qui leur a été infligée est manifestement disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction commise, que la Commission n’a pas apprécié cette gravité en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce et que le montant de la valeur transférée ne peut servir de référence pour évaluer la gravité de l’infraction.

271    Selon les requérantes, le Tribunal devrait réduire le montant de l’amende dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction en tenant compte de plusieurs circonstances atténuantes, à savoir leur qualité de fabricant d’IPA, à l’instar d’autres sociétés qui n’ont pas été sanctionnées, leur participation réduite aux discussions relatives aux règlements amiables à la différence de Niche, leur qualité de victime du comportement de Servier et l’absence d’option viable autre que celle de la conclusion de l’Accord s’offrant à elles ainsi que l’absence de tout précédent et du caractère nouveau de l’infraction retenue.

272    La Commission justifie le recours au montant de la valeur transférée par le paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »), lui permettant de s’écarter de la méthodologie habituelle, notamment lorsque, comme en l’espèce, Matrix n’a pas réalisé de ventes dans l’Union conformément aux dispositions de l’Accord. Elle fait valoir en outre que cette valeur représentait la meilleure approximation économique de l’appréciation par les parties de la distorsion de concurrence créée par l’Accord. Elle ajoute avoir également tenu compte de la gravité de l’infraction, de la part de marché très élevée de Servier, de la large portée géographique de l’Accord, de sa mise en œuvre et de la durée de l’infraction.

273    La Commission souligne les différences entre le cas de Matrix et celui des autres fabricants d’IPA ainsi que le fait que Matrix a signé l’Accord en contrepartie d’un paiement important. Elle renvoie pour le surplus à son argumentation exposée en réponse aux moyens précédents.

2.      Appréciation du Tribunal

274    En premier lieu, s’agissant de l’absence supposée de prise en compte par la Commission de la gravité de l’infraction, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, EU:C:1996:130, point 54 ; arrêts du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, EU:C:1997:375, point 33, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 241).

275    Figurent parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement de l’entente, le profit qu’elles ont pu tirer de celle-ci, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l’Union (arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 129, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 242).

276    Or, il convient de relever que la valeur retenue en l’espèce par la Commission aux fins de déterminer le montant de l’amende, à savoir le montant du transfert de valeur dont a bénéficié la société de génériques, équivaut au prix que Servier était prêt à payer pour exclure un concurrent du marché et au prix que la société de génériques était prête à accepter pour se retirer du marché, ce qui, au regard de la jurisprudence citée au point 275 ci-dessus, donne une indication fiable de la gravité de l’infraction et des circonstances particulières de l’affaire. En effet, cette valeur est le résultat des négociations auxquelles la société de génériques a participé et rend compte à la fois du comportement de cette société, du rôle qu’elle a joué dans l’infraction et du profit qu’elle a pu tirer de celle-ci ainsi que de la valeur des marchandises concernées, telle qu’estimée par les parties à l’Accord.

277    De plus, le montant du transfert de valeur finalement retenu dans l’Accord est le résultat d’une négociation au cours de laquelle les circonstances que les parties à l’Accord estimaient pertinentes aux fins de déterminer ce montant – y compris, le cas échéant, le fait que Matrix aurait perdu son partenaire commercial lui permettant d’entrer sur le marché – ont nécessairement été prises en compte par celles-ci. Ces circonstances ont donc également été prises en compte, même si c’est de manière indirecte, par la Commission lorsqu’elle a déterminé le montant de l’amende en se fondant sur ce transfert de valeur.

278    Ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la méthode retenue par la Commission l’aurait conduite à fixer un montant d’amende disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction.

279    Dans la mesure où les requérantes se prévalent de la méconnaissance, en tant que telle, du paragraphe 20 des lignes directrices pour le calcul des amendes, lequel prévoit que la gravité de l’infraction sera appréciée en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, il convient de relever que la Commission a fait application des dispositions du paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes, lesquelles lui permettent de s’écarter de la méthodologie exposée dans lesdites lignes directrices et, notamment, dans leur paragraphe 20. Or, les requérantes ne contestent pas le bien-fondé d’une telle application. Ainsi, elles ne peuvent utilement soutenir que la Commission a méconnu les dispositions du paragraphe 20 de ces lignes directrices.

280    En tout état de cause, il convient de renvoyer aux considérations exposées aux points 276 et 277 ci-dessus, desquelles il ressort que la méthode de calcul de l’amende retenue par la Commission lui a permis de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes de l’espèce.

281    Enfin, à supposer même que les requérantes aient entendu contester le bien-fondé de l’application par la Commission des dispositions du paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes, il convient de rappeler qu’il est possible pour la Commission, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 62).

282    Ainsi, le paragraphe 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes prévoit que, « [e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE ». Ces lignes directrices précisent, à leur paragraphe 6, que « la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée [de celle-ci] est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction ».

283    Il s’ensuit que le paragraphe 13 desdites lignes directrices a pour objectif de retenir, en principe, comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise, un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle-ci (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 64).

284    Ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission (C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 65), le paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes énonce cependant que, « [b]ien que [ces lignes] directrices exposent la méthodologie générale pour la fixation d’amendes, les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier que la Commission s’écarte de cette méthodologie ».

285    En l’occurrence, il est constant que, en raison de l’objet même de l’Accord, qui est un accord d’exclusion du marché, Matrix n’était pas présente sur celui-ci au moment de l’infraction.

286    Partant, la Commission était dans l’impossibilité de retenir la valeur des ventes réalisées au moyen du produit codéveloppé par Matrix et Niche sur le marché en cause au cours de l’infraction et, en particulier, lors de la dernière année complète de sa participation à l’infraction, c’est-à-dire lors de la période à laquelle renvoie le paragraphe 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes.

287    Ces circonstances particulières permettaient à la Commission, sur le fondement du paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes, de s’écarter de la méthodologie exposée dans lesdites lignes directrices (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 67, et du 6 février 2014, AC-Treuhand/Commission, T‑27/10, EU:T:2014:59, points 301 à 305).

288    Le Tribunal a d’ailleurs déjà jugé, dans des circonstances analogues, qu’il ne pouvait être sérieusement contesté que, eu égard à l’absence de ventes sur le marché réalisées par la société de génériques, la Commission devait s’écarter de cette méthodologie (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, T‑471/13, non publié, sous pourvoi, EU:T:2016:460, point 421).

289    En second lieu, les circonstances atténuantes invoquées par les requérantes ne sauraient être retenues.

290    Premièrement, Matrix, qui a accepté, en échange d’un transfert de valeur, de se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation (voir point 220 ci-dessus), ne peut être regardée comme ayant été la « victime » du comportement de Servier. À cet égard, il convient de renvoyer aux considérations exposées aux points 264 à 266 ci-dessus.

291    En tout état de cause, à supposer que des pressions irrésistibles aient été effectivement exercées par Servier à l’encontre de Matrix au point qu’elle ait été contrainte de signer l’Accord, ce qui n’est pas établi, cette dernière aurait pu les dénoncer aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 (voir point 267 ci-dessus). Étant donné qu’elle a choisi de ne pas dénoncer cette infraction, le Tribunal estime qu’elle ne doit pas bénéficier d’une réduction au titre des circonstances atténuantes (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 367 à 370, et du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, EU:T:2011:560, point 212).

