Language of document : ECLI:EU:C:2013:696

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

24 octobre 2013 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché de l’installation et de l’entretien des ascenseurs et des escaliers mécaniques – Amendes – Communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes – Recours juridictionnel effectif»

Dans l’affaire C‑510/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 septembre 2011,

Kone Oyj, établie à Helsinki (Finlande),

Kone GmbH, établie à Hanovre (Allemagne),

Kone BV, établie à La Haye (Pays-Bas),

représentées par M. T. Vinje, solicitor, ainsi que par Me D. Paemen, avocat, et Me A. Tomtsis, dikigoros,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. E. Gippini Fournier et R. Sauer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. A. Rosas (rapporteur), faisant fonction de président de la dixième chambre, MM. D. Šváby et C. Vajda, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mars 2013,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, Kone Oyj, Kone GmbH et Kone BV (ci-après, ensemble, le «groupe Kone») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 juillet 2011, Kone e.a./Commission (T-151/07, Rec. p. II‑5313, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur demande tendant à l’annulation de la décision C (2007) 512 final de la Commission, du 21 février 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (affaire COMP/E-1/38.823 – Ascenseurs et escaliers mécaniques, ci-après la «décision litigieuse»), dont une version résumée a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2008, C 75, p. 19), ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant des amendes qui leur ont été infligées.

 Le cadre juridique

 Le règlement (CE) n° 1/2003

2        En vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), qui a remplacé l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), la Commission européenne peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et aux association d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 81 CE ou 82 CE.

3        Aux termes de l’article 31 du règlement n° 1/2003, la Cour statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée.

 La communication sur la coopération de 2002

4        La communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la «communication sur la coopération de 2002») définit les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours d’une enquête diligentée par celle-ci sur une entente pourront être exemptées d’amendes ou bénéficier d’une réduction du montant de celle qu’elles auraient autrement dû acquitter.

5        Sous le titre A de cette communication, intitulé «Immunité d’amendes», les points 8 à 12 et 15 de celle-ci énoncent:

«8.       La Commission exemptera une entreprise de toute amende qu’elle aurait à défaut dû acquitter:

a)       lorsque l’entreprise est la première à fournir des éléments de preuve qui, de l’avis de la Commission, sont de nature à lui permettre d’adopter une décision ordonnant des vérifications en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement [n°] 17 [...], concernant une entente présumée affectant la Communauté, ou

b)      lorsque l’entreprise est la première à fournir des éléments de preuve qui, de l’avis de la Commission, sont de nature à lui permettre de constater une infraction à l’article 81 [...] CE [...] en rapport avec une entente présumée affectant la Communauté.

9.      L’immunité en vertu du point 8 a) ne sera accordée que si la Commission ne disposait pas, au moment de la communication de ces éléments de preuve, d’éléments suffisants pour adopter une décision ordonnant des vérifications en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement [n°] 17 concernant l’entente présumée.

10.      L’immunité en vertu du point 8 b) ne sera accordée que sous réserve des conditions cumulatives que la Commission ne disposait pas, au moment de la communication de ces éléments, de preuves suffisantes pour constater une infraction à l’article 81 CE en rapport avec l’entente présumée et qu’aucune entreprise n’avait obtenu d’immunité conditionnelle d’amendes en vertu du point 8 a) pour l’entente présumée.

11.      Outre les conditions fixées au point 8 a) et au point 9 ou au point 8 b) et au point 10, selon le cas, les conditions cumulatives suivantes doivent être remplies dans tous les cas pour ouvrir droit à une immunité d’amendes:

a)      l’entreprise doit apporter à la Commission une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure administrative et lui fournir tout élément de preuve qui viendrait en sa possession ou dont elle dispose au sujet de l’infraction suspectée. Elle doit notamment se tenir à sa disposition pour répondre rapidement à toute demande qui pourrait contribuer à établir les faits en cause;

b)      l’entreprise met fin à sa participation à l’activité illégale présumée au plus tard au moment où elle fournit les éléments de preuve visés au point 8 a) b), selon le cas;

c)      l’entreprise n’a pas pris de mesures pour contraindre d’autres entreprises à participer à l’infraction.

[...]

12.      Toute entreprise souhaitant solliciter l’immunité d’amendes doit prendre contact avec la direction générale de la concurrence de la Commission. S’il devait apparaître que les conditions fixées aux points 8 à 10, selon le cas, ne sont pas réunies, l’entreprise sera immédiatement informée qu’elle ne peut bénéficier de l’immunité d’amendes pour l’infraction présumée.

[...]

15.      Après avoir reçu de l’entreprise les éléments de preuve conformément au point 13 a) et vérifié si les conditions énoncées aux points 8 a) ou 8 b), selon le cas, sont remplies, la Commission accorde par écrit à l’entreprise une immunité conditionnelle d’amendes.»

6        Sous le titre B de ladite communication, intitulé «Réduction du montant de l’amende», les points 20 à 23 de celle-ci prévoient:

«20.       Les entreprises qui ne remplissent pas les conditions prévues au titre A peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de l’amende qui à défaut leur aurait été infligée.

21.       Afin de pouvoir prétendre à une telle réduction, une entreprise doit fournir à la Commission des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission, et doit mettre fin à sa participation à l’activité illégale présumée au plus tard au moment où elle fournit ces éléments de preuve.

22.       La notion de ‘valeur ajoutée’ vise la mesure dans laquelle les éléments de preuve fournis renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité de la Commission d’établir les faits en question. Lors de cette appréciation, la Commission estimera généralement que les éléments de preuve écrits datant de la période à laquelle les faits se rapportent ont une valeur qualitative plus élevée que les éléments de preuve établis ultérieurement. De même, les éléments de preuve se rattachant directement aux faits en question seront le plus souvent considérés comme qualitativement plus importants que ceux qui n’ont qu’un lien indirect avec ces derniers.

23.       Dans toute décision finale arrêtée au terme de la procédure administrative, la Commission déterminera:

a)       si les éléments de preuve fournis par une entreprise ont représenté une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments déjà en possession de la Commission;

b)       le niveau de réduction dont l’entreprise bénéficiera, qui s’établira comme suit par rapport au montant de l’amende qu’à défaut la Commission aurait infligée:

–        Première entreprise à remplir la condition énoncée au point 21: réduction comprise entre 30 et 50 %;

–        Deuxième entreprise à remplir la condition énoncée au point 21: réduction comprise entre 20 et 30 %;

–        Autres entreprises remplissant la condition énoncée au point 21: réduction maximale de 20 %.

