Language of document : ECLI:EU:C:2012:714

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz VillalÓn

présentées le 15 novembre 2012 (1)

Affaire C‑103/11 P

Commission européenne

contre

Systran SA et Systran Luxembourg SA

«Pourvoi – Marchés publics de l’Union – Appel d’offres relatif à la maintenance et au renforcement linguistique d’un logiciel – Logiciel de traduction automatique de la Commission – Communication du code source sans autorisation de l’auteur – Contrefaçon du droit d’auteur – Divulgation non autorisée de savoir-faire – Responsabilité extracontractuelle – Responsabilité contractuelle – Compétences du juge de l’Union – Nature du litige – Illégalité – Violation suffisamment caractérisée – Préjudice réel et certain – Lien de causalité – Rupture du lien de causalité – Évaluation forfaitaire du montant du dommage»





1.        La présente affaire pose de façon préalable un problème de délimitation des contentieux contractuels et extracontractuels et donc, en l’espèce, des compétences matérielles du juge de l’Union, soulevant une question inédite de répartition verticale des compétences entre juge de l’Union et juridictions nationales. Son enjeu principal réside, selon mon appréciation, dans la définition des modalités suivant lesquelles le juge de l’Union doit, dans le respect du principe des compétences d’attribution, statuer sur sa compétence pour connaître d’une action en responsabilité extracontractuelle dans le cadre de laquelle une exception d’incompétence tirée de la nature contractuelle du litige est soulevée.

2.        La Cour est, en l’occurrence, saisie d’un pourvoi introduit par la Commission européenne contre l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2010, Systran et Systran Luxembourg/Commission (T-19/07, Rec. p. II‑6083, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel il a condamné l’Union européenne à verser à Systran SA (2) une indemnité forfaitaire de 12 001 000 euros en réparation des dommages découlant de l’atteinte portée par la Commission aux droits d’auteur et au savoir-faire qu’elle détient sur la version Unix du logiciel Systran.

3.        Le Tribunal a notamment jugé que, en s’octroyant le droit d’engager, sans l’autorisation préalable des sociétés du groupe Systran, une procédure d’appel d’offres pour la réalisation de travaux de maintenance et de renforcement linguistique de son système de traduction automatique, en l’occurrence la version EC-Systran Unix du logiciel Systran, la Commission avait commis une illégalité au regard des principes généraux communs aux droits des États membres (point 261 de l’arrêt attaqué), ledit appel d’offres impliquant la divulgation à des tiers et la modification d’éléments de la version Systran Unix dudit logiciel, en violation des droits d’auteur et du savoir-faire desdites sociétés.

4.        Il doit d’emblée être précisé que, si la Cour devait juger, comme je l’y invite, que le litige opposant la Commission à Systran SA et à Systran Luxembourg SA (ci-après «Systran Luxembourg») doit prioritairement être examiné et éventuellement tranché par les juridictions nationales compétentes et que le Tribunal n’avait, par conséquent, pas compétence pour trancher ledit litige, il n’y aurait pas lieu d’examiner l’ensemble des moyens soulevés par la Commission. Néanmoins, et pour le cas où la Cour ne me suivrait pas sur ce premier point fondamental, j’examinerai les autres moyens de manière à l’éclairer sur l’ensemble des aspects de cette affaire.

5.        Il faut souligner, dans cette perspective, que la Commission remet notamment en cause, dans le cadre de ses autres moyens, l’appréciation par le Tribunal des trois conditions de la responsabilité extracontractuelle de l’Union, de tout temps exigées par une jurisprudence constante, savoir aussi bien le constat de l’illégalité de son comportement, que l’existence de dommages matériel et moral en découlant et que l’existence d’un lien de causalité direct entre cette illégalité et lesdits dommages. Bien que ces trois conditions invariantes doivent cumulativement être réunies pour qu’un droit à indemnisation soit reconnu, il me semble toutefois opportun de les examiner successivement, dans la limite des moyens soulevés par la Commission, afin de vérifier que le Tribunal s’est effectivement assuré qu’elles étaient clairement et indubitablement remplies.

6.        Il me paraît également opportun de préciser dès maintenant que, eu égard aux moyens du pourvoi, il ne sera pas nécessaire d’aborder d’autres problématiques indirectement soulevées par le présent litige, tenant notamment aux compétences respectives du juge de l’Union et des juridictions nationales pour examiner les actions en contrefaçon dirigées contre les institutions, organes ou organismes de l’Union (3) ou la pratique de passation des marchés publics de développement et de maintenance informatique des institutions, organes et organismes de l’Union (4).

I –    Les antécédents du litige

7.        Le docteur Toma, président de la société américaine World Translation Center Inc. (ci-après «WTC») établie à La Jolla en Californie (États-Unis), a créé en 1968 un logiciel de traduction automatique dénommé «Systran» (SYStem TRANslation).

8.        Le 22 décembre 1975, la Commission a conclu avec WTC un premier contrat portant sur l’installation et le développement du logiciel Systran pour la paire de langues anglais-français et le développement initial dudit logiciel pour la paire de langues français-anglais.

9.        Les relations contractuelles entre la Commission et WTC se sont ensuite poursuivies, entre 1976 et 1987, pour aboutir à la réalisation d’un système de traduction automatique fonctionnant dans l’environnement Mainframe, dénommé «EC-Systran Mainframe», composé d’un noyau, de routines linguistiques et de dictionnaires pour neuf paires de langues de l’Union.

10.      À compter de 1985, la société française Gachot a fait l’acquisition des sociétés du groupe WTC, propriétaires de la technologie Systran et de la version Mainframe du logiciel Systran. La société Gachot a ensuite changé de dénomination sociale pour devenir la société Systran SA.

11.      Le 4 août 1987, Systran et la Commission ont conclu un «contrat de collaboration» portant sur l’organisation en commun du développement et de l’amélioration du système de traduction Systran pour les langues officielles, actuelles et futures, de la Communauté européenne, ainsi que sa mise en application.

12.      Le 11 décembre 1991, la Commission a mis fin au contrat de collaboration conclu avec Systran.

13.      Le 22 décembre 1997, Systran et la Commission ont conclu le premier de quatre contrats successifs de migration, ayant pour objet de permettre au logiciel EC-Systran Mainframe de fonctionner dans les environnements Unix et Windows.

14.      Le 4 octobre 2003, la Commission a lancé un appel d’offres pour la maintenance et le renforcement linguistique de son système de traduction automatique.

15.      Par courrier du 31 octobre 2003, Systran a indiqué à la Commission, en substance, que les travaux envisagés dans l’appel d’offres étaient susceptibles de porter atteinte à ses droits de propriété intellectuelle et l’a invitée à se prononcer à cet égard. Systran précisait qu’elle ne pouvait, dans ces conditions, répondre à l’appel d’offres.

16.      Par courrier du 17 novembre 2003, la Commission a répondu que les travaux envisagés ne lui paraissaient pas de nature à porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle de Systran.

17.      À la suite de cet appel d’offres, seuls deux lots sur les huit que ce dernier comportait ont été attribués, en l’occurrence à Gosselies SA (5).

II – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18.      C’est dans ces circonstances que Systran et Systran Luxembourg (6) ont, par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2007, introduit un recours tendant à ce que celui-ci, premièrement, ordonne la cessation immédiate des faits de contrefaçon et de divulgation commis par la Commission, deuxièmement, ordonne la confiscation de tous les supports détenus par la Commission et par Gosselies, sur lesquels sont reproduits les développements informatiques réalisés par cette dernière à partir des versions EC‑Systran Unix et Systran Unix en violation de leurs droits, ainsi que leur remise à Systran ou, à tout le moins, leur destruction sous contrôle, troisièmement, condamne la Commission au versement de la somme minimale de 1 170 328 euros pour Systran Luxembourg et de 48 804 000 euros, à parfaire, pour Systran, quatrièmement, ordonne la publication de la décision du Tribunal à intervenir, aux frais de la Commission, dans des journaux spécialisés, dans des revues spécialisées et sur des sites Internet spécialisés au choix des requérantes et enfin, cinquièmement, condamne la Commission aux dépens.

19.      Le Tribunal a, tout d’abord, rejeté les différentes exceptions d’irrecevabilité de l’action en indemnité soulevées par la Commission (points 52 à 125 de l’arrêt attaqué). Il a jugé, en premier lieu, au terme de l’examen de la demande des requérantes et des différents éléments fournis par les parties, qu’il ne pouvait être considéré que le litige était de nature contractuelle et que, partant, il ne pouvait être considéré comme incompétent pour en connaître (points 57 à 104 de l’arrêt attaqué). En deuxième lieu, il a écarté comme non fondée l’exception tirée de l’absence de clarté de la requête (points 107 à 111 de l’arrêt attaqué). Il a, en troisième et dernier lieu, rejeté l’exception d’irrecevabilité tirée de son incompétence pour constater une contrefaçon dans le cadre d’un recours en responsabilité extracontractuelle, après avoir constaté que la contrefaçon invoquée l’était à seule fin de qualifier le comportement de la Commission d’illégal dans le cadre d’une action en responsabilité non contractuelle, laquelle relève de sa compétence, et qu’aucune voie de recours nationale ne permettait d’aboutir à la réparation du préjudice allégué (points 113 à 117 de l’arrêt attaqué).

20.      Le Tribunal a, ensuite, rejeté les exceptions d’irrecevabilité des conclusions tendant à ce qu’il ordonne la cessation immédiate par la Commission des faits de contrefaçon et de divulgation, la confiscation ou la destruction auprès de la Commission et de Gosselies de certaines données informatiques, et la publication aux frais de la Commission de la décision à intervenir dans des journaux et revues spécialisés ainsi que sur des sites Internet spécialisés (points 118 à 125 de l’arrêt attaqué).

21.      Enfin, le Tribunal a, sur le fond, successivement examiné les droits invoqués par les requérantes et l’illégalité du comportement reproché à la Commission (points 127 à 261 de l’arrêt attaqué), les préjudices subis par les requérantes et le lien de causalité entre les préjudices allégués et l’illégalité invoquée (points 262 à 326 de cet arrêt), puis les différentes mesures autres que les dommages-intérêts demandées par les requérantes dans leurs conclusions (points 327 à 332 dudit arrêt).

22.      Le Tribunal a rejeté la demande d’indemnisation présentée par Systran Luxembourg, faute de tout lien de causalité entre le comportement reproché à la Commission et les dommages allégués par ladite société (points 264 à 267 de l’arrêt attaqué). Il a également rejeté, pour les mêmes motifs, la demande de dédommagement pour dépréciation des titres de Systran Luxembourg présentée par Systran (points 283 et 284 de l’arrêt attaqué). Il a, en revanche, reconnu que le comportement de la Commission avait causé à Systran un préjudice matériel pour perte de valeur de ses actifs incorporels, évalué de manière forfaitaire à 12 millions d’euros, et un préjudice moral, évalué à 1 000 euros (points 285 à 326 de l’arrêt attaqué).

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

23.      Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 mars 2011, la Commission a déposé le présent pourvoi.

24.      Les parties ont été entendues en leur plaidoirie à l’audience qui s’est tenue le 19 avril 2012.

25.      La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        dire le pourvoi recevable et fondé;

–        annuler l’arrêt attaqué, où il est fait partiellement droit au recours en indemnité formé contre la Commission et, en conséquence, en statuant définitivement, rejeter le recours en raison de son caractère irrecevable ou non fondé, et

–        condamner Systran et Systran Luxembourg à l’intégralité des dépens exposés par elles ainsi que par la Commission.

26.      Systran et Systran Luxembourg concluent à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le pourvoi de la Commission;

–        confirmer l’arrêt attaqué, et

–        condamner la Commission aux entiers dépens.

IV – Les moyens du pourvoi

27.      La Commission soulève huit moyens. Le premier moyen est pris de l’incompétence du Tribunal, ce dernier ayant conclu de manière manifestement erronée et contradictoire que le litige n’était pas de nature contractuelle. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense et d’une méconnaissance des règles d’administration de la preuve. Par son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a fait une application inexacte des règles du droit d’auteur relatives à la titularité des droits invoqués par Systran. Par ses quatrième et cinquième moyens, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur manifeste d’appréciation du caractère illégal ou fautif de son comportement et du caractère suffisamment caractérisé de sa prétendue faute. Par son sixième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a, d’une part, commis une erreur d’interprétation de l’exception prévue à l’article 5 de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (7), et, d’autre part, insuffisamment motivé son arrêt concernant l’exception prévue à l’article 6 de ladite directive. Le septième moyen est pris d’une erreur de droit dans l’appréciation de l’existence d’un lien de causalité «suffisamment direct» entre la faute dénoncée et le dommage allégué. Le huitième moyen, enfin, est tiré d’une erreur de droit dans la fixation des dommages-intérêts à hauteur de 12 001 000 euros.

V –    Sur le premier moyen

A –    Résumé de l’argumentation de la Commission

28.      Dans le cadre du premier moyen de son pourvoi, la Commission soutient, en ligne principale, que le litige l’opposant à Systran et à Systran Luxembourg relève non pas du contentieux de la responsabilité extracontractuelle mais, compte tenu des différents contrats qu’elle a conclus avec ces sociétés entre 1975 et 2002 ainsi que d’autres documents contractuels, tels que certains échanges de courrier et des lettres d’engagement, du contentieux de la responsabilité contractuelle. Le Tribunal aurait donc commis une erreur manifeste dans son appréciation de la nature juridique du litige et méconnu, en conséquence, ses propres règles de compétence (8).

29.      Elle fait valoir, tout d’abord, que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation de l’arrêt du 20 mai 2009, Guigard/Commission (9). Tout en reconnaissant qu’une violation de droits d’auteur peut ouvrir la voie à une action en responsabilité extracontractuelle, elle considère que le présent litige ne relève pas d’un tel cas de figure, dans la mesure où les parties ont convenu de modalités de cession ou de concession des droits d’auteur en cause en l’espèce.

