Language of document : ECLI:EU:C:2013:240

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 avril 2013 (*)

«Brevet unitaire – Décision autorisant une coopération renforcée au titre de l’article 329, paragraphe 1, TFUE – Recours en annulation pour incompétence, détournement de pouvoir et violation des traités – Conditions énoncées aux articles 20 TUE ainsi que 326 TFUE et 327 TFUE – Compétence non exclusive – Décision adoptée ‘en dernier ressort’ – Préservation des intérêts de l’Union»

Dans les affaires jointes C‑274/11 et C‑295/11,

ayant pour objet des recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduits respectivement les 30 et 31 mai 2011,

Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent,

partie requérante,

soutenu par:

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

partie intervenante,

et

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par:

Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent,

partie intervenante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. T. Middleton et F. Florindo Gijón ainsi que par Mme A. Lo Monaco, puis par MM. T. Middleton et F. Florindo Gijón ainsi que par Mmes M. Balta et K. Pellinghelli, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

Royaume de Belgique, représenté par Mme C. Pochet ainsi que par MM. J.‑C. Halleux et T. Materne, en qualité d’agents,

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, D. Hadroušek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. N. J. Travers, BL,

République française, représentée par Mme E. Belliard ainsi que par MM. G. de Bergues et A. Adam, en qualité d’agents,

Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et Mme K. Molnár, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes C. Wissels et M. de Ree, en qualité d’agents,

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes E. Gromnicka et M. Laszuk, en qualité d’agents,

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk et C. Meyer-Seitz, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. L. Seeboruth, en qualité d’agent, assisté de M. T. Mitcheson, barrister,

Parlement européen, représenté par MM. I. Díez Parra et G. Ricci ainsi que par Mme M. Dean, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par Mme I. Martínez del Peral ainsi que par MM. T. van Rijn, B. Smulders, F. Bulst et L. Prete, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, MM. A. Tizzano, M. Ilešič (rapporteur), T. von Danwitz, J. Malenovský, présidents de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Ó Caoimh, J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 septembre 2012,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 décembre 2012,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs requêtes, le Royaume d’Espagne et la République italienne demandent l’annulation de la décision 2011/167/UE du Conseil, du 10 mars 2011, autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire (JO L 76, p. 53, ci‑après la «décision attaquée»).

 La décision attaquée

2        La décision attaquée est libellée comme suit:

«vu le [traité FUE], et notamment son article 329, paragraphe 1,

[…]

considérant ce qui suit:

(1)      Conformément à l’article 3, paragraphe 3, [TUE], l’Union établit un marché intérieur, œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et promeut le progrès scientifique et technique. [...] Un brevet unitaire qui produit des effets uniformes dans l’ensemble de l’Union devrait figurer parmi les instruments juridiques à la disposition des entreprises.

[...]

(3)      Le 5 juillet 2000, la Commission a adopté une proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire en vue de créer un brevet unitaire garantissant une protection uniforme dans toute l’Union. Le 30 juin 2010, elle a adopté une proposition de règlement du Conseil sur les dispositions relatives à la traduction pour le brevet de l’Union européenne (ci-après dénommée ‘proposition de règlement sur les dispositions relative à la traduction’) établissant les dispositions en matière de traduction applicables au brevet de l’Union européenne.

(4)      Lors de la session du Conseil du 10 novembre 2010, il a été pris acte de l’absence d’unanimité concernant la proposition de règlement sur les dispositions relatives à la traduction. Le 10 décembre 2010, l’existence de difficultés insurmontables rendant impossible l’unanimité à cette date et dans un proche avenir a été confirmée. Étant donné qu’un accord sur la proposition de règlement sur les dispositions relatives à la traduction est nécessaire pour parvenir à un accord final sur la création d’une protection par brevet unitaire dans l’Union, il a été établi que l’objectif consistant à créer une protection par brevet unitaire dans l’Union ne pourra pas être atteint dans un délai raisonnable en appliquant les dispositions pertinentes des traités.

(5)      Dans ces circonstances, douze États membres, à savoir le Danemark, l’Allemagne, l’Estonie, la France, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovénie, la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni ont adressé à la Commission, par lettres des 7, 8 et 13 décembre 2010, des demandes précisant qu’ils souhaitaient instaurer entre eux une coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire, sur la base des propositions existantes que ces États membres ont soutenues pendant les négociations, et invitant la Commission à soumettre une proposition en ce sens au Conseil. Ces douze États membres ont confirmé leur demande lors de la session du Conseil le 10 décembre 2010. Entre‑temps, treize États membres supplémentaires, à savoir la Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, l’Irlande, la Grèce, Chypre, la Lettonie, la Hongrie, Malte, l’Autriche, le Portugal, la Roumanie et la Slovaquie ont écrit à la Commission pour lui signaler qu’ils souhaitent également participer à la coopération renforcée envisagée. Au total, vingt-cinq États membres ont demandé une coopération renforcée.

