Language of document : ECLI:EU:T:1999:65

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

25 mars 1999 (1)

«Concurrence — Règlement (CEE) n° 4064/89 — Décision déclarant une concentration incompatible avec le marché commun — Recours en annulation — Recevabilité — Intérêt à agir — Champ d'application territorial du règlement (CEE) n° 4064/89 — Position dominante collective — Engagements»

Dans l'affaire T-102/96,

Gencor Ltd, société de droit sud-africain, établie à Johannesburg (république d'Afrique du Sud), représentée par MM. Paul Lasok, QC à Londres, James Flynn et David Hall, solicitors à Londres, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Marc Loesch, 11, rue Goethe,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Richard Lyal, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

République fédérale d'Allemagne, représentée par MM. Ernst Röder, Ministerialrat, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat, en qualité d'agents, ministère fédéral de l'Économie et de la Technologie, Bonn (Allemagne),

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 97/26/CE de la Commission, du 24 avril 1996, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l'accord sur l'Espace économique européen (affaire n° IV/M.619 — Gencor/Lonrho) (JO 1997, L 11, p. 30),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),

composé de MM. J. Azizi, président, B. Vesterdorf, R. García-Valdecasas, R. M. Moura Ramos et M. Jaeger, juges,

greffiers: MM. J. Palacio González et A. Mair, administrateurs,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 18 février 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1. Opération de concentration en cause

Parties à l'opération de concentration

1.
    Gencor Ltd (ci-après «Gencor») est une société de droit sud-africain. Il s‘agit de la société mère d'un groupe dont les activités principales se situent dans les secteurs minier et métallurgique.

2.
    Impala Platinum Holdings Ltd (ci-après «Implats») est une société de droit sud-africain regroupant les activités de Gencor dans le secteur des platinoïdes. Détenue à 46,5 % par Gencor et à 53,5 % par le public, elle est contrôlée par Gencor au

sens de l‘article 3, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, rectificatifs au JO 1990, L 257, p. 13, ci-après «règlement n° 4064/89»).

3.
    Lonrho Plc (ci-après «Lonrho») est une société de droit anglais. Il s‘agit de la société mère d‘un groupe exerçant des activités diversifiées dans les secteurs minier et métallurgique, ainsi que dans l‘hôtellerie, l‘agriculture et le négoce en général.

4.
    Eastern Platinum Ltd (ci-après «Eastplats») et Western Platinum Ltd (ci-après «Westplats»), généralement connues sous le nom de Lonrho Platinum Division (ci-après «LPD»), sont des sociétés de droit sud-africain qui regroupent les activités de Lonrho dans le secteur des platinoïdes. Elles sont détenues à 73 % par Lonrho et, par l'intermédiaire d'Implats, à 27 % par Gencor. Cette dernière participation est assortie d'un pacte d'actionnaires conclu le 15 janvier 1990 par les groupes Gencor et Lonrho (ci-après «pacte d'actionnaires») . Ce pacte prévoit que chaque actionnaire désigne un nombre égal d'administrateurs dans le conseil d‘administration, qui se partagent les droits de vote à parité et dont aucun n'a de voix prépondérante. L'accord du conseil d'administration est nécessaire pour certaines décisions, notamment dans les domaines suivants: diversification des activités de LPD, montant des dividendes à distribuer, plan stratégique et budget annuels, approbation des comptes annuels et modifications du taux de rémunération des actionnaires. L'accord des actionnaires est nécessaire pour les décisions d'investissement et de cession importantes. Les activités de gestion restent assurées, en vertu d'accords signés par Eastplats et Westplats (ci-après «accords de gestion») , par Lonrho Management Services (ci-après «LMS»), société de droit sud-africain contrôlée par Lonrho.

Projet d'opération de concentration

5.
    Gencor et Lonrho projetaient de prendre en commun le contrôle d‘Implats et, au travers de cette entreprise, d‘Eastplats et de Westplats (LPD), au terme d‘une opération qui devait se dérouler en deux étapes. La première étape devait permettre la prise de contrôle en commun d‘Implats par Gencor et Lonrho. La seconde visait à conférer à Implats le contrôle exclusif d‘Eastplats et de Westplats. En contrepartie de la cession de sa participation au capital d‘Eastplats et de Westplats, Lonrho devait augmenter sa participation dans Implats.

6.
    Au terme de l'opération, Implats devait détenir le contrôle exclusif d'Eastplats et de Westplats. Elle-même devait être détenue à concurrence de 32 % par Gencor, de 32 % par Lonrho et de 36 % par le public. Un accord sur la désignation des administrateurs et sur les modalités de vote devait, par ailleurs, régir le comportement des deux principaux actionnaires pour les questions les plus importantes de sa vie sociale, leur conférant ainsi le contrôle en commun d‘Implats.

2. Procédure administrative

7.
    Le 20 juin 1995, Gencor et Lonrho ont annoncé la conclusion d‘un accord-cadre visant à la mise en commun de leurs activités respectives dans le secteur des platinoïdes. Le même jour, les parties ont adressé à la Commission une copie du communiqué de presse qui annonçait la transaction.

8.
    Le 22 août 1995, l‘Office sud-africain de la concurrence (South African Competition Board) a fait savoir aux parties que, au vu des documents qu‘elles lui avaient transmis le 14 août 1995, l‘opération ne soulevait pas de problème sur le plan du droit sud-africain de la concurrence.

9.
    Le 10 novembre 1995, Gencor et Lonrho ont signé une série d‘accords relatifs à l‘opération de concentration. Au nombre des ces documents figurait l‘accord d‘achat, dont l'exécution était soumise à la réalisation de certaines conditions suspensives, notamment l'approbation de l'opération par la Commission avant le 30 juin 1996 ou, de l'accord des parties, au plus tard le 30 septembre 1996, conformément aux clauses 3.1.8 et 3.3 de l'accord d'achat.

10.
    Le 17 novembre 1995, Gencor et Lonrho ont conjointement notifié à la Commission ces accords ainsi que leurs annexes au moyen du formulaire CO, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 .

11.
    Par décision du 8 décembre 1995, la Commission a ordonné de surseoir à la réalisation de l'opération de concentration, en vertu de l'article 7, paragraphe 2, et de l‘article 18, paragraphe 2, du même règlement, jusqu'à ce qu'elle ait adopté une décision finale.

12.
    Par décision du 20 décembre 1995, elle a estimé que l‘opération de concentration soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et a donc engagé la procédure prévue par le règlement n° 4064/89, conformément à l‘article 6, paragraphe 1, sous c), de celui-ci.

13.
    Le 13 mars 1996, l‘Anglo American Corporation of South Africa Ltd (ci-après «AAC») a acquis une participation de 6 % dans le capital de Lonrho avec un droit de préemption sur une autre participation de 18 %. Elle est le principal concurrent de Gencor et de Lonrho dans le secteur des platinoïdes, par l'intermédiaire de la société Amplats qui est liée à elle et qui est le premier fournisseur mondial.

14.
    A la suite d'une réunion organisée par la Commission le 13 mars 1996, la requérante et Lonrho ont entamé des discussions avec les services de la Commission afin d'examiner la possibilité de proposer des engagements en application de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89.

15.
    Le 27 mars 1996, la Commission a fait savoir à Gencor et à Lonrho que l‘une de ses principales inquiétudes à l‘égard de l‘opération de concentration portait sur

l‘éventualité d‘une limitation de la production, qui serait de nature à exercer une pression ascendante sur les prix. Elle a rappelé, à ce propos, que les engagements de nature comportementale ne sont normalement pas acceptés par l‘autorité communautaire.

16.
    Le 1er avril 1996, après une série de réunions et de propositions à ce sujet, Gencor et Lonrho ont soumis la dernière version des engagements qu‘ils proposaient. Ces engagements concernaient notamment le volume de production d'un site particulier.

17.
    Par lettre du 2 avril 1996, la Commission a critiqué ces propositions d‘engagements, au motif qu‘elles ne répondaient pas à ses préoccupations. En particulier, elle a noté les difficultés qu‘entraînerait la vérification de ces engagements et les problèmes qu‘occasionnerait l‘annulation de l‘opération s'ils étaient violés. Elle a ajouté que ces propositions ne tenaient pas compte de l‘évolution prévisible de la demande.

18.
    Le 9 avril 1996, le comité consultatif en matière de concentration entre entreprises (ci-après «comité consultatif») a rendu son avis sur l'opération de concentration et les engagements proposés par la requérante et Lonrho. Il a manifesté son accord sur la proposition de décision de la Commission en ce qui concerne la nature de la concentration, sa dimension communautaire, le marché de produits et le marché géographique pertinents, ainsi que l‘insuffisance des engagements présentés. Une majorité de ses membres a accepté l‘analyse de la Commission selon laquelle l‘opération de concentration entraînerait la création d‘une position dominante oligopolistique sur les marchés concernés, ainsi que sa conclusion selon laquelle l‘opération serait incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l'Espace économique européen (ci-après «EEE»). Une minorité de ses membres a exprimé ses doutes quant à la possibilité d‘appliquer le règlement n° 4064/89 aux situations de dominance oligopolistique, ce qui a entraîné son abstention sur la question de savoir si l'opération était ou non incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l'EEE.

19.
    Le 19 avril 1996, le ministre délégué aux Affaires étrangères sud-africain a transmis officiellement à la Commission les observations de son gouvernement sur l'opération de concentration envisagée. Dans cette lettre, il s'est borné à déclarer qu'il n'entendait pas contester la position de politique de la concurrence adoptée par la Communauté dans le domaine des concentrations et des pratiques collusoires mais que, compte tenu de l'importance des ressources minérales pour l'économie de l'Afrique du Sud, il souhaitait privilégier l'action sur les cas de collusioneffective, quand ils apparaîtraient. Dans le cas particulier, le gouvernement sud-africain considérait que, dans certaines situations, deux concurrents de forces égales étaient préférables à la situation d'alors, dans laquelle il n'existait qu'une entreprise minière dominante dans le secteur. Selon lui, bien que l'essentiel des réserves de platine fussent situées dans son pays, celles situées à l‘étranger pouvaient en

théorie satisfaire la demande pour 20 ans, hormis les importantes ressources potentielles du Zimbabwe. Enfin, le gouvernement sud-africain exprimait son souhait d'explorer ces questions avec la Commission et demandait que la décision fût reportée jusqu‘à l'organisation de telles discussions.

20.
    Par décision 97/26/CE, du 24 avril 1996 (JO 1997, L 11, p. 30, ci-après «décision litigieuse»), la Commission a déclaré l'opération de concentration incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l‘EEE, en application de l‘article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, parce que le résultat de l'opération aurait été la création d'une position dominante duopolistique d'Amplats et d'Implats/LPD sur le marché mondial du platine et du rhodium avec comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun.

21.
    Par lettre du 21 mai 1996, Lonrho a fait savoir à la requérante qu‘elle n‘entendait pas prolonger du 30 juin au 30 septembre 1996 le délai prescrit par l'accord d‘achat pour la réalisation des conditions suspensives, la condition de l‘approbation de l'opération par la Commission énoncée par la clause 3.1.8 de l'accord n‘ayant pas été réalisée dans les temps requis .

Procédure judiciaire

22.
    Le 28 juin 1996, la requérante a introduit le présent recours en annulation à l'encontre de la décision litigieuse.

    

23.
    Le 3 décembre 1996, la requérante a formulé une demande de mesures d'organisation de la procédure ou d'instruction, en application des articles 49, 64 et 65 du règlement de procédure, afin d'établir de façon précise le statut juridique et la portée des lettres officielles émanant des autorités sud-africaines de la concurrence, ainsi que le champ d'application et les conditions de mise en oeuvre du droit sud-africain de la concurrence.

24.
    Les 18 décembre 1996, 24 janvier et 30 juillet 1997, la Commission a présenté ses observations sur cette demande.

25.
    Les 25 novembre et 3 décembre 1996, la République fédérale d'Allemagne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont présenté une demande d'intervention au soutien des conclusions de la Commission.

26.
    Les 11 décembre 1996 et 3 janvier 1997, la requérante a demandé un traitement confidentiel de certains éléments du dossier à l'égard, respectivement, de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni.

27.
    Le 19 février 1997, le Tribunal a demandé à la requérante et à Lonrho de répondre à certaines questions au sujet de la recevabilité du recours et de produire certains documents. Respectivement les 1er avril et 10 mars 1997, la requérante et

Lonrho ont répondu aux questions du Tribunal. La requérante a déposé les documents demandés, notamment les accords de gestion conclus le 15 janvier 1990 par Eastplats et Westplats avec LMS, ainsi que l'accord connu sous le nom de pacte d'actionnaires, conclu également le 15 janvier 1990 entre Gencor et Lonrho, concernant le contrôle de LPD.

28.
    Par ordonnance du 3 juin 1997, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal a, d'une part, admis la République fédérale d'Allemagne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à intervenir, et, d'autre part, fait partiellement droit à la demande de traitement confidentiel.

29.
    Le 27 juin 1997, la requérante a présenté une demande complémentaire de traitement confidentiel concernant certaines données du dossier.

30.
    Par ordonnance du 16 juillet 1997, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal y a fait droit.

31.
    Le 22 septembre 1997, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a renoncé à son intervention. Le 26 septembre 1997, la République fédérale d'Allemagne a déposé son mémoire en intervention.

32.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure, la partie requérante et la Commission ont été invitées à produire le texte complet des engagements proposés par les parties à la concentration lors de la procédure administrative. Les parties ont produit le document demandé, respectivement les 6 et 12 février 1998.

33.
    Les parties principales ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l'audience du 18 février 1998.

34.
    Par lettre du 17 juillet 1998, le Tribunal a demandé à la requérante si, au vu de l'arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission (C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375), elle renonçait à son moyen selon lequel les concentrations qui créent une position dominante collective n'entrent pas dans le champ d'application du règlement n° 4064/89. La requérante à répondu à la question du Tribunal par lettre du 29 juillet 1998.

Conclusions des parties

35.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision litigieuse;

—     condamner la Commission aux dépens.

36.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme irrecevable;

—    à titre subsidiaire, le rejeter comme dénué de fondement;

—    condamner la requérante aux dépens.

37.
    La République fédérale d'Allemagne conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours.

Sur la recevabilité

Arguments de la défenderesse

38.
    La Commission invoque l'irrecevabilité du recours, au motif que la requérante n'a plus d'intérêt à agir. En effet, la position juridique de la requérante ne serait pas modifiée par une décision du Tribunal en sa faveur, dans la mesure où l‘opération notifiée ne pourrait plus être réalisée.

39.
    La Commission souligne à cet égard que l‘opération prévue entre Gencor et Lonrho était soumise à certaines conditions suspensives, au nombre desquelles figurait l‘obtention d‘une autorisation de la Commission au titre des articles 6, paragraphe 1, sous a) ou sous b), ou 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89. Elle relève que cette condition devait se réaliser au plus tard le 30 juin 1996, sous peine de caducité de l‘ensemble de l'accord d'achat, conformément à la clause 3.3 de celui-ci. Elle relève enfin qu'un report de la date d'expiration du délai au 30 septembre 1996, dont la possibilité était prévue dans la même clause sur la base d‘un accord écrit des parties, a été refusé par Lonrho dans une lettre du 21 mai 1996.

Appréciation du Tribunal

40.
    Il y a lieu de rappeler qu'un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n'est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l'acte attaqué (arrêt du Tribunal du 9 novembre 1994, Scottish Football/Commission, T-46/92, Rec. p. II-1039, point 14). Un tel intérêt n'existe que si l'annulation de l'acte est susceptible, par elle-même, d'avoir des conséquences juridiques (arrêt de la Cour du 24 juin 1986, Akzo Chemie/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 21).

41.
    A cet égard, il convient de relever que, selon l'article 176 du traité CE, l'institution dont émane l'acte annulé est tenue de prendre les mesures qu'implique l'exécution de l'arrêt. Ces mesures n'ont pas trait à la disparition de l'acte de l'ordre juridique communautaire, puisque cette disparition résulte de l'annulation même par le juge.

Elles concernent notamment l'anéantissement des effets produits par l'acte en question et qui sont affectés par les illégalités constatées. L'annulation d'un acte qui a déjà été exécuté ou qui, entre-temps, a été abrogé à partir d'une date donnée est toujours susceptible d'avoir des conséquences juridiques. En effet, l'acte a pu produire des effets juridiques pendant la période au cours de laquelle il a été en vigueur et ces effets n'ont pas nécessairement disparu en raison de l'abrogation de l'acte. Un recours en annulation est aussi recevable s'il permet d'éviter que l'illégalité alléguée ne se reproduise dans l'avenir. Pour ces raisons, un arrêt d'annulation est la base à partir de laquelle l'institution concernée peut être amenée à effectuer une remise en état adéquate de la situation du requérant ou à éviter d'adopter un acte identique (voir arrêts de la Cour du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777, point 32, Akzo Chemie/Commission, précité, point 21, et du 26 avril 1988, Apesco/Commission, 207/86, Rec. p. 2151, point 16).

42.
    La circonstance que la requérante soit le destinataire de la décision litigieuse qui a déclaré la concentration incompatible avec le marché commun lui attribue un intérêt à agir et à voir examiner par le juge communautaire la légalité de ladite décision.

43.
    En outre, comme l'a souligné la requérante, la décision litigieuse est susceptible de modifier sa position juridique en tant qu'acquéreur potentiel de la participation de Lonrho dans LPD.

44.
    En effet, en vertu de l'article 11 du pacte d'actionnaires (notamment 11.1 et 11.6), toute vente ou tout projet de cotation en bourse par Lonrho d'une partie quelconque de sa participation de 73 % dans LPD ouvrirait le droit pour Gencor d'acquérir tout ou partie de celle-ci. Le fait que l'une des sociétés intermédiaires détenant des parts dans LPD quitte le groupe Lonrho et qu'un tiers acquière 51 % du capital de Lonrho ouvrirait également les droits d'acquisition de Gencor. Or, force est de constater que la décision litigieuse ferait obstacle à l'exercice de ces droits de préemption.

45.
    Enfin, la thèse de la Commission aboutirait à une situation dans laquelle la légalité des décisions défavorables rendues dans le cadre du règlement n° 4064/89 ne pourraient faire l'objet d'un contrôle juridictionnel dans les hypothèses où le fondement contractuel de l'opération aurait disparu avant que le Tribunal ne se soit prononcé. Or, la disparition du fondement de l'opération n'est pas en soi un élément de nature à exclure un contrôle de la légalité de la décision de la Commission.

46.
    Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission doit être rejetée.

Sur le fond

47.
    La requérante invoque différents moyens à l'appui de son recours, tirés, respectivement, d'une incompétence de la Commission à l'égard de l'opération de concentration en cause et d'une violation corrélative de l'article 190 du traité, d'une violation de l'article 2 du règlement n° 4064/89, en ce que les concentrations créant une position dominante collective n'entreraient pas dans le champ d'application durèglement, et d'une violation corrélative de l'article 190 du traité, d'une violation de l'article 2 du règlement n° 4064/89, en ce que la Commission aurait constaté à tort que la concentration créerait une position dominante collective, et d'une violation corrélative de l'article 190 du traité, ainsi que, enfin, d'une violation de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 et d'une violation corrélative de l'article 190 du traité.

I — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation du règlement n° 4064/89, en ce que celui-ci ne conférerait pas compétence à la Commission pour examiner la compatibilité de l'opération de concentration en cause avec le marché commun, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

Arguments des parties

48.
    La requérante fait valoir à titre principal que le règlement n° 4064/89 ne confère pas compétence à la Commission pour examiner la compatibilité de l‘opération de concentration avec le marché commun. Elle fait valoir à titre subsidiaire que, dans l‘hypothèse où le règlement n° 4064/89 conférerait une telle compétence, il serait inapplicable en vertu de l‘article 184 du traité, comme étant illégal.

49.
    Le règlement n° 4064/89 n'aurait pas été applicable à l'opération de concentration en cause, dès lors que celle-ci concernait des activités économiques menées sur le territoire d‘un pays tiers, la république d'Afrique du Sud, et qu'elle aurait été approuvée par les autorités de ce pays. Le règlement ne s'appliquerait qu'aux opérations de concentration effectuées dans la Communauté.

50.
    Cette analyse serait conforme au principe de territorialité, principe général de droit international public que la Communauté devrait respecter dans l‘exercice de ses compétences (arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, Rec. p. 5193, ci-après «arrêt Pâte de bois», point 18, et arrêt de la Cour du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation, C-286/90, Rec. p. I-6019, point 9).

51.
    Les bases juridiques utilisées par le Conseil afin d‘adopter le règlement n° 4064/89, à savoir les articles 87 et 235 du traité, ne pourraient être interprétées en méconnaissance de ce principe pour établir une compétence extraterritoriale. En effet, les principes figurant aux articles 85 et 86, auxquels fait référence l'article 87, ainsi que les objectifs de la Communauté, auxquels renvoie l'article 235, n‘envisageraient que la concurrence au sein du marché commun et non pas la

concurrence entre des entreprises établies dans le marché commun et des entreprises n'en faisant pas partie, ni la concurrence entre des entreprises établies en dehors du marché commun. Cette solution découlerait tant de la condition d‘affectation du commerce entre États membres, énoncée aux articles 85 et 86, que des objectifs de la Communauté recensés aux articles 2 et 3, sous g), du traité.

52.
    Cette limitation du champ d‘application des règles du traité en matière de concurrence serait reprise tant aux points 1 à 5 et 9 à 11 des considérants du règlement n° 4064/89 qu'à l'article 2 de celui-ci, ces dispositions indiquant que le règlement ne vise que les opérations de concentration produisant leurs effets au sein du marché commun.

53.
    Bien que le règlement n° 4064/89 ne définisse pas expressément son champ d‘application en fonction de l‘endroit où l‘opération s‘effectue, son trentième considérant et son article 24 sous-entendraient qu‘une opération de concentration réalisée dans un pays tiers, à laquelle participent des entreprises de la Communauté, relève de la compétence des autorités de ce pays et non de celle de la Commission.

54.
    La requérante précise que son analyse ne signifie pas que le règlement n° 4064/89 peut s'appliquer seulement aux opérations de concentration entre entreprises établies dans la Communauté. Le lieu d'établissement des entreprises concernées importerait moins en réalité que le ou les lieux de réalisation de l‘opération de concentration. La requérante invoque sur ce point l'arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, Rec. p. 215), qui reconnaîtrait la compétence de la Commission pour appliquer l'article 86 du traité à une opération de concentration réalisée par une entreprise située à l‘extérieur de la Communauté, dès lors qu‘il s‘agissait en l‘espèce de l'acquisition d'une participation dans une entreprise de la Communauté.

55.
    Le règlement n° 4064/89 ne serait ainsi applicable qu‘aux hypothèses dans lesquelles les activités concernées par l'opération de concentration se situent dans la Communauté. Plus précisément, comme l'indiquerait son onzième considérant, il s'appliquerait aux entreprises déployant des activités substantielles dans la Communauté. En l'espèce, l'opération de concentration notifiée à la Commission s'effectuerait en Afrique du Sud, où se situerait le domaine principal d'activité des entreprises réalisant l‘opération, à savoir l'extraction et l'affinage des platinoïdes. La circonstance que Lonrho dispose d'une filiale ayant un bureau dans la Communauté pour vendre la totalité de sa production de platinoïdes et le fait qu'elle exerce d‘autres activités dans la Communauté dans les domaines de l‘hôtellerie et du négoce en général ne permettraient pas de considérer qu'elle exerce des activités substantielles dans la Communauté au sens du onzième considérant, susvisé.

56.
    La requérante rapproche cette analyse de celle contenue dans l‘arrêt Pâte de bois, qui aurait confirmé, dans le cadre d'une entente sur les prix, que la Communauté est compétente pour appliquer ses règles de concurrence aux comportements restrictifs mis en oeuvre dans le marché commun par des entreprises situées à l‘extérieur de la Communauté, dès lors que l‘accord ou la pratique concertée naît ou est exécuté(e) sur le territoire de la Communauté. Or, en l'espèce, l'opération de concentration ne prendrait pas naissance et ne serait pas exécutée sur le territoire de la Communauté, mais bien sur celui de la république d'Afrique du Sud. Elle concernerait donc au premier chef la politique industrielle et de concurrence de ce pays tiers. En conséquence, la Commission n'aurait pas été compétente territorialement (arrêt Pâte de bois, points 11 à 18, et conclusions de l'avocat général M. Darmon sous cet arrêt, point 20).

57.
    A supposer même que le règlement n° 4064/89 retienne comme critère de compétence l'existence d‘un effet immédiat et substantiel de l'opération de concentration sur la concurrence au sein de la Communauté, ce critère ne serait pas satisfait dans la présente espèce.

58.
    En premier lieu, la Commission aurait constaté (points 206 et 210 des considérants de la décision litigieuse) que l'opération de concentration pourrait entraîner la création à moyen terme d‘une position dominante de type duopolistique sur les marchés mondiaux du platine et du rhodium. Or, cette constatation serait insuffisante pour justifier l'application au cas d'espèce du critère de l'effet immédiat et substantiel. L'expression «à moyen terme» serait ambiguë, dans la mesure où elle pourrait renvoyer soit à la création d'une position dominante à moyen terme, soit à sa disparition à terme. Dans la première hypothèse, les conséquences de l‘opération ne seraient pas immédiates, car elles dépendraient du comportement futur tant de l‘entreprise issue de la concentration que de l'autre membre du duopole, à savoir Amplats. Dans la seconde hypothèse, les conséquences de l'opération ne seraient pas substantielles en raison de leur caractère transitoire.

59.
    En deuxième lieu, les marchés pertinents étant mondiaux, l‘éventuelle position dominante créée par l‘opération de concentration ne concernerait pas plus la Communauté que toute autre autorité, de sorte que l‘opération n'aurait pas d‘effet substantiel. La décision litigieuse (points 16, 18 et 98 des considérants) ne revendiquerait pas pour la Communauté une compétence plus étendue que celle de la république d'Afrique du Sud ou de tout autre pays tiers, notamment le Japon et les États-Unis, mais se contenterait de relever que les marchés concernés sont mondiaux, que la consommation européenne représente près de 20 % de la demande mondiale de platinoïdes (17 % en moyenne pour le platine) et que tout effet sur les marchés mondiaux se répercuterait nécessairement dans la Communauté et l‘EEE. Ces éléments seraient insuffisants pour caractériser la compétence de la Commission et, en toute hypothèse, pour motiver la décision conformément aux exigences de l'article 190 du traité.

60.
    A cet égard, la demande tant sectorielle que géographique de platine et de rhodium au niveau mondial démontrerait que l‘Europe occidentale (comprenant la Communauté), dont la consommation ne représentait au cours de la période 1991-1995 que 17 à 22 % de la demande mondiale, serait très peu touchée par une opération de concentration s'effectuant en dehors de son cadre et la concernant moins que le Japon, où la consommation représentait pendant la même période entre 47 et 51 % de la demande mondiale, ou l‘Amérique du Nord (comprenant les États-Unis), où la consommation représenterait pendant la même période entre 19 et 21 % de la demande mondiale. Le niveau relativement bas des parts de marché [environ (...)(2)% pour le platine et (...) % pour le rhodium en 1994] et des chiffres d‘affaires combinés [(...) millions d'écus environ pour le seul platine en 1994] réalisés, dans la Communauté, par les activités platine et rhodium des deux entreprises intéressées par l'opération confirmerait cette analyse. A cet égard, la détermination de la dimension communautaire de l‘opération de concentration imposerait, pour le calcul du chiffre d'affaires des entreprises concernées au sens de l'article 5 du règlement n° 4064/89, de ne prendre en considération que la notion de société ou de personne morale, et non pas celle d'entreprise au sens des articles 85 et 86 du traité (voir décision litigieuse, points 24, 34, 44, 56, 98, 100 et 209 des considérants, ainsi que tableau 6 figurant au point 96).

61.
    En troisième lieu, s'agissant de la création d'une position dominante duopolistique sur les marchés du platine et du rhodium, le risque qu‘évoquerait la Commission d‘une collusion ou d'un comportement parallèle entre les membres de l‘oligopole relèverait essentiellement des autorités sud-africaines compétentes en matière de concurrence. Il ne pourrait en être autrement que dans l'hypothèse où les conditions établies dans l‘arrêt Pâte de bois seraient satisfaites. Or, la présente affaire se distinguerait de l'affaire ayant donné lieu à ce dernier arrêt, car cette dernière affaire ne concernait pas une opération de concentration réalisée dans un pays tiers, mais une entente sur les prix qui visait directement la Communauté et était exécutée dans celle-ci (voir arrêt Pâte de bois, point 13). En tout état de cause, la Commission ne pourrait se déclarer compétente à l‘égard d‘une opération de concentration, susceptible ou non de relever de sa compétence en vertu du traité, sur la base d'un comportement futur et hypothétique des entreprises actives sur le marché concerné.

62.
    En dernier lieu, les accords litigieux auraient fait l‘objet d‘une décision de l‘autorité sud-africaine compétente en matière de concurrence, à savoir l‘Office sud-africain de la concurrence, en date du 22 août 1995. Cette décision aurait admis que l‘opération notifiée ne soulevait pas de difficultés au regard de la politique sud-africaine de la concurrence. En conséquence, ladite opération serait conforme au droit du lieu où elle devrait être exécutée, de sorte que, si la Commission devait la déclarer illégale, elle créerait nécessairement un conflit decompétences avec les autorités sud-africaines. A cet égard, le ministre délégué aux

Affaires étrangères sud-africain aurait clairement exposé ses inquiétudes dans la lettre qu‘il a adressée à la Commission le 19 avril 1996. Le conflit de compétences trouverait sa source dans le fait que l'opération de concentration constituerait une modification de la structure industrielle d‘un pays tiers, en l'occurrence la république d'Afrique du Sud, ce qui entraînerait des conséquences plus fondamentales, pour les entreprises intéressées, mais aussi pour l'économie de l'État concerné, que de simples accords. En conséquence, revendiquer une compétence à l'égard de telles modifications constituerait une ingérence plus fondamentale dans les affaires intérieures de cet État.

63.
    Finalement, de l'impact relativement modéré de l‘opération de concentration dans la Communauté il serait possible de déduire l‘absence de toute justification légale et le caractère disproportionné de la revendication de compétence réalisée par la Commission.

64.
    La Commission fait valoir qu'elle dispose de deux bases essentielles fondant sa compétence. La première serait le principe de nationalité, sur la base duquel elle serait compétente ratione personae pour connaître des agissements de Lonrho, société constituée conformément au droit d‘un État membre. La seconde serait le principe de territorialité.

65.
    A titre préliminaire, la Commission observe que ce sont les parties à l‘opération de concentration qui lui ont demandé d‘examiner la compatibilité de leur opération avec le marché commun et l'EEE en lui notifiant leur accord et en faisant de son approbation par la Commission une condition préalable à sa mise en oeuvre. Dans ces conditions, l‘une des parties ne pourrait, sans contredire les principes «nemo auditur...» et «venire contra factum proprium», faire comme s'il n'y avait pas eu soumission volontaire au règlement n° 4064/89.

66.
    La Commission critique les arguments de la requérante concernant le critère de la localisation de l'activité économique concernée par l'opération de concentration ainsi que les critères et modalités de sa compétence dans le cadre du règlement n° 4064/89.

67.
    Pour ce qui est de la localisation de l'activité économique concernée par l‘opération de concentration, elle précise que, si elle partage l‘analyse de la requérante selon laquelle le règlement n° 4064/89, tout comme les articles 85 et 86 du traité, envisagent la concurrence à l‘intérieur du marché commun, elle n‘en tire pas la même conclusion dans le cas d‘espèce. En effet, dans la mesure où la décision litigieuse repose sur la considération selon laquelle l'opération notifiée, bien que réalisée en Afrique du Sud sous la forme d'un regroupement de moyens de production, serait mise en oeuvre à travers le monde et modifierait la structure concurrentielle des marchés de produits concernés au niveau tant mondial que communautaire en raison de la dimension mondiale du marché géographique, il serait erroné de prétendre, comme le fait la requérante, que ladite décision ne concerne pas la réglementation d‘activités économiques sur le territoire de la

Communauté. A cet égard, la Commission relève que, s'il est vrai que les parties n‘extraient pas de platine dans la Communauté, il n‘en demeure pas moins qu'une part non négligeable de leurs activités s‘y exerce.

68.
    La Commission inscrit son raisonnement dans le cadre de l‘arrêt Pâte de bois et des conclusions présentées par l‘avocat général M. Darmon sous cet arrêt, en rappelant que ce qui importait dans l'affaire correspondante tenait moins à la localisation des entreprises en cause qu‘à celle de l'effet anticoncurrentiel sur le territoire de la Communauté. Il conviendrait donc dans la présente affaire de se concentrer non sur la localisation des entreprises, mais sur la modification de la structure concurrentielle au sein du marché commun. Ladite modification ne concernerait pas, comme voudrait le laisser entendre la requérante, l'extraction ou l'affinage des produits en cause, mais bien le marché de la vente de platine dans la Communauté.

69.
    Pour ce qui est des critères et modalités de la compétence internationale de la Communauté au titre du règlement n° 4064/89, la Commission estime que la décision attaquée est compatible avec les solutions consacrées par l‘arrêt Pâte de bois, dans lequel la Cour énoncerait les deux éléments de comportement nécessaires, à savoir la formation de l‘entente et sa mise en oeuvre, pour observer ensuite que l‘entente était mise en oeuvre à l‘intérieur du marché commun. Or, la concentration litigieuse serait mise en oeuvre à travers le monde, dont elle modifierait la structure concurrentielle. La compétence de la Commission découlerait donc des règles classiques relatives à la compétence internationale, conclusion qui se trouverait renforcée par le fait que les ventes mondiales de LPD seraient réalisées par l‘intermédiaire de Western Metal Sales, filiale belge de Lonrho, établie à Bruxelles.

70.
    S'agissant de l'argumentation développée par la requérante relative à l'effet substantiel et immédiat, la Commission estime qu'elle est dénuée de tout fondement, dans la mesure où la décision litigieuse caractériserait correctement l‘effet substantiel et immédiat sur la structure de la concurrence au sein du marché commun et de l‘EEE.

71.
    S'agissant de l'éventualité d'un conflit de compétence avec les autorités sud-africaines, la concentration en cause aurait peu d'effets sur la situation de la concurrence en Afrique du Sud, puisque la demande de platine dans ce pays est très faible. Dans ces conditions, la Commission rapproche l'opération projetée d'un cartel à l'exportation, qui n'aurait pas en principe d'effet sur la structure de la concurrence des pays des entreprises participantes et dont les effets pourraient même être considérés comme bénéfiques par les autorités de ces pays.

72.
    Le gouvernement allemand fait valoir que le règlement n° 4064/89 permet d'apprécier la compatibilité de l'opération notifiée avec le marché commun et

l'EEE. Cette analyse satisferait tant aux principes tirés du droit international public qu'à la jurisprudence de la Cour concernant l‘article 85 du traité.

    

73.
    En premier lieu, le règlement n° 4064/89 aménagerait lui-même le régime de son application extraterritoriale. Une règle de conflit propre aux entreprises situées en dehors de la Communauté ressortirait en effet d‘une lecture combinée du onzième considérant et de l‘article 1er, paragraphe 2, sous b). Le onzième considérant envisagerait notamment l‘application, à des concentrations réalisées par des entreprises qui n‘ont pas leur domaine principal d'activité dans la Communauté mais y déploient des activités substantielles, du critère déterminé à l‘article 1er, paragraphe 2, sous b), à savoir la réalisation dans la Communauté d‘un chiffre d‘affaires total d‘un montant supérieur à 250 millions d‘écus par au moins deux des entreprises concernées par l‘opération. Or, en l'espèce, l‘opération en cause satisferait au seuil ainsi fixé et la Commission aurait suffisamment caractérisé dans sa décision les conséquences de la concentration sur le marché commun.

74.
    En deuxième lieu, s‘agissant de la conformité de cette analyse au droit international public, le gouvernement allemand précise que tant la règle de conflit insérée dans le règlement n° 4064/89 que son application en l‘espèce satisferaient aux critères découlant de la théorie des effets, autrement dénommée principe de territorialité objective. La réalisation dans la Communauté d‘un chiffre d‘affaires d‘au moins 250 millions d‘écus par chacune des deux entreprises intéressées par l‘opération constituerait un élément de rattachement adéquat. Les éléments de fait rapportés par la Commission dans son analyse des incidences de l'opération sur l'EEE confirmeraient, de plus, que l'application extraterritoriale du règlement n° 4064/89 est conforme au droit international.

75.
    Se ralliant aux arguments développés par la Commission à cet égard, le gouvernement allemand fait observer, en troisième lieu, que son interprétation du règlement n° 4064/89 n'est pas contredite par l‘arrêt Pâte de bois.

Appréciation du Tribunal

76.
    A titre liminaire, il y a lieu de rejeter l'argument de la Commission selon lequel la requérante, en lui notifiant l'accord de concentration en vue de son examen et en faisant de son approbation une condition préalable de sa mise en oeuvre, se serait soumise volontairement à sa compétence. En effet, la violation des obligations de notification et de suspension prévues aux articles 4 et 7 du règlement n° 4064/89 pour toute opération de concentration de dimension communautaire est assortie, en vertu de son article 14, de fortes sanctions pécuniaires. On ne saurait donc déduire de la notification ou de la suspension de la mise en oeuvre de l'accord de concentration une soumission volontaire quelconque de la requérante à la compétence de la Communauté. Par ailleurs, pour apprécier cette compétence à l'égard d'une opération de concentration, la Commission doit, au préalable, pouvoir examiner ladite opération, ce qui justifie l'imposition d'une obligation de

notification à la charge des parties à la concentration. Cette obligation ne préjuge pas de la compétence de la Commission pour statuer sur la concentration en cause.

77.
    En l'espèce, deux questions doivent être examinées. Il y a d'abord lieu de vérifier si des concentrations comme celle en cause tombent sous le champ d'application du règlement n° 4064/89, puis, dans l'affirmative, si son application à ce type de concentration est contraire au droit international public concernant la compétence des États.

1. Sur l'appréciation du domaine d'application territorial du règlement n° 4064/89

78.
    S'agissant de la première question, il convient de rappeler que, conformément à son article 1er, le règlement n° 4064/89 s'applique à toutes les opérations de concentration de dimension communautaire, c'est-à-dire à toutes les concentrations entre entreprises qui ne réalisent pas individuellement plus de deux tiers de leur chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur d'un seul et même État membre, dont le chiffre d'affaires total combiné réalisé sur le plan mondial représente un montant supérieur à 5 milliards d'écus et dont le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux d'entre elles représente un montant supérieur à 250 millions d'écus.

