Language of document : ECLI:EU:C:2020:772

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

1er octobre 2020 (*) 

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Directive 90/435/CEE – Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents – Champ d’application ratione temporis – Impôt sur le revenu portant sur une période antérieure à la date de l’adhésion d’un État membre à l’Union européenne – Décision de redressement fiscal adoptée après la date de l’adhésion »

Dans l’affaire C‑113/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque), par décision du 28 novembre 2019, parvenue à la Cour le 28 février 2020, dans la procédure

Slovenský plynárenský priemysel a.s.

contre

Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. M. Safjan (rapporteur), président de chambre, Mme C. Toader et M. N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 6), telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 (JO 2004, L 7, p. 41).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Slovenský plynárenský priemysel a.s. (ci-après « SPP ») au Finančné riaditeľstvo Slovenskej republiky (direction des finances de la République slovaque) au sujet d’une décision de redressement fiscal portant sur l’année 2003.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 L’acte d’adhésion

3        L’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République Slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33) (ci-après l’« acte d’adhésion ») énonce :

« Dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte. »

4        L’article 53 de l’acte d’adhésion prévoit :

« Dès l’adhésion, les nouveaux États membres sont considérés comme étant destinataires des directives et des décisions, au sens de l’article 249 du traité CE et de l’article 161 du traité CEEA, pour autant que ces directives et décisions aient été adressées à tous les États membres actuels. Sauf en ce qui concerne les directives et les décisions qui entrent en vigueur en vertu de l’article 254, paragraphes 1 et 2, du traité CE, les nouveaux États membres sont considérés comme ayant reçu notification de ces directives et décisions au moment de l’adhésion. »

5        L’article 54 de l’acte d’adhésion dispose :

« Les nouveaux États membres mettent en vigueur les mesures qui leur sont nécessaires pour se conformer, dès l’adhésion, aux dispositions des directives et des décisions au sens de l’article 249 du traité CE et de l’article 161 du traité CEEA, à moins qu’un autre délai ne soit prévu dans les annexes visées à l’article 24, ou dans d’autres dispositions du présent acte ou de ses annexes. »

 La directive 90/435

6        Aux termes de l’article 1er de la directive 90/435 :

« 1.      Chaque État membre applique la présente directive :

–        aux distributions de bénéfices reçus par des sociétés de cet État et provenant de leurs filiales d’autres États membres,

–        aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État à des sociétés d’autres États membres dont elles sont les filiales.

2.      La présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus. »

 La convention préventive de la double imposition conclue entre la République socialiste tchécoslovaque et le Royaume des Pays-Bas

7        L’article 10 de la convention préventive de la double imposition et de la fraude fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur le patrimoine, conclue le 4 mars 1974 entre la République socialiste tchécoslovaque et le Royaume des Pays-Bas (ci-après la « convention préventive de la double imposition »), énonce :

« 1.      Les dividendes versés par une société ayant son siège dans un des deux États à une personne ayant son domicile ou son siège dans l’autre État peuvent être soumis à l’impôt dans cet autre État.

2.      Ces dividendes peuvent toutefois être imposés dans l’État dans lequel la société qui les distribue a son siège, conformément aux lois de cet État. Cependant, l’impôt ainsi établi ne peut pas être supérieur à 10 % du montant brut des dividendes.

3.      L’État dans lequel la société distribuant des dividendes a son siège, sans préjudice des dispositions du paragraphe 2, ne soumet pas à l’impôt les dividendes versés par cette société à une société dont les biens sont totalement ou partiellement répartis en actions, qui a son siège dans l’autre État et qui possède directement au moins 25 % du capital de la société distribuant les dividendes. »

 Le droit slovaque

8        Au sens de l’article 22, paragraphe 1, sous d), point 4, du zákon č. 366/1999 Z. z. o daniach z príjmov (loi  n° 366/1999, établissant l’impôt sur le revenu), du 24 novembre 1999, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, les revenus d’une participation aux bénéfices (dividendes) sont entendus comme étant les revenus qu’un contribuable soumis à une obligation fiscale limitée tire d’une source située sur le territoire de la République slovaque. En application de l’article 36, paragraphe 2, sous c), point 1, de cette loi, les dividendes versés à des non-résidents sont soumis à un taux particulier de 15 % d’impôt perçu par une retenue à la source.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Par décision du gouvernement slovaque du 14 mars 2002, 49 % de la participation temporaire du Fond národného majetku Slovenskej republiky (Fonds du patrimoine national de la République slovaque) au sein de SPP ont été vendus à des investisseurs originaires d’Allemagne et de France, à savoir, respectivement, Ruhrgas Mittel- und Osteuropa GmbH et GDF Investissements 2 SA (ci-après les « sociétés allemande et française »), qui étaient des filiales des actionnaires étrangers initiaux de SPP. Le 10 février 2003, les sociétés allemande et française ont fondé, en vertu du droit néerlandais, Slovak Gas Holding BV, dont le siège a été établi aux Pays‑Bas.

