Language of document : ECLI:EU:C:2016:938

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 8 décembre 2016 (1)

Affaire C527/15

Stichting Brein

contre

Jack Frederik Wullems, agissant sous le nom Filmspeler

[demande de décision préjudicielle formée par Rechtbank Midden-Nederland (tribunal du Midden-Nederland, Pays-Bas)]

« Droit d’auteur et droits voisins – Société de l’information – Notion de “communication au public” – Droit de reproduction – Exceptions et limitations »






1.        Le droit des auteurs d’autoriser la communication au public de leurs œuvres, protégé à l’article 3 de la directive 2001/29/CE(2), peut être enfreint par les liens renvoyant d’un site Internet à un autre si l’équilibre nécessaire entre le respect de la propriété intellectuelle et le libre développement de la société de l’information n’est pas établi. Dans ce contexte, les hyperliens (3), qui constituent l’un des éléments essentiels d’Internet, sont indispensables pour naviguer sur les sites Internet, mais peuvent également servir à violer les droits d’auteur.

2.        La Cour, qui s’était déjà prononcée à plusieurs reprises sur la notion de communication au public (4), a très récemment rendu un arrêt essentiel (5), qui permet de déterminer si cette notion, au sens de la directive 2001/29, couvre l’insertion d’un hyperlien dans un site Internet qui renvoie à d’autres sites diffusant, sans l’autorisation de leurs titulaires, des contenus numériques (6) auxquels l’utilisateur accède d’un simple clic sur l’hyperlien.

3.        Les deux premières questions posées par le Rechtbank Midden-Nederland (tribunal du Midden-Nederland, Pays-Bas) dans le présent renvoi préjudiciel coïncident, en partie, avec celles qui ont donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2016, GS Media. La juridiction néerlandaise, qui savait que cette affaire était pendante devant la Cour, avait envisagé de surseoir à statuer jusqu’à ce que celle-ci se prononce. Elle a néanmoins décidé de saisir la Cour avant qu’elle ne rende l’arrêt GS Media, car, selon elle (7), il existe certaines différences entre les deux affaires : la plus notable est que, « en l’espèce, M. Wullems n’a pas placé des hyperliens sur un site Internet propre, mais a installé des modules complémentaires contenant des hyperliens dans son lecteur multimédia […] ».

4.        Si, comme je le préconise, l’arrêt GS Media était transposable au présent cas d’espèce, il suffirait de s’appuyer sur la jurisprudence qui en découle, puis d’analyser si la commercialisation d’un lecteur multimédia incorporant une modalité de logiciel (avec des modules complémentaires ou add-ons) qui redirige l’utilisateur final vers des sites Internet sur lesquels des contenus numériques sont diffusés sans le consentement du titulaire du droit d’auteur constitue également une communication au public.

5.        Par ailleurs, le juge a quo a exprimé d’autres doutes (troisième et quatrième questions) qui concernent non pas tant le moyen technique ou dispositif de reproduction que la sauvegarde du droit d’auteur, et l’illicéité corrélative du comportement contraire à ce droit, lorsque l’utilisateur final reçoit, en flux continu (streaming) (8) et sans autorisation de leur titulaire, des contenus numériques protégés, auxquels il accède par l’hyperlien.

I –    Le cadre juridique

 La directive 2001/29

6.        Le rapprochement des ordres juridiques des États membres en matière de propriété intellectuelle a été réalisé principalement au moyen de la directive 93/98/CEE (9), modifiée par la suite et abrogée par la directive 2006/116/CE (10), laquelle a codifié les versions précédentes. L’une de ces modifications visait à réglementer la protection du droit d’auteur et des droits voisins dans la société dite de l’information au moyen de la directive 2001/29.

7.        Conformément au considérant 23 de cette directive :

« La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte ».

8.        Aux termes du considérant 27 :

« La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive ».

9.        Le considérant 31 est rédigé comme suit :

« Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. Les exceptions et limitations actuelles aux droits, telles que prévues par les États membres, doivent être réexaminées à la lumière du nouvel environnement électronique. […] ».

10.      Le considérant 33 est ainsi libellé :

« Le droit exclusif de reproduction doit faire l’objet d’une exception destinée à autoriser certains actes de reproduction provisoires, qui sont transitoires ou accessoires, qui font partie intégrante et essentielle d’un processus technique et qui sont exécutés dans le seul but de permettre soit une transmission efficace dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, soit une utilisation licite d’une œuvre ou d’un autre objet protégé. Les actes de reproduction concernés ne devraient avoir par eux-mêmes aucune valeur économique propre. Pour autant qu’ils remplissent ces conditions, cette exception couvre les actes qui permettent le survol (browsing), ainsi que les actes de prélecture dans un support rapide (caching), y compris ceux qui permettent le fonctionnement efficace des systèmes de transmission, sous réserve que l’intermédiaire ne modifie pas l’information et n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l’industrie, dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation de l’information. Une utilisation est réputée être licite lorsqu’elle est autorisée par le titulaire du droit ou n’est pas limitée par la loi ».

11.      L’article 2, intitulé « Droit de reproduction », dispose comme suit :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a)      pour les auteurs, de leurs œuvres ;

[…] ».

12.      Sous l’intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés » l’article 3, paragraphe 1, de cette directive est ainsi libellé :

« 1.      Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».

13.      Dans le cadre des « Exceptions et limitations » (intitulé de cette disposition) aux droits de reproduction, de communication au public et de distribution, l’article 5, paragraphes 1 et 5, énonce ce qui suit :

« 1.      Les actes de reproduction provisoires visés à l’article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre :

a)      une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou

b)      une utilisation licite

d’une œuvre ou d’un objet protégé, et qui n’ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l’article 2.

[…]

5.      Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ».

II – Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

14.      La Stichting Brein est une fondation de défense des droits d’auteurs et d’autres droits voisins. Des associations de fabricants et d’importateurs de supports audiovisuels, de producteurs de cinéma, de distributeurs de films, de producteurs multimédia et d’éditeurs figurent parmi ses donateurs.

15.      M. Jack Frederik Wullems proposait au public, sur différents sites Internet (y compris sur son propre site, www.filmspeler.nl) différents modèles (11) d’un lecteur audiovisuel multimédia, commercialisé sous l’appellation « filmspeler ». Cet appareil sert d’intermédiaire entre une source de données visuelles ou de signaux audio et un écran de télévision. En dépit des particularités techniques qui différencient ces modèles, leur fonctionnement est essentiellement le même : lorsque le lecteur audiovisuel est connecté à l’internet et branché à l’écran (par exemple, de télévision) de l’utilisateur, cet écran peut reproduire en flux continu ou streaming l’image et le son en provenance d’un portail ou d’un site Internet.

16.      Le matériel (hardware) du lecteur audiovisuel peut être obtenu auprès de différents fournisseurs. Sur ses appareils, M. Wullems avait installé le logiciel à code source ouvert XBMC, qui permet de lire des fichiers dans une interface utilisateur (user interface) facile à utiliser au moyen de menus structurés et utilisable par tout un chacun. Il a également installé des modules complémentaires (add-ons), c’est-à-dire des logiciels indépendants développés par des tiers et qui peuvent être librement achetés sur Internet, qu’il a intégrés à l’interface utilisateur du logiciel XBMC.

