Language of document : ECLI:EU:C:2019:984

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

19 novembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Aides d’État – Taxe grevant les confiseries, les crèmes glacées et les boissons rafraîchissantes – Exonération de produits similaires susceptible de constituer une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE – Pouvoir d’infliger une sanction pénale en cas de manquements aux obligations relatives à cette taxe »

Dans l’affaire C‑486/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), par décision du 20 juin 2019, parvenue à la Cour le 25 juin 2019, dans la procédure pénale contre

A,

B,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič et C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du droit de l’Union, notamment de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre A et B pour fraude fiscale aggravée commise en violation de la législation nationale relative à la taxe sur la consommation grevant les confiseries, les crèmes glacées et les boissons rafraîchissantes (ci-après la « taxe sur les confiseries »).

 Le droit finlandais

3        L’article 1er du chapitre 29 du rikoslaki (code pénal), intitulé « Fraude fiscale », prévoit :

« Toute personne qui,

1)      par la communication, aux autorités, de fausses informations en vue de l’imposition, concernant un élément qui a une incidence sur la fixation de l’impôt,

[...]

3)      par l’omission, dans le but d’échapper à l’impôt, d’une obligation prévue pour l’imposition qui est pertinente pour la fixation de l’impôt, ou

[...]

provoque ou tente de provoquer l’absence de fixation d’un impôt ou la fixation d’un impôt trop faible, voire le remboursement injustifié d’un impôt, est condamnée pour fraude fiscale à une amende ou à une peine d’emprisonnement de deux ans au maximum. »

4        L’article 2 du chapitre 29 du code pénal, intitulé « Fraude fiscale aggravée », dispose :

« Si la fraude fiscale

1)      vise un profit économique considérable ou

[...]

et si, également après une appréciation globale, il convient de considérer qu’il s’agit d’une fraude fiscale aggravée, l’auteur de l’infraction est condamné pour fraude fiscale aggravée à une peine d’emprisonnement de quatre mois au minimum et de quatre ans au maximum. »

5        L’article 7 de la valmisteverotuslaki (182/2010) [loi (182/2010), relative à la taxe sur la consommation], du 19 mars 2010, intitulé « Obligation de payer la taxe », prévoit :

« L’obligation de payer la taxe prend naissance lorsque le produit soumis à la taxe sur la consommation est mis à la consommation en Finlande, sous réserve de dispositions contraires dans la présente loi ou dans la loi en matière de taxe sur la consommation spécifiquement applicable. »

6        L’article 75 de cette loi, intitulé « Détention à des fins commerciales », dispose :

« Est assujettie à la taxe la personne qui livre les produits ou détient des produits destinés à être livrés ou la personne à laquelle les produits sont livrés en Finlande.

La taxe sur la consommation est appliquée conformément aux dispositions en vigueur à la date à laquelle les produits sont livrés ou à laquelle les produits destinés à être livrés sont détenus en Finlande.

[...] »

7        L’article 1er de la laki makeisten, jäätelön ja virvoitusjuomien valmisteverosta (1127/2010) [loi (1127/2010), relative à la taxe sur la consommation applicable aux confiseries, aux crèmes glacées et aux boissons rafraîchissantes], du 17 décembre 2010, intitulé « Champ d’application », dans sa version en vigueur à la date des faits au principal (ci-après la « loi relative à la taxe sur les confiseries »), était libellé comme suit :

« Une taxe sur la consommation doit être versée à l’État pour les confiseries, les crèmes glacées et les boissons rafraîchissantes conformément aux dispositions de la présente loi.

[...] »

8        L’article 5 de la loi relative à la taxe sur les confiseries, intitulé « L’application de la loi relative à la taxe sur la consommation », prévoyait :

« Sauf dispositions contraires de la présente loi, il convient d’appliquer la loi (182/2010), relative à la taxe sur la consommation.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        A et B ont omis d’effectuer des déclarations fiscales et de payer la taxe sur les confiseries afférente à des produits importés en Finlande à partir d’un autre État membre, entre le mois de mars 2013 et celui de décembre 2014, par la société pour laquelle ils agissaient en qualité de représentants.

10      Le Syyttäjä (ministère public, Finlande), auquel s’est jointe la Tulli (administration des douanes, Finlande), a engagé l’action publique contre A et B pour fraude fiscale aggravée devant le Pirkanmaan käräjäoikeus (tribunal de première instance de Pirkanmaa, Finlande).