79.
    L'article 1er du règlement n'exige pas, pour qu'une opération de concentration soit considérée comme étant de dimension communautaire, que les entreprises en cause soient établies dans la Communauté ni que les activités de production faisant l'objet de la concentration s'exercent sur le territoire de la Communauté.

80.
    En ce qui concerne le critère du chiffre d'affaires, il y a lieu de constater que, comme l'expose le point 13 des considérants de la décision litigieuse, la concentration en cause est de dimension communautaire au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89. En effet, les entreprises concernées réalisent sur le plan mondial un chiffre d'affaires total de plus de 10 milliards d'écus, supérieur au seuil de 5 milliards prévu par le règlement n° 4064/89. Les résultats du dernier exercice de Gencor et de Lonrho montrent qu'elles réalisent l'une et l'autre un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'écus dans la Communauté. Enfin, Gencor et Lonrho ne réalisent pas, chacune, plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur d'un seul etmême État membre.

81.
    S'agissant des arguments de la requérante excluant l'application du règlement à la concentration en cause et tirés des bases juridiques ainsi que du libellé des considérants et des dispositions du règlement n° 4064/89, ils ne sauraient être accueillis.

82.
    En effet, tant les bases juridiques du règlement n° 4064/89, à savoir les articles 87 et 235 du traité, et plus spécifiquement les dispositions qu'ils sont appelés à mettre

en oeuvre, c'est-à-dire les articles 3, sous g), et 85 et 86 du traité, que les points 1 à 5, 9 et 11 de ses considérants ne font que relever la nécessité de s'assurer que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun, notamment par des opérations de concentration donnant lieu à la création ou au renforcement d'une position dominante. Ils n'excluent nullement du domaine d'application du règlement des opérations de concentration qui, bien que visant des activités d'extraction et/ou de production en dehors de la Communauté, ont pour effet de créer ou de renforcer une position dominante ayant pour conséquence d'entraver la concurrence effective d'une manière significative dans le marché commun.

    

83.
    Plus particulièrement, le onzième considérant in fine du règlement n° 4064/89 ne saurait fonder la thèse de la requérante.

84.
    D'après ce considérant, «il y a opération de concentration de dimension communautaire [...] lorsque les concentrations sont réalisées par des entreprises qui n'ont pas leur domaine principal d'activité dans la Communauté, mais qui y déploient des activités substantielles».

85.
    En faisant ainsi référence en termes généraux à la notion d'activité substantielle, le règlement ne privilégie pas, aux fins de la délimitation de son domaine d'application territorial, les activités de production par rapport aux activités de vente. Bien au contraire, en prévoyant dans son article 1er des seuils quantitatifs fondés sur les chiffres d'affaires mondiaux et communautaires des entreprises concernées, il privilégie plutôt l'activité de vente à l'intérieur du marché commun comme élément de rattachement de la concentration à la Communauté. Or, il n'est pas contesté que Gencor et Lonrho réalisent des ventes non négligeables dans la Communauté (pour une valeur supérieure à 250 millions d'écus).

86.
    La pertinence du critère fondé sur la localisation des activités de production n'est, de plus, confirmée ni par le trentième considérant ni par l'article 24 du règlement n° 4064/89. Loin de consacrer un critère de délimitation du domaine d'application territorial du règlement, l'article 24 du règlement ne fait que réglementer les procédures à suivre en vue de parer à des situations dans lesquelles des pays tiers n'accordent pas aux entreprises de la Communauté un traitement comparable à celui qu'offre la Communauté aux entreprises de ces pays tiers dans le domaine du contrôle des concentrations.

87.
    La requérante ne saurait, en se référant à l'arrêt Pâte de bois, se prévaloir du critère de la mise en oeuvre d'une entente à l'appui de son interprétation du domaine d'application territorial du règlement n° 4064/89. Le critère de la mise en oeuvre d'une entente en tant qu'élément de rattachement de celle-ci au territoire de la Communauté, loin d'aller dans le sens proposé par la requérante, ne fait que l'écarter. En effet, selon l'arrêt Pâte de bois, le critère de la mise en oeuvre de l'entente est satisfait par la simple vente dans la Communauté, indépendamment de la localisation des sources d'approvisionnement et des installations de

production. Or, il n'est pas contesté que Gencor et Lonrho réalisaient des ventes dans la Communauté avant la concentration et auraient continué à le faire après.

88.
    Dans ces conditions, en appliquant en l'espèce le règlement n° 4064/89 à un projet de concentration notifié par des entreprises ayant leur siège social et déployant leurs activités d'extraction et de production en dehors de la Communauté, la Commission n'a pas fait une appréciation erronée du domaine d'application territorial du règlement n° 4064/89.

2. Sur la compatibilité de la décision litigieuse avec le droit international public

89.
    A la suite de l'accord de concentration, les rapports de concurrence existant préalablement entre Implats et LPD, notamment en ce qui concerne leurs ventes dans la Communauté, auraient été éliminés. Cela aurait modifié la structure de la concurrence à l'intérieur du marché commun, dès lors que, au lieu de trois fournisseurs sud-africains de platinoïdes, il n'en serait resté que deux. La mise en oeuvre de la concentration projetée aurait entraîné non seulement la fusion des activités d'extraction et de production des platinoïdes des parties exercées en Afrique du Sud, mais aussi celle de leurs activités de commercialisation partout dans le monde et plus particulièrement dans la Communauté, où Implats et LPD réalisaient des ventes non négligeables.

90.
    Il convient de relever que, lorsqu'il est prévisible qu'une concentration projetée produira un effet immédiat et substantiel dans la Communauté, l'application du règlement est justifiée au regard du droit international public.

91.
    A cet égard, il ressort de la décision litigieuse que le résultat de l'opération aurait été la création d'une position dominante duopolistique d'Amplats et d'Implats/LPD sur les marchés du platine et du rhodium ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

92.
    Dès lors, il y a lieu de vérifier si les trois critères de l'effet immédiat, substantiel et prévisible sont réunis dans le cas d'espèce.

93.
    En ce qui concerne plus particulièrement le critère de l'effet immédiat, l'expression «à moyen terme» utilisée aux points 206 et 210 des considérants de la décision litigieuse à l'égard de la création d'une position dominante duopolistique est, contrairement à l'affirmation de la requérante, dépourvue de toute ambiguïté. Elle fait clairement référence au délai prévu pour l'épuisement des stocks russes, lequel permettrait la création d'une position dominante duopolistique détenue par Amplats et Implats/LPD sur les marchés mondiaux du platine et du rhodium et, de ce fait, la création d'une position dominante duopolistique dans la Communauté, considérée en tant que partie substantielle de ces marchés mondiaux.

94.
    Cette position dominante ne dépendrait pas, comme le soutient la requérante, du comportement futur de l'entreprise résultant de la concentration et de celui de la société Amplats, mais serait le résultat, notamment, des caractéristiques mêmes du marché et de la modification de sa structure. En faisant référence au comportement futur des membres du duopole, la requérante ne distingue pas les éventuels abus de position dominante que les membres du duopole pourraient commettre dans un avenir plus ou moins proche, phénomène qui pourrait ou non être contrôlé par le biais des articles 85 et/ou 86 du traité, de la modification de la structure des entreprises et du marché découlant de la concentration. Certes, l'existence d'un comportement abusif n'est pas nécessairement la conséquence immédiate de la concentration, étant donné qu'elle dépend des décisions que les membres du duopole peuvent adopter ou non à l'avenir. Toutefois, la création des conditions rendant non seulement possible mais aussi économiquement rationnel ce genre de comportements aurait été la conséquence directe et immédiate de la concentration, étant donné que celle-ci aurait entravé de manière significative la concurrence effective existant dans le marché, en modifiant la structure des marchés concernés de manière durable.

95.
    Dès lors, la concentration aurait produit un effet immédiat dans la Communauté.

96.
    En ce qui concerne le critère de l'effet substantiel, il convient de relever que, comme cela sera jugé au point 297 ci-après, la Commission a établi à suffisance de droit que la concentration aurait créé une position dominante duopolistique durable sur les marchés mondiaux du platine et du rhodium.

97.
    La requérante ne peut soutenir que la concentration n'aurait pas un effet substantiel dans la Communauté, eu égard au niveau peu important des ventes et de la part de marché des parties à la concentration dans l'EEE. En effet, alors que le niveau des ventes en Europe occidentale (20 % de la demande mondiale) et la part de marché de l'entité issue de la concentration dans la Communauté [(...) % en ce qui concerne le platine] justifiaient déjà suffisamment la compétence de la Communauté à l'égard de la concentration, l'impact potentiel de la concentration s'avérait encore bien supérieur à ce que représentaient les chiffres correspondants. En effet, compte tenu du fait que la concentration aurait eu pour conséquence de créer une position dominante duopolistique dans les marchés mondiaux du platine et du rhodium, il est évident que les ventes dans la Communauté, potentiellement affectées par la concentration, auraient couvert non seulement celles de l'entreprise Implats/LPD mais aussi celles d'Amplats (environ 35 à 50 %), ce qui aurait représenté une partie plus que substantielle des ventes de platine et de rhodium en Europe occidentale et une part de marché combinée d'Implats/LPD et d'Amplats beaucoup plus élevée [environ (...) à 65 %].

98.
    Enfin, ne peut être accueilli l'argument de la requérante selon lequel la création de la position dominante visée par la Commission dans la décision litigieuse ne concernerait pas plus la Communauté que toute autre entité compétente et concernerait même la Communauté à un degré moindre que d'autres. En effet, le

fait que, dans le contexte d'un marché mondial, d'autres parties du monde soient affectées par la concentration ne saurait empêcher la Communauté d'exercer son contrôle sur une opération de concentration affectant substantiellement la concurrence à l'intérieur du marché commun en créant une position dominante.

99.
    Dès lors, les arguments par lesquels la requérante conteste l'existence d'un effet substantiel de l'opération de concentration dans la Communauté doivent être rejetés.

100.
    Quant au critère de l'effet prévisible, il découle de tout ce qui précède qu'il était effectivement prévisible que la création d'une position dominante duopolistique sur un marché mondial aurait aussi pour effet d'entraver significativement la concurrence dans la Communauté, partie intégrante de ce marché.

101.
    Il s'ensuit que l'application du règlement n° 4064/89 à l'égard de la concentration projetée était conforme au droit international public.

102.
    Il convient ensuite d'examiner si l'exercice de cette compétence par la Communauté a violé un principe de non-intervention et le principe de proportionnalité .

103.
    En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel la Communauté aurait dû s'abstenir, en vertu d'un principe de non-intervention, d'interdire la concentration en vue d'éviter un conflit de compétences avec les autorités sud-africaines, il doit être écarté, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'existence, en droit international, d'une telle règle. A cet effet, il suffit de constater qu'il n'existait pas de conflit entre le comportement prescrit par le gouvernement sud-africain et celui prescrit par la Communauté, étant donné que, dans leur lettre du 22 août 1995, les autorités sud-africaines compétentes en matière de concurrence se sontbornées à conclure que les accords de concentration ne posaient pas de problème en matière de politique de concurrence, sans imposer la conclusion de tels accords (voir, en ce sens, arrêt Pâte de bois, point 20).

104.
    A cet égard, dans sa lettre du 19 avril 1996 , le gouvernement sud-africain, loin de remettre en question la compétence de la Communauté pour se prononcer sur la concentration en cause, n'a fait d'abord qu'exprimer une préférence générale, compte tenu de l'importance stratégique des exploitations minières en Afrique du Sud, pour des interventions ad hoc dans des cas spécifiques de collusion, sans apporter de précisions sur les mérites industriels ou autres de l'opération de concentration envisagée entre Gencor et Lonrho. Il n'a fait ensuite que manifester le point de vue selon lequel la concentration projetée pourrait ne pas entraver la concurrence, compte tenu de la puissance économique d'Amplats, de l'existence d'autres sources d'approvisionnement en platinoïdes et des possibilités d'entrée d'autres producteurs sur le marché sud-africain par le biais de l'octroi de nouvelles concessions d'exploitation.

105.
    Enfin, ni la requérante ni, d'ailleurs, le gouvernement sud-africain dans la lettre du 19 avril 1996 n'ont démontré, au-delà de simples déclarations de principe, en quoi la concentration projetée affecterait les intérêts vitaux de l'économie et/ou du commerce de la république d'Afrique du Sud.

106.
    S'agissant de l'argument selon lequel la Communauté ne pourrait se déclarer compétente à l'égard d'une opération de concentration sur la base d'un comportement futur et hypothétique, à savoir un comportement parallèle des entreprises actives sur le marché concerné, susceptible ou non de relever de la compétence de la Communauté en vertu du traité, il convient de relever, comme cela a été souligné ci-dessus dans le cadre de l'examen de l'effet immédiat de la concentration, que si l'élimination du risque de comportements abusifs dans l'avenir peut constituer un souci légitime de toute autorité de concurrence compétente en la matière, le but principal du contrôle des concentrations au niveau communautaire est de s'assurer que les phénomènes de restructuration des entreprises ne donnent pas lieu à la création de positions de pouvoir économique pouvant entraver de manière significative la concurrence effective dans le marché commun. La compétence communautaire se fonde donc, en premier lieu, sur le besoin d'éviter la création de structures de marché susceptibles de créer ou de renforcer une position dominante et non pas sur la nécessité de contrôler directement d'éventuels abus de position dominante.

107.
    En conséquence, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur les questions de savoir si la lettre du 22 août 1995 de l'Office sud-africain de la concurrence constituait une prise de position définitive sur la concentration, si le gouvernement sud-africain était ou non une autorité chargée des questions de concurrence, et, enfin, sur la portée du droit sud-africain de la concurrence. Dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de mesures d'organisation de la procédure ou d'instruction formulée par la requérante dans sa lettre du 3 décembre 1996.

108.
    Dans ces conditions, la décision de la Commission n'est contraire ni au règlement n° 4064/89 ni aux règles de droit international public invoquées par la requérante.

109.
    Pour les mêmes raisons, doit être écartée l'exception d'illégalité dirigée, sur la base de l'article 184 du traité, contre le règlement n° 4064/89, en ce que celui-ci attribuerait compétence à la Commission à l'égard de la concentration entre Gencor et Lonrho.

110.
    En ce qui concerne la motivation, dans la décision litigieuse, de la compétence de la Communauté pour appliquer le règlement à la concentration, il y a lieu de constater que les développements contenus aux points 4, 13 à 18, 204 à 206, 210 et 213 des considérants de la décision litigieuse sont conformes aux obligations qui incombent à la Commission, en vertu de l'article 190 du traité, de motiver ses décisions de manière à mettre le juge communautaire en mesure d'exercer son contrôle juridictionnel, à donner aux parties la possibilité de défendre leurs droits

et à permettre à toute partie intéressée de connaître les conditions dans lesquelles la Commission a fait application du traité et de ses règles d'application.

111.
    Dès lors, les deux moyens d'annulation examinés doivent être rejetés, sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande de mesures d'organisation de la procédure ou d'instruction formulée par la requérante dans sa lettre du 3 décembre 1996.

II — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'article 2 du règlement n° 4064/89, en ce que la Commission n'aurait pas le pouvoir d'empêcher les opérations de concentration créant ou renforçant une position dominante collective, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

Arguments de la requérante

112.
    La requérante soutient que le règlement n° 4064/89 ne permet pas d'interdire la création ou le renforcement d'une position dominante collective.

113.
    L'analyse du texte du règlement n° 4064/89 révélerait que la notion de domination collective est exclue de son champ d'application. A la différence de l'article 86 du traité, l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ne ferait nullement mention de la notion de position dominante collective. La Commission ne serait donc pas compétente pour interdire une concentration pour ce motif.

114.
    En outre, le quinzième considérant du règlement n° 4064/89, selon lequel une indication de compatibilité existe notamment lorsque la part de marché des entreprises concernées ne dépasse pas 25 %, sous-entendrait que ledit règlement écarte la possibilité de faire obstacle à une opération de concentration au motif qu'elle crée une position dominante collective. En effet, sur des marchés oligopolistiques, une opération de concentration entre deux des opérateurs pourrait ne pas déboucher sur l'apparition d'une entité fusionnée disposant d'une part de marché supérieure à 25 %. Or, les participants à la prétendue position dominante collective qui ne seraient pas parties à l'opération de concentration ne pourraient être considérés comme des «entreprises concernées» au sens du règlement n° 4064/89.

115.
    Se référant aux travaux préparatoires, la requérante relève que la question de la position dominante collective a été débattue lors de l‘adoption du règlement n° 4064/89. Le fait que ce règlement ne couvre pas les oligopoles ne serait donc pas le résultat d'un oubli, mais une omission délibérée, dans la mesure où les États membres qui siégeaient au Conseil ne seraient pas parvenus à un accord sur cette question. Dans ce contexte, il serait inopportun et inutile d‘interpréter le règlement n° 4064/89 d'une manière inconciliable avec le résultat d'intenses négociations menées au sein du Conseil lors de son adoption.

116.
    Au Royaume-Uni, en Allemagne et en France, les dispositions relatives au contrôle des opérations de concentration couvriraient spécifiquement la domination collective, ce qui ne serait nullement le cas pour le règlement n° 4064/89. Ces régimes prévoiraient, en outre, une procédure spéciale impliquant toutes les sociétés censées composer l'oligopole.

117.
    Interpréter l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 de manière à y inclure la notion de position dominante collective créerait deux problèmes juridiques particuliers en violant les principes fondamentaux du traité, à savoir le principe de sécurité juridique et les droits procéduraux des tiers.

118.
    Une telle interprétation serait incompatible avec le principe de sécurité juridique eu égard, en particulier, aux sanctions que les entreprises encourent dans le cadre du règlement n° 4064/89.

119.
    En ce qui concerne les droits procéduraux des tiers, la requérante affirme que, si, en pratique, la Commission consulte dans le cadre de la procédure les tiers opérant sur le marché concerné et les autorise à présenter leurs observations et à assister à l'audition, ces tiers n'ont pas les mêmes droits ni le même traitement que les entreprises faisant l'objet de l'opération de concentration, ce qui démontrerait que le règlement n° 4064/89 ne permet pas d'appréhender les situations de position dominante collective.

120.
    Il serait important d'appliquer à la lettre le règlement n° 4064/89 lorsque les opérations de concentration ne concernent que des activités menées sur le territoire d'un pays tiers, en particulier lorsque le gouvernement de ce pays, comme en l'espèce le gouvernement sud-africain, insiste sur la nécessité de contrôler la collusion à son apparition plutôt que par anticipation.

121.
    La requérante relève que, dans sa décision 92/553/CEE, du 22 juillet 1992, relative à une procédure au titre du règlement n° 4064/89 (affaire n° IV/M.190 — Nestlé/Perrier) (JO L 356, p. 1, ci-après «décision Nestlé/Perrier»), la Commission a interprété l'article 2 du règlement n° 4064/89 en ce sens que l'absence d'un contrôle des opérations de concentration donnant lieu à la création et/ou au renforcement d'une position dominante collective risquerait de remettre en cause l'objectif fondamental, énoncé par l'article 3, sous g), du traité, d'une concurrence non faussée dans le marché intérieur. Selon elle, la Commission aurait admis dans son Seizième Rapport sur la politique de concurrence que ce risque n'existait pas. Dans ce rapport, l'institution aurait considéré qu'elle peut contrôler des comportements abusifs des entreprises en position dominante collective par le biais de l'article 86 du traité. En tout état de cause, les pouvoirs de la Commission seraient définis en l'espèce par le règlement n° 4064/89, et non pas par un objectif de politique générale visant à prévenir l'apparition de comportements potentiellement restrictifs. La Commission ne serait ainsi compétente que lorsque l'opération de concentration crée ou renforce une position dominante en entravant

ainsi une concurrence effective, et non pas simplement lorsqu'elle pourrait entraver une situation de concurrence effective.