(6)      La coopération renforcée devrait fournir le cadre juridique nécessaire pour la création d’une protection par brevet unitaire dans les États membres participants et permettre aux entreprises de toute l’Union d’améliorer leur compétitivité en ayant la possibilité d’obtenir une protection uniforme par brevet dans les États membres participants […]

(7)      L’objectif de la coopération renforcée devrait être la création d’un brevet unitaire, qui confère une protection uniforme sur le territoire de tous les États membres participants, qui serait délivré pour l’ensemble de ces États membres par l’Office européen des brevets (ci-après dénommé ‘OEB’). En tant qu’élément nécessaire du brevet unitaire, les modalités de traduction devraient être simples, présenter un bon rapport coût-efficacité et correspondre à celles prévues dans la proposition de règlement du Conseil sur les dispositions relatives à la traduction pour le brevet de l’Union européenne, présentée par la Commission le 30 juin 2010, et aux éléments de compromis proposés par la présidence en novembre 2010 et largement soutenus par le Conseil. Ces modalités de traduction maintiendraient la possibilité de déposer une demande de brevet auprès de l’OEB dans n’importe quelle langue de l’Union et assureraient le remboursement des coûts liés à la traduction des demandes déposées dans une langue autre que l’une des langues officielles de l’OEB. Le brevet unitaire ne devrait être délivré que dans l’une des langues officielles de l’OEB […]. Aucune autre traduction ne serait exigée, sans préjudice de dispositions transitoires […]

[...]

(9)      Le domaine dans lequel s’exercerait la coopération renforcée, l’établissement de mesures relatives à la création d’un brevet unitaire assurant une protection dans l’ensemble de l’Union et la mise en place de régimes d’autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l’Union, est identifié par l’article 118 [TFUE] comme l’un des domaines visés par les traités.

(10)      Il a été noté lors de la session du Conseil du 10 novembre 2010 puis confirmé le 10 décembre 2010 que l’objectif consistant à établir une protection par brevet unitaire au sein de l’Union ne pouvait pas être atteint dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble; par conséquent, la condition prévue par l’article 20, paragraphe 2, [TUE], selon laquelle la décision autorisant une coopération renforcée est adoptée uniquement en dernier ressort, est remplie.

(11)      La coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire vise à stimuler le progrès scientifique et technique ainsi que le fonctionnement du marché intérieur. La création d’une protection par brevet unitaire pour tout un groupe d’États membres améliorerait le niveau de protection en donnant la possibilité d’obtenir une protection uniforme sur le territoire de tous les États membres participants et éliminerait les coûts et la complexité pour ces territoires. Ainsi, elle contribue à la réalisation des objectifs de l’Union, protège ses intérêts et renforce son processus d’intégration conformément à l’article 20, paragraphe 1, [TUE].

[...]

(14)      La coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire respecte les compétences, les droits et les obligations des États membres non participants. La possibilité d’obtenir une protection par brevet unitaire sur le territoire des États membres participants n’affecte pas l’existence ou les conditions de la protection par brevet sur le territoire des États membres non participants. En outre, les entreprises des États membres non participants devraient avoir la possibilité d’obtenir la protection par brevet unitaire sur le territoire des États membres participants dans les mêmes conditions que les entreprises des États membres participants. Les règles existantes d’États membres non participants qui régissent les conditions d’obtention d’une protection par brevet sur leur territoire restent inchangées.

[...]

(16)      [...] la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire est ouverte à tout moment à tous les États membres disposés à se conformer aux actes déjà adoptés dans ce cadre conformément à l’article 328 [TFUE],

[...]

Article premier

Le Royaume de Belgique, la République de Bulgarie, la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, l’Irlande, la République hellénique, la République française, la République de Chypre, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Hongrie, Malte, le Royaume des Pays‑Bas, la République d’Autriche, la République de Pologne, la République portugaise, la Roumanie, la République de Slovénie, la République slovaque, la République de Finlande, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord sont autorisés à instaurer entre eux une coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire, en appliquant les dispositions pertinentes des traités.

Article 2

La présente décision entre en vigueur le jour de son adoption.»

 La procédure devant la Cour

3        Par ordonnances du président de la Cour du 27 octobre 2011, la République italienne a été admise à intervenir, dans l’affaire C‑274/11, au soutien des conclusions du Royaume d’Espagne et, dans la même affaire, le Royaume de Belgique, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, la République française, la République de Lettonie, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le Parlement européen ainsi que la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

4        Par ordonnance du président de la Cour du 13 octobre 2011, le Royaume d’Espagne a été admis à intervenir, dans l’affaire C‑295/11, au soutien des conclusions de la République italienne et, dans la même affaire, le Royaume de Belgique, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, la République française, la République de Lettonie, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le Parlement ainsi que la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

5        Des observations écrites ont été déposées par l’ensemble des États membres, à l’exception de la République de Lettonie, et par l’ensemble des institutions intervenus au litige (ci-après les «intervenants»).

6        Par ordonnance du président de la Cour du 10 juillet 2012, les affaires C‑274/11 et C‑295/11 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les recours

7        Au soutien de son recours, le Royaume d’Espagne fait valoir, à titre principal, que la décision attaquée est entachée d’un détournement de pouvoir et d’une violation du système juridictionnel de l’Union. À titre subsidiaire, il argue d’une violation des conditions énoncées aux articles 20 TUE ainsi que 326 TFUE et 327 TFUE, notamment celles relatives au caractère non exclusif de la compétence dont l’exercice est autorisé au titre de la coopération renforcée, à la nécessité de ne recourir à celle-ci qu’en dernier ressort et à l’absence d’atteinte au marché intérieur.

8        À l’appui de son recours, la République italienne soutient que la décision attaquée est entachée, tout d’abord, d’incompétence du Conseil pour instaurer une coopération renforcée en vue de la création d’une protection par brevet unitaire (ci-après la «coopération renforcée en cause»), ensuite, d’un détournement de pouvoir et d’une méconnaissance des formes substantielles, à savoir, notamment, un défaut de motivation ainsi qu’une violation de la condition prévue à l’article 20, paragraphe 2, TUE, selon laquelle la décision du Conseil autorisant une coopération renforcée doit être adoptée en dernier ressort, et, enfin, de diverses violations de cet article 20 TUE ainsi que des articles 118 TFUE et 326 TFUE.