292    Deuxièmement, s’agissant de l’accord passé entre Servier et Azad, dont se prévalent les requérantes, il est constant qu’il s’agissait, contrairement à l’accord conclu avec Matrix, d’un simple accord de cession de technologie ne prévoyant aucune clause de non-commercialisation ou de non-contestation. Or, ces clauses ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif de concurrence et présentent, lorsqu’il existe une incitation, un degré de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence suffisant pour qu’une qualification de restriction par objet puisse être retenue (voir points 186 et 199 ci-dessus).

293    Eu égard à cette différence de situation, la circonstance qu’Azad, contrairement à Matrix, ne se soit pas vu infliger une amende ne permet pas de conclure à une méconnaissance du principe d’égalité de traitement.

294    Troisièmement, si les requérantes soutiennent que « l’approche de la Commission est fondamentalement injuste en ce qu’elle met Matrix sur le même plan que Niche en dépit du fait que Matrix n’a eu qu’une participation réduite dans les discussions relatives au règlement amiable avec Servier », il n’en demeure pas moins que Matrix a bénéficié d’un transfert de valeur incitatif d’un montant de 11,8 millions de GBP. Cette circonstance justifiait qu’un montant équivalent soit mis à la charge de Matrix au titre de l’amende, dès lors que la méthode retenue par la Commission pour calculer le montant de l’amende, méthode basée sur le montant du transfert de valeur, permet, ainsi qu’il a été dit plus haut (voir point 277 ci-dessus), d’apprécier de manière spécifique les circonstances pertinentes relatives à chacun des accords passés par les sociétés de génériques avec Servier aux fins de fixer, pour celles-ci, un montant d’amende adapté aux différents contextes en cause. En tout état de cause, un montant d’amende inférieur au montant du transfert de valeur dont a bénéficié Matrix ne serait pas suffisamment dissuasif (voir points 300 à 307 ci-après).

295    Quatrièmement, les arguments tirés de l’absence « d’autre option pratique ou commerciale réaliste que de signer le règlement amiable » ou de « l’absence de toute perspective réaliste pour Matrix de lancer son produit de périndopril sur le marché au moment de la conclusion du règlement amiable », lesquels, ainsi qu’il résulte du point 268 ci-dessus, ne permettent pas d’exonérer Matrix de son comportement infractionnel, ne permettent pas non plus, dans la mesure, notamment, où ils tendent à démontrer que la conclusion de l’Accord par Matrix relevait d’un choix délibéré fondé sur un calcul de rentabilité, de conclure à l’existence de circonstances atténuantes.

296    Cinquièmement, les requérantes ne sont pas fondées à se prévaloir de l’absence de tout précédent et du caractère nouveau de l’infraction.

297    En effet, non seulement Matrix pouvait raisonnablement prévoir qu’elle adoptait un comportement relevant de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir point 249 ci-dessus), mais, de plus, elle ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement (voir points 260 à 262 ci-dessus).

298    Il résulte de tout ce qui précède que le présent moyen doit être écarté.

299    De plus, aucun élément ne permet de conclure que le montant de l’amende serait disproportionné. Il n’y a donc pas lieu de le réduire.

300    Au surplus, il convient de rappeler que le but d’une amende n’est pas simplement d’éliminer les bénéfices qu’une entreprise a tirés de son comportement anticoncurrentiel, mais également, ainsi que cela ressort d’ailleurs du paragraphe 4 des lignes directrices pour le calcul des amendes, de dissuader cette entreprise et d’autres entreprises de s’adonner à de tels comportements (arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, T‑471/13, non publié, sous pourvoi, EU:T:2016:460, point 429). Si la fonction de l’amende était réduite au simple anéantissement du profit ou du bénéfice escompté, il ne serait pas suffisamment tenu compte du caractère infractionnel du comportement en cause au vu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et du caractère répressif de l’amende par rapport à l’infraction concrète effectivement commise (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑329/01, EU:T:2006:268, point 141).

301    En l’espèce, si le montant de l’amende infligée à Matrix devait être fixé à un niveau inférieur à celui de l’avantage incitatif dont elle a bénéficié du fait de l’infraction, cette amende n’aurait pas d’effet dissuasif.

302    Certes, l’Accord étant un accord d’exclusion, il entraîne, pour la société de génériques exclue, une perte quant aux gains qui auraient pu résulter de son entrée sur le marché.

303    Cependant, une telle perte résulte directement du comportement infractionnel de la société de génériques. En effet, elle est la conséquence nécessaire et prévisible du choix, opéré par cette société, de ne pas entrer sur le marché. Cette perte ne saurait donc être prise en compte aux fins de réduire le montant de l’amende qui vise à sanctionner l’infraction.

304    De plus, au moment où une société de génériques est en position d’entrer sur le marché ou, au contraire, de bénéficier d’un transfert de valeur pour ne pas le faire, les paiements pouvant découler d’un accord passé avec une société de princeps présentent pour elle un caractère certain, alors que les gains pouvant résulter de son entrée sur le marché sont soumis aux aléas d’une telle opération commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, T‑471/13, non publié, sous pourvoi, EU:T:2016:460, point 432), ces aléas étant d’autant plus forts lorsqu’il s’agit d’une entrée à risque.

305    Ainsi, si le montant de l’amende infligée à une société de génériques devait être fixé à un niveau inférieur à celui de l’avantage incitatif dont elle bénéficierait du fait d’une infraction, cette société risquerait de considérer qu’il est préférable de conclure un accord avec une société de princeps permettant, même dans l’hypothèse où un tel accord donnerait lieu à une sanction, de conserver une partie de l’avantage incitatif résultant de l’infraction, plutôt que d’entrer à risque sur le marché.

306    Au regard des considérations qui précèdent, l’effet dissuasif de l’amende justifie que son montant ne soit pas inférieur au montant du transfert de valeur incitatif prévu dans l’accord litigieux.

307    Par conséquent, il n’y a pas lieu, en tout état de cause, de minorer le montant de l’amende retenu par la Commission.

D.      Sur la demande encore plus subsidiaire d’annulation des articles 2, 7 et 8 de la décision attaquée dans la mesure où ils concernent Mylan

1.      Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense de Mylan

a)      Arguments des parties

308    Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir, en méconnaissance des droits de la défense de Mylan, fondé la responsabilité de cette dernière en tant que société mère sur quatre éléments de fait, repris dans la décision attaquée, mais non mentionnés dans la communication des griefs ou dans une communication des griefs complémentaire et figurant uniquement dans un « exposé des faits » du 4 avril 2014 envoyé postérieurement à la communication des griefs.

