Language of document : ECLI:EU:C:2008:635

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 19 novembre 2008 (1)

Affaire C‑348/07

Turgay Semen

contre

Deutsche Tamoil GmbH

[demande de décision préjudicielle introduite par le Landgericht Hamburg (Allemagne)]

«Agents commerciaux indépendants – Droit de l’agent commercial à une indemnité après cessation du contrat – Détermination du montant de l’indemnité»





1.        Cette demande de décision préjudicielle présentée par le Landgericht Hamburg (Allemagne) porte sur la transposition de l’article 17 de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (2) (ci-après la «directive»). Le Landgericht sollicite une interprétation de l’article 17, notamment pour déterminer si et dans quelles conditions le droit à une indemnité de l’agent commercial peut se limiter aux commissions perdues. Cette interprétation est nécessaire pour que la juridiction nationale puisse apprécier si la législation nationale pertinente, telle que les juridictions allemandes l’interprètent, est contraire à la méthode retenue par la directive pour calculer l’indemnité à laquelle a droit un agent commercial après la cessation du contrat qui le lie au commettant.

I –    Faits, cadre juridique et questions préjudicielles

2.        Le renvoi préjudiciel est intervenu dans le cadre d’un litige opposant le demandeur, M. Turgay Semen, à la défenderesse, Deutsche Tamoil GmbH, pour laquelle le demandeur agissait en qualité d’agent commercial. Entre le 1er novembre 2001 et le 31 décembre 2005, M. Semen exploitait, en qualité d’agent commercial, une station-service appartenant à la défenderesse. Cette dernière fait partie d’un groupe libyen, Oilinvest, qui, outre son important réseau de stations-service en Allemagne, exerce des activités de prospection, de forage et de raffinage de pétrole dans différents pays à travers le monde.

3.        Au cours de la relation contractuelle avec la défenderesse, le demandeur a perçu des commissions sur les quantités d’essence qu’il a vendues. Le montant de ces commissions variait selon que les clients payaient l’essence achetée au moyen de cartes de réduction fournies par la défenderesse ou bien qu’ils utilisaient des modes de paiement standards.

4.        L’article 17 de la directive autorise les États membres à choisir entre deux cadres régissant la compensation à laquelle ont droit les agents commerciaux lors de la cessation du contrat qui les lie au commettant. Cette compensation peut prendre la forme d’une réparation du préjudice (article 17, paragraphe 3) ou celle d’une indemnité (article 17, paragraphe 2).

5.        Les autorités allemandes ont choisi la formule de l’indemnité prévue à l’article 17, paragraphe 2, de la directive. Cet article et la législation allemande pertinente [article 89b du code de commerce allemand (Handelsgesetzbuch, ci-après le «HGB»)] prévoient que, sous réserve que certaines conditions soient remplies, les agents commerciaux tels que le requérant ont droit à une indemnité versée par le commettant après la cessation du contrat qui les lie. Les parties s’opposent sur le montant de l’indemnité à accorder dans ce cas, et plus spécifiquement sur le point de savoir si la méthode de calcul de l’indemnité prévue par le droit allemand est conforme aux exigences de la directive.

6.        L’article 17, paragraphe 2, de la directive prévoit à la fois les conditions d’octroi de l’indemnité et la méthode de calcul de celle-ci dans les termes suivants:

         «2. a) L’agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où:

–        il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients

         et

–        le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment des commissions que l’agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients. Les États membres peuvent prévoir que ces circonstances comprennent aussi l’application ou non d’une clause de non-concurrence au sens de l’article 20.

b)       Le montant de l’indemnité ne peut excéder un chiffre équivalent à une indemnité annuelle calculée à partir de la moyenne annuelle des rémunérations touchées par l’agent commercial ou cours de cinq dernières années et, si le contrat remonte à moins de cinq ans, l’indemnité est calculée sur la moyenne de la période.

c)       L’octroi de cette indemnité ne prive pas l’agent commercial de faire valoir des dommages-intérêts.»

