Language of document : ECLI:EU:C:2019:864

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 16 octobre 2019 (1)

Affaire C371/18

Sky plc,

Sky International AG,

Sky UK Limited

contre

SkyKick UK Limited,

SkyKick Inc.

(demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice [England & Wales], Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery, Royaume-Uni])

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations des États membres – Marques – Identification des produits ou des services concernés par la marque – Exigence de clarté et de précision – Mauvaise foi – Mauvaise foi due à l’absence d’intention d’utiliser la marque pour les produits ou les services indiqués – Interprétation de l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys »






1.        La présente demande de décision préjudicielle de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery, Royaume-Uni], soulève des questions importantes en matière de droit des marques de l’Union européenne. Cela ressort également de l’arrêt de la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal, du 6 février 2018 [(2018) EWHC 155 (Ch), Arnold J], rendu après un procès de cinq jours, et long de 94 pages (358 points) (ci‑après l’« arrêt au principal »).

2.        Dans la présente affaire, Sky plc, Sky International AG et Sky UK Limited, les requérantes au principal (ci-après, ensemble, « Sky ») dont l’activité principale est la télédiffusion par satellite et numérique, soutiennent que SkyKick UK Limited et SkyKick Inc., les défenderesses au principal (ci-après, ensemble, « SkyKick ») – SkyKick Inc. est une start-up qui fournit des services informatiques de migration vers le nuage (2) –, ont contrefait quatre marques de l’Union européenne de Sky International AG et une marque du Royaume‑Uni de Sky plc comportant le mot « sky », en utilisant le signe « SkyKick » et des variations de celui‑ci.

3.        L’affaire est assez complexe mais, en substance, SkyKick nie la contrefaçon et soutient à titre reconventionnel que l’enregistrement des marques en cause est totalement ou partiellement nul au motif que, premièrement, les listes des produits et services manquent de clarté et de précision et, deuxièmement, les demandes d’enregistrement ont été déposées de mauvaise foi.

4.        L’affaire est importante, car elle permet à la Cour de traiter des questions relatives à un certain nombre de déficiences qui sont apparues dans le système de marque de l’Union européenne. Ainsi que le font remarquer les défenderesses au principal, les cinq questions de la juridiction de renvoi concernent l’un des aspects les plus problématiques d’une marque, à savoir la « liste » des produits et services. La majeure partie de la jurisprudence de la Cour en matière de marques concerne le signe qui est enregistré en tant que marque. Le droit en la matière est désormais relativement bien fixé. Cependant des lacunes et des incohérences demeurent dans le droit en matière de désignation des produits et services. La protection dont bénéficient les marques de l’Union européenne est accordée conformément au principe de spécialité (3), c’est‑à‑dire par rapport à des produits et services dont la nature et le nombre déterminent l’étendue de la protection accordée au titulaire de la marque relativement au signe.

5.        La juridiction de renvoi souligne que le problème est notamment que, en vertu du droit de l’Union et de la législation nationale en matière de marques applicables, les défenderesses au principal ne semblent rien avoir à opposer au grief de contrefaçon invoqué par les requérantes au principal. Cela conduit à se demander si, en droit des marques, nous en sommes arrivés à un point où le titulaire d’une marque dispose d’une position de monopole absolu contre laquelle il n’est plus possible de se défendre dans le cadre d’une action en contrefaçon, et ce, bien que la marque n’ait pas été utilisée, et ne soit pas susceptible d’être utilisée, pour un grand nombre des produits et services enregistrés. Partant, la présente affaire montre bien qu’il convient de trouver un équilibre entre différents intérêts qui sont actuellement en conflit.

I.      Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles

6.        Les marques de Sky en cause sont : i) la marque no 3166352, demandée le 14 avril 2003 et enregistrée le 12 septembre 2012 (« EU352 »), marque figurative présentée ci‑dessous pour des produits et services des classes 9, 16, 18, 25, 28, 35, 38, 41 et 42 ; ii) la marque no 3203619, déposée le 30 avril 2003 et enregistrée le 6 septembre 2012 (« EU619 »), marque figurative présentée ci‑dessous pour des produits et services des classes 9, 16, 18, 25, 28, 35, 38, 41 et 42 ; iii) la marque no 5298112, déposée le 6 septembre 2006 et enregistrée le 18 juin 2015 (« EU112 ») en tant que marque verbale SKY pour des produits et services des classes 9, 16, 28, 35, 37, 38, 41 ; iv) la marque no 6870992, déposée le 18 avril 2008 et enregistrée le 8 août 2012 (« EU992 ») en tant que marque verbale SKY pour des produits et services des classes 3, 4, 7, 9, 11, 12, 16, 17, 18, 25, 28, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 ; et v) la marque du Royaume‑Uni no 2500604, déposée le 20 octobre 2008 et enregistrée le 7 septembre 2012 (« UK604 ») en tant que marque verbale SKY pour des produits et services des classes 3, 4, 7, 9, 11, 12, 16, 17, 18, 25, 28, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45.

7.        Sky a introduit contre SkyKick une action en contrefaçon de ces marques. Aux fins de cette action en contrefaçon, Sky se fonde sur l’enregistrement des marques pour les produits et services suivants (même si toutes les marques ne sont pas enregistrées pour tous ces biens et services) : i) logiciels (classe 9) ; ii) logiciels fournis à partir d’Internet (classe 9) ; iii) logiciels et appareils de télécommunications permettant de se connecter à des bases de données et à Internet (classe 9) ; iv) stockage de données (classe 9) ; v) services de télécommunications (classe 38) ; vi) services de courrier électronique (classe 38) ; vii) services de portail Internet (classe 38) ; et viii) services informatiques permettant de consulter et de récupérer des informations, messages, textes, sons, images et données via un ordinateur ou un réseau informatique (classe 38).

8.        Sky a fait un large usage de la marque SKY pour un éventail de produits et services relevant notamment de ses domaines d’activité principaux, i) la télédiffusion, ii) la téléphonie, et iii) la desserte en haut débit. SkyKick admet qu’au mois de novembre 2014 SKY était une marque connue de tous dans ces domaines au Royaume‑Uni et en Irlande. Toutefois, Sky ne propose pas de produits ou de services de migration entre plates-formes de courrier électronique ou de stockage dans le nuage et rien n’indique que le groupe projette de le faire dans un avenir proche.

9.        SkyKick soutient que toutes les marques devraient être déclarées (partiellement) nulles au motif qu’elles sont enregistrées pour des biens et services qui ne sont pas désignés avec suffisamment de clarté et de précision.

10.      Selon la juridiction de renvoi, cette affirmation soulève deux questions. La première est de savoir si ce motif de nullité peut être invoqué contre une marque enregistrée.

11.      Il a été jugé dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361) [et l’article 33, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1001 (4) dispose désormais] qu’un demandeur désigne les produits et services pour lesquels la protection de la marque est demandée avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux tiers de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque. Lorsque le demandeur ne fait pas cela, l’office rejette la demande si la liste des produits et services n’est pas modifiée de façon à être suffisamment claire et précise.

12.      Pour la juridiction de renvoi, cela n’implique pas nécessairement que la marque peut être déclarée nulle pour ce motif après l’enregistrement lorsque le demandeur ne se conforme pas à cette exigence et si l’office ne veille pas à ce qu’il remédie au manque de clarté ou de précision au cours de l’examen de la demande. Les motifs de nullité mentionnés dans le règlement 2017/1001 ne requièrent pas expressément que la spécification de produits et services d’une demande de marque de l’Union européenne soit claire et précise. Il en va de même en substance concernant une marque nationale.

13.      La seconde question est de savoir si, à supposer que ce motif puisse être invoqué, les listes des produits et services de toutes les marques sont contestables.

14.      La juridiction de renvoi considère que l’enregistrement d’une marque pour des « logiciels » est trop général, injustifié et contraire à l’intérêt public. Toutefois, selon elle, cela n’implique pas nécessairement que le terme « logiciel » manque de clarté et de précision. En effet, à première vue, il apparaît comme un terme suffisamment clair et précis pour permettre de décider si les produits de SkyKick correspondent également à ce terme. Par ailleurs, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery] a du mal à voir pourquoi les motifs de l’European Trade Mark and Design Network (ETMDN), tels que décrits dans la communication commune du 20 novembre 2013, concernant les « machines » de la classe 7, ne vaudraient pas également pour les « logiciels » (5).

15.      En outre, la juridiction de renvoi se demande si la validité de la marque en cause est susceptible d’être affectée par la mauvaise foi du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque.

16.      Dans l’affaire au principal, SkyKick soutient que les marques ont été enregistrées de mauvaise foi, parce que Sky n’aurait pas eu l’intention de les utiliser pour tous les produits et services indiqués dans les listes des produits et services respectives. SkyKick admet que Sky avait l’intention d’utiliser les marques pour certains des produits et services désignés. Néanmoins, SkyKick soutient à titre principal que les marques sont invalides en totalité. Elle soutient à titre subsidiaire que les marques sont nulles dans la mesure où la liste des produits et services couvre des biens et des services pour lesquels Sky n’avait aucune intention d’utiliser les marques.

17.      La juridiction de renvoi indique que, par comparaison avec la jurisprudence des juridictions de l’Union, les juridictions du Royaume‑Uni se sont davantage concentrées sur l’exigence de l’intention d’utiliser la marque, en raison du rôle de l’article 32, paragraphe 3, du UK Trade Marks Act 1994 (loi de 1994 sur les marques) dans le système des marques national (6).

18.      Toutefois, la juridiction de renvoi se demande si cette disposition est compatible avec le droit de l’Union. Pour le cas où elle serait jugée compatible, la juridiction de renvoi a également des doutes quant à la portée de l’exigence relative à l’intention d’utiliser la marque.

19.      C’est pourquoi, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery], a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une marque de l’Union européenne ou une marque nationale enregistrée dans un État membre peut-elle être déclarée totalement ou partiellement nulle au motif que certains ou tous les termes de la spécification des produits et services ne sont pas suffisamment clairs et précis pour permettre aux autorités compétentes et aux tiers de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque sur la seule base de ces termes ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, un terme comme “logiciel” est-il trop général et désigne-t-il des produits qui sont trop variés pour être compatible avec la fonction d’indication de l’origine de la marque, si bien qu’il n’est pas suffisamment clair et précis pour permettre aux autorités compétentes et aux tiers de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque sur la seule base de ce terme ?

3)      Le simple fait de demander l’enregistrement d’une marque sans aucune intention de l’utiliser concernant les produits et services spécifiés constitue‑t-il un acte de mauvaise foi ?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, est-il possible de conclure que le demandeur a déposé la demande en partie de bonne foi et en partie de mauvaise foi si, et dans la mesure où, il avait l’intention d’utiliser la marque concernant certains des produits et services spécifiés mais aucune intention d’utiliser cette marque concernant d’autres produits et services spécifiés ?

5)      L’article 32, paragraphe 3, [de la loi de 1994 sur les marques] est-il compatible avec la directive (UE) 2015/2436 (7) et les directives antérieures ? »

II.    Analyse

20.      Sky, SkyKick, les gouvernements du Royaume‑Uni, français, hongrois, polonais, slovaque et finlandais, ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites. Toutes ces parties ont participé à l’audience sauf les gouvernements hongrois, polonais, slovaque et finlandais.