Pour définir le niveau de réduction à l’intérieur de ces fourchettes, la Commission prendra en compte la date à laquelle les éléments de preuve remplissant la condition énoncée au point 21 ont été communiqués et le degré de valeur ajoutée qu’ils ont représenté. Elle pourra également prendre en compte l’étendue et la continuité de la coopération dont l’entreprise a fait preuve à partir de la date de sa contribution.

En outre, si une entreprise fournit des éléments de preuve de faits précédemment ignorés de la Commission qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente présumée, la Commission ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les a fournis.»

7        Le point 29 de la communication sur la coopération de 2002 dispose:

«La Commission est consciente du fait que la présente communication crée des attentes légitimes sur lesquelles se fonderont les entreprises souhaitant l’informer de l’existence d’une entente.»

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

8        Kone Oyj est une entreprise globale d’entretien et de construction mécanique, établie en Finlande, qui vend, fabrique, installe et modernise des ascenseurs, des escaliers mécaniques ainsi que des portes de bâtiments automatiques. Cette entreprise exerce ses activités par l’intermédiaire de filiales nationales, telles que Kone GmbH en Allemagne et Kone BV aux Pays-Bas.

9        Au cours de l’été 2003, la Commission a reçu des informations concernant l’existence possible d’une entente entre les principaux fabricants européens d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques exerçant des activités commerciales dans l’Union européenne, à savoir Kone Belgium SA, Kone GmbH, Kone Luxembourg Sàrl, Kone BV Liften en Roltrappen, Kone Oyj, Otis SA, Otis GmbH & Co. OHG, General Technic-Otis Sàrl, General Technic Sàrl, Otis BV, Otis Elevator Company, United Technologies Corporation, Schindler SA, Schindler Deutschland Holding GmbH, Schindler Sàrl, Schindler Liften BV, Schindler Holding Ltd ainsi que ThyssenKrup Liften Ascenseurs NV, ThyssenKrupp Aufzüge GmbH, ThyssenKrupp Fahrtreppen GmbH, ThyssenKrupp Elevator AG, ThyssenKrupp AG, ThyssenKrupp Ascenseurs Luxembourg Sàrl et ThyssenKrupp Liften BV (ci-après, ensemble, le «groupe ThyssenKrupp»). Elle a procédé, au début de l’année 2004, à des vérifications dans les locaux de ces entreprises en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas.

10      Des demandes de clémence ont été formulées par lesdites entreprises. Le groupe Kone a introduit, le 2 février 2004, une telle demande, au titre du point 8, sous b), de la communication sur la coopération de 2002, comportant des informations relatives à la Belgique, qu’elle a subséquemment complétée, notamment, par des renseignements concernant l’Allemagne, les 12 et 14 février 2004, et, le 19 juillet 2004, par des renseignements concernant les Pays-Bas.

11      Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que les entreprises mentionnées au point 9 du présent arrêt ainsi que Mitsubishi Elevator Europe BV ont participé à quatre infractions uniques, complexes et continues à l’article 81 CE dans quatre États membres, se partageant des marchés en s’accordant ou en se concertant pour l’attribution d’appels d’offres et de contrats liés à la vente, à l’installation, à l’entretien et à la modernisation d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques.

12      S’agissant du groupe Kone, il lui a été accordé une immunité d’amendes en ce qui concerne les infractions commises en Belgique et au Luxembourg. En revanche, selon l’article 2, paragraphes 2 et 4, de la décision litigieuse, pour ce qui est des infractions commises en Allemagne et aux Pays-Bas, Kone Oyj a été condamnée solidairement avec ses filiales nationales à des amendes de, respectivement, 62 370 000 euros et 79 750 000 euros.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 2007, les requérantes ont introduit un recours contestant, d’une part, la légalité de l’article 2, paragraphe 2, de la décision litigieuse, imposant des amendes aux entreprises concernées pour les infractions commises en Allemagne, et, d’autre part, la légalité de l’article 2, paragraphe 4, de la même décision, imposant des amendes aux entreprises concernées pour les infractions commises aux Pays-Bas.

14      À l’appui de leur recours, les requérantes ont invoqué trois moyens. Ceux-ci étaient tirés, premièrement, d’une violation de la communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 [CECA]» (JO 1998, C 9, p. 3) et du principe de proportionnalité dans la fixation du montant de départ des amendes, deuxièmement, de la violation de la communication sur la coopération de 2002 et d’une violation des principes de protection de la confiance légitime, de l’égalité de traitement et des droits de la défense, ainsi que, troisièmement, de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de l’égalité de traitement lors de la détermination du montant de la réduction des amendes accordée pour la coopération hors du cadre de la communication sur la coopération de 2002.

15      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce recours et condamné les requérantes aux dépens.

 Les conclusions des parties

16      Les requérantes demandent à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        d’annuler l’article 2, paragraphe 2, de la décision litigieuse en ce qu’il inflige une amende à Kone Oyj et à Kone GmbH, et de n’imposer aucune amende ou une amende d’un montant réduit par rapport au montant fixé dans ladite décision;

–        d’annuler l’article 2, paragraphe 4, de la décision litigieuse en ce qu’il inflige une amende à Kone Oyj et à Kone BV et de fixer une amende d’un montant inférieur à celui fixé dans ladite décision, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

17      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi, et

–        de condamner les requérantes aux dépens.

 Sur le pourvoi

18      À l’appui de leurs conclusions, les requérantes soulèvent six moyens, tirés, premièrement, d’une interprétation erronée du point 8, sous b), de la communication sur la coopération de 2002, deuxièmement, d’une interprétation erronée du point 8, sous a), de cette communication, troisièmement, d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, quatrièmement, d’une interprétation erronée des points 21 à 23 de ladite communication, cinquièmement, d’une violation du principe de l’égalité de traitement et, sixièmement, d’une violation du droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).