309    La Commission précise avoir, en conformité avec la jurisprudence et la communication concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE (JO 2011, C 308, p. 6, ci-après la « communication concernant les bonnes pratiques »), notamment ses paragraphes 110 et 111, communiqué les faits en cause à Mylan dans un exposé des faits ne modifiant pas les griefs soulevés dans la communication des griefs, ni la nature intrinsèque des infractions décrites dans celle-ci, dont notamment la conclusion relative à l’exercice d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix. Il s’agissait uniquement, selon la Commission, de divulguer aux parties de nouveaux éléments de preuve sur lesquels elle entendait se fonder pour corroborer les griefs existants et réfuter les arguments soulevés par les requérantes dans la réponse à la communication des griefs. La Commission ajoute que Mylan a eu la possibilité de répondre et a effectivement répondu à cet exposé des faits.

b)      Appréciation du Tribunal

310    Il convient de rappeler que le règlement no 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (voir arrêt du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, EU:C:2009:500, point 35 et jurisprudence citée).

311    Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son égard (voir arrêt du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, EU:C:2009:500, point 36 et jurisprudence citée).

312    En particulier, la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes, être adressée à cette dernière et indiquer en quelle qualité cette personne se voit reprocher les faits allégués (voir arrêt du 7 juin 2011, Total et Elf Aquitaine/Commission, T‑206/06, non publié, EU:T:2011:250, point 132 et jurisprudence citée).

313    Toutefois, aucune disposition n’interdit à la Commission de communiquer aux parties, après l’envoi de la communication des griefs, de nouvelles pièces dont elle estime qu’elles soutiennent sa thèse, sous réserve de donner aux entreprises le temps nécessaire pour présenter leur point de vue à ce sujet (arrêt du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, EU:T:2002:75, point 190 ; voir, également, en ce sens, arrêt du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, EU:C:1983:293, point 29 ; paragraphes 109 à 112 de la communication concernant les bonnes pratiques).

314    Or, en l’espèce, Mylan a été informée dès la communication des griefs que l’infraction commise par Matrix lui était reprochée et a eu l’occasion d’y répondre (voir point 31 ci-dessus). En outre, les requérantes ne contestent pas que Mylan a répondu le 2 mai 2014 à l’exposé des faits du 4 avril 2014 consacré à l’imputation à Mylan de l’infraction commise par Matrix et ont d’ailleurs joint cette réponse en annexe à leur requête.

315    Les droits de la défense de Mylan ne sauraient, dès lors, être considérés comme ayant été violés du fait de la communication de l’exposé des faits en cause (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 704).

316    Si les requérantes reprochent également à la Commission de ne pas leur avoir transmis une communication des griefs complémentaire en lieu et place de l’exposé des faits en cause, il convient de rappeler que la communication aux intéressés d’un complément de griefs n’est nécessaire que dans le cas où, au vu de la procédure administrative, la Commission est amenée à mettre à la charge des entreprises des actes nouveaux ou à modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées, c’est-à-dire si de nouveaux griefs sont émis ou si la nature intrinsèque de l’infraction en cause est modifiée (arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 192, et du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission, T‑111/08, EU:T:2012:260, point 268 ; paragraphe 110 de la communication concernant les bonnes pratiques).

317    Or, en l’espèce, quand bien même certaines données factuelles, telles qu’étayées par des éléments de preuve, mettraient en évidence des indices d’exercice d’une influence déterminante distincts de ceux exposés dans la communication des griefs, aux fins de compléter le faisceau d’indices initialement retenu par la Commission au regard des réponses à la communication des griefs, il ne saurait être considéré que, ce faisant, la Commission a formulé à l’égard de Mylan de nouveaux griefs ou qu’elle a modifié le fondement ou l’étendue de l’imputation de l’infraction de Matrix à son égard. La Commission s’est en effet bornée à compléter son analyse des liens organisationnels entre les deux sociétés, à évoquer un indice issu de la réponse à une demande de renseignements postérieure à la communication des griefs ainsi qu’à répondre à un argument avancé par les requérantes à propos des transactions conclues entre Mylan et Matrix.

318    Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de la violation des droits de la défense de Mylan doit être écarté.

2.      Sur les moyens relatifs à l’imputation erronée de l’infraction à Mylan

a)      Arguments des parties

1)      Sur la violation du principe de la responsabilité personnelle et de la présomption d’innocence

319    Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir imputé à Mylan l’infraction en cause alors que celle-ci n’a jamais eu la pleine propriété du capital de Matrix pendant la période pertinente, Mylan n’ayant acquis 71,5 % du capital de Matrix qu’environ deux ans après la conclusion de l’Accord, qu’elle ne savait pas et ne pouvait raisonnablement savoir que l’Accord enfreignait l’article 101 TFUE, compte tenu notamment des pratiques de l’époque, en particulier en Europe, et de la validité du brevet 947, et qu’elle n’aurait rien pu faire pour mettre un terme à l’infraction. En lui imputant dans ces circonstances la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale et indépendamment même de l’exercice d’une influence déterminante sur Matrix, la Commission aurait violé le principe de la responsabilité personnelle et la présomption d’innocence de Mylan.

320    La Commission rétorque que l’imputation à Mylan de la responsabilité en tant que société mère de l’infraction de Matrix à compter du 8 janvier 2007 s’explique par le fait que, à compter de cette date, Mylan a exercé une influence déterminante sur le comportement de Matrix, ainsi qu’en attesteraient différents éléments mentionnés dans la décision attaquée, qui lui auraient notamment permis de mettre fin à l’infraction. Elle ajoute que, en tant que grande société de génériques américaine et compte tenu du rapport d’audit préalable à l’acquisition de Matrix comme des décisions des juridictions américaines, Mylan aurait à tout le moins dû se douter que l’acceptation d’un paiement important pour rester à l’écart du marché susciterait des préoccupations potentiellement graves quant à la concurrence. La Commission estime enfin que l’imputation de l’infraction à Mylan est conforme à la jurisprudence relative à l’imputation des infractions des filiales à leurs sociétés mères et ne porte en rien atteinte à la présomption d’innocence de Mylan.

2)      Sur l’appréciation manifestement erronée de l’existence d’une influence déterminante de Mylan sur le comportement de Matrix

321    Les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas établi l’exercice d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix sur la base de preuves matérielles concrètes.

322    En effet, premièrement, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que Matrix a continué à fonctionner comme une entreprise totalement indépendante après les prises de participations par Mylan. En particulier, ni les listes d’autorisations imposant à Matrix de consulter Mylan, qui ne portaient pas sur des actes de gestion courante de la filiale et n’ont pas été mises en œuvre dans les faits, ni les obligations parallèles de rendre des comptes à Mylan, qui n’incombaient qu’aux employés assurant des fonctions purement opérationnelles et n’étaient accompagnées d’aucune preuve d’intervention effective de Mylan, ni l’obligation de présenter des comptes consolidés, laquelle pourrait uniquement venir corroborer d’autres indices d’influence déterminante, ne permettraient de démontrer que Mylan exerçait une influence déterminante sur Matrix.