A.      Sur les deux premières questions préjudicielles

1.      Résumé succinct de l’argumentation des parties

21.      Sky considère que l’exigence de clarté et de précision, qui découle de l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361), est liée seulement à la demande d’enregistrement. Partant, la seule sanction possible en cas de non‑respect de cette exigence est une action exercée d’office par les autorités afin de veiller à ce que cette demande ne conduise pas à l’enregistrement de produits et services formulés en des termes non précis. Sky soutient que les motifs de refus et de nullité sont énumérés de manière exhaustive dans le droit national et le droit de l’Union et que l’exigence de clarté et de précision de la spécification n’en fait pas partie. De surcroît, dans les arrêts du 16 février 2017, Brandconcern/EUIPO et Scooters India (C‑577/14 P, EU:C:2017:122, points 29 et 30), et du 11 octobre 2017, EUIPO/Cactus (C‑501/15 P, EU:C:2017:750, point 38), la Cour a jugé que l’exigence de précision et de clarté de l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361), ne saurait être invoquée concernant des marques qui ont déjà été enregistrées. Sky propose de répondre négativement à la deuxième question dans la mesure où des termes tels que « logiciel » sur lesquels est fondé le recours en contrefaçon satisferaient au critère de clarté et de précision.

22.      SkyKick propose de répondre affirmativement à la première question. Dans le cas contraire, des sociétés telles que SkyKick n’auraient aucune solution pratique ni aucun moyen de défense dans des procédures en contrefaçon menées contre elles lorsque le titulaire de la marque invoque un terme qui manque de clarté ou de précision, en violation des exigences du droit de l’Union. C’est pourquoi la Cour aurait clairement énoncé que la directive 2008/95/CE (8) [et, par analogie, le règlement (CE) no 207/2009 (9)] requiert que la liste des produits et services désignés soit claire et précise. Cependant, la Cour n’aurait pas expressément abordé les conséquences du non‑respect de cette exigence. Si Sky avait raison, alors l’importance de l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361), serait très limitée en pratique.

23.      SkyKick estime que l’exigence de clarté et de précision peut être déduite de l’article 4, de l’article 7, paragraphe 1, sous a), et de l’article 8 du règlement 2017/1001, ainsi que des articles 3, 4 et 5 de la directive 2015/2436, lus à la lumière de l’arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, EU:C:2002:748). Selon elle, il conviendrait de relever que la Cour se réfère elle‑même à ces dispositions dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361, points 43 à 45), et au fait qu’elles prévoient des conditions de refus ou de nullité.

24.      SkyKick soutient en substance qu’il conviendrait de répondre affirmativement à la deuxième question. Elle fait valoir que l’imprécision causée par le caractère général d’un terme ou son application à une variété de produits et services différents relève du vice identifié dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361).

25.      Les gouvernements du Royaume‑Uni, français, hongrois, polonais, slovaque et finlandais proposent de répondre négativement à la première question dans la mesure où les motifs de refus d’enregistrement seraient énumérés de manière exhaustive et où une exigence expresse de clarté et de précision de la liste des produits et services ne figurerait nulle part dans la législation. De surcroît, il découlerait de la jurisprudence (point 21 des présentes conclusions) que l’exigence de clarté et de précision est applicable seulement au stade de l’enregistrement d’une marque.

26.      Les gouvernements du Royaume‑Uni et finlandais ne jugent pas nécessaire de répondre à la deuxième question compte tenu de leur réponse à la première.

27.      Les gouvernements français, hongrois, polonais et slovaque font valoir en substance que le terme « logiciel » ne serait pas trop général et ne désignerait pas des produits trop variés aux fins de l’identification des produits et services concernés par l’enregistrement.

28.      Sur la base d’une argumentation analogue à celle des gouvernements qui sont intervenus, la Commission considère en substance qu’il convient de répondre négativement à la première question. Elle ajoute que l’examen du caractère distinctif serait fondé sur la relation existant entre un « signe » et « des produits ou des services », et non sur la précision ou l’imprécision de la liste de ces produits ou de ces services (10). Si la liste des produits est vague, elle sera interprétée au détriment du titulaire et conduira à conclure à l’absence de caractère distinctif. La Commission soutient que, compte tenu de la réponse à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième. Toutefois, elle considère que la communication commune ne s’applique pas ratione temporis aux marques contestées.

2.      Appréciation

29.      Par ses deux premières questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si le manque de clarté et de précision des termes de la liste des produits et services couverts peut être un motif de nullité d’une marque enregistrée. En cas de réponse affirmative, elle cherche à savoir si le terme « logiciel » en cause dans l’affaire au principal est suffisamment clair et précis pour permettre aux autorités compétentes et aux tiers de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque sur la seule base de ce terme.

30.      Cela dit, je considère que la Cour devrait répondre à cette deuxième question même en cas de réponse négative à la première question. La raison en est qu’il est nécessaire d’examiner si le manque de clarté et de précision de la liste des produits et services visés par l’enregistrement d’une marque peut se rattacher à l’un des motifs de nullité explicitement prévus par le droit de l’Union applicable.

31.      Avant d’aborder le fond de ces questions, lorsqu’elle examinera ces problèmes, la juridiction de renvoi devra déterminer quel cadre législatif de l’Union est applicable ratione temporis, dans la mesure où, malheureusement, sa décision de renvoi ne fait pas référence à tel ou tel acte en particulier.

32.      L’affaire concerne à la fois des marques de l’Union européenne, d’une part, et une marque nationale, d’autre part, pour la période allant de 2003 à 2018. La nature de la demande principale (contrefaçon) et la demande reconventionnelle en nullité impliquent qu’il est possible que plus d’un règlement et d’une directive de l’acquis de l’Union en matière de marques soient susceptibles de s’appliquer à l’affaire.

33.      Ainsi que l’a fait remarquer la Commission, la date pertinente pour apprécier la demande reconventionnelle soulevée dans le cadre de l’action en contrefaçon est la date de dépôt de la demande d’enregistrement. Les requérantes ont déposé les demandes de marques entre le 14 avril 2003 et le 20 octobre 2008. Pour les marques de l’Union européenne, cela signifierait que le droit pertinent est le règlement (CE) no 40/94 (11) (et non le règlement no 207/2009), et pour la marque nationale, la première directive 89/104/CEE (12) (et non la directive 2015/2436).

34.      S’agissant des allégations de contrefaçon, pour les marques de l’Union européenne en cause, l’affaire concerne des périodes relevant du règlement no 207/2009 ; s’agissant de la marque nationale, le droit pertinent est la directive 2008/95.

35.      Partant, concernant les marques de l’Union européenne, c’est le règlement no 207/2009 qui s’applique à la contrefaçon et le règlement no 40/94 à la demande d’enregistrement ; et, concernant la marque nationale, c’est la directive 2008/95 qui s’appliquerait à la contrefaçon et la première directive 89/104 à la demande d’enregistrement.

36.      Par commodité, j’estime qu’il est suffisant aux fins des présentes conclusions d’examiner en premier lieu les dispositions de la première directive 89/104 et du règlement no 40/94, notamment parce qu’il n’y a aucune différence de fond entre les dispositions du règlement no 40/94 et celles de son successeur, le règlement no 207/2009, bien que la numérotation de certains articles ait changé ; et il en va de même de la première directive 89/104 ainsi que de la directive 2008/95 (13).

a)      L’exigence de clarté et de précision ne fait pas partie des motifs de nullité mentionnés de manière exhaustive par le droit de l’Union

37.      Par la première question préjudicielle, il est demandé à la Cour de préciser la portée de la jurisprudence découlant de l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361). En particulier, la juridiction de renvoi demande quelles conséquences il convient de tirer de cette jurisprudence lorsqu’une marque enregistrée ne satisfait pas à l’exigence de clarté et de précision.

38.      Je suis parvenu à la conclusion, et il y a à cet égard un large consensus entre tous les États membres qui sont intervenus, ainsi que la Commission, qu’il convient de répondre négativement à la première question.

39.      La raison à cela est simple : il n’existe aucune disposition dans la législation pertinente concernant la nullité d’une marque au motif que tout ou partie des termes de la liste des produits et services ne sont pas suffisamment clairs et précis.

40.      En effet, s’il est vrai que le manque de clarté et de précision de la représentation du signe est un motif de nullité conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104 (et de la directive 2008/95) ainsi qu’à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94, il n’en demeure pas moins qu’il n’en va pas ainsi de la liste des produits et services. Toute autre interprétation priverait l’article 2 de la première directive 89/104 et l’article 4 du règlement d’une grande partie de leur effet.

41.      S’agissant de marques nationales, l’article 3 de la première directive 89/104 (« Motifs de refus ou de nullité ») ne prévoit tout simplement aucun motif de nullité particulier fondé sur le manque de clarté et de précision de la liste des produits et services visés. C’est également ce que reconnaît la juridiction de renvoi (voir point 159 de l’arrêt au principal).

42.      La jurisprudence souligne aussi qu’« [a]insi qu’il résulte de son septième considérant, la directive réglemente de manière exhaustive les motifs de refus ou de nullité d’enregistrement concernant la marque elle‑même » (14). Elle précise également, concernant la directive 2008/95, qui a codifié la première directive 89/104, que celle‑ci « interdit aux États membres d’introduire des motifs de refus ou de nullité autres que ceux figurant dans cette directive » (15).

43.      Partant, dès lors que le manque de clarté et de précision des termes utilisés dans la liste des produits et services visés par l’enregistrement d’une marque nationale n’est pas prévu expressément à l’article 3 de la première directive 89/104, il ne peut pas être considéré comme constituant un motif de nullité supplémentaire, qui serait ajouté à ceux prévus à cet article.

44.      De même, concernant des marques de l’Union européenne, il convient de relever que la liste des motifs de nullité absolue établie à l’article 51 du règlement no 40/94, ainsi que l’article 7 de ce règlement auquel elle renvoie, ne comporte pas de motif de nullité fondé sur le manque de clarté ou de précision des termes utilisés pour désigner les produits et services visés par l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne.

45.      Aux termes de l’article 96 du règlement no 40/94, intitulé « Demande reconventionnelle », « [l]a demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité ne peut être fondée que sur les motifs de déchéance ou de nullité prévus par le présent règlement ».

46.      De toute évidence, la jurisprudence citée au point 42 des présentes conclusions s’applique aussi concernant les règlements et les marques de l’Union européenne.

47.      Partant, la liste de motifs de nullité absolue de l’article 51 du règlement no 40/94 est nécessairement exhaustive et le manque de clarté et de précision de termes utilisés dans la liste des produits et services visés par l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne ne peut pas être considéré comme constituant un motif de nullité supplémentaire qui s’ajouterait à ceux prévus dans le règlement par le législateur de l’Union.

48.      En effet, j’admets que des problèmes comme le manque de clarté et de précision sont importants en droit des marques, mais il appartient aux offices des marques compétents de les examiner, lorsqu’ils sont confrontés à une demande d’enregistrement d’une marque.