122.
    Enfin, appliquer le règlement à une opération de concentration qui entraînerait la création d‘une position dominante collective sans aucune motivation quant à la base juridique justifiant une telle solution constituerait une violation de l'article 190 du traité.

Appréciation du Tribunal

123.
    L'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 dispose:

«Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun.»

124.
    La question se pose donc de savoir si l'expression «qui créent ou renforcent une position dominante» ne vise que la création ou le renforcement d'une position dominante individuelle, ou si elle se réfère également à la création ou au renforcement d'une position dominante collective, c'est-à-dire détenue par deux entreprises ou plus.

125.
    Il ne saurait être inféré du libellé de l'article 2 du règlement que seules les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante individuelle, c'est-à-dire une position dominante détenue par les parties à la concentration, relèvent dudit règlement. En effet, l'article 2 du règlement, dans la mesure où il vise «les opérations de concentration qui créent ou renforcent uneposition dominante», n'exclut pas en lui-même la possibilité d'appliquer le règlement à des cas où les opérations de concentration aboutissent à la création ou au renforcement d'une position dominante collective, à savoir une position de dominance détenue par les parties à la concentration avec une ou plusieurs entreprises tierces à cette concentration (arrêt France e.a./Commission, précité, point 166).

126.
    La requérante n'est pas fondée à soutenir que, dans la mesure où d'autres régimes nationaux prévoyaient des dispositions visant spécifiquement le contrôle des concentrations donnant lieu à la création ou au renforcement d'une position dominante collective à l'époque de l'adoption du règlement n° 4064/89, le choix délibéré du Conseil de ne pas en prévoir une dans celui-ci signifie nécessairement que ce règlement n'appréhende pas les situations de position dominante collective. En effet, le choix d'une formulation neutre telle que celle figurant à l'article 2, paragraphe 3, du règlement n'exclut pas a priori de son domaine d'application la création ou le renforcement d'une position dominante collective.

127.
    Enfin, il importe de relever que, indépendamment de leur niveau de précision, les législations nationales qui, antérieurement à l'entrée en vigueur du règlement n° 4064/89, étaient applicables à la création ou au renforcement d'une position dominante collective ne sont plus applicables à ce genre de concentrations, conformément à l'article 21, paragraphe 2, dudit règlement. Si l'on suivait la thèse de la requérante, il faudrait donc admettre que tous les États membres qui appliquaient leurs systèmes de contrôle des concentrations à la création ou au renforcement d'une position dominante collective, à savoir notamment la République française, la République fédérale d'Allemagne et le Royaume-Uni, auraient renoncé à ce type de contrôle en ce qui concerne les opérations de concentration de dimension communautaire. Or, à défaut d'indications claires en ce sens, on ne saurait présumer que telle était la volonté des États membres.

128.
    En ce qui concerne les arguments de la requérante relatifs aux travaux préparatoires, le Tribunal estime que, dans l'interprétation d'un acte législatif, il doit être attaché moins d'importance aux positions soutenues lors de son élaboration par l'un ou l'autre État membre qu'au libellé et aux finalités de l'acte en question.

129.
    Les travaux préparatoires ne peuvent eux-mêmes être considérés comme exprimant clairement l'intention des auteurs du règlement n° 4064/89 quant à la portée de l'expression «position dominante». Dans ces conditions, ils ne sont pas de nature à fournir des indications utiles en vue de l'interprétation de la notion controversée (arrêt France e.a./Commission, précité, point 167, et l'arrêt cité).

130.
    En tout état de cause, le fait que, postérieurement à l'adoption du règlement, certains États membres, et plus particulièrement la République française, aient contesté l'applicabilité du règlement aux positions dominantes collectives ne saurait impliquer que le règlement ne couvre pas ce genre d'hypothèses. En effet, les États membres n'étant pas liés par les positions qu'ils ont pu accepter lors des délibérations au sein du Conseil, on ne saurait exclure que l'un d'eux change d'avis après l'adoption d'un acte législatif ou tout simplement décide de soumettre la question de sa légalité au juge communautaire.

    

131.
    Il y a lieu, ensuite, d'interpréter le règlement n° 4064/89, et en particulier son article 2, sur la base de son économie générale.

132.
    Il convient d'examiner l'argument de la requérante selon lequel le système du règlement exclurait son application à des situations de position dominante collective. A cet égard, la requérante fait valoir que la référence au seuil de 25 % faite dans le quinzième considérant du règlement n° 4064/89 semble exclure l'application du règlement aux positions dominantes collectives.

133.
    Ce quinzième considérant énonce:

«[...] les opérations de concentration qui, en raison de la part de marché limitée des entreprises concernées, ne sont pas susceptibles d'entraver une concurrence effective, peuvent être présumées compatibles avec le marché commun; [...] sans préjudice des articles 85 et 86 du traité, une telle indication existe notamment lorsque la part de marché des entreprises concernées ne dépasse 25 % ni dans le marché commun ni dans une partie substantielle de celui-ci.»

134.
    Comme le souligne à juste titre la Commission, la référence ainsi faite au seuil de 25 % de part de marché ne saurait fonder une interprétation restrictive du règlement. Dans la mesure où les marchés oligopolistiques où l'une des entreprises en position dominante conjointe détient moins de 25 % sont relativement rares, cette indication n'est pas de nature à éliminer du champ d'application du règlement les cas de domination conjointe. En effet, il est plus fréquent de trouver des marchés oligopolistiques où les entreprises en position dominante détiennent plus de 25 % des parts de marché. Ainsi, les structures de marché les plus favorables à la survenance de comportements oligopolistiques sont celles caractérisées notamment par la présence de deux, trois ou quatre fournisseurs détenant chacun à peu près la même part de marché, par exemple deux fournisseurs détenant 40 % du marché chacun, trois fournisseurs détenant entre 25 et 30 % du marché chacun ou quatre fournisseurs détenant environ 25 % du marché chacun. Or, toutes ces configurations sont compatibles avec le seuil de 25 % prévu par le quinzième considérant du règlement.

135.
    De plus, ce seuil est énoncé à titre simplement indicatif, comme le précise d'ailleurs le quinzième considérant lui-même, et il n'est nullement repris dans le dispositif du règlement (arrêt France e.a./Commission, précité, point 176).

136.
    Dès lors, l'interprétation de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 à la lumière de son quinzième considérant ne saurait justifier la thèse de la requérante selon laquelle le règlement ne serait pas applicable aux positions dominantes collectives.

137.
    Ensuite, il convient d'examiner l'argument de la requérante tiré du principe de sécurité juridique et des droits de la défense.

138.
    Selon la requérante, eu égard en particulier aux sanctions que les entreprises encourent dans le cadre du règlement n° 4064/89, il serait incompatible avec le principe de sécurité juridique de forcer l'interprétation normale de son article 2, paragraphe 3, de manière à étendre sa portée aux situations de domination collective.

139.
    Or, la question qui se pose dans le cadre du moyen examiné est précisément celle de savoir si l'interprétation correcte du règlement est celle préconisée par la

Commission. Si tel est le cas, la décision est légale de ce point de vue et il n'y a pas de violation du principe de sécurité juridique. Si, au contraire, l'interprétation exacte du règlement est celle avancée par la requérante, la décision est entâchée d'un vice d'incompétence, auquel cas il n'est pas nécessaire de se prononcer sur une éventuelle violation du principe de sécurité juridique.

140.
    Dès lors, l'argument de la requérante est inopérant.

141.
    En ce qui concerne le respect des droits de la défense, il convient de rappeler que l'article 18 du règlement n° 4064/89 dispose:

«1.    Avant de prendre les décisions prévues à l'article 7, paragraphes 2 et 4, à l'article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, et paragraphes 3, 4 et 5, ainsi qu'aux articles 14 et 15, la Commission donne aux personnes, entreprises et associations d'entreprises intéressées l'occasion de faire connaître, à tous les stades de la procédure jusqu'à la consultation du comité consultatif, leur point de vue au sujet des objections retenues à leur encontre.

[...]

3.    La Commission ne fonde ses décisions que sur les objections au sujet desquelles les intéressés ont pu faire valoir leurs observations. Les droits de la défense des intéressés sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. L'accès au dossier est ouvert au moins aux parties directement intéressées tout en respectant l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués.

4.    Dans la mesure où la Commission ou les autorités compétentes des États membres l‘estiment nécessaire, elles peuvent aussi entendre d‘autres personnes physiques ou morales. Si des personnes physiques ou morales justifiant d‘un intérêt suffisant, et notamment des membres des organes d‘administration ou de direction des entreprises concernées ou des représentants reconnus des travailleurs de ces entreprises, demandent à être entendues, il est fait droit à leur demande.»

142.
    Contrairement à ce que prétend la requérante, ces dispositions n'excluent pas a priori la possibilité pour les membres de l'oligopole qui ne sont pas parties à la concentration de jouir en matière d'audition des mêmes droits que les entreprises parties à ladite concentration.

143.
    En effet, le niveau de protection des droits de la défense d'une entreprise donnée ne dépend, dans le système de l'article 18 du règlement, que de sa caractérisation en tant qu'entreprise intéressée ou en tant que partie directement intéressée ou en tant que tiers ayant un intérêt suffisant, question qui, à son tour, dépend de celle de savoir si la décision que la Commission entend adopter est susceptible de lui faire grief. Il s'ensuit que si les entreprises membres de l'oligopole mais non parties à la concentration devaient être considérées comme des parties directement

intéressées par la décision de la Commission, elles jouiraient des mêmes droits procéduraux que les entreprises parties à la concentration.

144.
    En revanche, si la décision de la Commission n'était pas de nature à faire grief aux entreprises non parties à la concentration, elles auraient le droit d'être entendues dans la mesure où elles justifieraient d'un intérêt suffisant, conformément à l'article 18, paragraphe 4, du règlement n° 4064/89, ce qui serait conforme à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal en matière de droits procéduraux des tiers.

145.
    A supposer même que la constatation par la Commission de la création ou du renforcement, par l'opération de concentration projetée, d'une position dominante collective des entreprises concernées et d'une entreprise tierce puisse en elle-même faire grief à cette dernière, il importe de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à une personne déterminée constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21, et France e.a./Commission, précité, point 174).

    

146.
    En présence d'un tel principe, la circonstance que le législateur communautaire n'ait pas, dans le cadre du règlement, prévu expressément de procédure garantissant les droits de la défense des entreprises tierces supposées détenir une position dominante collective avec les entreprises parties à la concentration ne saurait être considérée comme une preuve décisive de l'inapplicabilité dudit règlement aux positions dominantes collectives (arrêt France e.a./Commission,précité, point 175).

147.
    Il s'ensuit que l'argument tiré des droits procéduraux des tiers ne saurait être accueilli.

148.
    Dès lors que les interprétations littérale, historique et systématique du règlement, et en particulier de son article 2, ne permettent pas d'en apprécier la portée exacte quant au type de position dominante visée, il y a lieu d'interpréter la réglementation en cause en se fondant sur sa finalité (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 7 février 1979, Pays-Bas/Commission, 11/76, Rec. p. 245, point 6, du 5 décembre 1996, Merck et Beecham, C-267/95 et C-268/95, Rec. p. I-6285, points 19 à 25, et France e.a./Commission, précité, point 168).

149.
    A cet égard, ainsi que cela résulte de ses cinq premiers considérants, le règlement se fixe comme objectif principal, en vue de la réalisation des finalités du traité, et notamment de son article 3, sous f), devenu l'article 3, sous g), à la suite de l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, d'assurer que le processus de restructuration des entreprises découlant notamment de l'achèvement du marché

intérieur n'entraîne pas un préjudice durable pour la concurrence. C'est ainsi donc que le cinquième considérant in fine du règlement n° 4064/89 souligne que «le droit communautaire doit par conséquent comporter des dispositions applicables aux opérations de concentration susceptibles d'entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci» (voir, dans ce sens, arrêt France e.a./Commission, précité, point 169).

150.
    Par ailleurs, il ressort des sixième, septième, dixième et onzième considérants du même règlement que celui-ci, à la différence des articles 85 et 86 du traité, a vocation à s'appliquer à toutes les opérations de concentration de dimension communautaire pour autant qu'elles risquent, en raison de leur effet sur la structure de la concurrence dans la Communauté, de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussé visé par le traité (arrêt France e.a./Commission, précité, point 170).

151.
    Or, une opération de concentration qui crée ou renforce une position dominante des parties concernées avec une entité tierce à l'opération est susceptible de se révéler incompatible avec le régime de concurrence non faussé prévu par le traité. Dès lors, s'il était admis que seules les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante des parties à la concentration sont visées par le règlement, la finalité de celui-ci telle que résultant des considérants précités serait partiellement mise en échec. Ce règlement serait ainsi privé d'une partie non négligeable de son effet utile, sans que cela s'impose au regard de l'économie générale du régime communautaire de contrôle des concentrations (arrêt France e.a./Commission, précité, point 171).

152.
    Quant aux arguments tirés, d'une part, de ce que le règlement est susceptible d'être appliqué à des opérations de concentration entre entreprises n'ayant pas leur centre d'activité principal dans la Communauté et, d'autre part, de ce que la Commission pourrait éventuellement contrôler le comportement restrictif des membres d'un oligopole par le biais de l'article 86 du traité , ils ne sont pas de nature à remettre en cause l'applicabilité du règlement à des cas de domination collective résultant d'une opération de concentration.

153.
    S'agissant du premier de ces arguments, il y a lieu de relever que l'applicabilité du règlement aux positions dominantes collectives ne saurait dépendre de son champ d'application territorial.

154.
    En ce qui concerne la possibilité d'appliquer l'article 86 du traité, elle ne permet pas de considérer que le règlement ne s'applique pas à une domination collective, étant donné que le même raisonnement vaudrait en ce qui concerne les situations de domination par une seule entreprise, ce qui amènerait à la conclusion que le règlement n'est pas du tout nécessaire.

155.
    Au surplus, l'article 86 du traité ne permettant que le contrôle du renforcement d'une position dominante et non pas la création de ce type de situations (arrêt

Europemballage et Continental Can/Commission, précité, point 26), la non-applicabilité du règlement aux concentrations aurait pour effet de créer une lacune dans le système communautaire de contrôle des concentrations, de nature à compromettre le bon fonctionnement du marché commun.

156.
    Il ressort de ce qui précède que les positions dominantes collectives ne sont pas exclues du champ d'application du règlement n° 4064/89, ainsi que la Cour l'a d'ailleurs elle-même jugé, postérieurement à l'audience du 18 février 1998, dans l'arrêt France e.a./Commission, précité (point 178).

157.
    Dès lors, la Commission n'était pas tenue d'insérer une motivation quelconque dans le texte de la décision quant à l'applicabilité du règlement aux positions dominantes collectives, d'autant qu'elle avait déjà exprimé son point de vue à ce sujet tant dans les rapports annuels sur la politique de concurrence que dans d'autres cas de concentration, notamment dans la décision Nestlé/Perrier. Partant, le grief tiré de la violation de l'obligation de motivation prescrite par l'article 190 du traité n'est pas fondé.

158.
    Il s'ensuit que les moyens examinés doivent être rejetés.

III — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'article 2 du règlement n° 4064/89, en ce que la Commission aurait constaté à tort que l'opération de concentration créerait une position dominante collective, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

A — Décision litigieuse

159.
    Pour conclure à la création d'une position dominante collective entre Implats/LPD et Amplats, susceptible d'entraver la concurrence de manière significative dans le marché commun (point 219 des considérants de la décision litigieuse), la Commission a notamment constaté (points 74 à 214 des considérants) que:

—    malgré le fait que les platinoïdes (platine, palladium, rhodium, iridium, ruthenium et osmium) se trouvent, à l'état naturel, dans le même gîte, ils ne sont pas suffisamment substituables les uns aux autres pour être considérés comme ne formant qu'un seul marché de produits et que, par conséquent, chaque platinoïde pris isolément constitue un marché de produit;

—    les platinoïdes constituent des biens de haute valeur vendus dans le monde entier aux mêmes conditions et que, dès lors, il existe un marché mondial intégré pour chaque platinoïde;

—    les marchés du platine et du rhodium se caractérisent par une homogénéité du produit, une grande transparence du marché, l'inélasticité de la demande par rapport au niveau des prix actuels, une croissance modérée de la

demande, des techniques de production parvenues à maturité, des barrières à l'entrée élevées, un fort taux de concentration des entreprises, des liens financiers et des contacts entre fournisseurs sur de multiples marchés, l'absence de pouvoir de négociation des acheteurs ainsi que par le fait que la concurrence s'est peu développée et que seuls quelques éléments de concurrence ont pu s'y affirmer par le passé;

—    à la suite de l'opération de concentration, le groupe Implats/LPD et Amplats détiendraient une part de marché mondial d'environ 35 % chacun sur le marché du platine (part de marché combinée de 70 % environ) qui, après l'épuisement escompté des stocks russes dans une période de deux ans passerait à 40 % chacun (part de marché combinée de 80 % environ) et une part combinée de l'estimation des réserves mondiales de platinoïdes de 89 % à concurrence de 50 % chacune;

—    à la suite de l'opération de concentration, Implats/LPD et Amplats auraient des structures de coûts similaires;

—    la concentration éliminerait définitivement la menace concurrentielle préalablement exercée par LPD sur le marché;

—    à la suite de l'opération de concentration, la Russie ne jouerait plus qu'un rôle mineur sur le marché;

—    les sources d'approvisionnement marginales, à savoir les fournisseurs extérieurs à l'oligopole, les entreprises de recyclage, les détenteurs de stocks autres que les stocks russes et la substitution du palladium au platine ne seraient pas à même de faire échec à la puissance économique du duopole constitué par Implats/LPD et Amplats;

—    de nouvelles entrées sur les marchés du platine et du rhodium étaient peu probables.

B — Considérations générales

160.
    La requérante fait valoir que les éléments de preuve et la motivation contenus dans la décision litigieuse ne suffisent pas en l'espèce à justifier la constatation de l'existence d'une position dominante collective et, de surcroît, ne constituent pas une motivation suffisante au regard de la jurisprudence relative à l'article 190 du traité.

161.
    Elle soutient que, si la Commission avait correctement appliqué aux caractéristiques objectives des marchés du platine et du rhodium les critères précédemment utilisés dans sa pratique décisionnelle, elle ne serait pas parvenue à la conclusion que l‘opération de concentration entraînerait la création d‘une position dominante collective.

162.
    Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

163.
    Dans le cadre de son appréciation de l'existence d'une position dominante collective, la Commission est donc tenue de vérifier, selon une analyse prospective du marché de référence, si l'opération de concentration dont elle est saisie aboutirait à une situation dans laquelle une concurrence effective sur le marché en cause serait entravée de manière significative par les entreprises parties à la concentration et une ou plusieurs entreprises tierces qui ont, ensemble, notamment en raison de facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs (arrêt France e.a./Commission, précité, point 221).

164.
    A cet égard, les règles de fond du règlement, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique (même arrêt, point 223).