30.      La Commission s’emploie, ensuite, à démontrer le bien-fondé de sa thèse en se livrant à une analyse des contrats en cause, de leur nature juridique et de leurs clauses, ainsi que des droits que ces derniers lui reconnaissent. Elle en conclut que, en ne prenant pas la mesure exacte des droits d’utilisation qu’elle détient sur le logiciel EC-Systran Unix, le Tribunal a commis une dénaturation du sens clair desdits contrats, le conduisant à une erreur d’appréciation de la nature du litige.

31.      La Commission invoque, enfin, une violation des règles d’interprétation des contrats, le Tribunal ne pouvant interpréter les contrats de migration, et notamment leur article 13, comme ne lui conférant aucun droit. Elle fait également valoir que le Tribunal a commis une erreur en concluant que, dès lors que Systran n’était pas signataire des contrats de migration, ces derniers ne lui étaient pas opposables en tant que tels, par application du principe de l’effet relatif des contrats.

32.      La réponse à apporter à ce premier moyen de la Commission appelle quelques réflexions préalables de ma part.

B –    L’enjeu d’une exception d’incompétence fondée sur la nature contractuelle du litige

1.      Une question de distribution verticale des compétences juridictionnelles entre l’Union et les États membres

33.      Il nous faut commencer par rappeler que, conformément à l’article 274 TFUE, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales, «sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice», c’est-à-dire, conformément à la jurisprudence de la Cour, sauf dans les cas dans lesquels ils relèvent des compétences exclusives attribuées au juge de l’Union (10).

34.      L’article 274 TFUE trace ainsi une répartition verticale des compétences entre juridictions de l’Union et juridictions nationales pour connaître des litiges auxquels l’Union est partie, commandée par le principe des compétences d’attribution ou, plus précisément, déterminée par les différentes dispositions du traité FUE attribuant aux juridictions de l’Union des compétences matérielles exclusives.

35.      Par ailleurs, et conformément à une jurisprudence itérative, les juridictions de l’Union disposent notamment d’une compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les institutions de l’Union ou leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions, prévue aux articles 268 TFUE et 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE (11) ainsi qu’à l’article 41, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

36.      Finalement, les juridictions de l’Union sont compétentes (12), en vertu de l’article 272 TFUE, pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé pour l’Union (13).

37.      Il résulte donc de la lecture combinée des articles 272 TFUE, 274 TFUE, 268 TFUE et 340, premier et deuxième alinéas, TFUE que, lorsque l’Union est poursuivie en responsabilité par une personne physique ou morale, c’est la nature contractuelle ou extracontractuelle du litige, sauf éventuelle clause attributive de juridiction, qui détermine immédiatement la compétence juridictionnelle. Autrement dit, les juridictions nationales disposent d’une compétence de principe pour connaître des litiges contractuels, sauf clause compromissoire attribuant compétence au juge de l’Union. Pour sa part, le juge de l’Union dispose d’une compétence exclusive pour connaître des litiges extracontractuels.

38.      Ainsi qu’il ressort du rappel qui précède, la question de la nature contractuelle ou extracontractuelle d’un litige déterminé engage donc une question de répartition verticale des compétences entre juridictions nationales et juridictions de l’Union (14), qui dépasse ainsi largement, et de par sa nature, la question de la délimitation des contentieux contractuel et extracontractuel dans les ordres juridiques des États membres.

2.      Une question de détermination du droit applicable: l’article 340 TFUE

39.      La détermination de la nature, contractuelle ou extracontractuelle, d’un litige auquel l’Union est partie n’est pourtant pas seulement fondamentale en ce qu’elle conditionne la compétence juridictionnelle de l’Union ou des États membres. Elle l’est également en ce qui concerne le droit applicable au litige, avec des conséquences immédiates sur la réponse à donner à une exception fondée sur la nature contractuelle dudit litige.

40.      Il résulte de l’article 340, premier alinéa, TFUE que, dans le cas d’un litige de nature contractuelle, la responsabilité de l’Union est «régie par la loi applicable au contrat en cause». En revanche, en matière de responsabilité extracontractuelle, l’Union doit, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, «réparer conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres».

41.      Si le litige est de nature contractuelle, un droit substantiel trouve donc à s’appliquer en vertu des clauses mêmes du contrat. C’est notamment la loi du contrat qui régira les droits et obligations respectifs des parties à ce contrat et qui déterminera la législation applicable à ce dernier et, finalement, la juridiction compétente pour connaître des litiges afférents audit contrat, conformément tant à la loi applicable au contrat qu’à la loi du contrat (15).

42.      En revanche, si le litige est de nature extracontractuelle, le droit en vertu duquel il pourra être répondu à la demande de réparation n’est, ainsi que le prévoit l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, constitué que des seuls principes généraux communs aux droits des États membres. Cela implique que le juge de l’Union ne pourra se prononcer que sur la base desdits principes, qu’il n’aura autrement dit aucun autre droit à sa disposition et que, partant, il n’aura pas compétence pour appliquer les lois d’éventuels contrats, tant la loi de ces contrats que les lois applicables audits contrats. Cette situation n’a cependant rien d’étonnant en soi dans le cadre d’une action en responsabilité extracontractuelle reposant, par hypothèse, sur l’absence de toute clause contractuelle pertinente, c’est-à-dire ayant un lien suffisant avec le litige.

C –    Comment procéder face à une exception d’incompétence fondée sur la nature contractuelle du litige?

43.      Un litige de nature extracontractuelle apparaît, a priori, comme un litige opposant des parties qui ne sont liées par aucun rapport contractuel pertinent, c’est-à-dire ayant un lien avec l’objet du litige.

44.      Or, s’il appert qu’un litige se présentant suivant cette configuration ne peut être résolu sans examen du contenu et de la portée des liens contractuels unissant les parties et que, par conséquent, la «loi du contrat» doit être prise en considération aux fins de cette résolution, il paraît clair que ce litige devient, tout d’abord et en ligne de principe, un litige de «nature contractuelle». Il doit, partant, être examiné comme tel, à tout le moins de prime abord, étant précisé que rien ne s’oppose à ce que, par la suite et à l’issue de cet examen par la juridiction compétente en matière de responsabilité contractuelle, il puisse être déféré à la juridiction compétente pour connaître d’une action en responsabilité extracontractuelle. Il ne faut, en effet, pas oublier que, aux fins d’accueillir une exception d’incompétence tirée de la nature contractuelle d’un litige, il ne saurait être exigé de conclure à l’absence de tout acte de nature à engager la responsabilité délictuelle, mais simplement de conclure à l’existence d’un contexte contractuel présentant les caractéristiques ci-dessus décrites.

45.      Tout ceci revient à dire qu’une exception d’irrecevabilité formellement soulevée par une partie défenderesse à une action en responsabilité extracontractuelle, invoquant l’existence d’un rapport contractuel entre les parties en relation avec l’objet du litige, ne saurait être considérée comme une exception quelconque, mais devrait plutôt être considérée comme une question pour ainsi dire qualifiée, appelée à être résolue préalablement et prioritairement.

46.      La logique inverse, selon laquelle, en l’espèce, l’examen d’une responsabilité extracontractuelle conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres devrait avoir préséance, ne saurait en revanche être raisonnablement admise. Le juge de l’Union ne saurait, en effet, examiner une demande d’indemnisation sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, en faisant abstraction de la loi qui, prima facie, lie les parties, avant de s’être assuré qu’il est raisonnablement compétent pour en connaître, en ceci qu’il doit avoir écarté une éventuelle exception tirée de la nature contractuelle du litige.

47.      En conclusion, l’examen de l’existence ou pas d’une «loi du contrat» régissant les rapports entre les parties à une action en responsabilité extracontractuelle doit, à mon avis, s’imposer logiquement, compte tenu des compétences attribuées par le traité au juge de l’Union, de manière préalable et prioritaire.

48.      Cela dit, encore importe-t-il de déterminer l’objet et l’intensité de cet examen préalable dans de telles circonstances et à ces fins précises.

49.      Formulé en termes très simples, cela signifie que le juge de l’Union ne saurait, lorsqu’il est saisi d’une action en responsabilité extracontractuelle dans le cadre de laquelle est opposée la nature contractuelle du litige, statuer sur sa compétence au terme d’un examen qui relèverait du fond du litige, c’est-à-dire ayant trait au bien-fondé des allégations portées devant lui, et notamment par la partie qui invoque l’exception. Il doit, bien au contraire, n’orienter son examen que dans l’objectif de déterminer l’existence ou pas de ce que je me permettrais de décrire comme un contexte contractuel suffisamment dense et pertinent pour que, comme cela a déjà été souligné, le litige ne puisse raisonnablement trouver de réponse sans que ne soient incorporés les rapports qui lient les parties (16). Le sens de l’examen à effectuer emporte des répercussions immédiates sur l’intensité du contrôle à opérer.

50.      Plus précisément, le juge de l’Union devant déterminer la nature, ainsi soumise à son appréciation, dudit litige, aux fins de statuer sur sa propre compétence, il ne peut se livrer qu’à un examen d’ensemble, prima facie, des rapports contractuels liant les parties, et ce à seule fin d’établir, eu égard à l’objet du litige, la présence en tant que telle d’une «loi du contrat» s’imposant à celles-ci lui permettant de conclure de manière raisonnablement prévisible que le litige ne peut être résolu sans qu’il ne soit tenu compte de façon approfondie de ladite «loi du contrat» (17).

51.      Qu’il me soit permis d’insister encore sur ce point précis. Saisi sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle d’un litige s’inscrivant dans un cadre contractuel, le juge de l’Union, qui, en l’absence de clause compromissoire, n’est pas en position d’examiner le contenu des liens contractuels faute de pouvoir appliquer la loi régissant les relations contractuelles, ne saurait statuer sur sa compétence sur la base, précisément, du bien-fondé ou de son contraire des prétentions de la partie défenderesse. Ce qui est toutefois déterminant, c’est qu’il n’est pas appelé, aux fins d’établir ou de décliner sa compétence, à aller au-delà de l’appréciation d’ensemble de l’existence d’un rapport contractuel suffisamment pertinent, en relation avec l’objet du litige, pour qu’il puisse être conclu que ce dernier ne peut raisonnablement être résolu sans que ne soient, au préalable, évaluées les clauses contractuelles invoquées à la lumière du droit dont elles relèvent.

D –    Les erreurs commises par le Tribunal dans son appréciation de l’exception d’incompétence

52.      Il me paraît clair que le Tribunal n’a pas suivi l’approche ci-dessus proposée à l’occasion de l’examen qu’il a mené en l’espèce, ainsi qu’il ressort tant des observations préliminaires sur les compétences en matière contractuelle et non contractuelle figurant aux points 57 à 64 de l’arrêt attaqué, dans lesquelles il expose les grandes lignes de l’examen qu’il entend réaliser, que des motifs subséquents développant ledit examen (points 65 à 104 de l’arrêt attaqué).

53.      Pour rappel, après avoir présenté les dispositions pertinentes du traité régissant la responsabilité contractuelle et extracontractuelle de l’Union (points 57 à 59 de l’arrêt attaqué), le Tribunal a tout d’abord à juste titre indiqué, au point 60 de l’arrêt attaqué, que, pour déterminer sa compétence en vertu de l’article 235 CE, il devait examiner, au regard des différents éléments pertinents du dossier, si la demande d’indemnité présentée par les requérantes reposait de manière objective et globale sur des obligations d’origine contractuelle ou non contractuelle, en se référant à l’arrêt Guigard/Commission, précité. Cette prémisse posée, le Tribunal a indiqué les éléments qu’il entendait prendre en considération dans son examen, en citant, de manière non exhaustive, les prétentions des parties, le fait générateur du préjudice allégué ainsi que le contenu des dispositions contractuelles invoquées (18).

54.      Pourtant, ceci posé, le Tribunal a examiné ensuite formellement, dans un premier temps, la demande d’indemnité des requérantes et la nature des comportements dommageables qu’elles dénoncent, en l’occurrence une divulgation illégale de leur savoir-faire et un acte de contrefaçon du logiciel Systran Unix (points 65 à 83 de l’arrêt attaqué), pour aborder, dans un second temps, les «éléments invoqués par la Commission au soutien de l’existence d’une autorisation contractuelle de divulguer à un tiers des informations susceptibles d’être protégées au titre du droit d’auteur et du savoir-faire» (points 84 à 100 de l’arrêt attaqué).

55.      La démarche ainsi concrètement suivie par le Tribunal dans l’arrêt attaqué mérite, à mon avis, la censure de la Cour à un double titre.

56.      Il doit être constaté, tout d’abord, que le Tribunal ne s’est pas purement et simplement livré à l’analyse préalable de la situation prévalant entre les parties au litige aux fins d’établir sa propre compétence pour en connaître. Joignant, en quelque sorte, l’exception d’incompétence au fond, ou plutôt joignant déjà le fond, abordé à ce stade, à l’exception (19), il a cherché à s’assurer, en premier lieu, du bon droit de la demande des requérantes, à la lumière des principes communs au droit des États membres.

57.      Ce n’est qu’en second lieu, et en donnant réponse au sens strict à l’exception d’incompétence, qu’il s’est efforcé de démontrer l’absence de toute clause contractuelle explicite, claire et précise autorisant le comportement de la Commission, pour en déduire, au point 103 de l’arrêt attaqué, que «le litige en cause était de nature non contractuelle».

58.      Certes, et il importe de le relever, la difficulté à laquelle le Tribunal était confronté était de taille, aggravée par l’argumentation même de la Commission qui invoquait, dans le cadre de son exception d’incompétence, des dispositions contractuelles précises pour, à la fois, déjà mettre en doute les droits des requérantes et revendiquer les siens.