7.        L’article 89b, paragraphe 1, du HGB, qui prévoit en fait la méthode de calcul des indemnités sur laquelle repose la directive (3) et reprend largement le libellé de l’article 17, paragraphe 2, de la directive, dispose que:

         «1)   Après cessation du contrat, l’agent commercial peut exiger du commettant une indemnité appropriée si, et dans la mesure où,

a)      le commettant retire, même après la cessation du contrat, des bénéfices considérables d’une relation d’affaires avec de nouveaux clients démarchés par l’agent commercial,

b)      du fait de la cessation du contrat, l’agent commercial perd son droit à la commission qu’il aurait perçue, en cas de poursuite de celui-ci, pour des transactions conclues ou qui seront conclues avec des clients qu’il a démarchés, et

c)      le paiement d’une indemnité est équitable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

2)         Est assimilé au démarchage d’un nouveau client, le fait pour un agent commercial d’avoir approfondi la relation d’affaires avec un client existant de telle manière que cela équivaut, d’un point de vue économique, au démarchage d’un nouveau client.»

8.        Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi indique que, selon la jurisprudence des tribunaux allemands, les critères prévus à l’article 89b (le commettant continue de retirer des bénéfices considérables, l’agent commercial perd son droit à la commission et le paiement d’une indemnité est équitable) sont cumulatifs et se limitent réciproquement. La juridiction de renvoi a un doute sur la conformité de la limitation de l’indemnité accordée, inhérente à cette méthode, à l’article 17, paragraphe 2, de la directive et pose les deux questions suivantes:

«1)      Est-il conforme à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, que le droit de l’agent commercial à indemnité soit limité par ses pertes de commissions résultant de la cessation de la relation contractuelle, même lorsque les avantages conservés par l’entrepreneur doivent être considérés comme supérieurs?

2)      Dans le cas où l’entrepreneur appartient à un groupe de sociétés, les avantages retirés par les sociétés du groupe relèvent-ils de ces avantages?»

9.        Avant d’examiner ces deux questions, il convient tout d’abord d’aborder une question préliminaire. Au cours de l’audience de plaidoiries, la défenderesse a allégué que les revirements de jurisprudence intervenus en Allemagne depuis que la demande de décision préjudicielle avait été introduite rendaient la procédure devant la Cour théorique. Il a notamment été allégué que des revirements de jurisprudence concernant la notion de «client habituel» impliqueraient que, dans pratiquement tous les cas, le montant résultant du calcul des commissions perdues dépasserait le montant maximum prévu à l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la directive et rendrait ainsi théorique la question de la licéité de la prise en compte d’autres bénéfices retirés par le commettant.

10.      La Cour a déjà jugé que l’article 234 CE ne lui donne pas mission de formuler des opinions consultatives (4) ou de répondre à des questions hypothétiques (5). De plus, dans l’arrêt Zabala Erasun e.a. (6), la Cour a refusé de rendre une décision préjudicielle lorsqu’il avait été mis fin à la procédure devant la juridiction nationale en acceptant l’acquiescement d’une partie aux prétentions de l’autre au motif qu’une décision n’était plus nécessaire pour résoudre le litige de manière effective (7).

11.      Néanmoins, la Cour a souligné à plusieurs reprises qu’«il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige […], d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour» (8) et que «[l]e rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal» (9).

12.      Il a été jugé que des modifications du droit national postérieures à un renvoi préjudiciel n’étaient pas de nature à entraîner l’irrecevabilité de ce renvoi; dans son arrêt CIA Security International (10), la Cour a souligné que l’on ne saurait considérer qu’une demande de décision préjudicielle est devenue sans objet lorsque la législation nationale qui a fait l’objet du renvoi a été abrogée et remplacée par une législation nationale différente. L’argument de la disparition de l’objet du litige est encore moins probant dans des circonstances comme celles de la présente affaire dans laquelle les modifications alléguées concernent la jurisprudence des juridictions nationales dont l’effet n’est pas encore totalement certain. Par conséquent, je considère que la Cour ne devrait pas refuser de rendre une décision préjudicielle sur les questions qui lui ont été posées au motif qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier les effets de la nouvelle jurisprudence nationale sur la pertinence des réponses apportées par la Cour pour trancher l’affaire pendante devant elle.

II – Analyse


 La première question

13.      La méthode prévue par la législation allemande, telle que l’interprètent les juridictions allemandes, plafonne l’indemnité accordée à un agent commercial sur la base d’une interprétation définitive de ce qu’il y a lieu de considérer comme équitable et qui établit que tout montant dépassant celui des commissions perdues par l’agent serait inéquitable. L’appréciation de la compatibilité de cette méthode avec la directive implique de concilier deux principes potentiellement concurrents identifiés dans des affaires antérieures concernant l’article 17 de la directive.