19      Les requérantes font valoir, dans le cadre de plusieurs de leurs moyens, que le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal dans l’arrêt attaqué revêt un caractère marginal et ne saurait être qualifié de «pleine juridiction». En vue de répondre à cette critique transversale, il convient de rappeler, avant de procéder à l’examen des moyens du pourvoi, les principes sous‑jacents du contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union ainsi que ceux de la compétence de pleine juridiction dont celui-ci bénéficie dans certaines conditions.

 Considérations liminaires

20      Le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union qui est aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la Charte et qui correspond, dans le droit de l’Union, à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (voir, notamment, arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C-501/11 P, non encore publié au Recueil, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

21      Si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte impose de donner aux droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite convention, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (voir arrêts du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, non encore publié au Recueil, point 62, et du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, non encore publié au Recueil, point 44).

22      Ainsi que la Cour l’a déjà rappelé au point 35 de l’arrêt Schindler Holding e.a./Commission, précité, d’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le respect de l’article 6 de la CEDH n’exclut pas que, dans une procédure de nature administrative, une «peine» soit imposée d’abord par une autorité administrative. Selon cette juridiction, le respect dudit article suppose cependant que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH subisse le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction. Parmi les caractéristiques d’un tel organe, toujours d’après la même jurisprudence, figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur. L’organe judiciaire doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Cour eur. D. H., arrêt A. Menarini Diagnostics c. Italie du 27 septembre 2011, requête n° 43509/08, § 59).

23      Or, statuant sur le principe de protection juridictionnelle effective, principe général du droit de l’Union qui est aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la Charte, la Cour a jugé que, outre le contrôle de légalité prévu par le traité FUE, le juge de l’Union dispose d’une compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue par l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE, et qui l’habilite à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, non encore publié au Recueil, point 63, ainsi que Schindler Holding e.a./Commission, précité, point 36).

24      S’agissant du contrôle de légalité, la Cour a rappelé que le juge de l’Union doit l’effectuer sur la base des éléments apportés par le requérant au soutien des moyens invoqués, et qu’il ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application de la communication sur la coopération de 2002 ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait (voir, en ce sens, arrêt Schindler Holding e.a./Commission, précité, points 37 et 155 ainsi que jurisprudence citée).

25      Le contrôle prévu par les traités impliquant que le juge de l’Union exerce un contrôle tant de droit que de fait et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes, la Cour a conclu qu’il n’apparaît dès lors pas que le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, complété par la compétence de pleine juridiction quant au montant de l’amende, prévu à l’article 31 du règlement n° 1/2003, soit contraire aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective qui figure actuellement à l’article 47 de la Charte (arrêt Schindler Holding e.a./Commission, précité, point 38, ainsi que, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, non encore publié au Recueil, point 106; Chalkor/Commission, précité, point 67, ainsi que du 6 novembre 2012, Otis e.a., C‑199/11, non encore publié au Recueil, point 63).

26      Par ailleurs, il convient de rappeler que l’analyse par le juge de l’Union des moyens soulevés dans le cadre d’un recours en annulation n’a ni pour objet ni pour effet de remplacer une instruction complète de l’affaire dans le cadre d’une procédure administrative. Une telle limitation du contrôle juridictionnel étant, toutefois, inhérente à la notion de contrôle de légalité, elle ne saurait être comprise comme limitant indûment le contrôle de légalité que le juge de l’Union est habilité à exercer (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, Rec. p. I‑7831, point 84 et jurisprudence citée).

27      En effet, lorsque le juge de l’Union est appelé à contrôler la légalité des décisions de la Commission imposant des amendes en cas d’infractions aux règles de concurrence de l’Union, il ne saurait empiéter sur la marge d’appréciation dont la Commission dispose dans le cadre de la procédure administrative en substituant sa propre évaluation de circonstances économiques complexes à celle de la Commission, mais doit démontrer, le cas échéant, que cette dernière est parvenue à ses conclusions d’une manière qui n’est pas légalement fondée (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, Rec. p. I‑5949, point 67).

28      À cet égard, si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge de l’Union doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 39; du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, Rec. p. I‑9947, points 56 et 57; Chalkor/Commission, précité, point 54, ainsi que Otis e.a., précité, point 59).

29      Par ailleurs, si la communication sur la coopération de 2002 énonce une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir, par analogie, arrêt Schindler Holding e.a./Commission, précité, point 67 ainsi que jurisprudence citée), il n’en reste pas moins que ladite communication n’affecte pas l’intensité du contrôle que le juge de l’Union doit exercer conformément au point précédent du présent arrêt.

30      Il importe cependant de rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (voir, en ce sens, arrêts précités KME Germany e.a./Commission, point 104, ainsi que Chalkor/Commission, point 64).

31      Cette exigence de nature procédurale ne va pas à l’encontre de la règle selon laquelle, s’agissant d’infractions aux règles de concurrence, c’est à la Commission qu’il appartient d’apporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. Ce qui est en effet demandé à un requérant dans le cadre d’un recours juridictionnel, c’est d’identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d’apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés (arrêts précités KME Germany e.a./Commission, point 105, ainsi que Chalkor/Commission, point 65).

32      Par ailleurs, l’absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective. Il n’est pas indispensable au respect de ce principe que le Tribunal, certes tenu de répondre aux moyens soulevés et d’exercer un contrôle tant de droit que de fait, soit tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier (arrêts précités KME Germany e.a./Commission, point 106, ainsi que Chalkor/Commission, point 66).

