Language of document : ECLI:EU:T:2018:433

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

11 juillet 2018 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Base juridique – Erreur manifeste d’appréciation – Droits de la défense – Droit à une protection juridictionnelle effective – Droit de propriété – Droit à la réputation – Exception d’illégalité »

Dans l’affaire T‑240/16,

Andriy Klyuyev, demeurant à Donetsk (Ukraine), représenté par MM. B. Kennelly, QC, J. Pobjoy, barrister, R. Gherson et T. Garner, solicitors,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Mahnič Bruni et M. J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 76), et du règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 1), et, d’autre part, de la décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 34), et du règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 1), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : Mme N. Schall, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 février 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine).

2        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

3        Le requérant, M. Andriy Klyuyev, est l’ancien chef de l’administration du président ukrainien, M. Yanukovych.

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent :

« (1) Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2) Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaît sur la liste avec les informations d’identification « [A]ncien chef de l’administration du président ukrainien » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑340/14, ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/119 et du règlement no 208/2014.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a) pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b) pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés ultérieurement, respectivement, par la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et par le règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 juin 2015. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « [A]ncien chef de l’administration du président ukrainien » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et en lien avec la mauvaise utilisation d’une charge par le titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour le budget public ukrainien ou les avoirs publics ukrainiens. »

16      Par lettre du 6 mars 2015, le Conseil a transmis aux avocats du requérant une copie des actes de mars 2015, en les informant du maintien du nom du requérant sur la liste et en répondant à leurs observations en date du 17 février 2015.

17      Le 15 mai 2015, le requérant a adapté les conclusions et les moyens du recours dans l’affaire T‑340/14, de sorte que celles-ci visent également l’annulation des actes de mars 2015, en ce qu’ils le visaient.

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑244/15, ayant pour objet une demande d’annulation des mêmes actes, en ce qu’ils le visaient.

19      Par ordonnance du 11 septembre 2015, Klyuyev/Conseil (T‑244/15, non publiée, EU:T:2015:706), le Tribunal a rejeté le recours visant à l’annulation des actes de mars 2015 comme manifestement irrecevable pour cause de litispendance.

20      Par courrier du 6 novembre 2015, le Conseil a communiqué au requérant une lettre du 4 septembre 2015 émanant du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») et adressée au haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Par lettre du 30 novembre 2015, le requérant a présenté ses observations.

21      Par courrier du 15 décembre 2015, le Conseil a communiqué au requérant une lettre du BPG du 30 novembre 2015. Dans cette lettre, le Conseil l’a informé qu’il entendait maintenir les mesures restrictives à son égard, en lui précisant quel était le délai fixé afin de présenter des observations aux fins du réexamen annuel. Par lettres des 4 janvier et 3 février 2016, le requérant a présenté ses observations.

22      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

23      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée, en ce qui concerne, notamment, le requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

24      Par courrier du 7 mars 2016, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard, puis a répondu aux observations formulées par celui-ci dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2016.

25      Par arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil (T‑340/14, EU:T:2016:496), le Tribunal a annulé la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, en ce qu’ils visaient le requérant, et rejeté le recours en ce qu’il concernait les actes de mars 2015.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

26      Par courrier du 12 décembre 2016, le Conseil a informé les avocats du requérant qu’il envisageait de renouveler les mesures restrictives à l’égard de ce dernier et a annexé deux lettres émanant du BPG, l’une datée du 25 juillet 2016 et l’autre datée du 16 novembre 2016, en rappelant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives. Le requérant a présenté de telles observations au Conseil par lettre du 12 janvier 2017.

27      Par courrier du 9 février 2017, le Conseil a transmis au requérant des documents supplémentaires des autorités ukrainiennes. Le requérant a répondu, personnellement, par lettre du 14 février 2017.

28      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

29      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives a été prorogée, notamment en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015 et de mars 2016.

30      Par courrier du 6 mars 2017, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a également répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2017. Il a également indiqué le délai pour lui présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Procédure et conclusions des parties

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2016, le requérant a introduit le présent recours.

32      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

33      Le 22 septembre 2016, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Le 26 septembre 2016, il a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête ainsi qu’au mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

34      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 21 novembre 2016.

35      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 2 février 2017.

36      Le 6 février 2017, le Conseil a présenté une demande analogue à celle visée au point 33 ci-dessus, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la duplique ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

37      À cette dernière date, la phase écrite de la procédure a été close.

38      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 février 2017, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

39      Le 14 mai 2017, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, le requérant a présenté un mémoire en adaptation afin de demander également l’annulation des actes de mars 2017, en tant qu’ils le concernaient.

40      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 juin 2017, le Conseil a présenté des observations relatives au mémoire en adaptation.

41      Le 15 juin 2017, le Conseil a présenté une demande analogue à celle visée au point 33 ci-dessus, visant à obtenir que le contenu de certaines annexes au mémoire en adaptation et celui de certaines parties des observations relatives à ce mémoire ne soient pas cités dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

42      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

43      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 février 2018.

44      À la suite de l’adaptation de la requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes de mars 2016 et de mars 2017, en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

45      À la suite des précisions fournies lors de l’audience, en réponse à des questions du Tribunal, le Conseil conclut à ce qu’il plaise à ce dernier :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes de mars 2017 devaient être annulés en ce qui concerne le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2017/381 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2016, en ce qu’ils visent le requérant

46      À l’appui de son recours en annulation, dans la requête, le requérant a invoqué cinq moyens, tirés, le premier, de l’absence de base juridique, le deuxième, de la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le quatrième, de la violation de ses droits de la défense, du principe de bonne administration et de son droit à une protection juridictionnelle effective et, le cinquième, de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation.

47      À titre subsidiaire, le requérant a soulevé une exception d’illégalité, en vertu de l’article 277 TFUE, visant à ce que le critère de désignation prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (ci‑après le « critère pertinent »), qui serait dépourvu de base légale appropriée ou serait disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis par les actes en cause, soit déclaré inapplicable à son égard.

48      Il convient d’examiner les moyens dans l’ordre qui figure dans la requête, puis l’exception d’illégalité, soulevée par le requérant à titre subsidiaire.

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique

49      Le requérant fait valoir que l’article 29 TUE ne peut pas constituer une base juridique valable pour le maintien de mesures restrictives à son égard par les décisions de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) en cause. Ces mesures ne seraient pas cohérentes avec les objectifs invoqués dans la décision 2014/119, telle que modifiée, à savoir la protection de la démocratie et de l’État de droit ainsi que le respect des droits de l’homme. Dès lors que l’article 215, paragraphe 2, TFUE présupposerait l’existence d’une décision relevant de la PESC qui soit valable pour que des règlements puissent être adoptés sur le fondement de cette disposition, les règlements d’exécution 2016/311 et 2017/374 ne disposeraient pas non plus de base juridique.

50      Premièrement, le Conseil n’aurait fourni aucun élément de preuve permettant d’établir que le requérant a porté atteinte à la démocratie, à l’État de droit ou aux droits de l’homme en Ukraine, ainsi que l’exige l’article 29 TUE. En effet, les mesures restrictives en cause ne pourraient s’appuyer sur les bases juridiques utilisées par le Conseil que si celui-ci avait démontré en quoi les comportements qui sont reprochés au requérant menaçaient la démocratie, l’État de droit ou les droits de l’homme ou en quoi le gel de ses fonds permettrait de faire progresser l’un de ces objectifs.

51      Deuxièmement, le Conseil n’aurait pas tenu compte des éléments de preuve qui attesteraient que le nouveau régime ukrainien portait atteinte à la démocratie ainsi qu’à l’État de droit et violait, de façon flagrante et systématique, les droits de l’homme, et ce tant en ce qui concerne spécifiquement le requérant que sur le plan général.

52      De façon plus générale, il signale l’existence d’entraves portées au bon fonctionnement du système judiciaire ukrainien et l’absence de respect du droit à un procès équitable, aggravée par l’absence d’indépendance des juges, qui nuirait à leur impartialité, notamment en ce qui concerne la poursuite de fonctionnaires du gouvernement antérieur, ainsi que l’aurait reconnu le haut-commissaire des Nations unies chargé de la mission d’observation des droits de l’homme en Ukraine (ci-après le « haut-commissaire ») dans un rapport concernant la période comprise entre le 16 février et le 15 mai 2015. Des constatations similaires figureraient dans un rapport du Département d’État des États-Unis de 2015. Les mêmes considérations seraient valables pour le BPG, qui, outre le fait de ne pas être responsable de ses actes, serait susceptible de subir des pressions politiques de la part du régime en place, ainsi qu’il ressortirait d’un rapport publié en décembre 2014 par le centre pour les réformes politiques et juridiques à Kiev.

53      L’existence de problèmes systémiques au sein du BPG, qui est la seule source sur laquelle le Conseil s’est appuyé de façon systématique et exclusive, serait confirmée par la démission, le 19 février 2016, du procureur général M. V. S. à la suite des pressions exercées par le président M. P. P. dans un contexte d’allégations de corruption, ce qui aurait été salué par le Vice-président des États-Unis.

54      D’ailleurs, le simple fait que l’Ukraine est partie à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), ne suffirait pas pour garantir que les droits fondamentaux sont  respectés dans ce pays.

55      Le requérant rappelle également que, en octobre 2014, la loi sur l’intégrité du gouvernement, dite « loi de lustration » (ci-après la « loi de lustration »), a été étendue aux fonctionnaires d’État et aux organismes chargés de l’application de la loi en général. Cette loi permettrait, notamment, de démettre de leurs fonctions au sein de l’administration certaines personnes, dont des juges et des procureurs, en raison de leur comportement passé. Les insuffisances graves de ladite loi auraient été reconnues par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (ci-après la « Commission de Venise »), dans un avis provisoire du 16 décembre 2014. Cette Commission, dans un avis daté du 23 mars 2015, de manière conjointe avec la direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, aurait également soulevé des inquiétudes quant à l’indépendance des juges en Ukraine.

56      En outre, le requérant fait valoir que les accusations portées à son égard violent son droit à la présomption d’innocence tel qu’il a été reconnu à maintes reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Les lettres du BPG sur lesquelles le Conseil s’appuie constitueraient une violation de ce droit.

57      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

58      À titre liminaire, il convient de rappeler que les objectifs du traité UE concernant la PESC sont énoncés, notamment, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, qui prévoit ce qui suit :

« 2. L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin :

[…]

b)      de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international […] »

59      Cet objectif a été mentionné au considérant 2 de la décision 2014/119, repris au point 4 ci-dessus.

60      Il convient de vérifier si le critère de désignation des personnes visées par les mesures restrictives en cause, mentionné au point 12 ci-dessus, tel qu’il est appliqué au requérant, correspond à l’objectif, invoqué au considérant 2 de la décision 2014/119, de renforcement et de soutien de l’État de droit en Ukraine.

61      À cet égard, il doit être observé que la jurisprudence a établi que des objectifs tels que celui mentionné à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE avaient vocation à être atteints par un gel d’avoirs, dont le champ d’application était, comme en l’espèce, restreint aux personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds publics ainsi qu’aux personnes, entités ou organismes qui leur étaient liés, c’est‑à‑dire à des personnes dont les agissements étaient susceptibles d’avoir obéré le bon fonctionnement des institutions publiques et des organismes leur étant liés (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 85 ; voir également, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 44, et du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 68).