14.      D’une part, la Cour a jugé dans les arrêts Ingmar (11) et Honyvem Informazioni Commerciali (12) que le régime mis en place par l’article 17 de la directive était impératif par nature. La Cour a également souligné que l’article 17 de la directive constituait une norme minimale de protection des agents commerciaux et que la législation nationale ne pouvait pas introduire de règles prévoyant pour ces agents un niveau d’indemnité inférieur à celui prévu à l’article 17 de la directive (13).

15.      D’autre part, la Cour a également jugé, dans les deux arrêts précités, que l’article 17 de la directive «ne donne toutefois pas d’indications détaillées en ce qui concerne la méthode de calcul de l’indemnité de cessation de contrat» (14) et que, dans le cadre instauré par cet article, «les États membres peuvent exercer leur marge d’appréciation quant au choix des méthodes de calcul de l’indemnité» (15). La Cour a jugé que cette marge d’appréciation s’applique, «notamment, en fonction du critère de l’équité» (16).

16.      Par conséquent, bien que l’article 17 de la directive soit destiné à instaurer une protection légale de base des agents commerciaux, il semble que la directive prévoit que le niveau de cette protection puisse varier d’un État membre à l’autre selon l’interprétation que chaque État membre donne à la notion d’équité dans ce contexte. Néanmoins, cette marge d’appréciation ne saurait être absolue sans faire échec aux objectifs mêmes de la directive, à savoir l’harmonisation des pratiques des États membres vis-à-vis des agents commerciaux et l’introduction d’un niveau de protection minimum pour ces agents (17).

17.      De plus, le libellé de cet article indique que l’agent «a droit à une indemnité si et dans la mesure où» certaines conditions sont remplies (italique ajouté). L’utilisation de l’expression «a droit» et les arrêts Ingmar et Honyvem Informazioni Commerciali rendus par la Cour soulignent tous la nature impérative du régime et impliquent qu’il est interdit aux États membres d’adopter des mesures qui refuseraient une indemnité à un agent lorsque les conditions prévues à cet article sont remplies.

18.      En effet, ainsi que je l’ai indiqué dans les conclusions présentées dans l’affaire Honyvem Informazioni Commerciali, l’article 17, paragraphe 2, de la directive «prévoit non seulement les conditions d’attribution de l’indemnité […] mais aussi les éléments mêmes qui sont nécessaires pour calculer cette indemnité» (18). Les mesures par lesquelles les États membres mettent en œuvre les obligations qui leur incombent en vertu de la directive doivent donc respecter à la fois ces conditions d’éligibilité et la liste des éléments à prendre en compte dans le calcul de l’indemnité.

19.      Par conséquent, il est clair que la marge d’appréciation laissée aux États membres s’applique dans les limites fixées par le régime instauré par l’article 17, paragraphe 2, de la directive qu’il n’est pas loisible aux États membres de méconnaître.

20.      Quelles sont donc ces limites obligatoires imposées par le régime instauré par l’article 17, paragraphe 2, de la directive? Dans l’arrêt Honyvem Informazioni Commerciali, la Cour a jugé qu’un régime italien qui assoit le montant de l’indemnité sur les seuls pourcentages fixes des commissions gagnées au cours des années précédentes était contraire à la directive, dans la mesure où il ne permet pas aux agents commerciaux, qui auraient été placés dans une situation plus favorable en vertu d’une méthode basée sur la prise en compte des avantages retirés par le commettant, d’obtenir une indemnité supérieure à celle correspondant à ces pourcentages fixes (19). À la lumière de cet arrêt et du libellé du premier tiret de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive, il est clair qu’une méthode méritocratique qui lie le montant de l’indemnité à accorder aux avantages retirés par le commettant du travail de l’agent après la cessation du contrat constitue l’un de ces aspects impératifs.

21.      Le libellé de la directive montre également qu’il y a lieu de tenir compte du concept d’équité dans le calcul du montant de l’indemnité et que cette procédure doit prendre en considération les commissions perdues par l’agent à la suite de la cessation du contrat passé entre lui et le commettant.

22.      Les parties s’opposent sur le point de savoir si le concept d’équité peut avoir à la fois pour effet d’augmenter ou de diminuer le niveau de l’indemnité accordée à l’agent. Le demandeur fait valoir que le déterminant essentiel du montant de l’indemnité est le montant des avantages retirés par le commettant et que le montant des commissions perdues n’est pris en compte que comme un élément d’appréciation de l’équité, qui peut avoir pour effet soit d’augmenter, soit de diminuer le montant de l’indemnité. Le gouvernement italien fait également valoir que la notion d’équité peut fonctionner à la fois comme un «plancher» capable d’augmenter le montant de l’indemnité et comme un «plafond» capable de le réduire. La défenderesse allègue, pour sa part, que les éléments mentionnés à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive présentent un caractère cumulatif et se limitent réciproquement et que chacun d’entre eux opère comme un «plafond» limitant le montant qui peut être accordé à celui des trois chiffres qui est le plus bas.