33      C’est à l’égard de ce rappel de jurisprudence qu’il convient d’analyser les moyens avancés par les requérantes dans le cadre du présent pourvoi et d’examiner, par rapport auxdits moyens, le contrôle juridictionnel effectué par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du droit à un procès équitable

 Argumentation des parties

34      Par leur sixième moyen, qu’il y a lieu d’examiner en premier lieu, les requérantes critiquent les points 10 à 23, 29 à 37, 80, 82 à 85 et 95 de l’arrêt attaqué. Elles visent également, dans leur mémoire en réponse, les points 99 à 101, 104, 105, 114, 117 et 155 de celui-ci. Elles reprochent au Tribunal d’avoir manqué à son obligation de contrôle de pleine juridiction des décisions de la Commission, tant en ce qui concerne le degré de contrôle exercé que la manière dont ce contrôle a été mis en œuvre. Le Tribunal s’en serait remis entièrement à l’analyse de la Commission et, en ce qui concerne la coopération fournie par les requérantes, le Tribunal aurait estimé, à tort, qu’il s’agissait d’appréciations factuelles et économiques complexes et que le contrôle qu’il pouvait exercer à cet égard était, dès lors, très limité. En outre, dans leur mémoire en réplique, tout en critiquant le Tribunal pour avoir méconnu leur droit à un procès équitable, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir rejeté leur moyen, tiré d’une violation de droits de la défense, sans examiner les documents auxquels le groupe Kone a demandé à avoir accès. Ainsi, le Tribunal n’aurait pas respecté le droit des requérantes à un procès équitable, tel que garanti par l’article 47 de la Charte et l’article 6 de la CEDH.

35      La Commission fait valoir que les requérantes ne précisent pas dans quelle partie de l’arrêt attaqué le Tribunal s’en serait indûment remis au pouvoir d’appréciation de la Commission ou aurait omis d’exercer un contrôle de droit et de fait. Étant donné qu’aucun des points de cet arrêt cités par les requérantes ne constitue une réponse aux moyens de droit invoqués ou a fortiori le soutien nécessaire du dispositif dudit arrêt, la Commission considère qu’il convient de rejeter le sixième moyen.

 Appréciation de la Cour

36      D’emblée, pour ce qui est de l’argument avancé par les requérantes dans leur mémoire en réplique selon lequel le Tribunal aurait dû examiner certains documents de la Commission avant d’aboutir aux conclusions figurant aux points 114, 117 et 155 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort des articles 42, paragraphe 2, et 118 du règlement de procédure de la Cour, dans sa version applicable à la date de l’introduction du présent pourvoi, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

37      Pour qu’un tel argument soit recevable au stade de la réplique, les requérantes auraient dû établir en quoi celui-ci se fonde sur des éléments de fait qui se sont révélés au cours de la présente instance (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 56). Les requérantes n’ayant fourni aucun élément en ce sens, il y a lieu de considérer cet argument comme étant irrecevable.

38      S’agissant des autres arguments soulevés dans le cadre de leur sixième moyen, il y a lieu de relever que les requérantes affirment, essentiellement, que le Tribunal n’a pas exercé sa compétence de pleine juridiction lors du contrôle de la légalité de la décision litigieuse et qu’il a, ainsi, violé leur droit à un procès équitable.

39      Il convient de comprendre le sixième moyen comme visant les considérations effectuées par le Tribunal concernant, en premier lieu, la portée de la marge d’appréciation de la Commission et, en second lieu, le contrôle que le Tribunal a effectivement exercé par rapport à la décision litigieuse, eu égard à la définition qu’il a donné de cette marge d’appréciation.

40      Quant aux principes énoncés par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, portant sur la marge d’appréciation de la Commission, il convient de constater que le Tribunal a relevé, notamment au point 85 de cet arrêt, que, «[e]u égard à la marge d’appréciation dont dispose la Commission pour évaluer la coopération d’une entreprise au titre de la communication sur la coopération de 2002, seul un excès manifeste de cette marge est susceptible d’être censuré par le Tribunal». De même, le Tribunal a considéré, au point 95 dudit arrêt, qu’«il doit être examiné, en l’espèce, si la Commission a manifestement excédé [sa] marge d’appréciation».

41      À cet égard, il convient de relever que, par le sixième moyen, les requérantes se limitent à critiquer une description abstraite des règles de droit applicables énoncées par le Tribunal aux points 85 et 95 de l’arrêt attaqué.

42      Certes, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée notamment au point 24 du présent arrêt, le Tribunal ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application de la communication sur la coopération de 2002 ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait.

43      Toutefois, afin de vérifier si le Tribunal a violé les exigences découlant de cette dernière jurisprudence, cette vérification doit s’effectuer sans tenir compte de la description abstraite et déclaratoire du contrôle juridictionnel figurant aux points 85 et 95 de l’arrêt attaqué, étant donné que ce qui importe est le critère que le Tribunal a effectivement appliqué pour examiner concrètement la valeur ajoutée apportée par la coopération des entreprises concernées avec la Commission (voir, en ce sens, arrêt Schindler Holding e.a./Commission, précité, point 156).

44      Or, s’il ne peut être nié que ladite description du contrôle juridictionnel ne correspond pas à la jurisprudence de la Cour rappelée notamment au point 24 du présent arrêt, force est de constater que, par leur sixième moyen, les requérantes ne critiquent en rien le contrôle que le Tribunal a effectivement exercé par rapport à la décision litigieuse. Dès lors, cette critique ne saurait à elle seule suffire à fonder ce moyen, lequel est, en conséquence, inopérant.

45      En revanche, lors du traitement des autres moyens ci-après, la Cour examinera également, le cas échéant, la question de savoir si le contrôle juridictionnel effectivement exercé par le Tribunal dans l’arrêt attaqué est conforme aux exigences d’un procès équitable, à la lumière notamment de la jurisprudence de la Cour, telle que rappelée aux points 20 à 32 du présent arrêt.

 Sur le premier moyen, tiré d’une interprétation erronée du point 8, sous b), de la communication sur la coopération de 2002

 Argumentation des parties

46      Par leur premier moyen, les requérantes critiquent les points 88, 98 à 101 et 105 de l’arrêt attaqué. Elles reprochent au Tribunal d’avoir interprété erronément le libellé du point 8, sous b), de la communication sur la coopération de 2002, lorsqu’il a dit pour droit que, pour pouvoir bénéficier de l’immunité d’amendes au titre de cette disposition, les éléments de preuve fournis par des entreprises doivent être à charge et contemporains ainsi que de nature à permettre à la Commission de constater une infraction par eux-mêmes et doivent être tels que la Commission peut se fonder sur ces éléments à l’exclusion de toute autre preuve pour constater l’infraction. Le Tribunal aurait octroyé à la Commission une marge d’appréciation excessive au regard de cette dernière disposition, notamment concernant ses termes «de l’avis de la Commission», en ce qu’il n’aurait pas procédé à un contrôle même limité de l’évaluation des preuves réalisée par la Commission.