17.      Ces modules complémentaires comportent des hyperliens qui renvoient d’un clic à des sites Internet de diffusion en flux continu, exploités par des tiers, qui donnent gratuitement accès à des films, des séries et des compétitions sportives (en direct) avec ou sans l’autorisation des ayants droit. La lecture des contenus numériques commence automatiquement d’un simple clic sur l’hyperlien correspondant (12).

18.      Quatorze de ces modules (13) contenaient des liens donnant accès à des films, à des séries et à des compétitions sportives (en direct) sans l’autorisation des titulaires du droit de reproduction. D’autres, en revanche, renvoyaient à des sites Internet de diffusion en flux continu dont les contenus numériques étaient diffusés avec l’autorisation des ayants droit (14).

19.      M. Wullems n’avait aucune influence sur les modules complémentaires ni ne les modifiait et l’utilisateur pouvait également les installer lui-même sur son lecteur audiovisuel. M. Wullems a fait de la publicité aussi bien sur son portail (www.filmspeler.nl) que sur les sites Internet de tiers au moyen des slogans suivants :

–        « Regarder des films, des séries, du sport en direct sans plus jamais payer et sans publicité ni temps d’attente (sans frais d’abonnement, plug & play), Netflix appartient ainsi au passé ! »

–        « Regarder gratuitement des films, des séries et du sport sans devoir payer ? Qui n’en a jamais rêvé ? ! »

–        « Plus jamais au cinéma grâce à notre logiciel XBMC optimalisé. Films et séries en haute définition gratuitement, y compris des films récemment sortis en salles, grâce à XBMC ».

20.      Le 22 mai 2014, la Stichting Brein a sommé M. Wullems de cesser de vendre son lecteur audiovisuel. Le 1er juillet 2014, elle l’a cité devant la juridiction de renvoi afin que celle-ci lui ordonne de cesser de commercialiser les appareils en cause et de fournir les hyperliens qui donnaient aux utilisateurs un accès illégal à des œuvres protégées par des droits d’auteur.

21.      À l’appui de ses conclusions, la fondation requérante faisait valoir qu’en vendant le lecteur multimédia filmspeler, M. Wullems effectuait une « communication au public » en violation des articles 1er et 12 de l’Auteurswet (loi néerlandaise sur le droit d’auteur) ainsi que des articles 2, 6, 7a et 8 de la Wet op de Naburige Rechten (loi sur les droits voisins).

22.      Pour le Rechtbank Midden-Nederland (tribunal du Midden-Nederland), les dispositions de droit national invoquées dans le litige doivent être interprétées à la lumière de l’article 3 de la directive 2001/29, dont elles sont la transposition en droit néerlandais. Les parties étant divisées sur le point de savoir si la vente du lecteur multimédia de M. Wullems vise à atteindre un « nouveau public », au sens de la jurisprudence de la Cour, le juge de renvoi estime que ni l’arrêt Svensson e.a. (15) ni l’ordonnance BestWater International (16) ne donnent suffisamment d’éléments qui permettraient de trancher cette controverse. Il subsiste donc, selon lui, un doute raisonnable quant au point de savoir s’il est question d’une communication au public lorsque l’œuvre a déjà été publiée, mais sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur.

23.      En second lieu, devant la juridiction de renvoi, M. Wullems fait valoir que l’écoute et la visualisation en flux continu d’œuvres protégées par le droit d’auteur à partir d’une source illicite relève de l’exception énoncée à l’article 13a de la loi néerlandaise sur le droit d’auteur. Cet article devant être interprété à la lumière de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29, le juge de renvoi relève que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur la signification de l’exigence d’une « utilisation licite » au sens de l’article 5 de cette directive.

24.      Dans ces conditions, le Rechtbank Midden-Nederland (tribunal du Midden‑Nederland) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur doit-il être interprété en ce sens qu’il y a une “communication au public” au sens de cette disposition lorsque quelqu’un vend un produit (lecteur multimédia) dans lequel il a installé des modules complémentaires contenant des hyperliens renvoyant à des sites Internet donnant directement accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur, telles que des films, des séries et des émissions en direct, sans l’autorisation des ayants droit ?

2)      Le point de savoir

–        si les œuvres protégées par le droit d’auteur n’ont jamais été publiées sur Internet avec l’accord du titulaire du droit d’auteur ou exclusivement par le biais d’un abonnement,

–        si les modules complémentaires contenant des hyperliens renvoyant à des sites Internet donnant directement accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur sans l’accord des ayants droit ou rendant ces œuvres librement accessibles et si ces modules complémentaires peuvent être installés sur le lecteur multimédia par les utilisateurs eux-mêmes et

–        si le public peut, même sans le lecteur multimédia, avoir accès aux sites et, donc, aux œuvres protégées par le droit d’auteur qui y sont rendues accessibles (sans l’accord des ayants droit)

a-t-il une incidence sur la réponse à donner à la première question ?

3)      L’article 5 de la directive […] doit-il être interprété en ce sens que le fait pour un consommateur final de réaliser une reproduction temporaire d’une œuvre protégée par le droit d’auteur obtenue en diffusion en flux continu sur un site Internet appartenant à un tiers sur lequel cette œuvre est proposée sans l’accord du ou des titulaires du droit d’auteur n’est pas une “utilisation licite” au sens du paragraphe 1, sous b), de cette disposition ?

4)      En cas de réponse négative à la troisième question, le fait pour un consommateur final de réaliser une reproduction temporaire d’une œuvre protégée par le droit d’auteur obtenue par diffusion en flux continu sur un site Internet appartenant à un tiers proposant cette œuvre sans l’autorisation du ou des titulaires du droit d’auteur est-il alors incompatible avec le “contrôle en trois étapes” que suppose l’article 5, paragraphe 5, de la directive […] ? »

III – La procédure devant la Cour et les arguments des parties

A –    La procédure

25.      L’ordonnance de renvoi a été déposée au greffe de la Cour le 5 octobre 2015.

26.      Les parties au principal, les gouvernements français, italien, portugais et espagnol ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites dans le délai indiqué à l’article 23, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice.

27.      Lors de l’audience du 29 septembre 2016, les représentants de la Stichting Brein, de M. Wullems, du gouvernement espagnol et de la Commission ont comparu.

B –    Les arguments

1.      Sur les première et deuxième questions

28.      La Stichting Brein ainsi que les gouvernements français, italien, portugais et espagnol considèrent qu’il convient de répondre à la première question par l’affirmative et que les éléments d’appréciation mentionnés aux trois tirets de la deuxième sont dénués de pertinence. Ils estiment qu’en l’espèce, les deux conditions cumulatives posées par la jurisprudence de la Cour, à savoir un « acte de communication » et un « public », sont réunies (17).

29.      La Cour ayant réitéré, dans cette jurisprudence, que la notion « d’acte de communication » devait être entendue au sens large (18), la Stichting Brein et les gouvernements susvisés estiment que l’appareil filmspeler produit l’effet d’une « mise à disposition » du public et, partant, d’un « acte de communication » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. La Cour a déjà jugé que le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site offre aux utilisateurs du premier site un accès direct à ces œuvres (19), sans qu’il soit déterminant que ces personnes utilisent ou non cette possibilité (20).