23.      Je considère que la phrase «si et dans la mesure où» suggère que la notion d’équité est supposée agir comme une limite du montant de l’indemnité plutôt que comme un facteur également susceptible de l’augmenter au-delà de ce qui résulte du calcul des avantages retirés par le commettant. Néanmoins, le point de savoir si la notion d’équité opère à cet égard uniquement comme un plafond ou à la fois comme un plancher et un plafond n’est pas déterminant pour les questions soulevées devant la Cour dans la présente affaire. La directive indique clairement qu’une indemnité ne peut pas aller au-delà de ce qui est considéré comme équitable. La principale question sur laquelle les parties s’opposent concerne le point de savoir si la marge d’appréciation que la Cour a reconnue aux États membres pour le calcul de l’indemnité, et notamment concernant la notion d’équité, s’étend au droit de définir l’équité en ce sens qu’elle comporte une limitation du montant de l’indemnité à celui des commissions perdues. Cela concerne la question du contenu de la notion d’équité, et pour ainsi dire la méthode de calcul du «plafond» équitable. Cette question n’est pas affectée par le point de savoir si la notion d’équité peut également opérer comme un «plancher».

24.      Comment la méthode allemande, qui limite la définition de l’équité de cette manière, se conforme-t-elle dès lors aux éléments contraignants de la directive exposés précédemment? Ainsi que je l’ai indiqué dans les considérations qui précèdent, le HBG, tel que l’interprète les tribunaux allemands, n’a pas considéré qu’une indemnité excédant les pertes de commissions de l’agent était équitable. Ainsi que l’indique la défenderesse, une telle méthode repose sur la conception selon laquelle un agent commercial ne doit pas être placé, au regard de l’indemnité, dans une position plus favorable que celle dans laquelle il se serait trouvé en cas de poursuite du contrat. Le demandeur et le gouvernement italien estiment que cette méthode prive l’agent d’un droit qu’il tire de la directive, à savoir celui d’obtenir, en toutes circonstances, une indemnité équitable, et pas seulement à la lumière des commissions perdues. En outre, il est clair que l’application d’un critère d’équité ne doit pas opérer de manière à priver de tout effet utile la méthode méritocratique consacrée par la directive et qui résulte, notamment, de son article 17, paragraphe 2, premier tiret.

25.      Toutefois, si la marge d’appréciation des États membres quant au calcul de l’équité doit avoir un sens, les États membres doivent être en mesure de recourir à la notion d’équité pour plafonner le montant de l’indemnité eu égard à ce qu’ils considèrent équitable en vertu de leurs conceptions nationales, sous réserve que, ce faisant, ils ne méconnaissent pas les éléments contraignants du régime instauré par l’article 17, paragraphe 2, de la directive esquissé précédemment.

26.      L’interprétation de la notion d’équité en ce sens qu’elle interdirait d’octroyer des indemnités supérieures au montant des commissions perdues n’est pas contraire, en tout état de cause, à l’obligation de tenir compte du montant des commissions perdues par l’agent. La directive indique également de manière claire qu’il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances lors de l’appréciation de l’équité. Cependant, plafonner les indemnités au montant des commissions perdues ne fait que refléter un jugement de l’importance relative de différentes circonstances plutôt qu’une décision de faire fi des circonstances qui doivent être prises en compte et ne devrait pas être considéré, en principe, comme une violation de la directive.

27.      Une telle méthode ne constitue pas non plus, en soi, une violation de l’exigence méritocratique que l’indemnité soit liée aux futurs bénéfices du commettant, sous réserve que la notion de commissions perdues soit interprétée de manière à permettre la prise en compte de ces bénéfices. Dans de nombreux cas, le montant des commissions perdues par l’agent pendant la durée de validité du contrat d’agence reflétera les avantages retirés par le commettant. Ce n’est toutefois pas toujours le cas. Selon le rapport de la Commission sur l’application de l’article 17 de la directive, et comme l’a confirmé l’avocat de la défenderesse à l’audience, le système allemand calcule, pour déterminer l’indemnité, les commissions perdues par l’agent sur la base des commissions qu’il a perçues au cours des douze derniers mois de validité du contrat. Les commissions perçues durant la phase finale d’une relation contractuelle sont généralement un bon indice des avantages retirés par le commettant et des commissions perdues par l’agent commercial durant la période postérieure à la cessation du contrat. Toutefois, en vertu du régime instauré par l’article 17, paragraphe 2, de la directive, l’indemnité doit être calculée par rapport aux avantages futurs retirés par le commettant et aux pertes de l’agent commercial. Le libellé de l’article 17, paragraphe 2, de la directive indique clairement que cette orientation prospective est impérative. Les commissions reçues dans le passé ne peuvent être prises en compte que comme preuves de ces futurs bénéfices et pertes.

