Language of document : ECLI:EU:T:2019:608

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

17 septembre 2019 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale TON JONES – Marques nationale et internationale figuratives antérieures Jones – Preuve de l’usage sérieux des marques antérieures – Article 47, paragraphes 2 et 3, du règlement (UE) 2017/1001 – Article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 – Article 10 du règlement délégué (UE) 2018/625 »

Dans l’affaire T‑633/18,

Rose Gesellschaft mbH, établie à Vienne (Autriche), représentée par Me R. Kornfeld, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. M. Fischer, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Iviton s. r. o., établie à Prešov (Slovaquie),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 12 juillet 2018 (affaire R 2136/2017-2), relative à une procédure d’opposition entre Magda Rose GmbH & Co. KG et Iviton,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. V. Valančius, faisant fonction de président, P. Nihoul (rapporteur) et J. Svenningsen, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 22 octobre 2018,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 1er février 2019,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 15 février 2016, Iviton s.r.o. a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal TON JONES.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Chaussures ; chaussures ; bottes ; vêtements ; casquettes ; manteaux ; combinaisons [vêtements] ; gilet ; imperméables ; maillots de sport ; vareuses ; leggins [pantalons] ; pulls ; gants [habillement] ; chaussettes ; chemises ; sous-vêtements absorbant la transpiration ; vêtements de dessus ; pantalons ; chapellerie ; capuchons [vêtements] ; visières [chapellerie] ; vêtements pour enfants ; grenouillères ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 2016/048, du 10 mars 2016.

5        Le 16 mars 2016, le prédécesseur en droit de la requérante, Magda Rose GmbH & Co. KG, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur les droits antérieurs suivants :

–        l’enregistrement international désignant l’Union européenne no 980824 de la marque figurative reproduite ci-après pour des produits relevant de la classe 25 et correspondant à la description suivante : « Vêtements pour femmes et articles tricotés (vêtements) ; foulards, protège-cols, articles de chapellerie (habillement), ceintures, chaussures, bottes, chaussettes, bas, collants » :

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–        la marque autrichienne figurative n° AT 127 107 reproduite ci-après pour des produits relevant de la classe 25 et correspondant à la description suivante : « Vêtements pour femmes et articles tricotés (vêtements) » :

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7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

8        Le 13 septembre 2017, la division d’opposition a rejeté l’opposition au motif que l’usage sérieux des marques antérieures n’avait pas été prouvé.

9        Le 2 octobre 2017, le prédécesseur en droit de la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 12 juillet 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Premièrement, elle a considéré que les preuves avancées ne permettaient pas de prouver un usage des marques antérieures sur le territoire pertinent. Deuxièmement, elle a constaté que seuls certains éléments de preuve portaient sur une partie de la période pertinente. Troisièmement, elle a estimé que à l’exception d’un article, l’utilisation des marques antérieures pour les produits en cause n’avait pas été confirmée. Quatrièmement, elle a jugé que l’importance de l’usage des marques antérieures n’avait pas été démontrée. Enfin, la chambre de recours a conclu, au terme de son appréciation globale, que les preuves considérées dans leur ensemble ne pouvaient établir une importance suffisante de l’usage des marques antérieures pour les produits concernés pendant la période pertinente.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO à poursuivre la procédure d’opposition en écartant le motif de rejet utilisé ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens et en tout état de cause ne pas la condamner aux dépens encourus par l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours ;

12      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusion

13      Par son deuxième chef de conclusion, la requérante conclut à ce que le Tribunal condamne l’EUIPO à poursuivre la procédure d’opposition en écartant le motif de rejet utilisé.

14      L’EUIPO estime que ce chef de conclusion consiste en une injonction et est dès lors irrecevable.

15      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, dans le cadre d’un recours introduit devant le juge de l’Union européenne contre une décision d’une chambre de recours de l’EUIPO, ce dernier est tenu, conformément à l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du juge de l’Union. Dès lors, il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO, auquel il incombe de tirer les conséquences du dispositif et des motifs des arrêts du juge de l’Union [voir arrêt du 14 février 2019, Beko/EUIPO – Acer (ALTUS), T‑162/18, non publié, EU:T:2019:87, point 23 et jurisprudence citée].

16      Partant, le deuxième chef de conclusion de la requérante, en ce qu’il tend à ce que le Tribunal condamne l’EUIPO à poursuivre la procédure d’opposition en écartant le motif de rejet utilisé, est irrecevable.