59.      D’un côté, le Tribunal s’est employé à démontrer que les revendications des requérantes avaient elles-mêmes un fondement. Il conclut, d’ailleurs, de manière significative sa démonstration en indiquant que les requérantes «établissent à suffisance de droit et de fait les éléments nécessaires pour permettre au Tribunal d’exercer la compétence non contractuelle qui lui est conférée par le traité» (point 101 de l’arrêt attaqué).

60.      Or, et de cela découle le premier reproche qui doit être adressé à la démarche du Tribunal, la Commission, en bonne logique, entendait, par son exception d’incompétence et à ce stade, non pas dénier toute apparence de bon droit aux revendications des requérantes, mais bien plutôt obtenir que soit pleinement pris en compte, dans le cadre de l’appréciation de son exception, le contexte contractuel très marqué dans lequel elles s’inscrivaient, même si son argumentation était centrée sur certaines clauses déterminées. C’est en cela que doit être comprise l’insistance avec laquelle elle invoque l’arrêt Guigard/Commission, précité.

61.      D’un autre côté, et de cela découle le second reproche qui doit être adressé à la démarche du Tribunal, ce dernier s’est livré, pour ce qui est de l’exception proprement dite formulée par la Commission et comme cela a déjà été souligné ci-dessus, à un examen ciblé du contenu du litige, c’est-à-dire circonscrit aux dispositions invoquées par la Commission, en vue de s’assurer que lesdites clauses contractuelles n’étaient pas de nature à justifier le comportement de la Commission dénoncé et d’écarter l’exception d’incompétence du juge de l’Union. Or, le contrôle qu’il incombait au Tribunal de mener dans le cadre de son examen de l’exception d’incompétence de la Commission ne pouvait déjà porter sur le bien-fondé des droits contractuels revendiqués par la Commission.

62.      Le Tribunal ne s’est, ce faisant, pas du tout livré à l’examen d’ensemble, que nous venons de défendre, du contexte contractuel du litige qu’il était censé mener, aux fins de déterminer s’il pouvait raisonnablement être conclu avec une certitude suffisante que le litige relevait immédiatement de sa compétence.

63.      À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime que le Tribunal a commis une double erreur de droit lors de son examen des relations contractuelles qui se sont nouées entre la Commission et les différentes sociétés du groupe Systran qui ont développé ou contribué au développement des différentes versions du logiciel Systran à travers le temps et qu’il s’est, partant, déclaré à tort compétent pour connaître de l’action en indemnisation du préjudice prétendument causé à Systran par le comportement de la Commission.

64.      Par conséquent, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner à ce stade les autres griefs articulés par la Commission dans le cadre de son premier moyen, il convient d’accueillir celui-ci et, partant, d’annuler l’arrêt attaqué.

E –    La Cour est en état de statuer elle-même sur l’exception d’incompétence

65.      Il reste à examiner les suites à donner à l’annulation proposée et, plus précisément à déterminer si la Cour doit évoquer l’affaire et statuer définitivement sur l’exception d’incompétence soulevée par la Commission en première instance ou si elle doit, au contraire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que ce dernier statue définitivement sur l’exception d’incompétence.

66.      Il résulte de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

67.      J’estime que la Cour dispose, en l’espèce, des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur l’exception d’incompétence soulevée par la Commission dans la procédure devant le Tribunal (20).

68.      Ainsi qu’il ressort des développements qui précèdent, le litige opposant la Commission à Systran et à Systran Luxembourg s’inscrit dans le cadre d’un conflit portant essentiellement sur la portée de leurs droits respectifs sur le logiciel EC-Systran Unix. Ledit logiciel étant le fruit d’une longue collaboration des parties, juridiquement matérialisée par des contrats successifs de développement conjoint, de maintenance et de migration, comportant notamment des clauses de licence de droits de propriété intellectuelle, c’est donc dans un contexte contractuel très marqué que le litige est né.

69.      En outre, il faut ici souligner que, loin de comporter une clause compromissoire au profit du juge de l’Union, les différents contrats conclus font apparaître des clauses soumettant tout différend entre les parties à la compétence des juridictions d’un État membre (contrats de migration) ou à l’arbitrage (contrats de collaboration) et désignant le droit applicable auxdits contrats (21).

70.      L’existence de ce contexte contractuel, dont le contenu se révèle déjà largement dans les développements qui précèdent, permet, sans qu’il soit nécessaire de se livrer à une analyse plus étendue et plus précise de ce dernier, de conclure de façon suffisamment certaine que, eu égard à l’objet de la demande d’indemnisation et compte tenu des droits et obligations contractuels des parties, il ne peut être raisonnablement statué sur le litige sans un examen approfondi des différents contrats (22) à la lumière du droit qui leur est applicable (23).

71.      En conséquence, j’invite la Cour à statuer définitivement sur l’exception d’incompétence soulevée par la Commission en jugeant que le Tribunal devait décliner sa compétence pour connaître, sur le fondement des articles 268 TFUE et 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE, du litige tel qu’il se présentait devant lui et inviter les parties à saisir les juridictions nationales compétentes désignées d’un commun accord pour que, en application de la loi applicable aux contrats et dans toute la mesure pertinente, elles statuent sur la portée de leurs droits et obligations respectifs et se prononcent sur l’existence d’éventuels manquements contractuels et la responsabilité contractuelle éventuelle de l’Union.

72.      Il peut, dans cette perspective, être souligné de manière générale que l’évaluation des droits et obligations respectifs des parties au litige implique, notamment, un examen précis et circonstancié de la nature, de l’objet et de la finalité des différents contrats en cause et des principales stipulations contractuelles convenues, au regard tant du droit applicable auxdits contrats que des usages de la profession (24), tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes et en particulier du principe d’exécution de bonne foi des conventions et des obligations de loyauté, de pondération et de collaboration incombant aux parties (25).

73.      Il importe ici d’ajouter que, au-delà de ce qui pourra résulter de l’issue du litige porté devant les juridictions nationales compétentes, il n’est ce faisant préjugé en rien de la compétence du juge de l’Union pour éventuellement ordonner la réparation des dommages pouvant finalement résulter non pas d’une faute contractuelle mais de tout comportement constitutif d’un acte délictuel, en application des principes généraux communs aux droits des États membres.

VI – Sur les autres moyens

74.      Comme je l’ai annoncé précédemment, l’analyse qui suit n’est présentée qu’à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour ne partagerait pas la conclusion à laquelle me conduit l’examen du premier moyen soulevé par la Commission. J’examinerai tout d’abord le deuxième moyen soulevé par la Commission, tiré d’une violation des règles d’administration de la preuve et des droits de la défense (titre A), puis son troisième moyen, dans le cadre duquel elle conteste l’existence des droits d’auteur revendiqués par les requérantes (titre B). J’examinerai ensuite (titre C) les différents moyens et griefs mettant en cause l’appréciation par le Tribunal des différentes conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union, à savoir, l’illégalité du comportement reproché (titre 1), l’existence des préjudices allégués (titre 2), l’existence d’un lien de causalité entre ledit comportement et lesdits préjudices (titre 3) et, enfin, l’évaluation de ces préjudices (titre 4).

A –    Sur la violation des règles d’administration de la preuve et des droits de la défense de la Commission (deuxième moyen)

75.      Par son deuxième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a violé les règles gouvernant l’administration de la preuve et ses droits de la défense en déclarant la présentation du rapport Golvers et de l’attestation Gosselies tardive et, par conséquent, irrecevable, en application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal (points 252 et 253 de l’arrêt attaqué).

76.      Conformément aux articles 44, paragraphe 1, sous e), et 46, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, il incombe au requérant et au défendeur de présenter leurs offres de preuve dans la requête et dans le mémoire en défense, respectivement.

77.      Ces dispositions, correspondant aux articles 120, sous e), et 124, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, déterminent ainsi le stade de la procédure auquel les offres de preuve initiales (26) doivent normalement être soumises. Édictées dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et dans le plein respect des principes du contradictoire et d’égalité des armes, elles traduisent les exigences découlant d’une procédure équitable et, plus particulièrement, d’une protection des droits de la défense (27).

78.      Toutefois, conformément à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, qui correspond à l’article 128, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, il est encore possible aux parties de faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, à condition toutefois qu’elles motivent le retard apporté à la présentation desdites offres.

79.      La Cour a jugé que, en tant qu’exception aux règles régissant le dépôt des offres de preuve, l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal impose aux parties de motiver le retard apporté à la présentation de leurs offres de preuve (28), obligation qui implique que soit reconnu au juge le pouvoir de contrôler le bien-fondé de la motivation du retard apporté à la production de ces offres de preuve et, selon le cas, le contenu de ces dernières ainsi que, si la demande n’est pas fondée à suffisance de droit, le pouvoir de les écarter (29).

80.      En l’occurrence, force est tout d’abord de relever que, comme le Tribunal l’a constaté, le rapport Golvers et l’attestation Gosselies ont effectivement été présentés à un stade extrêmement tardif (30), très postérieurement à la clôture de la procédure écrite.

81.      Il ressort, en effet, du point 251 de l’arrêt attaqué que la Commission a présenté le rapport Golvers et l’attestation Gosselies en réponse à la troisième série de questions posées aux parties par le Tribunal sur les éléments à retenir pour l’évaluation du préjudice. Or, la requête a été déposée le 25 janvier 2007 et le Tribunal a posé une première série de questions le 1er décembre 2008, puis une seconde série de questions lors de l’ouverture de la procédure orale. L’audience a eu lieu le 27 octobre 2009, puis le Tribunal a, par ordonnance du 26 mars 2010, ordonné la réouverture de la procédure orale afin d’inviter les parties à répondre à la troisième série de questions en cause.

82.      Le Tribunal a, par ailleurs, expressément constaté que ce retard était dénué de toute motivation. Il a néanmoins pris grand soin d’examiner ces documents (31) à titre surérogatoire, dans le cadre dans lequel ils avaient été présentés, c’est-à-dire en tant qu’éléments de réponse à la question de l’évaluation du préjudice.

83.      Il ne saurait, dans ces conditions, être fait grief au Tribunal d’avoir méconnu l’arrêt Baustahlgewebe/Commision, précité.

84.      Le deuxième moyen soulevé par la Commission, tiré de la violation des règles d’administration de la preuve et des droits de la défense, est donc dénué de fondement et doit, par conséquent, être rejeté.

B –    Sur la titularité des droits d’auteur de Systran (troisième moyen)

85.      Par son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’application des principes généraux du droit d’auteur qui se dégagent de la directive 91/250, notamment, en jugeant, dans le cadre de l’appréciation de sa propre compétence extracontractuelle pour connaître du litige (points 70 à 76 de l’arrêt attaqué), que les requérantes étaient titulaires des droits d’auteur qu’elles revendiquaient.

86.      Elle souligne, tout d’abord, que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 91/250 prévoit que l’auteur d’un programme d’ordinateur est la personne physique ou le groupe de personnes physiques ayant créé le programme. Tout en rappelant que cette règle est assortie d’exceptions en ce qui concerne les œuvres collectives ou la création par un employé de programmes d’ordinateur dans l’exercice de ses fonctions, elle estime que ces dernières n’ont toutefois pas été invoquées par les requérantes ni évoquées par le Tribunal.

87.      Elle critique, ensuite, l’application par le Tribunal de la règle de la présomption de qualité d’auteur, notamment prévue à l’article 5 de la directive 2004/48 (32), selon laquelle une personne qui agit en contrefaçon est dispensée de faire la preuve de ses droits si elle établit que son nom apparaît sur l’œuvre. Elle souligne, à cet égard, que le logiciel litigieux est dénommé EC-Systran Unix, ce qui prouverait qu’elle en est coauteur avec Systran, que les droits sur ledit logiciel seraient détenus en commun et que tout litige sur l’étendue desdits droits devrait être tranché sur la base du contrat. Elle ajoute que cette présomption n’est que juris tantum, et qu’elle a démontré détenir les droits d’utilisation du logiciel EC-Systran Unix.

88.      En l’occurrence, le Tribunal a jugé, au point 71 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas parvenue à prouver que les requérantes n’étaient pas titulaires des droits d’auteur qu’elles revendiquaient sur la version Systran Unix du logiciel Systran, faisant sienne l’argumentation des requérantes selon laquelle il découlerait des principes généraux qui se dégagent de la convention de Berne ainsi que des directives 91/250 et 2004/48 que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui le programme d’ordinateur est divulgué (point 69 de l’arrêt attaqué).

89.      Force est de constater que, ce faisant, le Tribunal a donné corps à la présomption légale établie à l’article 15 de la convention de Berne et reprise à l’article 5 de la directive 2004/48, selon laquelle, aux fins de l’application des mesures, procédures et réparations prévues dans ladite directive, il suffit, pour que l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique soit, jusqu’à preuve du contraire, considéré comme tel et admis en conséquence à exercer des poursuites contre les contrefacteurs, que son nom soit indiqué sur l’œuvre de la manière usuelle.

90.      C’est donc sur le fondement d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué que la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en appliquant la présomption de titularité au logiciel EC-Systran Unix, de sorte que l’argument doit être rejeté comme étant manifestement non fondé.

91.      Par ailleurs, le Tribunal a constaté, au point 209 de l’arrêt attaqué, que, suivant les données présentées par les requérantes, en l’occurrence un avis juridique, la qualité d’auteur d’une personne morale était consacrée par la jurisprudence en France et en Belgique, en précisant que la Commission n’était pas parvenue à réfuter cet avis.

92.      Cette constatation intervient, certes, dans le cadre de l’examen au fond du litige et pas dans le cadre de l’examen de la recevabilité de l’action et des développements spécifiquement consacrés à la présomption de titularité des droits de Systran. Il demeure toutefois qu’elle a été prise en considération par le Tribunal dans le cadre de l’analyse des droits des requérantes sur la version Systran Unix du logiciel Systran, sans être remise en cause par la Commission dans le cadre de son pourvoi. Il ne saurait, dès lors, être fait grief au Tribunal de ne pas avoir formellement évoqué les dispositions invoquées de la directive 91/250.