47      La Commission considère que les requérantes interprètent erronément le libellé de la communication sur la coopération de 2002 et que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans l’interprétation de celle-ci. Elle estime que le premier moyen est irrecevable pour le surplus, étant donné qu’il vise à contester la force probante des éléments de preuve, alors que les requérantes ne reprochent pas au Tribunal d’avoir dénaturé les preuves.

 Appréciation de la Cour

48      Il convient de relever, premièrement, que le présent moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué en ce que les requérantes prétendent que le Tribunal a constaté que les éléments de preuve fournis doivent être tels que la Commission peut se fonder sur ces éléments à l’exclusion de toute autre preuve pour constater l’infraction.

49      En effet, le Tribunal a relevé, notamment au point 94 de l’arrêt attaqué, que, «[s]i, certes, il n’est pas nécessaire que les éléments de preuve communiqués soient suffisants pour prouver l’infraction dans sa totalité ou dans ses moindres détails, ceux-ci doivent néanmoins être d’une nature, d’une précision et d’une force probante suffisantes pour permettre à la Commission de constater une infraction à l’article 81 CE». Ainsi, il convient d’écarter ledit argument comme étant infondé.

50      Deuxièmement, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant que les éléments de preuve fournis par des entreprises doivent être à charge et contemporains, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a considéré, notamment au point 100 de l’arrêt attaqué, que la valeur probante des éléments de preuve fournis par le groupe Kone était limitée, parce que, soit ils avaient été rédigés par ce dernier aux fins de sa demande au titre de la communication sur la coopération de 2002 et n’étaient pas contemporains de l’infraction, soit ils n’étaient pas, par eux-mêmes, de nature à permettre à la Commission de constater une infraction.

51      À cet égard, il ressort du point 8, sous b), de la communication sur la coopération de 2002 que, afin de pouvoir bénéficier d’une immunité d’amendes au titre de ladite communication, l’entreprise concernée doit fournir à la Commission des éléments de preuve qui, de l’avis de la Commission, sont de nature à lui permettre de constater une infraction.

52      Or, le fait de savoir si les éléments de preuve sont d’une nature qui permet la constatation d’une infraction implique une évaluation de la valeur que représentent lesdits éléments. Lorsque le Tribunal a évalué, au point 100 de l’arrêt attaqué, la valeur probante des éléments de preuve fournis par les requérantes et qu’il a considéré que celle-ci était limitée, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu arriver à une telle conclusion sur le fondement du critère qu’il a adopté aux fins de cette évaluation.

53      Troisièmement, s’agissant de la marge d’appréciation de la Commission dans le cadre du point 8, sous b), de la communication sur la coopération de 2002, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il a été fait au point 51 du présent arrêt, que, selon cette communication, c’est à la Commission qu’il appartient de décider si les éléments de preuve fournis sont tels qu’ils permettent à celle-ci de constater l’infraction.

54      Or, bien que la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce sens, comme l’indique également ladite communication, il appartient au juge de l’Union, ainsi que cela a été rappelé au point 24 du présent arrêt, d’effectuer le contrôle de légalité qui lui incombe, sans s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application des critères mentionnés dans la même communication ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait.

55      Toutefois, il convient de relever, à cet égard, que le Tribunal a analysé de manière détaillée, aux points 96 à 101 de l’arrêt attaqué, la valeur apportée par les éléments de preuve que les requérantes ont fournis.

56      Même si le Tribunal s’est référé à plusieurs reprises, notamment aux points 95 et 103 de l’arrêt attaqué, à la question de savoir si la Commission avait excédé «de manière manifeste» sa marge d’appréciation, la mention d’une telle appréciation n’a pas empêché le Tribunal d’exercer le contrôle plein et entier, en droit et en fait, auquel il est tenu (voir, en ce sens, notamment, arrêt Chalkor/Commission, précité, point 82).

57      Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une interprétation erronée du point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002

 Argumentation des parties

58      Par leur deuxième moyen, les requérantes critiquent les points 111 à 117 de l’arrêt attaqué. Elles reprochent au Tribunal, en premier lieu, d’avoir commis une erreur de droit en considérant que le groupe Kone ne pouvait pas bénéficier de l’immunité d’amendes, en vertu du point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002, en ce qui concerne l’infraction commise en Allemagne, étant donné que la Commission était déjà en possession des éléments permettant d’adopter une décision telle que celle visée à cette disposition, alors que tel n’était pas le cas. En second lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a estimé pertinent le fait que le groupe Kone n’avait introduit sa demande d’immunité d’amendes, concernant l’infraction commise en Allemagne, que sur le fondement du point 8, sous b), de la communication sur la coopération de 2002, et non en vertu du point 8, sous a), de celle-ci, étant donné que cette demande avait été présentée en tant que complément à la demande d’immunité du groupe Kone concernant l’infraction commise en Belgique, soumise en vertu du point 8, sous b), de ladite communication. Alors qu’il appartiendrait à la Commission de qualifier les éléments de preuve et de faire une interprétation favorable au groupe Kone conformément au principe de bonne administration, appréciant ainsi sa demande également en vertu dudit point 8, sous a), le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ce qu’il n’aurait pas contrôlé l’application, par la Commission, du droit de l’Union et de la communication sur la coopération de 2002 en ce sens.

59      Selon la Commission, la seule question qui se posait aux fins de déterminer si les conditions d’octroi de l’immunité d’amendes au titre du point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002 étaient remplies en l’espèce était de savoir si, à la date à laquelle le groupe Kone a introduit sa demande de clémence, la Commission disposait de suffisamment d’éléments pour prendre la décision d’organiser une inspection en Allemagne au sujet d’une entente présumée affectant l’Union. À cet égard, la Commission considère que le Tribunal n’a pas commis d’erreur dans son interprétation dudit point 8, sous a), et elle observe que l’interprétation dégagée par le Tribunal de manière autonome n’est pas erronée au seul motif qu’elle coïncide avec celle de la Commission. Lors de l’audience devant la Cour, cette institution a fait valoir, en réponse à la question posée par la Cour, que la Commission n’a pas d’obligation d’examiner d’office si les conditions pour obtenir l’immunité d’amendes au titre du point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002 sont remplies lorsqu’une demande d’immunité n’a été introduite qu’au titre du point 8, sous b), de ladite communication.