9        Les affaires C‑274/11 et C‑295/11 ayant été jointes, les arguments présentés au soutien de ces deux recours peuvent être regroupés en cinq moyens, tirés, respectivement, de l’incompétence du Conseil pour instaurer la coopération renforcée en cause, d’un détournement de pouvoir, d’une violation de la condition selon laquelle une décision autorisant une coopération renforcée doit être adoptée en dernier ressort, de violations des articles 20, paragraphe 1, TUE, 118 TFUE, 326 TFUE ainsi que 327 TFUE, et d’une méconnaissance du système juridictionnel de l’Union.

 Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence du Conseil pour autoriser la coopération renforcée en cause

 Argumentation des parties

10      Le Royaume d’Espagne et la République italienne soutiennent que la matière concernée, à savoir celle relative à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle, visée à l’article 118 TFUE, se rattache non pas à l’une des compétences partagées entre les États membres et l’Union, mais à la compétence exclusive de cette dernière prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE, concernant «l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur».

11      Le Conseil serait donc incompétent pour autoriser la coopération renforcée en cause. En effet, l’article 20, paragraphe 1, TUE exclut toute coopération renforcée dans le cadre des compétences exclusives de l’Union.

12      Les requérants soulignent que la réglementation relative au brevet unitaire définira la portée et les limitations du monopole conféré par ce titre de propriété intellectuelle. Cette réglementation concernera, ainsi, l’établissement de règles qui sont essentielles pour le maintien d’une concurrence non faussée.

13      Par ailleurs, une qualification des compétences attribuées par l’article 118 TFUE de compétences partagées serait contredite par le fait que cet article, tout en faisant référence au marché intérieur et quoique figurant dans le chapitre du traité FUE portant sur le rapprochement des législations, confère à l’Union non pas un pouvoir d’harmonisation des législations nationales, mais une compétence spécifique pour mettre en place des titres européens.

14      La République italienne ajoute que les articles 3 TFUE à 6 TFUE n’établissent qu’une classification indicative des domaines de compétence de l’Union. Il serait donc loisible à la Cour de qualifier d’exclusives les compétences attribuées par l’article 118 TFUE sans se fonder sur la liste figurant à l’article 3, paragraphe 1, TFUE.

15      Le Conseil et les intervenants le soutenant font valoir que les règles en matière de propriété intellectuelle relèvent du marché intérieur et que, dans ce domaine, l’Union dispose d’une compétence partagée en vertu de l’article 4, paragraphe 2, sous a), TFUE.

 Appréciation de la Cour

16      La décision attaquée a pour objet d’autoriser les 25 États membres mentionnés à son article 1er d’exercer entre eux, pour ce qui concerne la création d’une protection par brevet unitaire, les compétences attribuées par l’article 118 TFUE.

17      Pour déterminer si ces compétences ont un caractère non exclusif et peuvent donc, conformément à l’article 20 TUE et dans le respect des conditions énoncées à cet article ainsi qu’aux articles 326 TFUE à 334 TFUE, être exercées au titre de la coopération renforcée, il importe de constater d’emblée que c’est «[d]ans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur» que l’article 118, premier alinéa, TFUE attribue la compétence d’établir des titres européens de propriété intellectuelle ainsi que de mettre en place, en ce qui concerne ces titres, des régimes d’autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l’Union.

18      La compétence pour établir les régimes linguistiques desdits titres, attribuée par le second alinéa dudit article 118, est étroitement liée à l’instauration de ces derniers ainsi que des régimes centralisés visés au premier alinéa du même article. Par conséquent, cette compétence se situe également dans le cadre du fonctionnement du marché intérieur.

19      Or, conformément à l’article 4, paragraphe 2, TFUE, les compétences partagées entre l’Union et les États membres s’appliquent, entre autres, au domaine du «marché intérieur».

20      Quant à l’argument du Royaume d’Espagne et de la République italienne selon lequel les compétences attribuées par l’article 118 TFUE relèvent du domaine des «règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur» visé à l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE et, partant, de la compétence exclusive de l’Union, il y a lieu de rappeler que le domaine du «marché intérieur» visé à l’article 4, paragraphe 2, sous a), TFUE se réfère, conformément à la définition fournie à l’article 26, paragraphe 2, TFUE, à un «espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée». L’article 26, paragraphe 1, TFUE prévoit que l’Union «adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur, conformément aux dispositions pertinentes des traités».

21      Il ressort des termes «dispositions pertinentes des traités» que les compétences relevant du domaine du marché intérieur ne sont pas limitées à celles attribuées par les articles 114 TFUE et 115 TFUE relatives à l’adoption de mesures d’harmonisation, mais couvrent toute compétence qui se rattache aux objectifs énoncés à l’article 26 TFUE, telles que les compétences attribuées à l’Union par l’article 118 TFUE.

22      Si, certes, les règles en matière de propriété intellectuelle sont essentielles pour le maintien d’une concurrence non faussée sur le marché intérieur, elles ne constituent pas pour autant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 58 à 60 de ses conclusions, des «règles de concurrence» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE.

23      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 6, TFUE, l’étendue et les modalités d’exercice des compétences de l’Union sont déterminées par les dispositions des traités relatives à chaque domaine.

24      Or, l’étendue et les modalités d’exercice des compétences de l’Union dans le domaine des «règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur» sont déterminées à la troisième partie, titre VII, chapitre 1, du traité FUE, et notamment aux articles 101 TFUE à 109 TFUE. Considérer l’article 118 TFUE comme faisant partie dudit domaine serait donc contraire à l’article 2, paragraphe 6, TFUE et aurait pour effet d’étendre indûment la portée de l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE.

