Language of document : ECLI:EU:C:2016:889

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

23 novembre 2016 (*)

« Pourvoi – Accès aux documents des institutions – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Environnement – Convention d’Aarhus – Règlement (CE) n° 1367/2006 – Article 6, paragraphe 1 – Risque d’atteinte aux intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale – Notion d’“informations ayant trait à des émissions dans l’environnement” – Documents concernant la procédure d’autorisation d’une substance active contenue dans des produits phytopharmaceutiques – Substance active glyphosate »

Dans l’affaire C‑673/13 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 17 décembre 2013,

Commission européenne, représentée par MM. B. Smulders, P. Ondrůšek et P. Oliver ainsi que par Mme L. Pignataro-Nolin, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par :

American Chemistry Council Inc. (ACC),

CropLife America Inc.,

National Association of Manufacturers of the United States of America (NAM),

établis à Washington (États-Unis), représentés par Me M. Abenhaïm, avocat, Me K. Nordlander, advokat, et M. P. Harrison, solicitor,

CropLife International AISBL (CLI), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par M. D. Abrahams, barrister, Mes R. Cana et E. Mullier, avocats, ainsi que par MA. Patsa, dikigoros,

European Chemical Industry Council (Cefic),

European Crop Protection Association (ECPA),

établis à Bruxelles, représentés par Mes I. Antypas et D. Waelbroeck, avocats, ainsi que par M. D. Slater, solicitor,

European Crop Care Association (ECCA), établie à Bruxelles, représentée par Me S. Pappas, dikigoros,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et A. Lippstreu, en qualité d’agents,

parties intervenantes au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant :

Stichting Greenpeace Nederland, établie à Amsterdam (Pays-Bas),

Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), établi à Bruxelles,

représentés par Mes B. Kloostra et A. van den Biesen, advocaten,

parties demanderesses en première instance,

soutenus par :

Royaume de Suède, représenté par MM. E. Karlsson et L. Swedenborg ainsi que par Mmes A. Falk, U. Persson, C. Meyer-Seitz et N. Otte Widgren, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, M. A. Tizzano (rapporteur), vice-président de la Cour, Mme M. Berger ainsi que MM. E. Levits et F. Biltgen juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 février 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 octobre 2013, Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe/Commission (T‑545/11, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2013:523), par lequel celui-ci a partiellement annulé la décision de la Commission, du 10 août 2011, refusant l’accès au volume 4 du projet de rapport d’évaluation, établi par la République fédérale d’Allemagne, en tant qu’État membre rapporteur, de la substance active glyphosate, en application de la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

 La convention d’Aarhus

2        La convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci-après la « convention d’Aarhus »), à son article 4, intitulé « Accès à l’information sur l’environnement », prévoit :

« 1.      Chaque partie fait en sorte que, sous réserve des paragraphes suivants du présent article, les autorités publiques mettent à la disposition du public, dans le cadre de leur législation nationale, les informations sur l’environnement qui leur sont demandées [...].

[...]

4.      Une demande d’informations sur l’environnement peut être rejetée au cas où la divulgation de ces informations aurait des incidences défavorables sur :

[...]

d)      Le secret commercial et industriel lorsque ce secret est protégé par la loi afin de défendre un intérêt économique légitime. Dans ce cadre, les informations sur les émissions qui sont pertinentes pour la protection de l’environnement doivent être divulguées ;

[...]

Les motifs de rejet susmentionnés devront être interprétés de manière restrictive compte tenu de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présenterait pour le public et selon que ces informations ont trait ou non aux émissions dans l’environnement.

[...] »

 Le droit de l’Union

 La réglementation en matière d’accès aux documents

3        Le considérant 4 du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), énonce :

« Le présent règlement vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents [...]. »

4        L’article 4, paragraphe 2, de ce règlement prévoit :

« Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

–        des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle,

[...]

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé. »

5        Les considérants 2 et 15 du règlement (CE) n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), énoncent :

« (2) Le sixième programme d’action communautaire pour l’environnement [...] insiste sur la nécessité de fournir des informations environnementales appropriées et d’offrir au public de véritables possibilités de participation au processus décisionnel en matière d’environnement, de manière à renforcer l’obligation de rendre compte et la transparence dans le cadre de la prise de décision, en vue de sensibiliser l’opinion publique et d’obtenir son adhésion aux décisions prises. [...]

[...]

(15)      Lorsque le règlement [n° 1049/2001] prévoit des exceptions, celles-ci devraient s’appliquer sous réserve des dispositions plus spécifiques du présent règlement relatives aux demandes d’accès aux informations environnementales. Les motifs de refus en ce qui concerne l’accès aux informations environnementales devraient être interprétés de manière restrictive, en tenant compte de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présente pour le public et du fait que les informations demandées ont ou non trait à des émissions dans l’environnement. [...] »

6        L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« Le présent règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations découlant de la [convention d’Aarhus], en établissant des dispositions visant à appliquer aux institutions et organes communautaires les dispositions de la convention, notamment :

[...]