165.
    En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (même arrêt, point 224).

166.
    A la lumière de ces considérations, il convient d'examiner les différents arguments invoqués par la requérante.

C — Sur la prétendue existence d'un contrôle conjoint de Gencor et de Lonrho sur LPD avant l'opération de concentration

Arguments des parties

167.
    La requérante fait valoir que la Commission semble avoir omis de prendre suffisamment en compte tous les éléments de preuve qui lui ont été présentésquant à la situation antérieure à l'opération de concentration, dans le cadre de laquelle elle aurait exercé un contrôle commun avec Lonrho sur LPD . Les facteurs ayant amené la Commission à conclure que la concentration projetée serait incompatible avec le marché commun auraient déjà existé antérieurement au projet. Il serait dès lors difficile de comprendre en quoi la concentration aurait modifié le niveau de concurrence dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

168.
    La Commission soutient que, contrairement à ce qu'affirme la requérante, LPD ne faisait pas l'objet d'un contrôle conjoint de Gencor et de Lonrho avant la proposition de concentration. Selon elle, la requérante dirait exactement le contraire de ce qu'elle aurait soutenu dans la réponse des parties à la communication des griefs, à savoir qu'Implats et LPD étaient des entités totalement distinctes et qu'Implats n'était impliquée dans LPD qu'en sa qualité d'actionnaire minoritaire.

Appréciation du Tribunal

169.
    Le Tribunal relève que, aux points 114 à 121 et 186 à 191 des considérants de la décision litigieuse, la Commission a fait une analyse détaillée des liens structurels existant entre Implats et LPD préalablement à l'opération de concentration ainsi que de l'impact de cette dernière sur la structure de la concurrence sur le marché du platine. Ainsi, selon la décision litigieuse, l'existence de ces liens n'a pas empêché LPD de rester un concurrent indépendant vis-à-vis d'Implats, indépendance qui aurait disparu après l'opération de concentration.

170.
    Il convient donc d'examiner si l'opération de concentration était de nature à modifier sensiblement le degré d'influence susceptible d'être exercé par la requérante sur LPD et, de ce fait, les conditions et la structure de la concurrence sur les marchés du platine et du rhodium, ou bien si, l'opération de concentration n'ayant rien ajouté de substantiel à la structure de marché préexistante, la Commission aurait dû l'autoriser.

171.
    A cet égard, il convient de relever que, selon l'article 8.2 du pacte d'actionnaires de 1990, la gestion courante et le contrôle ordinaire des activités et des affaires d'Eastplats et de Westplats, c'est-à-dire de LPD, sont soumis au contrôle exclusif de Lonrho à travers sa filiale LMS.

172.
    En effet, cet article stipule:

«La gestion et le contrôle ordinaire et quotidien des affaires et engagements de chaque société seront transférés dans LMS [Lonrho Management Services] au moyen d'accords de gestion et les parties devront faire en sorte qu'à la date de signature les sociétés aient adopté des accords de gestion avec LMS en vertu desquels la gestion des affaires des sociétés sera réalisée par LMS. LSA [Lonrho South Africa] devra faire en sorte que LMS informe le conseil d'administration de chaque société régulièrement et complètement de chaque aspect matériel des affaires de chacune des sociétés au moyen (entre autres) de comptes rendus mensuels de gestion.»

173.
    Par ailleurs, selon l'article 8.5 du pacte d'actionnaires, la commercialisation et la vente de la production de LPD sont également soumises au contrôle exclusif de Lonrho à travers sa filiale Western Metal Sales (point 117 des considérants de la décision litigieuse).

174.
    En effet, cet article énonce:

«La production de WPL [Westplats] et de EPL [Eastplats], y compris la production du site minier acquis par WPL au titre de l'accord principal, sera commercialisée par le biais de WMS [Western Metal Sales] [...]»

175.
    En outre, selon l'article 6.3 du pacte d'actionnaires, «aussi longtemps que le groupe Lonrho détiendra globalement 50 % ou plus du capital souscrit de chacune des sociétés, le président et le gérant de chacune des sociétés et le président des réunions du conseil d'administration sera un directeur nommé par LSA». A cet égard, il n'est pas contesté que LMS, en tant que fournisseur des services de gestion à LPD, se trouvait en position de force et dans une situation privilégiée à la fois pour connaître et gérer les activités de LPD et pour exercer une forte influence sur les conséquences de toutes les décisions de cette dernière (point 118 des considérants de la décision litigieuse).

176.
    Au surplus, l'absence d'influence du groupe Gencor sur les stratégies concurrentielles de LPD est confirmée par les déclarations des parties à la concentration elles-mêmes dans leur réponse à la communication des griefs (voir annexe 5 à la réponse de Gencor et de Lonrho à la communication des griefs, paragraphes 6, 7 et 8: contrôle de LPD par Gencor et Lonrho, quatrième alinéa), lorsqu'elles soutiennent qu'«Implats et LPD étaient, et restent encore à ce jour, des entités totalement distinctes et gérées séparément, en ce qui concerne leur gestion courante, par leurs organes de direction respectifs, sans se référer l'une à l'autre», et que «la participation d'Implats était et reste [...] celle d'un actionnaire détenant 27 % du capital de LPD» (point 118 des considérants de la décision). Elle est également confirmée par l'article 17 du pacte d'actionnaires, lequel stipule: «Les relations des actionnaires (les groupes Gencor et Lonrho) sont réglementées par cet accord et aucun élément contenu dans celui-ci ne doit être considéré comme constituant une association, une entreprise commune ou assimilée [...]»

177.
    Enfin, il n'est pas contesté, d'une part, que LPD et Implats, en conservant leurs services commerciaux respectifs, se faisaient mutuellement concurrence préalablement à l'opération de concentration et vendaient leurs produits à certains clients communs à des conditions différentes, par exemple, quant aux remises qu'elles leur accordaient (point 117 des considérants de la décision litigieuse), et, d'autre part, que pendant la dernière décennie LPD a été, avec la Russie, le principal élément de concurrence sur le marché (points 174 à 177 des considérants).

178.
    Il en résulte que Lonrho était en mesure de contrôler, à titre individuel, sans l'accord de Gencor, un aspect très important de la stratégie concurrentielle de LPD, à savoir sa politique de commercialisation.

179.
    Or, après la concentration, cet aspect de la politique commerciale de LPD n'aurait plus été sous le contrôle exclusif de Lonrho, mais sous le contrôle conjoint de Lonrho et de Gencor. En effet, l'opération aurait entraîné l'absorption, par la nouvelle entité, de Western Metal Sales et de LMS, ainsi que le regroupement de toutes les activités d'extraction, d'élaboration, d'affinage et de commercialisation au sein d'Implats/LPD, sous une direction unique (points 120 et 186 des considérants de la décision litigieuse).

180.
    Dans ces conditions, contrairement à ce qui est soutenu par la requérante, l'opération de concentration était de nature à modifier sensiblement les possibilités de concurrence de LPD au niveau de la commercialisation des platinoïdes.

181.
    En ce qui concerne la politique en matière de production, il convient de relever que, selon les articles suivants du pacte d'actionnaires, tant les décisions concernant tout investissement majeur au-delà du programme déjà approuvé que le plan annuel stratégique et le budget pour chacune des sociétés constituant LPD étaient soumis à l'accord préalable de Gencor et de Lonrho:

«6.1    LSA et Implats auront la même représentation et les mêmes droits de vote aux conseils d'administration des sociétés [...]

[...]

8.3     Tout investissement majeur au-delà du programme déjà approuvé en relation avec les affaires d'une des sociétés, incluant leur financement et les décisions de désinvestissement, donnera lieu à un accord entre les actionnaires. Dans l'hypothèse où les actionnaires ne pourraient se mettre d'accord sur ce type de matière, les actionnaires rechercheront l'opinion d'un expert indépendant mutuellement acceptable, dont l'opinion sera prise en considération.

8.4     Malgré les dispositions contenues dans les statuts de chacune des sociétés, les pouvoirs et fonctions du conseil d'administration de chacune des sociétés incluront l'examen et, si nécessaire, l'approbation des matières suivantes:

    [...]

8.4.3    le plan annuel stratégique et le budget pour chacune des sociétés.»

182.
    A cet égard, il n'est pas contesté que Lonrho peut, sans le concours de Gencor, augmenter le niveau actuel de production de LPD à concurrence de (...) onces par an environ à partir des puits existants et d'autres accroissements additionnels réalisés grâce à des améliorations continues des procédés de production et à la résolution des engorgements de la chaîne de l'offre (point 5.1 du rapport établi au

mois de mars 1996 par le cabinet National Economic Research Associates, consultants économiques, ci-après «rapport NERA»).

183.
    Néanmoins, la requérante fait valoir que la concentration n'aurait pas modifié ses possibilités de bloquer l'expansion future de la capacité de production de LPD au-delà de ce montant, étant donné qu'en vertu du pacte d'actionnaires de 1990 son accord était déjà nécessaire pour la réalisation de tout investissement majeur, y compris les investissements indispensables pour l'expansion du puits de mine connu sous le nom de (...). En effet, selon elle, ses droits de veto en matière d'approbation du plan annuel stratégique et des budgets annuels lui permettaient d'empêcher LPD d'obtenir le financement nécessaire (par le biais d'emprunts bancaires ou d'un financement des consommateurs) au développement du filon (...) (rapport NERA, point 5.1).

184.
    A cet égard, il y a lieu de constater que, d'après les éléments fournis par les parties et l'analyse communiquée par M. R. W. Rowland, ancien président de Lonrho, LPD était, malgré son endettement, en mesure d'autofinancer son projet de développement et que des dépenses d'équipement supplémentaires d'un montant limité devaient lui permettre de porter sa production à 900 000 onces par an (points 115 in fine, 121 et 191 des considérants de la décision litigieuse). (...)

185.
    Or, selon l'article 8.3 in fine du pacte d'actionnaires de 1990, en cas de désaccord sur l'expansion future de LPD, Gencor et Lonrho devaient chercher l'avis d'un expert indépendant. Il en résulte que, comme le souligne la Commission, Gencor ne pouvait pas bloquer indéfiniment des décisions en matière d'investissement indispensables pour le développement de la capacité de production de LPD et susceptibles de bénéficier à l'ensemble des actionnaires pour des raisons étrangères au bon fonctionnement de l'entreprise (point 191 des considérants de la décision litigieuse).

186.
    Or, après la concentration, ce type de conflit d'intérêts était moins probable étant donné la modification des intérêts économiques des parties.

187.
    En effet, avant l'opération de concentration, Gencor contrôlait Implats et détenait une participation minoritaire de 27 % dans le capital de LPD, assortie du pacte d'actionnaires. Pour sa part, Lonrho disposait de 73 % du capital de LPD, mais ne disposait d'aucune participation dans le capital d'Implats. Dans ces conditions, et bien que Gencor ait pu, avant la concentration, avoir intérêt à imposer des décisions favorables au développement des activités qu'elle contrôlait à titre individuel (et qui rapportaient proportionnellement un profit plus élevé), c'est-à-dire les activités d'Implats, au détriment si nécessaire de LPD, tel n'était pas le cas de Lonrho qui, opérant sur les marchés des platinoïdes uniquement à travers LPD, avait objectivement pour seul intérêt le développement le plus rationnel des activités de sa filiale LPD.

188.
    En revanche, à la suite de la concentration, cette situation aurait été susceptible de changer radicalement dans la mesure où tant Gencor que Lonrho auraient disposéde la même participation dans le capital de la nouvelle entité Implats/LPD et, de ce fait, auraient été susceptibles de partager les mêmes buts et intérêts économiques, au moins en ce qui concerne les décisions stratégiques se rapportant au développement de la nouvelle entité. En d'autres termes, l'opération de concentration était donc de nature à modifier la balance des intérêts des deux actionnaires principaux de LPD en créant une convergence de vues accrue entre Gencor et Lonrho, par rapport, notamment, au développement de la capacité de production de la nouvelle entité, et de rendre ainsi possible la création d'une structure duopolistique du marché constituée par Gencor et Lonrho, d'une part, et Amplats, d'autre part.

189.
    Cela est d'ailleurs confirmé par les parties elle-mêmes.

190.
    A cet égard, le point 187 des considérants de la décision litigieuse énonce:

«[...] Comme indiqué dans la lettre adressée aux actionnaires de Lonrho en prévision de la concentration:

'Il est des points sur lesquels Implats et Lonrho ne sont pas parvenues à s'entendre jusqu'à présent, comme les plans de développement des activités de LPD proposés par Lonrho. Pour le conseil d'administration, il est clair qu'après l'opération Lonrho et Gencor auront toutes deux intérêt à voir augmenter la valeur de la nouvelle entité Implats, pour le grand profit de leurs actionnaires respectifs.‘»

191.
    Le point 188 de la décision litigieuse ajoute:

«En outre, d'après les projections présentées au (...), la convergence d'intérêts consécutive à l'opération entraînera une réduction de la production et une augmentation des prix, contrairement à ce qui se passerait si l'opération n'avait pas lieu et si les deux entreprises s'en tenaient à leurs projets de développement actuels. En particulier, le (...) s'est vu proposer deux scénarios différents, qui décrivent l'évolution de la production d'Implats/LPD en cas de fusion et en l'absence de fusion:

a)    (...)

b)    (...)»

192.
    Enfin, selon le point 189 des considérants de la décision litigieuse, (...) considérait notamment, selon le rapport d'août 1994 intitulé (...), que la concentration présenterait deux grands avantages du point de vue du marché (outre une possible économie de coûts):

«(...)

[... le maintien des niveaux de production actuels devrait avoir une incidence positive sur les cours ...]

et en outre,

(...)

[... le groupe qui résultera de l'opération aura une capitalisation boursière plus importante que la valeur sous-jacente des entités fusionnées, en raison de sa taille et de sa plus grande capacité à influer sur le marché...]»

193.
    Dans ces conditions, malgré les liens structurels existant entre la requérante et Lonrho en vertu du pacte d'actionnaires de 1990, la Commission était fondée à considérer que la concentration projetée était de nature à éliminer définitivement la menace concurrentielle exercée par LPD à l'encontre des activités à coût élevé d'Implats et d'Amplats, tant sur le plan de la commercialisation que sur le plan de la production et, de ce fait, à exercer une influence substantielle sur la structure du marché préexistante.

194.
    Dès lors, le grief examiné doit être rejeté.

D — Sur la caractérisation par la Commission de la position dominante collective

1. Sur le critère de la part de marché

Arguments des parties

195.
    La requérante relève que les parts de marché des parties sur le marché mondial du platine sur lesquelles s'est fondée la Commission sont respectivement de (...) % (pour Implats) et de (...) % (pour LPD), ce qui représente une part de marché combinée de (...) %. Sur le marché communautaire, ces parts atteindraient respectivement (...) % (LPD), (...) % (Implats) et (...) % (part combinée). Or, dans d'autres affaires de contrôle d'opérations de concentration dans lesquelles une position dominante collective a été constatée, comme celles ayant donné lieu à la décision Nestlé/Perrier et à la décision 94/449/CE du 14 décembre 1993 relative à une procédure d'application du règlement n° 4064/89 (affaire n° IV M.308-Kali + Salz/MdK/Treuhand) (JO 1994, L 186, p. 38) (ci-après «décision Kali + Salz/MdK/Treuhand»), les parts de marché combinées auraient été bien plus élevées qu'en l'espèce, et la Commission aurait néanmoins autorisé les opérations de concentration projetées.

196.
    Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision Nestlé/Perrier, Nestlé et BSN aurait disposé ensemble d'une part de 82 % du marché concerné, à savoir le marché français des eaux minérales (point 119 des considérants de la décision). L'opération de concentration aurait été autorisée moyennant le respect de certaines conditions.

197.
    Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision Kali + Salz/MdK/Treuhand, la part de marché de Kali + Salz serait passée de 17 à 25 % du marché communautaire hors Allemagne et aurait donné lieu à un monopole de fait consistant en une part de 98 % du marché allemand, lequel aurait été considéré comme un marché concerné géographiquement distinct. Là encore, l'opération de concentration aurait été autorisée par la Commission moyennant le respect de certaines conditions.

198.
    La Commission fait valoir que la comparaison réalisée par la requérante entre les parts de marché des parties à la concentration et le total des parts de marché de tous les membres de l'oligopole dans l'affaire ayant donné lieu à la décision Nestlé/Perrier (82 %) est incorrecte, de même que la comparaison établie avec l'affaire ayant donné lieu à la décision Kali + Salz/MdK/Treuhand.

Appréciation du Tribunal

199.
    L'interdiction édictée à l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 est l'expression de l'objectif général assigné par l'article 3, sous g), du traité, à savoir l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun (premier et septième considérants du règlement n° 4064/89). Elle porte sur les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

200.
    La position dominante ainsi visée concerne une situation de puissance économique détenue par une ou plusieurs entreprises qui leur donnerait le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en leur fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et, finalement, des consommateurs.

201.
    L'existence d'une position dominante peut résulter de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants. Parmi ces facteurs, l'existence de parts de marché d'une grande ampleur est hautement significative. Cependant, la détention d'une part de marché considérable, comme élément de preuve de l'existence d'une position dominante, n'est pas une donnée immuable. Sa signification varie de marché à marché d'après la structure de ceux-ci, notamment en ce qui concerne la production, l'offre et la demande (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, points 39 et 40).

202.
    En outre, le rapport entre les parts de marché détenues par les entreprises parties à la concentration et par leurs concurrents, en particulier ceux qui les suivent immédiatement, constitue un indice valable de l'existence d'une position dominante. En effet, ce facteur permet d'évaluer la capacité concurrentielle des concurrents de l'entreprise en cause (même arrêt, point 48).

203.
    Dans ces conditions, la circonstance selon laquelle la Commission s'est fondée dans d'autres cas de concentration sur des parts de marché plus ou moins élevées en vue d'étayer son appréciation sur l'éventualité de la création ou d'un renforcement d'une position dominante collective ne saurait la lier dans son appréciation dans d'autres affaires concernant, notamment, des marchés caractérisés par une structure de l'offre et de la demande et par des conditions de concurrence différentes.

204.
    Dès lors, et à défaut d'éléments probants de nature à montrer que le marché des eaux minérales et/ou le marché de la potasse examinés dans les affaires ayant donné lieu aux décisions Nestlé/Perrier et Kali + Salz/MdK/Treuhand, d'une part, et celui du platine et du rhodium examinés dans la présente affaire, d'autre part, présentent des caractéristiques fondamentalement similaires, la requérante ne saurait se prévaloir des éventuelles différences dans les parts de marché détenues par les membres de l'oligopole prises en compte par la Commission dans l'une ou l'autre de ces deux affaires pour remettre en cause le seuil de part de marché retenu comme indicatif de l'existence d'une position dominante collective dans la présente espèce.

205.
    Au surplus, si la signification des parts de marché peut différer d'un marché à l'autre, il peut être considéré à juste titre que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante (arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, point 60). En effet, la possession d'une part de marché extrêmement importante met l'entreprise qui la détient pendant une période d'une certaine durée, par le volume de production et d'offre qu'elle représente — sans que les détenteurs de parts sensiblement plus réduites soient en mesure de satisfaire rapidement la demande qui désirerait se détourner de l'entreprise détenant la part la plus considérable —, dans une situation de force qui fait d'elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues, l'indépendance de comportement caractéristique de la position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 41)

206.
    Il est vrai que, dans le contexte d'un oligopole, la détention de parts de marché élevées par les membres de l'oligopole n'a pas nécessairement, par rapport à l'analyse d'une position dominante individuelle, la même signification du point de vue des possibilités desdits membres d'adopter, en tant que groupe, des comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et, finalement, des consommateurs. Il n'en demeure pas moins que la détention, notamment dans le cas d'un duopole, d'une part de marché élevée est également de nature, sauf éléments en sens contraire, à constituer un indice très important de l'existence d'une position dominante collective.