62      Dans ce contexte, il y a lieu de constater que le respect de l’État de droit est l’une des valeurs premières sur lesquelles repose l’Union européenne, ainsi qu’il ressort de l’article 2 TUE comme des préambules du traité UE et de la Charte. Le respect de l’État de droit constitue, en outre, une condition préalable à l’adhésion à l’Union, en vertu de l’article 49 TUE. La notion d’État de droit est également consacrée, sous la formulation alternative de « prééminence du droit », dans le préambule de la CEDH (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 87).

63      La jurisprudence de la Cour et de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que les travaux du Conseil de l’Europe, par le biais de la Commission de Venise, fournissent une liste non exhaustive des principes et des normes qui peuvent s’inscrire dans la notion d’État de droit. Parmi ceux-ci figurent les principes de légalité, de sécurité juridique et d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, des juridictions indépendantes et impartiales, un contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux, et l’égalité devant la loi [voir, à cet égard, la liste des critères de l’État de droit adoptée par la Commission de Venise lors de sa cent-sixième session plénière (11-12 mars 2016)]. En outre, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, certains instruments juridiques mentionnent notamment la lutte contre la corruption en tant que principe inscrit dans la notion d’État de droit [voir, par exemple, le règlement (CE) no 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat (JO 2006, L 310, p. 1)] (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 88).

64      Par ailleurs, il convient de rappeler que la poursuite des crimes économiques, tels que le détournement de fonds publics, est un moyen important pour lutter contre la corruption et que la lutte contre la corruption constitue, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, un principe inscrit dans la notion d’État de droit (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 116).

65      Cependant, s’il ne peut être exclu que certains comportements concernant des faits de détournement de fonds publics soient en mesure de porter atteinte à l’État de droit, il ne saurait être admis que tout fait de détournement de fonds publics, commis dans un pays tiers, justifiât une intervention de l’Union dans le but de renforcer et de soutenir l’État de droit dans ce pays, dans le cadre de ses compétences en matière de PESC. Pour que puisse être établi qu’un détournement de fonds publics est susceptible de justifier une action de l’Union dans le cadre de la PESC, fondée sur l’objectif de consolider et de soutenir l’État de droit, il est, à tout le moins, nécessaire que les faits contestés soient susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques du pays concerné (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 89).

66      Il en découle que le critère pertinent ne peut être considéré comme étant conforme à l’ordre juridique de l’Union que dans la mesure où il est possible de lui attribuer un sens compatible avec les exigences des règles supérieures au respect desquelles il est soumis, et plus précisément avec l’objectif de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine. Par ailleurs, cette interprétation permet de respecter la large marge d’appréciation dont le Conseil bénéficie pour définir les critères généraux d’inscription, tout en garantissant un contrôle, en principe complet, de la légalité des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux (voir arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 90 et jurisprudence citée).

67      Partant, le critère pertinent doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas, de façon abstraite, tout fait de détournement de fonds publics, mais qu’il vise plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics qui, eu égard au montant ou au type de fonds ou d’avoirs détournés ou au contexte dans lequel ils se sont produits, sont, à tout le moins, susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques de l’Ukraine, notamment aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi, et, en dernier ressort, de porter atteinte au respect de l’État de droit dans ce pays. Ainsi interprété, ce critère est conforme et proportionné aux objectifs pertinents du traité UE (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 91).

68      En l’espèce, les faits pour lesquels le requérant est poursuivi par les autorités ukrainiennes ont trait au détournement de fonds publics importants, qui se chiffrent en millions de hryvnias ukrainiennes (UAH) dans le cadre de la procédure mentionnée dans les lettres du BPG sur lesquelles le Conseil s’est fondé. Par ailleurs, ces infractions s’insèrent dans un contexte plus large où une partie non négligeable de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne, dont le requérant relève en tant qu’ancien chef de l’administration du président ukrainien, est soupçonnée d’avoir commis de graves infractions dans la gestion des ressources publiques, menaçant ainsi sérieusement les fondements institutionnels et juridiques du pays et portant notamment atteinte aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 117).

69      Or, la facilitation de la récupération de ces fonds, aussi bien que celle de ceux prétendument détournés par d’autres personnes visées par les mesures restrictives en cause, relève de l’objectif de renforcement de l’État de droit en Ukraine. À cet égard, il convient de relever que, ainsi que le fait valoir le Conseil, les mesures restrictives en cause facilitent et complètent  les efforts déployés par les autorités de ce pays pour récupérer les fonds publics détournés. Il résulte, notamment, des lettres du BPG des 4 septembre et 30 novembre 2015 que [confidentiel] (1). Dès lors, le gel des fonds décidé par le Conseil renforce l’efficacité de l’initiative prise sur le plan national.

70      Il s’ensuit que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 61 ci-dessus, dans leur ensemble et compte tenu des fonctions exercées par le requérant au sein de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne, les mesures restrictives en question contribuent, de manière efficace, à faciliter la poursuite des crimes de détournement de fonds publics commis au détriment des institutions ukrainiennes et permettent qu’il soit plus aisé, pour les autorités ukrainiennes, d’obtenir la restitution du fruit de tels détournements. Cela permet de faciliter, dans l’hypothèse où les poursuites judiciaires se révéleraient  fondées, la répression, par des moyens judiciaires, des actes allégués de corruption commis par des membres de l’ancien régime, contribuant ainsi au soutien de l’État de droit dans ce pays (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 118).

71      S’agissant de l’argument selon lequel le nouveau gouvernement ukrainien porterait lui-même atteinte à l’État de droit, il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que l’Ukraine est un État membre du Conseil de l’Europe depuis 1995 et a ratifié la CEDH. En outre, le nouveau régime ukrainien a été reconnu comme étant légitime par l’Union ainsi que par la communauté internationale (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 93).

72      Ces circonstances ne suffisent pas, à elles seules, pour garantir que le nouveau régime ukrainien respecte l’État de droit en toutes circonstances.

73      Cependant, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il appartient au juge de l’Union, dans le cadre de son contrôle juridictionnel des mesures restrictives, de reconnaître au Conseil une large marge d’appréciation pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41).

74      Il s’ensuit que, en principe, le requérant ne saurait remettre en cause le choix politique du Conseil d’apporter son soutien au nouveau régime, sans apporter des preuves irréfutables de violations des droits fondamentaux par les nouvelles autorités ukrainiennes.

75      Tout en contenant des critiques et tout en mettant en avant certaines défaillances affectant le fonctionnement des institutions, notamment judiciaires, ukrainiennes, les éléments invoqués par le requérant ne permettent toutefois pas de considérer que le nouveau régime ne saurait être soutenu par l’Union.

76      À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de relever que les défaillances visées par les documents invoqués par le requérant apparaissent fortement réduites à la lumière des documents cités par le Conseil dans ses écritures et produits devant le Tribunal, qui font état de plusieurs améliorations introduites par le nouveau régime.

77      En effet, s’agissant, premièrement, du suivi de la loi de lustration par la Commission de Venise, il convient de constater que l’avis en date du 16 décembre 2014, invoqué par le requérant, n’est qu’un avis intérimaire de ladite Commission, étant donné que celle-ci n’avait pas eu accès, auprès des autorités ukrainiennes, à toutes les informations nécessaires à son examen. Cependant, ces autorités ayant engagé un dialogue constructif en vue de l’amélioration de la loi de lustration et ayant, depuis lors, donné accès au matériel nécessaire pour que la Commission de Venise puisse effectuer sa mission de veille, celle-ci a adopté un avis final sur cette loi le 19 juin 2015. Cet avis relate que de nombreux échanges de vue ont eu lieu et que les autorités ukrainiennes ont proposé des amendements à la loi de lustration. La Commission de Venise considère légitimes les objectifs de ladite loi, qui sont la protection de la société contre des personnes pouvant constituer une menace pour le nouveau régime démocratique ainsi que la lutte contre la corruption. Si la Commission de Venise met en exergue certains points à améliorer et à surveiller, elle souligne également les améliorations ayant déjà été apportées à la loi, notamment à la suite de l’adoption de son avis intérimaire.

78      En outre, ainsi que le fait valoir le Conseil, l’avis de la Commission de Venise, du 24 juillet 2015, sur la proposition de révision constitutionnelle concernant le pouvoir judiciaire a souligné qu’un nouveau système de poursuites avait été proposé, a salué le fait que la Verkhovna Rada (parlement ukrainien) s’était vu retirer le pouvoir de ne pas accorder la confiance au procureur général et de le contraindre à démissionner et s’est félicité de ce que la révocation du procureur général par anticipation ne pourrait avoir lieu que pour les motifs prévus par la loi. La Commission de Venise a ainsi considéré, dans cet avis, que la réforme proposée du ministère public était conforme aux normes européennes et à ses recommandations précédentes et a encouragé le parlement ukrainien à l’adopter, bien qu’une recommandation spécifique relative au vote dudit parlement  à la majorité qualifiée pour donner son accord à la nomination et à la révocation du procureur général n’ait pas été suivie.

79      De même, dans cet avis, la Commission de Venise s’est félicitée de la suppression de la compétence du parlement ukrainien de nommer les juges, de la suppression des périodes probatoires des juges débutants et de la suppression du « parjure » comme motif de révocation des juges. Dans la note ultérieure du 21 décembre 2015 de son secrétariat sur la compatibilité entre le projet de loi et l’avis de la Commission de Venise sur les projets d’amendements de la Constitution de l’Ukraine, la Commission de Venise a conclu que, à l’exception de la recommandation visant les modalités de vote s’agissant de l’élection par le parlement de deux membres du Conseil supérieur de la justice et de six juges de la Cour constitutionnelle ainsi que de la nomination et de la révocation du procureur général par le président, toutes les recommandations qu’elle avait formulées dans son avis avaient été suivies. Par ailleurs, ainsi que le souligne le Conseil, ces amendements de la Constitution de l’Ukraine ont été finalement adoptés le 2 juin 2016.

80      S’agissant, deuxièmement, des rapports du haut-commissaire sur les droits de l’homme en Ukraine, si celui ayant trait à la période allant du 16 février au 15 mars 2015, dans le passage auquel se réfère le requérant, fait, notamment, état d’une préoccupation au regard des menaces subies par certains juges ukrainiens, il importe de préciser que ce passage concerne uniquement la région de l’est de l’Ukraine, aux prises avec un conflit indépendantiste. Ledit rapport fait d’ailleurs également mention de la réforme du système judiciaire qui, bien qu’imparfaite, « amène des éléments positifs ». En outre, ainsi que le fait observer le Conseil, dans le rapport du haut-commissaire couvrant la période allant du 16 février au 16 mai 2016 est évoquée la mise en œuvre du plan d’action ukrainien en faveur des droits de l’homme, adopté le 23 novembre 2015. Il est, en outre, considéré que la mise en place, le 29 février 2016, du bureau national d’enquête, chargé d’enquêter sur les infractions commises par des hauts fonctionnaires, des membres des services répressifs, des juges et des membres du bureau national de lutte contre la corruption et du bureau spécial de lutte contre la corruption au sein du BPG, constitue une étape importante de la création d’un système de justice pénale indépendant.

81      Par ailleurs, à l’instar du Conseil, il convient encore d’observer que le respect des principes démocratiques, des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que le respect du principe de l’État de droit constituent des éléments essentiels de l’accord d’association entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part (JO 2014, L 161, p. 3). De plus, dans le contexte de leur coopération en matière de justice, de liberté et de sécurité, les parties à l’accord donnent une importance particulière à la consolidation de l’État de droit et au renforcement des institutions.

