Language of document : ECLI:EU:C:2019:424

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

16 mai 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transferts d’entreprises – Directive 2001/23/CE – Articles 3 à 5 – Maintien des droits des travailleurs – Exceptions – Procédure d’insolvabilité – Procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice – Sauvegarde totale ou partielle de l’entreprise – Législation nationale autorisant le cessionnaire, après le transfert, à reprendre les travailleurs de son choix »

Dans l’affaire C‑509/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’arbeidshof te Antwerpen, afdeling Hasselt (cour du travail d’Anvers, section de Hasselt, Belgique), par décision du 14 août 2017, parvenue à la Cour le 21 août 2017, dans la procédure

Christa Plessers

contre

Prefaco NV,

Belgische Staat,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), L. Bay Larsen, M. Safjan et D. Šváby, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 octobre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour Mme Plessers, par Mes J. Nulens et M. Liesens, advocaten,

–        pour Prefaco NV, par Mes J. Van Acker et S. Sonck, advocaten,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents, assistées de Me C. Raymaekers, advocaat,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et M. Van Hoof, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 janvier 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 à 5 de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Christa Plessers à Prefaco NV et au Belgische Staat (État belge) au sujet de la légalité du licenciement dont elle a fait l’objet.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23 dispose :

« Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire. »

4        En vertu de l’article 4 de cette directive :

« 1.      Le transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi.

Les États membres peuvent prévoir que le premier alinéa ne s’applique pas à certaines catégories spécifiques de travailleurs qui ne sont pas couverts par la législation ou la pratique des États membres en matière de protection contre le licenciement.

2.      Si le contrat de travail ou la relation de travail est résilié du fait que le transfert entraîne une modification substantielle des conditions de travail au détriment du travailleur, la résiliation du contrat de travail ou de la relation de travail est considérée comme intervenue du fait de l’employeur. »

5        Selon l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive :

« Sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 ne s’appliquent pas au transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement lorsque le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente (qui peut être un syndic autorisé par une autorité compétente). »

 Le droit belge

6        L’article 22 de la wet betreffende de continuïteit van de ondernemingen (loi relative à la continuité des entreprises), du 31 janvier 2009 (Belgisch Staatsblad, 9 février 2009, p. 8436), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « LCE »), prévoit :

« Tant que le tribunal n’a pas statué sur la requête en réorganisation judiciaire, que l’action ait été introduite ou la voie d’exécution entamée avant ou après le dépôt de la requête :

–        le débiteur ne peut être déclaré en faillite et, dans le cas d’une société, celle-ci ne peut non plus être dissoute judiciairement ;

–        aucune réalisation de biens meubles ou immeubles du débiteur ne peut intervenir à la suite de l’exercice d’une voie d’exécution. »

7        L’article 60, premier alinéa, de la LCE énonce :

« Le jugement qui ordonne le transfert désigne un mandataire de justice chargé d’organiser et de réaliser le transfert au nom et pour le compte du débiteur. Il détermine l’objet du transfert ou le laisse à l’appréciation du mandataire de justice. »

8        Aux termes de l’article 61, paragraphe 4, de la LCE :

« Le choix des travailleurs qu’il souhaite reprendre appartient au cessionnaire. Ce choix doit être dicté par des raisons techniques, économiques et organisationnelles et s’effectuer sans différenciation interdite, en particulier sur la base de l’activité exercée en tant que représentant du personnel dans l’entreprise ou la partie d’entreprise transférée.

L’absence de différenciation interdite à cet égard est réputée établie si la proportion de travailleurs et de leurs représentants qui étaient actifs dans l’entreprise ou la partie d’entreprise transférée et qui sont choisis par le cessionnaire est respectée dans le nombre total de travailleurs choisis. »

9        En vertu de l’article 62 de la LCE :

« Le mandataire de justice désigné organise et réalise le transfert ordonné par le tribunal par la vente ou la cession des actifs mobiliers ou immobiliers nécessaires ou utiles au maintien de tout ou partie de l’activité économique de l’entreprise.