207.
    En l'espèce, il convient d'observer que, comme la Commission l'a relevé dans la décision litigieuse (points 81 et 181 des considérants), à la suite de l'opération de concentration, les entreprises Implats/LPD et Amplats auraient eu chacune une part de marché d'environ 30 à 35 %, c'est-à-dire une part de marché combinée d'environ 60 à 70 % sur le marché mondial des platinoïdes et environ 89 % des réserves mondiales de platinoïdes. La Russie avait une part de marché de 22 % et environ 10 % des réserves mondiales, les producteurs d'Amérique du Nord détenaient une part de marché de 5 et de 1 % des réserves mondiales et les entreprises de recyclage avaient une part de marché de 6 %. Or, il était probable que, après écoulement par la Russie de ses stocks, c'est-à-dire vraisemblablement au cours des deux années suivant la décision litigieuse, les entreprises Implats/LPD et Amplats auraient eu chacune une part de marché d'environ 40 %, soit une partde marché combinée de 80 %, ce qui aurait constitué une part de marché très élevée.

208.
    Ainsi, eu égard à la répartition entre elles des parts de marché détenues par les parties à la concentration et à l'écart des parts de marché qui apparaîtrait à la suite de cette concentration entre, d'une part, l'entité issue de la fusion et Amplats et, d'autre part, les autres fournisseurs de platine, la Commission a pu conclure à juste titre que l'opération projetée était susceptible de donner lieu à la création d'une position dominante des entreprises sud-africaines.

209.
    Il y a lieu de constater que la comparaison réalisée par la requérante entre les parts de marché des parties à la concentration et le total des parts de marché de tous les membres de l'oligopole dans l'affaire ayant donné lieu à la décision Nestlé/Perrier (82 %) est incorrecte. En effet, comme cela est souligné par la Commission, il faudrait comparer la part de 82 % avec l'ensemble des parts de marché des parties à la concentration et d'Amplats après l'élimination virtuelle du producteur Russe (Almaz) en tant qu'intervenant significatif sur le marché, soit un total d'environ 80 %. Pour ce qui est de l'affaire ayant donné lieu à la décision Kali + Salz/MdK/Treuhand, la requérante a également comparé à tort les parts de marché des parties à la concentration dans cette affaire et celles de Kali + Salz et de MdK (98 %) en Allemagne, où il n'était pas question de position dominante collective. Or, dans l'affaire ayant donné lieu à la décision Kali + Salz/MdK/Treuhand, la Commission a constaté l'existence d'une position dominante collective sur le marché européen à l'exclusion de l'Allemagne, l'entreprise résultant de la concentration détenant conjointement avec l'autre membre du duopole une part de marché totale d'environ 60 %. La requérante aurait donc dû procéder à une comparaison avec ce dernier chiffre, nettement inférieur à la part de marché combinée d'Amplats et d'Implats/LPD à la suite de la concentration.

210.
    S'agissant de l'argument de la requérante selon lequel la part de marché combinée d'Implats/LPD à l'issue de la concentration aurait atteint uniquement (...) % dans la Communauté, il y a lieu de relever, d'une part, que le marché géographique en cause est une zone géographique définie caractérisée par l'existence de conditions de concurrence suffisamment homogènes pour tous les opérateurs économiques.

Dans cette zone, la ou les entreprises détenant une position dominante auraient été en mesure de se livrer éventuellement à des pratiques abusives faisant obstacle à une concurrence effective (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, points 11 et 44). De ce fait, la Commission était en mesure d'apprécier raisonnablement les effets de la concentration sur la concurrence dans ladite zone. Il convient d'observer, d'autre part, que, en raison des caractéristiques des marchés des platinoïdes décrites aux points 68 à 72 des considérants de la décision litigieuse, le marché géographique en cause dans la présente espèce a une dimension mondiale, ce qui n'est pas contesté par les parties.

211.
    Dans ces conditions, on ne saurait se référer à des «parts de marché» des parties dans la Communauté. En effet, sur un marché mondial, comme celui du platine et du rhodium, le pouvoir économique d'un ensemble comme celui qui aurait été constitué par Implats/LPD et Amplats après la concentration aurait été le pouvoir attaché à sa part du marché mondial et non pas à sa part de marché dans une partie du monde.

212.
    A cet égard, l'existence de différences régionales dans la ventilation des parts de marché des membres de l'oligopole dominant le marché d'un produit fongible, facile à transporter et dont les prix sont fixés au niveau mondial, ne fait que refléter des relations d'affaires traditionnelles qui pourraient soit aisément disparaître si les entreprises en position dominante décidaient de pratiquer des prix prédateurs en vue d'éliminer leurs concurrents, soit difficilement être rompues face à des pratiques de prix abusifs, si les sources marginales d'approvisionnement n'étaient pas à même de satisfaire aisément la demande des clients des entreprises en position dominante pratiquant lesdits prix abusifs.

213.
    Or, ainsi que la requérante le reconnaît elle-même au point 4.24 de sa requête , rien ne prouve que les entreprises opérant sur les marchés du platine en dehors du duopole identifié par la Commission, pas plus que les membres du duopole lui-même, soient en mesure d'isoler le marché commun, par exemple pour faire face, de manière sélective, à une décision des membres de l'oligopole dominant d'augmenter les prix au niveau mondial.

214.
    A supposer même que, dans le contexte d'un marché mondial comme celui du platine et du rhodium, il faille aussi examiner le niveau précis des ventes des opérateurs concernés dans la Communauté en l'espèce, il y a lieu de constater que la part de marché de l'ensemble Implats/LPD-Amplats dans la Communauté n'était pas substantiellement différente de celle qu'elles détenaient sur le marché mondial du platine.

215.
    En effet, selon les données fournies par les parties à la concentration dans le formulaire de notification CO, la part de marché combinée d'Implats/LPD dans la Communauté était d'environ (...) % en moyenne au cours de la période 1992-1995

(voir formulaire CO point 6.1.10, annexe 6 à la requête), alors que la part de marché d'Amplats était estimée en 1994 à environ 35 à 50 % et celle de la Russie à environ 25 à 35 %. En d'autres termes, la part de marché combinée de l'ensemble Implats/LPD-Amplats dans la Communauté était, lors de la concentration, d'environ (...) à 65 %, et devait passer, après l'épuisement des stocks russes, à environ (...) à 78 %, car, selon des informations fournies par les parties à la concentration elles-mêmes, la Russie avait, dès 1994, réalisé environ 50 % de ses ventes à partir de ses stocks (voir formulaire CO, point 7.3.2, annexe 7 à la requête).

216.
    Dès lors, le grief tiré du critère de la part de marché doit être rejeté dans son ensemble.

2. Sur la similarité des structures de coûts d'Implats/LPD et d'Amplats à la suite de la concentration

Arguments de la requérante

217.
    De l'avis de la requérante, la Commission a considéré à tort que l'entité fusionnée et Amplats agiraient inévitablement de concert sur le marché, en raison de structures de coûts similaires. L'analyse de l'institution méconnaîtrait la grande diversité des niveaux des coûts d'exploitation de divers puits de mine tant chez Implats et LPD que chez Amplats. A cet égard, il serait tout à fait trompeur de ne considérer que les coûts moyens, puisque les décisions de production seraient prises puits par puits et que la concurrence opérerait au stade des coûts marginaux.

Appréciation du Tribunal

218.
    La comparaison des coûts réalisée par la Commission est fondée sur les graphiques reproduits à l'annexe II à la décision litigieuse représentant les courbes des coûts d'exploitation des trois producteurs sud-africains, telles qu'elles ont été établies par les parties à l'opération elles-mêmes.

219.
    Au point 138, sous b), de la décision litigieuse, la Commission relève, sans que cela soit contesté par la requérante, que la structure des coûts de l'industrie du platine est caractérisée par sa rigidité et par des coûts fixes très élevés, ce qui implique que, dans les mines de platine, la production ne peut varier dans de fortes proportions, même lorsqu'un certain nombre de puits en exploitation ne sont que peu ou pas rentables. Elle relève également que, dans ce contexte, une stratégie de fermeture des puits faiblement bénéficiaires au profit des plus rentables entraînerait une répartition des coûts fixes entre les puits restants, ce qui diminuerait la rentabilité de chaque puits marginal et rendrait sans cesse nécessaires de nouvelles fermetures.

220.
    Elle a donc pu conclure à juste titre que, dans l'industrie du platine, un producteur doit tenir compte de la situation d'ensemble de ses coûts d'exploitation, pour

déterminer son niveau de production adéquat, et ne pas prendre exclusivement en considération les coûts d'exploitation de chacun de ses puits. Dans ces conditions, la comparaison des coûts de l'entité fusionnée et d'Amplats fondée sur les coûts d'exploitation de l'ensemble de leurs puits était pleinement justifiée.

221.
    La requérante ne peut soutenir utilement que l'analyse de la Commission ignorait la grande diversité des niveaux des coûts d'exploitation de divers puits de mine tant chez Implats et LPD que chez Amplats. Sur ce point, il y a lieu d'observer, au vu des graphiques représentant les courbes des coûts d'exploitation, avant et après l'opération, des trois producteurs de platine sud-africains, établies par les parties à l'opération (annexes II et IV à la décision litigieuse), que, malgré l'existence de différences relevées par la Commission dans la décision litigieuse (point 182) et liées à la qualité du minerai extrait, au coût des opérations d'élaboration et d'affinage et aux frais administratifs, la concentration se serait traduite par la création d'une nouvelle entreprise, dont les coûts d'exploitation des mines auraient présenté une structure analogue à celle d'Amplats.

222.
    En conséquence, compte tenu de la similarité des parts de marché des entreprises en cause, de leurs parts dans les réserves mondiales et de leurs structures de coûts, la Commission a pu conclure à juste titre que, à la suite de la concentration, il y aurait eu une plus grande convergence d'intérêts entre Amplats et Implats/LPD en ce qui concerne l'évolution du marché, et que cette convergence était de nature à augmenter les risques de comportements parallèles anticoncurrentiels, tels que des restrictions de production.

223.
    Dès lors, les griefs examinés doivent être rejetés.

3. Sur les caractéristiques du marché

a) Sur la transparence du marché

Arguments des parties

224.
    La requérante affirme que l'analyse des caractéristiques du marché effectuée par la Commission est erronée. Selon elle, bien que le platine soit un produit homogène présentant une grande transparence des prix, celle-ci n'implique pas automatiquement une transparence des niveaux de vente, des décisions de production et des ressources des concurrents, ainsi que le démontrerait le fait que, en 1994, Amplats avait pu cacher ses problèmes de production pendant des mois en procédant au leasing du platine pour respecter ses engagements de livraison.

225.
    La Commission relève que, aux points 145 et 146 des considérants de la décision, elle a exposé les raisons pour lesquelles il existait une très grande transparence en ce qui concerne non seulement les prix, mais également la production, les ventes, les réserves et les nouveaux investissements. Or, la requérante n'aurait avancé

aucun élément de nature à réfuter le contenu de la décision. En outre, la transparence en matière de prix serait l'élément le plus important pour déterminer le niveau de transparence du marché dans une situation d'oligopole. Enfin, la Commission fait observer que, d'après Lonrho, Amplats ne pouvait pas cacher au marché ses problèmes de production, contrairement aux indications du rapport NERA.

Appréciation du Tribunal

226.
    La requérante ne conteste pas que le platine est un produit homogène, pour lequel le marché possède un mécanisme transparent de fixation des prix.

227.
    Or, la transparence en matière de prix constitue un élément fondamental pour déterminer le niveau de transparence du marché dans une situation d'oligopole. Atravers le mécanisme de prix, les membres d'un oligopole peuvent, notamment, détecter immédiatement les décisions d'autres membres de l'oligopole d'augmenter leur part de marché au détriment du statu quo ante et ils peuvent prendre éventuellement des mesures de représailles nécessaires en vue de faire échouer ce genre de comportement.

228.
    En l'espèce, comme cela est exposé dans la décision (points 144 à 146 des considérants), la transparence du marché est relativement poussée, en raison notamment de la cotation du platine sur les bourses de métaux, de la publication des statistiques de la production et des ventes, du nombre limité et connu de clients directs sur le marché, du fait que le secteur du platine est constitué par un petit groupe relativement fermé d'entreprises présentant des liens étroits, de la spécificité des contrats principalement utilisés, à savoir des contrats à long terme interdisant la revente du produit acheté, et du fait que toute augmentation de la capacité de production passe normalement par des projets d'investissements dont les détails sont généralement connus des milieux intéressés.

229.
    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la Commission a retenu à bon droit qu'il existait une très grande transparence non seulement en matière de prix, mais également en matière de production, de ventes, de réserves et de nouveaux investissements.

230.
    Dès lors, le grief examiné doit être rejeté.

b) Sur les perspectives de croissance du marché du platine

Arguments des parties

231.
    D'après la requérante, l'analyse des caractéristiques du marché effectuée par la Commission est erronée. Le fait que l'évolution de la demande soit lente ne pourrait faire obstacle à une concurrence vigoureuse et aux variations de parts de marché qui en résultent. A l'appui de son affirmation, la requérante renvoie au

rapport NERA. Selon le point 4.1.4 de celui-ci, lorsque, comme en l'espèce, l'industrie en question est caractérisée par une situation de surcapacité, les producteurs doivent se concurrencer, notamment par la réduction de leurs coûts de production, en vue d'éviter la fermeture de leur capacité de production excédentaire. Or, de l'avis de la requérante, l'évolution des parts de marché et les réductions des prix réels du platine dans la période 1985-1995 ainsi que la réaction d'Amplats, qui aurait augmenté sa production à bas prix, et d'Implats, qui aurait procédé à d'importantes mesures de rationalisation, démontrent que la structure du marché du platine n'a pas donné lieu à une coopération oligopolistique entre les producteurs les plus importants.

232.
    La Commission soutient que, après la concentration envisagée, les deux principaux producteurs auraient eu des structures de coûts largement similaires. Ainsi, même en matière de réduction des coûts, un comportement parallèle aurait été une stratégie intelligente. Par ailleurs, il demeurerait exact qu'un marché caractérisé par une lente croissance n'encourage pas de nouvelles entrées et une concurrence vigoureuse.

Appréciation du Tribunal

233.
    La requérante ne conteste pas que, en principe, un marché caractérisé par une croissance lente n'encourage pas de nouvelles entrées et une concurrence vigoureuse. Elle se borne à contester, en se fondant sur l'évolution passée du marché, que ce principe soit applicable au marché du platine.

234.
    Elle n'a pas réfuté l'analyse de la Commission (points 160 à 172 des considérants de la décision litigieuse) concernant l'existence antérieure d'une tendance à une dominance oligopolistique, fondée sur un examen de la croissance du marché et de l'évolution des parts de marché au cours de la dernière décennie, sur la faible concurrence directe par les prix pour les contrats à long terme avec les acheteurs, sur la persistance de prix élevés et sur le comportement des principaux acteurs du marché.

235.
    Le raisonnement de la requérante est fondé sur des prémisses, en termes de croissance de la demande, qui ne sont pas comparables avec les prévisions de croissance de la demande pour la période 1995-2000. En effet, au cours de la période 1985-1995, pendant laquelle s'étaient produits les phénomènes de fluctuation des parts de marché et des prix ainsi que les réactions d'Amplats et d'Implats, relevés par la requérante, la demande avait presque doublé, passant de 2 830 000 à 5 205 000 onces par an, (voir rapport NERA, tableau 3.1, p. 15), tandis que pendant la période 1995-2000 la demande ne devait pas augmenter substantiellement, devant passer de 4 705 000 à 5 570 000 onces par an (voir point 127 des considérants de la décision litigieuse).

236.
    Enfin, l'analyse de la requérante ne tient pas compte de l'effet de la concentration sur la structure du marché et de la nouvelle entité par rapport à son principal concurrent, la société Amplats. Or, à supposer même que l'analyse de la requérante soit correcte en ce qui concerne le passé, il n'en demeure pas moins que la concentration aurait eu pour résultat que les deux principaux producteurs auraient eu des structures de coûts largement similaires et que, compte tenu de la structure du marché du platine, un comportement parallèle anticoncurrentiel aurait constitué une stratégie plus rationnelle du point de vue économique que celle consistant à se faire concurrence au détriment de la maximalisation des profits combinés.

237.
    Dans ces conditions, eu égard à la stabilité du marché du platine, dont la prévision de croissance annuelle moyenne se situait aux environs de 3 % sur la période 1995-2000, la Commission a pu conclure à juste titre qu'il n'y aurait pas d'incitation pour de nouveaux concurrents à entrer sur ce marché ou pour les concurrents existants à adopter une stratégie offensive pour s'approprier cette demande supplémentaire.

238.
    Il y a donc lieu de rejeter le grief de la requérante.

c) Sur l'équilibre entre l'offre et la demande

Arguments de la requérante

239.
    La requérante fait valoir ensuite que les inquiétudes de la Commission au sujet d'une éventuelle augmentation des prix du platine ont été aussi manifestement alimentées par l'idée injustifiée de l'apparition vraisemblable d'une pénurie (point 136 des considérants de la décision).

240.
    Or, de l'avis de la requérante, le point de vue soutenu par la Commission était contredit par l'opinion de la majorité des industriels, qui auraient souligné l'existence d'un surplus d'approvisionnement qui pourrait s'équilibrer au cours des années suivantes.

Appréciation du Tribunal

241.
    Au point 127 des considérants de la décision litigieuse, la Commission fait état des différentes prévisions fournies par les parties concernant l'évolution future de la demande, à savoir celles des parties elles-mêmes et celles établies par les sociétés Anderson, Wilson & Partners Inc., BOE Nat West Securities, SBC Warburg et Engelhard, ces prévisions variant d'une société à l'autre.

242.
    Cependant, la Commission a procédé également, aux points 128 à 131 de la décision, à une analyse détaillée, d'ailleurs non contestée par la requérante, des facteurs qui fondaient les prévisions selon lesquelles la demande aurait tendance à augmenter modérément dans les années à venir.

243.
    Ces facteurs étaient:

—    l'augmentation de la production de pots catalytiques, due au renforcement et/ou à l'introduction prévue d'une législation en matière de lutte contre la pollution aux États-Unis, en Europe, au Brésil et en Argentine d'ici à la fin du siècle, et à l'utilisation plus poussée du platine dans les pots catalytiques des véhicules à moteur diesel;

—    la croissance de la demande de platine dans le secteur de la bijouterie au Japon, aux États-Unis et probablement en Chine;

—    en ce qui concerne les applications industrielles, les opérations de remplacement dans les industries pétrolières et chimiques, en raison de la remise en service d'installations fermées lors de la période de récession;

—    l'utilisation accrue de l'ordinateur individuel, le platine étant davantage utilisé dans le revêtement des disques durs et dans d'autres composants;

—    enfin, l'utilisation, à plus long terme, des piles à combustible.

244.
    En outre, indépendamment de la question de savoir laquelle des prévisions concernant l'évolution de l'offre fournies par les parties est la plus exacte, il était exposé par la Commission aux points 134 à 136 des considérants de la décision litigieuse que l'offre mondiale de platine, à la suite de l'opération de concentration, aurait été dominée par les entreprises sud-africaines et que, par conséquent, tout déficit de l'offre par rapport à la demande n'aurait pu être compensé que par les entreprises sud-africaines.