82      Or, si ces progrès ne signifient pas que le système ukrainien ne présente plus de lacunes en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, il n’en reste pas moins que le juge de l’Union, au vu de la large marge d’appréciation dont bénéficie le Conseil (voir point 73 ci-dessus), ne peut pas, dans de telles circonstances, considérer comme manifestement erroné le choix politique de celui-ci de soutenir le nouveau régime ukrainien en adoptant des mesures restrictives qui s’appliquent, notamment, à des membres du régime antérieur faisant l’objet de procédures pénales pour détournement de fonds publics.

83      Ces considérations ne remettent d’ailleurs pas en cause la possibilité pour le requérant de demander au Tribunal de vérifier si le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation ou s’il a violé ses droits de la défense lorsqu’il a maintenu l’application de mesures restrictives à son égard en se fondant sur des informations relatives à l’existence de procédures pénales visant celui-ci, qui émanaient des autorités ukrainiennes, alors que le requérant accusait ces dernières d’enfreindre, dans le cadre de ces procédures, les droits fondamentaux, normalement garantis dans un État de droit (voir ci-après les considérations relatives au troisième moyen).

84      Pour ce qui est de la prétendue violation du principe de la présomption d’innocence commise notamment par le BPG, il convient de relever que le requérant se limite à invoquer que les autorités ukrainiennes l’ont défini comme étant coupable des violations qui lui sont reprochées, alors que sa culpabilité n’a pas été établie par une juridiction.

85      À cet égard, il doit être observé que, en dépit de quelques formulations maladroites, les lettres du BPG font toujours état de procédures pénales en cours à l’égard du requérant, ce qui permet de conclure que le BPG est tout à fait conscient du fait que le requérant n’est que soupçonné d’avoir commis les violations en cause et qu’il pourra être considéré coupable seulement si les procédures pénales en cause se terminent par une condamnation, décidée par un tribunal. Ainsi, lues dans leur contexte, les affirmations contenues dans les lettres du BPG ne violent pas le principe de la présomption d’innocence. En tout état de cause, même à supposer que de telles affirmations constituent des violations dudit principe, il suffit de relever qu’elles ne sauraient remettre en cause la légalité, et encore moins l’existence, des procédures pénales qui ont permis au Conseil de considérer que le requérant répondait au critère pertinent, ni justifier que le Conseil cherche à obtenir du BPG des informations complémentaires.

86      S’agissant, enfin, de la persécution politique dont le requérant prétend faire l’objet et qui serait à l’origine des procédures pénales entamées à son égard, il y a lieu de relever qu’il se limite à des affirmations, lesquelles ne peuvent pas suffire pour remettre en cause la vraisemblance des informations fournies au Conseil par une des plus hautes autorités judiciaires ukrainiennes (voir point 115 ci‑après), ayant trait aux accusations portées à l’encontre du requérant concernant des faits bien précis de détournement de fonds publics, ni pour démontrer que la situation particulière du requérant aurait été affectée par les problèmes relatifs au fonctionnement du système judiciaire ukrainien au cours des procédures qui le concernent (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, points 113 et 114).

87      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son intégralité.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte

88      Le requérant tire argument de la jurisprudence pour faire valoir, en substance, que le Conseil aurait dû vérifier si les autorités ukrainiennes, lorsqu’elles ont effectué les enquêtes qui constituaient le fondement du maintien des mesures restrictives le concernant par les actes de mars 2016, lui avaient assuré une protection des droits fondamentaux équivalente à celle garantie en droit de l’Union, notamment en vertu de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte. Le Conseil se serait appuyé à tort sur une présomption irréfragable selon laquelle l’Ukraine respecterait les droits fondamentaux, alors qu’une telle présomption ne pourrait même pas être appliquée à l’égard des États membres et que plusieurs éléments de preuve qui lui ont été remis par le requérant établiraient que celui-ci a subi des violations graves de ses droits fondamentaux.

89      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

90      Il y a lieu de relever que l’argumentation du requérant repose sur des prémisses erronées.

91      En effet, en premier lieu, s’agissant de l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), il convient de rappeler que, notamment aux points 104 à 106 de celui-ci, la Cour a jugé, en substance, que le droit de l’Union s’opposait à l’application, par les autres États membres, d’une présomption selon laquelle l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile au sens du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1), respectait les droits fondamentaux de l’Union. Ainsi, selon la Cour, cette présomption peut être renversée s’il est établi que, en raison de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans ledit État membre, un demandeur court un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

92      Cependant, force est de constater que les principes découlant de l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), ne trouvent pas d’application en l’espèce, dans la mesure où le requérant n’a pas démontré l’existence de défaillances systémiques affectant les institutions ukrainiennes, notamment judiciaires.

93      En second lieu, il doit être relevé que l’approche retenue par le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885), n’est pas transposable au cas d’espèce.

94      Plus particulièrement, dans cette affaire, l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 93), laquelle instaure un mécanisme ayant pour effet de permettre au Conseil d’inclure une personne sur une liste de gel des fonds sur le fondement d’une décision prise par une autorité nationale, le cas échéant, d’un État tiers, prévoyait un critère de désignation des personnes visées par les mesures restrictives adoptées par le Conseil qui se lisait comme suit :

« La liste […] est établie sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, groupes et entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits. Les personnes, groupes et entités identifiés par le Conseil de sécurité des Nations unies comme lié[s] au terrorisme et à l’encontre desquel[s] il a ordonné des sanctions peuvent être inclu[s] dans la liste. »

95      En l’espèce, l’existence d’une décision préalable des autorités ukrainiennes n’est pas requise par le critère pertinent pour que des mesures restrictives puissent être adoptées, étant donné que les procédures judiciaires ouvertes par lesdites autorités ne constituent que la base factuelle sur laquelle reposent ces mesures. En effet, le critère pertinent se réfère simplement aux personnes « ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien ».

96      À cet égard, il convient encore de relever que le libellé du critère pertinent se rapproche davantage de celui du critère dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93). Plus particulièrement, au point 66 dudit arrêt, le Tribunal a jugé que ce critère incluait les personnes poursuivies pénalement pour des faits de « détournement de fonds publics », et ce sans examiner la question de savoir si l’ordre juridique de l’État concerné, en l’occurrence la République arabe d’Égypte, offrait une protection juridique comparable à celle garantie dans l’Union.

97      En tout état de cause, il y a lieu de noter qu’il existe une différence majeure entre les mesures restrictives en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885), qui concernaient la lutte contre le terrorisme, et celles qui, comme en l’espèce, se situent dans le cadre d’une coopération entre l’Union et les nouvelles autorités d’un État tiers, en l’occurrence l’Ukraine.

98      En effet, la lutte contre le terrorisme, à laquelle le Conseil contribue par l’adoption de mesures restrictives visant certaines personnes ou entités, ne se situe pas nécessairement dans le cadre de la coopération avec les autorités d’un État tiers qui a connu un changement de régime et que le Conseil a décidé de soutenir. En revanche, tel est le cas des mesures en cause dans la présente affaire, comme c’était également le cas des mesures dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu aux arrêts du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil (C‑220/14 P, EU:C:2015:147), et du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93).

99      Ainsi, si le choix éminemment politique du Conseil, consistant à coopérer avec les nouvelles autorités ukrainiennes – qu’il considère comme étant dignes de confiance – afin de leur permettre notamment de récupérer des fonds publics possiblement détournés « en vue de renforcer et de soutenir l’État de droit » en Ukraine, était subordonné à la condition que, nonobstant le fait que ce pays fût membre du Conseil de l’Europe et eût ratifié la CEDH, l’État ukrainien garantît, immédiatement après le changement de régime, un niveau de protection des droits fondamentaux équivalent à celui offert par l’Union et ses États membres, il serait porté atteinte, en substance, à la large marge d’appréciation dont bénéficie le Conseil en ce qui concerne la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives tendant à soutenir ces nouvelles autorités (voir point 73 ci-dessus).

100    Dans l’exercice de cette large marge d’appréciation, le Conseil doit donc être libre de considérer que, à la suite du changement de régime, les autorités ukrainiennes méritent d’être soutenues dans la mesure où elles améliorent la vie démocratique et le respect de l’État de droit en Ukraine par rapport à la situation qui y prévalait auparavant et que l’une des possibilités de renforcer et de soutenir l’État de droit consiste à geler les avoirs des personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, cette notion incluant, conformément au critère pertinent, les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds publics, ou pour complicité dans un tel détournement, et pour abus de pouvoir, ou pour complicité d’un tel abus.

101    Dès lors, ce ne serait que si le choix politique du Conseil de soutenir le nouveau régime ukrainien, y compris par la coopération résultant des mesures restrictives en cause, se révélait manifestement erroné, notamment du fait que les droits fondamentaux seraient systématiquement violés dans ce pays après le changement de régime, que l’éventuel manque de correspondance entre la protection des droits fondamentaux en Ukraine et celle existant dans l’Union pourrait avoir une incidence sur la légalité du maintien de ces mesures à l’égard du requérant. Or, il résulte de l’examen des premier et troisième moyens que tel n’est pas le cas en l’espèce.

102    Partant, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation

103    Le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le critère pertinent était satisfait en ce qui le concerne. À cet égard, il allègue que les déclarations du BPG, que le Conseil aurait acceptées sans examen préalable et sans tenir compte des inexactitudes relevées par le requérant, ne constituent pas une base factuelle suffisamment solide à cette fin, alors même qu’il incombait au Conseil d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre du requérant, en tenant compte des observations et des éléments à décharge produits par celui-ci. Selon lui, le Conseil était tenu de mener des vérifications supplémentaires ainsi que de solliciter la communication d’éléments de preuve additionnels auprès des autorités ukrainiennes, ce qu’il n’aurait pas fait en l’espèce. Cela serait d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de proroger des mesures restrictives.

104    Le requérant soutient que, afin de l’identifier comme personne responsable de détournement de fonds, au sens du critère pertinent, le Conseil ne peut se conformer aveuglément et sans examen préalable aux documents qui lui sont transmis par les autorités ukrainiennes. Par ailleurs, il devrait indiquer les preuves concrètes sur lesquelles il s’appuie quand il proroge les mesures restrictives à l’encontre des personnes concernées. S’agissant de la notion de « détournement de fonds », le requérant relève que, selon la jurisprudence, il convient de lui donner une signification autonome en droit de l’Union, indépendante de toute notion de droit national, ce qui impliquerait en l’espèce que le critère n’est rempli que s’il y a un détournement de fonds appartenant aux autorités publiques ukrainiennes. Cette notion n’engloberait pas l’ensemble des infractions économiques, mais concernerait plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs susceptibles de porter atteinte à l’État de droit en Ukraine.

105    En outre, le requérant soutient que, selon la jurisprudence, si l’existence d’une enquête pour détournement de fonds publics menée par des autorités nationales d’un État tiers peut être suffisante pour que le critère de désignation soit satisfait, encore faut-il que cette enquête s’inscrive dans un contexte judiciaire. À cet égard, le BPG ne saurait être considéré comme une « autorité judiciaire ». Selon le requérant, si ce critère devait être interprété plus largement, d’une part, la personne concernée serait privée des garanties essentielles découlant de l’implication d’une autorité judiciaire et, d’autre part, cela équivaudrait à transférer aux autorités nationales ukrainiennes le pouvoir de sélectionner à leur gré les personnes devant être visées par les mesures restrictives en cause.

106    En l’espèce, le requérant devrait être distingué des autres personnes faisant l’objet de mesures restrictives au motif qu’il ne fait pas l’objet d’une enquête. L’enquête préliminaire à son égard serait sans le moindre cadre judiciaire.

107    S’agissant du renvoi, figurant dans la lettre du BPG du 30 novembre 2015, [confidentiel] le requérant fait valoir que le BPG n’a établi aucun lien entre [confidentiel]. Deuxièmement, le Conseil, en se référant à la lettre du BPG du 30 novembre 2015, n’aurait pas démontré que ladite procédure fournissait une base factuelle suffisamment solide en ce qui concerne la désignation du requérant.