Il sollicite des offres en veillant prioritairement au maintien de tout ou partie de l’activité de l’entreprise tout en ayant égard aux droits des créanciers. [...]

[...] »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      Mme Plessers a été employée par Echo NV sur le site de Houthalen-Helchteren (Belgique) du 17 août 1992 au mois d’avril 2013.

11      Le 23 avril 2012, le rechtbank van koophandel te Hasselt (tribunal de commerce de Hasselt, Belgique) a ouvert, à la demande d’Echo, une procédure de réorganisation judiciaire en vue d’obtenir l’accord des créanciers, au titre des articles 44 à 58 de la LCE. Un sursis a été accordé à cette entreprise jusqu’au 23 octobre 2012, puis jusqu’au 22 avril 2013.

12      Le 19 février 2013, soit avant l’expiration du sursis, le rechtbank van koophandel te Hasselt (tribunal de commerce de Hasselt) a accueilli la demande introduite par Echo tendant à modifier le transfert avec accord en un transfert sous autorité de justice.

13      Le 22 avril 2013, cette juridiction a autorisé les mandataires de justice à procéder au transfert des biens meubles et immeubles à Prefaco, l’une des deux sociétés ayant soumis une candidature à la reprise d’Echo. Dans sa proposition, Prefaco avait offert de reprendre 164 travailleurs, soit les deux tiers environ de l’ensemble du personnel d’Echo.

14      La convention de transfert a été signée le même jour. À l’annexe 9 de cette convention figurait la liste des travailleurs à reprendre. Le nom de Mme Plessers n’apparaissait pas sur cette liste.

15      Par ailleurs, ladite convention prévoyait que le transfert serait effectif deux jours ouvrables après la date dudit jugement d’autorisation du rechtbank van koophandel te Hasselt (tribunal de commerce de Hasselt).

16      Le 23 avril 2013, Prefaco a contacté par téléphone les travailleurs repris en leur demandant de se présenter le jour suivant aux fins d’exercer leurs fonctions. Le 24 avril 2013, Prefaco a confirmé ce transfert par écrit. Quant aux autres travailleurs, ils ont été contactés téléphoniquement et informés par les mandataires de justice, par lettre du 24 avril 2013, qu’ils n’avaient pas été repris par Prefaco.

17      La teneur de cette lettre était la suivante :

« La présente lettre vaut notification officielle conformément à l’article 64, paragraphe 2, de la [LCE]. Il est ainsi mis fin aux activités [d’Echo] à partir du 22 avril 2013. Étant donné que vous n’avez pas été repris par les cessionnaires précités, vous devez considérer la présente lettre comme une rupture de contrat par votre employeur, [Echo]. En tant que créancier éventuel [d’Echo], il est indiqué que vous introduisiez une créance auprès des mandataires de justice soussignés [...] ».

18      Les mandataires de justice ont également délivré à Mme Plessers un formulaire mentionnant la date du 23 avril 2013 comme étant celle de la rupture du contrat.

19      Par lettre du 7 mai 2013, Mme Plessers a mis Prefaco en demeure de la reprendre. Selon l’intéressée, Prefaco avait commencé à exploiter l’établissement de Houthalen-Helchteren dès le 22 avril 2013, date à laquelle le rechtbank van koophandel te Hasselt (tribunal de commerce de Hasselt) a prononcé son jugement.

20      Prefaco a rejeté cette demande par une lettre du 16 mai 2013, en se référant à l’article 61, paragraphe 4, de la LCE, qui donne au cessionnaire le droit de choisir les travailleurs qu’il souhaite ou non reprendre, pour autant, d’une part, qu’un tel choix est dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles et, d’autre part, qu’il n’y a pas de différenciation interdite. Prefaco a ajouté qu’elle n’était pas tenue par l’obligation de réengager Mme Plessers après la résiliation du contrat de travail qui liait cette dernière à Echo.