10      Le 11 février 2003, les sociétés allemande et française ont demandé à la direction de SPP d’approuver le transfert des actions qu’elles possédaient au bénéfice de Slovak Gas Holding. Ce transfert, qui a été approuvé lors de l’assemblée générale extraordinaire de SPP du 21 mars 2003, a été réalisé le 29 mai 2003.

11      Le 16 juin 2003, l’assemblée générale ordinaire de SPP a adopté une décision relative à la distribution des dividendes aux actionnaires au titre de l’année 2002. SPP n’a pas procédé à une retenue à la source sur les dividendes distribués à Slovak Gas Holding et n’a pas acquitté l’impôt sur le revenu prélevé par une retenue à la source. Lors de l’imposition des dividendes distribués à cette société, SPP a automatiquement appliqué la convention préventive de la double imposition et n’a pas soumis à l’impôt les dividendes perçus, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 3, de celle-ci.

12      Le 28 juillet 2003, deux contrats de prêt ont été conclus ensemble entre Slovak Gas Holding, d’une part, et les sociétés allemande et française, d’autre part. Le 28 novembre 2003, l’assemblée générale des actionnaires de Slovak Gas Holding a décidé de distribuer à ces deux actionnaires des avances sur dividendes au titre de l’année 2003. Les créances de chacun des actionnaires de Slovak Gas Holding découlant du droit aux avances sur dividendes ont fait l’objet d’une compensation avec la dette découlant du principal non versé du prêt fourni et de la partie non versée des intérêts. La compensation des créances et des dettes a été réalisée à la date d’exigibilité du prêt, à savoir le 30 novembre 2003.

13      Le Daňový úrad pre vybrané daňové subjekty (administration fiscale pour certains assujettis, Slovaquie) a procédé auprès de SPP à un contrôle fiscal portant sur l’impôt prélevé au moyen d’une retenue à la source pour la période d’imposition relative à l’année 2003, dont les résultats ont été consignés dans un procès-verbal du 22 janvier 2010. Le 4 février 2010, SPP a transmis ses observations sur ce procès-verbal, sur la base desquelles a été établi un complément audit procès-verbal.

14      Selon les constatations de l’administration fiscale pour certains assujettis, SPP aurait dû retenir à la source et acquitter l’impôt sur le revenu pour ce qui concerne les dividendes distribués à Slovak Gas Holding, lesquels ont été, en réalité, versés au bénéfice des sociétés allemande et française.

15      Ce contrôle fiscal a pris fin par une discussion sur le même procès‑verbal avec SPP le 12 février 2010 et la procédure de recouvrement a débuté le jour suivant.

16      Par décision du 21 décembre 2015, la direction des finances de la République slovaque a confirmé la décision de redressement fiscal prise à l’encontre de SPP par l’administration fiscale pour certains assujettis pour la période d’imposition relative à l’année 2003.

17      SPP a introduit un recours contre cette décision du 21 décembre 2015 devant le Krajský súd v Bratislave (cour régionale de Bratislava, Slovaquie). Par arrêt du 3 mai 2017, ce dernier a rejeté le recours.

18      SPP a introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque).

19      Dans ces conditions, le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions de la directive [90/435], telle que modifiée par la directive [2003/123], s’appliquent-elles à la procédure de recouvrement dont il est question dans la procédure au principal, dans laquelle l’autorité fiscale a recouvré auprès d’un redevable, au moyen d’un redressement fiscal, la différence d’impôt sur le revenu prélevé au moyen d’une retenue à la source pour la période d’imposition de l’année 2003, c’est‑à‑dire pour une période antérieure à l’adhésion de la République slovaque à l’Union européenne, bien que cette décision ait été adoptée après l’adhésion de la République slovaque à l’Union européenne ?

