Language of document : ECLI:EU:T:2017:776

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

26 octobre 2017 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige – Association représentative ayant pour objet la défense des intérêts de ses membres »

Dans l’affaire T‑738/16,

La Quadrature du Net, établie à Paris (France),

French Data Network, établie à Amiens (France),

Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs (Fédération FDN), établie à Amiens,

représentées initialement par Me H. Roy, puis par Me A. Fitzjean O. Cobhthaigh, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. H. Kranenborg et D. Nardi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par M. T. Henze et Mme K. Stranze, puis par M. Henze et Mme S. Eisenberg, en qualité d’agents,

République française, représentée par M. D. Colas et Mme E. Armoët, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman et B. Koopman, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Brandon, en qualité d’agent,

États-Unis d’Amérique, représentés par Mes H.Viaene, C. Evrard et E. Valgaeren, avocats,

Microsoft Corp., établie à Washington (États-Unis d’Amérique), représentée par Mes J. Bourgeois et M. Meulenbelt, avocats,

BSA Business Software Alliance, établie à Washington, représentée par Me B. Van Vooren, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2016/1250 de la Commission, du 12 juillet 2016, conformément à la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à l’adéquation de la protection assurée par le bouclier de protection des données UE-États-Unis (JO 2016, L 207, p. 1).

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Le 25 octobre 2016, La Quadrature du net, French Data Network et la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs (Fédération FDN) (ci-après, prises ensemble, les « requérantes ») ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2016/1250 de la Commission, du 12 juillet 2016, conformément à la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à l’adéquation de la protection assurée par le bouclier de protection des données UE-États-Unis (JO 2016, L 207, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

2        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 février 2017, DigitalEurope a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission européenne et à être autorisée à plaider par écrit et oralement en anglais.

3        La demande a été signifiée aux parties, conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

4        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 septembre 2017, la Commission a soulevé des objections à l’encontre de la demande d’intervention de DigitalEurope.

5        Dans l’hypothèse où le Tribunal accepterait l’intervention de DigitalEurope, la Commission a indiqué qu’elle ne s’opposait pas à ce qu’elle puisse utiliser l’anglais dans la procédure.

6        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 13 septembre 2017, les requérantes ont indiqué ne pas s’opposer à la demande d’intervention et se référer à la sagesse du Tribunal quant à son évaluation.

7        En outre, les requérantes ont précisé qu’elles ne s’opposaient pas à la demande de dérogation au régime linguistique de DigitalEurope à condition que l’ensemble des écritures, pièces et actes de procédure leurs soient transmis accompagnés d’une traduction en français.

 En droit

 Sur la demande d’intervention de DigitalEurope

8        En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

9        La notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt. Il convient, notamment, de vérifier que la partie intervenante est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir ordonnance du 18 mai 2015, Izsák et Dabis/Commission, T‑529/13, non publiée, EU:T:2015:325, point 25 et jurisprudence citée).

10      En vertu de la jurisprudence, est admise l’intervention d’associations représentatives qui ont pour objet la protection de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe de nature à affecter ces derniers [ordonnances du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 66, et du 28 septembre 1998, Pharos/Commission, C‑151/98 P, EU:C:1998:440, point 6].

11      Une association peut ainsi être admise à intervenir dans une affaire si elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, si son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, si l’affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et, donc, si les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir (ordonnances du 8 décembre 1993, Kruidvat/Commission, T‑87/92, EU:T:1993:113, point 14 ; du 18 octobre 2012, ClientEarth et International Chemical Secretariat/ECHA, T‑245/11, non publiée, EU:T:2012:557, point 12, et du 20 octobre 2014, Syngenta Crop Protection e.a./Commission, T‑451/13, non publiée, EU:T:2014:951, point 29).

12      À l’appui de sa demande d’intervention, DigitalEurope fait valoir qu’elle est une association représentant les intérêts d’associations professionnelles d’entreprises et d’entreprises opérant dans le secteur des technologies numériques en Europe.