b)      en veillant à ce que les informations environnementales soient progressivement rendues disponibles et diffusées auprès du public afin de parvenir à une mise à disposition et une diffusion systématiques aussi larges que possible. À cette fin, il convient de promouvoir l’utilisation, entre autres, des technologies de télécommunications informatiques et/ou électroniques, lorsqu’elles sont disponibles ;

[...] »

7        L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

d)      “information environnementale”, toute information disponible sous forme écrite, visuelle, sonore, électronique ou toute autre forme matérielle, concernant :

i)      l’état des éléments de l’environnement, tels que l’air et l’atmosphère, l’eau, le sol, les terres, les paysages et les sites naturels, y compris les biotopes humides, les zones côtières et marines, la diversité biologique et ses composantes, y compris les organismes génétiquement modifiés, ainsi que l’interaction entre ces éléments ;

ii)      des facteurs, tels que les substances, l’énergie, le bruit, les rayonnements ou les déchets, y compris les déchets radioactifs, les émissions, les déversements et autres rejets dans l’environnement, qui ont ou sont susceptibles d’avoir des incidences sur les éléments de l’environnement visés au point i) ;

[...] »

8        L’article 3 du même règlement est libellé comme suit :

« Le règlement [n° 1049/2001] s’applique à toute demande d’accès à des informations environnementales détenues par des institutions ou organes communautaires [...]. »

9        L’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006 énonce :

« En ce qui concerne les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement [n° 1049/2001], [...] la divulgation est réputée présenter un intérêt public supérieur lorsque les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement. [...] »

 La réglementation en matière d’autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques et d’inscription de substances actives

10      Le règlement (CEE) n° 3600/92 de la Commission, du 11 décembre 1992, établissant les modalités de mise en œuvre de la première phase du programme de travail visé à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 91/414 (JO 1992, L 366, p. 10), énonce les modalités de mise en œuvre de la première phase du programme de travail pluriannuel pour l’examen graduel des substances actives présentes sur le marché deux ans après la date de notification de la directive 91/414. Il ressort de l’annexe I de ce règlement que le glyphosate relevait de la première phase de ce programme de travail. Il incombait à l’État membre rapporteur de préparer un projet de rapport d’évaluation, conformément à l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement.

11      En application du règlement (CE) n° 933/94 de la Commission, du 27 avril 1994, établissant la liste de substances actives des produits phytopharmaceutiques et désignant les États membres rapporteurs pour l’application du règlement n° 3600/92 (JO 1994, L 107, p. 8), la République fédérale d’Allemagne a été désignée comme État membre rapporteur pour le glyphosate.

12      Enfin, en vertu de l’article 1er et de l’annexe I de la directive 2001/99/CE de la Commission, du 20 novembre 2001, modifiant l’annexe I de la directive 91/414 en vue d’y inscrire les substances actives glyphosate et thifensulfuron-méthyle (JO 2001, L 304, p. 14), le glyphosate a été ajouté à l’annexe I de la directive 91/414, avec expiration de l’inscription au 30 juin 2012. Par la suite, la directive 2010/77/UE de la Commission, du 10 novembre 2010, modifiant la directive 91/414 en ce qui concerne la date d’expiration de l’inscription de certaines substances actives à l’annexe I (JO 2010, L 293, p. 48), a prolongé la durée d’inscription du glyphosate jusqu’au 31 décembre 2015.

 La réglementation applicable aux émissions industrielles

13      L’article 2, points 3 et 5, de la directive 96/61/CE du Conseil, du 24 septembre 1996, relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution (JO 1996, L 257, p. 26), prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3)      “installation” : une unité technique fixe dans laquelle interviennent une ou plusieurs des activités figurant à l’annexe I ainsi que toute autre activité s’y rapportant directement qui est liée techniquement aux activités exercées sur le site et qui est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution ;

[...]

5)      “émission” : le rejet direct ou indirect, à partir de sources ponctuelles ou diffuses de l’installation, de substances, de vibrations, de chaleur ou de bruit dans l’air, l’eau ou le sol ;

[...] »

14      Aux termes de l’article 1er de la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) (JO 2010, L 334, p. 17) :

« La présente directive énonce des règles concernant la prévention et la réduction intégrées de la pollution due aux activités industrielles. [...] »

15      L’article 3, points 3 et 4, de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3)      “installation” : une unité technique fixe au sein de laquelle interviennent une ou plusieurs des activités figurant à l’annexe I ou dans la partie 1 de l’annexe VII, ainsi que toute autre activité s’y rapportant directement, exercée sur le même site, qui est liée techniquement aux activités énumérées dans ces annexes et qui est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution ;

4)      “émission” : le rejet direct ou indirect, à partir de sources ponctuelles ou diffuses de l’installation, de substances, de vibrations, de chaleur ou de bruit dans l’air, l’eau ou le sol ;

[...] »

 Les antécédents du litige

16      Le 20 décembre 2010, Stichting Greenpeace Nederland (ci-après « Greenpeace Nederland ») et Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) ont demandé, sur le fondement tant du règlement n° 1049/2001 que du règlement n° 1367/2006, l’accès à plusieurs documents relatifs à la première autorisation de mise sur le marché du glyphosate comme substance active, délivrée en application de la directive 91/414.