25      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les compétences attribuées par l’article 118 TFUE relèvent d’un domaine de compétences partagées au sens de l’article 4, paragraphe 2, TFUE et ont, par conséquent, un caractère non exclusif au sens de l’article 20, paragraphe 1, premier alinéa, TUE.

26      Il s’ensuit que le moyen tiré de l’incompétence du Conseil pour autoriser la coopération renforcée en cause doit être écarté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

 Argumentation des parties

27      Le Royaume d’Espagne et la République italienne rappellent que toute coopération renforcée doit contribuer au processus d’intégration. Or, en l’espèce, le véritable objectif de la décision attaquée aurait été non pas de parvenir à une intégration, mais d’exclure le Royaume d’Espagne et la République italienne des négociations sur la question du régime linguistique du brevet unitaire et de priver ainsi ces États membres de leur prérogative, conférée par l’article 118, second alinéa, TFUE, de s’opposer à un régime linguistique auquel ils ne sauraient se rallier.

28      Le fait que le traité FUE prévoit, au second alinéa dudit article 118, une base juridique particulière pour l’établissement du régime linguistique d’un titre européen de propriété intellectuelle démontrerait le caractère sensible de cette question et le comportement inapproprié du Conseil. Le court laps de temps qui s’est écoulé entre la proposition de la Commission et l’adoption de la décision attaquée serait une illustration de ce comportement.

29      Les requérants en concluent que le procédé de la coopération renforcée a été utilisé en l’espèce pour écarter des États membres d’une négociation difficile et pour contourner une exigence d’unanimité, alors que ce procédé est conçu, selon eux, pour être employé dans des cas où un ou plusieurs États membres ne sont pas encore prêts à participer à une action législative de l’Union dans son ensemble.

30      Le Royaume d’Espagne ajoute que le système de brevet unitaire envisagé par les participants à la coopération renforcée doit être analysé comme un accord particulier au sens de l’article 142 de la convention sur la délivrance de brevets européens (convention sur le brevet européen), signée à Munich (Allemagne) le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977 (ci-après la «CBE»). Dès lors, tout en présentant la création d’un brevet unitaire comme une coopération renforcée, le Conseil aurait en réalité voulu autoriser la création d’une catégorie spécifique de brevet européen dans le cadre de la CBE, création qui ne devrait pas, selon cet État membre, avoir lieu au moyen d’une procédure prévue par le traité UE ou le traité FUE.

31      Le Conseil fait valoir que, si le Royaume d’Espagne et la République italienne ne participent pas à cette coopération renforcée, c’est parce qu’ils refusent de le faire et non parce qu’ils seraient exclus de celle-ci, le considérant 16 de la décision attaquée soulignant d’ailleurs que la coopération renforcée est ouverte à tout moment à tous les États membres. Par ailleurs, la création d’une protection par un brevet unitaire favoriserait les objectifs de l’Union et renforcerait le processus d’intégration.

32      Les intervenants au soutien du Conseil se rallient à cette position. Ils soulignent que les matières qui requièrent l’unanimité ne sont aucunement exclues des domaines dans lesquels l’instauration d’une coopération renforcée est permise. Au demeurant, celle-ci serait un procédé permettant de surmonter les problèmes afférents aux minorités de blocage.

 Appréciation de la Cour

33      Un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2008, Espagne/Conseil, C‑442/04, Rec. p. I‑3517, point 49 et jurisprudence citée).

34      Par leur moyen tiré d’un tel détournement de pouvoir, le Royaume d’Espagne et la République italienne reprochent essentiellement au Conseil d’avoir, en autorisant la coopération renforcée en cause, contourné l’exigence d’unanimité prévue à l’article 118, second alinéa, TFUE et écarté l’opposition de ces deux États membres à la proposition de la Commission au sujet du régime linguistique du brevet unitaire.

35      À cet égard, il importe de relever que rien dans les articles 20 TUE ou 326 TFUE à 334 TFUE n’interdit aux États membres d’instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences de l’Union qui doivent, selon les traités, être exercées à l’unanimité. Tout au contraire, il découle de l’article 333, paragraphe 1, TFUE que de telles compétences se prêtent, lorsque les conditions énoncées auxdits articles 20 TUE et 326 TFUE à 334 TFUE sont remplies, à une coopération renforcée et que, dans ce cas, sous réserve que le Conseil n’ait pas décidé qu’il serait statué à la majorité qualifiée, l’unanimité sera constituée par les voix des seuls États membres participants.

36      En outre, contrairement à ce que soutiennent le Royaume d’Espagne et la République italienne, les articles 20 TUE et 326 TFUE à 334 TFUE ne limitent pas la faculté de recourir à une coopération renforcée à la seule hypothèse où un ou plusieurs États membres déclarent ne pas encore être prêts à participer à une action législative de l’Union dans son ensemble. Aux termes de l’article 20, paragraphe 2, TUE, la situation pouvant légitimement conduire à une coopération renforcée est celle dans laquelle «les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble». L’impossibilité à laquelle se réfère cette disposition peut être due à des causes différentes, telles qu’un manque d’intérêt d’un ou de plusieurs États membres ou l’incapacité des États membres, qui se montreraient tous intéressés à l’adoption d’un régime au niveau de l’Union, de parvenir à un accord sur le contenu d’un tel régime.