323    Deuxièmement, la Commission aurait erronément considéré que le conseil d’administration était l’organe décisionnel clé de Matrix, alors qu’un tel rôle revenait au conseil de gestion, auquel ne participait aucun membre du personnel ou de la direction de Mylan. Les requérantes ajoutent que la Commission aurait déduit à tort de la participation de deux membres de la direction de Mylan au conseil d’administration de Matrix et du lieu où les réunions de ce conseil se sont tenues l’exercice d’une influence déterminante sur la politique commerciale de Matrix, alors notamment que ces membres de la direction de Mylan n’ont pas participé aux réunions au cours desquelles des problèmes concernant Matrix ont été discutés.

324    Troisièmement, la Commission n’aurait pas démontré que Mylan serait intervenue dans la gestion des filiales de Matrix, dès lors notamment qu’elle n’aurait identifié que deux interventions en ce sens, au surplus non susceptibles de démontrer l’exercice d’une influence déterminante, et qu’elle se serait fondée à tort sur la redirection, fondée sur des considérations de stratégie commerciale, des activités d’une filiale à 100 % de Matrix vers une filiale de Mylan.

325    Quatrièmement, la Commission aurait considéré à tort que les transactions entre Matrix et Mylan, notamment les contrats de prêts, n’auraient pas été conclues aux conditions du marché et que des transactions conclues aux conditions du marché ne prouvent pas, en elles-mêmes, l’absence d’influence déterminante.

326    La Commission, à titre liminaire, souligne le caractère incomplet du résumé par les requérantes de la partie de la décision attaquée consacrée à l’analyse de l’exercice d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix.

327    Ensuite, la Commission, premièrement, affirme que l’exercice d’une influence déterminante ne suppose pas nécessairement la gestion quotidienne des activités de la filiale, que l’accord de Mylan était obligatoire pour les transactions stratégiques et aurait effectivement été donné pour certaines de ces transactions, que les obligations de Matrix de rendre des comptes à Mylan permettaient à cette dernière d’intervenir si elle estimait que sa filiale n’agissait pas en conformité avec son orientation, ainsi qu’en attesterait un procès-verbal du conseil d’administration de Matrix, et que l’obligation de présenter des comptes consolidés corrobore d’autres éléments de preuve attestant de l’influence déterminante de Mylan sur Matrix.

328    La Commission, deuxièmement, estime que les postes de direction croisés entre Matrix et Mylan, en particulier au sein du conseil d’administration de Matrix, attestent des liens fonctionnels entre les deux sociétés, lesquels seraient encore accentués par la tenue de certaines réunions des organes dirigeants de Matrix, société indienne, aux États-Unis, où se trouve le siège de Mylan.

329    La Commission, troisièmement, fait observer que Mylan était tenue informée des activités des filiales de Matrix, qu’elle conseillait Matrix quant à leur gestion et qu’elle avait imposé à Matrix une méthode d’audit particulière de ses filiales. Elle ajoute que les requérantes étaient restées en défaut d’expliquer quel avantage stratégique Matrix aurait tiré de la redirection des activités de l’une de ses filiales sur une filiale de Mylan.

330    La Commission, quatrièmement, réitère qu’il ressort des éléments de preuve mentionnés dans la décision attaquée que Mylan avait accordé à Matrix trois prêts à des conditions avantageuses par rapport à celles en vigueur sur le marché.

b)      Appréciation du Tribunal

331    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Cette notion doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêts du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, points 54 à 56 et jurisprudence citée, et du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 42 et jurisprudence citée).

332    En particulier, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 58 ; voir, également, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 43 et jurisprudence citée).

333    En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale faisant partie d’une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l’article 101 TFUE, la Commission peut adresser une décision imposant des amendes à la société mère sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 59 ; voir, également, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 44 et jurisprudence citée).

334    Il importe également de rappeler que, afin de pouvoir imputer le comportement d’une filiale à la société mère, la Commission ne saurait se contenter de constater que la société mère est en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, mais doit également vérifier si cette influence a effectivement été exercée sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, au nombre desquels figure, en particulier, l’éventuel pouvoir de direction de la société mère sur sa filiale (voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, EU:C:1983:293, point 50 ; du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje, C‑440/11 P, EU:C:2013:514, point 44, et du 26 septembre 2013, The Dow Chemical Company/Commission, C‑179/12 P, non publié, EU:C:2013:605, point 67). Il convient de préciser, à cet égard, que l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur le comportement de la filiale peut être déduit d’un faisceau d’éléments concordants, même si aucun des éléments, pris isolément, ne suffit pour établir l’existence d’une telle influence (arrêts du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 65, et du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 47).

335    En l’espèce, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que Matrix devait être tenue pour seule responsable de l’infraction pour la période allant du 8 février 2005 au 7 janvier 2007 et que Mylan et Matrix étaient, en revanche, conjointement et solidairement responsables de cette infraction pour la période débutant le 8 janvier 2007, date à laquelle Mylan a augmenté sa participation dans Matrix à 71,5 % du capital, et ce jusqu’à la fin de l’infraction. Elle a considéré en effet que Mylan exerçait une influence déterminante sur la politique commerciale de Matrix à compter de cette date et pour cette période, en se fondant sur les six considérations suivantes (considérants 3028 et 3045 de la décision attaquée).

336    Premièrement, selon la Commission, Mylan disposait d’un accès systématique et en temps opportun aux informations stratégiques et avait une influence sur les processus décisionnels. En particulier, en vertu de « listes d’autorisations » mises en place en mars 2007, Matrix avait non seulement l’obligation de consulter Mylan avant de conclure les accords de développement commercial, mais également celle d’obtenir le consentement préalable de Mylan avant la conclusion de certaines transactions stratégiques. La Commission a souligné que Matrix avait confirmé que Mylan avait effectivement été consultée sur des sujets d’importance. Elle a ajouté que certains hauts dirigeants de Matrix devaient rendre des comptes à Mylan, de sorte que Mylan était tenue informée des développements commerciaux concernant les affaires commerciales ou réglementaires de Matrix et pouvait éventuellement intervenir au cas où cette dernière n’agissait pas en conformité avec son orientation (considérants 3029 à 3034 de la décision attaquée).

337    Deuxièmement, la Commission a relevé que le vice-président du conseil d’administration et président-directeur général (PDG) de Mylan avait été nommé membre et président non exécutif du conseil d’administration de Matrix en janvier 2007, y détenait une voix prépondérante et y avait exprimé les attentes de Mylan à l’égard de Matrix. De même, deux employés de Mylan, exerçant des fonctions au sein de cette dernière et ayant auparavant exercé des fonctions chez Matrix, auraient été nommés, respectivement, vice-président non exécutif du conseil d’administration de Matrix et directeur général ainsi que PDG de Matrix. La Commission a ajouté que, en plus de ces trois dirigeants de Mylan, des représentants supplémentaires de Mylan prenaient parfois part aux réunions du conseil d’administration de Matrix, dont certaines se seraient tenues aux États-Unis entre janvier et mai 2007 (considérants 3035 et 3036 de la décision attaquée).