 Appréciation de la Cour

60      S’agissant de la procédure devant le juge de l’Union, il convient de rappeler, à titre liminaire, que le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits et, en principe, pour examiner les preuves qu’il retient à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, notamment, arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, point 52, ainsi que du 3 septembre 2009, Moser Baer India/Conseil, C‑535/06 P, Rec. p. I‑7051, point 32 et jurisprudence citée).

61      Il importe également de souligner qu’un pourvoi est irrecevable dans la mesure où il se limite à répéter les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt du Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue, en réalité, une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 51 et jurisprudence citée).

62      En revanche, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés au cours de la procédure de pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, ladite procédure serait privée d’une partie de son sens (voir, notamment, arrêts du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, point 32, ainsi que du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission, C‑70/12 P, non encore publié au Recueil, point 27).

63      S’agissant, tout d’abord, de l’argument selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que le groupe Kone ne pouvait pas bénéficier de l’immunité d’amendes en vertu du point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002, étant donné que la Commission était déjà en possession des éléments lui permettant d’adopter une décision telle que celle visée à cette disposition, il y a lieu de considérer que, bien que qualifié comme portant sur une question de droit par les requérantes, cet argument revient en fin de compte à remettre en cause l’appréciation du Tribunal relative à des faits et à des éléments de preuve qui lui ont été présentés, en ce qui concerne, notamment, les informations dont disposait la Commission au moment où le groupe Kone a présenté sa demande d’immunité d’amendes concernant l’infraction commise en Allemagne.

64      Il convient de constater que les requérantes n’allèguent pas une dénaturation des faits ou des éléments de preuve. En revanche, en considérant que les informations détenues par la Commission n’étaient pas suffisantes, elles se bornent à soutenir que le Tribunal aurait commis une erreur de droit.

65      Or, une telle appréciation, fondée sur des éléments de fait, n’est pas susceptible d’être mise en cause dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 86). Il y a donc lieu d’écarter cet argument comme irrecevable.

66      En outre, selon les requérantes, le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant, notamment au point 113 de l’arrêt attaqué, que le groupe Kone ne saurait prétendre à une immunité d’amendes conformément au point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002, sur le seul fondement que ce dernier n’avait pas permis à la Commission de «déceler» l’entente en Allemagne, alors qu’une telle interprétation n’est pas, d’après les requérantes, conforme à ladite communication.

67      À cet égard, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il convient de considérer que le point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002, lu à la lumière du point 6 de ladite communication, se prête à une interprétation selon laquelle les informations permettant à la Commission de déceler une entente ont une valeur intrinsèque. En outre, le Tribunal n’a procédé à cette affirmation qu’après avoir constaté, au point 112 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait déjà effectué des vérifications en Allemagne au moment où le groupe Kone lui a communiqué sa demande concernant l’Allemagne. Étant donné que le Tribunal a déjà constaté cette situation factuelle et qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler cette appréciation dans le cadre d’un pourvoi, l’affirmation subséquente par le Tribunal selon laquelle le groupe Kone n’avait pas permis à la Commission de déceler l’entente en Allemagne n’est que la conséquence découlant de sa caractérisation antérieure de la situation factuelle. Dès lors, cet argument doit être écarté.

68      En ce qui concerne, ensuite, l’argument selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que la Commission a pu rejeter, à bon droit, la demande d’immunité d’amendes présentée par le groupe Kone, pour autant qu’elle visait le point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002, étant donné que ce groupe n’avait présenté de demande d’immunité qu’en vertu du point 8, sous b), de ladite communication, il y a lieu de relever que le Tribunal a considéré cet argument, sans l’accueillir, au point 114 de l’arrêt attaqué. Toutefois, il ne l’a fait qu’à titre surabondant, ayant déjà précédemment conclu, notamment au point 113 dudit arrêt, que le groupe Kone ne pouvait pas bénéficier de l’immunité d’amendes en vertu du point 8, sous a), de la communication sur la coopération de 2002, étant donné que les informations fournies par celui-ci n’avaient pas permis à la Commission de déceler l’entente en Allemagne.

69      Dès lors, il s’agit d’un argument dirigé contre un motif surabondant de l’arrêt attaqué qui ne saurait entraîner l’annulation de celui-ci et qui est donc inopérant (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 148).

70      Enfin, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ce qu’il n’aurait pas contrôlé l’application, par la Commission, du point 8 de la communication sur la coopération de 2002, dans le cadre de laquelle cette dernière institution n’aurait pas adopté une interprétation favorable au groupe Kone en se fondant sur le principe de bonne administration, tel qu’il ressort notamment de l’article 41 de la Charte, et n’aurait pas examiné la demande d’immunité d’amendes présentée par le groupe Kone, non seulement en vertu du point 8, sous b), de ladite communication, mais également en vertu du point 8, sous a), de celle-ci.

71      Toutefois, il ne ressort pas de la requête déposée par les requérantes devant le Tribunal que celles-ci auraient soulevé cet argument devant cette juridiction. Le Tribunal ne se réfère pas non plus à un tel argument dans l’arrêt attaqué.

72      À cet égard, selon une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen et des arguments qu’elle n’a pas soulevés devant le Tribunal reviendrait à l’autoriser à saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens et des arguments qui ont été débattus devant lui (voir, en ce sens, arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 165, ainsi que du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, Rec. p. I‑8533, point 126). Ledit argument doit, dès lors, être écarté comme irrecevable.

73      Par conséquent, il convient de rejeter le deuxième moyen comme étant pour partie irrecevable et pour partie inopérant.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

 Argumentation des parties

74      Par leur troisième moyen, les requérantes critiquent les points 129 à 131 de l’arrêt attaqué. Elles reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ce qu’il a estimé que la Commission n’a pas violé leurs attentes légitimes en ne les informant pas du refus de l’immunité d’amendes en temps utile. Bien que la demande d’immunité ait été communiquée à la Commission le 12 février 2004 et complétée le 18 février 2004, la Commission n’aurait informé le groupe Kone que le 29 juin 2004 de son refus, alors qu’elle aurait dû le faire, selon la communication sur la coopération de 2002, immédiatement.