30.      Pour la Stichting Brein, il est dénué de pertinence que les hyperliens aient été mis à la disposition du public non pas par M. Wullems, mais par les opérateurs qui offrent les modules complémentaires. Le gouvernement français insiste sur deux aspects : a) le public ciblé par la communication initiale des œuvres protégées se composait des seuls abonnés des chaînes autorisées à diffuser les émissions en question ; et b) le site où se trouvaient les œuvres litigieuses était protégé par diverses mesures de restriction d’accès, comme il ressort de l’ordonnance de renvoi. En ce sens, le gouvernement espagnol souligne la nécessité de tenir compte des utilisateurs potentiels, actuels et futurs (21).

31.      En ce qui concerne le public « nouveau » (c’est-à-dire celui qui n’a pas été pris en compte par les auteurs des œuvres protégées lorsqu’ils ont autorisé la communication au public initiale) (22), la Stichting Brein souligne l’importance de l’autorisation donnée par les titulaires des droits pour la communication initiale par hyperlien. Le gouvernement portugais ajoute que, dans la mesure où l’acte consiste dans la mise à disposition d’œuvres protégées au moyen d’un procédé technique spécifique différent de la communication originale, il n’y aurait pas lieu, conformément à la jurisprudence, d’examiner la condition du « public nouveau », car chacune des nouvelles transmissions doit être autorisée individuellement et séparément par les auteurs concernés (23).

32.      M. Wullems et la Commission estiment, au contraire, qu’il n’y a pas d’« acte de communication » en l’espèce. M. Wullems fait principalement valoir que les modules complémentaires comprenant des hyperliens ne se trouvent pas dans l’appareil lorsqu’il est vendu à l’utilisateur final. Il ajoute qu’un hyperlien ne saurait constituer, en soi, un acte de communication au public.

33.      Pour la Commission, le filmspeler commercialisé par M. Wullems relève de la notion d’« installation » (au sens du considérant 27 de la directive 2001/29), en ce qu’il permet de réaliser, mais ne constitue pas en soi, une communication. Si le fait d’équiper une installation d’un logiciel faisait perdre à celle-ci sa qualité d’installation, le considérant 27 de la directive 2001/29 serait privé d’effet utile, car il ne s’appliquerait plus que dans un nombre très limité de cas. Si la thèse opposée était accueillie, les dispositions du chapitre III de cette directive n’auraient pas d’objet.

34.      En somme, la Commission craint qu’une interprétation trop large de la notion de « communication au public » bouleverse et mette en péril le juste équilibre des droits et des intérêts de toutes les parties impliquées, qu’elle estime être un objectif général inhérent à la directive 2001/29.

2.      Sur les troisième et quatrième questions

35.      La Stichting Brein et les gouvernements espagnol et français soutiennent que l’exception prévue à l’article 5 de la directive 2001/29 n’est pas applicable à la reproduction en flux continu d’une œuvre protégée par des droits d’auteur obtenue sur le site Internet d’un tiers sur lequel cette œuvre est proposée. Ils ajoutent que le paragraphe 1 de cet article ne concerne que les reproductions provisoires, transitoires ou accessoires, caractéristiques que ne présente pas celle fournie par le filmspeler, dès lors qu’elle ne constitue pas une « partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé », comme l’exige l’article 5, paragraphe 1, précité, et, plus particulièrement, son point b).

36.      Par ailleurs, dans leur réponse à la quatrième question préjudicielle, la Stichting Brein et le gouvernement espagnol (24) ont signalé que le raisonnement que la Cour a tenu lorsqu’elle a interprété ce qu’il est convenu d’appeler l’« exception de copie privée » prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 (25) est transposable à l’autorisation du flux continu à partir d’une source illicite. Dès lors qu’il n’est pas autorisé par les ayants droit, ce mode de reproduction à partir de sources illicites irait manifestement à l’encontre du contrôle en trois étapes cumulatives prévu à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 et dans la convention de Berne (26).

37.      En ce sens, ils soulignent que l’éventuelle utilisation massive du flux continu à partir de sources illégales exclut qu’elle s’applique uniquement à « certains cas spéciaux » et menace, de surcroît, l’« exploitation normale » des œuvres protégées, portant ainsi préjudice aux intérêts légitimes des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins.

38.      M. Wullems se contente de rappeler que le flux continu est un acte provisoire, transitoire ou accessoire, qui fait partie intégrante et essentielle d’un procédé technique. Le gouvernement portugais et la Commission, qui ne s’est exprimée en ce sens qu’à titre subsidiaire (27), partent de cette prémisse et ajoutent que la simple réception des transmissions (d’œuvres protégées) au moyen du procédé litigieux ne suppose pas une utilisation illicite au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Ils affirment que leur thèse s’appuie sur la jurisprudence (28) selon laquelle les copies en cache et les copies sur écran satisfont aux conditions cumulatives prévues à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ainsi qu’au paragraphe 5 de cet article.

39.      Le gouvernement portugais relève que les actes de reproduction temporaire en flux continu n’engendrent aucun avantage économique en dehors de celui tiré de la simple réception des œuvres. Il ajoute que, lorsque les actes de reproduction remplissent les conditions de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29, ils réunissent également les conditions d’application du paragraphe 5 de ce même article, ce qu’il déduit d’une jurisprudence de la Cour (29).

IV – Analyse des questions préjudicielles

A –    Sur les première et deuxième questions préjudicielles

40.      À mon sens, il convient d’examiner conjointement les deux premières questions préjudicielles, qui sont étroitement liées. La réponse qui doit être donnée à ces deux questions dépend, en grande partie, de certaines circonstances qui circonscrivent l’objet du litige de la manière suivante : a) M. Wullems vend (dans un but lucratif) un lecteur audiovisuel multimédia dans lequel il a installé des hyperliens renvoyant à des sites Internet qui donnent librement et gratuitement accès à des contenus numériques protégés par des droits d’auteur (30) ; b) les titulaires de ces droits soit n’ont pas autorisé leur communication au public, soit ne l’ont fait que pour certains sites accessibles avec un abonnement ou une souscription ; c) les utilisateurs peuvent eux-mêmes faire l’acquisition des modules complémentaires (add-ons) qui intègrent les hyperliens vers les sites Internet sur lesquels il est possible d’accéder librement aux œuvres protégées sans le consentement des titulaires ; et d) il n’est pas nécessaire de disposer d’un lecteur audiovisuel tel que celui proposé par M. Wullems pour visiter ces sites Internet.

41.      Bien qu’il soit tentant de retracer l’évolution jurisprudentielle, marquée par un nombre important d’arrêts, concernant l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il ne me semble pas nécessaire d’analyser une nouvelle fois l’expression « communication au public » ou les éléments qui lui sont propres, c’est-à-dire l’« acte de communication » d’une œuvre et le « public » auquel il s’adresse. Je préfère renvoyer aux précisions apportées dans l’arrêt GS Media, dans lequel la Cour cite ses propres précédents (31). La certitude dans l’application du droit exige sinon que les juridictions appliquent le principe stare decisis à proprement parler, du moins qu’elles aient la prudence de s’en tenir à ce qu’elles ont elles-mêmes décidé, après mûre réflexion, à l’égard d’un problème juridique déterminé. Tel doit être le cas, selon moi, de la jurisprudence établie (ou confirmée) dans l’arrêt GS Media concernant le rapport entre les hyperliens et la communication au public, dans le cadre de la directive 2001/29.