108    En particulier, afin de prouver que l’information contenue dans les lettres du BPG susmentionnées était inadéquate, le requérant s’appuie sur un avis juridique d’un professeur de droit de l’université de Kiev, selon lequel les poursuites engagées à l’encontre du requérant ne seraient pas justifiables. S’appuyant sur un autre avis juridique rendu par un autre professeur de droit, le requérant soutient également que le BPG a commis de sérieuses violations de ses droits procéduraux dans le cadre de la procédure [confidentiel], ce qui ne permettrait pas, en vertu du code de procédure pénale ukrainien, de le qualifier de personne soumise à une « procédure pénale ».

109    En outre, le requérant met en exergue plusieurs imprécisions et fausses déclarations émises par le BPG, s’agissant des enquêtes le concernant, qui soulèvent des doutes sur la fiabilité de celui-ci. Dans un arrêt du 11 décembre 2014, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) aurait relevé, de manière incidente, dans le cadre d’une procédure concernant le gel des avoirs du requérant en Autriche, que les accusations soulevées à l’égard de ce dernier par les autorités ukrainiennes n’étaient pas suffisamment étayées et semblaient avoir été fondées sur des présomptions. Cela aurait été confirmé par une lettre émanant du bureau du procureur de Vienne, datée du 4 avril 2016, annonçant l’abandon des poursuites à l’égard du requérant.

110    D’ailleurs, un rapport d’une enquête indépendante sur les activités commerciales du requérant et de la société concernée par la procédure pénale réfuterait toutes les accusations formulées par le BPG. De même, le rapport d’audit des activités financières et commerciales de ladite société, en date du 28 juillet 2014, effectué par l’Inspection financière d’État (IFE) de l’Ukraine pour la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 17 juin 2014, ne mentionnerait aucune violation de la législation ni aucune action fautive commise par cette société.

111    Le requérant souligne qu’une vérification indépendante du Conseil est nécessaire lorsque, premièrement, il a reçu des preuves objectives et vérifiables démontrant que l’appréciation du BPG est fausse, deuxièmement, il a reçu des éléments de preuve incontestables démontrant que le régime actuel viole les droits de l’homme et, troisièmement, il a eu la possibilité de vérifier de manière indépendante les informations fournies par le BPG.

112    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

113    À titre liminaire, il convient de rappeler que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tendent ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 36 et jurisprudence citée).

114    Selon la jurisprudence, le Conseil n’est pas tenu d’entreprendre, d’office et de manière systématique, ses propres investigations ou d’opérer des vérifications en vue d’obtenir des précisions supplémentaires lorsqu’il dispose déjà d’éléments fournis par les autorités d’un pays tiers pour prendre des mesures restrictives à l’égard de personnes qui en sont originaires et qui y font l’objet de procédures judiciaires (arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 57).

115    À cet égard, il convient de relever que le BPG est l’une des plus hautes autorités judiciaires en Ukraine. En effet, il agit, dans cet État, en qualité de ministère public dans l’administration de la justice pénale et il mène des enquêtes préliminaires dans le cadre de procédures pénales visant, notamment, le détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, points 45 et 111).

116    Certes, il peut être déduit, par analogie, de la jurisprudence en matière de mesures restrictives adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qu’il appartenait, en l’espèce, au Conseil d’examiner avec soin et impartialité les éléments de preuve qui lui avaient été transmis par les autorités ukrainiennes, en particulier les lettres du BPG des 4 septembre et 30 novembre 2015, au regard, en particulier, des observations et des éventuels éléments à décharge présentés par le requérant. Par ailleurs, dans le cadre de l’adoption de mesures restrictives, le Conseil est soumis à l’obligation de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la Charte, auquel se rattache, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 58 et jurisprudence citée).

117    Toutefois, il résulte également de la jurisprudence que, pour apprécier la nature, le mode et l’intensité de la preuve qui peut être exigée du Conseil, il convient de tenir compte de la nature et de la portée spécifique des mesures restrictives ainsi que de leur objectif (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 59 et jurisprudence citée).

118    À cet égard, ainsi qu’il ressort des considérants 1 et 2 de la décision 2014/119, celle-ci s’inscrit dans le cadre plus général d’une politique de l’Union pour le  soutien aux autorités ukrainiennes, destinée à favoriser la stabilisation politique de l’Ukraine. Elle répond ainsi aux objectifs de la PESC, qui sont définis, en particulier, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, en vertu duquel l’Union met en œuvre une coopération internationale en vue de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 60 et jurisprudence citée).

119    C’est dans ce cadre que les mesures restrictives en cause prévoient le gel des fonds et des avoirs, notamment, de personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien. En effet, la facilitation de la récupération de ces fonds renforce et soutient l’État de droit en Ukraine (voir points 63 à 67 ci-dessus).

120    Il s’ensuit que les mesures restrictives en cause ne visent pas à sanctionner des agissements répréhensibles qui seraient commis par les personnes visées, ni à les dissuader, par la contrainte, de se livrer à de tels agissements. Ces mesures ont pour seul objet de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer le produit de ces détournements. Elles revêtent donc une nature purement conservatoire (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 62 et jurisprudence citée).

121    Ainsi, les mesures restrictives en cause, qui ont été édictées par le Conseil sur la base des compétences qui lui sont conférées par les articles 21 et 29 TUE, sont dépourvues de connotation pénale. Elles ne sauraient donc être assimilées à une décision de gel d’avoirs d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre prise dans le cadre de la procédure pénale applicable et dans le respect des garanties offertes par cette procédure. Par conséquent, les exigences s’imposant au Conseil en matière de preuves sur lesquelles est fondée l’inscription d’une personne sur la liste de celles faisant l’objet de ce gel d’avoirs ne sauraient être strictement identiques à celles qui s’imposent à l’autorité judiciaire nationale dans le cas susvisé (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 64 et jurisprudence citée).

122    En l’espèce, ce qu’il importe au Conseil de vérifier c’est, d’une part, dans quelle mesure les lettres du BPG, sur lesquelles celui-ci s’est fondé, permettent d’établir que, comme l’indiquent les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste en cause, rappelés au point 15 ci-dessus, celui-ci fait l’objet de procédures pénales de la part des autorités ukrainiennes pour des faits susceptibles de relever du détournement de fonds publics et, d’autre part, si ces enquêtes ou ces procédures permettent de qualifier les agissements du requérant conformément au critère pertinent. Ce n’est que si ces vérifications n’aboutissaient pas que, au regard du principe jurisprudentiel rappelé au point 116 ci-dessus, il appartiendrait au Conseil d’opérer des vérifications supplémentaires (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 65 et jurisprudence citée).

123    Par ailleurs, dans le cadre de la coopération régie par les actes attaqués (voir point 119 ci-dessus), il n’appartient pas, en principe, au Conseil d’examiner et d’apprécier l’exactitude et la pertinence des éléments sur lesquels les autorités ukrainiennes se fondent pour conduire des procédures pénales visant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics. En effet, ainsi que cela a été exposé au point 121 ci-dessus, en adoptant les actes attaqués, le Conseil ne cherche pas à sanctionner lui-même les détournements de fonds publics sur lesquels les autorités ukrainiennes enquêtent, mais à préserver la possibilité pour ces autorités de constater lesdits détournements tout en en recouvrant le produit. C’est donc à ces autorités qu’il appartient, dans le cadre desdites procédures, de vérifier les éléments sur lesquels elles se fondent et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences en ce qui concerne l’aboutissement de ces procédures. Par ailleurs, ainsi qu’il résulte du point 122 ci-dessus, les obligations du Conseil dans le cadre des actes attaqués ne sauraient être assimilées à celles d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre dans le cadre d’une procédure pénale de gel d’avoirs, ouverte notamment dans le cadre de la coopération pénale internationale (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 66).

124    Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence dont il ressort qu’il n’appartient pas au Conseil de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont la personne concernée fait l’objet, mais uniquement de vérifier le bien-fondé de la décision de gel des fonds au regard du document fourni par les autorités nationales (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77).

125    Certes, le Conseil ne saurait entériner, en toutes circonstances, les constatations des autorités judiciaires ukrainiennes figurant dans les documents fournis par ces dernières. Un tel comportement ne serait pas conforme au principe de bonne administration ni, d’une manière générale, à l’obligation, pour les institutions de l’Union, de respecter les droits fondamentaux dans le cadre de l’application du droit de l’Union, en vertu de l’application combinée de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 67).

126    Toutefois, il appartient au Conseil d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, la nécessité de mener des vérifications supplémentaires, en particulier de solliciter des autorités ukrainiennes la communication d’éléments de preuve additionnels si ceux déjà fournis se révèlent insuffisants ou incohérents. En effet, il ne pourrait être exclu que des éléments portés à la connaissance du Conseil, soit par les autorités ukrainiennes elles-mêmes, soit d’une autre manière, le conduisent à douter du caractère suffisant des preuves déjà fournies par ces autorités. Par ailleurs, dans le cadre de la faculté qui doit être conférée aux personnes visées de présenter des observations concernant les motifs que le Conseil envisage de retenir pour maintenir leur nom sur la liste en cause, ces personnes sont susceptibles de présenter de tels éléments, voire des éléments à décharge, qui nécessiteraient que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires. En particulier, s’il n’appartient pas au Conseil de se substituer aux autorités judiciaires ukrainiennes dans l’appréciation du bien-fondé des procédures pénales mentionnées par les lettres du BPG, il ne peut être exclu que, au regard notamment des observations du requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ces procédures sont fondées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 68).

127    En l’espèce, à titre liminaire, il convient de relever qu’il est constant que les lettres sur lesquelles le Conseil s’est fondé émanent du BPG et que celles-ci font état de procédures pénales concernant le requérant, pour lesquelles sont précisés, en général, la date d’ouverture, le numéro d’enregistrement et les articles du code pénal ukrainien prétendument enfreints.

128    Les griefs principaux du requérant ont trait au fait que les lettres du BPG ne contiendraient pas d’informations suffisantes ou suffisamment précises.

129    À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que la lettre du BPG du 4 septembre 2015, qui est l’un des éléments de preuve principaux sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste lors de l’adoption des actes de mars 2016, contient, notamment, les informations suivantes :

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel].

130    En second lieu, il doit être observé que la lettre du BPG du 30 novembre 2015, qui est l’autre élément de preuve sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste lors de l’adoption des actes de mars 2016, en plus de confirmer les informations contenues dans la lettre du 4 septembre 2015, fait référence, s’agissant des mêmes faits, à la violation de l’article [confidentiel] du code pénal ukrainien [confidentiel].

131    Il s’ensuit que les lettres du BPG mentionnées aux points 129 et 130 ci-dessus contiennent des informations permettant de comprendre clairement, d’une part, que le requérant fait l’objet d’une procédure pénale ayant trait, notamment, à la violation de l’article 191, paragraphe 5, du code pénal ukrainien, qui sanctionne le détournement de fonds publics et, d’autre part, que, dans le cadre de cette enquête, [confidentiel]. Bien que le résumé des faits à l’origine de ces violations soit synthétique et qu’il ne décrive pas en détail les mécanismes par lesquels le requérant est soupçonné d’avoir détourné des fonds de l’État ukrainien, il résulte de ces lettres, avec suffisamment de clarté, que les faits reprochés au requérant concernent [confidentiel] le détournement de fonds publics [confidentiel]. Or, de tels comportements sont susceptibles d’avoir occasionné des pertes de fonds pour l’État ukrainien et correspondent ainsi à la notion de « détournement de fonds » appartenant à celui-ci, visée par le critère pertinent.