21      Par requête du 11 avril 2014, Mme Plessers a introduit un recours devant l’arbeidsrechtbank te Antwerpen (tribunal du travail d’Anvers, Belgique).

22      En outre, le 24 juillet 2015, Mme Plessers a cité l’État belge en intervention forcée.

23      Par jugement du 23 mai 2016, l’arbeidsrechtbank te Antwerpen (tribunal du travail d’Anvers) a rejeté comme étant non fondées toutes les demandes de Mme Plessers et a condamné celle-ci à l’ensemble des dépens.

24      Mme Plessers a interjeté appel de ce jugement devant l’arbeidshof te Antwerpen, afdeling Hasselt (cour du travail d’Anvers, section de Hasselt, Belgique), lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit de choisir conféré au repreneur à l’article 61, paragraphe 4, de la [LCE] [...] est-il conforme à la directive [2001/23], et plus particulièrement aux articles 3 et 5 de cette directive, dans la mesure où cette “réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice” est appliquée en vue du maintien de tout ou partie du cédant ou de ses activités ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

25      Prefaco exprime ses doutes quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, en faisant observer que, de son point de vue, la question posée n’est pas pertinente aux fins de la solution du litige au principal. En effet, dès lors que ce litige met en cause deux particuliers, Mme Plessers ne pourrait invoquer la directive 2001/23 afin d’écarter l’application d’une disposition législative nationale claire.

26      À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, notamment la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que ces questions portent sur l’interprétation d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 24, ainsi que du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 31).

27      Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 25, ainsi que du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 32).

28      Dès lors que la question posée par la juridiction de renvoi porte sur l’interprétation de la directive 2001/23, il y a lieu de relever que, certes, s’agissant d’un litige entre particuliers, la Cour a jugé de manière constante qu’une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre. Toutefois, la Cour a également itérativement jugé que l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles (arrêt du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, point 30 et jurisprudence citée).

29      Il s’ensuit que, en appliquant le droit national, les juridictions nationales appelées à l’interpréter sont tenues de prendre en considération l’ensemble des règles de ce droit et de faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci afin de l’interpréter, dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat fixé par celle-ci et de se conformer ainsi à l’article 288, troisième alinéa, TFUE (arrêt du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, point 31 et jurisprudence citée).

30      Eu égard à ce qui précède, il ne saurait être considéré que la question posée par la juridiction de renvoi n’a aucun rapport avec l’objet du litige au principal ou qu’elle porte sur un problème de nature hypothétique.

31      En conséquence, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

32      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question qui lui est soumise. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêts du 13 octobre 2016, M. et S., C‑303/15, EU:C:2016:771, point 16 et jurisprudence citée, ainsi que du 31 mai 2018, Zheng, C‑190/17, EU:C:2018:357, point 27).

33      En l’occurrence, par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi invite la Cour à se prononcer sur le point de savoir si la règle législative nationale qu’elle invoque est conforme aux articles 3 et 5 de la directive 2001/23.

34      Or, d’une part, ainsi formulée, cette question conduirait la Cour à se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en application de l’article 267 TFUE, sur la compatibilité d’une norme de droit interne avec le droit de l’Union, ce qu’il ne lui appartient pas de faire (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 29).

35      D’autre part, alors même que ladite question ne vise pas expressément l’article 4 de la directive 2001/23, celui-ci, en ce qu’il concerne la protection des travailleurs contre tout licenciement effectué par le cédant ou le cessionnaire sur la base du transfert, s’avère pertinent pour la réponse à fournir à la juridiction de renvoi.

36      Dans ces circonstances, il convient de reformuler la question posée comme visant, en substance, à savoir si la directive 2001/23, notamment ses articles 3 à 5, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, en cas de transfert d’une entreprise intervenu dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice appliquée en vue du maintien de tout ou partie du cédant ou de ses activités, prévoit, pour le cessionnaire, le droit de choisir les travailleurs qu’il souhaite reprendre.