37      Il s’ensuit que la décision du Conseil d’autoriser une coopération renforcée après avoir constaté que le brevet unitaire et son régime linguistique ne pouvaient être instaurés dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble ne constitue nullement un contournement de l’exigence d’unanimité énoncée à l’article 118, second alinéa, TFUE ni, d’ailleurs, une exclusion des États membres qui n’ont pas adhéré aux demandes de coopération renforcée. Pour autant qu’elle soit conforme aux conditions énoncées aux articles 20 TUE ainsi que 326 et suivants TFUE, ce qui est examiné dans le cadre d’autres moyens, la décision attaquée n’est pas constitutive d’un détournement de pouvoir, mais elle contribue, au vu de l’impossibilité de parvenir à un régime commun pour l’ensemble de l’Union dans un délai raisonnable, au processus d’intégration.

38      Cette conclusion n’est, au demeurant, aucunement infirmée par l’argument du Royaume d’Espagne tiré de l’existence de l’article 142 de la CBE.

39      Aux termes du paragraphe 1 dudit article 142, «[t]out groupe d’États contractants qui, dans un accord particulier, a disposé que les brevets européens délivrés pour ces États auront un caractère unitaire sur l’ensemble de leurs territoires, peut prévoir que les brevets européens ne pourront être délivrés que conjointement pour tous ces États».

40      Dès lors que chaque État membre de l’Union est un État contractant de la CBE, l’instauration d’un brevet européen à effet unitaire entre des États membres de l’Union, telle qu’envisagée par la décision attaquée, peut, ainsi que le soutient le Royaume d’Espagne, être effectuée par un «accord particulier» au sens de l’article 142 de la CBE. Toutefois, contrairement à ce qu’affirme cet État membre, il ne saurait être déduit de cette circonstance que le pouvoir prévu à l’article 20 TUE est utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles il a été conféré lorsque des États membres de l’Union instaurent un tel brevet par un acte adopté dans le cadre d’une coopération renforcée au lieu de conclure un accord international.

41      Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré d’un détournement de pouvoir doit être écarté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de la condition selon laquelle une décision autorisant une coopération renforcée doit être adoptée en dernier ressort

 Argumentation des parties

42      Les requérants soutiennent que la condition énoncée à l’article 20, paragraphe 2, TUE, relative à l’adoption d’une décision autorisant une coopération renforcée en dernier ressort, doit être strictement respectée. Or, en l’occurrence, les possibilités de négociation entre l’ensemble des États membres sur le régime linguistique du brevet unitaire n’auraient aucunement été épuisées.

43      Le Royaume d’Espagne fait valoir qu’il ne s’est même pas écoulé une période de six mois entre la proposition de régime linguistique présentée par la Commission le 30 juin 2010 et la proposition de coopération renforcée présentée par cette même institution le 14 décembre suivant. Quant à la période allant de la première proposition de règlement sur le brevet communautaire présentée au cours du mois d’août 2000 jusqu’à ladite proposition de régime linguistique de la Commission, elle ne saurait être prise en considération pour apprécier si la décision attaquée a été adoptée en dernier ressort. À ce sujet, le même État membre expose que, au cours de l’année 2003, une approche commune avait été définie et que, par la suite, la question linguistique n’a plus été discutée de manière substantielle au sein du Conseil.

44      La République italienne admet que le Conseil dispose d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne l’évaluation de l’état des négociations et que la question du respect de la condition relative à l’adoption en dernier ressort d’une décision autorisant une coopération renforcée ne peut donc être examinée que de manière limitée par la Cour. En l’espèce, toutefois, le «paquet législatif» sur le brevet unitaire aurait été incomplet et les négociations consacrées au régime linguistique auraient été brèves. Dans ces conditions, la méconnaissance de l’article 20, paragraphe 2, TUE serait manifeste.

45      Selon la République italienne, la décision attaquée est également entachée d’un défaut d’examen et de motivation, en ce qu’elle explicite de manière excessivement succincte pour quelles raisons le Conseil estime que les conditions posées par les traités UE et FUE en matière de coopération renforcée sont remplies.

46      Le Conseil et les intervenants le soutenant mettent en exergue la situation d’impasse à laquelle ont abouti les négociations, déjà très longues, sur le brevet unitaire et son régime linguistique.

 Appréciation de la Cour

47      Aux termes de l’article 20, paragraphe 2, TUE, le Conseil ne peut autoriser une coopération renforcée qu’«en dernier ressort, lorsqu’il établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble».

48      Cette condition revêt une importance particulière et doit être lue à la lumière de l’article 20, paragraphe 1, second alinéa, TUE, selon lequel les coopérations renforcées «visent à favoriser la réalisation des objectifs de l’Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d’intégration».

49      Les intérêts de l’Union et le processus d’intégration ne seraient à l’évidence pas préservés si toute négociation infructueuse pouvait conduire à une ou plusieurs coopérations renforcées au détriment de la recherche d’un compromis permettant d’adopter une réglementation pour l’Union dans son ensemble.

50      Partant, ainsi que l’a exposé M. l’avocat général aux points 108 et 111 de ses conclusions, les termes «en dernier ressort» mettent en exergue que seules des situations caractérisées par l’impossibilité d’adopter une telle réglementation dans un avenir prévisible peuvent conduire à l’adoption d’une décision autorisant une coopération renforcée.

51      Les requérants font valoir que tant à la date à laquelle la Commission a soumis sa proposition d’autorisation au Conseil qu’à celle de la décision attaquée, il existait toujours de réelles chances de parvenir à un compromis. Ils soutiennent également que les négociations pour parvenir à un accord sur le brevet unitaire et son régime linguistique n’ont pas été aussi variées et approfondies que le prétendent le Conseil et les intervenants le soutenant.

52      À cet égard, il convient de rappeler que, dans la procédure qui aboutit à l’adoption d’une décision autorisant une coopération renforcée, participent la Commission qui soumet une proposition en ce sens, le Parlement européen qui approuve celle‑ci et le Conseil qui prend la décision définitive autorisant la coopération renforcée.