49.      Même si des marques enregistrées qui ne satisfont pas au critère de clarté et de précision ne peuvent pas être invalidées sur ce fondement, il n’en demeure pas moins que cela aura des répercussions sur l’étendue de la protection conférée par la marque enregistrée.

50.      Les considérations qui précèdent s’appuient sur un examen de l’économie du cadre législatif de l’Union. Ainsi que l’a fait remarquer la Commission, l’on pourrait se demander pourquoi le législateur a décidé que le manque de clarté et de précision devrait être un motif de nullité de la représentation d’un signe alors qu’il ne devrait pas l’être s’agissant de la liste des produits et services. La raison en est que, une fois l’enregistrement de la marque demandé, la représentation du signe ne peut en principe pas être modifiée (à quelques exceptions très restrictives près) et ce pour des raisons de sécurité juridique. Partant, si le signe a été demandé ou enregistré en violation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104 ou de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94, il est impossible d’y remédier ex post. Dans un tel cas de figure, les seules possibilités sont le refus (avant l’enregistrement) ou la radiation (après l’enregistrement).

51.      En revanche, conformément au règlement no 40/94, la liste des produits et services peut toujours faire l’objet d’une restriction ou d’une renonciation totale ou partielle (le titulaire peut préciser davantage et affiner mais ne peut jamais étendre la liste des produits et services et remédier ainsi à un manque de clarté et de précision). Partant, il est possible de remédier à tout manque de clarté et de précision de la liste des produits et services avant ou après l’enregistrement. La première directive 89/104 prévoit une autonomie procédurale qui permet aux États membres de faire de même.

b)      L’exigence de clarté et de précision peut-elle être rattachée à un motif d’invalidité prévu par le droit de l’Union ?

52.      Il convient maintenant d’examiner si le manque de clarté et de précision de la liste des produits et services visés par l’enregistrement d’une marque peut être rattaché à l’un des motifs d’invalidité prévus de manière exhaustive par le droit de l’Union applicable.

53.      SkyKick évoque à cet égard deux possibilités.

54.      Premièrement, elle soutient que, si l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361), ne précise pas exactement où, dans le texte des directives et règlements applicables, se trouvent les termes dont il convient de déduire la condition de clarté et de précision qu’il a identifiée, il a très clairement énoncé qu’il s’agit d’une exigence implicite de validité d’une marque et d’une condition de son enregistrement. Une telle condition implicite pourrait naturellement se déduire, pour les marques nationales, de l’article 2 lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104, et pour les marques de l’Union européenne, de l’article 4 lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94.

55.      Dans l’arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, EU:C:2002:748, points 51 et 52), la Cour a jugé, concernant la représentation graphique de signes, que « les opérateurs économiques doivent pouvoir s’assurer avec clarté et précision des enregistrements effectués ou des demandes d’enregistrement formulées par leurs concurrents actuels ou potentiels et bénéficier ainsi d’informations pertinentes concernant les droits des tiers » et que « [p]our que les utilisateurs dudit registre soient en mesure de déterminer à partir de l’enregistrement d’une marque la nature exacte de cette dernière, sa représentation graphique dans le registre doit être complète par elle‑même, facilement accessible et intelligible ».

56.      SkyKick fait valoir qu’il devrait en aller de même concernant l’exigence de clarté et de précision des produits et services visés par l’enregistrement.

57.      Il suffit de dire, ainsi que l’ont fait valoir en substance toutes les parties sauf SkyKick, que la jurisprudence découlant de l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361), malgré la fermeté du langage employé par la Cour, ne peut tout simplement pas être interprétée en ce sens qu’elle introduirait un nouveau motif de nullité, notamment parce que la législation elle‑même indique très clairement que la liste de motifs de nullité est exhaustive.

58.      Je considère (à l’instar de la Commission) que, lorsque, dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361), la Cour a établi une analogie avec l’arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, EU:C:2002:748), elle a fait preuve d’une grande prudence en précisant que le but de l’exigence de clarté et de précision appliquée aux signes est de définir l’objet de la protection afin de déterminer l’étendue de la protection demandée (16). L’enregistrement d’un signe en tant que marque doit toujours être demandé au regard de certains produits ou services. Si la représentation graphique du signe dans une demande d’enregistrement a pour fonction de définir l’objet exact de la protection conférée par la marque (17), l’étendue de cette protection est déterminée par la nature et le nombre des produits et des services qui sont identifiés dans ladite demande. Partant, l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C-307/10, EU:C:2012:361), montre qu’il s’agit seulement d’un motif de refus d’enregistrement d’une marque et rien dans cet arrêt ne permet de fonder une demande en nullité une fois la marque enregistrée. La Cour ne s’est pas prononcée sur les conséquences de l’enregistrement d’une marque qui ne satisferait pas à l’exigence de clarté et de précision.

59.      Deuxièmement, SkyKick soutient qu’une marque qui ne satisferait pas à cette exigence pourrait également être nulle, car contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), de la première directive 89/104 et de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 40/94.

60.      Je suis parvenu à la conclusion qu’il en est ainsi en l’espèce, ainsi que je l’expliquerai ci‑après (point 79 des présentes conclusions), je conviens avec la juridiction de renvoi que l’enregistrement d’une marque pour des « logiciels » est injustifié et contraire à l’intérêt public.

61.      Il est également possible de déduire de la jurisprudence qu’une marque qui ne satisfait pas à l’exigence de clarté et de précision est contraire à l’ordre public. La Cour y a fait référence dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361, points 46 à 48).

62.      Qui plus est, si l’enregistrement est trop facile à obtenir ou couvre un domaine trop étendu, cela constitue un obstacle à l’entrée de tiers, puisque la quantité de marques adéquates disponibles diminue, ce qui augmente les coûts susceptibles d’être répercutés sur les consommateurs et entraîne une érosion du domaine public (voir point 95 des présentes conclusions).

63.      Je considère, premièrement, que, dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361), la Cour a envisagé explicitement que des termes généraux, susceptibles de s’appliquer à des produits et services variés, manquent de clarté et de précision. Deuxièmement, ainsi que le relève SkyKick, que des termes trop généraux posent les mêmes problèmes d’ordre public que d’autres formes de termes vagues et imprécis. Le considérant 28 du règlement 2017/1001 exprime ce problème d’ordre public. Troisièmement, qu’il n’est pas compatible avec la fonction essentielle d’une marque de permettre l’enregistrement pour des produits et services désignés de manière aussi générale, ainsi que l’exprime l’arrêt du 29 septembre 1998, Canon (C‑39/97, EU:C:1998:442, point 28).

64.      La juridiction de renvoi a jugé que, à supposer que les marques couvrent valablement les produits et services en cause, elle serait forcée de constater une contrefaçon sur la base d’une comparaison entre les produits et services très généraux enregistrés par Sky (indépendamment de l’utilisation effective faite par Sky et de la réputation de celle‑ci pour de tels produits et services ; en fait, ainsi que nous le verrons plus loin, l’on peut parler de marques utilisées « pour un éventail de produits extrêmement large et éparpillé ») et des produits et services de SkyKick. La juridiction de renvoi était manifestement mal à l’aise avec cette conclusion.

65.      La juridiction de renvoi a établi des constats de faits relatifs à l’étendue des produits et services désignés dans les marques (voir point 4 de la décision de renvoi) : par exemple, lorsque Sky a déposé les demandes d’enregistrement des marques de l’Union européenne, elle n’avait aucune intention d’utiliser ces marques pour tous les produits et services figurant sur la liste (voir arrêt au principal, point 250). La déclaration de Sky concernant la marque du Royaume‑Uni au titre de l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques, selon laquelle elle utilisait (ou avait l’intention d’utiliser) la marque pour les produits et services visés par la demande de protection, était fausse (arrêt au principal, point 254).

66.      Par la suite, des produits et services pour lesquels Sky n’avait aucune raison commerciale de demander l’enregistrement figurent sur la liste. Le juge de renvoi a déclaré, après avoir examiné l’ensemble des preuves : « [j]e suis forcé de conclure que la raison d’inclure ces produits et services tient à la stratégie poursuivie par Sky de conférer aux marques une très large protection, indépendamment de savoir si c’était commercialement justifié » (arrêt au principal, point 250). Par exemple, la liste des produits et services est extrêmement large dans les demandes d’enregistrement des marques EU112 (2 836 mots), EU992 (8 127 mots) et UK604 (8 255 mots) (point 4 de la décision de renvoi). Le témoin de Sky a souvent été incapable de dire que Sky avait la moindre intention d’utiliser les marques pour les produits et services spécifiques désignés dans la liste (arrêt au principal, point 246).

67.      À cet égard, je souligne que la juridiction de renvoi a examiné les différentes catégories et tiré des conclusions de cette analyse, qu’elle a entendu des témoins et établi des constats de faits, ce qui est effectivement le genre de vérifications qu’il convient d’effectuer dans une affaire telle que celle-là.

68.      Je considère que, si l’usage n’est pas une condition préalable à l’enregistrement d’une marque, en fin de compte, tout le système fonctionne sur la base de l’attribution d’un (certain) usage, tôt ou tard.

69.      À cet égard, je rappelle le considérant 9 de la directive 2008/95 et le considérant 10 du règlement no 207/2009.

70.      En effet, la Cour (18) a jugé qu’« il résulte tant [de l’un que de l’autre de ces considérants] que le législateur de l’Union a entendu soumettre le maintien des droits liés à la marque […] à la condition qu’elle soit effectivement utilisée. [U]ne marque [de l’Union européenne] qui n’est pas utilisée pourrait faire obstacle à la concurrence en limitant l’éventail des signes qui peuvent être enregistrés par d’autres en tant que marque et en privant les concurrents de la possibilité d’utiliser cette marque ou une marque similaire lors de la mise sur le marché intérieur de produits ou de services identiques ou similaires à ceux qui sont protégés par la marque en cause. Par conséquent, le non‑usage d’une marque [de l’Union européenne] risque également de restreindre la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services ». S’il est vrai que certains commentaires concernent le but de la déchéance après cinq ans de non‑usage, les idées exprimées concernent l’exigence d’usage tout au long du cycle de vie d’une marque et, ainsi, les préoccupations liées à l’encombrement du registre montrent bien la nécessité de davantage de précision (19). La Cour a déjà jugé que le registre des marques doit être « approprié et précis » (20). En effet, l’encombrement du registre déséquilibre le « compromis » en matière de propriété intellectuelle au détriment de l’intérêt public, ce qui implique que les personnes demandant une protection indiquent clairement ce qu’elles cherchent à protéger valablement (21).

71.      De surcroît, j’observe que le libellé de la nouvelle directive 2015/2436 est encore plus strict. Les considérants 31 et 32 de cette directive sont formulés comme suit : « [l]es marques ne remplissent leur fonction consistant à distinguer les produits ou les services et à permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés que lorsqu’elles sont effectivement utilisées sur le marché. Une exigence d’usage est par ailleurs nécessaire pour réduire le nombre total de marques enregistrées et protégées dans l’Union et, partant, le nombre de conflits entre ces marques. Il est donc essentiel d’imposer que les marques enregistrées soient effectivement utilisées pour les produits ou les services pour lesquels elles ont été enregistrées, ou puissent donner lieu à déchéance si elles ne sont pas utilisées à cet effet dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle s’achève la procédure d’enregistrement » (mise en italique par mes soins) et, par conséquent, « une marque enregistrée ne devrait être protégée que dans la mesure où elle est effectivement utilisée ». En effet, il n’y a aucune raison pour qu’une marque de l’Union européenne soit protégée si elle n’est pas effectivement utilisée (22).