75      La Commission considère que ce moyen est manifestement dénué de fondement, étant donné que le groupe Kone n’a disposé d’aucune assurance précise de la part de la Commission, en ce qui concerne l’obtention de l’immunité d’amendes, et que, en tout état de cause, en l’espèce, le délai écoulé n’est pas excessif.

 Appréciation de la Cour

76      Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que le principe de protection de la confiance légitime s’inscrit parmi les principes fondamentaux de l’Union et que la possibilité de s’en prévaloir est ouverte à tout opérateur économique chez lequel une institution, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 2011, ISD Polska e.a./Commission, C‑369/09 P, Rec. p. I‑2011, points 122 et 123, ainsi que du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑335/09 P, non encore publié au Recueil, point 180).

77      À cet égard, il convient de relever, ainsi que l’a fait le Tribunal au point 130 de l’arrêt attaqué, que le point 15 de la communication sur la coopération de 2002 indique explicitement que, s’il y a lieu, c’est par écrit que la Commission accorde à une entreprise l’immunité conditionnelle d’amendes.

78      De plus, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que la Commission ne peut fournir aucune assurance précise quant au bénéfice d’une quelconque réduction ou immunité d’amende dans la phase de la procédure antérieure à l’adoption de la décision finale (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, Rec. p. I‑5843, point 118). Ainsi, c’est à bon droit que le Tribunal a estimé que les requérantes n’ont pas pu nourrir une confiance légitime à cet égard.

79      Par conséquent, il convient de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une interprétation erronée des points 21 à 23 de la communication sur la coopération de 2002

 Argumentation des parties

80      Par leur quatrième moyen, les requérantes critiquent les points 165, 168, 169, 171, 173, 176, 179 et 180 de l’arrêt attaqué. Elles reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ce qu’il s’est fondé, dans son appréciation de la valeur des informations fournies par le groupe Kone à la Commission, uniquement sur la caractérisation, donnée par les requérantes, de ces informations, alors qu’il aurait dû déterminer la valeur desdites informations non à la lumière de cette caractérisation, mais en s’attachant à la valeur objective de celles-ci. Lors de son évaluation de la valeur ajoutée apportée par ces mêmes informations, le Tribunal aurait dû juger la valeur de celles-ci au regard des critères énumérés aux points 21 et 22 de la communication sur la coopération de 2002. En outre, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ce qu’il n’a pas fait la distinction entre, d’une part, les points 21 et 22 de ladite communication, qui concerneraient le droit même à une réduction du montant de l’amende, et, d’autre part, le point 23 de celle‑ci, portant sur le niveau de la coopération fournie par l’entreprise concernée.

81      La Commission considère que la distinction opérée par les requérantes concernant les points 21 et 22 de la communication sur la coopération de 2002, d’une part, et le point 23 de celle-ci, d’autre part, est artificielle. Elle considère que le quatrième moyen est manifestement irrecevable en ce que les requérantes demandent à la Cour de substituer sa propre appréciation de la force probante des éléments de preuve à celle du Tribunal. En tout état de cause, le Tribunal aurait bel et bien examiné, dans le cadre de son appréciation de la force probante des éléments de preuve, la nature et le niveau de précision des prétendues informations communiquées par le groupe Kone.

 Appréciation de la Cour

82      Ainsi qu’il a été rappelé au point 60 du présent arrêt, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En revanche, il incombe à la Cour de vérifier si, lors de l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par le Tribunal, celui-ci a commis une erreur de droit.

83      À cet égard, il convient de considérer, tout d’abord, qu’une allégation telle que celle contenue au quatrième moyen, selon laquelle le Tribunal a interprété erronément le libellé de la communication sur la coopération de 2002, bien qu’elle puisse avoir une incidence sur les constatations de fait opérées par le Tribunal, constitue, contrairement à ce que soutient la Commission, une question de droit soumise, en tant que telle, au contrôle de la Cour (voir, en ce sens, arrêt Quinn Barlo e.a./Commission, précité, point 37).

84      Ensuite, il convient de rappeler que, selon l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission dispose du pouvoir d’infliger des amendes aux entreprises pour des infractions aux règles de concurrence de l’Union. Dans le cadre de sa politique générale en matière de concurrence, la Commission a adopté, entre autres mesures, la communication sur la coopération de 2002, qui précise les conditions dans lesquelles une entreprise peut bénéficier, en vertu de sa coopération avec la Commission, d’une exemption d’amendes ou d’une réduction du montant des amendes infligées, en vue d’assurer que lesdites exemptions ou réductions soient octroyées dans des conditions de transparence et de certitude accrues.

85      Pour autant que la communication sur la coopération de 2002 décrit les critères que la Commission s’oblige à prendre en considération lors de l’évaluation de la coopération apportée par une entreprise, cette communication énonce une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir, par analogie, arrêt Schindler Holding e.a./Commission, précité, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

86      Il ressort des points 20 à 22 de la communication sur la coopération de 2002, notamment, que les entreprises visées par ces dispositions peuvent bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qui à défaut leur aurait été infligée, lorsqu’elles fournissent à la Commission des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission, cette notion de «valeur ajoutée» visant notamment «la mesure dans laquelle les éléments de preuve fournis renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité de la Commission d’établir les faits en question».

87      Force est de constater que l’argument des requérantes selon lequel le Tribunal se serait uniquement fondé sur la caractérisation donnée par ces dernières des informations fournies à la Commission repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

88      En effet, ayant d’abord rappelé correctement la notion de «valeur ajoutée», telle qu’elle résulte du point 22 de la communication sur la coopération de 2002, le Tribunal a ensuite procédé, au point 165 de l’arrêt attaqué, à un examen de la valeur des éléments de preuve fournis par le groupe Kone par rapport à leur nature même ainsi que, à partir du point suivant de cet arrêt, à leur niveau de précision. En outre, le Tribunal a relevé, aux points 165 et 168 dudit arrêt, notamment, que les informations communiquées par le groupe Kone niaient l’objet anticoncurrentiel des discussions entre concurrents et, au point 169 de celui-ci, qu’elles ont, dès lors, plutôt diminué la valeur probante des éléments de preuve dont la Commission disposait déjà. Enfin, aux points 171, 173 et 176 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a présenté en détail les raisons pour lesquelles les informations fournies par les requérantes à la Commission n’étaient pas d’une précision suffisante pour pouvoir être considérées comme présentant une valeur ajoutée significative.