132    À cet égard, s’agissant de l’argument selon lequel le critère pertinent n’aurait pas été satisfait dès lors que le requérant a été inscrit sur la liste au regard non pas de poursuites ou de procédures judiciaires, mais d’une enquête préliminaire, il convient de relever que l’effet utile d’une décision de gel des fonds serait compromis si l’adoption de mesures restrictives était subordonnée au prononcé de condamnations pénales à l’encontre des personnes suspectées d’avoir détourné des fonds publics, dès lors que celles-ci auraient dans cette attente disposé du temps nécessaire pour transférer leurs avoirs dans des États ne pratiquant aucune forme de coopération avec les autorités de l’État dont elles sont ressortissantes ou résidentes (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786, point 63 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dès lors qu’il est établi que la personne en cause fait, comme en l’espèce, l’objet d’investigations, dans le cadre d’une procédure pénale, de la part des autorités judiciaires ukrainiennes, pour des faits de détournement de fonds publics, le stade exact auquel se trouve ladite procédure ne saurait constituer un élément susceptible de justifier son exclusion de la catégorie des personnes visées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 124).

133    Eu égard à la jurisprudence citée au point 132 ci-dessus et à la marge d’appréciation dont disposent les autorités judiciaires d’un État tiers dans les modalités de mise en œuvre de poursuites pénales, la circonstance que le requérant a fait l’objet d’une enquête préliminaire, diligentée sous l’autorité du BPG, n’est pas, en soi, de nature à conduire à constater une illégalité des actes en cause, découlant du fait que, dans de telles circonstances, le Conseil aurait dû exiger des vérifications supplémentaires de la part des autorités ukrainiennes quant aux actes reprochés à l’intéressé, étant donné que, ainsi que cela est précisé ci-après, le requérant n’a pas avancé d’éléments susceptibles de remettre en cause les motifs visés par les autorités ukrainiennes pour fonder les accusations portées contre lui concernant des faits bien précis ou de démontrer que sa situation particulière aurait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786, point 64). À cet égard, le fait qu’un procureur général ukrainien ait démissionné à la suite d’accusations de corruption n’a d’ailleurs pas d’incidence sur la crédibilité des lettres du BPG, dès lors que, même après l’arrivée d’un nouveau procureur général, la substance des violations dont le requérant était soupçonné est restée la même.

134    Le Conseil n’a donc pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, par les actes de mars 2016, sur la base des informations, contenues dans les lettres du BPG des 4 septembre et 30 novembre 2015, concernant notamment les faits de détournement de fonds publics qui justifiaient, selon les autorités ukrainiennes, l’existence d’une enquête à l’égard du requérant.

135    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les éléments à décharge produits par le requérant ou par les autres arguments invoqués par celui-ci.

136    S’agissant, premièrement, des avis juridiques que le requérant a joints à la requête, il doit être observé que, selon la jurisprudence, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 161 et jurisprudence citée). En l’occurrence, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que ces avis ont été établis aux fins de la défense du requérant et que, de ce fait, ils n’ont qu’une valeur probante limitée. En tout état de cause, ils ne sauraient remettre en cause la circonstance, dont le BPG fait état dans ses lettres des 4 septembre et 30 novembre 2015, que le requérant fait l’objet d’une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics. En effet, ces avis concernent, pour l’essentiel, des questions liées au bien-fondé de cette enquête, lequel doit être apprécié, en principe, par les autorités ukrainiennes.

137    S’agissant, deuxièmement, de la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), il convient de constater, à l’instar du Conseil, qu’elle ne portait pas sur des mesures nationales de gel d’avoirs, mais sur une ordonnance rendue par le parquet de Vienne, le 26 juillet 2014, au sujet de la divulgation d’informations relatives à des comptes et transactions bancaires, dans le cadre d’une enquête menée contre un grand nombre de personnes, dont le requérant, soupçonnées de crimes ou délits de blanchiment d’argent au sens de la législation pénale autrichienne et de la loi sur les sanctions. Cette décision, portant sur des infractions pénales autres que celles ayant fondé les mesures restrictives en cause, n’aborde que de manière incidente les faits faisant l’objet de l’enquête menée par le BPG et ne contient aucune véritable appréciation des incriminations soulevées par celui-ci. Il s’ensuit qu’une telle décision, bien qu’elle ait été rendue par un organe judiciaire d’un État membre, n’était pas susceptible de susciter des interrogations légitimes concernant le résultat de l’enquête ou la fiabilité des informations transmises par le BPG. En ce qui concerne la décision du bureau du procureur de Vienne, datée du 4 avril 2016, annonçant l’abandon des poursuites à l’égard du requérant, il suffit d’observer qu’elle n’est pas pertinente dès lors qu’elle est postérieure aux actes de mars 2016. En effet, la légalité d’une décision de gel d’avoirs doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont le Conseil pouvait disposer au moment où il l’a arrêtée (arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 115).

138    S’agissant, troisièmement, d’une part, du rapport d’audit, établi par l’IFE sur demande du BPG, daté du 28 juillet 2014 et ayant trait aux activités financières et commerciales de PSJC Semiconductor Plant, visée par les allégations du BPG et, d’autre part, du rapport d’une enquête indépendante portant sur les activités commerciales pertinentes du requérant et de cette société, daté du 16 octobre 2014 et préparé par une équipe d’enquêteurs et d’avocats indépendants (ci-après le « rapport Pepper Hamilton »), il convient de relever que le requérant ne précise pas en quoi ces deux rapports seraient susceptibles de contredire les informations contenues dans les lettres du BPG, compte tenu du fait que ni un rapport sur les activités commerciales du requérant et de la société dont il est actionnaire ni un rapport d’audit sur l’activité économique de celle-ci ne contiennent nécessairement des informations sur l’existence d’un détournement de fonds publics. En outre, d’une part, le rapport d’audit établi par l’IFE, qui ne porte d’ailleurs pas sur la responsabilité pénale du requérant à l’égard des infractions visées par l’enquête, sera forcément apprécié par le BPG, dès lors qu’il a été établi sur sa demande. D’autre part, s’agissant du rapport Pepper Hamilton, force est de constater, à l’instar du Conseil, qu’il a été établi à la demande d’une société détenue par le requérant et son frère et adressé à cette dernière et que, de ce fait, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 136 ci-dessus, il n’a qu’une valeur probante limitée.

139    Ces éléments à décharge, à eux seuls, ne sauraient donc justifier que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires.

140    S’agissant, quatrièmement, de l’argument tiré de ce qu’aucune notification de suspicion n’aurait été adressée au requérant suivant les modalités prescrites par le code de procédure pénale ukrainien, il convient de relever que le requérant ne s’appuie que sur un avis juridique d’un professeur de droit. Or, indépendamment du fait qu’un tel avis a, ainsi que cela a été précisé au point 136 ci-dessus, une valeur probante limitée, il ressort de celui‑ci, ainsi que l’affirme du reste le requérant dans ses écritures, que la notification de suspicion serait viciée par des irrégularités de nature purement formelle.

141    À supposer que la notification d’un avis de suspicion soit effectivement irrégulière, si elle a pour effet que le BPG doit procéder à une nouvelle notification en bonne et due forme, cela ne signifie pas que la procédure pénale dont cet avis relève n’est plus en cours.

142    À supposer encore que, en raison d’un vice formel affectant la notification d’un avis de suspicion, le requérant ne puisse pas être considéré comme étant un suspect au sens de l’article 42 du code de procédure pénale ukrainien, il ne s’ensuivrait pas que celui-ci ne fît pas l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes au sens du critère pertinent. En effet, la circonstance que, à la suite d’une notification irrégulière, le BPG doive procéder à une nouvelle notification n’affecte pas le fait que ce dernier considérait disposer d’éléments suffisants pour soupçonner que le requérant avait commis un détournement de fonds publics.

143    Ainsi, le grief du requérant portant sur les irrégularités formelles affectant la notification des avis de suspicion le concernant est inopérant.

144    Enfin, au regard de l’argument du requérant portant sur le long délai dont le Conseil a disposé pour effectuer un contrôle rigoureux et complet des éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé, il suffit de noter que, ainsi qu’il résulte de ce qui précède, le Conseil s’est acquitté des obligations qui lui incombaient. Or, la portée de ces obligations n’est pas déterminée par le temps dont le Conseil dispose.

145    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le troisième moyen dans son intégralité.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant

146    Le requérant rappelle que le droit à une bonne administration et le droit à une protection juridictionnelle effective constituent des droits fondamentaux faisant partie des principes généraux du droit de l’Union qui doivent être respectés dans le cadre des mesures restrictives. Il fait valoir que, en adoptant les actes de mars 2016, le Conseil a manqué à ses obligations procédurales, dont l’importance a été soulignée de façon constante dans la jurisprudence, de communiquer à la personne concernée les motifs de sa désignation ainsi que l’ensemble des éléments de preuve sur lesquels il s’est appuyé pour décider du maintien du nom de cette personne sur la liste, de mettre celle-ci en mesure de faire valoir utilement son point de vue préalablement au maintien de son nom sur la liste et, lorsque des observations sont formulées par ladite personne, d’examiner avec soin et impartialité le bien-fondé des motifs de sa désignation à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci.

147    Plus particulièrement, tout d’abord, le requérant soutient que, à aucun moment, il n’a reçu d’éléments de preuve sérieux, crédibles et concrets qui justifieraient l’imposition de mesures restrictives.

148    Ensuite, rien n’indiquerait que le Conseil ait pris en compte les observations formulées par le requérant, notamment celles des 30 novembre 2015, 4 janvier et 3 février 2016 précédant l’adoption des actes de mars 2016. Le Conseil se serait limité à rejeter, de façon sommaire, les réclamations du requérant, notamment dans la lettre du 7 mars 2016, à savoir postérieurement à l’adoption de ces actes.

149    Enfin, le requérant reproche au Conseil de ne pas lui avoir communiqué les motifs réels de sa nouvelle désignation dans les actes de mars 2016. En effet, dans sa lettre du 15 décembre 2015, le Conseil n’aurait pas indiqué sur quels éléments précis, au sein de la lettre du BPG du 30 novembre 2015, il se fondait pour maintenir les mesures restrictives à l’égard du requérant. Ce dernier n’aurait, par conséquent, pas été en mesure de formuler des observations de façon efficace.

150    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

151    À titre liminaire, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier, tandis que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 98 à 100).

152    En outre, il y a lieu de relever que, dans le cas d’une décision subséquente de gel des fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et des entités dont les fonds sont gelés est maintenu, l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).

153    Ce droit d’être entendu préalablement doit être respecté lorsque le Conseil a retenu de nouveaux éléments à l’encontre de la personne visée par la mesure restrictive et dont le nom fait l’objet d’un maintien sur la liste en cause (arrêt du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et Commission, C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 67).

154    En l’espèce, il doit être observé que l’article 2, paragraphes 2 et 3, de la décision 2014/119 et l’article 14, paragraphes 2 et 3, du règlement no 208/2014 prévoient que le Conseil communique sa décision à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de l’inscription de son nom sur les listes en cause, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations. Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné. De plus, selon l’article 5, troisième alinéa, de la décision 2014/119, celle-ci fait l’objet d’un suivi constant et, selon l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 208/2014, la liste est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. Les actes de mars 2016 se fondent sur les actes initiaux que sont la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 et ont pour effet de proroger le gel des fonds après le réexamen de la liste en cause par le Conseil.

