Language of document : ECLI:EU:F:2009:75

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre)

2 juillet 2009 


Affaire F‑19/08


Kelly-Marie Bennett e.a.

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur
(marques, dessins et modèles) (OHMI)

« Fonction publique – Agents temporaires – Contrat à durée indéterminée assorti d’une clause de résiliation – Concours généraux – Recevabilité – Acte faisant grief – Articles 8 et 47 du RAA – Obligation de motivation – Devoir de sollicitude – Principe de bonne administration – Confiance légitime – Principe de non‑discrimination – Exigences linguistiques – Détournement de pouvoir – Principe d’exécution de bonne foi des contrats »

Objet : Recours, introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA, par lequel Mme Bennett et onze autres agents temporaires de l’OHMI demandent l’annulation de l’avis de concours OHIM/AD/02/07 visant à la constitution d’une réserve de recrutement pour un emploi d’administrateur de grade AD 6 dans le domaine de la propriété industrielle, en ce qui concerne trois requérants, et de l’avis de concours OHIM/AST/02/07 visant à la constitution d’une liste de réserve de recrutement pour quatre emplois d’assistant de grade AST 3 dans le même domaine, en ce qui concerne les autres requérants (JO C 300 A, p. 17 et 50, et, pour les rectificatifs aux avis de concours, JO 2008 C 67 A, p. 2 et 4), ainsi que la réparation du préjudice moral prétendument subi, évalué à 25 000 euros par requérant.

Décision : L’OHMI est condamné à verser à chacun des requérants la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts. Le recours est rejeté pour le surplus. L’OHMI supporte ses propres dépens et un quart des dépens des requérants. Les requérants supportent les trois quarts de leurs dépens.


Sommaire


1.      Fonctionnaires – Recours – Recours dirigé contre une décision de non‑admission aux épreuves d’un concours – Possibilité d’invoquer l’irrégularité de l’avis de concours

(Statut des fonctionnaires, art. 90, § 2, et 91, § 1)

2.      Fonctionnaires – Recours – Acte faisant grief – Notion – Contrat d’emploi d’agent temporaire

(Statut des fonctionnaires, art. 90, § 2)

3.      Fonctionnaires – Concours – Concours sur titres et épreuves – Conditions d’admission

(Statut des fonctionnaires, art. 27, alinéa 1)

4.      Fonctionnaires – Recrutement – Procédures – Choix – Pouvoir d’appréciation de l’autorité investie du pouvoir de nomination

(Statut des fonctionnaires, art. 27 et 29, § 1)

5.      Fonctionnaires – Agents temporaires – Contrats à durée indéterminée assortis d’une clause de résiliation applicable uniquement en cas de non‑inscription sur une liste de réserve établie à l’issue d’un concours général – Avis de concours prévoyant un nombre de postes à pourvoir nettement plus réduit que le nombre desdits contrats

6.      Fonctionnaires – Concours – Conditions d’admission – Égalité de traitement

7.      Fonctionnaires – Agents temporaires – Principe d’exécution de bonne foi des contrats

8.      Fonctionnaires – Recours – Cadre procédural – Mise en jeu de la responsabilité de l’administration pour faute de service

(Statut des fonctionnaires, art. 90, § 1)


1.      Tant la réclamation administrative préalable que le recours judiciaire doivent, conformément à l’article 90, paragraphe 2, et à l’article 91, paragraphe 1, du statut, être dirigés contre un acte faisant grief qui produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci.

S’agissant des avis de concours, eu égard à la nature particulière de la procédure de recrutement, qui est une opération administrative complexe composée d’une succession de décisions très étroitement liées, un requérant est en droit de se prévaloir d’irrégularités intervenues lors du déroulement du concours, y compris celles dont l’origine peut être trouvée dans le texte même de l’avis de concours, à l’occasion d’un recours dirigé contre une décision individuelle ultérieure, telle une décision de non-admission aux épreuves. Un avis de concours peut également, à titre exceptionnel, faire l’objet d’un recours en annulation lorsque, en imposant des conditions excluant la candidature du requérant, il constitue une décision lui faisant grief au sens des articles 90 et 91 du statut.

(voir points 65 et 66)

Référence à :

Cour : 19 juin 1975, Küster/Parlement, 79/74, Rec. p. 725, points 5 à 8 ; 8 mars 1988, Sergio e.a./Commission, 64/86, 71/86 à 73/86 et 78/86, Rec. p. 1399, point 15 ; 11 août 1995, Commission/Noonan, C‑448/93 P, Rec. p. I‑2321, points 17 à 19

Tribunal de première instance : 16 septembre 1993, Noonan/Commission, T‑60/92, Rec. p. II‑911, point 21 ; 7 septembre 2005, Krahl/Commission, T‑358/03, RecFP p. I‑A‑215 et II‑993, point 38

Tribunal de la fonction publique : 28 juin 2006, Grünheid/Commission, F‑101/05, RecFP p. I‑A‑1‑55 et II‑A‑1‑199, point 33 ; 24 mai 2007, Lofaro/Commission, F‑27/06 et F‑75/06, RecFP p. I‑A‑1‑0000 et II‑A‑1‑0000, point 57


2.      Un contrat d’agent temporaire, même une fois signé, est susceptible de faire l’objet d’une réclamation eu égard à sa capacité de faire grief à l’agent.