72.      Si des termes qui ne sont pas applicables mais qui figurent de toute façon dans le registre sont vagues et incertains, cela aura pour effet de dissuader des concurrents envisageant d’entrer sur le marché (23), dans la mesure où une société comme Sky paraîtra plus importante sur le marché qu’elle ne l’est en réalité.

73.      Pour résumer, Sky n’avait aucune intention d’utiliser les marques pour des biens et services désignés dans la demande d’enregistrement, et ce à trois égards (arrêt au principal, point 251) : i) la liste désigne expressément des produits et services pour lesquels Sky n’avait absolument aucune intention d’utiliser la marque, comme « préparations pour blanchir », « matériaux d’isolation » et « fouets » ; ii) la liste de produits comprend des catégories de produits et services qui sont tellement larges que Sky n’avait pas l’intention d’utiliser les marques pour toute l’étendue de la catégorie : l’exemple type en est « logiciel », mais il y en a d’autres comme « télécommunications/services de télécommunications » dans les cinq enregistrements ; et iii) la liste des produits et services visait à couvrir tous les produits et services des classes concernées (par exemple, elle visait à couvrir non seulement tous les types de logiciels de la classe 9, indépendamment du fait que Sky ne fournissait pas et ne pouvait pas fournir tous ces types de logiciels), mais également tous les produits de la classe 9. Cette classe comprend des centaines de produits différents allant des sonnettes de porte aux sabliers et des avertisseurs d’incendie au fil fusible. Sky a utilisé les marques en cause (et d’autres marques dont elle est titulaire) pour s’opposer à certaines parties de demandes de marques déposées par des tiers qui couvraient des produits et services pour lesquels Sky n’avait aucune intention d’utiliser ses marques (arrêt au principal, point 255).

74.      Si, en un sens, le terme « logiciel » est clair (en ce qu’il vise le code informatique), il manque indéniablement de précision en ce qu’il vise des produits trop divers dans leur fonction et leur champ d’application pour être compatibles avec la fonction d’une marque.

75.      Ainsi que l’a jugé la Cour dans l’arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2012:361, point 54), « certaines des indications générales figurant aux intitulés de classes de la classification de Nice […] ne sont pas susceptibles de satisfaire à cette exigence [de clarté et de précision] lorsqu’elles sont trop générales et recouvrent des produits ou des services trop variés pour être compatibles avec la fonction d’origine de la marque » (mise en italique par mes soins).

76.      C’est exactement la situation à laquelle nous sommes confrontés en l’espèce. En effet, à l’instar de la juridiction de renvoi, je considère que l’enregistrement d’une marque pour des « logiciels » est trop général pour les raisons indiquées par le juge Laddie dans l’arrêt Mercury c. Mercury (24), à plus forte raison près d’un quart de siècle plus tard, alors que les logiciels sont beaucoup plus répandus qu’en 1995.

77.      Dans cet arrêt, le juge Laddie a jugé que « [l]a défenderesse soutient qu’avec son libellé actuel l’enregistrement de la marque de la requérante crée un monopole sur la marque (et des marques similaires au point de pouvoir être confondues) lorsque celle‑ci est utilisée pour un éventail de produits extrêmement large et éparpillé, incluant des produits pour lesquels le requérant ne peut avoir aucun intérêt légitime. Lors des débats, j’ai fait observer [à la requérante] que l’enregistrement d’une marque pour des “logiciels” couvrirait tout ensemble d’instructions numériques utilisées pour contrôler tout type d’ordinateurs. Il couvrirait non seulement le type de produits de la requérante mais aussi des logiciels de jeux, des logiciels de comptabilité, des logiciels de constitution d’arbres généalogiques, des logiciels utilisés dans le domaine du diagnostic médical, des logiciels utilisés pour contrôler les ordinateurs de satellites et le logiciel utilisé dans les ordinateurs gérant le système du métro de Londres. Je pense qu’elle a finalement admis que cela était parfois tellement éloigné des produits que son client commercialise et pour lesquels il a un intérêt qu’il pouvait être souhaitable de limiter la portée de l’enregistrement, afin d’en exclure les produits les plus étrangers à son domaine d’activité. En tout état de cause, qu’elle l’ait admis ou non, selon moi, il y a tout lieu de considérer qu’un enregistrement d’une marque simplement pour des “logiciels” est normalement trop large. Selon moi, la caractéristique déterminante d’un logiciel particulier n’est ni le support sur lequel il est enregistré, ni le fait qu’il contrôle un ordinateur, ni les canaux de distribution qu’il emprunte, mais sa fonction. Un logiciel qui permet à un ordinateur de se comporter comme un simulateur de vol est un produit complètement différent d’un logiciel qui, par exemple, permet à un ordinateur la reconnaissance optique des caractères d’un texte ou la conception d’une usine chimique. Selon moi, il n’est absolument pas souhaitable qu’une entreprise qui s’intéresse à un domaine limité de logiciels puisse, grâce à un enregistrement, obtenir un monopole légal à durée indéterminée couvrant tous les types de logiciels, y compris ceux qui sont très éloignés du domaine d’activité qui l’intéresse ».

78.      À cet égard, SkyKick fait remarquer à juste titre que, dans nos sociétés modernes, un éventail pratiquement sans limite de produits « intelligents » intègrent un logiciel ou en sont accompagnés : consoles de jeux, livres électroniques, appareils électroménagers, jouets, téléviseurs, réveils, etc. (sans parler d’applications comme le logiciel d’exploitation du Grand collisionneur de hadrons), ils comprennent tous des logiciels, mais sont tous parfaitement dissemblables. Après tout, l’intention de la réglementation de l’Union en matière de marques n’est pas qu’une société proposant des machines à laver puisse faire l’objet d’une action en contrefaçon parce qu’elle fournit des produits identiques (des logiciels) à ceux d’un fournisseur de plates-formes de négociation de titres.

79.      En bref, selon moi, l’enregistrement d’une marque pour des « logiciels » est injustifié et contraire à l’intérêt public, car il confère au titulaire un monopole extrêmement étendu qui ne saurait être justifié par un quelconque intérêt commercial de celui‑ci.

80.      Il convient de relever, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, que ce point de vue est également reconnu par la pratique du Patent and Trademark Office (USPTO, office des brevets et des marques) des États-Unis d’Amérique et le Trademark Manual of Examining Procedure (TMEP, guide d’examen des marques) de celui‑ci (dans le système des marques des États‑Unis, il n’est pas possible de désigner un produit par « programme informatique » ; dans un souci de précision, le demandeur à l’enregistrement doit également préciser le type ou l’objectif du logiciel et le domaine d’utilisation) (25). Le 21 juin 2012, l’examinateur de l’USPTO a émis des objections à l’encontre des expressions « programme informatique » et « services informatiques » : « la formule “programme informatique” […] est indéterminée et doit être précisée parce que son objectif doit être indiqué […] La désignation “programme informatique” doit préciser l’objectif ou la fonction du logiciel. »

81.      À l’instar de la juridiction de renvoi, je considère qu’il est difficile de comprendre pourquoi les motifs qui ont conduit l’ETMDN à conclure que le terme « machines » de la classe 7 n’est pas suffisamment clair et précis ne devraient pas s’appliquer également aux termes « logiciel » (voir note 5 des présentes conclusions) ; « services de télécommunications » (voir arrêt au principal, point 163) ; ou « services financiers » (26), dans la présente affaire.

c)      Quels sont les critères pertinents pour déterminer si un terme est suffisamment clair et précis ?

82.      Je suis parvenu à la conclusion que le point de départ de l’examen des critères pertinents pour déterminer la clarté et la précision se trouve dans la jurisprudence des juridictions de l’Union visant à déterminer s’il a été satisfait à l’exigence d’« usage » concernant certains produits et services, mais non pas tous. Ainsi que l’a suggéré la doctrine (27), cela est important, car cette jurisprudence explique comment les parties d’une marque qui n’ont pas été utilisées sont séparées de celles qui l’ont été. Elle indique le degré de spécificité idéal requis pour que la marque soit valide et, en tout état de cause, le degré de précision requis après cinq ans.

83.      Jusqu’à présent, seul le Tribunal a eu l’occasion de se prononcer sur cette question. Dans l’arrêt du 14 juillet 2005, Reckitt Benckiser (España)/OHMI – Aladin (ALADIN) (T‑126/03, EU:T:2005:288, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi) (28), il a défini dans les grandes lignes son approche de l’usage partiel d’un produit ou d’un service. Il a identifié les deux forces qui agissent sur la portée de l’usage. Lorsqu’une marque a été utilisée seulement pour quelques produits ou services, il est impossible de considérer qu’elle a été utilisée pour toute la gamme des produits et services pour lesquels elle a été enregistrée (point 44 de cet arrêt). J’estime que cette approche est correcte en ce qu’elle envisage des produits particuliers en termes de catégories et de sous-catégories. L’usage dans une catégorie est suffisant pour maintenir la catégorie entière lorsque cette dernière ne peut pas être divisée en sous-catégories suffisamment distinctes (points 45 et 46) autrement que de manière arbitraire (29). Partant, il est nécessaire de déterminer si une catégorie inclut ou non des sous-catégories autonomes dont relèveraient les produits et services de manière à devoir considérer que la preuve de l’usage a été apportée uniquement pour cette sous-catégorie de produits ou de services alors que, en revanche, si de telles sous-catégories ne sont pas concevables, l’usage peut être établi pour toute la catégorie (30).

84.      C’est pourquoi je considère que la Cour devrait juger que cette intention d’utiliser la marque devrait correspondre à la révocation pour défaut d’usage (31).

85.      En effet, la Commission a déjà proposé une telle approche il y a environ onze ans, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361, voir points 31 et 32) (32), approche selon laquelle l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) doit vérifier lors de la procédure d’enregistrement d’un signe en tant que marque si cet enregistrement est effectué en vue de l’usage effectif de cette marque. En revanche, si l’EUIPO enregistre un signe en tant que marque et si cette dernière n’est pas, ensuite, effectivement utilisée, les tiers pourront également, sur le fondement de l’article 51, paragraphe 1, point b), du règlement no 40/94, faire valoir, avant l’écoulement d’un délai de cinq ans, que le demandeur était de mauvaise foi au moment de l’enregistrement dudit signe en tant que marque et demander que celle‑ci soit, pour ce motif, déclarée nulle. S’agissant des critères pertinents aux fins de déterminer si le demandeur était de mauvaise foi, la Commission mentionne le comportement de ce dernier sur le marché, le comportement des autres opérateurs à l’égard du signe qui a été déposé, le fait que le demandeur dispose, au moment du dépôt, d’un portefeuille de marques, ainsi que toutes les autres circonstances propres au cas d’espèce.