93.      Le troisième moyen soulevé par la Commission doit, par conséquent, être rejeté comme étant non fondé.

C –    Sur l’appréciation par le Tribunal de la responsabilité extracontractuelle de l’Union (quatrième à huitième moyen)

94.      Dans le cadre de ses autres moyens, la Commission conteste l’appréciation par le Tribunal des trois conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union que sont le caractère illégal ou fautif de son comportement (quatrième, cinquième et sixième moyens), l’existence de tout préjudice, ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité invoquée et les préjudices allégués (septième moyen). Elle critique, enfin, l’évaluation des préjudices invoqués (huitième moyen). Ces différents moyens seront donc abordés dans cet ordre, étant précisé que c’est dans le cadre de son huitième moyen que la Commission soulève formellement l’absence de tout préjudice.

1.      Sur l’illégalité du comportement (quatrième, cinquième et sixième moyens)

a)      Résumé des motifs de l’arrêt attaqué

95.      Sur le fond, le Tribunal a, aux points 200 à 261 de l’arrêt attaqué, conclu son analyse du comportement prétendument illégal de la Commission en indiquant que, «en s’octroyant le droit de réaliser des travaux devant entraîner une modification des éléments relatifs à la version Systran Unix du logiciel Systran qui se retrouvent dans la version EC-Systran Unix, sans avoir obtenu préalablement l’accord du groupe Systran, la Commission a[vait] commis une illégalité au regard des principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière», faute qui constitue «une violation suffisamment caractérisée des droits d’auteur et du savoir-faire détenus par le groupe Systran sur la version Systran Unix du logiciel Systran» (point 261 de l’arrêt attaqué).

96.      Il est parvenu à cette conclusion au terme d’un examen en trois étapes. Il a examiné, tout d’abord, si les requérantes pouvaient se prévaloir, au regard des principes généraux communs aux droits des États membres, du droit de s’opposer à ce que la Commission confie sans leur accord des travaux relatifs à certains aspects de la version EC-Systran Unix à un tiers (points 204 à 215 de l’arrêt attaqué). Il a vérifié, ensuite, l’allégation de la Commission selon laquelle les différents contrats conclus depuis 1975 l’autoriseraient à confier à un tiers les travaux définis dans le marché litigieux (points 216 à 227 de l’arrêt attaqué). Il a, enfin, analysé le contenu des travaux mentionnés dans l’appel d’offres, afin de déterminer s’ils étaient à même d’entraîner la modification ou la divulgation d’éléments ou d’informations protégés au titre du droit d’auteur et du savoir-faire des requérantes (points 228 à 260 de l’arrêt attaqué).

b)      Résumé des arguments de la Commission

97.      Premièrement, la Commission fait valoir, dans le cadre de son quatrième moyen, que son comportement ne pouvait être qualifié d’illégal ou de fautif. Ce moyen se subdivise en deux branches, l’une consacrée au droit d’auteur, l’autre au savoir-faire.

98.      D’une part, la modification par elle-même ou un tiers des composants du logiciel EC-Systran Unix ne pourrait être qualifiée de contrefaçon (première branche du quatrième moyen). Le Tribunal aurait, plus précisément et en premier lieu (premier grief), dénaturé les faits et les éléments de preuve en tirant de la similitude substantielle des logiciels Systran Unix et EC-Systran Unix la conclusion selon laquelle les requérantes pouvaient se prévaloir de leurs droits sur le logiciel Systran Unix pour s’opposer à la divulgation à un tiers, sans leur consentement, de la version EC-Systran Unix (points 143, 147 et 212 de l’arrêt attaqué) (33). Le Tribunal aurait également, et en second lieu (second grief), commis une erreur manifeste d’appréciation et une dénaturation des faits en concluant à l’existence d’une contrefaçon, dès lors que c’est le noyau de la version EC-Systran Unix du logiciel, sur laquelle elle possède des droits non contestés en vertu des contrats de migration, qui aurait été modifié et pas le noyau de sa version Systran Unix.

99.      D’autre part, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que, par l’octroi de deux lots du marché litigieux à Gosselies et la communication subséquente d’informations relatives à Systran Unix, elle s’était fautivement livrée à une divulgation du savoir-faire de Systran (seconde branche du quatrième moyen).

100. Deuxièmement, la Commission fait valoir, dans le cadre de son cinquième moyen, que ledit comportement ne constitue pas, en tout état de cause, une violation «suffisamment caractérisée» des droits d’auteur et du savoir faire de Systran, au sens de l’arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (34), dans la mesure où il ne présente pas un caractère inexcusable et où la règle violée ne présente pas les exigences requises (35). Elle ajoute qu’il faut prendre en compte, dans cette appréciation, le contexte dans lequel les prétendues fautes ont été commises, à savoir le fonctionnement de sa direction générale en charge de la traduction de tous les documents officiels de l’institution qui relève d’un intérêt public péremptoire (36).

101. Enfin, et troisièmement, la Commission soulève, dans le cadre de son sixième moyen, deux griefs tirés des exceptions au droit exclusif de l’auteur prévues par la directive 91/250. Le Tribunal aurait commis une erreur d’interprétation de l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 en jugeant, au point 226 de l’arrêt attaqué, qu’elle n’était pas parvenue à établir pour quelles raisons elle pouvait se prévaloir de cette exception légale aux actes soumis à restrictions pour confier à un tiers les travaux à réaliser dans le cadre du marché litigieux. D’une part, ladite directive n’exclurait pas que les travaux visés à son article 5, paragraphe 1, puissent être réalisés par des tiers. D’autre part, l’exception légale couvrirait l’adaptation d’un programme à un système d’exploitation mis à jour, ce qui était l’objet de l’appel d’offres du 4 octobre 2003. Par ailleurs, la Commission aurait également invoqué l’exception de décompilation, prévue à l’article 6 de la directive 91/250, dans le cadre de ses réponses à la deuxième série de questions du Tribunal, point sur lequel ce dernier ne se serait pas prononcé, en méconnaissance de l’article 36 du statut de la Cour.

c)      Appréciation

102. La Commission contestant, sans suivre l’analyse ternaire du Tribunal, à la fois toute contrefaçon du droit d’auteur (titre i) – et, dans ce cadre, une erreur d’interprétation de la directive 91/250 (titre ii) – et toute divulgation du savoir-faire de Systran (titre iii), tout en faisant valoir que, à supposer ces illégalités établies, elles ne seraient en tout état de cause pas «suffisamment caractérisées» (titre iv), j’examinerai ces quatre points successivement, étant précisé qu’il conviendra de tenir compte des motifs adoptés par le Tribunal dans le cadre de son appréciation des exceptions d’irrecevabilité, dès lors que, d’une part, le Tribunal opère lui-même un renvoi à cette analyse dans les motifs de fond de son arrêt (37) et que, d’autre part, la Commission soulève formellement, dans le cadre de son quatrième moyen, un grief visant lesdites appréciations du Tribunal.

i)      Sur la contrefaçon du droit d’auteur (première branche du quatrième moyen)

–       Sur le second grief de la première branche du quatrième moyen

103. Le second grief formulé par la Commission dans le cadre de la première branche de son quatrième moyen doit tout d’abord être rejeté comme étant manifestement dénué de tout fondement.

104. En effet, le Tribunal a jugé, en renvoyant à son analyse de sa propre compétence, aux points 68 à 73 de l’arrêt attaqué, que «le groupe Systran [était] en droit de se prévaloir de droits d’auteur sur la version Systran Unix du logiciel Systran qu’il a développée et qu’il commercialise sous son nom sans avoir à apporter d’autres éléments de preuve» (point 205 de l’arrêt attaqué). Il a précisé, à cet égard, que «[l]e débat ne port[ait] […] pas sur la version EC-Systran Unix, mais sur les droits susceptibles d’être invoqués par les requérantes en cas de travaux portant sur la version EC-Systran Unix du fait des droits détenus sur la version originale et antérieure Systran Unix» (point 211 de l’arrêt attaqué).

105. Ce faisant, le Tribunal a très clairement indiqué que c’est la modification de la version EC-Systran qui portait atteinte aux droits détenus par les requérantes sur la version Systran Unix (point 211 de l’arrêt attaqué).

106. Le constat ainsi effectué par le Tribunal sur le fond est, en outre, parfaitement cohérent avec l’analyse menée dans le cadre de l’examen de la recevabilité, aux points 137 à 147 de l’arrêt attaqué, au terme de laquelle il a jugé que les requérantes avaient établi de manière suffisamment probante qu’il existait une similitude substantielle entre la version Systran Unix et la version EC-Systran Unix, de sorte qu’elles pouvaient se prévaloir des droits détenus sur la version Systran Unix pour s’opposer à la divulgation à un tiers sans leur accord de la version dérivée EC-Systran Unix.

107. La Commission ne saurait, dès lors, faire grief au Tribunal d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation ou dénaturé les faits en se refusant à constater que c’est la version EC-Systran Unix qui aurait été modifiée.

–       Sur le premier grief de la première branche du quatrième moyen

108. Le premier grief formulé par la Commission dans le cadre de la première branche de son quatrième moyen soulève, quant à lui, un problème de recevabilité. La Commission estime, je le répète, que les conclusions juridiques que le Tribunal tire de la similitude substantielle des versions Systran Unix et EC-Systran Unix du logiciel Systran constituent une dénaturation des faits et des éléments de preuve, en avançant trois arguments.

109. Elle relève, premièrement, que, faute d’avoir été en possession de la version Systran Unix, elle n’a pas été mise en mesure de contester la similitude substantielle prétendue entre la version EC-Systran Unix et la version Systran Unix. Elle souligne, deuxièmement, que, à la supposer établie, cette similitude résulte de la filiation commune des systèmes Systran Unix et EC-Systran Unix, en l’occurrence le système EC-Systran Mainframe et de la circonstance qu’elle a commandé à Systran la migration de la version EC-Systran Mainframe vers l’environnement Unix en se référant, à cet égard, au rapport Golvers. Enfin et troisièmement, elle fait valoir que l’existence d’une faute ou d’une contrefaçon serait exclue, d’une part, par les droits qu’elle estime détenir en vertu des différents contrats successivement conclus depuis 1975, arguments qu’elle a développés dans le cadre de son premier moyen dénonçant l’incompétence du Tribunal, et, d’autre part, par les exceptions aux droits exclusifs de l’auteur qu’elle invoque dans le cadre de son sixième moyen.

110. Les deux premiers arguments de la Commission sont irrecevables, dans la mesure où ils dénoncent une dénaturation des faits ou des éléments de preuve, sans que la moindre précision sur les constatations matérielles inexactes et sur la dénaturation des éléments de preuve dont l’arrêt attaqué serait entaché ne soit fournie.

111. Il importe, à cet égard, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il résulte des articles 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour, en vertu desquels le pourvoi est limité aux questions de droit, que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (38).

112. La Cour n’est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis (39). Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (40).

113. En tout état de cause, le rapport Golvers a, comme il est exposé ci-dessus dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, à juste titre été déclaré irrecevable par le Tribunal, de sorte que la Cour ne saurait le prendre en considération quand bien même il permettrait de révéler la dénaturation de faits ou d’éléments de preuve. Par ailleurs, la Commission avait déjà invoqué, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, le fait qu’elle n’avait jamais été en possession des codes sources de la version Systran Unix (point 197 de l’arrêt attaqué), point sur lequel le Tribunal s’est prononcé, au point 254 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de l’examen qu’il a mené, à titre subsidiaire, dudit rapport Golvers, sans que la Commission remette précisément cette appréciation en cause.

114. Or, conformément à une jurisprudence itérative, un pourvoi doit, en vertu des dispositions de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58 du statut de la Cour et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt du Tribunal dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal, y compris ceux basés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui, conformément à l’article 49 du statut de la Cour, échappe à la compétence de cette dernière (41).

115. Le troisième argument appelle un examen particulièrement attentif. La Commission fait, en effet, formellement valoir que le Tribunal a commis une erreur en concluant que ni les contrats invoqués ni les exceptions aux droits exclusifs de l’auteur ne faisaient obstacle à la qualification du comportement de la Commission d’illégal ou de fautif.

116. L’incidence des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur étant au centre du sixième moyen de la Commission, elle sera examinée ci-dessous.

117. L’argument tiré des contrats pourrait être compris comme contestant essentiellement la qualification juridique des faits retenus par le Tribunal comme étant constitutifs d’une faute ou d’une illégalité, question de droit susceptible de faire l’objet d’un pourvoi. Ce dernier pourrait en effet être interprété, en cohérence avec l’argumentation présentée dans le cadre du premier moyen au point 29 des présentes conclusions, comme dénonçant non pas la dénaturation de dispositions contractuelles claires et précises, mais la dénaturation globale des contrats invoqués. Il s’agirait donc d’apprécier non pas la dénaturation d’un fait quelconque, mais la dénaturation d’un acte, ou d’un groupe d’actes, en l’occurrence les contrats en cause, et l’erreur de qualification juridique qui en découle nécessairement.

118. Toutefois, dans la mesure où la Commission se borne à dénoncer une dénaturation des faits et des éléments de preuve en renvoyant aux différents contrats invoqués, sans fournir la moindre précision ni la moindre explication à cet égard, et où elle n’a pas explicitement invoqué une dénaturation desdits contrats ni même la foi due aux actes, j’estime que ce grief doit également être rejeté. Il doit, en particulier, être souligné à cet égard que la Commission n’a pas cru devoir formellement contester, dans le cadre de son pourvoi, la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu au point 221 de l’arrêt attaqué s’agissant de la «philosophie» des contrats de commande qu’elle avait invoquée en première instance.

119. Par conséquent, la première branche du quatrième moyen de la Commission doit être rejetée comme étant irrecevable en totalité.