 Sur le fond

17      Au soutien du recours, la requérante invoque en substance un moyen unique tiré de la violation de l’article 18 du règlement 2017/1001.

18      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 42, paragraphe 2, du règlement 207/2009, l’auteur d’une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne visée par une procédure d’opposition peut requérir la preuve que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels l’opposition est fondée, au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande.

19      Selon la jurisprudence, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

20      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits protégés par la marque, la nature de ces produits, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque [arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, EU:T:2004:225, point 40 ; voir également, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43].

21      À la lumière de ces considérations, il y a lieu de vérifier si la chambre de recours s’est trompée en considérant que le prédécesseur en droit de la requérante n’avait pas prouvé l’existence d’un usage sérieux, pour les deux marques considérées, au cours de la période pertinente.

22      Selon l’article 1, règle 22, paragraphe 3, du règlement (CE) 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement no 40/94 (JO 1995, L 303, p. 1), cette analyse doit être effectuée sur le lieu, la durée, la nature et l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure étant entendu que, selon la jurisprudence, au terme de l’analyse, il convient procéder à une appréciation globale tenant compte de tous les éléments pertinents, celle-ci impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte [voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, EU:T:2004:223, point 36, et du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 42] .

23      Ces différents aspects sont examinés ci-après.

 Sur le lieu de l’usage

24      La requérante soutient qu’un usage sérieux a été établi, pour la marque nationale antérieure, en Autriche et, pour la marque internationale désignant l’Union, dans d’autres pays européens, notamment en vue de l’exportation de marchandises vers des pays tiers.

25      L’EUIPO conteste cette position.

26      À cet égard, il convient de rappeler que, comme indiqué au point 6 ci-dessus, l’opposition formée par la requérante est fondée, d’une part, sur une marque nationale et, d’autre part, sur une marque internationale désignant l’Union.

27      Pour la première, la situation est réglée par l’article 47, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 selon lequel, lorsque l’opposition est fondée sur une marque nationale antérieure, l’examen doit être effectué, s’agissant de l’usage sérieux, au regard du territoire de l’État dont il est question.

28      Dans ce cadre, la requérante fait valoir que ladite marque a été utilisée dans plusieurs magasins situés sur le territoire autrichien, la plupart se trouvant à Vienne.

29      À l’appui de sa position, elle fournit des extraits provenant d’un site Internet dont l’adresse est http://www.jones-fashion.com. Ces extraits correspondent à diverses pages indiquant des adresses de magasins dont le nom est constitué, invariablement, de la suite de mots « Jones Store » auxquels s’ajoute une dénomination permettant la localisation du magasin – par exemple « Jones Store Shopping City Nord » pour désigner un magasin « Jones » se trouvant dans le nord de Vienne ou « Jones Store Donau Zentrum » pour identifier le magasin « Jones » concerné comme étant situé à Donaustadt, un arrondissement de Vienne.

30      À cet égard, il y a lieu de constater que les extraits de site Internet communiqués par la requérante tendent à démontrer l’existence d’un usage du terme « jones » correspondant à la marque nationale antérieure, sur le territoire autrichien, comme le requiert la jurisprudence pour l’analyse sur l’usage sérieux pouvant servir de base à une opposition à un enregistrement.

31      En ce qui concerne la seconde marque dont se prévaut la requérante, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 204 du règlement 2017/1001, les marques internationales désignant l’Union doivent être traitées comme des marques de l’Union européenne.

32      L’usage sérieux devant être établi pour de telles marques au sein de l’Union aux termes de l’article 47, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, c’est au regard de ce territoire que doit être examinée l’utilisation dont a fait l’objet, selon la requérante, la marque internationale désignant l’Union, dont elle se prévaut.

33      Au soutien de son affirmation sur l’usage de cette marque, la requérante présente d’autres extraits provenant du même site Internet http://www.jones-fashion.com. D’une part, elle considère que, à elle seule, l’existence de ce site permet de considérer que cette marque a fait l’objet d’un usage sérieux au sein de l’Union. D’autre part, la requérante désigne, dans les extraits provenant de ce site, des numéros de téléphone présentés comme des lignes téléphoniques permettant la commande de produits commercialisés sous le nom de la marque antérieure en Autriche, en Allemagne et en Slovénie.

34      À cet égard, il y a lieu de constater que, comme le fait valoir l’EUIPO, le site Internet dont fait état la requérante porte un nom de domaine « .com » qui rend impossible une localisation particulière de l’usage dans l’Union dès lors qu’il peut être exploité et utilisé à partir de n’importe quel pays dans le monde.