42.      Par conséquent, mes observations partiront des prémisses posées par la Cour, à savoir : a) le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées doit être qualifié de « mise à disposition » et ce comportement est un « acte de communication » (32) ; b) cette notion vise toute transmission des œuvres protégées, indépendamment du moyen ou du procédé technique utilisé (33) ; et c) il existe une présomption simple selon laquelle le placement d’un hyperlien vers une œuvre publiée illégalement (c’est-à-dire sans l’autorisation de ses ayants droit) sur Internet suppose une « communication au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/79 lorsqu’il est réalisé dans un but lucratif.

43.      En ce sens, je rappellerai que, pour la Cour, la notion de communication au public de l’œuvre protégée requiert soit qu’elle soit effectuée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés soit, à défaut, qu’elle cible un « public nouveau », c’est‑à‑dire un public que les titulaires des droits couvrant les œuvres protégées n’ont pas pris en compte lorsqu’ils ont autorisé leur diffusion initiale (limitée) (34).

44.      Si nous analysons les faits du litige à la lumière des prémisses susvisées, il n’est pas difficile de conclure que la jurisprudence énoncée dans l’arrêt GS Media concernant le rapport entre les hyperliens et la notion de communication au public leur est applicable, ce qui orientera, en grande partie, la réponse donnée aux deux premières questions préjudicielles.

45.      En effet, comme je l’ai déjà expliqué précédemment, M. Wullems installait dans l’interface utilisateur du logiciel XBMC les modules complémentaires (addons) contenant des hyperliens vers des sites Internet permettant d’accéder librement à des œuvres protégées par des droits d’auteur. Outre qu’il fournissait ce lien, M. Wullems était – ou devait être – conscient du fait que quatorze de ces modules incluaient des liens vers des contenus numériques mis sur Internet sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ou avec une autorisation donnée à la condition que seules certaines personnes puissent en jouir en prenant un abonnement, une souscription ou toute autre formule de paiement à la séance. Il va sans dire que M. Wullems agissait dans un but lucratif, dans la mesure où il vendait son lecteur audiovisuel multimédia.

46.      Le débat porte donc sur l’importance qu’il convient de donner à un élément supplémentaire, absent de l’affaire GS Media, que M. Wullems et la Commission ont mentionné dans leurs observations en signalant que la présente affaire porte sur la vente d’un lecteur audiovisuel multimédia et non sur la fourniture d’hyperliens. Ils estiment tous deux que cette vente et l’insertion d’hyperliens sur un site Internet ne sont pas assimilables et que, si la notion de « communication au public » doit s’entendre au sens large, elle ne peut toutefois pas être étendue sans limite jusqu’à couvrir la vente d’un lecteur multimédia (35).

47.      Au cours de l’audience, la Commission et M. Wullems ont souligné que l’intervention de ce dernier, qui se contentait de « faciliter » l’accès du public à des contenus téléchargeables sur d’autres sites Internet, n’était pas « cruciale ». Le filmspeler ne serait donc pas une partie « essentielle » du processus conduisant du site Internet sur lequel le contenu protégé est illégalement disponible jusqu’à l’utilisateur final. Dans cet ordre d’idées, la vente de l’appareil de M. Wullems donnerait un accès non pas direct, mais indirect aux contenus susmentionnés, de telle sorte que le lien ou le trait d’union entre lui et la mise des œuvres protégées à la disposition du public serait ténu et s’intègrerait dans une chaîne de transmission plus étendue.

48.      La thèse de M. Wullems et de la Commission est, de prime abord, séduisante. La vente, en tant que contrat dans le cadre duquel un lecteur audiovisuel multimédia est fourni en échange du prix payé, paraîtrait « neutre », c’est-à-dire sans lien direct avec la transmission des œuvres protégées. En outre, selon la Commission, l’élargissement du champ de la notion de « communication au public » doit avoir une limite (36).

49.      À mon sens, cependant, cette thèse est, en réalité, trop réductrice. La commercialisation du filmspeler va au-delà de la simple vente d’un accessoire technique, qui, selon la Commission, pourrait relever de la notion d’« installations destinées à permettre ou à réaliser une communication », accessoire technique dont « la mise à disposition […] ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive » (37).

50.      En effet, avec cet appareil, M. Wullems fournit indissociablement le hardware et le software nécessaires et directement destinés (38) à ce que les acheteurs accèdent, sur Internet, à des œuvres protégées par des droits d’auteur sans le consentement de leurs titulaires. Permettre cet accès immédiat à un public indéterminé fait partie de la valeur ajoutée de la prestation de M. Wullems, pour laquelle il reçoit le prix payé – ou, pour le moins, une grande partie de celui-ci – en échange du lecteur audiovisuel multimédia.

51.      J’estime qu’il n’existe pas de différence significative entre le fait d’insérer sur un site Internet des hyperliens qui renvoient à des œuvres protégées (39) et, comme en l’espèce, le fait de les installer dans un appareil multimédia conçu précisément pour être utilisé sur Internet (et, plus précisément, pour permettre aux utilisateurs d’accéder sans difficulté, directement et immédiatement, à des contenus numériques dont la jouissance n’a pas été autorisée par leurs auteurs). La fourniture de liens vers ces contenus protégés, leur mise à la disposition du public, est un trait commun à ces deux comportements, dont le caractère en apparence accessoire ou auxiliaire ne saurait occulter le fait qu’il s’agit d’activités visant à ce que tout un chacun n’ait qu’à activer l’hyperlien pour jouir des œuvres protégées (40).

52.      Quel que soit le mode selon lequel ou le moyen technique par lequel ils ont été insérés, les hyperliens ont pour fonction de permettre à des tiers d’accéder à des contenus numériques déjà « mis » – en l’occurrence, illégalement – en ligne. L’aspect pertinent de la communication au public réalisée par leur intermédiaire est le fait qu’elle étend le périmètre des utilisateurs potentiels, auxquels est fournie, j’insiste sur ce point, une fonctionnalité dans laquelle les sites Internet qui permettent de visualiser des contenus numériques sans payer ont été présélectionnés.

53.      On peut donc parler du rôle incontournable, au sens de la jurisprudence (41), joué par M. Wullems dans la communication au public d’œuvres protégées, intervention qu’il réalise délibérément et en ayant pleinement conscience de ses conséquences. Cela ressort notamment des exemples de publicités qu’il faisait pour son appareil (42).

54.      En somme, le filmspeler peut être considéré comme étant non pas une simple « installation » au sens du considérant 27 de la directive 2001/29, mais un mode de communication au public d’œuvres protégées par des droits d’auteur « mises » sur Internet de manière illicite auparavant. En équipant ses appareils d’hyperliens renvoyant à ces œuvres dans un but lucratif et en ayant conscience de leur illicéité, M. Wullems aide les acheteurs du filmspeler à éluder le versement de la contrepartie qui peut être exigée pour en jouir légitimement, c’est-à-dire la rémunération due à leurs auteurs, qui prend généralement la forme d’abonnements, de souscriptions ou d’autres formules de paiement à la séance.