11      Cette juridiction a considéré comme établi le fait que, entre le 11 avril et le 27 octobre 2014, A et B avaient, en vue de se soustraire au paiement de la taxe sur les confiseries, omis de s’acquitter des obligations prévues à cette fin et que, après avoir été mis en demeure par l’administration des douanes de déclarer toutes les importations de crème glacée intervenues dans le cadre de l’activité de leur société, ils avaient communiqué à cette administration de fausses informations concernant les quantités de produits réceptionnés par cette société et n’avaient transmis, malgré cette mise en demeure, aucune déclaration concernant les produits soumis à la taxe sur les confiseries que ladite société avait réceptionnés au cours des années 2013 et 2014. Ladite juridiction a estimé que le montant total de la taxe ainsi éludé s’élevait à 142 506,75 euros et elle a condamné A et B à des peines d’emprisonnement pour fraude fiscale aggravée.

12      Saisi par A et B, ainsi que par le ministère public et l’administration des douanes, le Turun hovioikeus (cour d’appel de Turku, Finlande), en constatant que l’infraction avait été commise pendant la période allant du 22 mars 2013 au 27 octobre 2014 et que le montant de la taxe sur les confiseries éludé s’élevait en réalité à 159 849 euros, a confirmé les peines d’emprisonnement prononcées en première instance.

13      A a été autorisé à former un pourvoi devant le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), devant lequel il soulève la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à une condamnation pénale pour de tels faits. Cette juridiction ne s’est pas encore prononcée sur la demande de B tendant également à être autorisé à former un pourvoi.

14      La juridiction de renvoi expose que, en vertu de la loi relative à la taxe sur les confiseries, une taxe sur la consommation était perçue sur les confiseries, les préparations analogues aux confiseries, le chocolat, les produits contenant du cacao, les crèmes glacées, les glaces à l’eau ainsi que sur les boissons sans alcool ou faiblement alcoolisées. Cette juridiction indique que les produits soumis à cette taxe étaient définis par catégories de produits, par référence aux positions correspondantes du tarif douanier de l’Union, la délimitation entre les produits imposables et les produits non imposables étant ainsi fixée en fonction de leurs positions dans ce tarif douanier.

15      Saisie de deux plaintes en matière d’aides d’État, la Commission européenne, qui aurait clos l’examen de ces plaintes sans ouvrir une procédure formelle d’examen, aurait cependant indiqué de manière informelle qu’une taxe liée aux positions du tarif douanier et perçue pour alimenter le budget de l’État concerné était susceptible de constituer une aide fiscale sélective, qualifiée d’aide d’État, en faveur des produits non imposables, dès lors qu’elle n’était pas appliquée aux produits similaires. Par ailleurs, il aurait été relevé, dans une proposition du gouvernement finlandais, qu’un nombre considérable de produits analogues aux produits imposables aurait été exclu du champ d’application de cette taxe.

16      En premier lieu, la juridiction de renvoi relève que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à la condamnation pénale d’une personne physique ayant agi pour le compte d’une société assujettie, dans l’hypothèse où la législation fiscale nationale sur laquelle la responsabilité pénale repose matériellement est contraire à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Au regard de la jurisprudence de la Cour relative à la question du droit de l’assujetti à l’exemption de la taxe ou au remboursement de la taxe acquittée par lui dans une situation où l’exonération d’une activité similaire exercée par d’autres entreprises est considérée comme une aide d’État, ne paraît pas clairement tranchée la question de savoir si le représentant d’un contribuable, qui était tenu d’acquitter une taxe sur la consommation sur des produits et qui a manqué à ses obligations relatives à cette taxe, peut être dispensé de la sanction pénale prévue pour de tels faits, au motif que l’exonération de l’activité exercée par d’autres entreprises et portant sur des produits similaires constituerait une aide d’État, au sens de cette disposition.

17      En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si un régime fiscal, tel que celui prévu par la loi relative à la taxe sur les confiseries, répond à la condition de sélectivité, au sens de la jurisprudence en matière d’aides d’État.

18      C’est dans ces conditions que le Korkein oikeus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter le droit de l’Union en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une personne physique qui agissait pour le compte d’une société assujettie et qui a manqué aux obligations relatives à la taxe sur [les confiseries] soit condamnée pour de tels manquements à une sanction pénale dans l’hypothèse où l’exonération d’une activité exercée par d’autres entreprises et portant sur des produits similaires devrait être considérée comme une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ?