35      Il en va de même pour les lignes téléphoniques dont fait état la requérante, l’existence de telles lignes étant insuffisante pour établir à elle seule que l’enregistrement international désignant l’Union européenne a fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union. Il n’est pas rare, en effet, que des sociétés fassent appel à des centres d’appel localisés dans des pays tiers. Par ailleurs, il n’y a aucune certitude que les lignes téléphoniques dont l’existence est revendiquée par la requérante aient jamais été utilisées.

36      Or, selon la jurisprudence, l’usage sérieux d’une marque ne peut être démontré par des possibilités, des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [voir arrêt du 25 octobre 2013, Biotronik SE/OHMI – Cardios Sistemas (CARDIO MANAGER), T‑416/11, non publié, EU:T:2013:559, point 33 et jurisprudence citée].

37      Ainsi, il faut considérer que la requérante n’a pas apporté d’élément établissant, de manière spécifique, l’existence d’un usage sérieux de l’enregistrement international désignant l’Union au sein de cette dernière.

38      La requérante soutient que la marque antérieure a également fait l’objet d’un usage exclusivement aux fins de l’exportation de marchandises vers des pays tiers, ce qui devrait être considéré comme suffisant pour établir l’usage sérieux requis par la réglementation en vue de s’opposer avec succès à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne.

39      À cet égard, il convient de relever que l’argument formulé sur ce point par la requérante est soulevé pour la première fois devant le juge de l’Union et n’a jamais été formulé au cours d’un stade antérieur de la procédure.

40      Or, dans le cadre du contrôle de légalité confié au Tribunal en vertu de l’article 72 du règlement 2017/1001, des éléments de droit et de fait qui sont invoqués devant le Tribunal sans avoir été portés auparavant devant les instances de l’EUIPO ne peuvent être examinés pour apprécier la légalité de la décision de la chambre de recours et doivent, par conséquent, être déclarés irrecevables [voir arrêt du 17 mars 2010, Mäurer + Wirtz/OHMI – Exportaciones Aceiteras Fedeoliva (tosca de FEDEOLIVA), T‑63/07, EU:T:2010:94, point 23 et jurisprudence citée].

41      Pour cette raison, l’argument formulé par la requérante à propos de l’apposition de la marque de l’Union sur des produits dans le seul but de l’exportation doit être écarté comme étant irrecevable.

42      En tout état de cause, l’argument devrait être rejeté au fond s’il devait être déclaré recevable.

43      En effet, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la marque de l’Union européenne doit être utilisée dans l’Union, ce qui implique que l’usage de cette marque dans des États tiers ne peut pas être pris en compte (arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken, C‑149/11, EU:C:2012:816, point 38).

44      Toutefois, l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 prévoit, de manière explicite, que constitue un usage l’apposition de la marque de l’Union européenne sur les produits ou sur leur conditionnement dans l'Union dans le seul but de l’exportation.

45      En l’espèce, la requérante présente, à l’appui de sa position, des extraits provenant, cette fois, d’une part, de deux catalogues Emporio Madonna et, d’autre part, du magazine Harper’s Bazaar, ces trois publications présentant des vêtements.

46      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, introduit une exigence particulière lorsqu’il s’agit de prouver qu’une marque a été utilisée dans le seul but de l’exportation, une telle preuve devant être apportée, selon cette disposition, en établissant l’apposition de la marque « sur les produits ou leur conditionnement ».

47      Cette exigence n’est pas satisfaite en l’espèce, la requérante s’étant limitée à produire des extraits de catalogue ou de magazine où apparaît la marque antérieure sans toutefois que cette dernière soit présentée comme étant apposée sur un quelconque vêtement s’y trouvant présenté ou sur un conditionnement dans lequel ces vêtements seraient distribués.

48      Ainsi, il convient de constater, en concluant l’analyse sur le lieu de l’usage, qu’aucun élément produit par la requérante pour établir l’usage sérieux de l’enregistrement international désignant l’Union ne peut être retenu et que, s’agissant de la marque nationale antérieure, seul peut être prise en compte l’existence d’une série de magasins portant le nom de la marque et présentés comme ayant une adresse physique en Autriche.

 Sur la durée de l’usage

49      La requérante estime que les marques antérieures ont été utilisées durant une période suffisante pour établir l’existence d’un usage sérieux.

50      L’EUIPO conteste cette position.

51      À cet égard, il convient de rappeler que, comme le prévoient l’article 18, paragraphe 1, et l’article 47, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, les marques dont l’usage sérieux a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans ne peuvent être utilisées en vue de s’opposer à l’enregistrement d’une marque de l’Union.