55.      Étant établi que le filmspeler réalise une « communication au public » couverte par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 (43), il reste à savoir si ce public mérite d’être qualifié de « nouveau », conformément à l’interprétation donnée à cette notion jusqu’à ce jour.

56.      Selon la jurisprudence de la Cour, ce n’est qu’à défaut d’une communication de l’œuvre protégée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés que l’existence d’un « public nouveau » est exigée (44). Bien que ce soit au juge a quo d’apprécier les faits, la technique employée par M. Wullems ne semble présenter aucun caractère innovant, mais constitue plutôt une combinaison de techniques préexistantes. On pourrait donc accepter, pour simplifier le débat, qu’en l’espèce, nous ne sommes pas en présence d’un « mode technique spécifique et différent » au sens de la jurisprudence, ce qui nous amène à examiner si les acheteurs potentiels du filmspeler peuvent être qualifiés de « public nouveau ».

57.      Il ressort du dossier, et le gouvernement français le souligne à juste titre, que les ayants droit n’avaient soit pas autorisé la diffusion des œuvres protégées sur Internet, soit l’avaient autorisée uniquement pour des sites réservés aux abonnés, c’est-à-dire en accès restreint. L’appareil audiovisuel multimédia vendu par M. Wullems élargit donc le cercle des destinataires prévus par leurs auteurs, dans la mesure où il redirige aussi bien vers des sites Internet diffusant ces contenus numériques sans autorisation que vers des sites hébergeant des œuvres protégées et les proposant uniquement à certains utilisateurs qui doivent payer pour en bénéficier.

58.      Qui plus est, bien qu’il soit possible de trouver gratuitement sur Internet les modules complémentaires mis sur le marché, voire les hyperliens, le filmspeler comporte indéniablement un avantage pour une fraction non négligeable de ce public, à savoir les internautes qui ne sont pas particulièrement aguerris dans la découverte de sites illicites permettant de visionner des films et des séries télévisées, parmi d’autres contenus numériques. Il est possible que cette fraction du public préfère naviguer aisément dans le menu affiché à l’écran par le filmspeler plutôt que de rechercher, parfois laborieusement, les sites Internet qui offrent ces contenus.

59.      Quoi qu’il en soit, la diffusion d’œuvres protégées que M. Wullems favorise atteint un public qui n’a pas été pris en compte par les titulaires des droits d’auteur lorsqu’ils ont refusé d’autoriser leur consultation ou ne l’ont autorisée que dans les circuits payants, de telle sorte que la condition de l’existence d’un « public nouveau » est remplie (45).

60.      Je propose donc de répondre aux deux premières questions préjudicielles du Rechtbank Midden-Nederland (tribunal du Midden-Nederland) que constitue une « communication au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 la vente d’un lecteur audiovisuel (multimédia) dans lequel le vendeur a lui-même installé des hyperliens qui permettent d’accéder directement à des œuvres protégées, telles que des films, des séries et des émissions en direct, disponibles sur d’autres sites Internet sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur.

B –    Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles

61.      Dans ces questions préjudicielles, la juridiction de renvoi formule deux doutes qui, comme je l’ai déjà indiqué, concernent non pas le dispositif multimédia, mais le point de savoir si le comportement de l’utilisateur final qui, au moyen de cet appareil, réalise la « reproduction temporaire d’une œuvre protégée par le droit d’auteur obtenue en diffusion en flux continu sur un site Internet appartenant à un tiers sur lequel cette œuvre est proposée sans l’accord du ou des titulaires du droit d’auteur » est conforme à la directive 2001/29. Plus précisément, elle souhaite savoir si ce type de comportement pourrait être couvert par l’article 5, paragraphes 1 et 5, de cette directive.

62.      Ainsi formulées, ces deux questions ont suscité certaines objections de recevabilité, car elles semblaient excéder les limites du litige qui oppose la Stichting Brein à M. Wullems. Cependant, au vu des explications données par le juge a quo, il y a lieu de rejeter ces objections, étant donné que l’un des chefs de conclusions formulées par la Stichting Brein dans le litige au principal tendait à ce que M. Wullems soit condamné en tant qu’auteur de publicité trompeuse et de pratiques commerciales déloyales, car l’un des arguments publicitaires avancés dans ses annonces pour augmenter les ventes consistait à affirmer que la simple reproduction en flux continu d’œuvres à partir de sources illicites était licite (contrairement au téléchargement de ces œuvres). De ce fait, la juridiction de renvoi, qui est appelée à se prononcer sur ce chef de conclusions précis, a besoin de la réponse de la Cour concernant l’interprétation de l’article 5 de la directive 2001/29.

63.      Les considérations que j’exprimerai ci-après doivent se lire comme se rapportant aux faits du litige au principal, dans le cadre du chef de conclusions de la requérante que je viens de signaler, ainsi qu’à l’application de l’article 5 de la directive 2001/29.

1.      Sur l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29

64.      Dans l’éventail d’exceptions au droit de reproduction, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29 inclut les « actes de reproduction provisoires […], qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre […] une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé […] ». Cette exception bénéficie également à l’utilisateur final, et non uniquement aux prestataires de services en ligne ou aux intermédiaires, comme pourrait le laisser entendre le considérant 33 de la directive 2001/29 (46).

65.      Il ne me semble pas indispensable de vérifier, en l’espèce, si la visualisation d’une œuvre en flux continu, que permettent les hyperliens du filmspeler, ne revêt pas les caractères « transitoire » et « accessoire » visés dans la disposition reproduite ci-dessus (47). Pour trancher la controverse dans un sens ou l’autre, il faudrait, au préalable, porter des appréciations particulièrement techniques (concernant le stockage de données dans la mémoire tampon et l’obtention de copies dans la mémoire en cache ou sur écran) (48), sur l’analyse desquelles il ne me paraît pas nécessaire de s’attarder (49), dès lors qu’à mon sens, une autre exigence capitale pour bénéficier de l’exemption fait défaut : permettre une « utilisation licite » de l’œuvre protégée.

66.      En effet, on ne saurait parler d’une « utilisation licite » des œuvres protégées lorsque l’utilisateur final y accède dans les conditions du litige au principal, c’est-à-dire d’une utilisation de contenus numériques dont la diffusion a été soit refusée, soit restreinte par les titulaires des droits d’auteur, qui n’ont pas autorisé leur libre communication au public sur les sites Internet vers lesquels les liens insérés dans le filmspeler mènent.

67.      Il ne s’agit donc non pas de se prononcer sur le streaming de manière générale, mais d’évaluer, à la lumière de la disposition précitée, le comportement de l’utilisateur qui, dans les conditions de la présente affaire, reproduit sur son écran, au moyen de cette technique, des films et des séries protégés.

68.      Le développement des télécommunications (et, notamment, l’extension des réseaux de fibre optique, qui offrent des connexions très rapides) a contribué à ce que le phénomène des téléchargements illégaux sur des supports informatiques, qui a polarisé l’attention jusqu’il y a quelques années, soit lentement repoussé, sinon remplacé, par la reproduction de contenus numériques en flux continu, au point de hisser ce mode au rang des plus demandés. La visualisation en streaming depuis les plateformes payantes ne pose aucun problème majeur, sous l’angle de la propriété intellectuelle, pas plus que n’en pose le comportement de l’utilisateur qui regarde ou écoute des contenus numériques dont l’accès n’est pas restreint à partir de sites Internet qui les proposent gratuitement et licitement.