53      En prenant ladite décision définitive, le Conseil est le mieux placé pour apprécier si les États membres font preuve d’une volonté de compromis et sont en mesure de soumettre des propositions susceptibles de conduire à l’adoption d’une réglementation pour l’Union dans son ensemble dans un avenir prévisible.

54      Il convient donc que la Cour, dans l’exercice de son contrôle du respect de la condition de l’adoption en dernier ressort d’une décision autorisant une coopération renforcée, vérifie si le Conseil a examiné avec soin et impartialité les éléments qui sont pertinents à ce sujet et si la conclusion à laquelle ce dernier est parvenu est suffisamment motivée.

55      En l’espèce, le Conseil a pertinemment pris en considération le fait que le processus législatif engagé en vue de l’instauration d’un brevet unitaire au niveau de l’Union a été entamé au cours de l’année 2000 et a parcouru plusieurs étapes, lesquelles sont reconstituées par M. l’avocat général aux points 119 à 123 de ses conclusions et exposées en détail dans la proposition de coopération renforcée présentée par la Commission le 14 décembre 2010 [COM(2010) 790 final, p. 3 à 6] ainsi que, de manière plus succincte, dans les considérants 3 et 4 de la décision attaquée.

56      Il apparaît également qu’un nombre considérable de régimes linguistiques différents pour le brevet unitaire ont été discutés entre l’ensemble des États membres au sein du Conseil et qu’aucun de ces régimes, que ce soit sans ou avec l’ajout d’éléments de compromis, n’a dégagé un soutien susceptible de conduire à l’adoption, au niveau de l’Union, d’un «paquet législatif» complet relatif à un tel brevet.

57      Par ailleurs, les requérants n’ont apporté aucun élément concret de nature à réfuter l’affirmation du Conseil selon laquelle l’absence d’un soutien suffisant pour chaque régime linguistique proposé ou envisageable existait toujours lors de l’introduction des demandes de coopération renforcée, lors de la proposition d’autorisation transmise par la Commission au Conseil et à la date de l’adoption de la décision attaquée.

58      S’agissant, enfin, de la motivation de la décision attaquée, il y a lieu de rappeler que, lorsque l’adoption de l’acte en cause s’inscrit dans un contexte bien connu des intéressés, elle peut être motivée d’une manière sommaire (arrêt du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑335/09 P, point 152 et jurisprudence citée). Eu égard à la participation des requérants aux négociations et à l’exposé détaillé des étapes infructueuses antérieures à la décision attaquée dans la proposition qui devait aboutir à cette décision, il ne saurait être conclu que celle-ci est entachée d’un défaut de motivation susceptible de conduire à son annulation.

59      Au vu de ce qui précède, il convient d’écarter le moyen tiré d’une violation de la condition selon laquelle une décision autorisant une coopération renforcée doit être adoptée en dernier ressort.

 Sur le quatrième moyen, tiré de violations des articles 20, paragraphe 1, TUE, 118 TFUE, 326 TFUE et 327 TFUE

 Sur la prétendue violation de l’article 20, paragraphe 1, TUE

–       Argumentation des parties

60      Selon le Royaume d’Espagne et la République italienne, le Conseil a considéré à tort que la coopération renforcée en cause poursuivrait les objectifs énoncés à l’article 20, paragraphe 1, TUE en créant un niveau d’intégration accru par rapport à la situation actuelle. Ils font valoir qu’il existe un certain niveau d’uniformité en raison de la conformité de la législation de tous les États membres avec les dispositions de la CBE. La création d’un brevet unitaire couvrant seulement une partie de l’Union est, selon eux, de nature à porter atteinte à cette uniformité et non pas à l’améliorer.

61      Le Conseil et les intervenants le soutenant rappellent que tant les brevets nationaux que les brevets européens validés dans un ou plusieurs États membres ne confèrent qu’une protection nationale. Le brevet unitaire envisagé par la décision attaquée permettrait aux entreprises de disposer d’une protection uniforme dans 25 États membres. Une protection uniforme dans l’ensemble de l’Union serait certes encore plus favorable pour le fonctionnement du marché intérieur, mais la coopération renforcée permettrait à tout le moins de s’approcher de cet objectif et conduirait donc à une meilleure intégration.

–       Appréciation de la Cour

62      Ainsi que l’ont fait valoir le Conseil et les intervenants le soutenant, les brevets européens octroyés conformément aux règles de la CBE ne confèrent pas une protection uniforme dans les États contractants à cette convention, mais assurent, dans chacun de ces États, une protection dont la portée est définie par le droit national. En revanche, le brevet unitaire envisagé par la décision attaquée conférerait une protection uniforme sur le territoire de tous les États membres participant à la coopération renforcée.

63      Par conséquent, l’argumentation des requérants, selon laquelle la protection conférée par ce brevet unitaire n’apporterait pas de bénéfices en termes d’uniformité, et donc d’intégration, par rapport à la situation résultant de la mise en œuvre des règles prévues par la CBE doit être écartée comme non fondée.

 Sur la prétendue violation de l’article 118 TFUE

–       Argumentation des parties

64      La République italienne rappelle que l’article 118 TFUE prévoit la création de titres européens pour la protection des droits de propriété intellectuelle pour assurer, à l’aide de la mise en place de régimes d’autorisation, de coordination et de contrôle centralisés «au niveau de l’Union», une protection uniforme «dans l’Union». Or, le Conseil aurait autorisé la création d’un titre qui, précisément, ne serait pas valable dans l’ensemble de l’Union.