52      Partant, il suffit qu’une marque ait fait l’objet d’un usage sérieux pendant une partie de cette période pour qu’elle puisse être utilisée comme fondement à une demande d’opposition [voir arrêt du 16 décembre 2008, Deichmann-Schuhe/OHMI – Design for Woman (DEITECH), T‑86/07, non publié, EU:T:2008:577, point 52 et jurisprudence citée].

53      La preuve de l’usage sérieux ne doit pas être fournie séparément pour chacune des années couvertes par le délai de cinq ans. Il suffit de démontrer que la marque concernée a été utilisée, durant une partie de la période, non à titre purement symbolique, mais effectivement et aux fins de créer ou de conserver un débouché pour les produits et les services en cause [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2015, TVR Automotive/OHMI – TVR Italia (TVR ITALIA), T‑398/13, EU:T:2015:503, point 53].

54      En l’espèce, la période pertinente s’étend du 10 mars 2011 au 9 mars 2016. Pour cette période, aucune preuve n’a été présentée concernant les années 2011, 2012, 2013 et 2016. En revanche, trois éléments ont été avancés pour les années 2014 et 2015, à savoir, pour l’année 2014, un numéro du magazine Harper’s Bazaar, pour l’année 2015, un catalogue Emporio Madonna et, pour ces deux années, des déclarations comptables.

55      Ces éléments attestent l’usage du signe « Jones » durant la période pertinente et doivent être pris en compte, à ce titre, dans l’appréciation à effectuer pour déterminer l’existence d’un usage sérieux.

 Sur la nature de l’usage

56      Sur la nature de l’usage, la requérante soutient que les marques antérieures ont donné lieu à des usages qui, selon elle, correspondent à celui qui est attendu de signes désignant l’origine commerciale des produits auxquels ils sont associés.

57      L’EUIPO conteste la position de la requérante.

58      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, pour pouvoir conclure au caractère sérieux de l’usage, l’existence d’un lien entre le produit et la marque doit être établie, ce lien se matérialisant généralement par l’apposition de la marque sur les produits en cause sans toutefois que cette apposition soit absolument requise [voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2009, Schuhpark Fascies/OHMI – Leder & Schuh (jello SCHUHPARK), T‑183/08, non publié, EU:T:2009:156, point 31].

59      Dans ce cadre, en premier lieu, la requérante fournit une photographie représentant un vêtement où se trouve représentée la marque Jones, en grandes lettres, de manière particulièrement visible.

60      Comme le reconnait l’EUIPO, et comme cela est indiqué dans la décision attaquée, cette photographie doit être regardée comme un élément attestant l’usage du signe concerné comme marque en relation avec des produits déterminés. Certes, cette photographie est isolée, puisqu’elle est la seule représentant le signe sur des vêtements auxquels il est censé être associé. Toutefois, cet aspect devra être examiné ultérieurement, lorsque sera analysé l’importance de l’usage qui est fait dudit signe.

61      En second lieu, la requérante reprend des éléments déjà examinés en relation avec le lieu et la période de l’usage en faisant valoir qu’ils représentent l’usage qui est attendu d’une marque commerciale.

62      Tout d’abord, certaines pièces fournies par la requérante indiquent que des vêtements sont vendus dans des magasins portant le nom « Jones » et établis, physiquement, en Autriche.

63      À cet égard, il convient de constater que la liste de magasins « Jones » produite par la requérante établit l’usage du signe comme nom donné à des établissements où sont commercialisés des vêtements qui, du reste, sont présentés sur des photos apparaissant dans les extraits de site internet fournis par la requérante.

64      Toutefois, il convient de remarquer que, mis à part la photographie dont il a été question aux points 59 et 60 ci-dessus, les extraits produits par la requérante ne montrent aucun vêtement portant le signe Jones.

65      Or, selon la jurisprudence, il y a lieu de différencier, d’une part, l’usage d’une marque dans le but de distinguer les produits de la partie requérante des produits similaires provenant de tiers et, d’autre part, l’utilisation du signe en tant que dénomination sociale, c’est-à-dire en tant que nom commercial ou enseigne permettant au consommateur d’identifier le magasin de détail dans lequel il peut acheter les produits (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2009, jello SCHUHPARK, T‑183/08, non publié, EU:T:2009:156, point 32).

66      Ainsi, il ne saurait être considéré que, par elle-même, la liste de magasins « Jones » fournie par la requérante démontre que le signe Jones a été utilisé comme marque commerciale pour désigner des vêtements provenant d’une société déterminée.