89      En ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans son interprétation des points 21 à 23 de la communication sur la coopération de 2002, en ce qu’il n’aurait pas fait la distinction entre, d’une part, les points 21 et 22 de cette communication, qui concerneraient le droit même à une réduction du montant de l’amende, et, d’autre part, le point 23 de celle‑ci, portant sur le niveau de la coopération fournie par l’entreprise concernée, il y a lieu de considérer que la lecture des requérantes desdits points, qui s’inscrivent tous sous le titre B de ladite communication, intitulé «Réduction du montant de l’amende», n’est pas correcte.

90      En effet, alors qu’il ressort du point 21 de la communication sur la coopération de 2002 que, afin de pouvoir prétendre à une réduction du montant de l’amende, les entreprises doivent fournir des informations qui apportent une valeur ajoutée significative, le point 22 de cette communication précise, notamment, la notion de «valeur ajoutée». Pour ce qui est du point 23 de ladite communication, celui-ci énonce que la Commission détermine dans ses décisions, d’une part, si les informations fournies représentent une valeur ajoutée significative et, d’autre part, le niveau de réduction du montant de l’amende dont l’entreprise concernée bénéficiera, ce niveau s’établissant selon les fourchettes de réduction précisées à ce point, et, enfin, ledit point précise les critères pour déterminer ledit niveau de réduction à l’intérieur de ces fourchettes.

91      À cet égard, ainsi que le relève la Commission dans son mémoire en réponse, il convient de considérer que les critères exposés au point 23 de la communication sur la coopération de 2002 pour définir le niveau de réduction du montant de l’amende dont une entreprise peut bénéficier s’inscrivent dans l’analyse de la notion de la valeur ajoutée significative qui doit être apportée par les entreprises souhaitant bénéficier d’une telle réduction. Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal n’a pas analysé, dans l’arrêt attaqué, la coopération fournie par les requérantes dans le sens indiqué par ces dernières dans le cadre du quatrième moyen.

92      Enfin, lorsque le Tribunal a relevé, au point 179 de l’arrêt attaqué, que la Commission «[n’avait], en tout état de cause, pas excédé de manière manifeste sa marge d’appréciation en considérant que [les éléments de preuve fournis par le groupe Kone] ne présentaient pas de valeur ajoutée significative au sens du [point] 21 de [la] communication [sur la coopération de 2002]», il y a lieu d’observer que, si cette constatation ne correspond pas à la jurisprudence rappelée notamment au point 24 du présent arrêt, le Tribunal ne l’a fait qu’à titre surabondant si bien que ladite constatation ne saurait conduire à l’annulation dudit arrêt.

93      En tout état de cause, même si le Tribunal s’est référé, au point 179 de l’arrêt attaqué, à la question de savoir si la Commission a excédé «de manière manifeste» sa marge d’appréciation, il y a lieu de considérer que la mention d’une telle question n’a pas empêché le Tribunal, ainsi qu’il ressort notamment du point 88 du présent arrêt, d’exercer le contrôle plein et entier, en droit et en fait, auquel il est tenu (voir, en ce sens, notamment, arrêt Chalkor/Commission, précité, point 82).

94      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen comme étant non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du principe de l’égalité de traitement

 Argumentation des parties

95      Par leur cinquième moyen, les requérantes critiquent les points 108 et 192 à 197 de l’arrêt attaqué. Elles reprochent au Tribunal d’avoir violé le principe de l’égalité de traitement en ce qu’il n’a pas contrôlé la valeur ajoutée fournie par la demande de clémence du groupe Kone, portant sur l’infraction commise aux Pays-Bas, par rapport à la valeur ajoutée de la demande de clémence du groupe ThyssenKrupp, relative à l’infraction commise en Belgique.

96      La Commission fait valoir que ce moyen est manifestement non fondé, étant donné que les informations liées à des infractions distinctes ne sont pas comparables et que, en tout état de cause, le Tribunal a effectué une analyse démontrant que la demande de clémence du groupe Kone relative à l’infraction commise aux Pays-Bas n’apportait pas une valeur ajoutée significative.

 Appréciation de la Cour

97      Le principe général de l’égalité de traitement, en tant que principe général du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, Rec. p. I‑9895, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

98      Il y a lieu de relever que les requérantes reprochent essentiellement au Tribunal d’avoir manqué à son obligation de contrôle juridictionnel en ce qui concerne la valeur ajoutée apportée par les informations fournies par le groupe Kone dans sa demande de clémence.

99      À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé aux points 60 et 82 du présent arrêt, l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

100    Pour ce qui est de l’appréciation, en droit, faite par le Tribunal concernant la comparabilité de la valeur ajoutée par les informations contenues, d’une part, dans la demande de clémence du groupe Kone en ce qui concerne l’infraction commise aux Pays-Bas et, d’autre part, dans celle du groupe ThyssenKrupp en ce qui concerne l’infraction commise en Belgique, il convient de rappeler que le Tribunal a relevé, au point 196 de l’arrêt attaqué, que «l’appréciation de ce qui constitue une valeur ajoutée significative suppose par définition une analyse propre au contexte de tous les éléments de preuve dont dispose la Commission en rapport avec une infraction donnée, en sorte que des informations liées à des infractions distinctes, en l’occurrence les infractions en Belgique et aux Pays-Bas, ne sont pas comparables».

101    En outre, au point 197 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, en tout état de cause, la situation du groupe Kone et celle du groupe ThyssenKrupp n’étaient pas comparables pour des raisons que le Tribunal a exposées dans ce même point, concernant, notamment, la valeur ajoutée apportée par les éléments de preuve fournis dans ces deux situations.

102    Ainsi, étant donné que le Tribunal avait conclu que les situations en cause n’étaient pas comparables, c’est à bon droit qu’il a pu constater, au point 197 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas violé le principe de l’égalité de traitement.

103    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen comme étant non fondé.

104    Les moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur pourvoi étant, en partie, irrecevables ou inopérants et, en partie, non fondés, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son intégralité.

 Sur les dépens

105    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

106    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Kone Oyj, Kone GmbH et Kone BV sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.