65      Le Conseil et les intervenants le soutenant réitèrent leur position selon laquelle le brevet unitaire envisagé par la décision attaquée permet aux entreprises de disposer d’une protection uniforme dans 25 États membres et améliore ainsi le fonctionnement du marché intérieur.

–       Appréciation de la Cour

66      Il résulte de l’article 326, premier alinéa, TFUE que l’exercice, au titre d’une coopération renforcée, d’une compétence attribuée à l’Union doit, parmi d’autres dispositions des traités, respecter celle qui attribue cette compétence. La coopération renforcée visée par les présents recours doit, par conséquent, respecter l’article 118 TFUE.

67      Eu égard à cette obligation de conformité avec l’article 118 TFUE, la coopération renforcée en cause doit établir des mesures relatives à la création d’un titre européen qui confère une protection uniforme de droits de propriété intellectuelle.

68      S’agissant, en revanche, des termes «dans l’Union» et «au niveau de l’Union» figurant à l’article 118 TFUE, il importe de constater qu’il est inhérent au fait que la compétence attribuée par cet article est en l’espèce exercée au titre de la coopération renforcée que le titre européen de propriété intellectuelle ainsi créé, la protection uniforme qu’il confère et les régimes dont il est assorti seront en vigueur non pas dans l’ensemble de l’Union, mais uniquement sur le territoire des États membres participants. Loin de constituer une violation de l’article 118 TFUE, cette conséquence découle nécessairement de l’article 20 TUE, qui énonce, à son paragraphe 4, que «[l]es actes adoptés dans le cadre d’une coopération renforcée ne lient que les États membres participants».

69      Dès lors, l’argumentation tirée d’une violation de l’article 118 TFUE est non fondée.

 Sur la prétendue violation de l’article 326, second alinéa, TFUE

–       Argumentation des parties

70      Le Royaume d’Espagne et la République italienne rappellent le libellé de l’article 326, second alinéa, TFUE, selon lequel les coopérations renforcées «ne peuvent porter atteinte ni au marché intérieur ni à la cohésion économique, sociale et territoriale [et] ne peuvent constituer ni une entrave ni une discrimination aux échanges entre les États membres ni provoquer de distorsions de concurrence entre ceux-ci».

71      La coopération renforcée en cause porterait atteinte à l’ensemble de ces principes et de ces objectifs. En effet, la création d’une protection uniforme de l’innovation dans une partie seulement de l’Union favoriserait une absorption de l’activité relative aux produits innovateurs dans cette partie de l’Union, au détriment des États membres non participants.

72      En outre, la coopération renforcée en cause serait à l’origine d’une distorsion de la concurrence et d’une discrimination entre les entreprises en raison du fait que les échanges de produits innovateurs seront, selon le régime linguistique prévu au considérant 7 de la décision attaquée, facilités pour les entreprises qui travaillent en allemand, en anglais ou en français. La coopération renforcée envisagée réduirait en outre la mobilité des chercheurs originaires d’États membres qui ne participent pas à cette coopération ou d’États membres dont la langue officielle n’est pas l’allemand, l’anglais ou le français, car le régime linguistique prévu par cette décision rendra difficile l’accès à l’information sur la portée des brevets à ces chercheurs.

73      Il serait également porté atteinte à la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union en ce que ladite coopération renforcée empêcherait le développement cohérent de la politique industrielle et accroîtrait les différences entre les États membres du point de vue technologique.

74      Le Conseil ainsi que les intervenants le soutenant estiment que ce moyen est fondé sur des prémisses qui relèvent de la spéculation. Par ailleurs, la fragmentation du marché trouverait son origine non pas dans la décision attaquée, mais dans la situation actuelle, dans laquelle la protection conférée par les brevets européens est nationale. Au demeurant, dans la mesure où les requérants fondent leur argumentation sur le régime linguistique envisagé, leurs recours seraient irrecevables, les caractéristiques définitives de ce régime linguistique n’étant pas fixées par la décision attaquée.

–       Appréciation de la Cour

75      Pour la même raison que celle exposée au point 68 du présent arrêt, il ne saurait être valablement soutenu que, en se proposant de créer un brevet unitaire applicable dans les États membres participants et non dans l’ensemble de l’Union, la décision attaquée porte atteinte au marché intérieur ou à la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union.

76      Dans la mesure où les requérants se réfèrent également, pour démontrer une telle atteinte au marché intérieur de même qu’une discrimination et des distorsions de concurrence, au régime linguistique envisagé au considérant 7 de la décision attaquée, il y a lieu de constater que la compatibilité de ce régime avec le droit de l’Union ne saurait être examinée dans le cadre des présents recours.

77      En effet, ainsi que le précise ledit considérant 7, le régime linguistique décrit à celui-ci ne correspond qu’à une proposition de la Commission enrichie d’éléments de compromis proposés par l’État membre assurant la présidence du Conseil de l’Union lors des demandes de coopération renforcée. Le régime linguistique tel qu’exposé dans ce considérant se trouvait donc seulement dans une phase préparatoire lors de l’adoption de la décision attaquée et n’est pas un élément constitutif de celle-ci.

78      Il s’ensuit que l’argumentation tirée d’une violation de l’article 326 TFUE est en partie non fondée et en partie irrecevable.

 Sur la prétendue violation de l’article 327 TFUE

–       Argumentation des parties

79      Contrairement à ce que prescrit l’article 327 TFUE, la coopération renforcée en cause ne respecte pas, selon le Royaume d’Espagne, les droits des États membres qui n’y participent pas. Notamment, le droit du Royaume d’Espagne et de la République italienne de participer à l’avenir à cette coopération renforcée serait méconnu, en raison du fait que le Conseil favorise un régime linguistique que ces deux États membres n’acceptent pas.