245.
    Au vu de ces indications non contestées par la requérante, il y a lieu de conclure que l'analyse de la Commission concernant l'évolution de l'offre et de la demande de platine n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

    

246.
    Dès lors, le grief examiné doit être rejeté.

d) Sur les sources d'approvisionnement marginales et alternatives

Arguments des parties

247.
    La requérante fait valoir que, en examinant les obstacles à l'accès au marché, la Commission n'a pas suffisamment tenu compte:

—    de l'effet cumulé des diverses sources d'approvisionnement marginales et alternatives, et notamment du potentiel croissant du platine recyclé;

—    des quatre millions d'onces que comprenaient les stocks de platine accumulés depuis 1985;

—    de la substitution croissante du palladium au platine;

—    de la production de la Russie et des ventes de ses stocks;

—    des plans de fournisseurs marginaux, tels que Stillwater aux États-Unis et Hartley au Zimbabwe, visant à une importante production nouvelle.

248.
    A cet égard, la requérante relève que la lettre du gouvernement sud-africain du 19 avril 1996 indique que les réserves mondiales hors Afrique du Sud et Zimbabwe pourraient théoriquement satisfaire la demande mondiale pendant 20 ans .

249.
    La Commission aurait fondamentalement omis d'apprécier l'impact qu'auraient eu les diverses sources d'approvisionnement marginales et autres éléments de nature à influer sur la concurrence dans le cas d'une augmentation des prix, par exemple de 10 ou 20 %. Une telle augmentation, si elle avait pu être maintenue, aurait effectivement indiqué que l'entité fusionnée, en agissant de concert avec Amplats, était capable de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs.

250.
    La Commission n'aurait donc pas dûment apprécié quelle aurait été l'évolution des prix en l'absence des éléments invoqués par la requérante, et encore moins évalué l'importance croissante qu'auraient revêtu ces éléments dans l'avenir, si l‘hypothétique augmentation des prix, principal souci de la Commission, avait dû intervenir. Il s'agirait là d'un défaut de motivation qui constituerait une violation de l'article 190 du traité, dans la mesure où il serait manifeste que les 37 % du marché représentés par les sources d'approvisionnement marginales, associés à d'autres éléments, auraient permis de contenir les augmentations de prix.

251.
    Pour sa part, la Commission renvoie aux points 91 à 95 des considérants de la décision litigieuse concernant le recyclage, aux points 29 à 32 relatifs à la substitution du palladium au platine, au point 138, sous c), qui traite des stocks, aux points 122 à 125, 134, 135 et 173, qui se réfèrent à la production russe et aux ventes à partir des stocks, aux points 85 à 90 et au point 138, sous c), concernant les productions nouvelles, et aux points 193 à 204, consacrés à l'analyse économique présentée par les parties. A la fin du point 138 des considérants de la décision litigieuse, elle aurait conclu que les réactions des sources secondaires de l'offre constituées par les stocks, les nouvelles mines et le recyclage ne pourraient pas empêcher un abus de position dominante. De même, au point 203, elle aurait déclaré qu'il y avait très peu de chance pour que les sources d'approvisionnement extérieures à l'oligopole, les stocks autres que les stocks russes et le recyclage puissent offrir des quantités suffisantes pour empêcher un abus de position dominante conjointe. Or, cette dernière conclusion aurait tenu compte de la

situation existante de la Russie comme source principale de concurrence sur le marché, hormis LPD.

252.
    Pour ce qui est de l'argument de la requérante selon lequel 37 % du marché représentés par les sources d'approvisionnement marginales et d'autres influences auraient freiné les augmentations de prix, la Commission fait valoir que les producteurs sud-africains représentaient à eux seuls 63 % du marché en 1995 et que ce chiffre devait considérablement augmenter (pour atteindre un niveau approchant les 80 %), lorsque, à compter de 1997, la Russie ne vendrait plus à partir de ses stocks. Elle soutient par ailleurs qu'une part importante de la concurrence marginale était hypothétique et n'aurait pu, de toute manière, exercer une pression sur le marché avant plusieurs années.

253.
    Elle fait enfin valoir que la requérante n'a pas justifié l'affirmation selon laquelle les réserves autres que celles de l'Afrique du Sud auraient pu théoriquement satisfaire la demande mondiale pendant les 20 prochaines années. La requérante ne préciserait pas non plus ce qu'auraient pu être pour le marché les conséquences de ces autres réserves «théoriquement» suffisantes.

Appréciation du Tribunal

254.
    Il doit être constaté que la thèse de la requérante manque en fait.

255.
    Aux points 93, 94 et 95 des considérants de la décision litigieuse, la Commission examine les limites du potentiel de croissance de l'activité de recyclage du platine, en particulier, à partir des pots catalytiques, les limites de cette dernière activité tenant aux coûts de la collecte des déchets, à l'exportation des véhicules vers le tiers monde, véhicules qui échappent donc au recyclage, ainsi qu'à d'autres éléments.

256.
    Au point 138, sous c), des mêmes considérants, elle prend dûment en considération la question des quatre millions d'onces de platine contenus dans les stocks accumulés depuis 1985.

257.
    Aux points 29 à 32, elle relève les limites de la tendance à une substitution croissante du palladium au platine.

258.
    S'agissant de la production de la Russie et des ventes de ses stocks, la Commission les examine au point 81 des considérants. Aux points 123 à 125, 134 et 173, elle apprécie les possibilités de développement de la production russe. Aux points 171 et 173, elle envisage, pour finalement l'exclure, la possibilité d'une utilisation sélective par la Russie de ses stocks en vue d'une éventuelle tentative monopolistique de réduction de la production.

259.
    S'agissant des plans de fournisseurs marginaux tels que Stillwater aux États-Unis et Hartley au Zimbabwe, ils sont examinés au point 88.

260.
    Quant à l'effet cumulé des diverses sources d'approvisionnement marginales et alternatives, il est analysé aux points 138, sous c), et 202 des considérants.

261.
    Il apparaît ainsi que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a tenu suffisamment compte des éléments d'appréciation susvisés et qu'elle a dûment motivé sa décision à cet égard.

    

262.
    En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel la Commission n'aurait pas dûment apprécié quelle aurait été l'évolution des prix en l'absence des éléments invoqués par elle, il suffit de constater que, dans l'appréciation de l'impact prévisible d'une opération de concentration sur le marché, la Commission n'est pas tenue d'examiner quelle aurait été l'évolution du marché dans le passé en l'absence de l'un ou l'autre élément de concurrence. En effet, dans le cadre de son examen, la Commission n'est tenue que de vérifier si, notamment en raison de l'évolution passée des conditions de concurrence sur le marché en cause, l'opération de concentration est susceptible de donner lieu à la création d'une situation de puissance économique dans le chef d'une ou de plusieurs entreprises leur permettant de procéder à des comportements abusifs, notamment en termes d'augmentation de prix.

263.
    Il s'ensuit que les griefs de la requérante doivent être rejetés.

    

e) Sur les liens structurels

Arguments des parties

264.
    La requérante fait valoir que la Commission n'a pas tenu compte de la jurisprudence du Tribunal (arrêt du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, T-68/89, T-77/89 et T-78/89, Rec. p. II-1403, ci-après «arrêt Verre plat»), lequel, dans le cadre de l'article 86 du traité, subordonnerait la constatation d'une position dominante collective à l'existence de liens structurels entre les deux entreprises, par exemple au moyen d'une avance technologique, par voie d'accord ou de licence, qui leur fournissent la possibilité d'adopter des comportements indépendants vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et, finalement, des consommateurs. En l'espèce, la Commission n'aurait pas démontré l'existence de liens structurels ni établi que l'entité fusionnée et Amplats allaient se comporter comme si elles constituaient une seule entité dominante. Cela constituerait en même temps une violation de l'obligation de motivation au sens de l'article 190 du traité.

265.
    A cet égard, la requérante souligne que, dans la décision litigieuse, la Commission vise les liens structurels suivants entre l'entité fusionnée et Amplats (points 156 et 157 des considérants):

—    liens dans des industries, notamment une entreprise commune dans le secteur de l'acier;

—    acquisition récente par AAC de 6 % dans le capital de Lonrho assortie d'un droit de premier refus sur une participation supplémentaire de 18 %.

266.
    Or, cette analyse serait insuffisante à trois égards.

267.
    D'une part, aucun de ces éléments n'aurait concerné directement l'industrie des platinoïdes. Le premier aurait spécifiquement eu trait à des liens établis avec d'autres industries, et tant le premier que le second auraient été le fait d'AAC plutôt que de son associé actif dans l'industrie du platine, à savoir Amplats.

268.
    D'autre part, il ne se serait pas du tout agi de liens structurels du type de ceux qui suffisent, selon l'arrêt Verre plat, à constituer une position dominante commune au sens de l'article 86 du traité.

269.
    Enfin, la récente prise de participation d'AAC dans le capital de Lonrho aurait été une opération hostile à Gencor et à la concentration. Elle aurait constitué en elle-même l'indication que les liens existant entre les diverses sociétés ne faisaient pas obstacle à une concurrence mutuelle agressive.

270.
    La Commission fait valoir que, dans sa pratique décisionnelle précédente, elle n'avait pas toujours invoqué la présence de liens économiques pour conclure à l'existence d'une position dominante collective, et, d'autre part, que dans son arrêt Verre plat (point 358), le Tribunal n'a pas fait de l'existence de liens économiques un intérêt nécessaire ni réduit la notion de liens économiques à celle de liens structurels invoquée par la requérante. Elle serait donc en droit de comprendre cette notion comme incluant la relation d'interdépendance qui existe entre les membres d'un oligopole restreint.

271.
    Par ailleurs, à supposer même que le Tribunal ait exigé l'existence de liens économiques dans le domaine de l'article 86 du traité, cela ne signifierait pas que cette même exigence devrait exister dans le cadre du contrôle des concentrations.

272.
    En outre, même si la notion de liens économiques devait être interprétée de façon plus étroite, il aurait existé, malgré la tendance de la requérante à les sous-estimer, plusieurs liens de ce genre entre les parties à la concentration envisagée et Amplats, qui auraient pu renforcer les intérêts communs des membres d'un oligopole resserré (points 155 à 157 des considérants de la décision litigieuse).

Appréciation du Tribunal

273.
    Dans son arrêt Verre plat, le Tribunal n'a pas fait de l'existence de liens de type structurel, auxquels il n'a fait référence qu'à titre d'exemple, un critère nécessaire à la constatation de l'existence d'une position dominante collective.

274.
    Il s'est borné à souligner (point 358 de l'arrêt) qu'on ne saurait exclure, par principe, que deux ou plusieurs entités économiques indépendantes soient, sur un marché spécifique, unies par des liens économiques et que, de ce fait, elles détiennent ensemble une position dominante par rapport aux autres opérateurs sur le même marché. Il a ajouté (même point) que tel pourrait, par exemple, être le cas si deux ou plusieurs entreprises indépendantes disposaient en commun, par voie d'accord ou de licence, d'une avance technologique leur fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et, finalement, des consommateurs.

275.
    On ne saurait davantage déduire du même arrêt que le Tribunal a réduit la notion de liens économiques à celle de liens structurels visée par la requérante.

276.
    D'ailleurs, sur le plan juridique ou économique, il n'existe aucune raison d'exclure de la notion de lien économique la relation d'interdépendance existant entre les membres d'un oligopole restreint à l'intérieur duquel, sur un marché ayant les caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration du marché, de transparence et d'homogénéité du produit, ils sont en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et sont donc fortement incités à aligner leur comportement sur le marché, de façon notamment à maximiser leur profit commun en restreignant la production en vue d'augmenter les prix. En effet, dans un tel contexte, chaque opérateur sait qu'une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché (par exemple une réduction de prix) provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative. Tous les opérateurs auraient donc à subir la baisse du niveau des prix.

277.
    Cette conclusion s'impose davantage dans le domaine du contrôle des concentrations, dont le but est d'empêcher l'apparition ou le renforcement de structures de marché anticoncurrentielles. Lesdites structures peuvent résulter tant de l'existence de liens économiques au sens étroit défendu par la requérante que des structures des marchés de type oligopolistique, où chaque opérateur peut prendre conscience des intérêts communs et, notamment, faire monter les prix sansdevoir procéder à la conclusion d'un accord ou recourir à une pratique concertée.

278.
    En l'espèce, le grief de la requérante tiré de ce que la Commission n'a pas établi l'existence de liens structurels est donc inopérant.

279.
    L'institution a pu valablement conclure, en se fondant sur la modification prévue de la structure du marché et sur la similarité des coûts d'Amplats et de

Implats/LPD, que l'opération envisagée créerait une position dominante collective et aboutirait, en réalité, à un duopole constitué par ces deux entreprises.

280.
    Elle a pu également retenir aux mêmes fins les liens économiques visés aux points 156 et 157 des considérants de la décision litigieuse.

281.
    La requérante n'est pas fondée à contester la pertinence desdits liens aux motifs qu'ils ne concernaient pas directement l'industrie des platinoïdes et étaient le fait plutôt d'AAC que d'Amplats. En effet, les liens entre les principaux producteurs de platine concernant des activités en dehors de la production de platinoïdes (point 156 des considérants de la décision) ont été pris en compte par la Commission non pas en tant qu'éléments prouvant l'existence de liens économiques au sens strict donné à cette notion par la requérante, mais en tant que facteurs contribuant à discipliner les membres d'un oligopole en multipliant les risques de représailles dans le cas où l'un des membres agirait d'une manière jugée inacceptable par les autres. Cette analyse est d'ailleurs confirmée par l'étude d'un consultant concernant les possibles réponses concurrentielles d'Implats vis-à-vis de LPD, et figurant dans les documents provenant du comité de direction de Gencor et d'Implats, en date du 6 mai 1994, cités dans la décision (point 158 des considérants): d'après ce consultant, l'un des scénarios possibles était des «attaques ordonnées et signaux concentrés sur la guerre des prix, soit le Rh (rhodium)».

282.
    La circonstance selon laquelle les liens en question concernent AAC et non Amplats directement n'est pas de nature à infirmer le raisonnement de la Commission. La société Amplats étant contrôlée par AAC, la Commission était fondée à considérer que les liens existant entre cette dernière et d'autres entreprises opérant ou non sur les marchés des platinoïdes pouvaient se répercuter favorablement ou défavorablement sur Amplats.

283.
    Quant à l'argument selon lequel la récente prise de participation d'AAC dans le capital de Lonrho était une opération hostile à Gencor et à la concentration et constituait en elle-même l'indication que les liens existant entre les diverses sociétés ne faisaient pas obstacle à une concurrence mutuelle agressive, il y a lieu de relever, d'une part, que la requérante n'a pas apporté la preuve du caractère hostile de cette opération , et, d'autre part, que, indépendamment des raisons l'ayant motivée, ladite opération resserrait les liens existant entre les deux concurrents les plus importants du marché.

284.
    Dès lors, le grief examiné doit être écarté.

f) Sur les moyens de concurrence autres que le développement technologique

Arguments des parties

285.
    La requérante relève que, bien que la technologie de la production et de l'extraction minière soit arrivée à maturité, la Commission n'aurait pas tenu compte des autres aspects non techniques des avantages de concurrence, tels que les réserves minières disponibles, la gestion de l'activité et les diverses aides aux différents producteurs, qui placeraient les entreprises dans une position très différente par rapport à la concurrence.

286.
    La Commission ne nie pas que la concurrence soit possible dans un secteur où la technologie est parvenue à maturité. Cependant, l'absence de changement technologique tarirait une source importante de concurrence. Par ailleurs, l'argument de la requérante mettrait en évidence l'importance revêtue par la différence qui existerait entre les styles de gestion et les bases de ressources. Or, l'une des caractéristiques les plus importantes du projet de concentration, sous l'angle de son effet sur la concurrence, serait qu'elle aurait éliminé un concurrent (LPD), dont le style de gestion et la structure de coûts étaient très différents de ceux d'Implats et d'Amplats.

Appréciation du Tribunal

287.
    Contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a tenu compte aux points 152 et 153 des considérants de la décision litigieuse du fait que, même dans un secteur où la technologie est parvenue à maturité, la concurrence est toujours possible moyennant l'application de nouvelles méthodes de travail et de nouvelles techniques de production, ainsi que du fait qu'il existait des différences de gestion entre les quatre grands producteurs de platine, que les progrès dans les techniques d'extraction du platine sont relativement lents et qu'aucune percée technologique ne devait venir bouleverser la structure de production de l'industrie du platine.

288.
    La décision a donc tenu compte des autres aspects non techniques des avantages de la concurrence. Dès lors, il y a lieu de rejeter le grief de la requérante.

g) Sur la prise en compte de la réaction des tiers intéressés

Arguments de la requérante

289.
    Selon la requérante, la Commission a ignoré la réaction neutre ou positive à l‘opération de concentration de la plupart des clients et autres tiers qu'elle a contactés, réaction relevée aux points 2.17 à 2.21 de la réponse à la communication des griefs. Or, si ces opérateurs ne pensaient pas que, sur ce marché, des facteurs marginaux et autres agiraient sur la concurrence pour contenir une éventuelle augmentation des prix, ils auraient sûrement réagi de manière négative.

Appréciation du Tribunal

290.
    La requérante ne produit aucun élément de nature à prouver son affirmation. Le fait que, au terme de sa propre analyse du marché, la Commission s'est ralliée au

point de vue des clients et des autres tiers intéressés qui avaient eu une réaction négative à l'égard du projet de concentration ne prouve pas qu'elle n'a pas tenu compte du point de vue de ceux qui avaient eu une réaction positive ou neutre.

291.
    En toute hypothèse, bien que l'opinion des clients et autres tiers puisse constituer une importante source d'information sur l'impact prévisible d'une opération de concentration sur le marché, elle ne saurait lier la Commission dans son appréciation autonome de l'impact de la concentration sur ce marché.

292.
    Dès lors, le grief examiné doit être rejeté.

h) Sur les tendances oligopolistiques antérieures

Arguments des parties

293.
    La requérante fait valoir que la Commission, en retenant l'existence d'une tendance antérieure de l'industrie du platine à créer une position dominante collective, a ignoré le fait que les parts de marché avaient varié avec le temps (la requérante renvoie au rapport NERA, tableau p. 15) et que, ainsi qu'elle le reconnaîtrait elle-même, le déclin progressif des parts de marché des principaux producteurs avait montré l'existence d'une certaine concurrence sur le marché. En outre, les prix auraient baissé en termes réels au cours de la dernière décennie (elle renvoie au rapport NERA, tableaux 3.2, p. 18; annexe 10, figure 3, à la réponse à la communication des griefs, reprise en annexe 11 à la requête).

294.
    La Commission fait valoir que, bien que la décision elle-même admette l'existence d'une concurrence par le passé, des comportements parallèles ou semblables à ceux d'entreprises réunies dans une entente ont également existé.

Appréciation du Tribunal

295.
    Contrairement aux allégations de la requérante, il ressort des points 166 et 173 ainsi que des points 168 à 172 et 204 des considérants de la décision litigieuse que la Commission a pris dûment en considération tant les fluctuations des parts de marché que l'évolution des prix dans son analyse concernant le cadre concurrentiel particulier dans lequel les fournisseurs sud-africains avaient agi avant l'opération de concentration.

296.
    Dès lors, le grief de la requérante doit être rejeté.

i) Conclusion

297.
    Il découle de tout ce qui précède que la décision litigieuse a conclu à bon droit (point 219 des considérants) que le résultat de l'opération de concentration aurait été la création d'une position dominante duopolistique d'Amplats et d'Implats/LPD

sur le marché du platine et du rhodium ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun au sens de l'article 2 du règlement n° 4064/89. Il en découle aussi que la motivation de la décision remplit les exigences de l'article 190 du traité.