17      Les documents demandés étaient les suivants :

–        une copie du projet de rapport d’évaluation établi par l’État membre rapporteur, à savoir la République fédérale d’Allemagne, préalablement à la première inscription du glyphosate à l’annexe I de la directive 91/414 (ci-après le « projet de rapport ») ;

–        une liste complète de tous les tests présentés par les demandeurs de l’inscription du glyphosate à l’annexe I de la directive 91/414, décidée par la directive 2001/99 ; et

–        la documentation complète, intégrale et originale des tests fournie par les demandeurs de l’inscription du glyphosate à l’annexe I de la directive 91/414 en 2001, dans la mesure où elle porte sur les tests de toxicité à long terme, les tests de mutagénicité, de carcinogénicité, de neurotoxicité et les études sur la reproduction.

18      Après avoir demandé l’accord préalable des autorités allemandes, conformément au règlement n° 1049/2001, le secrétaire général de la Commission a, par lettre du 6 mai 2011, donné accès au projet de rapport, à l’exception de son volume 4 (ci-après le « document litigieux »), à la divulgation duquel lesdites autorités se refusaient. À ce dernier égard, il expliquait que la consultation des autorités allemandes était toujours en cours et qu’une décision serait prise ultérieurement.

19      Par la décision litigieuse, le secrétaire général de la Commission a finalement refusé l’accès au document litigieux, en se fondant sur le refus exprimé par la République fédérale d’Allemagne.

20      À l’appui de cette décision, le secrétaire général de la Commission a fait valoir que cet État membre s’opposait à la divulgation de ce document sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001, au motif que ledit document contenait des informations confidentielles sur les droits de propriété intellectuelle des demandeurs de l’inscription du glyphosate à l’annexe I de la directive 91/414, à savoir la composition chimique détaillée de la substance active produite par chacun d’eux, des informations détaillées sur le processus de fabrication de cette substance, des informations sur les impuretés, la composition des produits finis et des données sur les relations contractuelles entre ces différents demandeurs.

21      Après avoir noté que, selon les autorités allemandes, aucun intérêt public supérieur, tel que prévu à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, ne justifiait la divulgation du document litigieux, le secrétaire général de la Commission a examiné si un tel intérêt public pouvait être invoqué au regard du règlement n° 1367/2006. À cet égard, il a relevé, d’une part, que l’article 6, paragraphe 1, de ce dernier règlement, selon lequel la divulgation est réputée présenter un intérêt public supérieur lorsque les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement, n’était pas applicable au document litigieux, puisque celui-ci ne contenait pas de telles informations.

22      D’autre part, le secrétaire général de la Commission a souligné que les informations en question concernaient le processus de production du glyphosate par les demandeurs de l’inscription de celui-ci à l’annexe I de la directive 91/414. Or, dans le cadre de la mise en balance des intérêts à effectuer, il a considéré que la nécessité de protéger les droits de propriété intellectuelle desdits demandeurs dépassait l’intérêt public à la divulgation des informations. En effet, cette divulgation aurait en l’occurrence permis à des entreprises concurrentes de copier les processus de production des demandeurs de l’inscription du glyphosate, ce qui aurait conduit à des pertes considérables pour ces derniers, en méconnaissance de leurs intérêts commerciaux et de leurs droits de propriété intellectuelle. En revanche, l’intérêt public tenant à la divulgation des informations aurait déjà été pris en compte, puisque les effets possibles des émissions de glyphosate ressortiraient des autres parties du projet de rapport, rendues publiques, notamment en ce qui concerne les impuretés pertinentes et les métabolites. Quant aux informations relatives aux impuretés non pertinentes, incluses dans le document litigieux, elles concerneraient des éléments ne présentant pas de risques pour la santé ou l’environnement, mais qui conduiraient à révéler les processus de production de chaque produit.

23      En outre, selon le secrétaire général de la Commission, il ressortait de la procédure par laquelle le glyphosate avait été inscrit à l’annexe I de la directive 91/414 que les exigences prévues par le règlement n° 1367/2006, en termes de mise à la disposition du public d’informations sur les effets de cette substance sur l’environnement, avaient été prises en considération. Dans ces conditions, la protection des intérêts des producteurs de cette substance devait prévaloir.

24      Le secrétaire général de la Commission en a conclu qu’il n’y avait pas de preuve de l’existence d’un intérêt public supérieur en faveur de la divulgation.

 L’arrêt attaqué

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 octobre 2011, Greenpeace Nederland et PAN Europe ont introduit un recours en annulation contre la décision litigieuse. Ils soulevaient trois moyens au soutien de ce recours.

26      Par leur premier moyen, ils considéraient que le règlement n° 1049/2001 ne conférait pas de droit de veto à un État membre et que la Commission pouvait décider de ne pas se conformer à l’opinion de celui-ci quant à l’application d’une exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement. Par leur deuxième moyen, ils soutenaient que l’exception au droit d’accès visant à protéger les intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, dudit règlement devait, en l’occurrence, être écartée. En effet, selon Greenpeace Nederland et PAN Europe, un intérêt public supérieur justifiait la divulgation des informations demandées étant donné que celles-ci avaient trait à des émissions dans l’environnement au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006. Enfin, par leur troisième moyen, Greenpeace Nederland et PAN Europe faisaient valoir que la décision litigieuse n’était pas conforme à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 et à l’article 4 de la convention d’Aarhus, au motif que la Commission n’avait pas évalué le risque effectif d’atteinte aux intérêts commerciaux invoqués.