338    Troisièmement, la Commission a considéré que l’influence de Mylan sur Matrix pouvait également être déduite de l’intervention de Mylan dans la gestion des filiales de Matrix, par des conseils donnés à Matrix quant à la gestion et aux méthodes d’audit de ses filiales ainsi que par la nomination de l’un de ses dirigeants au conseil d’administration de l’une des filiales de Matrix (considérant 3037 de la décision attaquée).

339    Quatrièmement, la Commission a estimé que l’obligation pour Mylan d’établir ses comptes annuels de manière consolidée avec Matrix, même si elle était imposée par le droit américain, corroborait l’exercice d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix (considérant 3038 de la décision attaquée).

340    Cinquièmement, la Commission a estimé que le fait pour Matrix et pour Mylan de conclure des transactions aux conditions du marché ne constituait pas en tant que tel une indication de l’absence d’influence déterminante de la société mère sur sa filiale détenue majoritairement. Elle a par ailleurs évoqué trois prêts consentis par Mylan à Matrix qui n’auraient pas été conclus aux conditions du marché (considérants 3039 et 3040 de la décision attaquée).

341    Sixièmement, la Commission a souligné que Mylan avait connaissance de l’Accord au moment de sa prise de participation de 71,5 % dans le capital de Matrix, grâce à un audit préalable. Elle a estimé en outre que Mylan savait ou aurait dû savoir que l’Accord était une restriction de concurrence contraire à l’article 101 TFUE, compte tenu en particulier de l’examen approfondi de règlements amiables en matière de brevets similaires pratiqué par les autorités américaines. La Commission a ajouté que l’absence d’objections soulevées par Mylan à l’encontre de l’Accord ou de mesures prises pour faire cesser l’implication de Matrix dans l’infraction montrait que Mylan avait tacitement approuvé l’infraction, ce qui constituerait en soi un élément supplémentaire indiquant que Mylan exerçait une influence déterminante sur le comportement de Matrix (considérants 3041 à 3044 de la décision attaquée).

342    Les requérantes contestent chacun des éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée pour constituer le faisceau d’indices établissant l’exercice effectif d’une influence déterminante de Mylan sur le comportement de Matrix.

343    S’agissant, en premier lieu, de l’influence de Mylan sur les processus décisionnels de Matrix, les requérantes font valoir que Matrix a continué de fonctionner comme une entreprise indépendante après sa prise de contrôle par Mylan et reprochent à la Commission d’avoir accordé trop d’importance aux exigences en matière d’autorisations, aux obligations de rendre des comptes et à d’autres consultations (voir point 322 ci-dessus).

344    Il convient, tout d’abord, de rappeler que, selon la jurisprudence, un degré d’autonomie, plus ou moins grand, d’une filiale dans sa gestion commerciale n’est pas nécessairement incompatible avec une influence déterminante de la société mère sur cette filiale (arrêt du 12 décembre 2012, 1. garantovaná/Commission, T‑392/09, non publié, EU:T:2012:674, point 48 ; voir également, en ce sens, arrêts du 8 mai 2013, Eni/Commission, C‑508/11 P, EU:C:2013:289, point 64, et du 16 juin 2011, FMC/Commission, T‑197/06, EU:T:2011:282, point 122). Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être déduit du fait que Matrix a poursuivi ses activités dans ses propres locaux, en son nom propre et en maintenant ses organes de gestion et de décision que Mylan ne pouvait exercer ou n’exerçait pas d’influence déterminante sur son comportement (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission, T‑24/05, EU:T:2010:453, point 222). De même, est insuffisant pour établir son autonomie par rapport à sa société mère le fait qu’une filiale se présente vers l’extérieur, à l’égard d’investisseurs ou de partenaires commerciaux, comme une société distincte (voir, en ce sens, s’agissant du comportement adopté au cours de la procédure administrative devant la Commission, arrêt du 12 décembre 2012, 1. garantovaná/Commission, T‑392/09, non publié, EU:T:2012:674, point 56). En effet, ces éléments d’autonomie ne sont que la conséquence du fait que la filiale conserve sa personnalité juridique distincte, circonstance qui ne fait pas obstacle à ce qu’elle forme, le cas échéant, une unité économique avec sa société mère.

345    Il y a lieu, ensuite, de souligner qu’il ressort de la jurisprudence que l’obligation pour la filiale de consulter préalablement la société mère ou d’obtenir son approbation préalable constitue un indice fort de l’exercice effectif d’une influence déterminante de ladite société mère sur sa filiale. En particulier, dans l’hypothèse où la société mère doit approuver les propositions de sa filiale, l’obligation d’obtenir cette approbation et donc la possibilité pour la société mère de ne pas la donner en opposant son veto témoignent d’une influence déterminante (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission, T‑24/05, EU:T:2010:453, points 183 à 187, et du 13 décembre 2013, HSE/Commission, T‑399/09, non publié, EU:T:2013:647, point 84).

346    Or, en l’espèce, les requérantes ne contestent pas l’existence de ces obligations d’approbation et de consultation. Elles font cependant valoir, d’une part, que les obligations d’approbation ne visaient pas l’Accord et ne portaient que sur des questions exceptionnelles ne relevant pas des affaires courantes ou de la politique commerciale et, d’autre part, que tant l’obligation d’approbation que celle de consultation n’auraient jamais ou qu’exceptionnellement été mises en œuvre au cours de la période pertinente.

347    Il importe de rappeler, à cet égard, que la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la politique commerciale d’une entreprise n’exige pas la démonstration d’une immixtion dans la gestion quotidienne des activités de ladite entreprise, mais plutôt celle d’une influence sur la stratégie commerciale générale qui définit les orientations de l’entreprise. Une politique commerciale uniforme au sein d’un groupe peut par ailleurs résulter indirectement de l’ensemble des liens économiques et juridiques entre la société mère et ses filiales. À titre d’exemple, l’influence de la société mère sur ses filiales en ce qui concerne la stratégie d’entreprise, la politique d’entreprise, les projets d’exploitation, les investissements, les capacités, les ressources financières, les ressources humaines et les affaires juridiques peut avoir indirectement des effets sur le comportement des filiales et de l’ensemble du groupe sur le marché. Le point déterminant est finalement de savoir si la société mère exerce une influence suffisante pour orienter le comportement de la filiale dans une mesure telle que les deux doivent être considérées comme une unité sur le plan économique (arrêt du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, point 121, et conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:262, points 89 à 93 ; voir également, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, The Dow Chemical Company/Commission, C‑179/12 P, non publié, EU:C:2013:605, point 64).

348    Selon la jurisprudence également, les droits de veto qui donnent lieu à un contrôle de la société mère sur sa filiale portent ainsi sur les décisions relatives à des questions de stratégie commerciale, telles que le plan de développement de l’entreprise ou la ligne d’action sur le marché, mais également, eu égard à la nécessaire prise en compte de l’ensemble des liens économiques et juridiques entre la société mère et sa filiale (voir point 347 ci-dessus), sur le budget, les projets d’investissement ou d’acquisition majeurs, ou encore la nomination de l’encadrement supérieur (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, EU:T:2007:381, point 82 ; du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, T‑299/08, EU:T:2011:217, point 103 ; du 7 juin 2011, Total et Elf Aquitaine/Commission, T‑206/06, non publié, EU:T:2011:250, point 97, et du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, point 107, confirmé par arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, points 71 et 72). Or, en l’espèce, ce sont précisément les « transactions stratégiques (portant sur des entreprises communes, des acquisitions, des achats importants d’actifs, etc.) », lesquelles concernent des orientations stratégiques majeures, qui devaient faire l’objet d’une approbation par Mylan.