298.
    L'ensemble des griefs de la requérante ayant été rejetés, les moyens examinés doivent l'être également.

IV — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, en ce que la Commission n'aurait pas accepté les engagements proposés par les parties à la concentration, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

Arguments des parties

299.
    La requérante affirme que la Commission a commis une erreur de droit en refusant d'accepter les engagements offerts par les parties à la concentration et qu'elle a également omis de motiver à suffisance de droit son refus, commettant ainsi une violation de l'article 190 du traité.

    

300.
    Elle rappelle que, selon le point 215 des considérants de la décision litigieuse, les parties ont proposé un projet d'engagements à la Commission qui tentait de résoudre les problèmes de concurrence posés par l'opération. Ces engagements auraient été soumis aux États membres et discutés lors de la réunion du comité consultatif du 9 avril 1996.

301.
    Ils auraient été au nombre de trois:

a)    accroissement des capacités de production du puits (...) d'un montant de (...) onces;

b)    maintien de la production au niveau actuel ( ...) onces (...);

c)    création d'un nouveau fournisseur sur le marché.

    

302.
    La Commission (point 216 des considérants de la décision litigieuse) aurait à tort rejeté ces engagements en considérant qu'ils étaient de nature comportementale et ne pouvaient ainsi être acceptés dans le cadre du règlement n° 4064/89 . Or, la requérante affirme que la Commission a déjà accepté des engagements de nature comportementale dans le cadre de ce règlement. Sur ce point, elle cite un certain nombre de décisions dans le cadre desquelles la Commission aurait clairement accepté ce genre d'engagements.

303.
    La requérante relève que le point 216 des considérants de la décision rejette les engagements au motif que «la production pourrait être réduite dans d'autres puits détenus par la nouvelle entité fusionnée, simplement pour maintenir la production

totale au niveau de (...) onces, niveau qui réduirait la production totale». Elle considère que cet argument n'a aucun sens. D'après elle, l'engagement consistait à développer une capacité supplémentaire de (...) onces au puits de (...) et àmaintenir la production aux niveaux existants. En conséquence, aucune réduction de la production n'aurait pu intervenir avant que la capacité supplémentaire fût disponible.

    

304.
    La requérante conteste également l'argument de la Commission (point 216 des considérants de la décision litigieuse) selon lequel, si l'un des fournisseurs avait maintenu sa production à un niveau donné, cela aurait été connu d'Amplats, l'autre membre de l'oligopole, ce qui aurait exercé une pression à la hausse sur les prix. Elle affirme que l'engagement ne prévoyait pas un plafond limitant la production de l'entité fusionnée. Amplats n'aurait donc pas pu supposer que l'entité fusionnée réagirait à un accroissement de la demande en maintenant sa production au niveau existant. En tout état de cause, les entreprises seraient en droit de retirer un bénéfice raisonnable de leurs activités économiques pour autant qu'il ne soit pas d'une ampleur inacceptable ou déloyale du point de vue du droit de la concurrence. Or, selon la requérante, tout comportement de l'entité fusionnée et d'Amplats qui donnerait lieu à un tel bénéfice pourrait faire l'objet d'une intervention des autorités sud-africaines.

305.
    La requérante prétend également que la Commission n'a nullement tenu compte de la constatation des autorités sud-africaines selon laquelle Amplats occupait déjà une position dominante, laquelle aurait été exposée à la concurrence effective de l'entité issue de la concentration. L'attitude de la Commission n'aurait donc pas été compatible avec l'inquiétude que manifestaient les autorités sud-africaines en connaissance de cause au sujet de la structure alors existante du marché.

306.
    Pour ce qui est de la création d'un nouveau fournisseur, qui, selon la Commission, aurait produit un effet négligeable, la requérante fait valoir que, si elle est fondée en ses autres critiques adressées à la Commission quant à son approche de l'engagement, cet aspect de la décision litigieuse ne peut être défendu.

307.
    Elle conteste par ailleurs l'affirmation de la Commission selon laquelle l'engagement n'aurait pas reflété la croissance du marché, sur laquelle se seraient accordés tous les commentateurs (point 216 des considérants de la décision litigieuse). Elle estime que ce point de vue était contredit par l'opinion de la majorité des industriels. Ceux-ci auraient souligné l'existence d'un surplus d'approvisionnement qui pourrait s'équilibrer dans quelques années. Ce point de vue aurait été étayé par au moins trois rapports indépendants, joints à la réponse des parties à la communication des griefs , à laquelle la Commission ne se serait référée que brièvement dans la décision litigieuse. Dans ce contexte, l'engagement des parties consistant à maintenir la production à son niveau existant aurait constitué une démarche de nature à lever la principale inquiétude de la Commission.

308.
    En outre, la requérante soutient qu'il aurait été possible de veiller au respect des engagements offerts. En particulier, il aurait été possible de vérifier le maintien du niveau de la production au moyen d'une obligation de fournir chaque trimestre à la Commission les chiffres de la production. Ceux-ci auraient alors pu être annuellement comparés aux chiffres de la production publiés dans le rapport annuel et les comptes, qui sont certifiés. En ce qui concerne l'autre engagement offert, à savoir le développement du projet (...), la requérante estime que, malgré son caractère structurel, il aurait pu de toute façon être facilement vérifié au moyen d'états d'avancement certifiés et de visites annuelles sur les lieux. Le contrôle du respect de ces engagements n'aurait alors pas été plus difficile que celui des engagements acceptés dans d'autres affaires.

309.
    Enfin, la Commission n'aurait pu se fonder, pour rejeter les engagements proposés, sur le fait qu'il aurait été plus difficile d'en vérifier le respect, car toutes les infrastructures de production du groupe créé se seraient trouvées en Afrique du Sud. En effet, selon la requérante, si la Commission dispose, en droit communautaire et en droit international, du pouvoir d'empêcher une opération de concentration réalisée entièrement en dehors de la Communauté, elle doit à tout le moins appliquer à une telle fusion les mêmes normes et critères que ceux qu'elle appliquerait à une fusion à l'intérieur de la Communauté.

310.
    La Commission conteste que l'engagement ait consisté à maintenir la production et à développer le projet (...), c'est-à-dire à augmenter la production. Selon elle, l'engagement proposé ne consistait qu'à maintenir le niveau de production existant tout en développant de nouvelles capacités de production. Or, la décision litigieuse (point 216 des considérants) aurait expliqué pourquoi cela n'aurait de toute manière pas suffi sur un marché en expansion. En outre, l'argument de la requérante, selon lequel Amplats n'aurait pu imaginer que l'entité résultant de la concentration s'abstiendrait d'augmenter la production en réponse à l'augmentation de la demande, reviendrait à nier l'existence d'une situation d'oligopole. Enfin, pour les raisons exposées dans le cadre du premier moyen d'annulation, il serait extravagant à cet égard de suggérer que les autorités sud-africaines chargées de la concurrence auraient eu un intérêt à intervenir en cas de restriction délibérée de la production.

311.
    La Commission considère que des engagements de nature comportementale ne pouvaient être acceptés. Selon elle, dans le contexte du règlement n° 4064/89, la solution apportée à la concentration de pouvoir économique sur le marché résultant d'une concentration doit elle-même être de nature structurelle. L'objectif du règlement étant d'empêcher que ne se produisent des situations dans lesquelles des comportements anticoncurrentiels n'impliquant pas de concertation pourraient se réaliser, seuls les engagements contribuant à faire disparaître la possibilité d'un abus pourraient être pris en considération. D'ailleurs, l'article 2 du règlement empêcherait spécifiquement la Commission d'autoriser une concentration créant ou renforçant une position dominante. Dans ces conditions, la promesse de ne pas

exploiter de façon abusive une position dominante serait insuffisante et ne satisferait pas aux exigences du règlement.

312.
    La Commission ne partage pas l'analyse faite par la requérante des engagements proposés et acceptés dans certaines affaires antérieures. Un engagement pourrait être considéré comme structurel lorsqu'il règle un problème structurel, par exemple l'accès au marché. A cet égard, il ne serait pas nécessaire de débattre de la question de savoir si l'engagement proposé de développer le projet (...) était lui-même structurel, étant donné qu'il n'aurait réglé en aucune façon le problème de concurrence en question.

Appréciation du Tribunal

313.
    Il y a lieu d'examiner d'abord quel type d'engagement peut être accepté dans le cadre du règlement n° 4064/89 et plus particulièrement si la thèse de la Commission selon laquelle des engagements de nature comportementale ne peuvent pas être acceptés est fondée en droit.

314.
    A la lumière de son septième considérant, aux termes duquel «il y a lieu de créer un instrument juridique nouveau [...] qui permette un contrôle effectif de toutes les opérations de concentration en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté», le règlement n° 4064/89 a pour but principal le contrôle des structures du marché et non pas le contrôle du comportement des entreprises, ce dernier contrôle étant essentiellement réservé aux articles 85 et 86 du traité.

315.
    L'article 8, paragraphe 2, du règlement dispose:

«Lorsque la Commission constate qu'une opération de concentration notifiée, le cas échéant après modifications apportées par les entreprises concernées, répond au critère défini à l'article 2, paragraphe 2, elle prend une décision déclarant la concentration compatible avec le marché commun.

Elle peut assortir sa décision de conditions et charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu'elles ont pris à l'égard de la Commission en vue de modifier le projet initial de concentration [...]»

316.
    Il ressort de ces dispositions ainsi que de l'article 2, paragraphe 3, du même règlement que, dès lors que la Commission aboutit à la conclusion que l'opération de concentration est de nature à créer ou à renforcer une position dominante, elle est tenue de l'interdire, même si les entreprises concernées par l'opération projetée s'engagent vis-à-vis de la Commission à ne pas en abuser.

317.
    En effet, le but du règlement étant d'empêcher la création ou le renforcement de structures de marché susceptibles d'entraver significativement la concurrence

effective dans le marché commun, on ne saurait accepter l'émergence de ce genre de situations sous prétexte que les entreprises concernées s'engagent à ne pas abuser de leur position dominante, même si l'exécution de ces engagements s'avère facilement vérifiable.

318.
    En conséquence, dans le cadre du règlement n° 4064/89, la Commission n'est habilitée à accepter que des engagements de nature à rendre l'opération notifiée compatible avec le marché commun. En d'autres termes, les engagements proposés par les entreprises concernées doivent permettre à la Commission de conclure que l'opération de concentration en cause ne créerait ou ne renforcerait pas une position dominante au sens de l'article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement.

319.
    Dès lors, il est indifférent que l'engagement proposé puisse être qualifié d'engagement comportemental ou d'engagement structurel. Il est vrai que les engagements de caractère structurel, tels que l'abaissement de la part de marché de l'entité issue de la concentration par le biais de la vente d'une filiale, sont en principe préférables du point de vue du but du règlement, dans la mesure où ils empêchent définitivement ou à tout le moins durablement l'émergence ou le renforcement de la position dominante préalablement identifiée par la Commission, sans demander, par ailleurs, des mesures de surveillance à moyen ou à long terme. Cependant, on ne saurait exclure a priori que des engagements à première vue de type comportemental, tels que la non-utilisation d'une marque pendant une certaine période ou la mise à la disposition des tiers concurrents d'une partie de la capacité de production de l'entreprise issue de la concentration, ou plus généralement l'accès à une infrastructure essentielle dans des conditions non discriminatoires, soient de nature eux aussi à empêcher l'émergence ou le renforcement d'une position dominante.

320.
    Dans ces conditions, il y a lieu d'examiner cas par cas les engagements proposés par les entreprises concernées.

321.
    En l'espèce, bien que la requérante qualifie d'engagement structurel le développement du projet (...), elle ne conteste pas que, comme la Commission le relève dans la décision litigieuse (point 216 des considérants), cet engagement, pas plus que les autres engagements proposés, à savoir celui de maintenir la production à un niveau déterminé et celui de créer un nouveau fournisseur, n'était de nature à résoudre la question de la structure oligopolistique du marché créée par la concentration.

322.
    En effet, les deux premiers engagements ne modifient en rien la structure du marché en cause en tant que marché duopolistique, mais se bornent à encadrer la politique de production d'Implats/LPD dans ce qui se présente comme une simple obligation de production minimale qui, tout en étant de nature à diminuer les possibilités d'abus de position dominante à l'avenir, en fonction de l'évolution de la demande, ne garantit ni l'absence de tout type d'abus ni, ce qui est plus important, la disparition même de la position dominante.

323.
    La requérante ne saurait par ailleurs soutenir que la Commission ne pouvait refuser l'engagement au motif que, si Implats/LPD avait maintenu sa production à un niveau donné, cela aurait été connu d'Amplats, ce qui aurait exercé une pression à la hausse sur les prix. En effet, l'argument développé, loin de démontrer que l'engagement proposé était de nature à éliminer la position dominante duopolistique créée par la concentration, ne fait que remettre en cause l'existence même d'une position dominante. Or, sur ce dernier point, les arguments de la requérante ont déjà été rejetés dans le cadre du moyen d'annulation tiré d'une violation de l'article 2 du règlement n° 4064/89, et relatif à la constatation de la position dominante collective.

324.
    En ce qui concerne les arguments de la requérante selon lesquels, d'une part, les entreprises seraient en droit de retirer un bénéfice raisonnable de leurs activités économiques et, d'autre part, tout comportement de l'entité fusionnée et d'Amplats donnant lieu à un tel bénéfice aurait pu faire l'objet d'une intervention des autorités sud-africaines, il suffit de constater que, indépendamment de leur bien-fondé, ils ne sont pas pertinents pour apprécier si l'engagement proposé était ou non de nature à éliminer l'entrave à la structure de la concurrence créée par la concentration.

325.
    Pour ce qui est du troisième engagement, à savoir la création d'un nouveau fournisseur, il suffit d'observer que la requérante ne conteste pas l'analyse de la Commission selon laquelle cet engagement aurait eu un effet négligeable sur le montant de l'approvisionnement futur en platine du consommateur final. La requérante se borne à souligner, en reconnaissant ainsi le caractère accessoire de cet engagement, que, si elle avait raison quant aux autres critiques qu'elle adresse à la Commission sur son approche de l'engagement, rien ne permettrait de défendre cet aspect de la décision.

326.
    Or, étant donné que, comme cela a été jugé ci-dessus, la Commission était fondée à rejeter les deux premiers engagements, elle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en considérant que, indépendamment de sa nature, le troisième engagement ne pouvait être accepté eu égard à son effet négligeable sur le marché.

327.
    Dans ces conditions, les arguments de la requérante concernant les possibilités de surveiller les engagements proposés n'ont aucune pertinence. En effet, les engagements dans leur ensemble n'étant pas de nature à éliminer l'entrave à la concurrence effective provoquée par l'opération de concentration, la Commission était fondée à les rejeter, même si la vérification de leur exécution ne posait pas de difficultés particulières.

328.
    Dès lors, la Commission n'a commis ni une erreur de droit ni une erreur manifeste d'appréciation en rejetant les engagements proposés par Gencor et Lonrho en vue d'éliminer les problèmes de concurrence soulevés par l'opération de concentration.

329.
    A la lumière de ce qui précède, la décision est donc par ailleurs suffisamment motivée en ce qui concerne le rejet des engagements.

330.
    Dès lors, les moyens examinés doivent être rejetés.

Sur les dépens

331.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par la Commission, conformément aux conclusions en ce sens de celle-ci.

332.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, la République fédérale d'Allemagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

3)    La République fédérale d'Allemagne supportera ses propres dépens.

Azizi
Vesterdorf
García-Valdecasas

        Moura Ramos                    Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 mars 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

         1. Opération de concentration en cause

II - 2

             Parties à l'opération de concentration

II - 2

             Projet d'opération de concentration

II - 3

         2. Procédure administrative

II - 4

     Procédure judiciaire

II - 6

     Conclusions des parties

II - 7

     Sur la recevabilité

II - 8

         Arguments de la défenderesse

II - 8

         Appréciation du Tribunal

II - 8

     Sur le fond

II - 10

         I — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation du règlement n° 4064/89, en ce que celui-ci ne conférerait pas compétence à la Commission pour examiner la compatibilité de l'opération de concentration en cause avec le marché commun, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

II - 10

             Arguments des parties

II - 10

             Appréciation du Tribunal

II - 16

                 1. Sur l'appréciation du domaine d'application territorial du règlement n° 4064/89

II - 17

                 2. Sur la compatibilité de la décision litigieuse avec le droit international public

II - 1
9

         II — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'article 2 du règlement n° 4064/89, en ce que la Commission n'aurait pas le pouvoir d'empêcher les opérations de concentration créant ou renforçant une position dominante collective, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

II - 2
3

             Arguments de la requérante

II - 2
3

             Appréciation du Tribunal

II - 2
5

         III — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'article 2 du règlement n° 4064/89, en ce que la Commission aurait constaté à tort que l'opération de concentration créerait une position dominante collective, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

II - 31

             A — Décision litigieuse

II - 31

             B — Considérations générales

II - 3
2

             C — Sur la prétendue existence d'un contrôle conjoint de Gencor et de Lonrho sur LPD avant l'opération de concentration

II - 33

                 Arguments des parties

II - 33

                 Appréciation du Tribunal

II - 34

             D — Sur la caractérisation par la Commission de la position dominante collective

II - 3
9

                 1. Sur le critère de la part de marché

II - 3
9

                     Arguments des parties

II - 3
9

                     Appréciation du Tribunal

II - 40

                 2. Sur la similarité des structures de coûts d'Implats/LPD et d'Amplats à la suite de la concentration

II - 44

                     Arguments de la requérante

II - 44

                     Appréciation du Tribunal

II - 44

                 3. Sur les caractéristiques du marché

II - 45

                     a) Sur la transparence du marché

II - 45

                         Arguments des parties

II - 45

                         Appréciation du Tribunal

II - 46

                     b) Sur les perspectives de croissance du marché du platine

II - 46

                         Arguments des parties

II - 46

                         Appréciation du Tribunal

II - 47

                     c) Sur l'équilibre entre l'offre et la demande

II - 4
8

                        Arguments de la requérante

II - 4
8

                         Appréciation du Tribunal

II - 4
8

                     d) Sur les sources d'approvisionnement marginales et alternatives

II - 4
9

                         Arguments des parties

II - 4
9

                         Appréciation du Tribunal

II - 51

                     e) Sur les liens structurels

II - 5
2

                         Arguments des parties

II - 5
2

                         Appréciation du Tribunal

II - 54

                     f) Sur les moyens de concurrence autres que le développement technologique

II - 55

                         Arguments des parties

II - 55

                         Appréciation du Tribunal

II - 56

                     g) Sur la prise en compte de la réaction des tiers intéressés

II - 56

                         Arguments de la requérante

II - 56

                         Appréciation du Tribunal

II - 56

                     h) Sur les tendances oligopolistiques antérieures

II - 57

                         Arguments des parties

II - 57

                         Appréciation du Tribunal

II - 57

                     i) Conclusion

II - 57

         IV — Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, en ce que la Commission n'aurait pas accepté les engagements proposés par les parties à la concentration, et, d'autre part, d'une violation de l'article 190 du traité

II - 5
8

             Arguments des parties

II - 5
8

             Appréciation du Tribunal

II - 61

     Sur les dépens

II - 64


1: Langue de procédure: l'anglais.


2: Données confidentielles occultées.