27      Le Tribunal a accueilli le deuxième moyen de recours et a, sans se prononcer sur les deux autres moyens, annulé la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci refuse l’accès aux parties du document litigieux comprenant des informations ayant trait à des émissions dans l’environnement, à savoir, premièrement, les informations relatives à l’identité et à la quantité de toutes les impuretés contenues dans la substance active notifiée par chaque opérateur, deuxièmement, les données concernant les impuretés présentes dans les différents lots, ainsi que les quantités minimale, médiane et maximale de chacune de ces impuretés, et, troisièmement, les informations portant sur la composition des produits phytopharmaceutiques développés par les différents opérateurs concernés (ci-après les « informations litigieuses »).

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

28      Par la décision du président de la Cour du 29 avril 2014, la République fédérale d’Allemagne a été autorisée à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

29      Par ordonnances du président de la Cour du 3 mars 2015, l’American Chemistry Council Inc. (ACC), la CropLife America Inc. (ci-après la « CropLife »), la CropLife International AISBL (CLI), le European Chemical Industry Council (Cefic), la European Crop Care Association (ECCA), la European Crop Protection Association (ECPA) et la National Association of Manufacturers of the United States of America (NAM) (ci-après la « NAM USA ») ont également été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

30      Par décision du président de la Cour du 26 juin 2015, le Royaume de Suède a été autorisé à intervenir au soutien des conclusions de Greenpeace Nederland et de PAN Europe.

31      La Commission ainsi que l’ACC, la CropLife, la CLI, le Cefic, l’ECCA, l’ECPA, la NAM USA et la République fédérale d’Allemagne demandent à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de statuer elle-même définitivement sur les premier et troisième moyens soulevés en première instance ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue sur lesdits moyens, et

–        de condamner Greenpeace Nederland et PAN Europe aux dépens.

32      Greenpeace Nederland et PAN Europe demandent à la Cour de rejeter le pourvoi de la Commission et de condamner celle-ci aux dépens.

33      Le Royaume de Suède demande à la Cour de rejeter le pourvoi de la Commission.

 Sur le pourvoi

34      Au soutien de son pourvoi, la Commission invoque un moyen unique, tiré de l’interprétation erronée, par le Tribunal, de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006.

35      Par la première branche de ce moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur en méconnaissant la nécessité d’assurer la cohérence « interne » du règlement n° 1049/2001.

36      Par la deuxième branche dudit moyen, la Commission avance, à titre subsidiaire, que le Tribunal n’a pas, aux fins de l’interprétation et de l’application des exceptions au droit d’accès prévues par les règlements nos 1049/2001 et 1367/2006, dûment tenu compte du régime d’information spécifiquement établi par la législation sectorielle applicable aux produits phytopharmaceutiques.

37      Par la troisième branche du même moyen, la Commission fait valoir, également à titre subsidiaire, que le Tribunal a commis une erreur de droit en méconnaissant, aux points 44 et 45 de l’arrêt attaqué, la nécessité de donner à l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment aux articles 16 et 17 de celle-ci, et à l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, constituant l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1).

 Sur la première branche du moyen unique de pourvoi

 Argumentation des parties

38      Par la première branche du moyen unique de pourvoi, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur en méconnaissant la nécessité d’assurer la cohérence « interne » du règlement n° 1049/2001, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006 et l’article 4, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus.

39      Après avoir rappelé que l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 crée une présomption irréfragable en faveur de la divulgation des informations relevant de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement », la Commission avance, en substance, que cette notion doit être interprétée de manière restrictive afin de ne pas vider de toute portée les intérêts visés à l’article 339 TFUE et à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001.

40      En tout état de cause, la Commission estime, en substance, que, pour relever de ladite notion, les informations en cause doivent remplir deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, avoir trait à des émissions provenant d’installations telles que des usines et des centrales et, d’autre part, concerner des émissions effectives dans l’environnement.

41      S’agissant de la première de ces conditions, également invoquée par la CLI, le Cefic, l’ECPA et la République fédérale d’Allemagne, elle découlerait du guide d’application de la convention d’Aarhus. En effet, afin de définir la notion d’« émission », la première édition de ce guide se référait à la directive 96/61. Or, l’article 2, point 5, de cette directive définirait le terme « émission » comme le rejet direct ou indirect, à partir de sources ponctuelles ou diffuses de l’installation, de substances, de vibrations, de chaleur ou de bruit dans l’air, l’eau ou le sol, alors que l’article 2, point 3, de cette même directive définirait le terme « installation » comme étant une unité fixe dans laquelle interviennent une ou plusieurs des activités figurant à l’annexe I de ladite directive. De même, la seconde édition du guide d’application de la convention d’Aarhus serait rédigée dans les mêmes termes, et elle ferait référence à la directive 2010/75, laquelle a remplacé la directive 96/61, tout en fournissant les mêmes définitions des termes « émission » et « installation ». Il en résulterait que la notion d’« émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 devrait être interprétée comme étant limitée à celles couvertes par les directives 96/61 et 2010/75.