349    De même, l’argument des requérantes selon lequel le consentement de Mylan n’était pas requis pour la conclusion des règlements amiables, tels que l’Accord, est dénué de pertinence. En effet, le contrôle exercé par la société mère sur sa filiale ne doit pas nécessairement avoir un lien avec le comportement infractionnel (voir arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 61 et jurisprudence citée ; voir point 367 ci-après). En outre, la Commission n’a imputé l’infraction de Matrix à Mylan qu’à compter du 8 janvier 2007, près de deux ans après la conclusion de l’Accord, et ainsi ne lui reproche pas d’avoir préalablement approuvé la signature de l’Accord.

350    Quant à l’allégation d’absence de mise en œuvre des obligations d’approbation, il y a lieu de considérer que l’existence de telles obligations de même que l’influence déterminante qui en résulte ne sauraient être remises en cause par le fait qu’aucune transaction stratégique, ne relevant pas de la gestion quotidienne de l’entreprise (voir point 347 ci-dessus), n’a été conclue au cours de la période pertinente, dont il convient de rappeler qu’elle a duré environ 20 mois (du 8 janvier 2007 au 15 septembre 2008) (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje, C‑440/11 P, EU:C:2013:514, points 65, 66 et 68, et du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 73). S’agissant des obligations de consultation, il y a lieu de relever que les requérantes n’avancent aucun argument, ni a fortiori ne fournissent d’élément, visant à contester les affirmations de Matrix selon lesquelles elle a consulté Mylan sur des sujets d’importance, ainsi qu’il ressort des exemples de consultation communiqués à la Commission par Matrix et repris aux considérants 3030 et 3033 de la décision attaquée. Par ailleurs, les requérantes se sont bornées à évoquer un seul cas dans lequel Matrix n’aurait pas consulté Mylan alors qu’elle aurait dû le faire, en se contentant au surplus d’une affirmation non étayée en ce sens. Or, il appartient aux requérantes qui invoquent l’absence d’effectivité des obligations de consultation en cause d’en rapporter la preuve (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission, T‑587/08, EU:T:2013:129, points 103 à 106 et jurisprudence citée). Il peut également être ajouté que les requérantes ont elles-mêmes évoqué, dans le cadre de leur argumentation relative à l’obligation de rendre des comptes à la société mère, un cas de consultation par Matrix du directeur financier de Mylan.

351    Il convient de rappeler, enfin, qu’un flux d’informations entre une société mère et sa filiale, et, a fortiori, une obligation de rendre des comptes à la société mère, constitue également un indice de l’exercice d’un contrôle sur les décisions de la filiale (voir, en ce sens, arrêts du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, EU:C:2011:21, point 107 ; du 6 mars 2012, FLSmidth/Commission, T‑65/06, non publié, EU:T:2012:103, point 31, et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Evonik Degussa et AlzChem/Commission, C‑155/14 P, EU:C:2015:529, point 75). En effet, de tels informations et rapports attestent des liens organisationnels entre la société mère et sa filiale et permettent à la société mère de suivre et de contrôler les activités de sa filiale aux fins de prendre des mesures concrètes à son égard. Il importe par ailleurs de préciser que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, une société mère peut exercer une influence déterminante sur sa filiale même sans faire usage d’un droit de regard et sans donner d’instructions ou de directives concrètes à la suite de la communication par ladite filiale de ces informations et rapports. De telles instructions sont simplement un indice particulièrement évident de l’existence d’une influence déterminante de la société mère sur la politique commerciale de sa filiale, mais leur absence n’impose nullement de conclure à une autonomie de la filiale (arrêt du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, point 121 ; voir également, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 73).

352    En outre, il importe de souligner que les requérantes ont elles-mêmes reconnu que l’obligation de rendre des comptes, tout en se limitant aux employés assurant des fonctions purement opérationnelles, portait notamment sur des développements commerciaux. Elles n’ont d’ailleurs pas contesté que Matrix avait, lors de la consultation susvisée (voir point 350 ci-dessus), transmis des informations à Mylan au sujet de la « conversion d’une unité pour dosage fini en unité orientée vers l’export » (voir également considérant 3034 de la décision attaquée). De plus, il doit être relevé que, compte tenu de la présence de deux dirigeants de Mylan à la tête du conseil d’administration de Matrix, les président et vice-président non exécutifs du conseil d’administration de Matrix étant membres du conseil d’administration de Mylan ainsi que, respectivement, PDG et chef des stratégies mondiales du bureau du PDG de Mylan, et des fonctions de ce conseil d’administration, telles qu’exposées par les requérantes, Mylan était nécessairement informée de toute une série de données relatives notamment aux comptes et aux résultats financiers de sa filiale [voir, en ce sens, arrêts du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, EU:C:2011:21, point 106 ; du 12 octobre 2011, Alliance One International/Commission, T‑41/05, EU:T:2011:586, point 135, et du 16 septembre 2013, Roca/Commission, T‑412/10, EU:T:2013:444, points 72 et 74 (non publiés) ; voir, également, point 347 ci-dessus].

353    S’agissant, en deuxième lieu, des liens organisationnels entre Matrix et Mylan, les requérantes reprochent principalement à la Commission d’avoir erronément déduit de la composition, des fonctions et des lieux de réunion du conseil d’administration de Matrix que Mylan exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (voir point 323 ci-dessus).

354    Quand bien même la Commission aurait erronément apprécié le rôle et les pouvoirs du conseil d’administration de Matrix, ce qui priverait de pertinence aux fins de l’établissement de l’exercice d’une influence déterminante la présence de dirigeants de Mylan au sein de ce conseil d’administration, il reste que, et les requérantes ne le contestent pas, un dirigeant de Mylan exerçait des fonctions dirigeantes, et même la principale fonction dirigeante, au sein de Matrix. En effet, un employé de Mylan, devenu en octobre 2007 vice-président exécutif de Mylan à la tête des opérations mondiales, était directeur général et PDG de Matrix (voir également considérant 3036 de la décision attaquée).