86.      C’est une approche raisonnable dans la mesure où « lorsque, à la date de la demande d’enregistrement, l’intention d’utiliser la marque n’est pas suffisante pour résister à une action en déchéance cinq ans plus tard, une juridiction devrait conclure que la demande d’enregistrement a été déposée de mauvaise foi. Rien ne changerait lors de l’examen, l’office des marques n’aurait toujours aucune obligation de déterminer s’il existait une intention d’utiliser la marque au moment du dépôt de la demande d’enregistrement, […] il appartiendrait plutôt à des tiers de demander l’annulation de la marque après que celle‑ci a été enregistrée [ou de former une opposition devant l’office des marques lorsqu’il est possible d’invoquer des motifs absolus de refus]. [E]n pratique, cela impliquerait (généralement) que la nullité serait demandée uniquement lorsqu’un tiers veut utiliser la marque inutilisée [comme dans l’affaire au principal] ; autrement, la marque inutilisée (y compris lorsqu’il n’y a jamais eu d’intention de l’utiliser) resterait tout simplement dans le registre (comme c’est le cas maintenant) » (33).

B.      Sur la troisième question préjudicielle

1.      Résumé succinct de l’argumentation des parties

87.      Sky soutient qu’une marque enregistrée au niveau des États membres ou de l’Union n’est soumise à aucune exigence liée à l’usage autre que celles spécifiquement prévues par la législation applicable de l’Union en vue d’une évaluation entièrement objective menée dans le cadre d’une demande de sanctions faite inter partes après l’expiration d’une période ininterrompue de cinq ans de non‑usage. L’application de sanctions pour non‑usage ne dépend pas de l’existence d’une intention subjective du titulaire de la marque. Sky ajoute qu’il est inenvisageable d’adopter ou d’appliquer une règle prévoyant que la protection d’une marque enregistrée est ou a été subordonnée à l’existence, à la date de la demande d’enregistrement, d’une « déclaration d’intention d’utiliser la marque », expresse ou tacite, que ce soit au niveau de l’État membre ou à celui de l’Union. Le Royaume‑Uni ne saurait adopter ni appliquer une règle différente, de son propre chef, sur la base de la notification qu’il a faite au titre de la règle 7, paragraphe 2, du règlement d’exécution commun à l’arrangement et au protocole de Madrid (34). Il est inenvisageable d’adopter ou d’appliquer une règle qui aurait pour effet d’assimiler tout bonnement à de la mauvaise foi l’absence d’intention d’utiliser une marque pour l’ensemble des produits et services couverts par la demande d’enregistrement déposée au niveau des États membres ou de l’Union.

88.      SkyKick soutient en substance qu’il conviendrait de répondre affirmativement à la troisième question, dans la mesure où Sky a agi de mauvaise foi.

89.      Le gouvernement du Royaume‑Uni propose de répondre conjointement et affirmativement aux troisième et quatrième questions.

90.      Selon le gouvernement français, il conviendrait de traiter conjointement les troisième, quatrième et cinquième questions et d’y répondre négativement. Ce gouvernement fait valoir notamment que la Cour exigerait aussi que le demandeur ait une intention de nuire à un tiers et que, dès lors, la seule circonstance d’avoir réalisé une demande d’enregistrement d’une marque sans intention d’utiliser cette dernière ne constituerait pas un motif suffisant pour caractériser l’existence d’un acte de mauvaise foi. Il fait valoir en outre que, si, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque de l’Union européenne est soumise à une sanction pour non‑usage, et une telle sanction trouve à s’appliquer indépendamment d’une intention du titulaire de la marque d’utiliser ou non les produits et services énumérés dans sa demande d’enregistrement.

91.      Les gouvernements hongrois, polonais et slovaque ne proposent pas de réponse à cette question.

92.      Selon le gouvernement finlandais, il convient de répondre négativement à cette question. Ce gouvernement et la Commission avancent des arguments similaires et considèrent que l’intention du demandeur peut être un « élément de mauvaise foi » dans certaines circonstances, lorsque l’unique objectif est d’empêcher l’entrée d’un tiers sur le marché. L’absence d’une véritable intention d’utiliser la marque peut, « dans certaines circonstances », étayer la conclusion selon laquelle la demande a été déposée de mauvaise foi, lorsqu’il est établi que le seul objectif poursuivi par le demandeur de marque était d’empêcher les tiers d’« entrer sur le marché » (35).

2.      Appréciation

93.      La troisième question porte sur le point de savoir si les marques ont été enregistrées de mauvaise foi parce que Sky n’avait pas l’intention de les utiliser pour tous les produits et services énumérés sur les listes des produits et services respectives et, de fait, a demandé l’enregistrement de certaines des marques sans aucune intention de les utiliser pour les produits et services visés. C’est pourquoi, en l’espèce, la Cour va devoir se prononcer sur le sens et la portée de la notion de « mauvaise foi » au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 et de l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la première directive 89/104 (36).

94.      De mon point de vue, lorsque la juridiction de renvoi a constaté que le demandeur, comme Sky en l’espèce, avait une intention délibérée d’acquérir des droits qu’il n’avait aucune intention d’utiliser au bout du compte, afin notamment d’empêcher des tiers d’utiliser la marque enregistrée pour commercialiser ces biens et services, alors il y a mauvaise foi (37). En effet, l’enregistrement délibéré de produits et de services sans intention de les commercialiser reflétera nécessairement l’intention d’abuser du système des marques. Permettre l’annulation d’une marque pour mauvaise foi en raison de l’absence d’intention d’utiliser celle‑ci pour certains des produits et services énumérés sur la liste est non seulement conforme aux objectifs mêmes du règlement no 40/94 et de la première directive 89/104 (ainsi que des règlements et directives ultérieurs), mais aussi à la genèse législative de cette notion (voir point 115 des présentes conclusions).

95.      En effet, la juridiction de renvoi relève à juste titre qu’il s’agit de questions importantes : les circonstances dans lesquelles l’enregistrement d’une marque peut être réalisé et l’étendue de la couverture ainsi obtenue sont des caractéristiques essentielles de tout système de marques et sont essentielles pour l’équilibre de ce système. Permettre l’enregistrement de marques sans exiger un usage effectif de celles‑ci, comme le fait le système européen (à la différence, par exemple, du système américain), présente certainement des avantages. Les deux avantages principaux sont, premièrement, que cela permet plus facilement aux titulaires de signes d’obtenir une protection de leurs marques avant un lancement commercial et, deuxièmement, que cela rend la procédure d’enregistrement plus simple, plus rapide et moins chère. Toutefois, si l’enregistrement est trop facile à obtenir ou couvre un domaine trop étendu, comme en l’espèce, cela constitue un obstacle à l’entrée de tiers, puisque la quantité de marques adéquates disponibles diminue, ce qui augmente les coûts susceptibles d’être répercutés sur les consommateurs et entraîne une érosion du domaine public.

96.      Je suis également d’accord avec la juridiction de renvoi pour considérer que, si une demande d’enregistrement d’une marque est déposée sans intention d’utiliser cette marque pour les produits et services indiqués, rien ne peut empêcher l’enregistrement (si la marque remplit par ailleurs les autres conditions à cet effet). De surcroît, l’invocation de la mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement est la seule façon d’obtenir la radiation d’une marque ou de réduire la portée de l’enregistrement avant l’expiration du délai de cinq ans requis avant de pouvoir attaquer la marque pour défaut d’usage. Si une marque peut être enregistrée sans aucune intention d’utiliser celle‑ci pour la totalité ou une partie des produits et services indiqués et si l’enregistrement ne peut pas être attaqué en invoquant la mauvaise foi, alors, cela ouvre la porte aux abus. La jurisprudence montre des exemples de tels abus (38).

97.      Il se trouve que la Cour a examiné ces questions dans une affaire récente. Je suis d’accord avec l’avocat général Kokott qui propose comme critère de la mauvaise foi l’obtention d’un avantage indu de la marque de l’Union européenne (39).

98.      Dans son arrêt dans cette affaire (arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 45), la Cour a tout d’abord rappelé que les règles sur la marque de l’Union européenne visent, en particulier, à contribuer au système de concurrence non faussée dans l’Union, dans lequel chaque entreprise doit, afin de s’attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre provenance.

99.      Ensuite, au point 46 de cet arrêt, elle a jugé que « la cause de nullité absolue visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 s’applique lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine ».

100. À cet égard, la Cour a déjà jugé que « l’existence de la mauvaise foi du demandeur, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce » et que « l’intention du demandeur au moment pertinent est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce » (40).

101. De surcroît, dans l’arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO (C‑104/18 P, EU:C:2019:724, points 62 et suiv.), la Cour a également jugé important de constater que le Tribunal s’était « abstenu d’examiner si la demande d’une marque contenant le mot stylisé “KOTON” pour des produits et des services des classes 25, 35 et 39 au sens de l’arrangement de Nice présentait une logique commerciale au regard des activités de l’intervenant ». En outre, elle a jugé que, bien que le Tribunal ait mentionné la « logique commerciale dans laquelle s’inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement » et « la chronologie des événements ayant caractérisé ledit dépôt » comme des éléments susceptibles d’être pertinents, il ne les a pas pleinement examinés dans la suite de son arrêt. La Cour a accueilli le moyen invoqué dans le cadre du pourvoi et annulé l’arrêt du Tribunal.

102. Contrairement à la Cour, le Tribunal a déjà produit une jurisprudence relative à la mauvaise foi. S’il est vrai que de nombreuses affaires peuvent dépendre des circonstances individuelles de chaque cas, la jurisprudence du Tribunal reconnaît aussi que, au moins dans certaines circonstances, l’enregistrement d’une marque sans intention (véritable) de l’utiliser peut être constitutif de mauvaise foi (41).

103. Je considère que la jurisprudence du Tribunal citée ci-avant confirme à juste titre qu’il est pertinent de rechercher la logique commerciale dans laquelle s’inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement (42). Par exemple, le Tribunal a considéré qu’un comportement qui n’était pas une activité économique légitime mais contraire aux objectifs du règlement no 207/2009 était constitutif de mauvaise foi parce qu’il relevait de l’abus de droit. Cet arrêt soutient également le point de vue selon lequel l’enregistrement d’une marque sans intention d’utiliser celle‑ci pour les produits et services énumérés sur la liste est en principe constitutif de mauvaise foi (43).