42      À cet égard, la République fédérale d’Allemagne, la CLI, le Cefic et l’ECPA ajoutent que cette interprétation est confirmée par l’article 2, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1367/2006 lui-même, lequel distingue les émissions des autres rejets et déversements. Or, l’interprétation du Tribunal aboutirait à éliminer cette distinction et à considérer que toute information environnementale concerne des émissions dans l’environnement.

43      Quant à la seconde condition, également relevée par la CLI et le Cefic, la Commission estime qu’elle n’est pas remplie en l’espèce. En effet, le document litigieux ne contiendrait pas d’informations sur la nature et la quantité des émissions effectivement libérées dans l’environnement, étant donné que ces émissions varieraient selon les quantités de produit utilisées dans les faits par les agriculteurs et selon que les produits phytopharmaceutiques contiennent ou non exactement les mêmes substances que celles évaluées dans le projet de rapport d’évaluation.

44      Par ailleurs, la Commission fait valoir que le critère retenu par le Tribunal pour considérer qu’une information a « trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006, à savoir l’existence d’un lien « suffisamment direct » entre les informations concernées et les émissions dans l’environnement, ne trouve aucun fondement en droit et que le caractère vague de ce critère pose de graves problèmes en termes de sécurité juridique, ce qui serait confirmé par la manière dont le Tribunal a appliqué ce critère dans l’arrêt attaqué. En effet, au point 71 de celui-ci, le Tribunal aurait considéré que le profil analytique des lots testés, à l’exception des formules structurelles des impuretés, avait trait, de manière suffisamment directe, à des émissions dans l’environnement. Or, cette affirmation ne serait étayée par aucune argumentation.

45      Greenpeace Nederland et PAN Europe, soutenus par le Royaume de Suède, contestent les arguments de la Commission.

46      À cette fin, ils font en substance valoir, tout d’abord, que, la divulgation des informations environnementales étant le principe, la règle prévue à l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 et à l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), de la convention d’Aarhus, selon laquelle la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée ne peut pas être opposée à la divulgation des « informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement », ne saurait être interprétée restrictivement.

47      Ensuite, ces parties estiment que le guide d’application de la convention d’Aarhus ne permet pas d’appuyer l’interprétation restrictive de la notion d’« émissions dans l’environnement » préconisée par la Commission étant donné que ce guide ne fait que renvoyer à la définition d’« émission » fournie par la directive 96/61 à titre d’exemple. En tout état de cause, rien dans cette convention ne permettrait de fonder une telle interprétation. En effet, le champ d’application de ladite convention ne serait pas limité aux domaines de l’environnement relatifs aux installations industrielles, mais s’appliquerait, expressément et de manière évidente, à toutes sortes de domaines et d’informations de nature environnementale.

48      Enfin, selon Greenpeace Nederland et PAN Europe, la limitation de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » à celles se rapportant à des émissions effectives doit également être rejetée. À cet égard, ils font notamment valoir que les informations litigieuses sont nécessaires afin, d’une part, de connaître les quantités et la qualité des rejets de glyphosate dans l’environnement ainsi que la quantité des impuretés émises et, d’autre part, de vérifier si les effets du rejet de cette substance dans l’environnement en tant que composante d’un produit phytopharmaceutique ont été évalués correctement. Dès lors que ces informations constitueraient le fondement sur lequel il peut être autorisé de rejeter du glyphosate dans l’environnement, lesdites informations auraient trait à des « émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006. Par conséquent, il n’y aurait pas lieu de limiter la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » à celles concernant les émissions effectivement libérées dans l’environnement lors de l’application du produit en cause.

 Appréciation de la Cour

49      Afin de statuer sur la première branche du moyen unique de pourvoi, il convient de déterminer si, comme la Commission le prétend, premièrement, la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 doit être interprétée restrictivement, deuxièmement, cette notion doit être limitée aux informations se rapportant à des émissions provenant d’installations industrielles telles que des usines et des centrales, troisièmement, ladite notion ne couvre que les informations se rapportant à des émissions effectives dans l’environnement et, quatrièmement, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’il suffit qu’une information ait trait « de manière suffisamment directe » aux émissions dans l’environnement pour relever de la même notion.

–       Sur l’interprétation restrictive de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement »

50      S’agissant de la question de savoir si la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 doit être interprétée restrictivement, il y a certes lieu de retenir une interprétation de cette notion qui ne vide pas de toute substance la portée de l’article 339 TFUE et de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001, en ce que ces articles protègent le secret professionnel et les intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée. En effet, le droit d’accès aux documents des institutions prévu par ce règlement est, comme l’a souligné le Tribunal au point 29 de l’arrêt attaqué, soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé, parmi lesquelles la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée.

51      Toutefois, contrairement à ce que soutient la Commission, cette notion ne saurait, pour autant, recevoir une interprétation restrictive.

52      En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le règlement n° 1049/2001 vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (voir, notamment, arrêts du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 69, ainsi que du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 28). De même, le règlement n° 1367/2006 a pour objectif, ainsi que le prévoit son article 1er, de garantir une mise à disposition et une diffusion systématiques aussi larges que possible des informations environnementales détenues par les institutions et organes de l’Union.