69.      La perspective change cependant lorsqu’entrent en jeu des sites Internet qui mettent à la disposition des utilisateurs des versions piratées (50) de ces contenus. La réponse donnée par la Cour dans l’arrêt GS Media concerne les personnes qui insèrent sur Internet un hyperlien vers des contenus protégés, sans l’autorisation de leur titulaire. Pour évaluer le comportement d’une telle personne, il faut se demander d’une part, si elle poursuivait un but lucratif (ce qui créerait une présomption simple que cette personne était consciente du fait que l’œuvre se trouvait illicitement sur Internet) et, d’autre part, si elle ne savait pas, et ne pouvait pas raisonnablement savoir, que la publication de cette œuvre sur Internet n’avait pas été autorisée (51).

70.      À mon sens, si l’élément clef est, pour la personne qui place un hyperlien sans poursuivre but lucratif, le fait qu’elle sache (ou, à tout le moins, qu’elle puisse raisonnablement savoir) que l’œuvre protégée se trouve illicitement sur Internet, il serait difficile de ne pas étendre ce critère à celles qui se contentent d’utiliser cet hyperlien, toujours sans but lucratif (52).

71.      Je pense, néanmoins, que la composante subjective est plus appropriée pour exclure la responsabilité d’une personne que pour se prononcer sur l’illicéité objective et, le cas échéant, sur la qualification du comportement. Pour donner une interprétation correcte à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il ne faut pas oublier que, conformément à son considérant 33, d’un point de vue objectif, la licéité dépend plutôt de l’autorisation du titulaire du droit d’auteur ou du licencié (53). Le fait que l’utilisateur final ignore l’inexistence de cette autorisation de manière excusable ou n’ait raisonnablement pas pu en avoir connaissance pourrait, sans doute, l’exempter de responsabilité (54), mais n’élimine pas, j’insiste, d’un point de vue strictement objectif, le caractère illicite de l’« utilisation » visée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29

72.      Comme il ressort du dossier que les œuvres protégées auxquelles les hyperliens placés dans le filmspeler de M. Wullems ne bénéficiaient pas de l’autorisation des titulaires des droits d’auteur, y compris le droit de reproduction visé à l’article 2 de la directive 2001/29, le téléchargement en flux continu effectué par l’utilisateur final au moyen de cet appareil ne concorde pas avec l’« utilisation licite » au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de cette directive.

2.      Sur l’application de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29

73.      Si, pour les besoins de l’argumentation, l’utilisation du filmspeler de M. Wullems pouvait relever de l’exception visée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29, elle devrait encore passer le test prévu au paragraphe 5 de cet article, sur lequel porte la quatrième question préjudicielle du juge a quo. Il s’agirait donc d’analyser si, en l’espèce, les conditions énoncées à l’article 5, paragraphe 5, de cette directive sont réunies (55).

74.      Cet article dispose que l’exception prévue au paragraphe 1 (parmi d’autres) en faveur de la reproduction provisoire n’est applicable que « dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ».

75.      Or, à mon sens, aucune de ces trois conditions n’est remplie en l’espèce. En premier lieu, l’appareil vendu par M. Wullems permet d’innombrables téléchargements de films, de séries, d’événements sportifs et d’autres types d’émissions, sans le consentement des titulaires des droits de reproduction. Comme le font valoir la Stichting Brein et le gouvernement espagnol, on ne saurait donc soutenir que nous sommes en présence de simples « cas spéciaux », comme l’exige la règle en cause.

76.      En deuxième lieu, d’un point de vue technique, il n’y a pas lieu d’assimiler le comportement d’une personne qui navigue sur Internet et y consulte des sites à celui d’une personne qui reproduit en streaming des films et des séries protégées. Dans le premier cas, la copie transitoire que le procédé technique oblige à effectuer peut entraîner une exploitation normale des œuvres, qui permet aux internautes de bénéficier de la communication au public faite par l’éditeur du site Internet concerné (56). En revanche, dans le cas d’un internaute qui regarde des œuvres protégées sur son écran en flux continu, il ne s’agit pas d’une « exploitation normale » de l’œuvre, imposée par la technologie indispensable pour naviguer sur Internet, mais d’un acte juridiquement « anormal » qui répond à l’intention délibérée de l’utilisateur de jouir des contenus numériques sans verser la moindre contrepartie économique, à l’aide du filmspeler.

77.      Dans ces circonstances, accepter des reproductions réalisées de manière indistincte ou généralisée à partir de sources illicites ou en violation des limites d’accès irait à l’encontre de la directive 2001/29. Admettre leur validité reviendrait à encourager la circulation de contenus numériques piratés et, dans la même mesure, à compromettre gravement la protection des droits d’auteur ainsi qu’à promouvoir des formes illégales de commercialisation, au détriment du bon fonctionnement du marché intérieur (57).

78.      En troisième lieu, le droit de reproduction ayant été accordé, comme il ressort du dossier, pour les seuls circuits dont l’utilisateur final peut bénéficier en payant au préalable (une souscription, un abonnement ou une autre formule analogue), ces innombrables visualisations en flux continu, sans contrepartie économique versée au titulaire des droits, impliquent simultanément, par la force des choses, une diminution du volume des abonnés à ces circuits et, partant, une « atteinte à l’exploitation normale des œuvres protégées », pour citer l’arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a. (58).

79.      En effet, on peut reprendre ici les considérations exprimées par la Cour dans l’arrêt ACI Adam e.a. Elle y a dit à propos de l’interprétation de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 qu’« admettre que de telles reproductions puissent être réalisées à partir d’une source illicite encouragerait la circulation des œuvres contrefaites ou piratées, diminuant ainsi nécessairement le volume des ventes ou d’autres transactions légales relatives aux œuvres protégées, de sorte qu’il serait porté atteinte à l’exploitation normale de celles-ci » (59). La vente du filmspeler entre donc en conflit avec les « intérêts légitimes du titulaire du droit d’auteur », qui n’aurait pas autorisé une diffusion ouverte de ses œuvres.

80.      En somme, j’estime que le téléchargement en flux continu de contenus numériques protégés, sans l’autorisation des titulaires des droits d’auteur, ne réunit pas les conditions énoncées à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, car il ne constitue pas un cas spécial, porte atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de ces titulaires.

81.      Compte tenu du caractère cumulatif des conditions que je viens de signaler, caractère auquel la Cour a fait allusion (60), la triple contre-exception visée à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 est applicable en l’espèce. L’exemption du droit de reproduction ne saurait donc être invoquée.

82.      Je suggère donc de répondre aux troisième et quatrième questions préjudicielles que, dans les circonstances du litige au principal, la reproduction en flux continu d’une œuvre protégée par le droit d’auteur ne saurait bénéficier de l’exception énoncée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29 dans la mesure où elle ne relève pas de la notion d’« utilisation licite » au sens du point b) de cette disposition et ne résiste pas, en tout état de cause, à l’examen en trois étapes prévu à l’article 5, paragraphe 5, de cette directive.