13      En outre, DigitalEurope affirme que les intérêts de ses membres seraient directement affectés dans une mesure importante par l’annulation éventuelle de la décision attaquée dès lors que, premièrement, les entreprises de l’Union européenne membres d’un groupe multinational ne pourraient plus transférer de données vers les membres américains de leur groupe, deuxièmement, les consommateurs de l’Union ne pourraient plus effectuer d’achats en ligne lorsque ces achats impliqueraient le transfert de données personnelles vers un détaillant en ligne situé aux États-Unis et, troisièmement, les entreprises de l’Union ne seraient plus en mesure de recevoir de services, notamment de paie ou de soutien informatique, d’un fournisseur de services situé aux États-Unis.

14      Dans ses observations, la Commission constate que, à la différence de BSA Business Software Alliance (ci-après, « BSA ») qui représente des entreprises bénéficiant du bouclier de protection des données personnelles aux États–Unis et qui a également demandé à intervenir, DigitalEurope représente des membres situés en Europe. Elle note que ces deux associations ont de nombreux membres en commun.

15      Dès lors que DigitalEurope représente des filiales européennes qui transfèrent des données personnelles à leurs sociétés mères aux États-Unis, la Commission affirme qu’il pourrait être considéré que les intérêts de ces filiales seront déjà représentés par BSA, dont la demande d’intervention n’est pas contestée, au nom des sociétés mères.

16      En outre, selon la Commission, l’impossibilité, pour les entreprises situées dans l’Union, de bénéficier de services nécessitant des transferts de données personnelles de la part de fournisseurs situés aux États-Unis, qui découlerait de l’annulation éventuelle de la décision attaquée, n’affecterait qu’indirectement les membres de DigitalEurope, car seules les entreprises américaines ayant volontairement adhéré au bouclier de protection des données personnelles seraient directement affectées. Dès lors, les membres de DigitalEurope ne seraient affectés que d’une manière équivalente à tout autre sujet de droit de l’Union qui voudrait se prévaloir du mécanisme de transfert prévu par ce bouclier.

17      À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que tous les membres de DigitalEurope ne sont pas des membres de BSA ou des filiales de ces membres.

18      Il ne saurait donc être considéré que les intérêts de l’ensemble des membres de DigitalEurope pourraient être représentés par BSA au nom de leurs sociétés mères.

19      En deuxième lieu, l’affectation des membres de DigitalEurope ne serait pas qu’une conséquence indirecte de l’affectation des entreprises américaines ayant volontairement adhéré au bouclier de protection des données personnelles.

20      En effet, l’annulation éventuelle de la décision attaquée est susceptible d’affecter directement tant les entreprises situées aux États-Unis, qui seraient empêchées de recevoir des données personnelles sur la base de cette décision, que les sociétés situées dans l’Union, qui ne pourraient se fonder sur ladite décision pour transférer des données personnelles à destination des États-Unis.

21      En troisième lieu, l’annulation éventuelle de la décision attaquée affecterait de manière plus importante les membres de DigitalEurope que toute autre entreprise de l’Union, en raison précisément de leur qualité spécifique d’entreprises actives dans le secteur des technologies numériques.

22      En effet, le traitement et le transfert de données personnelles sont essentiels pour le développement de logiciels et l’offre de services en ligne, notamment des services d’informatique en nuage. Les activités des entreprises du secteur concerné dépendent donc davantage de la possibilité de traiter et de transférer des données personnelles que d’autres activités économiques pour des raisons à la fois techniques et économiques.

23      Dès lors, en raison du caractère essentiel des transferts de données pour l’exercice de l’activité des membres de DigitalEurope, les questions de principe soulevées dans l’affaire principale peuvent affecter de manière importante le fonctionnement du secteur concerné et l’intérêt de ses membres (voir, en ce sens, ordonnance du 19 octobre 2009, Koda/Commission, T‑425/08, non publiée, EU:T:2009:406, points 9 et 10).