155    S’agissant du droit d’être entendu, il y a lieu de relever, eu égard au principe jurisprudentiel exposé au point 153 ci-dessus, que le Conseil, lorsqu’il a maintenu le nom du requérant sur la liste, a retenu des éléments nouveaux, qui n’avaient pas déjà été communiqués au requérant à la suite de son inscription initiale.

156    En effet, d’une part, il convient de constater que la motivation des actes subséquents ne coïncide pas avec celle de la première inscription du nom du requérant (voir points 9 et 15 ci-dessus). D’autre part, le Conseil se fonde sur des éléments de preuve nouveaux, à savoir les lettres du BPG des 4 septembre et 30 novembre 2015. Dès lors, le Conseil était obligé d’entendre le requérant avant d’adopter les actes de mars 2016.

157    Or, il ressort du dossier que, préalablement à l’adoption de ces actes, le Conseil a communiqué au requérant, par lettre du 15 décembre 2015, la lettre du BPG du 30 novembre 2015 (voir point 20 ci‑dessus). Dans sa lettre, le Conseil a rappelé au requérant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives.

158    Le requérant a présenté ses observations au Conseil par lettres des 4 janvier et 3 février 2016. Il est vrai  que le Conseil n’a pas répondu à ces lettres avant l’adoption des actes de mars 2016. Toutefois, il convient de relever que, eu égard au fait que les motifs du maintien des mesures restrictives n’avaient pas été modifiés et que le nouvel élément de preuve, à savoir la lettre du BPG du 1er décembre 2015, lui avait été soumis préalablement à l’adoption de la décision de maintien, le requérant a été en mesure de formuler des observations pertinentes sur les motifs de sa désignation.

159    En outre, il y a lieu d’observer que le Conseil, par courrier du 7 mars 2016, à savoir presque immédiatement après l’adoption de la décision de maintenir le nom du requérant sur la liste, a répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes, à savoir dans les lettres des 30 novembre 2015, 4 janvier et 3 février 2016. À cette fin, il a rejeté certains arguments du requérant, en affirmant, notamment, que les lettres du BPG justifiaient le maintien de son nom sur la liste. Par cette lettre, le Conseil a également transmis au requérant les actes de mars 2016 en l’informant de la possibilité de formuler des observations ultérieures.

160    S’agissant de l’argument selon lequel le Conseil n’aurait pas indiqué  sur quels éléments précis, au sein de la lettre du BPG du 30 novembre 2015, il se fondait pour maintenir les mesures restrictives à l’égard du requérant, il convient de relever que celui-ci n’est pas fondé. En effet, il ressort clairement de [confidentiel] que, des [confidentiel] procédures pénales ouvertes à l’encontre du requérant, celle ayant trait notamment au détournement de fonds publics [confidentiel] justifiait le maintien des mesures restrictives frappant ce dernier. Au demeurant, en ce qu’un tel argument doit être compris comme concernant, en substance, une erreur manifeste d’appréciation du Conseil, il suffit de relever que ces questions ont été traitées dans le cadre du troisième moyen, lequel a été rejeté comme étant non fondé.

161    À la lumière de ces circonstances, il convient de conclure que le Conseil s’est acquitté de ses obligations concernant le respect des droits de la défense du requérant au cours de la procédure qui a abouti à l’adoption des actes de mars 2016. En effet, le requérant a eu accès aux informations et aux éléments de preuve qui ont motivé le maintien des mesures restrictives à son égard préalablement à leur adoption et il a pu soumettre, en temps utile, des observations au Conseil. Il convient également de relever que le requérant a été en mesure de former le présent recours en invoquant des éléments pertinents du dossier au titre de sa défense, ce qui permet de rejeter également le grief portant sur la violation de son droit à une protection juridictionnelle effective.

162    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation

163    Le requérant fait valoir que les mesures restrictives prises à son égard par les actes de mars 2016 constituent une restriction injustifiée et disproportionnée de ses droits fondamentaux que sont le droit de propriété et le droit à la réputation.

164    Le Conseil n’aurait pas démontré que le gel des avoirs du requérant était justifié par un objectif légitime et encore moins qu’il était proportionné à cet objectif. À cet égard, le requérant souligne que les allégations le concernant ne mentionnent plus le transfert illégal de fonds publics hors d’Ukraine. Dès lors, les mesures restrictives seraient inutiles et disproportionnées, puisqu’elles ne permettraient pas de contribuer à la récupération des fonds détournés et qu’il ne ressortirait pas des éléments du dossier qu’ils aient été transférés hors d’Ukraine. Il ajoute qu’il ne saurait être conclu que le gel de tous ses avoirs dans l’Union était nécessaire ou constituait l’option la moins contraignante à la disposition du Conseil, celui-ci n’ayant pas examiné si un gel d’avoirs plus limité suffisait à satisfaire la récupération des éventuels détournements, d’autant plus que les éléments de preuve ont précisé leurs montants et que le Conseil disposait d’un délai important pour se renseigner sur ceux-ci.

165    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

166    Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

167    Selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par ce texte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés et, d’autre part, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

168    Il résulte de la jurisprudence qu’une mesure de gel des fonds comporte incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 358).

169    En l’espèce, le droit de propriété du requérant est restreint, dès lors qu’il ne peut, notamment, pas disposer de ses fonds situés sur le territoire de l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières, et qu’aucun fonds ni aucune ressource économique ne peuvent être mis, directement ou indirectement, à sa disposition.

170    Toutefois, le droit de propriété, tel qu’il est protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195 et jurisprudence citée).

171    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation à l’exercice du droit de propriété doit répondre à une triple condition.

172    Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, la mesure doit avoir une base légale. Deuxièmement, elle doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ceux-ci figurent les objectifs poursuivis dans le cadre de la PESC et visés à l’article 21, paragraphe 2, TUE. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance du droit ou de la liberté en cause, ne doit pas être atteint (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, points 197 à 200 et jurisprudence citée).

173    S’agissant de la première condition, il convient d’observer que la limitation est « prévue par la loi », puisque le maintien du nom du requérant sur la liste correspond au critère pertinent, que les actes de mars 2016 n’ont pas modifié et qui renvoie à l’existence d’une procédure pénale ouverte à l’encontre de la personne visée pour des faits de détournement de fonds publics.

174    S’agissant de la deuxième condition, il convient de constater que, ainsi que cela résulte de l’examen du premier moyen, les actes de mars 2016 sont conformes à l’objectif, visé à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, « de consolider et de soutenir l’État de droit ». Ce faisant, ces actes s’inscrivent dans le cadre d’une politique de soutien aux autorités ukrainiennes, destinée à favoriser la stabilisation tant politique qu’économique de l’Ukraine et, plus spécialement, à aider les autorités de ce pays dans leur lutte contre le détournement de fonds publics.

175    S’agissant de la troisième condition, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 164 et jurisprudence citée).

176    Or, selon la jurisprudence, les inconvénients générés par les mesures restrictives ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, compte tenu, d’une part, du fait que ces mesures présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété et, d’autre part, du fait qu’il peut y être dérogé afin de couvrir les besoins fondamentaux, les frais de justice ou bien encore les dépenses extraordinaires des personnes visées (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 169 et jurisprudence citée).

177    Par ailleurs, les mesures restrictives contribuent de manière efficace à faciliter la constatation de détournements de fonds publics, en plus d’en faciliter la restitution, et le requérant n’invoque aucun argument de nature à démontrer que lesdites mesures ne sont pas appropriées ou qu’il existerait d’autres mesures moins contraignantes pour atteindre les objectifs visés. À cet égard, en ce qui concerne, plus particulièrement, l’argument du requérant selon lequel un gel des fonds ne se justifierait pas au-delà de la valeur des biens prétendument détournés telle qu’elle résulte des informations dont disposait ou aurait dû disposer le Conseil, il convient de relever que, d’une part, les montants mentionnés dans les lettres du BPG des 4 septembre et 30 novembre 2015 ne donnent qu’une indication de la valeur des avoirs qui auraient été détournés et, d’autre part, toute tentative visant à délimiter le montant des fonds gelés serait extrêmement difficile, sinon impossible, à mettre en œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 168).

178    S’agissant de l’argument du requérant selon lequel le motif du maintien de son nom sur la liste ne se référerait plus au transfert illégal de fonds publics hors d’Ukraine, il convient d’observer que, bien que cette circonstance ne soit plus mentionnée dans le motif d’inscription, tel que modifié par les actes subséquents, il n’en reste pas moins que la référence au détournement de fonds publics, dans le cas où elle est fondée, suffit à justifier les mesures restrictives à l’égard du requérant (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 163).

179    Enfin, s’agissant des arguments tirés de la violation du droit à la réputation, il convient de constater que l’adoption, par le Conseil, des mesures restrictives à l’égard du requérant ne constitue pas non plus une atteinte disproportionnée à sa réputation.

180    En effet, selon une jurisprudence bien établie, tout comme le droit de propriété, le droit à la réputation ne constitue pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour la réputation des personnes ou des entités concernées (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 168 et jurisprudence citée).

181    En l’espèce, il a été établi, dans le cadre de l’examen du troisième moyen, que le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale pour des infractions de détournement de fonds et que sa situation correspondait au critère pertinent, tel qu’il est interprété dans le cadre de l’examen du premier moyen.

182    En outre, les motifs de la désignation du requérant ne mentionnent pas les circonstances concrètes des faits qui font l’objet de ladite procédure, mais se bornent à mentionner la qualification pénale de ces faits retenue par les autorités ukrainiennes, et il importe de noter, à cet égard, que les lettres du BPG qui précisent ces faits demeurent confidentielles. En outre, le Conseil a pris soin, dans ces motifs, de préciser qu’une procédure pénale était ouverte à l’encontre du requérant, de sorte qu’il résulte clairement de ces motifs que la culpabilité du requérant n’a pas encore été formellement établie.

183    En tout état de cause, à supposer que le maintien de ces mesures à l’égard du requérant soit de nature à affecter sa réputation, force est de constater que de tels effets n’apparaissent pas comme étant démesurés par rapport aux objectifs poursuivis (voir points 174 à 177 ci-dessus).

184    Par conséquent, le cinquième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur l’exception d’illégalité

185    À titre subsidiaire, le requérant soulève une exception d’illégalité, en vertu de l’article 277 TFUE, visant le critère pertinent. Il soutient que ce critère serait dépourvu de base légale ou qu’il serait disproportionné au regard des objectifs des actes en cause s’il était interprété en ce sens qu’il permettrait de viser une personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes, indépendamment de l’existence d’une décision de justice ou d’une procédure judiciaire, ou tout titulaire d’une charge publique ayant commis un abus de pouvoir, indépendamment de l’existence d’une allégation de détournement de fonds publics.

186    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

187    À titre liminaire, il convient d’observer que, conformément aux conclusions tirées s’agissant du premier moyen, les actes de mars 2016 ne sont pas dépourvus de base juridique.

188    De plus, il a été relevé (voir point 65 ci-dessus) que le critère pertinent devait être interprété en ce sens qu’il ne vise pas, de façon abstraite, tout fait de détournement de fonds publics, mais plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics qui, eu égard au montant ou au type de fonds ou d’avoirs détournés ou au contexte dans lequel ils se sont produits, sont, à tout le moins, susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques de l’Ukraine, notamment aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi, et, en dernier ressort, de porter atteinte au respect de l’État de droit dans ce pays. Ainsi interprété, ce critère est conforme et proportionné aux objectifs pertinents du traité UE.