2)      Dans l’affirmative, une situation telle que celle dans l’affaire au principal, dans laquelle l’État [la direction des finances de la République slovaque] recouvre auprès d’un redevable, par un redressement fiscal, la différence d’impôt sur le revenu prélevé au moyen d’une retenue à la source en invoquant l’interdiction des abus du régime fiscal, lorsque l’État lui-même, en tant qu’actionnaire majoritaire de ce redevable, donne son accord à la procédure qu’il qualifie ensuite [...] d’abus du régime fiscal, est-elle compatible avec l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [90/435], telle que modifiée par la directive [2003/123] ? »

 Sur les questions préjudicielles

20      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

21      Il convient de faire application de ladite disposition dans la présente affaire.

 Sur la première question

22      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 90/435 s’applique à une situation dans laquelle l’autorité fiscale d’un État membre a procédé auprès d’un contribuable au recouvrement de l’impôt sur le revenu non acquitté pour une période d’imposition antérieure à la date de l’adhésion de cet État membre à l’Union, au moyen d’une décision de redressement fiscal adoptée après cette adhésion.

23      À titre liminaire, il convient de relever que l’article 2 de l’acte d’adhésion prévoit que, dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par l’acte d’adhésion.

24      Or, ledit acte ne contient pas de dispositions spécifiques concernant l’application des articles de la directive 90/435 avant l’adhésion des États membres concernés.

25      En l’absence de telles dispositions, la directive 90/435 est devenue applicable à la République slovaque à partir de la date de son adhésion à l’Union, à savoir le 1er mai 2004, conformément aux articles 2, 53 et 54 de l’acte d’adhésion (voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS, C‑122/96, EU:C:1997:458, point 14, ainsi que du 6 octobre 2015, T-Mobile Czech Republic et Vodafone Czech Republic, C‑508/14, EU:C:2015:657, point 58).

26      En l’occurrence, il découle de la décision de renvoi que le redressement fiscal en cause au principal concerne des opérations relatives à la distribution de dividendes intervenues au cours de l’année 2003.

27      Par ailleurs, la décision de renvoi ne contient pas d’indice permettant de considérer que ce redressement fiscal viserait à régler une situation relevant d’une période autre que l’année 2003.

28      Dans ces conditions, il y a lieu de relever que les faits du litige au principal sont antérieurs à la date de l’adhésion de la République slovaque à l’Union. En effet, le redressement fiscal en cause au principal porte sur une période antérieure à cette date (voir, en ce sens, ordonnances du 9 février 2006, Lakép e.a., C‑261/05, non publiée, EU:C:2006:98, points 12 et 20, ainsi que du 11 mai 2017, Exmitiani, C‑286/16, non publiée, EU:C:2017:368, point 14).

29      Certes, dans sa première question, la juridiction de renvoi se réfère à la circonstance que la décision de redressement fiscal en cause au principal a été adoptée après l’adhésion de la République slovaque à l’Union.

30      Cependant, la seule existence d’un quelconque élément postérieur à la date de l’adhésion de l’État membre concerné à l’Union, qui se rattache aux circonstances précédant cette date et qui en est une conséquence, ne suffit pas pour considérer que la directive 90/435 est applicable dans une affaire telle que celle au principal (voir, en ce sens, ordonnance du 11 mai 2011, Semerdzhiev, C‑32/10, non publiée, EU:C:2011:288, point 26, et arrêt du 30 avril 2020, EUROVIA, C‑258/19, EU:C:2020:345, point 43).

31      Par conséquent, il convient de répondre à la première question posée que la directive 90/435 ne s’applique pas à une situation dans laquelle l’autorité fiscale d’un État membre a procédé auprès d’un contribuable au recouvrement de l’impôt sur le revenu non acquitté pour une période d’imposition antérieure à la date de l’adhésion de cet État membre à l’Union, au moyen d’une décision de redressement fiscal adoptée après cette adhésion.

 Sur la seconde question

32      Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 Sur les dépens

33      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, ne s’applique pas à une situation dans laquelle l’autorité fiscale d’un État membre a procédé auprès d’un contribuable au recouvrement de l’impôt sur le revenu non acquitté pour une période d’imposition antérieure à la date de l’adhésion de cet État membre à l’Union européenne, au moyen d’une décision de redressement fiscal adoptée après cette adhésion.

Signatures


*      Langue de procédure : le slovaque.