120. L’examen de l’incidence des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur prévues à l’article 5 de la directive 91/250, objet du sixième moyen, s’imposant logiquement dans la suite des développements qui précèdent, la seconde branche du quatrième moyen, relative à la divulgation du savoir-faire, ne sera donc examinée qu’ensuite.

ii)    Sur l’incidence des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur prévues à la directive 91/250 (sixième moyen)

121. Dans le cadre de son sixième moyen, la Commission soulève deux griefs, le premier concernant l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 et le second l’article 6 de ladite directive.

–       Sur le premier grief

122. Par son premier grief soulevé dans le cadre de son sixième moyen, la Commission fait en substance reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur d’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 en jugeant que l’exception légale aux actes relevant du droit exclusif de l’auteur d’un programme d’ordinateur qu’il prévoit n’a vocation à s’appliquer qu’aux travaux réalisés par l’acquéreur légitime dudit programme et pas aux travaux confiés à un tiers par cet acquéreur (point 225 de l’arrêt attaqué).

123. L’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 prévoit que, sauf dispositions contractuelles spécifiques, les actes prévus à l’article 4, sous a) et b), de ladite directive, dont notamment «la traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation d’un programme d’ordinateur et la reproduction du programme en résultant», ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire, à condition qu’ils soient nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.

124. La Cour, qui n’a pas encore eu l’occasion d’examiner la question de savoir si, comme l’affirme le Tribunal, l’exception au droit exclusif de l’auteur peut trouver à s’appliquer aux travaux d’adaptation confiés à un tiers par l’acquéreur légitime d’un programme, est ainsi appelée à dire le droit sur ce point (42).

125. Il ressort, à cet égard, des vingtième et vingt-deuxième considérants de la directive 91/250 que l’un des objectifs de cette exception est de permettre l’interopérabilité d’un programme créé de façon indépendante avec d’autres programmes ou l’interconnexion de tous les éléments d’un système informatique, y compris ceux de fabricants différents, afin qu’ils puissent fonctionner ensemble. Le vingt et unième considérant de ladite directive précise que les actes de reproduction et de traduction prévus à l’article 4, sous a) et b), de la même directive peuvent être accomplis par ou au nom d’une personne ayant le droit d’utiliser une copie du programme.

126. Dès lors, quand bien même les dispositions combinées des articles 4 et 5 de la directive 91/250 devraient, en tant qu’ils prévoient une exception au droit exclusif de faire ou d’autoriser du titulaire du droit d’auteur sur un programme d’ordinateur, faire l’objet d’une interprétation stricte, il semble difficile d’admettre que la directive exclue, en principe, que des travaux relevant de leur champ d’application puissent être réalisés par un tiers au nom d’une personne titulaire d’un droit d’autorisation.

127. Le premier grief formulé par la Commission dans le cadre de son sixième moyen me semble donc fondé, de sorte que l’arrêt attaqué devrait, également, être annulé pour ce seul motif, quand bien même il ne s’agirait que d’un élément subsidiaire dans le raisonnement du Tribunal.

128. Il importe, à cet égard, d’ajouter que la Commission invoquait les dispositions pertinentes des lois belge et luxembourgeoise (point 224 de l’arrêt attaqué) mais que le Tribunal a rejeté ses arguments sur le fondement d’une interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250 (point 225 de l’arrêt attaqué), après avoir jugé qu’il devait apprécier le caractère fautif du comportement de la Commission au regard des principes généraux communs aux droits des États membres (point 103 de l’arrêt attaqué).

129. Dans ces conditions, si la Cour devait n’annuler l’arrêt attaqué que pour ce motif, l’affaire devrait alors être renvoyée devant le Tribunal pour que ce dernier examine les autres conditions d’application de cette exception et, plus précisément, si, comme le fait valoir la Commission, l’adaptation d’un programme à un nouveau système d’exploitation relève de son champ d’application et si les travaux décrits dans l’appel d’offres litigieux et réalisés par Gosselies étaient, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/250, nécessaires pour utiliser le programme conformément à sa destination.

–       Sur le second grief

130. Le second grief formulé par la Commission, tiré de l’absence d’examen de l’exception de décompilation prévue à l’article 6 de la directive 91/250, doit, quant à lui, être rejeté comme étant manifestement irrecevable. S’il est exact que l’arrêt attaqué ne comporte pas la moindre analyse de l’exception de décompilation avancée par la Commission, il ne saurait cependant être fait reproche au Tribunal d’avoir, pour autant, insuffisamment motivé son arrêt ou omis de se prononcer sur un point, voire statué infra petita.

131. En effet, comme la Commission le souligne elle-même dans sa requête en pourvoi, elle n’a évoqué l’exception de décompilation que dans sa réponse à la deuxième série de questions posées par le Tribunal. Ni le mémoire en défense ni le mémoire en duplique présentés dans le cadre de la procédure devant le Tribunal ne font mention de cette exception ou des dispositions de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 91/250 qui la prévoit. L’argument tiré de l’exception de décompilation ne saurait dès lors être considéré comme un moyen de défense appelant une réponse expresse du Tribunal sous peine de censure.

iii) Sur la divulgation du savoir-faire (seconde branche du quatrième moyen)

132. Par la seconde branche de son quatrième moyen, la Commission fait également grief au Tribunal d’avoir jugé que, en confiant le marché résultant de l’appel d’offres du 4 octobre 2003 à Gosselies, elle avait illicitement divulgué le savoir-faire de Systran, en visant à la fois les motifs relatifs à la recevabilité, aux points 78 à 82 de l’arrêt attaqué, et ceux concernant le fond dudit arrêt, au point 200 de celui-ci. D’une part, les conditions d’application de l’article 339 TFUE ne seraient pas remplies en l’espèce, ainsi qu’il ressortirait de l’arrêt du 7 novembre 1985, Adams/Commission (145/83, Rec. p. 3539). D’autre part, les requérantes, pas plus que le Tribunal, n’auraient identifié ni une norme ni aucun autre principe général garantissant la protection du savoir-faire, de sorte que la demande sur ce point aurait dû être déclarée irrecevable.

133. Il doit, à cet égard, être tout d’abord constaté que le Tribunal a effectivement jugé, à la demande des requérantes (43), que la Commission avait illégalement divulgué le savoir-faire de Systran (44). Il a, en particulier, conclu au point 215 de l’arrêt attaqué, au terme de l’examen des droits invoqués par les requérantes, que le groupe Systran était en droit de se prévaloir de la protection du savoir-faire sur les informations techniques et secrètes relatives à la version Systran Unix du logiciel Systran (45), en renvoyant, à cet égard, à l’analyse menée aux points 78 à 81 de l’arrêt attaqué concernant la recevabilité de l’action en indemnité.

134. En l’occurrence, il a jugé qu’une information technique qui relève du secret des affaires d’une entreprise et qui a été communiquée à la Commission à des fins précises ne peut être divulguée à un tiers à d’autres fins sans l’autorisation de l’entreprise concernée (point 81 de l’arrêt attaqué).

135. Il est parvenu à cette conclusion en rappelant, tout d’abord, la jurisprudence de la Cour suivant laquelle, d’une part, l’obligation de confidentialité mise à la charge de la Commission et de son personnel par l’article 339 TFUE constituait un principe général du droit et, d’autre part, cette même disposition constituait l’expression du principe général en vertu duquel les entreprises ont droit à la protection de leurs secrets d’affaires. Il a également rappelé les dispositions de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires. Il s’est, ensuite, employé à définir les secrets d’affaires ainsi que les conditions d’application de l’article 287 CE.

136. Dès lors, la deuxième branche du quatrième moyen soulevé par la Commission doit être rejetée comme étant manifestement non fondée.

iv)    Sur la violation suffisamment caractérisée (cinquième moyen)

137. La Commission fait en substance valoir que, au regard des critères posés par la jurisprudence de la Cour (46), le Tribunal a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que les prétendues fautes de contrefaçon et de divulgation de savoir-faire constituaient une violation suffisamment caractérisée au sens de la jurisprudence. Les conditions d’existence d’une violation suffisamment caractérisée, et notamment les exigences tenant au caractère inexcusable du comportement dénoncé et à la clarté de la règle violée, ne seraient manifestement pas réunies et le Tribunal n’aurait pas pris en compte l’intérêt public péremptoire.

138. Le Tribunal a tout d’abord rappelé, en citant la jurisprudence de la Cour (47), que le comportement illégal reproché à une institution devait consister en une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers et que, lorsque l’institution en cause ne disposait que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire pouvait suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (48).

139. Au terme de son analyse des droits invoqués par les requérantes et de l’illégalité du comportement de la Commission (49), il a jugé que, «en s’octroyant le droit de réaliser des travaux devant entraîner une modification des éléments relatifs à la version Systran Unix du logiciel Systran qui se retrouvent dans la version EC-Systran Unix, sans avoir obtenu préalablement l’accord du groupe Systran, la Commission [avait] commis une illégalité au regard des principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière» et que cette faute constituait une violation suffisamment caractérisée des droits d’auteur et du savoir-faire détenus par le groupe Systran sur la version Systran Unix du logiciel Systran (50).

140. Contrairement à ce que les requérantes font valoir, ce grief ne saurait être déclaré irrecevable au motif qu’il n’aurait pas été soulevé par la Commission dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. Ledit grief, en effet, est soulevé dans le cadre d’un moyen tiré de l’erreur de qualification du comportement de la Commission et de l’absence de toute illégalité ou faute commise par cette dernière, et contestant donc l’existence même de l’un des trois éléments constitutifs de toute responsabilité extracontractuelle de l’Union, examinée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. En tout état de cause, la Commission est recevable à soulever un grief né de l’arrêt attaqué lui-même et visant à critiquer le bien-fondé de ce dernier (51).

141. En l’occurrence, les critiques soulevées par la Commission dans le cadre du pourvoi ne sont pas de nature à permettre de conclure à l’existence d’une erreur de droit commise à cet égard par le Tribunal, même si, par ailleurs, l’arrêt attaqué encourt certainement la censure de la Cour sur ce point.

142. Il importe, en effet, de rappeler que, conformément à la jurisprudence itérative de la Cour sur laquelle le Tribunal s’est fondé dans l’arrêt attaqué, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (52).

143. Il s’ensuit, ainsi que la Cour a eu l’occasion de le préciser, que le Tribunal ne saurait, sans commettre une erreur de droit, conclure à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire sans avoir déterminé la marge d’appréciation dont dispose l’institution ou, à tout le moins, sans avoir explicité à suffisance de droit les raisons ou les circonstances qui auraient pu justifier que, à titre exceptionnel, une telle analyse soit inutile (53).

144. Or, le Tribunal n’ayant pas déterminé cette marge d’appréciation ni expliqué pour quelle raison il n’était pas nécessaire de se livrer à une telle analyse, l’arrêt attaqué encourt la censure de la Cour sur ce point.

145. L’arrêt attaqué ne doit pas, pour autant, être annulé pour ce motif.

146. La Commission, en effet, est poursuivie non pas en raison de ses activités normatives, et plus précisément des conséquences préjudiciables découlant d’un acte normatif adopté dans le cadre d’une large marge d’appréciation (54), mais des conditions de passation d’un marché public de services. Si une institution de l’Union dispose à l’évidence de toute la latitude nécessaire pour décider de lancer une procédure de passation d’un marché public, elle ne dispose en revanche d’aucune marge d’appréciation en ce qui concerne le respect du droit s’imposant à elle dans le cadre d’une telle procédure.

147. Dès lors, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir s’il ne serait pas opportun que la Cour définisse (55) un régime de responsabilité extracontractuelle du fait de l’activité administrative distinct du régime de responsabilité extracontractuelle du fait de l’activité normative, j’estime, comme le Tribunal l’a constaté, que la violation par une institution, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public, du droit d’auteur ou du savoir-faire d’une personne physique ou morale, à la supposer établie, constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers susceptible d’ouvrir un droit à indemnisation.

148. Le grief tiré d’une erreur commise par le Tribunal dans son appréciation de l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers doit donc également être rejeté.

149. En conséquence, le cinquième moyen soulevé par la Commission doit être rejeté dans son intégralité.

2.      Sur l’existence des préjudices

a)      Résumé des motifs de l’arrêt attaqué

150. Au point 291 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, nonobstant la proposition d’évaluation initiale insuffisamment précise du préjudice des requérantes, il ne pouvait être fait abstraction du fait que le groupe Systran avait subi «un préjudice réel et certain», qui se concrétisait dans «la perte de valeur du savoir-faire de Systran consécutive à sa divulgation par la Commission» (point 292 de l’arrêt attaqué). Il a conclu, plus précisément, à l’existence d’un préjudice matériel, lequel se compose de trois éléments principaux, et d’un préjudice moral.

151. Il a constaté, premièrement, que les attestations des distributeurs des requérantes établissaient que l’attitude de la Commission avait porté préjudice aux activités commerciales du groupe Systran, préjudice se matérialisant dans «la perte de clients potentiels et la complication des discussions avec les clients actuels» (point 293 de l’arrêt attaqué). Deuxièmement, les attestations ou témoignages émanant de sociétés financières (point 295 de l’arrêt attaqué) permettent de constater la diminution de «l’attractivité de Systran auprès de ses actionnaires, des investisseurs actuels ou potentiels ou encore des repreneurs» (point 295 de l’arrêt attaqué). Troisièmement, une attestation des commissaires aux comptes de Systran (point 298 de l’arrêt attaqué) démontre que Systran a dû constituer une provision comptable de 11,6 millions d’euros pour la dépréciation de ses actifs incorporels, c’est-à-dire la perte de valeur de ses droits de propriété intellectuelle (point 298 de l’arrêt attaqué).