67      Ensuite, la requérante signale que le signe dont il est question apparaît en entête sur le site Internet http://www.jones-fashion.com, estimant qu’un tel usage est suffisant, puisque, avec cette présence sur le site Internet, la marque antérieure est physiquement perceptible, selon elle, dans le contexte spatial et temporel de l’opération de commande, de sorte que l’acheteur la percevrait comme une marque.

68      À cet égard, il convient de relever que, comme cela a été remarqué pour la liste de magasins portant le nom « Jones », la présence de ce signe sur des pages Internet signifie, dans le contexte de l’affaire, que ce nom est associé à la vente de vêtements sur l’Internet, ainsi que dans les magasins qui se trouvent identifiés dans ces pages, sans toutefois impliquer nécessairement que les vêtements faisant l’objet de la commercialisation sont vendus sous la marque dont il est question.

69      Enfin, la requérante attire l’attention sur l’usage du signe dans les deux catalogues Emporio Madonna et le magazine Harper’s Bazaar où il figure en marge de plusieurs pages. 

70      À cet égard, il y a lieu de constater que, dans les catalogues dont il est question, et dans le magazine mis en avant par la requérante, le signe dont il est question n’est pas reproduit sur des vêtements ou même présenté de manière systématique à côté de chaque vêtement faisant l’objet de la présentation, mais est simplement mentionné, une fois par page, dans la marge du document.

71      Une telle utilisation est par nature ambigüe dès lors qu’elle peut être interprétée comme désignant la société ayant conçu le vêtement, comme celle le fabriquant ou encore comme celle le commercialisant, le cas échéant sans exclusivité.

72      Dès lors, cette utilisation ne saurait être regardée comme un véritable usage du signe en tant que marque en relation avec les produits dont il est censé identifier l’origine commerciale, sans aucune ambiguïté, par rapport à d’autres objets provenant d’autres sociétés.

73      Au terme de l’analyse, il y a lieu de de constater que les éléments pouvant être pris en compte pour établir l’usage du signe comme marque, au titre de la nature de l’usage, se limitent à une pièce, les autres éléments produits par la requérante ne pouvant être considérés, à ce stade, comme étant décisifs ou même simplement déterminants.

 Sur l’importance de l’usage

74      La requérante estime qu’elle a établi, pour les marques antérieures, un usage présentant, par son importance, le caractère sérieux requis par la réglementation pour pouvoir fonder une opposition.

75      L’EUIPO conteste cette position.

76      À cet égard, il convient de noter que, pour mesurer l’importance de l’usage mise en avant dans le cadre d’une opposition à l’enregistrement d’une marque, il y a lieu de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis et de la fréquence de ces actes (arrêts du 8 juillet 2004, HIPOVITON, T‑334/01, EU:T:2004:223, point 35, et du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 41).

77      À l’appui de sa position, la requérante présente, de manière spécifique, premièrement, deux déclarations comptables, censées représenter les ventes réalisées au moyen des marques antérieures et, deuxièmement, une déclaration sous serment, émanant du directeur de la société. Cette dernière est présentée comme un document attestant l’importance de l’usage caractérisant les marques antérieures.

78      À cet égard, en premier lieu, il convient de constater, comme le souligne l’EUIPO, que les déclarations comptables présentées par la requérante ne sont pas ventilées par type de produit vendu et ne permettent donc pas d’identifier la part, s’il en existe une, de ventes pouvant être associées à l’usage d’une marque antérieure.

79      En second lieu, il importe de relever qu’une déclaration effectuée sous serment par le directeur de la requérante ne saurait être reçue par le Tribunal comme présentant le caractère fiable et crédible qu’aurait une déclaration provenant d’une personne tierce ou indépendante.

80      Une telle déclaration sous serment n’est pas suffisante à elle seule pour établir un usage sérieux et peut être considérée, tout au plus, comme un indice qui, pour avoir une certaine force probatoire, devrait être appuyé, confirmé ou corroboré par d’autres éléments [voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Henkell & Co. Sektkellerei/EUIPO – Ciacci Piccolomini d'Aragona di Bianchini (PICCOLOMINI), T‑20/15, EU:T:2016:218, point 37].

81      Force est de constater que, en l’espèce, la requérante n’a pas apporté d’élément présentant un tel caractère, les déclarations comptables ne pouvant être considérées comme fournissant de tels éléments pour les raisons qui ont été indiquées ci-dessus.