53      Ainsi, ce n’est que dans la mesure où elles dérogent au principe d’un accès le plus large possible à ces documents en restreignant cet accès que les exceptions à ce principe, notamment celles prévues à l’article 4 du règlement n° 1049/2001, doivent, selon une jurisprudence constante de la Cour, être interprétées et appliquées strictement (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 73, ainsi que du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 30). La nécessité d’une telle interprétation restrictive est, par ailleurs, confirmée par le considérant 15 du règlement n° 1367/2006.

54      En revanche, en établissant une présomption selon laquelle la divulgation des « informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement », à l’exception de celles relatives à des enquêtes, est réputée présenter un intérêt public supérieur par rapport à l’intérêt tiré de la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, de sorte que la protection desdits intérêts commerciaux ne peut être opposée à la divulgation de ces informations, l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 déroge certes, comme le souligne notamment la CLI, à la règle d’une mise en balance des intérêts prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001. Toutefois, ledit article 6, paragraphe 1, première phrase, permet ainsi une mise en œuvre concrète du principe d’un accès le plus large possible aux informations détenues par les institutions et organes de l’Union, de sorte qu’une interprétation restrictive de cette disposition ne saurait être justifiée.

55      Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que, aux points 49 et 53 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas retenu une interprétation restrictive de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 et de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement ».

–       Sur la limitation de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » à celles concernant des émissions provenant d’installations industrielles

56      S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 doit être interprétée comme étant limitée aux informations concernant des émissions provenant d’installations industrielles telles que des usines et des centrales, il convient d’emblée de souligner que, contrairement à ce que prétend cette institution, le Tribunal a explicitement répondu à cet argument, aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué, avant de le rejeter.

57      En ce qui concerne le bien-fondé de l’appréciation du Tribunal, il y a certes lieu de relever que, dans sa version de 2000, le guide d’application de la convention d’Aarhus proposait, pour définir la notion d’« émission » au sens de l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), de cette convention, de recourir à la définition de cette notion donnée par l’article 2, point 5, de la directive 96/61, et il fait, dans sa version de 2014, désormais référence à la définition prévue à l’article 3, point 4, de la directive 2010/75, qui reprend à l’identique celle donnée par cette première directive.

58      Or, il ressort en substance de ces directives que constituent des « émissions » au sens de celles-ci les rejets directs ou indirects, dans l’air, l’eau ou le sol, de substances, vibrations, chaleur ou bruit à partir de sources ponctuelles ou diffuses de certaines installations industrielles y définies.

59      Toutefois, comme le Tribunal l’a relevé à juste titre au point 55 de l’arrêt attaqué, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, si ce guide peut être considéré comme un document explicatif, susceptible, le cas échéant, d’être pris en considération, parmi d’autres éléments pertinents, aux fins d’interpréter la convention d’Aarhus, les développements qu’il contient n’ont aucune force obligatoire et ne sont pas revêtus de la portée normative qui s’attache aux stipulations de cette convention (voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2013, Fish Legal et Shirley, C‑279/12, EU:C:2013:853, point 38 et jurisprudence citée).

60      Or, d’une part, rien dans le règlement n° 1367/2006 ne permet de considérer que la notion d’« émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de ce règlement devrait être limitée aux émissions provenant de certaines installations industrielles, telles que des usines et des centrales.

61      Cette limitation ne peut pas non plus être déduite de la convention d’Aarhus, dont il doit être tenu compte pour interpréter le règlement n° 1367/2006, dès lors que, comme son article 1er le prévoit, ce règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations découlant de cette convention en établissant des règles visant à appliquer aux institutions et aux organes de l’Union les dispositions de ladite convention.

62      Au contraire, comme la Cour l’a souligné au point 72 de l’arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting (C‑442/14), une telle limitation serait contraire au libellé même de l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), de la convention d’Aarhus. En effet, cette disposition prévoit que les informations sur les émissions qui sont pertinentes pour la protection de l’environnement doivent être divulguées. Or, des informations concernant des émissions provenant de sources autres que d’installations industrielles, telles que celles résultant de l’application de produits phytopharmaceutiques sur les plantes ou le sol, sont tout aussi pertinentes pour la protection de l’environnement que les informations relatives aux émissions d’origine industrielle.

63      D’autre part, une limitation de la notion d’« émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 à celles provenant de certaines installations industrielles, telles que des usines et des centrales, méconnaîtrait l’objectif de divulgation la plus large possible des informations environnementales poursuivi par ce règlement (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, point 73).