152. Il a constaté, par ailleurs, que, dans l’appréciation forfaitaire du montant des dommages-intérêts, le préjudice moral subi devait être pris en considération, en relevant, à cet égard, que, par son comportement, la Commission avait nié à Systran les droits qu’elle pouvait tirer de sa création, comportement d’autant plus grave que, en tant qu’institution, la Commission est à l’origine des différentes dispositions harmonisant le droit de la Communauté en matière de droit d’auteur qui n’ont pas été respectées dans la présente affaire (point 324 de l’arrêt attaqué).

b)      Résumé des arguments de la Commission

153. Dans le cadre de son huitième moyen qui, comme nous le verrons ci-dessous, critique essentiellement la quantification des préjudices matériel et moral subis par les requérantes et les éléments retenus par le Tribunal dans son évaluation forfaitaire de ces derniers, la Commission conteste néanmoins formellement l’existence de tout dommage matériel. Elle estime, en effet, que l’attribution à Gosselies du marché public litigieux n’est en rien constitutive d’une faute et qu’elle ne pouvait donc causer aucun dommage. Elle conteste également explicitement l’existence de tout dommage moral, en soulignant, en particulier, que le Tribunal n’a identifié aucun préjudice moral distinct du préjudice matériel évalué à 12 millions d’euros.

154. Il appartient donc à la Cour d’examiner ces deux griefs même si, comme il est démontré ci-dessous, ils peuvent aisément être écartés.

c)      Appréciation

155. Force est, tout d’abord, de constater que le pourvoi de la Commission n’indique pas de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt, concernant l’existence du préjudice matériel identifié par le Tribunal, dont l’annulation est demandée ni les arguments juridiques soutenant de manière spécifique ladite demande. L’argumentation de la Commission ne remet nullement en cause ni les difficultés commerciales et financières ni même la constitution de la provision comptable de 11,6 millions d’euros identifiées par le Tribunal comme éléments constitutifs des dommages matériels invoqués par les requérantes.

156. Ce grief ne répondant pas aux exigences de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de cette dernière (56), il doit, partant, être écarté comme étant irrecevable.

157. Par ailleurs, le Tribunal a clairement jugé que le préjudice moral subi par Systran résidait dans la négation des droits qu’elle pouvait tirer de sa création. La motivation de l’arrêt attaqué sur ce point est certes fort succincte, voire elliptique, mais constitue une réponse à l’argumentation précise des requérantes, résumée au point 272 de l’arrêt attaqué.

158. Il ne saurait, dans ces conditions, être fait grief au Tribunal de ne pas avoir identifié ledit préjudice moral.

159. Il découle de l’analyse qui précède que les griefs par lesquels la Commission met en cause l’analyse par le Tribunal de l’existence même des préjudices matériel et moral identifiés doivent être rejetés comme étant, pour partie, manifestement irrecevables et, pour partie, non fondés, étant précisé que les motifs de l’arrêt attaqué (points 301 à 326 de celui-ci) consacrés à l’évaluation du montant desdits préjudices seront examinés ci-dessous, dans le cadre de l’analyse du huitième moyen soulevé par la Commission.

3.      Sur le lien de causalité (septième moyen)

a)      Résumé des arguments de la Commission

160. Le septième moyen soulevé par la Commission, consacré à la critique de l’analyse du lien de causalité entre les illégalités constatées et les préjudices identifiés, se subdivise en deux branches.

161. Dans le cadre de la première branche, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit résultant de constatations matériellement erronées et de la dénaturation des éléments de preuve en concluant qu’il existait un lien suffisamment direct entre son propre comportement et le dommage que Systran aurait subi du fait d’avoir dû constituer, à la fin de l’année 2008, une partie de la provision de 11,6 millions d’euros pour dépréciation de ses actifs incorporels. Elle estime de même que son comportement n’est pas à l’origine de la perturbation des relations commerciales de Systran et qu’il ne constituait pas un obstacle important pour tout investisseur susceptible d’être intéressé par Systran (premier grief). Elle relève également que, par le renvoi aux points 324 et 325 de l’arrêt attaqué opéré au point 300 de celui-ci, le Tribunal est resté en défaut de motiver son arrêt en ce qui concerne le lien de causalité entre le préjudice moral invoqué par Systran et son comportement (deuxième grief).

162. Dans le cadre de la seconde branche, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant à l’existence d’un lien de causalité sans avoir examiné si Systran avait fait preuve d’une diligence raisonnable pour éviter ou limiter son préjudice. Elle souligne, à cet égard, que les requérantes se sont abstenues d’exploiter les voies de recours à leur disposition pour s’opposer à l’attribution du marché litigieux, en l’occurrence le recours en annulation de l’article 263 TFUE ou l’action en cessation de contrefaçon du droit belge ou luxembourgeois.

b)      Appréciation

163. Je dois d’emblée préciser que le grief formulé par la Commission dans le cadre de la seconde branche de son septième moyen, tiré du défaut d’examen par le Tribunal de la rupture éventuelle du lien de causalité, est à mon avis fondé, de sorte qu’il ne devrait pas être nécessaire d’examiner les deux griefs formulés dans le cadre de la première branche dudit moyen. Néanmoins, et conformément à la ligne suivie jusqu’à présent dans les présentes conclusions, je présenterai quelques réflexions à cet égard, de manière à éclairer la Cour, si besoin était, sur l’ensemble des points de droit en discussion dans la présente affaire.

i)      Sur la rupture du lien de causalité (seconde branche du septième moyen)

164. Il doit être rappelé que, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, la victime d’un dommage doit, conformément à un principe général commun aux systèmes juridiques des États membres, faire preuve d’une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée, au risque de devoir le supporter elle-même (57).

165. La Cour a également jugé que le fait pour le Tribunal, saisi d’une demande d’indemnisation, de ne pas examiner si la victime d’un préjudice avait contribué à la réalisation de celui-ci constituait une erreur de droit (58).

166. En l’occurrence, force est de constater que, comme la Commission le relève, il ne ressort pas des motifs de l’arrêt attaqué (points 291 à 300) consacrés à l’examen du lien de causalité entre l’illégalité alléguée et les dommages invoqués que le Tribunal ait examiné cette question.

167. La circonstance, relevée par les requérantes, que le Tribunal ait décidé de rouvrir la procédure orale afin d’inviter les parties à se prononcer, dans le cadre de leur réponse à la troisième série de questions (59), sur le point de savoir s’il devait tenir compte, dans l’appréciation du montant du préjudice, du fait que les requérantes ont fait tout ce qu’il était possible de faire afin de réduire le montant des pertes subies, ne saurait être considérée comme étant de nature à remédier à cette lacune.

168. Quand bien même le Tribunal aurait effectivement pris en compte ces circonstances dans son évaluation forfaitaire du préjudice, il demeure que, faute de toute motivation de l’arrêt attaqué sur ce point, la Cour n’est pas en mesure d’exercer son contrôle à cet égard.

169. La seconde branche du septième moyen soulevé par la Commission, prise de l’absence d’examen d’une rupture éventuelle du lien de causalité, doit par conséquent être accueillie.

170. L’arrêt attaqué devrait donc également être annulé pour ce motif et l’affaire renvoyée devant le Tribunal pour que ce dernier examine ce point, la Cour n’étant pas à même de le trancher elle-même définitivement.

ii)    Sur l’existence d’un lien direct de causalité (première branche du septième moyen)

171. Conformément à une jurisprudence itérative de la Cour, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 225 CE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par celui-ci (60).

172. La Cour a plus précisément jugé que, en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté, la question de l’existence d’un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage, condition de l’engagement de cette responsabilité, constitue une question de droit qui est, par conséquent, soumise à son contrôle. Dans ces conditions, un moyen tiré de ce que le Tribunal aurait à tort retenu l’existence d’un lien de causalité direct entre une faute de la Commission et le préjudice allégué subi par l’entreprise demanderesse au pourvoi est recevable, en tant qu’il vise précisément à un contrôle de la qualification juridique des faits effectuée par le Tribunal pour retenir l’existence du lien de causalité direct, et dans la mesure où ce contrôle peut être réalisé sans remise en cause des constats et des appréciations de faits opérés (61).

173. En l’espèce, force est de constater que le Tribunal a, aux points 291 à 300 de l’arrêt attaqué, examiné conjointement la réalité du préjudice subi par Systran et le lien de causalité entre ce préjudice et le comportement de la Commission, en qualifiant ce lien de «suffisamment direct» à deux reprises, au début et à la fin de son analyse (points 291 et 300 de l’arrêt attaqué).

174. Toutefois, la circonstance que ces motifs de l’arrêt attaqué soient difficilement dissociables ou que le Tribunal n’ait pas distinctement analysé le lien de causalité requis dans des motifs spécifiques dédiés ne saurait permettre, à elle seule, de conclure que le Tribunal a commis une erreur de qualification juridique des faits, pour autant qu’il ressorte clairement desdits motifs que celui-ci à tiré les conséquences de ses propres constatations en qualifiant le comportement de la Commission de cause directe et certaine des préjudices constatés (62).

175. Il doit, à cet égard, être relevé que le Tribunal a précisé, au point 292 de l’arrêt attaqué, qu’il s’était efforcé de «mesurer les effets du comportement de la Commission sur les activités du groupe Systran», en adressant aux parties la deuxième série de questions.

176. Il a considéré que les attestations émanant des distributeurs des requérantes, présentées par ces dernières en réponse à ces questions, «illustr[ai]ent le fait, parfaitement plausible, qu’un litige opposant une entreprise […] à un de ses clients institutionnels, […] rend[ait] plus difficiles les relations commerciales de cette entreprise avec ses clients actuels et potentiels» (point 294 de l’arrêt attaqué). Il a de même estimé que les témoignages et attestations des sociétés financières exposaient «de manière suffisamment probante les réactions de plusieurs investisseurs face à l’idée de se maintenir, d’investir ou d’acquérir une société qui commercialise un logiciel informatique dont les droits sont contestés par la Commission» (point 296 de l’arrêt attaqué). Il a, enfin, constaté que l’attestation des commissaires aux comptes de Systran permettait d’établir que la provision de 11,6 millions d’euros pour dépréciation des actifs incorporels était liée aux trois raisons qui y étaient évoquées, la première d’entre elles étant le litige avec la Commission.

177. Force est de constater que les différents éléments ainsi retenus par le Tribunal ne lui permettaient pas de constater l’existence d’un lien suffisamment direct et immédiat de cause à effet entre le comportement de la Commission dénoncé et les différentes composantes du préjudice allégué par les requérantes. Tout au plus permettent-ils de constater que le litige de propriété intellectuelle opposant Systran à la Commission a pu avoir une incidence sur la dégradation de la situation économique et comptable de celle-ci.

178. Ainsi, d’une part, le lien entre ce litige et la complication des relations commerciales de Systran est jugé comme étant, suivant les termes mêmes employés par le Tribunal, «parfaitement plausible». D’autre part, le Tribunal souligne lui-même que la provision de 11,6 millions d’euros pour dépréciation des actifs incorporels se justifiait pour trois motifs. Il omet cependant de fournir la moindre précision sur la part du préjudice en découlant qu’il a considérée comme étant imputable au conflit opposant Systran à la Commission et justifiant son évaluation forfaitaire du préjudice matériel subi.

179. Il convient ici d’ajouter que si, en principe, et comme il est rappelé ci-dessus, il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause, dans le cadre d’un pourvoi, le choix d’une évaluation forfaitaire du préjudice opéré par le Tribunal, ce choix ne saurait cependant autoriser ce dernier à faire l’économie d’un contrôle rigoureux de la troisième condition d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union que constitue l’existence d’un lien direct et immédiat de causalité entre l’illégalité invoquée et le dommage allégué.

180. Le premier grief soulevé par la Commission dans le cadre de la première branche de son septième moyen et tiré d’une erreur de qualification juridique du lien de causalité doit, par conséquent, être accueilli.

181. En revanche, le second grief soulevé par la Commission dans le cadre de la première branche de son septième moyen et tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué concernant le lien de causalité entre son comportement et le préjudice moral invoqué par les requérantes doit, eu égard à l’analyse dudit dommage effectuée ci-dessus, être rejeté.

4.      Sur la quantification des préjudices (huitième moyen)

182. Eu égard à la conclusion à laquelle je suis parvenu au terme de l’examen du septième moyen concernant la condition relative au lien de causalité, l’examen du huitième moyen critiquant l’évaluation des préjudices identifiés n’est mené qu’à titre subsidiaire.

a)      Résumé des arguments de la Commission

183. La Commission estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en se fondant sur la valeur d’une licence d’adaptation fictive pour évaluer le dommage subi par Systran entre 2004 et 2010. Il aurait, plus précisément, commis une erreur manifeste d’appréciation et une dénaturation des faits en retenant cette période, alors que les travaux accomplis par Gosselies auraient été menés sur trois ans de 2004 à 2006, fait qu’il aurait constaté au point 313 de l’arrêt attaqué. L’arrêt attaqué serait, par conséquent, également entaché d’une contradiction et d’un défaut de motivation. Par ailleurs, le Tribunal aurait, en contradiction totale avec les éléments de preuve du dossier, constaté qu’une licence de modification du code source était inhabituelle dans la mesure où elle n’entre pas dans le modèle économique traditionnel des éditeurs de logiciels, alors que les différents contrats conclus avec les sociétés du groupe Systran depuis 1975 prévoyaient le droit pour la Commission de réaliser ou de faire réaliser des travaux d’adaptation et d’évolution du logiciel EC-Systran.

184. L’évaluation par le Tribunal du montant «complémentaire» de cinq millions d’euros reposerait également sur une contradiction manifeste entre les constatations de fait opérées et la méthode de calcul utilisée. Ce dernier, en effet, a considéré, au point 321 de l’arrêt attaqué, que l’activité et le développement de Systran avaient été affectés chaque année depuis 2004 à hauteur d’un montant forfaitaire de 650 000 euros, alors qu’il avait précédemment relevé que la nouvelle de la divulgation du logiciel et du savoir-faire associé par la Commission ne s’était répandue qu’en 2005 et n’était devenue publique qu’en 2006.

