Language of document : ECLI:EU:C:2019:464

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

5 juin 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Absence de précisions suffisantes concernant le contexte factuel et réglementaire du litige au principal et les raisons justifiant la nécessité d’une réponse aux questions préjudicielles – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑10/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), par décision du 2 février 2018, parvenue à la Cour le 3 janvier 2019, dans la procédure

Wilo Salmson France SAS

contre

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti,

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti – Administraţia Fiscală pentru Contribuabili Nerezidenţi,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. E. Juhász et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 167 et 178 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après « la directive TVA »), ainsi que de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2008/9/CE du Conseil, du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre (JO 2008, L 44, p. 23).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wilo Salmson France SAS à l’Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice Bucureşti (Agence nationale de l’administration fiscale – direction générale régionale des finances publiques de Bucarest) et à la Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice Bucureşti – Administraţia Fiscală pentru Contribuabili Nerezidenţi (direction générale régionale des finances publiques de Bucarest – administration fiscale des contribuables non-résidents) au sujet de la possibilité pour cette société de se faire rembourser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à des acquisitions effectuées pendant l’année 2012, mais pour lesquelles des factures fiscales d’acquisition ont été émises au cours de l’année 2015.

 Le droit de l’Union

3        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

4        Le 2 septembre 2016, Wilo Salmson France s’est vu notifier une décision de l’Agence nationale de l’administration fiscale – direction générale régionale des finances publiques de Bucarest rejetant sa réclamation formée contre une décision de remboursement de la TVA.

5        Wilo Salmson France a introduit un recours contre cette décision de ladite agence devant le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie).

6        Dans le cadre de la procédure engagée devant la juridiction de renvoi, la requérante au principal a introduit une demande tendant à ce que la Cour soit saisie d’une question préjudicielle.

7        À cet égard, la juridiction de renvoi, en se référant à cette demande, a indiqué que la situation de Wilo Salmson France était atypique eu égard aux hypothèses prévues par la directive 2008/9 et que, dans la mesure où la directive TVA ne régissait pas expressément le délai dans lequel pouvait être exercé le droit à déduction, cette société considérait que la date à laquelle ce délai commençait à courir ne pouvait être établie exclusivement au regard du moment où la livraison des biens était intervenue, sans qu’il ait été tenu compte de toute autre circonstance pertinente.

8        À la suite de cet exposé, la juridiction de renvoi a conclu que, pour analyser cette situation de fait, il était nécessaire d’interpréter des dispositions du droit de l’Union et elle a fait droit à la demande de la requérante au principal de saisir la Cour.

9        C’est dans ces conditions que le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      En ce qui concerne l’article 167 lu en combinaison avec l’article 178 de la directive [TVA], existe-t-il une distinction entre le moment où le droit à déduction prend naissance et celui où ce droit est exercé compte tenu du mode de fonctionnement du système de la TVA, afin de savoir si le droit à déduction de la TVA peut être exercé en l’absence de facture fiscale concernant les biens achetés ?

2)      S’agissant de l’interprétation de l’article 167 lu en combinaison avec l’article 178 de la directive [TVA] et l’article 14, paragraphe 1, [sous a)], première hypothèse, de la directive 2008/9, quel est le repère procédural par rapport auquel il convient d’apprécier la régularité de l’exercice du droit au remboursement de la TVA, afin de savoir s’il est possible de formuler une demande de remboursement de la TVA devenue exigible avant la période de remboursement, alors que sa facturation est intervenue au cours de la période de remboursement ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

10      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

11      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

12      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instaurée à l’article 267 TFUE, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C‑320/90 à C‑322/90, EU:C:1993:26, point 6, ainsi que du 26 juillet 2017, Superfoz – Supermercados, C‑519/16, EU:C:2017:601, point 44). En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, EU:C:2008:489, point 52, ainsi que du 26 juillet 2017, Superfoz – Supermercados, C‑519/16, EU:C:2017:601, point 44).

13      La Cour insiste également sur l’importance de l’indication, par le juge national, des raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. Celle-ci a déjà jugé qu’il est indispensable que le juge national, dans la décision de renvoi elle-même, donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (arrêts du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, EU:C:2005:741, point 46 ainsi que jurisprudence citée, et du 9 mars 2017, Milkova, C‑406/15, EU:C:2017:198, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

14      Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (arrêts du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 19 et jurisprudence citée, ainsi que du 26 octobre 2017, Balgarska energiyna borsa, C‑347/16, EU:C:2017:816, point 59).

15      Ainsi, aux termes de cet article 94, toute demande de décision préjudicielle contient « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente » ainsi que « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ».

16      Lesdites exigences sont également rappelées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2016, C 439, p. 1).

17      Il importe aussi de souligner que les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cet article, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, notamment, arrêts du 1er avril 1982, Holdijk e.a., 141/81 à 143/81, EU:C:1982:122, point 6, ainsi que du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C‑434/15, EU:C:2017:981, point 25).

18      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences rappelées aux points 12 à 17 de la présente ordonnance.

19      En effet, tout d’abord, la juridiction de renvoi expose l’objet du litige au principal de manière très succincte en mentionnant seulement la décision attaquée et les sommes en cause dans le litige au principal.

20      Ensuite, l’exposé du cadre factuel et réglementaire figurant dans la décision de renvoi est lacunaire, étant donné qu’il ne précise pas les données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées et ne fournit aucune indication sur les dispositions nationales susceptibles de s’appliquer dans le cadre de ce litige.

21      Enfin, la demande de décision préjudicielle ne contient aucun exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation des articles 167 et 178 de la directive TVA ainsi que de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2008/9.

22      La juridiction de renvoi fait seulement référence à la demande de Wilo Salmson France de saisir la Cour d’une question préjudicielle et, en particulier, à la motivation de cette demande. À cet égard, cette juridiction se limite à indiquer que la situation de cette société est atypique eu égard aux hypothèses prévues par la directive 2008/9 et que, dans la mesure où la directive TVA ne régit pas expressément le délai pour exercer le droit à déduction, ladite société considère que la date à laquelle ce délai commence à courir ne saurait être établie exclusivement au regard du moment où la livraison des biens est intervenue, sans qu’il soit tenu compte de toute autre circonstance pertinente. Or, une telle motivation ne peut manifestement pas être considérée comme étant suffisante. En effet, en l’absence d’un exposé du cadre factuel et réglementaire, cette motivation ne permet pas de comprendre en quoi les dispositions de la directive TVA et de la directive 2008/9, sur lesquelles la Cour est interrogée, pourraient éventuellement s’appliquer dans l’affaire au principal.

23      Dans ces conditions, il est manifeste que la décision de renvoi ne permet pas à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi aux fins de trancher le litige au principal ni ne donne aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

24      Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle lorsqu’elle sera en mesure de fournir à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (ordonnance du 12 mai 2016, Security Service e.a., C‑692/15 à C‑694/15, EU:C:2016:344, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

25      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

26      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), par décision du 2 février 2018, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.