64      Au demeurant, contrairement à ce que soutient la République fédérale d’Allemagne, une telle limitation ne saurait être justifiée par le souci de préserver la cohérence du droit de l’Union, en particulier entre le règlement n° 1367/2006 et les directives 96/61 et 2010/75. En effet, la limitation, dans ces dernières directives, de la notion d’« émissions » à celles provenant de certaines installations industrielles est justifiée par l’objet même desdites directives qui, comme l’indique l’article 1er de la directive 2010/75, est précisément d’édicter des règles concernant la prévention et la réduction intégrées de la pollution due aux activités industrielles. En revanche, une telle limitation ne se justifie pas au regard de l’objet du règlement n° 1367/2006, qui est, conformément à son article 1er, d’encadrer les règles applicables à l’accès aux informations environnementales détenues par les institutions et organes de l’Union. D’ailleurs, il convient de souligner que la notion d’« émission » en droit de l’Union n’est pas univoque, mais varie selon le domaine d’application envisagé. Ainsi, la définition de cette notion donnée par les directives 96/61 et 2010/75 diffère de celle prévue notamment à l’article 2, point 8, de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux (JO 2004, L 143, p. 56), ou encore de celle énoncée à l’article 3, sous e), de la directive 2001/81/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2001, fixant des plafonds d'émission nationaux pour certains polluants atmosphériques (JO 2001, L 309, p. 22).

65      Enfin, il y a lieu de souligner que, contrairement à ce que soutiennent notamment la CLI, le Cefic, l’ECPA et la République fédérale d’Allemagne, une telle limitation ne trouve pas non plus de fondement dans l’article 2, paragraphe 1, sous d), ii), du règlement n° 1367/2006.

66      Certes, cette disposition, qui énumère les facteurs susceptibles de relever de la notion d’« information environnementale », semble, à première vue, distinguer la notion d’« émissions » de celles de « déversements » et de « rejets » dans l’environnement, ce dont il résulterait, selon la CLI, le Cefic, l’ECPA et la République fédérale d’Allemagne, que la notion d’« émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de ce règlement devrait être limitée aux émissions provenant de certaines installations industrielles, à l’exclusion des autres déversements et rejets dans l’environnement.

67      Toutefois, d’une part, une distinction entre les notions d’« émissions », de « déversements » et de « rejets » est étrangère à la convention d’Aarhus qui se limite à prévoir, à son article 4, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), que la protection du secret commercial et industriel ne peut être opposée à la divulgation des « informations sur les émissions qui sont pertinentes pour la protection de l’environnement » (voir arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, point 62).

68      D’autre part, une telle distinction est dépourvue de pertinence au regard de l’objectif de divulgation des informations environnementales poursuivi par le règlement n° 1367/2006 et serait artificielle. En outre, ces notions se recoupent largement, comme en témoigne l’utilisation de l’expression « autres rejets » à l’article 2, paragraphe 1, sous d), ii), de ce règlement dont il résulte que les émissions et les déversements constituent également des rejets dans l’environnement (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, points 63 et 65).

69      Partant, il n’y a pas lieu, aux fins d’interpréter l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006, de distinguer la notion d’« émissions » de celles de « déversements » et de « rejets » dans l’environnement (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, point 67).

70      Eu égard aux considérations qui précèdent, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué, pu considérer que la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de cette disposition n’est pas limitée aux informations concernant les émissions provenant de certaines installations industrielles.

–       Sur la limitation de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » à celles se rapportant à des émissions effectives dans l’environnement

71      S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 ne couvrirait que les informations se rapportant à des émissions effectives dans l’environnement, ce qui ne serait pas le cas des informations litigieuses, il convient certes de souligner que, comme la Commission le soutient, cette notion n’inclut pas les informations relatives à des émissions hypothétiques.

72      En effet, il ressort en substance de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous d), de celui-ci, que l’objectif dudit règlement est de garantir le droit d’accès aux informations concernant des facteurs, tels que les émissions, qui ont ou sont susceptibles d’avoir des incidences sur les éléments de l’environnement, notamment sur l’air, l’eau et le sol. Or, tel n’est pas le cas d’émissions purement hypothétiques (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, point 80).

73      Toutefois, contrairement à ce que fait valoir la Commission, cette notion ne saurait, pour autant, être limitée aux seules informations concernant les émissions effectivement libérées dans l’environnement lors de l’application du produit phytopharmaceutique ou de la substance active en cause sur les plantes ou le sol, lesquelles émissions dépendent notamment des quantités de produit utilisées dans les faits par les agriculteurs ainsi que de la composition exacte du produit final commercialisé.

74      Ainsi, relèvent également de ladite notion les informations sur les émissions prévisibles du produit phytopharmaceutique ou de la substance active en cause dans l’environnement, dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation de ce produit ou de cette substance correspondant à celles pour lesquelles l’autorisation de mise sur le marché dudit produit ou de ladite substance est octroyée et prévalant dans la zone où ce produit ou cette substance est destiné à être utilisé (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, points 78 et 79).

75      En effet, si la mise sur le marché d’un produit ou d’une substance ne suffit en général pas pour considérer que ce produit ou cette substance sera nécessairement rejeté dans l’environnement et que les informations le ou la concernant ont trait à des « émissions dans l’environnement », il en va différemment s’agissant d’un produit, tel qu’un produit phytopharmaceutique, et des substances que ce produit contient, qui sont, dans le cadre d’une utilisation normale, destinés à être libérés dans l’environnement en raison de leur fonction même. Dans ce cas, les émissions prévisibles, dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation, du produit en cause, ou des substances que ce produit contient, dans l’environnement ne sont pas hypothétiques et relèvent de la notion d’« émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, points 78 et 79).