2)      Si la réponse à la première question est affirmative, le régime fiscal national concernant [la taxe sur les confiseries] remplissait-il la condition relative à la sélectivité qui fait partie des caractéristiques propres à la notion d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ? »

 Sur les questions préjudicielles

19      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

20      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur la première question

21      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une personne physique, agissant pour le compte d’une société assujettie à une taxe sur la consommation grevant certains produits, telle que la taxe en cause au principal, et ayant manqué aux obligations relatives à cette taxe, se voie infliger une sanction pénale en vertu du droit national applicable, alors même que l’exonération dont auraient bénéficié d’autres entreprises s’agissant de produits similaires devrait être considérée comme une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

22      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’illégalité, au regard du droit des aides d’État, de l’exonération d’une taxe n’est pas de nature à affecter la légalité de la taxe elle-même. Les redevables d’une taxe ne sauraient dès lors exciper de ce que l’exonération dont bénéficient d’autres entreprises constitue une aide d’État pour se soustraire au paiement de cette taxe (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Banks, C‑390/98, EU:C:2001:456, point 80 ; du 27 octobre 2005, Distribution Casino France e.a., C‑266/04 à C‑270/04, C‑276/04 et C‑321/04 à C‑325/04, EU:C:2005:657, point 42 ; du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, C‑393/04 et C‑41/05, EU:C:2006:403, point 43, ainsi que du 6 octobre 2015, Finanzamt Linz, C‑66/14, EU:C:2015:661, point 21).

23      Deux exceptions à cette règle ont été reconnues par la jurisprudence de la Cour. La première concerne l’hypothèse où la taxe et l’exonération prévue font partie intégrante d’une mesure d’aide. Pour qu’une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide et influence directement l’importance de l’aide et, par voie de conséquence, l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 2005, Distribution Casino France e.a., C‑266/04 à C‑270/04, C‑276/04 et C‑321/04 à C‑325/04, EU:C:2005:657, point 40 ; du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, C‑393/04 et C‑41/05, EU:C:2006:403, point 46, ainsi que du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C‑449/14 P, EU:C:2016:848, point 68).

24      La seconde exception vise le cas où la taxe et la prétendue mesure d’aide constituent les deux éléments indissociables d’une seule et même mesure fiscale, comme c’est le cas lorsque l’exonération vise à compenser des surcoûts supportés par les opérateurs qui en bénéficient pour l’accomplissement d’obligations de service public (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron, C‑526/04, EU:C:2006:528, point 45).

25      Or, en l’occurrence, d’une part, aucun lien d’affectation contraignant n’existait entre la taxe sur les confiseries et l’exonération dont auraient bénéficié d’autres entreprises s’agissant de produits similaires. En effet, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, cette taxe alimentait le budget de l’État concerné, de telle sorte que le produit de celle-ci n’était pas nécessairement affecté au financement de l’éventuelle aide résultant de cette exonération et que ni l’application de cette dernière ni, a fortiori, son étendue ne dépendaient du produit de cette taxe. D’autre part, la taxe sur les confiseries et cette éventuelle aide ne constituaient pas les deux éléments indissociables d’une seule et même mesure fiscale, au sens de l’arrêt du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron (C‑526/04, EU:C:2006:528).

26      Il s’ensuit que, à supposer que l’exonération dont auraient bénéficié d’autres entreprises s’agissant de produits similaires constituait une mesure d’aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’éventuelle illégalité de cette aide n’aurait pas été de nature à affecter la légalité de la taxe sur les confiseries elle-même. Les redevables de cette taxe ne peuvent donc exciper de ce que l’exonération dont auraient bénéficié d’autres entreprises s’agissant de produits similaires constituait une aide d’État pour se soustraire aux obligations relatives à ladite taxe.

27      Il en découle que les redevables de la taxe sur les confiseries ne sauraient non plus exciper d’une telle aide pour échapper aux sanctions pénales encourues, en vertu du droit national applicable, en cas de manquements à ces obligations.

28      En conséquence, il convient de répondre à la question posée que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une personne physique, agissant pour le compte d’une société assujettie à une taxe sur la consommation grevant certains produits, telle que la taxe en cause au principal, et ayant manqué aux obligations relatives à cette taxe, se voie infliger une sanction pénale en vertu du droit national applicable, alors même que l’exonération dont auraient bénéficié d’autres entreprises s’agissant de produits similaires devrait être considérée comme une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

 Sur la seconde question

29      La seconde question étant posée pour le cas où il serait répondu par l’affirmative à la première question, il n’y a pas lieu d’y répondre.

 Sur les dépens

30      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une personne physique, agissant pour le compte d’une société assujettie à une taxe sur la consommation grevant certains produits, telle que la taxe en cause au principal, et ayant manqué aux obligations relatives à cette taxe, se voie infliger une sanction pénale en vertu du droit national applicable, alors même que l’exonération dont auraient bénéficié d’autres entreprises s’agissant de produits similaires devrait être considérée comme une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Signatures


*      Langue de procédure : le finnois.