104. Contrairement au gouvernement français, je considère que mon approche et mon interprétation de la notion de « mauvaise foi » du demandeur, couvrant des cas de figure dans lesquels celui‑ci enregistre un signe pour des produits et services sans intention d’utiliser ce signe pour ces produits et services, ne risquent pas de priver le mécanisme de déchéance de son effet utile. Ainsi que le montre l’exemple présenté à l’audience par le gouvernement du Royaume‑Uni, si quelqu’un a demandé l’enregistrement de la marque TAXI pour trois types de denrées alimentaires : des biscuits, des yaourts et de la viande cuite, il a l’intention d’utiliser la marque pour ces trois types de denrées. Si, ensuite, cinq ans plus tard, il ne l’a pas utilisée pour des biscuits, alors sa marque risque tout simplement d’être annulée pour les biscuits en raison du non‑usage. En d’autres termes, le demandeur aura du mal à invoquer cette marque vis-à-vis d’un autre producteur. Dans cet exemple, il n’y a aucune incompatibilité avec la mauvaise foi. Il était justifié commercialement que le demandeur veuille à l’avenir couvrir l’utilisation éventuelle ou élargir l’usage de sa marque à d’autres produits. En revanche, s’il demandait l’enregistrement de la même marque pour des biscuits, des yaourts, de la viande cuite, des avions et des instruments chirurgicaux, alors ce monopole empêcherait tout producteur d’avions et d’instruments chirurgicaux d’utiliser le terme « taxi » en tant que marque pour leur société. Partant, si la demande d’enregistrement du demandeur visait à empêcher des tiers d’utiliser ces termes alors qu’il n’avait aucune intention d’utiliser ce terme en tant que marque, alors, dans ce cas, la demande d’enregistrement est abusive, puisqu’elle n’a rien à voir avec les activités du demandeur.

105. De surcroît, c’est la motivation au moment du dépôt de la demande d’enregistrement qui compte, alors que, en vue de la déchéance, c’est l’usage fait ou non au cours des cinq premières années qui compte.

106. Je considère en fait plutôt que c’est en réalité le mécanisme de la déchéance qui risque de priver le mécanisme de la mauvaise foi de son propre champ d’application.

107. Le Tribunal a jugé également que « l’intention d’empêcher un tiers de commercialiser un produit peut, dans certaines circonstances, caractériser la mauvaise foi du demandeur, lorsqu’il s’avère, ultérieurement, que le demandeur a fait enregistrer en tant que marque de l’Union européenne un signe sans intention de l’utiliser » (44). On peut considérer qu’ainsi, le Tribunal a jugé clairement que demander l’enregistrement d’une marque sans intention de l’utiliser pour les produits et services énumérés dans la liste des produits et services est en soi constitutif de mauvaise foi.

108. Je suis d’accord également avec la jurisprudence du Royaume‑Uni (45) considérant que la mauvaise foi « englobe la malhonnêteté et […] des agissements qui ne répondent pas aux normes d’un comportement commercial acceptable, respectées par des personnes raisonnables et expérimentées dans le secteur particulier examiné » (46).

109. Il est déjà possible de déduire de la jurisprudence de la Cour que l’enregistrement d’une marque sans aucune intention de l’utiliser peut être constitutif de mauvaise foi (47). En effet, je considère (comme la juridiction de renvoi) que, premièrement, même si une marque enregistrée n’est soumise dans les règlements et les directives applicables à aucune exigence liée à l’intention de l’utiliser et ne peut pas être déchue pour non‑utilisation avant l’expiration d’un délai de cinq ans, la jurisprudence de la Cour laisse entendre que, au moins dans certaines circonstances, il peut être constitutif de mauvaise foi de demander l’enregistrement d’une marque sans aucune intention de l’utiliser pour les produits et services désignés, dans la mesure où cela est un abus du système des marques (c’est également l’avis du gouvernement du Royaume‑Uni et de la Commission). Deuxièmement, la jurisprudence indique qu’il n’est pas suffisant pour démontrer la mauvaise foi que le demandeur ait demandé l’enregistrement de la marque pour un large éventail de produits et services, si celui‑ci peut justifier d’un motif commercial raisonnable pour demander une telle protection compte tenu de son usage ou de l’usage projeté de la marque.

110. J’ajouterai que, lorsqu’un demandeur dépose une demande d’enregistrement d’une marque sans aucune intention d’utiliser cette dernière, cette demande d’enregistrement est privée de justification. Il s’agit en substance non pas d’une demande d’enregistrement d’une marque mais plutôt d’une demande anticoncurrentielle visant à empêcher des tiers de développer leurs propres activités commerciales. Tel n’est pas, à l’évidence, l’objectif du système des marques.

111. La Cour a également reconnu que le fait de demander une marque sans avoir l’intention de l’utiliser dans la vie des affaires mais dans le seul but d’enregistrer un nom de domaine Internet peut être constitutif de mauvaise foi (48). Le demandeur voulait enregistrer le nom de domaine « .eu » pour un mot allemand (pour des pneus de voitures) en l’enregistrant en tant que marque suédoise (pour des ceintures de voitures ou « ceintures de sécurité »), afin de le convertir ensuite en un nom de domaine en application du règlement applicable. La Cour a appliqué la jurisprudence de l’arrêt Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (49) et jugé qu’il ressortait de la décision de renvoi que, bien que la requérante ait enregistré en Suède la marque verbale &R&E&I&F&E&N& pour des ceintures de sécurité, elle n’avait aucune intention d’utiliser la marque dans la mesure où elle « envisageait en réalité d’exploiter un site Internet dédié au commerce de pneus dont elle prévoyait l’enregistrement ». Ce qui se passait en réalité dans cette affaire était plutôt une tentative de profiter de la réglementation de l’Union en matière de marques (50). En d’autres termes, la Cour a conclu que demander l’enregistrement de marques à des fins de « cybersquattage » pourrait être constitutif de mauvaise foi dans le cadre de cette réglementation. Ainsi que je le soutiens dans les présentes conclusions, un raisonnement similaire s’applique de manière plus générale au système d’enregistrement des marques.

112. Le Tribunal a également reconnu que l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne auprès de l’EUIPO dans le cadre d’une stratégie d’obstruction peut être constitutif de mauvaise foi (51).

113. Le Tribunal a jugé au point 51 de l’arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus‑Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO) (T‑82/14, EU:T:2016:396), que « l’enchaînement successif de demandes d’enregistrement de marques nationales pour le même signe pour des produits et des services relevant de classes au moins partiellement identiques vise à conférer à M. A. une position de blocage. En effet, lorsqu’un tiers dépose une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne identique ou similaire, M. A. demande l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, revendique la priorité pour celle‑ci en se basant sur le dernier maillon de la chaîne des demandes d’enregistrement de marques nationales et forme une opposition en se fondant sur ladite demande de marque de l’Union européenne. L’enchaînement successif de demandes d’enregistrement de marques nationales vise donc à lui conférer une position de blocage pour une période excédant la durée du délai de réflexion de six mois prévu par l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 et même celle du délai de grâce de cinq ans prévu par l’article 51, paragraphe 1, sous a), dudit règlement ».

114. Je considère que, si le demandeur n’a pas l’intention d’utiliser la marque, il importe peu de savoir si ce dernier a l’intention d’empêcher un tiers en particulier ou tous les tiers d’utiliser la marque. Dans ces circonstances, le demandeur recherche de façon abusive un monopole afin d’empêcher des concurrents potentiels d’utiliser un signe qu’il n’a pas l’intention d’utiliser. Cela constitue un détournement du système des marques.

115. Enfin, de mon point de vue, les travaux préparatoires corroborent l’analyse ci-avant. Il ressort desdits travaux, concernant la notion de mauvaise foi, que l’annulation d’une marque pour mauvaise foi recouvre également des situations d’enregistrement sans intention d’utiliser les (ou certains des) produits ou services désignés. En 1984, au sein du groupe de travail du Conseil de l’Union européenne relatif au règlement sur la marque de l’Union européenne, la délégation allemande a expressément proposé que l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne soit subordonné à l’existence d’une « intention de bonne foi d’usage » (document de la délégation allemande du 12 octobre 1984, 9755/84, p. 7 et 8). Cette proposition a été ensuite acceptée en 1985 et, en 1986, elle a été adoptée à l’article 41, paragraphe 1, sous b), en tant que cause de nullité absolue. Dans les versions ultérieures de cette disposition, la formulation d’absence d’intention « de bonne foi » d’usage a été remplacée par le terme plus général de « mauvaise foi », finalement employé à l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 (actuel article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001).

116. Une partie de la doctrine (52) a considéré que le remplacement d’une exigence explicite d’intention de bonne foi d’utiliser une marque simplement par l’expression « mauvaise foi » visait à exclure du règlement (et de la directive) l’exigence d’une intention d’utiliser la marque. J’estime qu’elle a tort.

117. En effet, je ne vois aucune indication en ce sens dans les travaux préparatoires et je trouve beaucoup plus convaincant le point de vue du reste de la doctrine (53), selon lequel le remplacement de l’exigence explicite par l’expression plus générale « mauvaise foi » visait à élargir la portée de la disposition en recouvrant une intention de bonne foi d’usage et différentes formes de mauvaise foi (54).

C.      Sur la quatrième question préjudicielle

1.      Résumé succinct de l’argumentation des parties

118. Sky soutient que, lorsqu’un grief fondé sur la mauvaise foi est accueilli, il s’impose de ne l’appliquer qu’aux seuls produits et services concernés. Il est de jurisprudence constante que l’examen des motifs de refus doit porter sur chacun des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement de la marque est demandé ou obtenu (55).

119. SkyKick soutient à titre principal que lorsqu’une marque a été demandée sans intention de l’utiliser pour l’ensemble des produits et services pour lesquels l’enregistrement est sollicité et que cette quête de droits démesurés répond à une stratégie délibérée, la conséquence en sera la nullité totale de l’enregistrement. Elle s’appuie sur l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 qui prévoit que la nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée lorsque « le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande ». Elle soutient que le seul arrêt des juridictions de l’Union (dont elle ait connaissance) qui traite de cette question corrobore directement sa thèse. Dans l’arrêt SA.PAR./OHMI – Salini Costruttori (GRUPPO SALINI) (56), le Tribunal a jugé que « l’existence de la mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement emporte en soi la nullité dans son intégralité de la marque contestée ». Cette solution est également conforme au principe fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout) partagé par le droit de nombreux États membres, dont le common law anglais (57).

120. À titre subsidiaire, SkyKick soutient que la réponse à la question de savoir si la mauvaise foi entraîne la nullité d’une marque dépend d’une analyse au cas par cas qui dépend d’une appréciation multifactorielle. Parmi les facteurs à prendre en compte, il y a : l’existence de justifications commerciales ; la mesure dans laquelle le demandeur a ignoré la sécurité juridique nécessaire aux tiers et aux autorités ; la taille et les ressources du titulaire de la marque ; le nombre de produits et de services et la mesure dans laquelle ils se chevauchent ; le caractère distinctif de la marque ; la question de savoir si les droits en cause sont redondants, ont été « perpétués » ; une politique offensive d’exécution de la marque à l’égard de produits et services que son titulaire n’avait pas l’intention d’utiliser ; la question de savoir si le titulaire peut raisonnablement justifier sa demande de marque.

121. Le gouvernement du Royaume‑Uni propose une réponse à cette question dans le cadre de sa réponse à la troisième question. Le gouvernement français propose d’y répondre conjointement avec les troisième et cinquième questions. Les gouvernements hongrois, polonais et slovaque ne proposent pas de réponse à cette question.

122. Le gouvernement finlandais et la Commission soutiennent en substance que la réponse à la quatrième question doit être affirmative. L’extension de l’effet du motif de nullité aux produits ou services pour lesquels la marque est effectivement utilisée serait une conséquence à caractère de sanction qui n’est pas fondée sur le libellé des dispositions.