189    Par ailleurs, il convient de rappeler que le juge de l’Union a établi que l’identification d’une personne comme étant responsable d’une infraction n’impliquait pas forcément une condamnation pour une telle infraction (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, points 71 et 72) et que c’était à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartenait, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

190    En l’espèce, le critère pertinent permet simplement au Conseil de tenir compte d’une enquête pour des faits de détournement de fonds publics comme élément pouvant justifier, le cas échéant, l’adoption de mesures restrictives, sans préjudice de la circonstance selon laquelle, à la lumière de la jurisprudence citée au point 189 ci-dessus et de l’interprétation du critère d’inscription fournie notamment au point 188 ci-dessus, le simple fait de faire l’objet d’une enquête portant sur des infractions de détournement de fonds ne saurait, à lui seul, justifier l’action du Conseil au titre des articles 21 et 29 TUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 100).

191    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le critère pertinent est conforme aux objectifs de la PESC, tels qu’ils sont énoncés à l’article 21 TUE, dans la mesure où il vise les personnes identifiées comme étant responsables d’un détournement de fonds publics ukrainiens qui est susceptible de porter atteinte à l’État de droit en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 101).

192    Il y a donc lieu de rejeter l’exception d’illégalité soulevée par le requérant.

193    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité, en ce qu’il vise à l’annulation du maintien du nom du requérant sur la liste par les actes de mars 2016.

 Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils visent le requérant

194    Par son mémoire en adaptation, le requérant a demandé à étendre la portée de son recours afin que celui-ci vise l’annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils le concernent.

195    À l’appui de sa demande d’annulation des actes de mars 2017, le requérant soulève les mêmes moyens que ceux qu’il a invoqués, dans la requête, à l’appui de la demande d’annulation des actes de mars 2016 (voir point 46 ci-dessus) ainsi que la même exception d’illégalité.

196    Il convient d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation.

197    Après avoir rappelé que le motif invoqué à l’appui du maintien de son nom sur la liste était identique à celui figurant dans les actes de mars 2016 et que, dans la lettre du 6 mars 2017 justifiant la prorogation de la désignation, le Conseil avait confirmé qu’il s’était appuyé uniquement sur la procédure [confidentiel], le requérant fait valoir que celle-ci ne satisfait pas aux critères de désignation pour deux raisons.

198    En premier lieu, le requérant ne ferait l’objet que d’une enquête préliminaire, dont la durée serait par ailleurs contraire aux dispositions du code de procédure pénale ukrainien, ce qui ne suffirait pas à satisfaire au critère pertinent. En tout état de cause, à la date de la prorogation de sa désignation, le requérant n’aurait été impliqué dans aucune enquête préliminaire en cours, dès lors que l’enquête dans ladite procédure pénale avait été formellement suspendue une première fois le 22 avril 2015, pour ensuite être rouverte le 4 mars 2016 et puis de nouveau formellement suspendue le lendemain, à savoir le 5 mars 2016. Le Conseil aurait d’ailleurs été informé à maintes reprises par le requérant de cette suspension.

199    En deuxième lieu, s’agissant des décisions de justice [confidentiel] auxquelles se réfèrent les lettres du BPG, que le Conseil a annexées à son courrier du 9 février 2017, premièrement, le requérant fait observer que [confidentiel] ont été prises dans le cadre de la procédure [confidentiel] et que le Conseil n’a pas donné d’explications quant à la pertinence de celles-ci au regard de la procédure [confidentiel], sur laquelle il se serait uniquement fondé. Deuxièmement, en tout état de cause, l’existence de telles décisions ne serait pas de nature à remettre en cause le fait que la procédure [confidentiel] était suspendue. Troisièmement, ces décisions ne fourniraient pas non plus de réponse aux preuves à décharge produites par le requérant. Quatrièmement, toutes ces décisions auraient été rendues sans la présence du requérant ou de ses avocats et seraient exclusivement fondées sur des allégations du BPG, lesquelles n’auraient fait l’objet d’aucune analyse ou contestation. Enfin, dans le courrier du 9 février 2017, il n’y aurait aucune explication au regard des [confidentiel] en Autriche. En effet, le Conseil se serait limité à indiquer qu’il n’était pas confirmé que [confidentiel] appartenait au requérant, alors que le BPG était informé du fait que les autorités autrichiennes avaient refusé [confidentiel].

200    En troisième lieu, les lettres du BPG des 25 juillet et 16 novembre 2016, sur lesquelles le Conseil aurait prétendument fondé sa décision de maintenir le nom du requérant sur la liste, ne seraient étayées d’aucun élément de preuve et ne fourniraient pas suffisamment de précisions concernant [confidentiel].

201    En tout état de cause, le Conseil n’aurait pas démontré en quoi les allégations du BPG étaient susceptibles de satisfaire le critère pertinent en ce qu’il viserait uniquement le détournement de fonds ou d’avoirs publics de nature à porter atteinte aux principes de l’État de droit en Ukraine, compte tenu du montant ou de la nature des fonds ou des avoirs détournés ou du contexte dans lequel l’infraction a été commise.

202    À cet égard, le requérant souligne que, en dépit du nombre significatif d’éléments à décharge qu’il lui a communiqués et que le Conseil aurait dû examiner avec soin et impartialité, le Conseil a systématiquement refusé d’entreprendre la moindre enquête ou des vérifications supplémentaires à cet égard. Outre les nombreux éléments déjà invoqués dans la requête, le requérant met en avant une décision de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol, du 25 avril 2017, l’informant qu’il ne faisait pas l’objet d’une notice rouge d’Interpol.

203    En définitive, le Conseil n’aurait pas apporté les preuves concrètes et les informations suffisantes justifiant le maintien du nom du requérant sur la liste.

204    Premièrement, le Conseil rétorque  que la période de suspension ne peut être prise en compte dans le calcul de la durée maximale de l’enquête préliminaire et que le fait que la procédure [confidentiel] était formellement suspendue à la date de la nouvelle désignation du requérant ne permet pas de démontrer que l’enquête préliminaire menée à l’encontre de celui-ci avait cessé d’exister.

205    Deuxièmement, le Conseil fait valoir que les allégations du requérant concernant les prétendues violations de ses droits procéduraux commises dans le cadre [confidentiel] sont dénuées de pertinence, au vu de la jurisprudence selon laquelle il ne lui incombe pas de procéder à sa propre évaluation « indépendante » ou de vérifier si les enquêtes nationales sont fondées.

206    Troisièmement, s’agissant des prétendues fausses informations sur [confidentiel] en Autriche, le Conseil rétorque qu’il ressort clairement de son courrier du 9 février 2017 que l’information contenue dans la lettre du BPG du 25 juillet 2016 à l’égard de [confidentiel] en Autriche n’avait pas été confirmée et que, pour cette raison, une telle information ne figurait plus dans la lettre du BPG du 16 novembre 2016.

207    Quatrièmement, le Conseil estime que la nature et le caractère détaillé des informations figurant dans les lettres du BPG étaient plus que suffisants pour conclure que, à la date d’adoption des actes de mars 2017, le requérant faisait l’objet [confidentiel] pour détournement de fonds ou d’avoirs publics.

208    Cinquièmement, s’agissant de la décision de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol, le Conseil fait observer que ce document est postérieur à l’adoption des actes de mars 2017. En tout état de cause, faire l’objet d’une notice rouge d’Interpol n’aurait jamais fait partie des critères de désignation.

209    À titre liminaire, il convient de rappeler que le critère pertinent, d’une part, dispose que des mesures restrictives sont adoptées à l’égard des personnes qui ont été « identifiées comme étant responsables » de faits de détournement de fonds publics – ce qui inclut les personnes « faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes » pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens (voir point 12 ci-dessus) – et, d’autre part, doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas de façon abstraite tout fait de détournement de fonds publics, mais plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics susceptibles de porter atteinte au respect de l’État de droit en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 91).

210    En l’espèce, ainsi que cela a été rappelé au point 15 ci-dessus, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, par les actes de mars 2017, pour les motifs suivants :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et en lien avec la mauvaise utilisation d’une charge par le titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour le budget public ukrainien ou les avoirs publics ukrainiens. »

211    Il est constant que, s’agissant des actes de mars 2017, le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur les lettres du BPG des 25 juillet et 16 novembre 2016.

212    Ainsi, il convient de vérifier le motif qui fonde le maintien du nom du requérant sur la liste ainsi que l’appréciation portée par le Conseil sur les éléments en sa possession.

213    Une telle appréciation doit être faite à l’aune des principes jurisprudentiels rappelés aux points 114 à 126 ci-dessus.

214    Il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, il s’agit d’une décision de maintien du nom d’une personne sur la liste et que, dans ces circonstances, lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, le Conseil a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci, une telle obligation se rattachant à celle de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la Charte (voir point 116 ci-dessus).

215    Plus particulièrement, ce qu’il importe au Conseil de vérifier, ainsi que cela a été relevé au point 122 ci-dessus, c’est, d’une part, dans quelle mesure les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé permettent d’établir que la situation du requérant correspond au motif de maintien de son nom sur la liste et, d’autre part, si ces éléments de preuve permettent de qualifier les agissements du requérant conformément au critère pertinent. Ce n’est que si ces vérifications n’aboutissaient pas que, au regard du principe jurisprudentiel rappelé au point 116 ci-dessus, il appartiendrait au Conseil d’opérer des vérifications supplémentaires.

216    À cet égard, il ne pourrait être exclu que des éléments portés à la connaissance du Conseil, soit par les autorités ukrainiennes elles-mêmes, soit par les personnes visées par les mesures restrictives, soit d’une autre manière, le conduisent à douter du caractère suffisant des preuves déjà fournies par lesdites autorités. Si, en l’occurrence, il est vrai qu’il n’appartient pas au Conseil de se substituer aux autorités judiciaires ukrainiennes dans l’appréciation du bien-fondé de l’enquête préliminaire mentionnée dans les lettres du BPG, il ne saurait néanmoins être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ladite enquête est fondée.

217    En l’espèce, le requérant admet que les lettres émanant du BPG font état, notamment, d’une procédure pénale pour détournement de fonds publics dans le cadre de laquelle une enquête préliminaire est menée le concernant. Il y a donc lieu d’examiner si le Conseil a pu considérer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que les informations fournies par le BPG à l’égard de cette procédure pouvaient continuer à étayer le motif de désignation du requérant.

218    À titre liminaire, il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que prétend le Conseil, la question n’est pas de savoir si, au vu des éléments portés à sa connaissance, celui-ci était tenu de mettre fin à l’inscription du nom du requérant sur la liste, mais seulement de savoir s’il était tenu de prendre en compte ces éléments et, le cas échéant, de procéder à des vérifications supplémentaires ou de solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes. À cet égard, il suffit que lesdits éléments soient de nature à susciter des interrogations légitimes concernant, d’une part, le résultat de l’enquête et, d’autre part, la fiabilité et l’état actualisé des informations transmises par le BPG.

219    Or, dans son courrier en date du 6 mars 2017, qui répond aux observations du représentant du requérant en date du 12 janvier 2017 ainsi qu’à celles du requérant lui-même en date du 14 février 2017, le Conseil se borne à affirmer qu’il ne partage pas le point de vue de ce dernier et qu’il entend confirmer les mesures restrictives à son égard en se fondant sur les lettres du BPG des 25 juillet et 16 novembre 2016, déjà en possession du requérant. Pour le reste, le Conseil se limite à réfuter l’argument du requérant selon lequel il ne pouvait pas se fonder sur [confidentiel], en lui rappelant qu’il lui avait communiqué, par courrier du 9 février 2017, les [confidentiel].