37      À cet égard, il y a lieu, d’emblée, de rappeler que, aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23, sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 de cette directive ne s’appliquent pas aux transferts d’entreprises lorsque le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente.

38      Par ailleurs, la Cour a jugé que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23, en tant qu’il rend, en principe, inapplicable le régime de protection des travailleurs dans le cas de certains transferts d’entreprises et s’écarte ainsi de l’objectif principal sous-jacent à cette directive, doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêt du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging e.a., C‑126/16, EU:C:2017:489, point 41).

39      Dès lors, il convient, en premier lieu, de déterminer si le transfert d’une entreprise tel que celui en cause au principal relève de l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23.

40      À cet égard, la Cour a jugé qu’il convient de s’assurer qu’un tel transfert satisfait aux trois conditions cumulatives posées par cette disposition, à savoir que le cédant fasse l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue, que cette procédure soit ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant et qu’elle se trouve sous le contrôle d’une autorité publique compétente (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging e.a., C‑126/16, EU:C:2017:489, point 44).

41      S’agissant, tout d’abord, de la condition selon laquelle le cédant doit faire l’objet d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité analogue, il convient de relever que, selon la législation nationale en cause au principal, tant que le tribunal n’a pas statué sur la requête en réorganisation judiciaire, le débiteur ne peut être déclaré en faillite et, dans le cas d’une société, celle-ci ne peut pas non plus être dissoute judiciairement.

42      Or, d’une part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 55 de ses conclusions, il est constant entre les parties qu’une procédure de réorganisation judiciaire ne peut pas être considérée comme étant une procédure de faillite.

43      D’autre part, si une procédure de réorganisation judiciaire, telle que celle en cause au principal, peut aboutir à la faillite de l’entreprise concernée, une telle conséquence n’apparaît ni automatique ni certaine.

44      Concernant, ensuite, la condition selon laquelle la procédure doit être ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ne satisfait pas à celle-ci une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise concernée (arrêt du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging e.a., C‑126/16, EU:C:2017:489, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

45      Or, ainsi qu’il ressort du libellé même de la question posée, la juridiction nationale compétente a ordonné une telle procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice en vue du maintien de tout ou partie d’Echo ou de ses activités.

46      Enfin, s’agissant de la condition selon laquelle la procédure en cause doit se trouver sous le contrôle d’une autorité publique compétente, il ressort de la législation nationale que, d’une part, le mandataire de justice désigné par le jugement qui ordonne le transfert est chargé de l’organiser et de le réaliser au nom et pour le compte du débiteur. D’autre part, ce mandataire doit solliciter des offres en veillant prioritairement au maintien de tout ou partie de l’activité de l’entreprise tout en ayant égard aux droits des créanciers. En cas de pluralité d’offres comparables, la priorité est accordée à celle qui garantit la permanence de l’emploi par un accord social.

47      Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 68 de ses conclusions, le contrôle ainsi exercé par le mandataire dans le cadre de la procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice ne saurait satisfaire à cette condition, dans la mesure où sa portée est plus restreinte que celle du contrôle exercé par le mandataire dans le cadre d’une procédure de faillite.

48      Il découle de ce qui précède qu’une procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice, telle que celle en cause au principal, ne satisfait pas aux conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 et que, par conséquent, le transfert effectué dans de telles conditions ne relève pas de l’exception prévue à cette disposition.

49      Ainsi, il y a lieu de constater que les articles 3 et 4 de la directive 2001/23 demeurent applicables à une affaire telle que celle en cause au principal.

50      Dans ces conditions, il convient, en second lieu, de déterminer si les articles 3 et 4 de cette directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit la possibilité, pour le cessionnaire, de choisir les travailleurs qu’il souhaite reprendre.

51      À cet égard, tout d’abord, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/23 que les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert d’entreprise sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.