28.      Il peut exister des circonstances dans lesquelles baser le calcul sur les commissions perçues ne reflète pas la réalité des bénéfices et des pertes futurs, par exemple lorsque l’agent commercial réalise avec succès une importante campagne de marketing peu de temps avant la cessation du contrat ou lorsque le prix du produit vendu pour le compte du commettant augmente fortement peu de temps avant ou après la cessation du contrat (20). Dans de telles circonstances, le calcul d’une indemnité sur la base de la période finale du contrat doit être pondéré de manière à refléter la réalité des bénéfices et des pertes futurs. La définition des «commissions perdues» doit donc être suffisamment flexible pour permettre de garantir que l’indemnité octroyée reflète véritablement les bénéfices du commettant et les pertes de l’agent, et doit donc être susceptible de refléter les modifications des conditions en vigueur avant et après la cessation du contrat. Il appartient à la juridiction nationale de décider si, compte tenu du caractère impératif de l’orientation prospective du calcul de l’indemnité, la méthode allemande de calcul, notamment son approche de la définition des «commissions perdues», est suffisamment flexible à cet égard.

 La seconde question

29.      La seconde question porte sur le point de savoir si, dans une situation dans laquelle le commettant appartient à un groupe de sociétés, les avantages retirés par des entreprises de ce groupe doivent être réputés faire partie des avantages dont il convient de tenir compte dans le calcul de l’indemnité en vertu de l’article 17 de la directive.

30.      Le demandeur fait valoir que les avantages retirés par le commettant résident également dans le fait que sa société mère libyenne a retiré de sa filiale, le commettant, des bénéfices utilisés pour augmenter son chiffre d’affaires, faire baisser le montant de ses impôts et accroître ses bénéfices.

31.      Le gouvernement allemand fait remarquer que ni l’article 89b du HGB ni l’article 17 de la directive ne visent à réglementer le rapport entre filiales et sociétés mères. Ces questions peuvent être pertinentes pour la question de l’équité, mais il appartient aux autorités nationales, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, de décider s’il convient de tenir compte des revenus d’autres sociétés d’un groupe appartenant aux propriétaires du commettant et de quelle manière.

32.      La Commission considère qu’il n’y a pas lieu, en principe, de tenir compte dans le calcul des avantages retirés par le commettant, au sens de l’article 17 de la directive, d’autres sociétés appartenant au groupe, à moins que les obligations contractuelles de l’agent commercial ne consistaient également à instaurer ou à développer des relations commerciales entre des tiers et d’autres sociétés du même groupe. La Commission relève que les avantages pertinents pour le calcul de l’indemnité en vertu de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive sont ceux liés aux transactions conclues avec les nouveaux clients apportés par l’agent commercial ou qui résultent du développement des opérations avec les clients existants. Cela montre l’élément contractuel central de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive. L’indemnité étant liée au processus aboutissant à gagner de nouveaux clients ou à développer les opérations avec les clients existants du commettant, il n’y a pas de raison que des avantages autres que ceux retirés par le commettant lui-même soient pris en considération, à moins que les obligations de l’agent commercial n’aient été étendues à des tâches similaires pour d’autres sociétés appartenant à la société mère du commettant.

33.      La défenderesse allègue, en outre, que permettre à l’agent commercial de faire valoir des créances portant sur des opérations avec lesquelles il n’a aucun lien contractuel risque de produire des effets incontrôlables et aberrants. Elle allègue qu’il n’existe aucune raison que le locataire d’une station-service située en Allemagne puisse profiter des bénéfices d’une société mère exploitant des gisements de pétrole en Libye.