220    En premier lieu, il convient de constater que ces lettres présentent des incohérences et des imprécisions. Premièrement, il convient de constater l’incohérence – et non pas une simple différence sémantique, ainsi que l’a fait valoir le Conseil lors de l’audience – existant dans les deux lettres du BPG en ce qui concerne [confidentiel]. En effet, bien que, ainsi que le prétend le Conseil, [confidentiel] ne soit pas nécessaire aux fins de satisfaire le critère pertinent, il n’en reste pas moins qu’une information de ce type contribue à corroborer la conviction du Conseil concernant l’existence d’une base factuelle suffisamment solide et que, par conséquent, le Conseil peut en tenir compte aux fins de la décision de maintenir l’inscription du nom de la personne concernée sur la liste. Or, en l’occurrence, il doit être relevé que, dans la lettre du 16 novembre 2016, le BPG indique que [confidentiel], alors que, dans la lettre du 25 juillet 2016, il était indiqué que [confidentiel]. Deuxièmement, la lettre du BPG du 25 juillet 2016 fait référence, notamment, [confidentiel], alors que le parquet de Vienne avait, en date du 4 avril 2016, abandonné les poursuites à l’égard du requérant.

221    Bien que ces incohérences ne soient pas susceptibles, en elles-mêmes, de soulever des interrogations légitimes concernant le résultat de l’enquête, elles sont néanmoins révélatrices d’un certain degré d’approximation de la part du BPG qui est susceptible d’amoindrir la fiabilité des informations qu’il a fournies ainsi que leur actualisation.

222    En deuxième lieu, il convient de constater que, dans la lettre du 16 novembre 2016, le BPG [confidentiel]. À cet égard, il convient de préciser que, à la suite d’une demande transmise aux autorités ukrainiennes en date du 12 décembre 2016, le Conseil a obtenu des copies [confidentiel], que le Conseil a ensuite envoyées au requérant par courrier du 9 février 2017.

223    En troisième lieu, il ressort de la lettre du parquet de Vienne, du 4 avril 2016, que celui-ci, après avoir examiné les pièces justificatives communiquées dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire par le BPG, en se fondant aussi sur le rapport Pepper Hamilton, auquel il a fait explicitement référence, a considéré que ces pièces ne corroboraient pas les accusations formulées par les autorités ukrainiennes chargées de l’enquête et que les accusations rapportées dans les médias selon lesquelles le requérant aurait commis des infractions punissables en Ukraine, qui étaient à l’origine du grand nombre de cas de soupçons de blanchiment d’argent signalés en Autriche, ne sauraient être confirmées, bien que plusieurs opérations de collecte d’éléments de preuve aient été menées (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 247).

224    À cet égard, s’il est vrai que les mesures restrictives ne relèvent pas du droit pénal, il n’en reste pas moins que, en l’occurrence, la condition nécessaire pour le maintien du nom d’une personne sur la liste est qu’elle soit identifiée comme étant responsable, notamment, de détournement de fonds publics, étant considérée comme telle une personne faisant l’objet d’une enquête, dans le cadre d’une procédure pénale, de la part des autorités ukrainiennes. Il s’ensuit que, si le Conseil est informé du fait que le parquet d’un État membre de l’Union soulève des doutes sérieux, comme cela a été le cas en l’espèce, à l’égard du caractère suffisamment étayé des éléments supportant l’enquête des autorités ukrainiennes qui a été à l’origine de la décision du Conseil de maintenir le nom du requérant sur la liste, celui-ci est tenu d’opérer des vérifications supplémentaires auprès desdites autorités ou, à tout le moins, de solliciter des éclaircissements de la part de celles-ci, afin d’établir si les éléments dont il dispose, à savoir des informations assez vagues, se limitant à confirmer l’existence d’une enquête préliminaire visant le requérant, demeurent une base factuelle suffisamment solide pour justifier le maintien du nom du requérant sur la liste (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 248).

225    Par ailleurs, il convient encore d’observer que, dans son courrier du 9 février 2017, le Conseil ne fournit pas d’explication quant à [confidentiel], dont le BPG avait fait mention dans sa lettre du 25 juillet 2016, mais pas dans celle du 16 novembre 2016, alors qu’il avait été informé par le requérant du fait que les juridictions et le procureur autrichiens avaient refusé de [confidentiel].

226    En effet, sans aucune analyse ou explication, le Conseil se borne à citer textuellement les « informations » suivantes, qui lui avaient été communiquées par le BPG :

[confidentiel]

227    Or, non seulement ces informations ne correspondent pas à celles dont disposait le Conseil, mais elles ne se réfèrent [confidentiel] et non pas également à la décision [confidentiel], à laquelle il est fait expressément référence dans la lettre du BPG du 25 juillet 2016.

228    En quatrième lieu, dans les deux lettres mentionnées au point 219 ci-dessus, le BPG n’a pas indiqué que la procédure [confidentiel] était suspendue, ce dont le Conseil avait été informé par le requérant par le biais des observations que celui-ci lui avait présentées, respectivement, le 12 janvier et le 14 février 2017, en vue du réexamen annuel des mesures le concernant.

229    À cet égard, s’il est vrai, ainsi que le prétend le Conseil, que le fait que la procédure [confidentiel] est formellement suspendue ne permet pas de démontrer que l’enquête préliminaire menée à l’encontre du requérant a cessé, il n’en reste pas moins, d’une part, que le Conseil avait été informé par le requérant, et non par le BPG, lequel a omis de fournir le moindre élément à cet égard, que cette procédure n’était pas formellement en cours et, d’autre part, qu’une telle circonstance n’était pas sans incidence aux fins de la décision du maintien d’une mesure restrictive de la part du Conseil, lequel risquerait autrement de prolonger une telle mesure, à son insu, indéfiniment, ce qui serait contraire à la nature provisoire des mesures restrictives. Par ailleurs, le fait que le BPG s’est limité à répéter depuis toujours les mêmes informations sur l’enquête préliminaire sans avoir fait état des nouvelles concernant son déroulement, en l’occurrence sa suspension, amoindrit la fiabilité des informations qu’il a fournies ainsi que leur actualisation (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 251).

230    Il s’ensuit que le Conseil aurait dû solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements sur les raisons ayant déterminé la suspension de la procédure ainsi que sur la durée de celle-ci afin d’établir si le critère pertinent était encore satisfait en l’espèce. Le fait que le Conseil a expliqué postérieurement, dans le cadre de ses observations sur le mémoire en adaptation, les raisons ayant déterminé une telle suspension ne saurait remettre en cause cette conclusion. En effet, d’une part, le Conseil n’a pas démontré qu’il connaissait ces raisons avant la décision d’adopter les actes de mars 2017 et, d’autre part, il ressort du dossier de l’affaire qu’il ne pouvait pas être au courant de ladite suspension, dès lors que le BPG ne l’avait pas informé et qu’il a même admis, lors de l’audience, avoir pris connaissance de ladite décision de suspension par le biais de l’annexe versée au dossier par le requérant. En outre, s’agissant de l’argument, avancé par le Conseil lors de l’audience, selon lequel le BPG n’aurait pas été au courant de l’importance des informations ayant trait à des aspects purement procéduraux de l’enquête en cours et de la nécessité de les communiquer au Conseil, il suffit de constater que, dans sa lettre du 16 novembre 2016, s’agissant d’une autre procédure pénale, qui ne relève pas du critère pertinent, le BPG a précisé [confidentiel].

231    Il résulte de tout ce qui précède que les informations sur la procédure [confidentiel], énoncées dans les lettres du BPG, la seule sur laquelle s’est fondé le Conseil pour maintenir le nom du requérant sur la liste, sont lacunaires et entachées d’incohérences telles qu’elles auraient dû faire douter le Conseil du caractère suffisant des éléments dont il disposait.

232    À cet égard, s’il est vrai que le Conseil, en réponse à un grief du requérant, a demandé aux autorités ukrainiennes [confidentiel], il n’en reste pas moins que, ainsi que le souligne le requérant, toutes ces décisions ont été prises par le [confidentiel], dans le cadre de la procédure [confidentiel], alors que le Conseil a expressément indiqué que, aux fins du maintien du nom du requérant sur la liste, il ne s’était fondé que sur la procédure [confidentiel].

233    Il s’ensuit que ces décisions, bien qu’elles soient particulièrement détaillées quant aux éléments justifiant l’incrimination du requérant pour détournement de fonds publics, ne fournissent pas d’informations actualisées quant à l’évolution de l’enquête dans le cadre de la procédure [confidentiel].

234    En revanche, les éléments invoqués par le requérant avant l’adoption des actes de mars 2017, d’autant plus lorsqu’ils sont pris avec les éléments à décharge mentionnés aux points 137 et 138 ci-dessus, à savoir, en particulier, la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), le rapport d’audit établi par l’IFE et le rapport Pepper Hamilton, étaient de nature à susciter des interrogations légitimes chez le Conseil justifiant qu’il procède à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 254).

235    S’agissant de la communication de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol, du 25 avril 2017, informant le requérant que l’inclusion de son nom dans les fichiers d’Interpol contrevenait aux règles de cette organisation et qu’il devrait être retiré, invoquée par le requérant dans son mémoire en adaptation, il convient d’observer qu’elle n’est pas pertinente dès lors qu’elle est postérieure aux actes de mars 2017. En effet, la légalité d’une décision de gel d’avoirs doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont le Conseil pouvait disposer au moment où il l’a arrêtée (arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 115).

236    Ainsi, le Conseil, compte tenu, d’une part, de l’insuffisance de la base factuelle sur laquelle il s’est fondé, ainsi que, d’autre part, des éléments à décharge invoqués par le requérant, aurait dû procéder à des vérifications supplémentaires et solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes, conformément à la jurisprudence citée, notamment, au point 126 ci-dessus.

237    Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il n’était pas tenu de prendre en compte les éléments produits par le requérant et les arguments développés par celui-ci ni de procéder à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes, alors que lesdits éléments et arguments étaient de nature à susciter des interrogations légitimes quant à la fiabilité des informations fournies par le BPG en ce qui concerne la procédure [confidentiel] menée à l’encontre du requérant.

238    Le troisième moyen soulevé par le requérant dans son mémoire en adaptation est donc fondé. Dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens avancés par le requérant au soutien de sa demande d’annulation des actes de mars 2017, il y a lieu d’accueillir le recours en ce qu’il vise à obtenir l’annulation des actes de mars 2017, en tant qu’ils concernent le requérant.

239    À cet égard, s’agissant de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire et tendant à ce que, en cas d’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374, pour des raisons de sécurité juridique, le Tribunal déclare que les effets de la décision 2017/381 soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle dudit règlement d’exécution, il suffit de relever que la décision 2017/381 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2018. Par conséquent, l’annulation partielle de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien de ses effets (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑331/14, EU:T:2016:49, points 70 à 72).

 Sur les dépens

240    Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

241    En l’espèce, le requérant ayant succombé en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans la requête, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du Conseil. Celui-ci ayant succombé en ce qui concerne la demande d’annulation partielle des actes de mars 2017 formulée dans le mémoire en adaptation, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du requérant.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés, dans la mesure où le nom de M. Andriy Klyuyev a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      M. Klyuyev est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, en ce qui concerne la demande en annulation formulée dans la requête.

4)      Le Conseil est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Klyuyev, en ce qui concerne la demande d’annulation partielle de la décision 2017/381 et du règlement d’exécution 2017/374, formulée dans le mémoire en adaptation.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2018.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2016, en ce qu’ils visent le requérant

Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte

Sur le troisième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation

Sur l’exception d’illégalité

Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils visent le requérant

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Données confidentielles occultées.