76      Par conséquent, c’est à tort que la Commission soutient que, en considérant que le document litigieux comportait des « informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement », le Tribunal a commis une erreur de droit au motif que ce document ne contiendrait pas d’informations sur la nature et la quantité des émissions effectivement libérées dans l’environnement lors de l’application du produit en cause.

–       Sur le critère tenant à l’existence d’un lien suffisamment direct entre les informations et les émissions dans l’environnement

77      En dernier lieu, il convient de déterminer si le Tribunal pouvait, au point 53 de l’arrêt attaqué, considérer qu’il suffit qu’une information ait trait « de manière suffisamment directe » aux émissions dans l’environnement pour relever de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006, ou si, comme le prétend la Commission, un tel critère, tenant à l’existence d’un lien suffisamment direct entre les informations en cause et les émissions, doit être écarté dans la mesure où il ne trouverait aucun fondement en droit.

78      À cet égard, il ressort du libellé de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 que cette disposition vise les informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement », c’est-à-dire celles qui concernent ou qui sont relatives à de telles émissions, et non les informations présentant un lien, direct ou indirect, avec les émissions dans l’environnement. Cette interprétation est confirmée par l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), de la convention d’Aarhus qui fait référence aux « informations sur les émissions ».

79      Au regard de l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006 de garantir un accès de principe aux « informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement », cette notion doit être comprise comme incluant notamment les données permettant au public de savoir ce qui est effectivement rejeté dans l’environnement, ou bien ce qui le sera de manière prévisible dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation du produit ou de la substance en cause, correspondant à celles pour lesquelles l’autorisation de mise sur le marché de ce produit ou de cette substance est octroyée et prévalant dans la zone où ledit produit ou ladite substance est destiné à être utilisé. Ainsi, ladite notion doit être interprétée comme couvrant, notamment, les indications relatives à la nature, à la composition, à la quantité, à la date et au lieu des émissions effectives ou prévisibles, dans de telles conditions, dudit produit ou de ladite substance.

80      Il y a également lieu d’inclure dans la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » les informations permettant au public de contrôler si l’évaluation des émissions effectives ou prévisibles, sur la base de laquelle l’autorité compétente a autorisé le produit ou la substance en cause, est correcte, ainsi que les données relatives aux incidences de ces émissions sur l’environnement. En effet, il ressort en substance du considérant 2 du règlement n° 1367/2006 que l’accès aux informations environnementales garanti par ce règlement vise notamment à favoriser une participation plus efficace du public au processus décisionnel de manière à renforcer l’obligation des instances compétentes de rendre des comptes dans le cadre de la prise de décision en vue de sensibiliser l’opinion publique et d’obtenir son adhésion aux décisions adoptées. Or, pour pouvoir s’assurer que les décisions prises par les autorités compétentes en matière environnementale sont fondées et participer efficacement au processus décisionnel en matière environnementale, le public doit avoir accès aux informations lui permettant de vérifier si les émissions ont été correctement évaluées et doit être mis en mesure de raisonnablement comprendre la manière dont l’environnement risque d’être affecté par lesdites émissions.

81      En revanche, si, comme il a été exposé au point 55 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de retenir une interprétation restrictive de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement », cette notion ne saurait pour autant inclure toute information présentant un quelconque lien, même direct, avec des émissions dans l’environnement. En effet, si ladite notion était interprétée comme couvrant de telles informations, elle épuiserait en grande partie la notion d’« information environnementale » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1367/2006. Une telle interprétation priverait ainsi de tout effet utile la possibilité, prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001, pour les institutions de refuser la divulgation d’informations environnementales au motif notamment qu’une telle divulgation porterait atteinte à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée et mettrait en péril l’équilibre que le législateur de l’Union a voulu assurer entre l’objectif de transparence et la protection de ces intérêts. Elle porterait également une atteinte disproportionnée à la protection du secret professionnel garantie par l’article 339 TFUE.

82      Il résulte de ce qui précède que, en jugeant, au point 53 de l’arrêt attaqué, qu’il suffit qu’une information ait trait, de manière suffisamment directe, à des émissions dans l’environnement pour relever de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006, le Tribunal a entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de droit.

83      Par conséquent, la première branche du moyen unique de pourvoi étant fondée, il convient, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres branches du moyen unique de pourvoi, d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

84      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

85      En l’espèce, la solution du litige implique une nouvelle appréciation des faits qu’il appartient au Tribunal d’effectuer à la lumière des considérations exposées aux points 78 à 80 du présent arrêt, après avoir donné aux parties la possibilité de s’exprimer. Si, au terme de cette appréciation, le Tribunal estime que les informations litigieuses ne relèvent pas de la notion d’« informations [ayant] trait à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1367/2006, il lui incombera de se prononcer sur les premier et troisième moyens invoqués par Greenpeace Nederland et PAN Europe dans le cadre de leur recours en annulation.

86      Dans ces conditions, le litige n’est pas en état d’être jugé et il convient, dès lors, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

 Sur les dépens

87      L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 octobre 2013, Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe/Commission (T‑545/11, EU:T:2013:523), est annulé.

2)      L’affaire T‑545/11 est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.