34.      Le gouvernement italien suggère que, bien que, de manière générale, le calcul des avantages au sens de l’article 17 de la directive devrait se limiter à ceux acquis par le commettant, la nécessité d’agir loyalement et de bonne foi, conformément à l’article 4 de la directive, implique que, selon certains indices, lorsque le commettant tente de limiter l’indemnité due à l’agent commercial en attribuant les bénéfices résultant de l’activité de ce dernier à d’autres sociétés du groupe, il doit exister des moyens de contrer de telles violations de la loyauté et de la bonne foi. Néanmoins, ainsi que le note lui-même le gouvernement italien, cet objectif peut être atteint grâce à une demande de dommages et intérêts.

35.      Il est clair que l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive met en avant les activités qui profitent au commettant et qui résultent des activités exercées par l’agent commercial en vertu d’un contrat conclu entre eux. Le libellé de la directive se réfère de manière explicite aux clients du commettant et aux avantages qu’en retire le commettant. Il ne vise aucun autre avantage susceptible d’être pris en compte. Le législateur communautaire aurait pu choisir d’inclure les avantages retirés par d’autres sociétés auxquelles le commettant est lié, mais il semble avoir choisi de ne pas le faire. En outre, l’origine contractuelle du droit à l’indemnité plaide contre toute reconnaissance de droits à une indemnité découlant de personnes avec qui l’agent commercial n’avait aucun rapport contractuel.

36.      D’autre part, les États membres sont tenus de prendre en compte «toutes les circonstances» dans leur appréciation de l’équité de l’indemnité à accorder. Toutefois, les «circonstances» ne peuvent viser dans ce cas tous les faits envisageables, mais doivent se limiter aux facteurs pertinents pour le rapport contractuel existant entre l’agent commercial et le commettant. Le degré auquel l’agent commercial d’une filiale d’une société mère peut être réputé avoir un rapport avec cette société mère en vertu du contrat qui le lie au commettant doit être déterminé en vertu du droit national et en tenant compte, dans chaque cas d’espèce, du rapport contractuel spécifique entre l’agent commercial et le commettant et des possibles liens avec la société mère. Si le droit national ne prévoit pas un tel rapport entre l’agent commercial et la société mère de son commettant, les bénéfices retirés par cette société mère ne peuvent pas être considérés comme une circonstance au sens de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive.

37.      Ces éléments plaident contre la conclusion selon laquelle la directive exigerait que les avantages retirés par d’autres sociétés du même groupe que celui du commettant soient pris en compte dans le calcul de l’indemnité au sens de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive.

III – Conclusion

38.      À la lumière des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions posées par la juridiction nationale:

«1)      Une législation nationale qui limite l’indemnité due aux agents commerciaux au montant des commissions perdues par ces agents lors de la cessation du contrat avec le commettant n’est pas en soi incompatible avec la méthode méritocratique et prospective exigée par le régime mis en place par l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, sous réserve que la méthode de calcul utilisée reflète le véritable montant des commissions perdues durant la période suivant la cessation du contrat, de manière à prendre en compte les avantages retirés par le commettant qui résultent de l’activité de l’agent.

2)      L’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive 86/653 n’exige pas que le calcul de l’indemnité prenne en compte les avantages retirés par des sociétés autres que celles avec qui l’agent était en relation contractuelle et qui appartiennent à un groupe de sociétés.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – JO L 382, p. 17.


3 – Voir Commission des Communautés européennes, rapport sur l’application de l’article 17 de la directive, [COM(96) 364 final, p. 1 à 3].


4 – Arrêt du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045, point 18).


5 – Arrêt du 28 septembre 2006, Gasparini e.a. (C-467/04, Rec. p. I-9199).


6 – Arrêt du 15 juin 1995 (C-422/93 à C-424/93, Rec. p. I-1567).


7 – Ibidem, points 28 et 29.


8 – Arrêt du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 15).


9 – Ibidem.


10 – Arrêt du 30 avril 1996 (C-194/94, Rec. p. I-2201).


11 – Arrêt du 9 novembre 2000 (C-381/98, Rec. p. I-9305, points 21 et 22).


12 – Arrêt du 23 mars 2006 (C-465/04, Rec. p. I-2879).


13 – Ibidem, point 28.


14 – Ibidem, point 34.


15 – Arrêt Ingmar, point 21.


16 – Arrêt Honyvem Informazioni Commerciali, point 36.


17 – Il s’agit là des objectifs mentionnés dans le considérant de la directive.


18 – Voir mes conclusions dans l’affaire Honyvem Informazioni Commerciali, point 41.


19 – Arrêt Honyvem Informazioni Commerciali, point 29.


20 – Ne pas tenir compte de cela pourrait même encourager un comportement opportuniste du commettant par rapport au choix du moment de résiliation du contrat.