(voir point 96)

Référence à :

Tribunal de première instance : 11 juillet 2002, Martínez Páramo e.a./Commission, T‑137/99 et T‑18/00, RecFP p. I‑A‑119 et II‑639, point 56 ; 15 octobre 2008, Potamianos/Commission, T‑160/04, RecFP p. I‑A‑2‑0000 et II‑A‑2‑0000, point 21, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant la Cour, affaire C‑561/08 P


3.      Eu égard à la finalité de tout concours organisé au sein des Communautés européennes, qui est, ainsi qu’il ressort de l’article 27, premier alinéa, du statut, d’assurer à l’institution, comme à toute agence, le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d’intégrité, il ne paraît nullement exorbitant de prévoir, dans un avis de concours, l’exigence de détenir un diplôme sanctionnant des études universitaires d’une durée de trois années au moins et une expérience professionnelle d’une durée minimale de trois ans en rapport avec la nature des fonctions.

(voir point 104)


4.      L’autorité investie du pouvoir de nomination dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour rechercher, lorsqu’il y a lieu de pourvoir à un emploi vacant, les candidats possédant les plus hautes qualités de compétence, d’intégrité et de rendement. À cet égard, l’utilisation du terme « possibilités » à l’article 29, paragraphe 1, sous b), du statut indique clairement que ladite autorité n’est pas tenue d’une manière absolue de procéder à l’organisation d’un concours interne au sein de l’institution, mais simplement d’examiner, dans chaque cas, si une telle mesure est susceptible d’aboutir à la nomination de personnes répondant aux exigences de l’article 27 du statut. Ainsi, l’administration n’est pas tenue de suivre, dans l’ordre indiqué, les différents stades de procédure énumérés à l’article 29, paragraphe 1, du statut, et peut décider de passer d’une phase à une autre alors même que, dans le cadre de la première, elle dispose de candidatures utiles.

(voir point 110)

Référence à :

Cour : 5 juin 2003, O’Hannrachain/Parlement, C‑121/01 P, Rec. p. I‑5539, point 14

Tribunal de première instance : 16 janvier 2001, Chamier et O’Hannrachain/Parlement, T‑97/99 et T‑99/99, RecFP p. I‑A‑1 et II‑1, point 33 ; 11 novembre 2003, Faita/CES, T‑248/02, RecFP p. I‑A‑281 et II‑1365, point 45


5.      En proposant à de nombreux agents, qui avaient participé avec succès à des procédures de sélection internes, un contrat d’agent temporaire à durée indéterminée, comportant une clause de résiliation applicable uniquement pour le cas où les intéressés ne seraient pas inscrits sur une liste de réserve établie à l’issue d’un concours général, s’engageant ainsi clairement à maintenir les intéressés à titre permanent en son sein à la condition qu’ils figurent sur une telle liste de réserve, puis en limitant à quelques-uns le nombre d’emplois à pourvoir, et en limitant le nombre de lauréats inscrits sur les listes d’aptitude établies à l’issue de deux concours, généraux de surcroît, au nombre exact d’emplois à pourvoir, l’institution réduit radicalement et objectivement les chances desdits agents, dans leur ensemble, d’échapper à l’application de la clause de résiliation et, partant, vide d’une partie de sa substance la portée de ses engagements contractuels pris vis-à-vis de son personnel temporaire.

Toutefois, cette constatation ne saurait entraîner l’annulation desdits avis de concours. En disposant que la liste d’aptitude comporte, dans toute la mesure du possible, un nombre de candidats au moins double de celui des emplois mis à concours, l’article 5, cinquième alinéa, de l’annexe III du statut n’implique qu’une recommandation au jury tendant à faciliter les décisions de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Par ailleurs, la légalité d’un avis de concours, mesure de portée générale, ne saurait dépendre du contenu de clauses contractuelles liant des candidats aux concours à l’administration, ni de la manière dont cette dernière a exécuté lesdites clauses.