185. La Commission conteste, également, outre l’existence de tout dommage moral comme indiqué ci-dessus, l’évaluation de ce dernier. Elle relève que la réparation doit, en principe, être strictement équivalente au dommage, de sorte que la gravité de la faute prétendument commise ne saurait entrer en ligne de compte dans l’évaluation de ce dernier. Partant, en condamnant, aux points 324 et 325 de l’arrêt attaqué, la Communauté à verser à Systran 1 000 euros en réparation de son préjudice moral, en considération de la gravité de la prétendue faute commise par la Commission, le Tribunal aurait méconnu les principes généraux communs aux droits des États membres et la jurisprudence de la Cour.

b)      Appréciation

186. Il convient de rappeler à titre liminaire que, lorsque le Tribunal a constaté l’existence d’un dommage, il est seul compétent pour apprécier, dans les limites de la demande, le mode et l’étendue de la réparation de celui-ci, étant précisé que l’arrêt du Tribunal doit toutefois être suffisamment motivé et notamment indiquer les critères pris en compte aux fins de la détermination du montant retenu (63), de manière à permettre à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel.

i)      Sur le dommage matériel

187. En l’occurrence, le Tribunal a décidé, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/48, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts (points 301 à 326 de l’arrêt attaqué). Il a pris soin de préciser, à cet égard, que l’application de la méthode des conséquences économiques négatives, prévue audit article 13, paragraphe 1, sous b), soulevait d’importantes difficultés, dès lors que l’expert financier de la Commission s’opposait systématiquement à toutes les tentatives d’évaluation de l’expert financier des requérantes (points 303 à 306 de l’arrêt attaqué).

188. Le Tribunal a ensuite détaillé les éléments sur la base desquels cette indemnisation forfaitaire devait intervenir, en distinguant un montant principal, constitué du montant des redevances ou des droits qui auraient été dus si la Commission avait demandé l’autorisation d’utiliser les droits de propriété intellectuelle en question (points 307 à 319 de l’arrêt attaqué), un montant complémentaire, jugé nécessaire pour tenir compte des éléments que le seul octroi desdites redevances ne permettrait pas de réparer (points 320 à 323 de l’arrêt attaqué), et, enfin, le montant de nature à réparer le préjudice moral subi par Systran (points 324 et 325 de l’arrêt attaqué).

189. La Commission critique deux éléments de l’évaluation par le Tribunal du montant principal et du montant complémentaire.

190. Elle fait tout d’abord valoir que le Tribunal ne pouvait prendre, comme base de référence pour le calcul du montant forfaitaire principal, une licence de modification du code source d’un logiciel plutôt qu’une simple licence d’utilisation d’un logiciel. Ce qu’elle critique, plus précisément, c’est que ce choix se fonde sur l’argument selon lequel une licence de modification du code source d’un logiciel est inhabituelle, car elle n’entre pas dans le modèle économique traditionnel des éditeurs de logiciels (point 308 de l’arrêt attaqué). Elle estime que cette affirmation est en contradiction avec les éléments de preuve du dossier, les contrats qu’elle a conclus avec les sociétés du groupe Systran démontrant en l’occurrence que de telles licences ne sont pas inhabituelles.

191. Force est cependant de constater que le Tribunal s’est efforcé de calculer le montant principal en évaluant le montant des redevances d’une hypothétique licence annuelle de modification du code source d’un logiciel calculée par référence au montant d’une hypothétique licence annuelle d’utilisation dudit logiciel, et donc en partant de l’hypothèse qu’une licence de modification était, compte tenu de sa portée, plus onéreuse qu’une simple licence d’utilisation. Les contrats invoqués par la Commission ne permettent pas, faute de tout élément chiffré, de remettre en cause la pertinence de cette distinction, de sorte qu’il ne saurait être considéré que le Tribunal a commis une erreur manifeste d’appréciation en partant de cette hypothèse.

192. La Commission critique, ensuite, la période prise en compte par le Tribunal pour évaluer le montant principal du préjudice matériel identifié. Dans la mesure où les travaux réalisés par Gosselies se sont déroulés de 2004 à 2006, le Tribunal aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le montant des redevances d’une hypothétique licence annuelle de modification du code source devait être calculé pour la période courant de 2004 à 2010 (point 318 de l’arrêt attaqué).

193. Il suffit cependant de constater, à cet égard, que le calcul du montant des redevances d’une hypothétique licence annuelle de modification du code source a pour objet non pas de compenser directement le préjudice découlant pour Systran des travaux accomplis par Gosselies, mais d’évaluer le montant forfaitaire principal des dommages-intérêts censés réparer le préjudice, à le supposer établi, découlant pour Systran du fait que la Commission s’est octroyé le droit de réaliser sans autorisation des travaux devant entraîner une modification des éléments relatifs à la version Systran Unix du logiciel EC-Systran Unix. Le Tribunal en a donc logiquement conclu, fût-ce implicitement (64), que de telles redevances étaient dues chaque année pour toute la période d’utilisation du logiciel modifié, soit de 2004, date à laquelle le préjudice s’est concrétisé avec la conclusion du contrat litigieux octroyé à Gosselies, à 2010, date de prononcé de l’arrêt du Tribunal.

194. En revanche, la Commission fait à juste titre valoir que le Tribunal n’a pas motivé le choix de la période prise en compte par lui pour évaluer le montant complémentaire du préjudice matériel identifié.

195. En effet, le Tribunal indique que ce montant complémentaire est nécessaire pour tenir compte des autres éléments matériels du préjudice subi par Systran à compter de 2004 que le seul octroi des redevances d’une hypothétique licence annuelle de modification du code source ne saurait réparer (point 320 de l’arrêt attaqué). Il précise, à cet égard, que c’est l’activité et le développement de Systran qui ont été affectés chaque année depuis 2004 à hauteur d’un montant de 650 000 euros, correspondant à 6 % de son chiffre d’affaires de 2003 (point 321 de l’arrêt attaqué), et fixe ce montant complémentaire actualisé pour les années 2004 à 2010 à 5 millions d’euros (point 322 de l’arrêt attaqué).

196. Or, comme la Commission l’a fait observer, le Tribunal a lui-même constaté que la nouvelle du conflit opposant Systran à la Commission s’était répandue en 2005 et était devenue publique en 2006 (point 289 de l’arrêt attaqué). Cette constatation doit être mise en corrélation avec les différentes composantes des préjudices identifiés par le Tribunal dans les motifs examinés ci-dessus (points 291 à 300 de l’arrêt attaqué). Il en ressort qu’il n’est pas possible de situer dans le temps le début des difficultés commerciales (points 293 et 294 de l’arrêt attaqué) et financières (points 296 et 297 de l’arrêt attaqué) identifiées par le Tribunal, seule la nécessité de constituer la provision comptable étant datée du 31 décembre 2008.

197. Il s’ensuit que le grief tiré du défaut de motivation de l’évaluation du montant complémentaire de 5 millions d’euros est fondé et que le huitième moyen soulevé par la Commission doit donc être accueilli sur ce point.

ii)    Sur le dommage moral

198. S’écartant de la demande formulée par Systran, le Tribunal a, au point 325 de l’arrêt attaqué, évalué son dommage moral à la somme symbolique de 1 000 euros, après avoir constaté que, par son comportement, la Commission avait nié les droits qu’elle pouvait tirer de sa création, comportement d’autant plus grave que, en tant qu’institution, la Commission est à l’origine des différentes dispositions harmonisant le droit l’Union en matière de droit d’auteur qui n’ont pas été respectées dans la présente affaire (point 324 de l’arrêt attaqué).

199. Force est donc de constater que le Tribunal a, dans le cadre de la détermination du montant forfaitaire des dommages-intérêts, souverainement évalué le dommage moral subi par Systran, appréciation qui échappe au contrôle de la Cour, en prenant en considération des circonstances aggravantes, en l’occurrence le fait que la Commission est à l’origine des dispositions du droit de l’Union violées, conformément aux exigences posées par la jurisprudence de la Cour (65).

200. Par conséquent, la deuxième branche du huitième moyen soulevé par la Commission doit être rejetée.

D –    Conclusion subsidiaire

201. Ainsi qu’il ressort des développements qui précèdent, j’estime que l’arrêt attaqué encourt également à plusieurs égards la censure de la Cour sur le fond. Tant ses appréciations des deux conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union tenant à l’existence d’un comportement illégal (premier grief du sixième moyen) et à l’existence d’un lien direct de causalité entre le comportement fautif constaté et les préjudices identifiés (premier grief de la première branche et seconde branche du septième moyen) que son évaluation de ces préjudices (huitième moyen) sont entachées d’erreurs de droit.

202. Dans ces conditions, je propose subsidiairement à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué pour ces différents motifs, quand bien même il pourrait ne l’être que sur le fondement d’un seul, et, compte tenu de la nature des erreurs de droit ainsi constatées, de lui renvoyer l’affaire afin, tout d’abord, qu’il réexamine l’existence de l’illégalité alléguée et en particulier l’incidence des exceptions au droit exclusif du titulaire du droit d’auteur prévues à l’article 5 de la directive 91/250, ensuite, qu’il réévalue l’existence d’un lien direct de causalité entre le comportement éventuellement fautif constaté et les préjudices allégués et apprécie les éléments à l’origine d’une éventuelle rupture dudit lien de causalité, et, enfin, qu’il revoie les motifs de nature à justifier la quantification desdits préjudices, et en particulier du préjudice matériel complémentaire.

VII – Conclusion

203. Eu égard à l’analyse qui précède, j’invite la Cour à dire pour droit:

–        à titre principal:

«1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2010, Systran et Systran Luxembourg/Commission (T-19/07), est annulé.

2)      Le recours en responsabilité extracontractuelle introduit par Systran SA et Systran Luxembourg SA devant le Tribunal de l’Union européenne est irrecevable.

3)      Systran SA et Systran Luxembourg SA sont condamnées aux dépens».

–        à titre subsidiaire:

«1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2010, Systran et Systran Luxembourg/Commission (T-19/07), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)      Les dépens sont réservés».


1 –      Langue originale: le français.


2 –      Ci-après «Systran».


3 –      La Cour a déjà été indirectement saisie d’une allégation de contrefaçon par la Commission de plusieurs marques, en l’occurrence dans le cadre du développement du projet européen des services de navigation par satellite Galileo, mais sans toutefois être en mesure d’aborder les questions que l’introduction d’une action en contrefaçon peut soulever. Voir ordonnance du 20 mars 2007, Galileo International Technology e.a./Commission (C‑325/06 P), rejetant comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé le pourvoi contre l’arrêt du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission (T‑279/03, Rec. p. II‑1291). Le Tribunal a, en revanche, déjà eu l’occasion d’examiner, outre dans l’arrêt attaqué, de telles actions en contrefaçon. Voir, dans le domaine du droit des marques, outre l’arrêt Galileo International Technology e.a./Commission, précité, arrêt du Tribunal du 10 avril 2003, Travelex Global and Financial Services et Interpayment Services/Commission (T‑195/00, Rec. p. II‑1677), ainsi que, dans le domaine du brevet, ordonnance du Tribunal du 5 septembre 2007, Document Security Systems/BCE (T‑295/05, Rec. p. II‑2835).


4 –      Il sera ici simplement rappelé que, conformément à l’article 89, du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), «[t]oute procédure de passation de marchés s’effectue par la mise en concurrence la plus large», étant précisé que les institutions de l’Union sont considérées comme pouvoirs adjudicateurs pour les marchés passés pour leur propre compte en vertu de l’article 104 dudit règlement. Il peut également être rappelé que, en application de l’article 93, paragraphe 1, sous f), du même règlement, peuvent être exclus de la participation à un marché public de l’Union les candidats ou les soumissionnaires qui, à la suite de la procédure de passation d’un autre marché ont été déclarés en défaut grave d’exécution en raison du non-respect de leurs obligations contractuelles. Si, nonobstant la rupture des relations contractuelles intervenue dans la présente affaire, celle-ci ne semble pas relever de ce cas de figure, elle soulève néanmoins indirectement la question de la conciliation des règles relatives au droit d’auteur sur les logiciels et des règles de passation des marchés publics. En effet, la question susceptible de se poser dans le cadre des marchés publics de services informatiques passés par les institutions est celle de la conciliation entre, d’une part, le respect des droits d’auteur sur un logiciel et, d’autre part, le respect des règles fondamentales du traité applicables auxdits marchés publics et imposant au pouvoir adjudicateur, pour reprendre les termes de l’arrêt du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress (C‑324/98, Rec. p. I‑10745, point 62), une obligation de transparence «[consistant] à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’adjudication».


5 –      Ci-après «Gosselies».


6 –      Par commodité de langage et bien que Systran et Systran Luxembourg soient défenderesses au pourvoi, elles seront citées dans les présentes conclusions comme étant «les requérantes» dans la procédure devant le Tribunal.


7 –      JO L 122, p. 42. Cette directive, telle que modifiée par la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993 (JO L 290, p. 9, ci-après la «directive 91/250»), a été codifiée par la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 111, p. 16). Cette dernière directive n’est toutefois, eu égard à la date des faits de la présente affaire, pas applicable ratione temporis.


8 –      La Commission, il faut le noter, ne remet pas en cause, en revanche, l’appréciation par le Tribunal de la seconde exception d’irrecevabilité qu’elle avait soulevée, tirée de l’incompétence du Tribunal pour constater une contrefaçon dans le cadre d’un recours en responsabilité extracontractuelle.


9 –      C‑214/08 P.


10 –      Voir arrêts du 21 mai 1987, Rau Lebensmittelwerke e.a. (133/85 à 136/85, Rec. p. 2289, point 10); du 9 octobre 2001, Flemmer e.a. (C-80/99 à C-82/99, Rec. p. I‑7211, point 39), ainsi que Guigard/Commission, précité (point 39).