2.      Appréciation

123. Comme la réponse à la troisième question est affirmative, il est nécessaire de préciser quelles sont les conséquences de la mauvaise foi d’un demandeur lors du dépôt de la demande d’enregistrement lorsque cette mauvaise foi concerne seulement une partie des produits et services couverts par l’enregistrement.

124. De mon point de vue, la juridiction de renvoi indique à juste titre qu’une marque peut être déclarée nulle pour partie si la demande d’enregistrement a été déposée pour partie de mauvaise foi.

125. En effet, il suffit de relever qu’il découle clairement de l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 40/94 et de l’article 13 de la première directive 89/104 que, lorsque le motif de nullité concerne seulement certains des produits ou services désignés dans la demande d’enregistrement, la marque doit être déclarée nulle seulement concernant ces produits ou services.

126. C’est pourquoi je considère que la jurisprudence du Tribunal (58) suggérant le contraire (c’est‑à‑dire que la mauvaise foi entraîne la nullité de la marque dans son intégralité) est erronée.

127. Partant, à la lumière de l’article 13 de la première directive 89/104 et de l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 40/94, lorsque le motif de nullité concerne seulement certains des produits et services pour lesquels la marque est enregistrée, la marque doit être déclarée nulle seulement concernant ces produits ou services.

D.      Sur la cinquième question préjudicielle

1.      Résumé succinct de l’argumentation des parties

128. Sky soutient que l’article 32, paragraphe 3 de la loi de 1994 sur les marques est incompatible avec le mécanisme du droit de l’Union applicable à la protection des marques enregistrées au niveau des États membres et au niveau de l’Union. Il serait, en tout état de cause, impossible d’interpréter ou d’appliquer une disposition nationale telle que cet article 32, paragraphe 3 : i) de telle manière que la notion de mauvaise foi qu’elle contient ne corresponde pas à la notion autonome de mauvaise foi du droit de l’Union ; ou ii) de manière à imposer, directement ou indirectement, une exigence liée à l’usage différente ou plus stricte que celle imposée et prévue en substance par le droit de l’Union applicable à la déchéance de la marque et à la « preuve de l’usage », à titre de condition préalable pour faire valoir les droits conférés par l’enregistrement.

129. Le gouvernement du Royaume‑Uni soutient que cette question est irrecevable dans la mesure où la directive 2015/2436 n’a pas encore été transposée dans le droit de cet État membre.

130. SkyKick et (à titre subsidiaire) le gouvernement du Royaume‑Uni soutiennent que l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques impose une condition procédurale, selon laquelle la demande d’enregistrement doit indiquer que la marque est effectivement utilisée ou que le demandeur a l’intention de l’utiliser, et qu’il est ainsi compatible avec le droit de l’Union en matière de marques nationales et de marques de l’Union européenne.

131. Le gouvernement français propose de répondre à cette question conjointement avec les troisième et quatrième questions. Les gouvernements hongrois, polonais, slovaque et finlandais ne proposent aucune réponse à cette question.

132. La Commission soutient, en substance, que l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques n’est pas incompatible avec le droit de l’Union.

2.      Appréciation

133. La juridiction de renvoi explique que les juridictions du Royaume‑Uni considèrent que la violation de l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques en faisant une fausse déclaration peut être invoquée dans le cadre d’une demande d’annulation d’une marque fondée sur l’interdiction de la mauvaise foi. En d’autres termes, au Royaume‑Uni, la déclaration faite au titre de l’article 32, paragraphe 3, peut servir de preuve pour montrer une éventuelle mauvaise foi du demandeur, ce qui constitue un motif de nullité absolue.

134. La juridiction de renvoi demande si cette disposition est compatible avec la directive 2015/2436 et les directives antérieures, c’est pourquoi l’objection d’irrecevabilité du gouvernement du Royaume‑Uni doit être rejetée.

135. Les directives pertinentes laissent aux États membres une autonomie en ce qui concerne les questions procédurales, mais certaines questions de fond ne sont pas harmonisées. En effet, d’après le cinquième considérant de la première directive 89/104 (qui correspond au considérant 6 de la directive 2008/95), « les États membres gardent également toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement, la déchéance ou la nullité des marques acquises par l’enregistrement ; […] il leur appartient, par exemple, de déterminer la forme des procédures d’enregistrement et de nullité, de décider si les droits antérieurs doivent être invoqués dans la procédure d’enregistrement ou dans la procédure de nullité ou dans les deux, ou encore, dans le cas où des droits antérieurs peuvent être invoqués dans la procédure d’enregistrement, de prévoir une procédure d’opposition ou un examen d’office ou les deux ; […] les États membres conservent la faculté de déterminer les effets de la déchéance ou de la nullité des marques » (mise en italique par mes soins).

136. De surcroît, le septième considérant de cette directive (qui correspond au considérant 8 de la directive 2008/95) indique notamment que « les États membres pourront maintenir ou introduire dans leur législation des motifs de refus ou de nullité liés à des conditions d’acquisition ou de conservation du droit sur la marque pour lesquelles il n’existe pas de dispositions de rapprochement et qui sont relatives, par exemple, à la qualité du titulaire de la marque, au renouvellement de la marque, au régime des taxes ou au non‑respect des règles de procédure » (59).

137. En tout état de cause, ce qui importe aux fins de la présente affaire, c’est que, de mon point de vue, l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques ne prévoit pas de nouveau motif de nullité.

138. En effet, il ne fait que fixer les exigences procédurales relatives aux demandes dans la mesure où il énonce les éléments qui doivent accompagner une demande de marque. Une disposition du type de cet article 32, paragraphe 3, peut également permettre d’atteindre un certain nombre d’objectifs liés à la déchéance ou à la nullité, y compris le non‑respect de règles de procédure ou de fond.

139. S’il est vrai que la violation de l’obligation procédurale imposée par cet article peut être invoquée à l’appui de la nullité d’une marque enregistrée, il n’en demeure pas moins qu’une telle nullité, si elle est établie, sera fondée sur l’exigence de mauvaise foi au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la première directive 89/104.

140. Je considère (comme la Commission) que l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques, en tant que tel, est seulement une condition procédurale de non‑conformité, qui est utile pour apporter la preuve de la mauvaise foi dans toutes les circonstances de l’espèce. L’article 32, paragraphe 3, ne précise pas les conséquences juridiques liées à une déclaration du demandeur de la marque qui se révélerait inexacte. Cela devrait en soi être assimilé à un motif de nullité, la mauvaise foi trouvant à s’appliquer si le demandeur n’avait pas, de bonne foi, l’intention d’utiliser la marque pour tous les produits et services spécifiés. En d’autres termes, un motif de nullité fondé sur la mauvaise foi ne pourrait pas trouver à s’appliquer sur la seule base de la formulation d’une fausse déclaration en vertu de l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques. Une telle fausse déclaration pourrait, toutefois, faire partie des éléments de preuve.

141. C’est pourquoi je ne vois pas comment cet article 32, paragraphe 3, pourrait empêcher la juridiction de renvoi de se conformer à son obligation d’interpréter le droit national conformément à la directive dans la mesure où cette disposition ne précise pas les conséquences juridiques attachées à une déclaration du demandeur de la marque qui se révélerait fausse.

142. Partant, l’article 32, paragraphe 3, de la loi de 1994 sur les marques n’est pas incompatible avec la première directive 89/104, à condition de ne pas constituer la seule base juridique d’un constat de mauvaise foi.

III. Conclusion

143. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles déférées par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et Pays de Galles), division de la Chancery, Royaume‑Uni] :

1)      Une marque de l’Union européenne ou une marque nationale enregistrée dans un État membre ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement nulle au motif que certains ou tous les termes de la spécification des produits et services ne sont pas suffisamment clairs et précis. Néanmoins, un manque de clarté et de précision de la liste des produits et services peut être pris en considération lors de l’appréciation de l’étendue de la protection conférée par la marque enregistrée.

2)      Toutefois, une marque qui ne satisferait pas à l’exigence de clarté et de précision pourrait être nulle car contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques et de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, dans la mesure où l’enregistrement d’une marque pour des « logiciels » est injustifié et contraire à l’ordre public. Un terme tel que « logiciel » est trop général et désigne des produits qui sont trop variés pour être compatible avec la fonction d’indication de l’origine de la marque, si bien qu’il n’est pas suffisamment clair et précis pour permettre aux autorités compétentes et aux tiers de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque sur la seule base de ce terme.

3)      Dans certaines circonstances, demander l’enregistrement d’une marque sans aucune intention d’utiliser celle‑ci pour les produits ou services désignés peut constituer un élément de mauvaise foi, notamment lorsque le seul objectif du demandeur est d’empêcher un tiers d’entrer sur le marché, y compris lorsqu’il y a des preuves d’une stratégie d’enregistrement abusif, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

4)      À la lumière de l’article 13 de la première directive 89/104 et de l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 40/94, lorsque le motif de nullité concerne seulement certains des produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, cette dernière doit être déclarée nulle seulement concernant ces produits ou services.

5)      L’article 32, paragraphe 3, du UK Trade Marks Act 1994 (loi de 1994 sur les marques) n’est pas incompatible avec la première directive 89/104, à condition de ne pas constituer la seule base pour conclure à la mauvaise foi.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Ce type de service de « migration » est également appelé « kick ». Les produits spécifiques des défenderesses au principal sont la migration vers le nuage, le stockage dans le nuage et des services de gestion du nuage. Ils sont fournis en tant que complément du logiciel Microsoft Office 365. Le nom SkyKick a été choisi parce qu’il ressemble à « sidekick » et évoque le service proposé par la société, consistant à faire migrer (« kick ») les données d’utilisateurs vers le nuage (« sky »).


3      Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Praktiker Bau- und Heimwerkermärkte (C‑418/02, EU:C:2005:12, point 47).


4      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).


5      Communication commune sur la pratique commune relative aux indications générales des intitulés de classes de la classification de Nice, publiée le 20 novembre 2013. Cette communication a identifié cinq termes non clairs ou non précis figurant dans les intitulés de classe : classe 7, “machines” ; classe 37, “réparation” ; classe 37, “services d’installation” ; classe 40, “traitement de matériaux” ; et classe 45, “services personnels et sociaux rendus par des tiers destinés à satisfaire des besoins individuels”. Elle affirme que « le terme “machines” ne donne pas une indication claire des machines qui sont couvertes. Les machines peuvent avoir des caractéristiques ou des finalités différentes ; leur production et/ou utilisation peuvent nécessiter des niveaux très différents de compétences techniques et de savoir-faire ; elles pourraient s’adresser à des consommateurs différents, être vendues par des canaux de distribution différents et, par conséquent, concerner des segments de marché différents ».


6      Cette disposition prévoit que « [l]a demande [d’enregistrement d’une marque] indique que la marque est utilisée, par le déposant ou avec son autorisation, pour [les] produits ou services [indiqués dans la demande d’enregistrement] ou qu’il a de bonne foi l’intention de l’utiliser ainsi ».


7      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1).


8      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25).