82      Ainsi, il convient de constater que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en considérant que la requérante n’avait pas fourni de preuve permettant d’établir que l’usage fait des marques antérieures présentait l’importance requise pour fonder une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne.

 Sur l’appréciation globale

83      Au terme de l’appréciation globale des éléments présentés, la requérante estime, contrairement à ce qu’a fait la chambre de recours, qu’il convenait de conclure à l’existence de la preuve d’un usage sérieux en raison de l’usage des marques en cause durant une partie de la période pertinente.

84      L’EUIPO conteste cette position.

85      À cet égard, il convient de relever que, selon la jurisprudence, pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure, il faut procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les éléments pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une grande constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement (arrêts du 8 juillet 2004, HIPOVITON, T‑334/01, EU:T:2004:223, point 36, et du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 42).

86      En l’espèce, il importe de constater que, ainsi que cela a été indiqué aux points 48 et 66 ci-dessus, l’utilisation du terme « Jones » pour désigner des magasins situés en Autriche est un élément pertinent au regard du critère concernant le lieu de l’usage, mais ne présente pas le caractère requis au regard du critère lié à la nature de l’usage pour les produits à l’égard desquels le signe aurait été utilisé comme marque.

87      Par ailleurs, la requérante a fourni des pièces indiquant qu’un usage avait été fait du signe Jones durant la période pertinente, mais, comme indiqué au point 72 ci-dessus, cet usage ne présente pas non plus la nature requise dès lors que, dans les catalogues et le magazine produits par la requérante, ledit signe, qui s’y trouve représenté, est susceptible de plusieurs interprétations.

88      Enfin, la photographie produite par la requérante établit l’usage du signe comme marque désignant l’origine commerciale de vêtements déterminés et satisfait ainsi au critère lié à la nature de l’usage, mais ne présente pas, toutefois, comme indiqué au point 82, l’importance requise pour être entièrement pertinente dans le cadre de l’appréciation globale portant sur l’usage sérieux.

89      Cette position ne saurait être infirmée par les arguments suivants.

90      En premier lieu, la requérante présente les résultats d’une recherche effectuée sur Google avec le terme « Jones » en soutenant que les nombreux résultats obtenus par l’intermédiaire de cette recherche démontrent l’existence d’un usage d’une certaine importance caractérisant les marques antérieures.

91      À cet égard, il y a lieu de constater que, comme l’indique l’EUIPO, ces résultats de recherche effectuée sur l’Internet ne peuvent établir, à eux seuls, l’existence d’un usage sérieux. Pour être véritablement significatif, cet usage devrait être confirmé ou corroboré par d’autres éléments qui, à part la photographie, laquelle reste bien isolée, font défaut.

92      En second lieu, la requérante soutient que la chambre de recours s’est contredite en indiquant, d’une part, qu’aucun document émanant de sources indépendantes n’a été utilisé et, d’autre part, que des sources généralement disponibles, comme par exemple les résultats d’une recherche effectuée par l’intermédiaire du moteur de recherches Google, ont été produites.

93      Il est vrai que, comme l’indique la requérante, la chambre de recours, dans la décision attaquée, a souligné l’absence de documents probants émanant de sources indépendantes tels que des articles de presse, des factures ou des enquêtes.

94      Par ailleurs, il est aussi correct que la requérante a présenté, à l’appui de sa position, des documents présentant un caractère public comme, par exemple, d’une part, des extraits d’un site Internet, de catalogues, d’un magazine et, d’autre part, des résultats d’une recherche effectuée par l’intermédiaire du moteur de recherches Google.

95      Toutefois, il convient de rappeler que ces sources pouvant être dites ouvertes revêtent, en l’espèce, une nature particulièrement générale, comme cela a été indiqué pour chacun des documents concernés, et que cette nature fait obstacle à toute possibilité d’en retirer, de manière concrète, et effective, des éléments susceptibles d’établir l’usage sérieux requis par la réglementation.

96      Ainsi, il résulte de l’ensemble de ces considérations que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en concluant que, appréciés globalement, les éléments de preuves fournis par la requérante n’étaient pas suffisants pour établir l’usage sérieux de la marque antérieure.

97      Partant, le moyen unique doit être rejeté et, avec lui, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

98      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

99      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que la requérante est la partie qui succombe. En outre, l’EUIPO a, dans ses conclusions, expressément demandé que la requérante soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requérante supportera ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Rose Gesellschaft mbH est condamnée aux dépens.

Valančius

Nihoul

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 septembre 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.