24      Il y a donc lieu d’admettre la demande d’intervention de DigitalEurope.

 Sur la demande de dérogation au régime linguistique de DigitalEurope

25      DigitalEurope a sollicité l’autorisation d’utiliser l’anglais, au lieu du français qui est la langue de procédure, au cours tant de la phase écrite de la procédure que de la phase orale de la procédure.

26      À cet égard, DigitalEurope fait valoir que l’anglais est sa langue de travail ainsi que la langue commune de ses membres. Elle souligne également qu’elle pourrait apporter des éléments de preuve et faire des observations sur le droit des États-Unis en se fondant sur des documents rédigés en anglais. Par ailleurs, elle considère que l’existence d’un recours contre la même décision introduit en anglais dans l’affaire T‑670/16 peut être pertinente pour apprécier sa demande de dérogation au régime linguistique..

27      La Commission ne s’oppose pas à cette demande de dérogation.

28      Les requérantes affirment ne pas s’opposer à cette demande à condition, toutefois, que l’ensemble des écritures, pièces et actes de procédure leur soient transmis accompagnés d’une traduction dans la langue de procédure.

29      En vertu de l’article 45, paragraphe 1, du règlement de procédure, dans les recours directs, la langue de procédure est choisie par la partie requérante.

30      Aux termes de l’article 45, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, à la demande d’une partie, les autres parties entendues, l’emploi total ou partiel d’une autre des langues mentionnées à l’article 44 dudit règlement peut être autorisé.

31      En outre, l’article 46, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que toute pièce produite ou annexée et rédigée dans une langue autre que la langue de procédure est accompagnée d’une traduction dans la langue de procédure.

32      En vertu de la jurisprudence, une demande de dérogation à la règle de l’emploi de la langue de procédure introduite par une partie intervenante au litige doit être accompagnée d’une motivation circonstanciée et spécifique (voir, par analogie, ordonnance du 13 mai 1993, Ladbroke Racing/Commission, T‑74/92, point 14).

33      En l’espèce, aucun des éléments avancés par DigitalEurope n’est de nature à établir qu’il lui serait impossible ou même difficile de se procurer, par ses propres moyens, des traductions de ses écritures et, le cas échéant, des documents en anglais sur lesquels elle entend fonder son argumentation, conformément à l’article 46, paragraphe 2, du règlement de procédure.

34      À cet égard, l’article 46, paragraphe 3, du règlement de procédure précise que, dans le cas de pièces volumineuses, des traductions en extraits peuvent être présentées.

35      Les arguments de DigitalEurope ne permettent donc pas de considérer que, en l’absence de dérogation, il serait porté atteinte à ses droits procéduraux au cours de la phase écrite de la procédure.

36      La demande de dérogation à la règle de l’emploi de la langue de procédure au stade de la phase écrite de la procédure formulée par DigitalEurope doit donc être rejetée.

37      En ce qui concerne, en revanche, la phase orale de la procédure, il y lieu de faire droit à la demande d’utilisation de l’anglais présentée par DigitalEurope dès lors qu’elle n’est pas susceptible de porter atteinte aux droits procéduraux des autres parties.

 Sur les dépens

38      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance.

39      La présente ordonnance ne mettant pas fin à l’instance, les dépens sont réservés.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)      DigitalEurope est admise à intervenir dans l’affaire T–738/16 au soutien des conclusions de la Commission européenne.

2)      La demande de dérogation au régime linguistique est rejetée pour la phase écrite de la procédure.

3)      La demande de dérogation au régime linguistique est admise pour la phase orale de la procédure.

4)      Le greffier communiquera à DigitalEurope une copie de tous les actes de procédure signifiés aux parties principales.

5)      Un délai sera fixé à DigitalEurope pour présenter son mémoire en intervention.

6)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 26 octobre 2017.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. Prek


*      Langue de procédure : le français.