355    Or, il ressort de la jurisprudence que l’exercice effectif d’un pouvoir de direction par la société mère sur sa filiale peut être attesté par la présence, à la tête de la filiale, de personnes occupant des fonctions de direction au sein de la société mère. Un tel cumul de fonctions place nécessairement la société mère en situation d’influencer de manière déterminante le comportement de sa filiale sur le marché, dans la mesure où il permet aux membres de la direction de la société mère de veiller, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions dirigeantes au sein de la filiale, à ce que la ligne d’action de cette dernière sur le marché soit conforme aux orientations dégagées par les instances dirigeantes de la société mère (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, Fuji Electric/Commission, T‑132/07, EU:T:2011:344, points 184 et 199 ; du 27 septembre 2012, Nynäs Petroleum et Nynas Belgium/Commission, T‑347/06, EU:T:2012:480, points 47 et 56, et du 9 septembre 2015, Toshiba/Commission, T‑104/13, EU:T:2015:610, points 100 et 115). Il est à cet égard indifférent que, comme en l’espèce, le dirigeant en cause avait été nommé avant l’acquisition de la participation de Mylan dans le capital de Matrix. En effet, le remplacement des anciens dirigeants de la filiale n’est nécessaire que lorsque ceux-ci ne sont pas disposés à suivre la politique commerciale préconisée par la société mère. Or, il ne saurait être présumé que tel sera toujours le cas et il est tout à fait concevable que les dirigeants d’une société soient prêts à coopérer avec le nouveau propriétaire de celle-ci et que ce dernier souhaite les maintenir dans leurs fonctions, afin d’éviter toute perturbation dans l’activité commerciale normale de la société qu’il vient d’acquérir (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2013, HSE/Commission, T‑399/09, non publié, EU:T:2013:647, points 83, 85 et 86). Il importe de rappeler en outre que, en l’espèce, le dirigeant en cause de Matrix était uni par un lien d’emploi à Mylan depuis l’acquisition des parts de Matrix par cette dernière et était détaché par Mylan auprès de Matrix (voir point 354 ci-dessus).

356    S’agissant, en troisième lieu, de l’obligation de consolidation des comptes annuels de Mylan avec ceux de Matrix, les requérantes font valoir qu’elle pourrait uniquement venir corroborer d’autres indices d’influence déterminante et ne permettrait pas en tant que telle de démontrer l’exercice d’une telle influence (voir point 322 ci-dessus).

357    Il ressort effectivement de la jurisprudence, et en particulier de l’arrêt cité par la Commission dans la décision attaquée (considérant 3038), que la consolidation des comptes annuels de la filiale avec ceux de la société mère n’est pas suffisante à elle seule pour conclure que ladite société mère exerce une influence déterminante sur sa filiale, mais qu’elle constitue un élément qui corrobore cette conclusion, et ce quand bien même cette consolidation serait obligatoire en vertu des dispositions nationales applicables. En effet, le fait qu’une société mère se présente d’un point de vue comptable vers l’extérieur comme constituant, avec ses filiales, un seul groupe d’entreprises constitue un indice pertinent de l’existence d’une unité économique entre elles (arrêts du 12 décembre 2012, 1. garantovaná/Commission, T‑392/09, non publié, EU:T:2012:674, point 57, et du 13 décembre 2013, HSE/Commission, T‑399/09, non publié, EU:T:2013:647, points 63 et 65).

358    Il s’ensuit que, en l’espèce, eu égard aux liens organisationnels, juridiques et personnels entre Mylan et Matrix mis en évidence ci-dessus, la consolidation des comptes de ces deux sociétés a valablement pu être considérée comme confortant l’exercice d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix.

359    Ainsi, sans même qu’il soit nécessaire, à la lumière des constatations qui précèdent, d’examiner les autres indices retenus à cet égard dans la décision attaquée, dont la pertinence a également été mise en cause par les requérantes, il y a lieu de conclure que la preuve de l’exercice effectif par Mylan d’une influence déterminante sur le comportement de Matrix a été rapportée à suffisance de droit par la Commission au regard du faisceau constitué par les seuls indices, réunis dans la décision attaquée, tirés des obligations d’autorisation, de consultation, d’information et de consolidation des comptes ainsi que des postes de direction croisés entre la filiale et sa société mère.

360    Il peut être ajouté, au surplus, que, si les requérantes contestent la pertinence des indices tirés de l’intervention de Mylan dans la gestion des filiales de Matrix et de la conclusion de contrats entre ces deux sociétés, également retenus par la Commission dans la décision attaquée (considérants 3037, 3039 et 3040), elles ne remettent en cause ni les interventions des représentants de Mylan au conseil d’administration et au comité d’audit de Matrix demandant à cette dernière d’améliorer la gestion et, en particulier, la présentation des comptes de ses filiales, ni l’octroi par Mylan de trois prêts à Matrix pour un montant total important comparativement au montant des ventes de Matrix. Or, ces éléments contribuent également à conforter l’exercice effectif d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix, dès lors que le meilleur moyen pour Mylan d’assurer le remboursement de ses prêts est, comme la Commission l’a pertinemment souligné dans la décision attaquée (considérant 3040), d’exercer une telle influence sur Matrix et que les interventions susvisées des représentants de Mylan attestent à tout le moins d’une volonté de contrôle budgétaire, lequel est révélateur d’une unité de direction (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2013, Eni/Commission, C‑508/11 P, EU:C:2013:289, point 64).

361    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a établi et considéré à bon droit que Mylan exerçait une influence déterminante sur le comportement de Matrix pendant la période allant du 8 janvier 2007 au 15 septembre 2008, et ce malgré la courte durée relative de cette période.

362    La Commission n’a pas, ce faisant, méconnu les principes de la responsabilité personnelle et de la présomption d’innocence.

363    En effet, le principe en vertu duquel la responsabilité pour la commission d’infractions a un caractère personnel, qui s’applique aux infractions au droit de la concurrence, eu égard à la nature des infractions en cause et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent (arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 78, et du 7 juin 2011, Total et Elf Aquitaine/Commission, T‑206/06, non publié, EU:T:2011:250, point 238), doit se concilier avec la notion d’entreprise au sens de l’article 101 TFUE.

364    Ainsi, lorsque l’unité économique constitutive d’une entreprise enfreint les règles de concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (arrêt du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, T‑299/08, EU:T:2011:217, point 179). Or, si une société mère fait partie de cette unité économique, qui peut être constituée de plusieurs personnes juridiques, cette société mère est considérée comme solidairement responsable, avec les autres personnes juridiques constituant cette unité, des infractions au droit de la concurrence. Même si aucun élément n’établit l’implication de la société mère, en tant que personne morale distincte, dans la commission matérielle de l’infraction, elle exerce en effet, dans une telle hypothèse, une influence déterminante sur la ou les filiales qui ont participé directement à celle-ci. Il en résulte également que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la responsabilité de la société mère ne saurait être considérée comme étant une responsabilité sans faute, la société mère étant l’une des entités juridiques composant l’entreprise qui a fautivement enfreint le droit de la concurrence (arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 77, et conclusions de l’avocat général Kokott dans les affaires jointes Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:11, point 174).

365    De même, n’est pas davantage violé le principe de la présomption d’innocence, qui s’applique également aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, et qui implique que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction (voir arrêt du 13 décembre 2013, HSE/Commission, T‑399/09, non publié, EU:T:2013:647, point 107 et jurisprudence citée).