V –    Conclusion

83.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Rechtbank Midden-Nederland (tribunal du Midden-Nederland, Pays-Bas) comme suit :

La vente d’un lecteur audiovisuel multimédia, tel que celui qui est en cause au principal, dans lequel le vendeur a installé des hyperliens renvoyant à des sites Internet qui, sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur, donnent librement accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur, telles que des films, des séries et des émissions en direct,

–        constitue une “communication au public” au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ; et

–        ne saurait bénéficier de l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29 dans la mesure où elle ne relève pas de la notion d’“utilisation licite” visée au point b) de cette disposition et, en tout état de cause, ne respecte pas les conditions d’application de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).


3      Les termes « lien hypertexte » et « hyperlien » sont utilisés comme synonymes de « lien ». Les uns comme l’autre se réfèrent, dans les langages de la programmation et des documents numériques, à la liaison établie entre différents segments d’information, en ce sens que, lorsqu’ils sont activés, ils interconnectent des nœuds ou des blocs de texte, des images, des fichiers audio ou des vidéos.


4      En ce qui concerne notamment les liens et la notion de communication au public dans le cas d’œuvres consultables sur d’autres sites Internet, voir arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76). Dans l’ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C‑348/13, non publiée, EU:C:2014:2315), la Cour a appliqué les raisonnements tenus dans cet arrêt à la technique de la « transclusion » (« framing »), par laquelle, lorsqu’ils cliquent sur le lien, les utilisateurs sont dirigés vers le portail d’un tiers, sur lequel l’œuvre apparaît en donnant l’impression qu’elle appartient au contenu du site sur lequel se trouve ce lien.


5      Arrêt du 8 septembre 2016, GS Media (C‑160/15, EU:C:2016:644, ci-après l’« arrêt GS Media »).


6      Bien que la réglementation en vigueur dans ce domaine utilise le terme « œuvres », j’emploierai également, sans distinction, l’expression « contenus numériques » pour désigner, dans un cas comme dans l’autre, dans ce contexte, les contenus protégés par des droits d’auteur.


7      Ordonnance de renvoi, point 6.14.


8      Concernant la réception de contenus numériques, généralement audio ou vidéo, en flux continu ou streaming (c’est-à-dire sans les enregistrer ou les copier dans la mémoire des divers dispositifs, mais uniquement dans la mémoire tampon), voir arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147).


9      Directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO 1993, L 290, p. 9).


10      Directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO 2006, L 372, p. 12).


11      Sous les noms Filmspeler X5 fully loaded, Filmspeler Compleet (Raspberry pi), Minix Neo X7, Filmspeler X90 fully loaded et Turbo Sd/usb configuratie.


12      Il s’agit donc, dans le jargon électronique, de « liens profonds » (deep hyperlinks) et non de simples liens vers la page d’accueil des sites Internet vers lesquels il est renvoyé.


13      Il s’agit des modules complémentaires 1Channel, Glow movies HD, Go Movies, Icefilms, Mashup, Much Movies, Much Movies HD, Istream, Simply Movies, Simply Player, Yify Movies HD, Ororo.tv, Teledunet.com et Go TV.


14      Tels que Youtube, Sports illustrated, Uitzending gemist, Music video box, Vimeo, ESPN 3, RTLXL, SkyFM et Soundcloud.


15      Arrêt du 13 février 2014 (C‑466/12, EU:C:2014:76).


16      Ordonnance du 21 octobre 2014 (C‑348/13, non publiée, EU:C:2014:2315).


17      Arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147, points 21 et 31).


18      Arrêts du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 36) et du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 186).


19      Arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76, point 18).


20      Arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76, point 19 et jurisprudence citée).


21      Arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, points 37 à 39).


22      Arrêts du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147, point 37) et du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 197).


23      Suivant l’arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147, points 22 à 26 et 39).


24      Compte tenu de la réponse qu’il propose de donner, le gouvernement français n’a formulé aucune observation au sujet de la quatrième question préjudicielle, qui présente un caractère subsidiaire par rapport à la troisième.


25      Arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a. (C‑435/12, EU:C:2014:254, points 37 et 39).


26      Convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979.


27      La Commission doute qu’il soit nécessaire de répondre aux troisième et quatrième questions préjudicielles, car : a) elles concernent non pas la vente du filmspeler, mais la technologie de flux continu ou streaming ; et b) elles visent non pas le comportement du vendeur du lecteur multimédia, mais celui de l’utilisateur final.


28      Arrêt du 5 juin 2014, Public Relations Consultants Association (C‑360/13, EU:C:2014:1195).


29      Ordonnance du 17 janvier 2012, Infopaq International (C‑302/10, EU:C:2012:16, point 57), et arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 181).


30      Ils permettent également d’accéder librement et gratuitement à d’autres contenus, dont la diffusion publique n’est pas non plus autorisée par les personnes qui ont effectué la retransmission initiale, mais qui ne bénéficient pas de la protection des droits d’auteur stricto sensu. Tel est notamment le cas des retransmissions en direct de certains événements sportifs qui n’entrent pas dans la catégorie des œuvres originales au sens de la directive 2001/29 (bien que les droits de reproduction attribués par des licences exclusives à certains opérateurs de télévision puissent être protégés par d’autres règles). La Cour s’est prononcée en ce sens au point 98 de l’arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631), en affirmant que « les rencontres sportives ne sauraient être considérées comme des créations intellectuelles qualifiables d’œuvres au sens de la directive sur le droit d’auteur ».


31      Voir arrêt GS Media et, plus particulièrement, point 32 et jurisprudence citée. Au lendemain de cet arrêt, en toute logique et comme d’ordinaire, des commentaires, les uns négatifs, les autres élogieux, ont commencé à apparaître dans les milieux spécialisés. Voir, par exemple, parmi ceux publiés peu de temps après cet arrêt, l’article d’European Law Blog du 20 septembre 2016 intitulé « Saving the Internet or linking limbo ? CJEU clarifies legality of hyperlinking (C‑160/15, Gs Media v Sanoma) » ou le débat de la session plénière du 20 septembre 2016 du 47e congrès mondial de l’International Association for the Protection of Intellectual Property (AIPPI) concernant The CJEU case law on hyperlinking et le rapport élaboré au préalable par le groupe de travail constitué autour du thème Linking and making available on the Internet.


32      Arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76, point 20). Dans cette affaire, la Cour a, en fin de compte, écarté l’hypothèse d’une communication à un public « nouveau », car la communication initiale ciblait l’ensemble des internautes, dès lors que les liens dirigeaient vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site Internet (points 18, 25 et 26).


33      Arrêt du 31 mai 2016, Reha Training (C‑‑117/15, EU:C:2016:379, point 38).


34      Aux termes du point 31 de l’arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76), « […] dans l’hypothèse où un lien cliquable permet aux utilisateurs du site sur lequel ce lien se trouve de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée afin d’en restreindre l’accès par le public à ses seuls abonnés et, ainsi, constitue une intervention sans laquelle lesdits utilisateurs ne pourraient pas bénéficier des œuvres diffusées, il y a lieu de considérer l’ensemble de ces utilisateurs comme un public nouveau, qui n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de sorte que l’autorisation des titulaires s’impose à une telle communication au public ». La Cour a approfondi cette idée au point 14 de l’ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C‑348/13, non publiée, EU:C:2014:2315). L’élément déterminant est le fait que les personnes qui composent le public puissent avoir accès au contenu numérique, et non qu’elles utilisent réellement cette possibilité, comme il est indiqué au point 43 de l’arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764).