11 –      Voir arrêts du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg e.a./Conseil et Commission (281/84, Rec. p. 49, point 12); du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, Rec. p. 5515, point 15); du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission (C‑282/90, Rec. p. I‑1937, point 14); du 8 avril 1992, Cato/Commission (C‑55/90, Rec. p. I‑2533, point 17); du 26 novembre 2002, First et Franex (C‑275/00, Rec. p. I‑10943, point 43), ainsi que du 29 juillet 2010, Hanssens-Ensch (C‑377/09, Rec. p. I‑7751, point 17).


12 –      Sur la répartition des compétences respectives de la Cour et du Tribunal, voir ordonnances du 27 mai 2004, IAMA Consulting/Commission (C‑517/03); du 8 octobre 2004, Commission/Trends e.a. (C‑248/03); arrêts du 17 mars 2005, Commission/AMI Semiconductor Belgium e.a. (C‑294/02, Rec. p. I‑2175, points 43 à 49), ainsi que du 12 mai 2005, Commission/Huhtamaki Dourdan (C‑315/03, points 18 à 22).


13 –      Sur le contentieux contractuel de l’Union, voir, par exemple, Heukels, T., «The contractual liability of the European Community revisited», dans Heukels, T., et McDonnel, E. (éd.), The action for damages in Community law, Kluwer, 1997, p. 89, ainsi que Ritleng, D., «Les contrats de l’administration communautaire», dans Droit administratif européen, 2007, p. 147.


14 –      Voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1985, Maag/Commission (43/84, Rec. p. 2581, point 26).


15 –      Voir, notamment, arrêts du 18 décembre 1986, Commission/Zoubek (426/85, Rec. p. 4057, point 4); du 6 avril 1995, Bauer/Commission (C‑299/93, Rec. p. I‑839, points 20 à 22), et du 27 avril 1999, Commission/SNUA (C‑69/97, Rec. p. I‑2363, points 18 et 19).


16 –      Arrêt Guigard/Commission, précité (point 42).


17 –      Voir arrêt Guigard/Commission, précité.


18 –      L’exposé par le Tribunal de l’optique qui est la sienne, singulièrement aux points 61 et 62 de l’arrêt attaqué, n’est pas sans soulever quelques interrogations. Ainsi, audit point 61, il souligne que sa compétence en matière contractuelle est «dérogatoire du droit commun» et doit, partant, être interprétée «restrictivement», «de sorte [qu’il] ne peut connaître que des demandes qui dérivent du contrat ou qui ont un rapport direct avec les obligations qui en découlent», ce qui est en soi juste. Or, tout en supposant que c’est bien là le sens à lui donner, l’opportunité de cette observation demeure obscure, dès lors qu’il est constant que les contrats en cause en l’espèce ne comportaient pas de clause compromissoire lui attribuant précisément une telle compétence contractuelle. Par ailleurs, audit point 62, il précise que, s’il «doit examiner le contenu des différents contrats conclus [de 1975 à 2002] invoqués par la Commission à l’appui de son argumentation, un tel exercice relève de l’examen de la compétence et ne saurait avoir pour conséquence – en tant que tel – de modifier la nature du litige en lui donnant un fondement contractuel». Or, telle est pourtant très précisément la question qui se pose en l’espèce au juge de l’Union, si c’est bien le sens à donner à cette affirmation, c’est-à-dire, comme nous le verrons par la suite, s’il est vraiment possible et même nécessaire pour ce dernier de procéder à un examen à proprement parler du contenu des différents contrats aux fins de statuer sur sa compétence. En outre, et d’autre part, il doit être observé que cette affirmation renvoie, discrètement mais clairement, au point 43 de l’arrêt Guigard/Commission, précité, mais en renversant le sens de ce dernier. Dans ledit point, en effet, la Cour s’est bornée à souligner que la nature fondamentalement contractuelle du litige porté devant elle, dûment constatée préalablement, ne pouvait être modifiée du simple fait que l’intéressé invoquait des règles juridiques ne découlant pas du contrat en cause mais s’imposant aux parties.


19 –      Il importe, à cet égard, d’insister tout particulièrement sur le fait que, comme nous le verrons par la suite, le Tribunal opère, dans les motifs au fond de l’arrêt attaqué, de nombreux et très substantiels renvois à son analyse sur la recevabilité. Voir, notamment, points 153, 205, 215 et 219 de l’arrêt attaqué.


20 –      Voir, notamment, arrêts du 15 mai 2003, Pitsiorlas/Conseil et BCE (C-193/01 P, Rec. p. I-4837, point 32); du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission (C‑521/06 P, Rec. p. I‑5829, point 66); du 9 juillet 2009, 3F/Commission (C‑319/07 P, Rec. p. I‑5963, point 99), ainsi que du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission (C‑322/09 P, Rec. p. I‑11911, points 65 et 66).


21 –      Il peut également être noté, à cet égard, que, durant les quelque trois années séparant la publication de l’appel d’offres litigieux de l’introduction de l’action en responsabilité extracontractuelle devant le Tribunal, Systran s’est notamment employée à trouver «une solution contractuelle» au litige, ainsi qu’il ressort des explications qu’elle a fournies dans ses écritures en réponse à la seconde branche du septième moyen soulevé par la Commission, tiré de la rupture du lien de causalité, examinée ci-dessous.


22 –      Cet examen permettra même de faire le départ entre manquements contractuels et actes délictuels, opération qui peut d’ailleurs s’avérer fort délicate. Voir, en ce sens, Varet, E., Le contentieux des licences de logiciel dans tous ses états, JCP-E, 2012, no 10, p. 1173.


23 –      En l’occurrence le droit désigné d’un commun accord par les parties aux contrats, qu’il s’agisse du droit des contrats ou du droit matériel de transposition des directives 91/250 et 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45, et rectificatifs JO 2004, L 195, p. 16, et JO 2007, L 204, p. 27), et de mise en œuvre de la convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci-après la «convention de Berne»).


24 –      Sur les circonstances pertinentes à prendre en considération dans l’interprétation des contrats, voir en particulier, à titre indicatif, article 5:102 des principes du droit européen des contrats, 1998, élaborés par la Commission on European Contract Law, dite «Commission Lando», dans Lando, O., et Beale, H. (éd.), Les principes du droit européen des contrats Parties I et II, Kluwer Law International, 2000. Voir, également, article 8:102 du projet de cadre commun de référence dans von Bar, C., Clive, E., et Schulte-Nölke, H. (éd.), Study Group on a European Civil Code and the Research Group on EC Private Law (Acquis Group), Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law – Draft Common Frame of Reference (DCFR), Sellier, European law publishers, 2009. Sur ce thème, voir communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 11 juillet 2001, concernant le droit européen des contrats [COM(2001) 398 final]; communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 11 octobre 2004, Droit européen des contrats et révision de l’acquis: la voie à suivre [COM(2004) 651 final], ainsi que communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 12 février 2003, Un droit européen des contrats plus cohérent – Un plan d’action [COM(2003) 68 final, JO C 63, p. 1].


25 –      Voir en ce sens, notamment, Montero, E., «La communication des codes sources de logiciels. État de la question à la lumière de la jurisprudence belge et française et de la pratique contractuelle», Revue de droit intellectuel – l’Ingénieur Conseil, Bruylant, 1995, nos 3 à 5, p. 60.


26 –      La Cour a jugé que ces dispositions devaient être lues à la lumière de l’article 66, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal et que, partant, elles ne concernaient pas les offres de preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve (voir arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, points 71 et 72).


27 –      Arrêt du 14 avril 2005, Gaki-Kakouri/Cour de justice (C‑243/04 P, point 32). Voir, également, arrêt du Tribunal du 5 octobre 2009, de Brito Sequeira Carvalho/Commission (T‑40/07 P et T‑62/07 P, point 113).


28 –      Pour des exemples de rejets comme tardif ou pour défaut de motivation, voir arrêts du 3 février 1994, Grifoni/CEEA (C‑308/87, Rec. p. I‑341, point 7); du 10 décembre 1998, Schröder e.a./Commission (C‑221/97 P, Rec. p. I‑8255, point 27); Baustahlgewebe/Commission, précité (points 71 à 75), ainsi que arrêt du Tribunal du 25 septembre 1991, Nijman/Commission (T‑36/89, Rec. p. II‑699, points 28 à 29).


29 –      Arrêt Gaki-Kakouri/Cour de justice, précité (point 33).


30 –      Point 252 de l’arrêt attaqué.


31 –      Points 254 à 260 de l’arrêt attaqué.


32 –      JO L 157, p. 45 et rectificatifs JO 2004, L 95, p. 16 et JO 2007, L204, p. 27, ci-après «la directive 2004/48/CE».


33 –      Ce grief comporte lui-même plusieurs arguments qui seront plus précisément analysés ci-dessous.


34 –      C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291.


35 –      Arrêt du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I-1029, point 56).


36 –      Arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission (T‑351/03, Rec. p. II‑2237, points 122 et suiv.).


37 –      Voir points 205 et 215 de l’arrêt attaqué.


38 –      Voir, notamment, arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission (C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, point 51), ainsi que du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission (C‑90/09 P, Rec. p. I‑1, point 71).


39 –      Voir, notamment, arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité (point 24).


40 –      Voir, notamment, arrêts du 8 mai 2003, T. Port/Commission (C‑122/01 P, Rec. p. I‑4261, point 27), ainsi que General Química e.a./Commission, précité (point 72).


41 –      Voir, notamment, ordonnance du 26 avril 1993, Kupka-Floridi/CES (C‑244/92 P, Rec. p. I‑2041, points 9 à 11), et arrêt du 9 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/BCE (C‑401/09 P, Rec. p. I‑4911).


42 –      Dans sa requête en pourvoi, la Commission a précisé que, dans son rapport au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social, du 10 avril 2000, sur la mise en œuvre et les effets de la directive 91/250/CEE concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur [COM(2000) 199 final], elle avait relevé l’existence d’une divergence existant entre les États membres sur ce point, mais qu’elle partageait l’avis de certains commentateurs que l’acquéreur légitime désigne en fait un acheteur, un preneur de licence, un loueur ou une personne autorisée à utiliser le programme pour le compte de l’une de ces personnes.


43 –      Voir, notamment, points 66, 67, 78, 109 et 115 de l’arrêt attaqué.


44 –      Voir, notamment, points 215 et 261 de l’arrêt attaqué.


45 –      Point 215 de l’arrêt attaqué.


46 –      Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 56).


47 –      Point 127 de l’arrêt attaqué.


48 –      Arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, précité (points 42 et 44).


49 –      Points 127 à 261 de l’arrêt attaqué.


50 –      Point 261 de l’arrêt attaqué.


51 –      Voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission (C‑176/06 P, point 17).


52 –      Arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 51); Bergaderm et Goupil/Commission, précité (points 41 et 42); du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico (C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, points 53 et 54), ainsi que du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine (C‑472/00 P, Rec. p. I‑7541, points 25 et 26).


53 –      Arrêt du 12 juillet 2005, Commission/CEVA et Pfizer (C‑198/03 P, Rec. p. I‑6357, points 63 à 69).


54 –      Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (points 50 et 51).


55 –      Ce qu’elle n’a, à ma connaissance, jamais véritablement eu l’occasion de faire, n’ayant eu à connaître que d’action en réparation de préjudices découlant de l’activité normative des institutions. Le Tribunal s’est, en revanche, engagé dans cette voie dans le cadre du contentieux de la fonction publique. Il conviendrait de comparer, à cet égard, les arrêts du Tribunal du 10 décembre 2008, Nardone/Commission (T‑57/99, point 162); du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli (T‑143/09 P, point 46), ainsi que du 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos (T‑308/10 P, point 103), à la lumière de la décision de la Cour (chambre spéciale prévue à l’article 123 ter du règlement de procédure) du 8 février 2011, relative au réexamen de l’arrêt Commission/Petrilli, précité (affaire C‑17/11 RX, points 3 et 4).


56 –      Voir, notamment, arrêt du 3 octobre 2000, Industrie des poudres sphériques/Conseil (C‑458/98 P, Rec. p. I‑8147, points 65 à 67); ordonnances du 20 septembre 2001, Asia Motor France e.a./Commission (C‑1/01 P, Rec. p. I‑6349, point 44); du 14 juillet 2005, Gouvras/Commission (C‑420/04 P, Rec. p. I‑7251), ainsi que arrêt du 27 février 2007, Gestoras Pro Amnistía e.a./Conseil (C‑354/04 P, Rec. p. I‑1579, point 22).


57 –      Voir arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission (C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑3061, point 33). Voir, également, arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 85); du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission (C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑203, point 168); du 16 mars 2000, Parlement/Bieber (C‑284/98 P, Rec. p. I‑1527, points 56 et 57); du 24 mars 2009, Danske Slagterier (C‑445/06, Rec. p. I‑2119, point 61); du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission (C‑419/08 P, Rec. p. I‑2259, point 61), ainsi que ordonnance du 12 mai 2010, Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia/Conseil et Commission (C‑451/09 P, points 39 et 40).


58 –      Arrêt Parlement/Bieber, précité (point 55). Voir, également, arrêt Commission/Fresh Marine, précité (points 45 à 49).


59 –      Voir point 46 de l’arrêt attaqué.


60 –      Voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, Rec. p. I‑4951), ainsi que du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission (C‑510/06 P, Rec. p. I‑1843, point 105).


61 –      Voir arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Schneider Electric (C‑440/07 P, Rec. p. I‑6413, points 191 à 193).


62 –      Arrêt Commission/Schneider Electric, précité (point 204).


63 –      Voir, notamment, arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, points 34 et 35).


64 –      Voir, par exemple, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 372), ainsi que du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a. (C‑47/10 P, Rec. p. I‑10707, point 104).


65 –      Voir, sur ce point très précisément, arrêt du 14 mai 1998, Conseil/de Nil et Impens (C‑259/96 P, Rec. p. I‑2915, point 25).