366    En effet, l’imputation du comportement infractionnel en cause à la société mère ne tient pas à l’implication directe des propres membres du personnel de Mylan ou de sa direction dans la commission matérielle de l’infraction, mais au fait qu’elle constituait, lors d’une partie de la période infractionnelle, une unité économique avec Matrix. Il suffisait, dès lors, à la Commission pour établir l’imputation de l’infraction en l’espèce de prouver l’exercice effectif par Mylan d’une influence déterminante sur le comportement de Matrix, sans qu’elle ait au surplus à démontrer que Mylan savait ou aurait dû savoir que l’Accord enfreignait l’article 101 TFUE et n’avait rien fait pour mettre un terme à l’infraction alors qu’elle aurait pu le faire.

367    En outre, si les requérantes, par leurs arguments tirés de l’ignorance par Mylan du caractère infractionnel de l’Accord et de son incapacité à y mettre un terme, contestent l’exercice d’une influence déterminante de Mylan sur le comportement de Matrix, il convient de rappeler que ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication directe de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens susmentionné, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés (arrêts du 30 septembre 2009, Arkema/Commission, T‑168/05, non publié, EU:T:2009:367, point 77, et du 2 février 2012, EI du Pont de Nemours e.a./Commission, T‑76/08, non publié, EU:T:2012:46, point 76). Il n’est donc pas requis par la jurisprudence que la société mère ait eu connaissance de l’infraction au moment où celle-ci a été commise par sa filiale pour qu’elle puisse être considérée comme constituant une seule entreprise avec cette dernière au sens du droit de la concurrence et pour qu’elle puisse se voir, à ce titre, imposer une amende (voir arrêt du 8 septembre 2016, Merck/Commission, T‑470/13, non publié, sous pourvoi, EU:T:2016:452, point 445 et jurisprudence citée).

368    Il convient d’ajouter, en tout état de cause, que les requérantes ne contestent pas que Mylan avait connaissance de l’Accord au moment de sa prise de participation majoritaire dans Matrix, que Mylan était soumise à certaines obligations prévues par l’Accord en tant que « société affiliée » à Matrix et que, à ce titre, elle ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de l’Accord (voir, par analogie, points 260 à 262 ci-dessus). En outre, les éléments avancés par les requérantes pour établir que Mylan ne pouvait mettre un terme à l’Accord sont dépourvus de pertinence. Il ne saurait, d’une part, être considéré que Mylan ne pouvait mettre un terme à l’infraction dans la mesure où celle-ci avait prétendument pris fin au moment de la prise de participation majoritaire de Mylan. En effet, indépendamment des modalités de versement du transfert de valeur, l’Accord était prévu pour expirer et a effectivement pris fin dans la plupart des États membres en 2008. Il peut être relevé, à cet égard, que les requérantes ne contestent pas, par ailleurs, la durée d’infraction correspondant à la durée de l’Accord retenue par la Commission. Il ne saurait, d’autre part, être déduit du fait que le consentement de Mylan n’était pas requis pour conclure, modifier ou résilier des accords de règlement amiable que celle-ci n’était pas en mesure d’obtenir la cessation de l’infraction, compte tenu de l’exercice effectif d’une influence déterminante de Mylan sur Matrix que la Commission a correctement établi indépendamment de l’absence de ce pouvoir d’autorisation spécifique (voir points 349 et 367 ci-dessus).

369    Il convient, par conséquent, d’écarter l’ensemble des moyens relatifs à l’imputation erronée de l’infraction à Mylan.

370    Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur demande d’annulation de la décision attaquée n’étant fondé ou opérant et l’examen des arguments avancés au soutien de leur demande de réformation du montant de l’amende n’ayant pas permis de relever d’éléments inappropriés dans le calcul du montant de celle-ci effectué par la Commission, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

371    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mylan Laboratories Ltd et Mylan, Inc. sont condamnées aux dépens.

Gervasoni Madise da Silva Passos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2018.

Signatures

Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Sur le périndopril

1. Brevet de molécule

2. Brevets secondaires

3. Périndopril de deuxième génération

B. Sur les requérantes

C. Sur les activités des requérantes relatives au périndopril

D. Sur les litiges relatifs au périndopril

1. Litige devant l’OEB

2. Litiges devant les juridictions nationales

a) Litige opposant Servier à Niche et à Matrix

b) Litige opposant Servier à Apotex

E. Sur l’accord conclu entre Matrix et Servier

F. Sur les faits postérieurs à la conclusion de l’Accord

G. Sur l’enquête sectorielle

H. Sur la procédure administrative et la décision attaquée

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la demande d’annulation des articles 2, 7 et 8 de la décision attaquée dans la mesure où ils concernent les requérantes

1. Sur le moyen tiré d’erreurs de droit et d’appréciation dans l’analyse de la concurrence potentielle sur le marché

a) Sur les critères d’appréciation de la concurrence potentielle

1) Arguments des parties

2) Appréciation du Tribunal

b) Sur l’appréciation erronée de la qualité de concurrent potentiel de Matrix

1) Arguments des parties

i) Sur la qualité de concurrent potentiel de Matrix (à elle seule)

ii) Sur la qualité de concurrent potentiel de Matrix (avec Niche)

2) Appréciation du Tribunal

i) Sur les obstacles liés aux brevets de Servier

ii) Sur les difficultés techniques

iii) Sur les difficultés réglementaires

iv) Sur les difficultés financières

2. Sur le moyen tiré d’erreurs de droit et d’appréciation dans la qualification de l’Accord de restriction par objet

a) Sur l’interprétation et l’application erronées de la notion de « restriction par objet »

1) Arguments des parties

2) Appréciation du Tribunal

i) Sur les erreurs de droit

– Sur les restrictions de concurrence par objet

– Sur les droits de propriété intellectuelle et, en particulier, les brevets

– Sur les règlements amiables des litiges en matière de brevets

– Sur la conciliation entre les accords de règlement amiable en matière de brevets et le droit de la concurrence

ii) Sur les erreurs d’appréciation

b) Sur l’appréciation erronée de la situation en l’absence d’accord

1) Arguments des parties

2) Appréciation du Tribunal

3. Sur le moyen tiré d’erreurs de droit et d’appréciation dans la qualification de l’Accord de restriction par effet

a) Arguments des parties

1) Sur l’absence d’analyse contrefactuelle

2) Sur la prise en compte erronée de la position dominante de Servier

b) Appréciation du Tribunal

B. Sur la demande subsidiaire d’annulation de l’article 7 de la décision attaquée dans la mesure où il inflige une amende aux requérantes

1. Sur le moyen tiré de la violation du principe de légalité des délits et des peines et du principe de sécurité juridique

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

2. Sur le moyen tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

C. Sur la demande plus subsidiaire de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes par l’article 7 de la décision attaquée

1. Arguments des parties

2. Appréciation du Tribunal

D. Sur la demande encore plus subsidiaire d’annulation des articles 2, 7 et 8 de la décision attaquée dans la mesure où ils concernent Mylan

1. Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense de Mylan

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

2. Sur les moyens relatifs à l’imputation erronée de l’infraction à Mylan

a) Arguments des parties

1) Sur la violation du principe de la responsabilité personnelle et de la présomption d’innocence

2) Sur l’appréciation manifestement erronée de l’existence d’une influence déterminante de Mylan sur le comportement de Matrix

b) Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.