35      La Commission attire l’attention sur le fait que la présente affaire porte précisément sur la « vente » du lecteur multimédia filmspeler, lequel relève, selon elle, de la notion d’« installation » visée au considérant 27 de la directive 2001/29. Elle affirme que le filmspeler permet de réaliser la communication, mais ne lui est pas assimilable.


36      Après avoir reconnu, au cours de l’audience, ne pas être satisfaite par les arrêts du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76) et GS Media, la Commission a mis en garde contre l’incertitude juridique que cette orientation jurisprudentielle pouvait comporter. D’autres voix se sont élevées pour reprocher à la Cour de créer du droit plutôt que d’interpréter celui en vigueur. Je ne souscris pas à cette dernière critique, car, dans ses décisions en la matière, la Cour s’est contentée de mettre en évidence le potentiel, jusqu’alors insuffisamment signalé, d’une notion juridique (la « communication au public ») aux contours flous tout en adaptant son application au développement de technologies qui évoluent très rapidement et au moyen desquelles des œuvres protégées par des droits d’auteur sont constamment mises à la disposition du public.


37      Considérant 27 de la directive 2001/29.


38      Il est possible de visualiser et d’écouter les œuvres protégées grâce à l’installation des modules complémentaires comportant des hyperliens vers les sites Internet, que M. Wullems a réalisée dans le logiciel XBMC. Grâce aux menus installés dans l’interface du logiciel XBMC, avec les modules complémentaires qui redirigent vers ces sites, un téléspectateur utilisant le filmspeler devient un internaute qui peut les visiter.


39      Comme dans les faits qui ont donné lieu aux arrêts du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76) et GS Media ainsi qu’à l’ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C‑348/13, non publiée, EU:C:2014:2315).


40      Sous un autre éclairage, le comportement de M. Wullems se rapproche, sans y correspondre parfaitement, avec celui que la Cour a décrit dans l’arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764). Le signal distribué par l’établissement hôtelier au moyen des appareils de télévision disponibles dans ses chambres constituait, selon la Cour, un acte de communication au public au sens de la directive 2001/29.


41      Arrêt GS Media, point 35 et jurisprudence citée.


42      Voir point 19 des présentes conclusions.


43      Arrêt GS Media, point 51.


44      Ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C‑348/13, non publiée, EU:C:2014:2315, point 14 et jurisprudence citée).


45      Il y a toutefois lieu de préciser que seule la diffusion que le filmspeler fournit à l’utilisateur final par l’intermédiaire des hyperliens réunis dans les quatorze modules complémentaires qui redirigent spécifiquement vers des sites Internet où il est possible de télécharger en flux continu les œuvres protégées sans le consentement des titulaires des droits d’auteur présente les caractéristiques d’une « communication au public » telle qu’interprétée par la Cour. S’agissant des liens vers des films, des séries et des compétitions sportives dont la diffusion a été autorisée par ces titulaires sans aucune restriction, ils sont librement accessibles et l’arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76, points 25 et 26) leur serait applicable.


46      Cela ressort, implicitement, de l’arrêt du 5 juin 2014, Public Relations Consultants Association (C‑360/13, EU:C:2014:1195).


47      Il est significatif, à cet égard, que les versions en langues anglaise et allemande emploient respectivement les termes « transient » et « flüchtig », qui évoquent un laps de temps fugace ou éphémère. Les termes « voorbijgaande » et « transitorio » qui figurent respectivement dans les versions en langue néerlandaise et espagnole correspondent davantage au caractère passager d’un acte.


48      Les copies en cache et celles sur écran satisfont aux conditions énoncées à l’article 5, paragraphes 1 et 5, de la directive 2001/29, conformément à l’arrêt du 5 juin 2014, Public Relations Consultants Association (C‑360/13, EU:C:2014:1195, points 26 et 27).


49      Selon ce mode de reproduction, dans lequel la copie de fichier est remplacée par le stockage du flux de téléchargement dans la mémoire tampon de l’utilisateur, cette dernière « consomme » le produit parallèlement à sa visualisation, ce qui évite les problèmes liés à la copie plus lente des fichiers téléchargés. On pourrait soutenir que, bien qu’elle ne soit pas fixée sur un support informatique déterminé et apparaisse uniquement à l’écran, cette reproduction dure (dans le cas des films ou des séries télévisées, par exemple) trop longtemps pour être qualifiée de transitoire. En ce sens, à supposer que le caractère transitoire de la reproduction en flux continu soit admis, on pourrait se demander si elle « constitu[e] une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique », autre condition impérative de l’exception visée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29.


50      Dans ce contexte, les expressions « piraterie » et « piraté » sont non seulement évocatrices, mais acquièrent leurs lettres de noblesse dans la terminologie juridique du droit d’auteur. La Cour s’est référée aux « œuvres piratées » qui portent atteinte à l’exploitation normale de celles protégées par le droit d’auteur, conformément à la directive 2001/29, au point 39 de l’arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a. (C‑435/12, EU:C:2014:254).


51      Cette position se justifie parce qu’il est difficile de vérifier si le site Internet vers lequel les liens mènent donne accès à des œuvres qui sont protégées et si les titulaires des droits d’auteur de ces œuvres ont autorisé leur publication sur Internet. Cela ressort des points 46 à 48 de l’arrêt GS Media.


52      À mesure que les internautes prendront conscience de la nécessité de respecter les droits des créateurs de contenus et que, simultanément, les offres de plateformes qui les mettent licitement à leur disposition se développeront, il sera de plus en plus difficile, pour qui reproduit des œuvres piratées à partir d’hyperliens, de se défendre en affirmant ignorer que titulaires des droits d’auteur n’avaient pas donné leur autorisation.


53      L’exposé des motifs de la position commune (CE) no 48/2000, arrêtée par le Conseil le 28 septembre 2000 en vue de l’adoption de la directive 2000/.../CE du Parlement européen et du Conseil du .. sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2000, C 344, p. 1) énonce : « [d]ans le considérant 33, le Conseil a ajouté une définition des termes “utilisation licite” […] ». C’est moi qui souligne.


54      Il s’agirait d’« actes qui sont perpétrés par des consommateurs finaux agissant de bonne foi » au sens du considérant 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle.


55      Aux termes de l’arrêt du 5 juin 2014, Public Relations Consultants Association (C‑360/13, EU:C:2014:1195, point 53), « […] pour pouvoir invoquer l’exception prévue par [l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29], telle qu’interprétée au point précédent du présent arrêt, encore faut-il que ces copies remplissent les conditions fixées à l’article 5, paragraphe 5, de [ladite] directive […] ».


56      Ibidem, point 61.


57      Arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a. (C‑435/12, EU:C:2014:254, points 35 et 36).


58      Ibidem, point 39.


59      Ibidem.


60      Arrêt du 5 juin 2014, Public Relations Consultants Association (C‑360/13, EU:C:2014:1195, point 53 et jurisprudence citée).