80      Selon le Conseil et les intervenants le soutenant, ce moyen est fondé sur la prémisse erronée selon laquelle il serait matériellement ou juridiquement impossible pour le Royaume d’Espagne et la République italienne de participer à cette coopération.

–       Appréciation de la Cour

81      En application de l’article 327 TFUE, la coopération renforcée autorisée par la décision attaquée doit respecter «les compétences, droits et obligations» du Royaume d’Espagne et de la République italienne en tant qu’États membres ne participant pas à cette coopération.

82      Or, rien dans la décision attaquée ne porte atteinte à une compétence, à un droit ou à une obligation de ces deux États membres. Ne saurait notamment être qualifiée d’atteinte aux compétences, droits et obligations de ces derniers la perspective, indiquée par cette décision, de mise en œuvre du régime linguistique auquel le Royaume d’Espagne et la République italienne sont opposés. S’il est certes essentiel qu’une coopération renforcée ne conduise pas à l’adoption de mesures qui empêchent les États membres non participants d’exercer leurs compétences et leurs droits et d’assumer leurs obligations, il est en revanche loisible aux participants à cette coopération d’instaurer des règles avec lesquelles ces États non participants ne seraient pas d’accord s’ils participaient à celle-ci.

83      L’instauration de telles règles ne rend d’ailleurs pas ineffective la possibilité pour les États membres non participants d’adhérer à la coopération renforcée. Ainsi que le prévoit l’article 328, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE, une telle adhésion est soumise à la condition de respecter les actes déjà adoptés par les États membres participant à cette coopération depuis le début de celle-ci.

84      En outre, il importe de relever que le Royaume d’Espagne et la République italienne n’ont pas réfuté les éléments mentionnés aux deuxième, troisième et quatrième phrases du considérant 14 de la décision attaquée.

85      Il s’ensuit que l’argumentation tirée d’une violation de l’article 327 TFUE est elle aussi non fondée.

86      Il ressort de tout ce qui précède que le quatrième moyen invoqué par les requérants au soutien de leurs recours, tiré de la violation des articles 20, paragraphe 1, TUE, 118 TFUE, 326 TFUE et 327 TFUE, doit être écarté.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une méconnaissance du système juridictionnel de l’Union

 Argumentation des parties

87      Le Royaume d’Espagne rappelle que le système juridictionnel de l’Union est constitué par un ensemble complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions de cette dernière. Le Conseil aurait méconnu ce système en autorisant une coopération renforcée sans qu’il soit précisé quel est le régime juridictionnel envisagé. S’il n’est certes pas nécessaire de créer, dans tout acte de droit dérivé, un système juridictionnel propre, le Royaume d’Espagne estime que le régime juridictionnel applicable doit néanmoins être précisé dans un acte qui autorise la création d’un nouveau titre européen de propriété intellectuelle.

88      Le Conseil et les intervenants le soutenant font valoir que la Cour a précisé, au point 62 de l’avis 1/09, du 8 mars 2011 (Rec. p. I‑1137), que l’article 262 TFUE ne prévoit qu’une faculté de créer une voie de recours spécifique pour les litiges liés à l’application d’actes de l’Union qui créent des titres européens de propriété intellectuelle, mais il n’impose pas d’instaurer un cadre juridictionnel particulier. En tout état de cause, il ne serait nullement nécessaire que la décision par laquelle une coopération renforcée est autorisée contienne des précisions relatives aux modalités du régime juridictionnel qui sera institué dans le cadre de cette coopération.

 Appréciation de la Cour

89      L’autorisation de coopération renforcée visée par les présents recours a été accordée par le Conseil en vertu de l’article 329, paragraphe 1, TFUE, à savoir sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement.

90      La proposition de la Commission était, quant à elle, fondée sur les demandes des États membres souhaitant instaurer la coopération renforcée en cause. Ces demandes devaient, aux termes dudit article 329, paragraphe 1, préciser «le champ d’application et les objectifs poursuivis par la coopération renforcée envisagée».

91      Il ressort du dossier que tant lesdites demandes que la proposition de la Commission contenaient de telles précisions. Ces dernières ont été reprises dans la décision attaquée, notamment aux considérants 6 et 7 de celle-ci.

92      Le Conseil n’était pas tenu de fournir, dans la décision attaquée, des renseignements supplémentaires quant au contenu que pourrait avoir le régime adopté par les participants à la coopération renforcée en cause. En effet, cette décision avait pour seul objet d’autoriser les États membres demandeurs d’engager cette coopération. Il incombait par la suite à ces derniers, en recourant aux institutions de l’Union selon les modalités prévues aux articles 20 TUE et 326 TFUE à 334 TFUE, d’instaurer le brevet unitaire et de fixer les règles y afférentes, y compris, le cas échéant, des règles spécifiques en matière juridictionnelle.

93      Il s’ensuit que le cinquième moyen doit également être écarté.

94      Aucun des moyens invoqués par le Royaume d’Espagne et la République italienne au soutien de leurs recours n’étant susceptible d’être accueilli, ceux-ci doivent être rejetés.

 Sur les dépens

95      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et de la République italienne et ceux-ci ayant succombé en leurs moyens, il convient de décider que chacun de ces États membres supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil respectivement dans l’affaire C‑274/11 et dans l’affaire C‑295/11.

96      En application de l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Le Royaume d’Espagne supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne dans l’affaire C‑274/11.

3)      La République italienne supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne dans l’affaire C‑295/11.

4)      Le Royaume de Belgique, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, la République française, la République de Lettonie, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le Parlement européen et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langues de procédure: l’espagnol et l’italien.