9      Règlement du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1).


10      Arrêts du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland (C‑363/99, EU:C:2004:86, point 34), et du 7 juillet 2005, Nestlé (C‑353/03, EU:C:2005:432, point 25).


11      Règlement du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1891/2006 du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO 2006, L 386, p. 14) (ci-après le « règlement no 40/94 »).


12      Première directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).


13      Voir arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a. (C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 31).


14      Arrêt du 9 mars 2006, Matratzen Concord (C‑421/04, EU:C:2006:164, point 19).


15      Arrêt du 27 juin 2013, Malaysia Dairy Industries (C‑320/12, EU:C:2013:435, point 42).


16      Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire The Chartered Institute of Patent Attorneys (C‑307/10, EU:C:2011:784, point 68).


17      Arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, EU:C:2002:748, point 48).


18      Arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816, point 32).


19      Johnson, P., « So Precisely What Will You Use Your Trade Mark For? », International Review of Intellectual Property and Competition Law 49(8), août 2018, p. 940 à 970, point 2.3. En outre, une étude indépendante, commandée et publiée par l’Office du Royaume‑Uni pour la propriété intellectuelle, a constaté que même des marques qui contenaient plus de 1 000 mots étaient utilisées seulement pour 0,08 % du total de ce qui était demandé à l’enregistrement. Voir Graevenitz, G., Ashmead, R., Greenhalgh, C., « Cluttering and Non‑Use of Trade Marks in Europe », UK IPO, août 2015.


20      Arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, EU:C:2002:748, point 50).


21      Voir Graevenitz, G., Ashmead, R., Greenhalgh, C., op. cit., p. 96.


22      Concernant la question d’une marque qui n’a jamais été utilisée et le point de savoir si l’on peut invoquer une telle marque in abstracto, voir l’affaire pendante C‑622/18, Cooper International Spirits e.a. ; la Cour devra faire preuve de cohérence dans cette affaire et dans la présente affaire.


23      Arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361, points 43 et 44).


24      Mercury Communications Ltd c. Mercury Interactive (UK) Ltd [1995] FSR 850, p. 864 et 865.


25      Il est indiqué au §1402.03(d) du TMEP : « Toute spécification de produits afférente à des programmes informatiques doit être suffisamment précise pour permettre une appréciation du risque de confusion. Le but de cette exigence concernant les programmes informatiques est d’éviter des refus d’enregistrement […] lorsque les produits des parties ne sont pas apparentés et qu’ils ne sont pas en conflit sur le marché. […] En raison de la prolifération et du degré de spécialisation des programmes informatiques, [même] des spécifications larges comme “programmes informatiques dans le domaine de la médecine” ne seront pas acceptées, à moins que la fonction ou l’objet spécifique de ce programme dans ce domaine soient indiqués […] “programmes informatiques destinés à être utilisés pour diagnostiquer un cancer” ou “programmes informatiques destinés à être utilisés pour apprendre à lire aux enfants” seraient acceptables ».


26      Voir un arrêt de la juridiction de renvoi dans une autre affaire FIL Ltd c. Fedelis Underwriting Ltd [2018] EWHC 1097 (pat) p. 95, juge Arnold.


27      Johnson, P., op. cit., point 5.2. Cette partie des conclusions s’appuie sur l’analyse déjà proposée par le professeur Johnson.


28      Cette jurisprudence du Tribunal sera examinée par la Cour dans l’affaire C‑714/18 P, ACTC/EUIPO et dans les affaires jointes C‑720/18 et C‑721/18, Ferrari (actuellement pendantes).


29      Voir arrêt du 13 février 2007, Mundipharma/OHMI – Altana Pharma (RESPICUR) (T‑256/04, EU:T:2007:46, point 24).


30      Voir arrêt du 27 mars 2014, Intesa Sanpaolo/OHMI – equinet Bank (EQUITER) (T‑47/12, EU:T:2014:159, point 20).


31      Ainsi que l’a déjà proposé Johnson, P., op. cit., point 5.3.


32      Voir également conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:148, point 48).


33      Johnson, P., op. cit., point 4.3, qui explique en quoi cela est conforme aux travaux préparatoires.


34      Le système de Madrid concernant l’enregistrement international des marques est régi par l’arrangement de Madrid, conclu initialement en 1891, et le protocole relatif à l’arrangement de Madrid, conclu initialement en 1989.


35      La Commission s’appuie, en substance, sur les arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361) ; du 13 décembre 2012, pelicantravel.com/OHMI – Pelikan (Pelikan) (T‑136/11, non publié, EU:T:2012:689, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi), ainsi que du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO) (T‑82/14, EU:T:2016:396, pourvoi rejeté par ordonnance du 14 décembre 2017, Verus/EUIPO, C‑101/17 P, non publiée, EU:C:2017:979).


36      Alors que la disposition du règlement fait de la mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque un motif absolu de nullité, l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la première directive 89/104 ne le fait pas directement. En effet, cet article accorde aux États membres la faculté de transposer ou non ce motif de nullité dans leur droit national. En tout état de cause, il convient d’interpréter de la même manière le contenu de ces deux dispositions.


37      Voir arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361).


38      Voir, notamment, arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO) (T‑82/14, EU:T:2016:396).


39      Voir ses conclusions dans l’affaire Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO (C‑104/18 P, EU:C:2019:287, point 32).


40      Arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361, points 37 et 42).


41      Voir, par exemple, arrêts du 7 juin 2011, Psytech International/OHMI – Institute for Personality & Ability Testing (16PF) (T‑507/08, non publié, EU:T:2011:253, points 88 et 89, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi) ; du 14 février 2012, Peeters Landbouwmachines/OHMI – Fors MW (BIGAB) (T‑33/11, EU:T:2012:77, points 24 à 26, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi) ; du 13 décembre 2012, pelicantravel.com/OHMI – Pelikan (Pelikan) (T‑136/11, non publié, EU:T:2012:689, points 54 et 55, ainsi que 58 à 60, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi) ; du 8 mai 2014, Simca Europe/OHMI – PSA Peugeot Citroën (Simca) (T‑327/12, EU:T:2014:240, points 38 et 39, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi), et du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO), T‑82/14, EU:T:2016:396, points 28 à 33 ainsi que 48 à 52).


42      Voir, à cet égard, arrêt du 29 juin 2017, Cipriani/EUIPO – Hotel Cipriani (CIPRIANI) (T‑343/14, EU:T:2017:458, points 46 et 47, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi).


43      Arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO) (T‑82/14, EU:T:2016:396, points 28 à 33 et 48 à 52 ; pourvoi rejeté par ordonnance du 14 décembre 2017, Verus/EUIPO, C‑101/17 P, non publiée, EU:C:2017:979).


44      Arrêt du 5 mai 2017, PayPal/EUIPO – Hub Culture (VENMO) (T‑132/16, non publié, EU:T:2017:316, points 63 à 65, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi).


45      Voir arrêt au principal, point 210. Je considère qu’à cet égard le fait que la réglementation du Royaume‑Uni requiert expressément l’intention d’utiliser la marque en raison de l’article 32, paragraphe 3, du UK Trade Marks Act 1994 n’est pas nécessairement déterminant.


46      Arrêts de la High Court, Gromax Plasticulture Ltd c. Don & Low Nonwowens Ltd [1999] RPC 367, point 379. Voir également DEMON ALE Trade Mark [2000] RPC 345, Decon Laboratories Ltd v Fred Baker Scientific Ltd [2001] RPC 17, LABORATOIRE DE LA MER Trade Marks [2002] FSR 51, Knoll AG’s Trade Mark [2003] RPC 10, Ferrero SpA’s Trade Marks [2004] RPC 29, 32Red plc v WHG (International) Ltd [2012] EWCA Civ 19, Red Bull GmbH v Sun Mark Ltd [2012] EWHC 1929 (Ch), Total Ltd v YouView TV Ltd [2014] EWHC 1963 (Ch), Jaguar Land Rover Ltd v Bombadier Recreational Products Inc [2016] EWHC 3266 (Ch), HTC Corp v One Max Ltd (O/486/17), Paper Stacked Ltd v CKL Holdings NV (O/036/18).


47      Arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361).


48      Arrêt du 3 juin 2010, Internetportal und Marketing (C‑569/08, EU:C:2010:311).


49      Arrêt du 11 juin 2009 (C‑529/07, EU:C:2009:361).


50      Voir également la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO dans l’affaire R 1849/2017-2, Monopoly, du 22 juillet 2019 (la marque de l’Union européenne contestée visait de nombreux produits et services et ne faisait que reprendre la liste des produits et services de la marque de l’Union européenne antérieure MONOPOLY. Toutes les circonstances évoquées montraient que l’intention du titulaire était de profiter de la réglementation de l’Union en matière de marques en créant artificiellement une situation dans laquelle il n’aurait pas à démontrer l’usage sérieux de ses marques antérieures pour les produits et services désignés et, ainsi, la mauvaise foi était en partie prouvée).


51      Arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO) (T‑82/14, EU:T:2016:396, pourvoi rejeté par ordonnance du 14 décembre 2017, Verus/EUIPO, C‑101/17 P, non publiée, EU:C:2017:979).


52      Tsoutsanis, A., Trade Mark Registrations in Bad Faith, Oxford University Press, 2010, p. 65.


53      Johnson, P., op. cit., point 4.3, qui explique de manière plus détaillée qu’il y a au moins cinq raisons pour lesquelles cette façon de voir est la bonne.


54      La mauvaise foi est indubitablement une notion plus large en ce sens qu’elle englobe d’autres formes d’abus du système d’enregistrement des marques en permettant par exemple de lutter contre le trafic des marques, mais également de garantir la bonne administration du système d’enregistrement des marques et d’éviter que des tiers soient empêchés d’enregistrer leur (futur) signe (voir document de la délégation allemande cité au point 115 des présentes conclusions).


55      Arrêt du 17 octobre 2013, Isdin/Bial-Portela (C‑597/12 P, EU:C:2013:672, points 24 à 30).


56      Arrêt du 11 juillet 2013 (T‑321/10, EU:T:2013:372, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi).


57      Voir Tsoutsanis, A., op. cit., point 2.38 et citations.


58      Voir arrêts du 14 février 2012, Peeters Landbouwmachines/OHMI – Fors MW (BIGAB) (T‑33/11, EU:T:2012:77, point 32, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi), et du 11 juillet 2013, SA.PAR./OHMI – Salini Costruttori (GRUPPO SALINI) (T‑321/10, EU:T:2013:372, points 47 et 48, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi).


59      Voir arrêt du 7 juillet 2005, Praktiker Bau- und Heimwerkermärkte (C‑418/02, EU:C:2005:425, point 30). Ainsi que la Commission l’a relevé dans l’arrêt du 27 juin 2013, Malaysia Dairy Industries (C‑320/12, EU:C:2013:435), ce considérant a reçu une interprétation assez restrictive selon laquelle il est limité aux motifs prévus dans la directive elle-même et aucune interprétation de ce que l’on entend par la phrase « maintenir ou introduire [...] pour lesquelles il n’existe pas de dispositions de rapprochement » n’est donnée.