(voir points 116, 117, 119 et 120)

Référence à :

Cour : 26 octobre 1978, Agneessens e.a./Commission, 122/77, Rec. p. 2085, point 22

Tribunal de première instance : 17 décembre 1997, Dricot e.a./Commission, T‑159/95, RecFP p. I‑A‑385 et II‑1035, point 67 ; 17 décembre 1997, Chiou/Commission, T‑225/95, RecFP p. I‑A‑423 et II‑1135, point 82 ; 23 janvier 2003, Angioli/Commission, T‑53/00, RecFP p. I‑A‑13 et II‑73, point 103


6.      L’intérêt du service peut justifier qu’il soit exigé d’un candidat à un concours qu’il dispose de connaissances linguistiques spécifiques dans certaines langues des Communautés, le niveau de connaissance linguistique, pouvant être exigé dans le cadre de la procédure de recrutement, étant celui qui s’avère proportionné aux besoins réels du service. De plus, dans le cadre du fonctionnement interne des institutions, un système de pluralisme linguistique intégral soulèverait de grandes difficultés de gestion et serait économiquement lourd. Le bon fonctionnement des institutions et organes de l’Union, particulièrement lorsque l’organe concerné dispose de ressources limitées, peut donc objectivement justifier un choix limité de langues de communication interne.

Dès lors, le fait d’accorder, dans un avis de concours, une préférence à une ou plusieurs langues des Communautés, donnant ainsi un avantage aux candidats ayant une connaissance au moins satisfaisante de l’une d’entre elles, ne saurait constituer une violation du principe d’égalité de traitement, lorsque, d’une part, cette différence découle des circonstances propres à chaque candidat et, d’autre part, qu’aucun élément concret de nature à faire douter de la pertinence des connaissances linguistiques exigées aux fins d’exercer les fonctions proposées par l’avis de concours n’a été soulevé.

(voir points 137, 138, 142 et 143)

Référence à :

Cour : Küster/Parlement, précité, points 16 et 20 ; 29 octobre 1975, Küster/Parlement, 22/75, Rec. p. 1267, points 13 et 17 ; 15 mars 2005, Espagne/Eurojust, C‑160/03, Rec. p. I‑2077, point 47 des conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro

Tribunal de première instance : 5 avril 2005, Hendrickx/Conseil, T‑376/03, RecFP p. I‑A‑83 et II‑379, point 26


7.      La relation de travail entre l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) et ses agents temporaires, même si elle découle d’un contrat, est régie par le régime applicable aux autres agents, en liaison avec le statut, et relève, donc, du droit public. Toutefois, le fait que les agents temporaires soient soumis à un régime de droit administratif communautaire n’exclut pas que, dans le cadre de la mise en oeuvre de certaines clauses du contrat d’agent temporaire, venant compléter ledit régime, l’Office soit soumis au respect du principe d’exécution de bonne foi des contrats, principe commun aux droits de la très grande majorité des États membres.

Dès lors, l’Office, en ayant, par son comportement, entretenu chez de nombreux agents temporaires l’espoir suffisamment tangible d’une situation professionnelle stable, en leur proposant un contrat à durée indéterminée comportant une clause de résiliation applicable uniquement en cas de non‑inscription sur une liste de réserve d’un concours général puis en limitant le nombre d’emplois à pourvoir à quelques-uns, a commis, de ce fait, une faute de service, susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle.

Subissent un préjudice moral de tels agents, alors même qu’ils ont passé avec succès les épreuves de sélection internes leur permettant de bénéficier d’un contrat à durée indéterminée en attendant de participer à un concours général, ce préjudice moral résultant du sentiment d’avoir été trompés dans leurs perspectives réelles de carrière.

(voir points 163 à 165)

Référence à :

Cour : 15 juillet 1960, Von Lachmüller e.a./Commission, 43/59, 45/59 et 48/89, Rec. p. 933, 956


8.      Afin de mettre en jeu la responsabilité de l’administration pour faute de service, dans le cadre de l’exécution d’un engagement contractuel pris au titre de son contrat d’agent temporaire, l’agent intéressé doit suivre régulièrement la procédure précontentieuse qui doit débuter par une demande de réparation, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

À défaut, ses conclusions indemnitaires sont irrecevables.

Toutefois, l’objet et les particularités d’un litige, qui impliquent, notamment, de devoir clarifier les rapports entre les clauses contractuelles, mesures de portée individuelle, et l’avis de concours litigieux, mesure de portée générale, rendant la question de recevabilité particulièrement difficile, il ne saurait être reproché à un requérant d’avoir introduit une réclamation à l’encontre dudit avis de concours, assortie d’une demande de réparation du préjudice moral qu’il prétend avoir subi. L’erreur commise à cet égard est excusable et il ne serait pas conforme à une bonne administration de la justice de contraindre le requérant à devoir entreprendre un nouveau périple administratif et, éventuellement judiciaire, aux fins d’obtenir réparation de son préjudice moral.

(voir points 167 à 169)