52      En effet, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la directive 2001/23, y compris son article 3, tend à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant. L’objet de ladite directive est de garantir, autant que possible, la continuation des contrats ou des relations de travail, sans modification, avec le cessionnaire, afin d’empêcher que les travailleurs concernés ne soient placés dans une position moins favorable du seul fait du transfert (voir, en ce sens, ordonnance du 15 septembre 2010, Briot, C‑386/09, EU:C:2010:526, point 26 et jurisprudence citée).

53      Ensuite, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23, le transfert d’entreprise ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cela étant, cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation qui impliquent des changements sur le plan de l’emploi.

54      Il résulte du libellé de cette disposition que des licenciements survenus dans un contexte de transfert d’entreprise doivent être motivés par des raisons économiques, techniques ou d’organisation sur le plan de l’emploi qui ne tiennent pas intrinsèquement audit transfert.

55      La Cour a ainsi considéré que l’absence d’accord entre le cessionnaire et les bailleurs sur un nouveau contrat de bail, l’impossibilité de trouver un autre local commercial ou encore l’impossibilité de transférer le personnel dans d’autres magasins peuvent constituer des raisons économiques, techniques ou d’organisation, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23 (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2008, Kirtruna et Vigano, C‑313/07, EU:C:2008:574, point 46).

56      En l’occurrence, il ressort de la législation nationale en cause au principal que le cessionnaire a le droit de choisir les travailleurs qu’il souhaite reprendre, ce choix devant toutefois être motivé par des raisons techniques, économiques et organisationnelles et s’effectuer sans différenciation interdite.

57      Or, il apparaît qu’une telle législation nationale vise, contrairement à la perspective dans laquelle s’inscrit l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23, non pas les travailleurs qui font l’objet d’un licenciement, mais ceux dont le contrat de travail est transféré, étant entendu que le choix de ces dernières personnes par le cessionnaire se fonde sur des raisons techniques, économiques et organisationnelles.

58      S’il est vrai que les travailleurs non choisis par le cessionnaire concerné et, partant, licenciés sont implicitement mais nécessairement ceux dont aucune raison technique, économique ou organisationnelle n’impose, aux yeux dudit cessionnaire, le transfert du contrat de travail, il n’en demeure pas moins que ce cessionnaire n’est soumis à aucune obligation de démontrer que les licenciements intervenus dans le cadre du transfert sont dus à des raisons d’ordre technique, économique ou organisationnel.

59      Il apparaît donc que l’application d’une législation nationale telle que celle en cause au principal est de nature à compromettre sérieusement le respect de l’objectif principal de la directive 2001/23, tel que précisé à l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci et rappelé au point 52 du présent arrêt, à savoir la protection des travailleurs contre les licenciements injustifiés en cas de transfert d’entreprise.

60      Il convient toutefois de rappeler, ainsi que cela a déjà été souligné aux points 28 et 29 du présent arrêt, qu’une juridiction nationale, saisie d’un litige entre particuliers, qui se trouve dans l’impossibilité de procéder à une interprétation des dispositions de son droit national qui serait conforme à une directive non transposée ou incorrectement transposée, n’est pas tenue, sur le seul fondement du droit de l’Union, de laisser inappliquées ces dispositions nationales contraires aux dispositions de cette directive. La partie lésée par la non-conformité du droit national à ladite directive pourrait néanmoins se prévaloir de la jurisprudence issue de l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428), pour obtenir de l’État membre, le cas échéant, réparation du dommage subi (voir, en ce sens, arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, points 49 et 56).

61      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle posée que la directive 2001/23, et notamment ses articles 3 à 5, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, en cas de transfert d’une entreprise intervenu dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice appliquée en vue du maintien de tout ou partie du cédant ou de ses activités, prévoit, pour le cessionnaire, le droit de choisir les travailleurs qu’il souhaite reprendre.

 Sur les dépens

62      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

La directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, et notamment ses articles 3 à 5, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, en cas de transfert d’une entreprise intervenu dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice appliquée en vue du maintien de tout ou partie du cédant ou de ses activités, prévoit, pour le cessionnaire, le droit de choisir les travailleurs qu’il souhaite reprendre.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.