Language of document : ECLI:EU:C:2012:605

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

4 octobre 2012 (*)

«Manquement d’État – Citoyenneté de l’Union – Droit de circulation et de séjour – Articles 20 TFUE et 21 TFUE – Discrimination en raison de la nationalité – Article 18 TFUE – Directive 2004/38/CE – Article 24 – Dérogation – Portée – État membre dans lequel le bénéfice de tarifs de transport réduits est réservé aux seuls étudiants dont les parents perçoivent des allocations familiales dans cet État»

Dans l’affaire C‑75/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 février 2011,

Commission européenne, représentée par MM. V. Kreuschitz et D. Roussanov, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par Mme C. Pesendorfer et M. M. Fruhmann, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Rosas, A. Ó Caoimh (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2012,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en réservant en principe le bénéfice des tarifs de transport réduits aux seuls étudiants dont les parents perçoivent des allocations familiales autrichiennes, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 18 TFUE, 20 TFUE et 21 TFUE, ainsi que 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et – rectificatif – JO L 229, p. 35).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (CEE) no 1408/71

2        Le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008 (JO L 177, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71»), définit, à son article 1er, sous u), i), les prestations familiales comme étant «toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d’une législation prévue à l’article 4 paragraphe 1 point h), [du même règlement]».

3        L’article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1408/71 prévoit que celui-ci s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent les prestations familiales.

4        L’article 13, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1408/71 dispose que, sous réserve des articles 14 quater et 14 septies de celui-ci, les personnes auxquelles ce règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre.

 La directive 2004/38

5        Aux termes des considérants 1 et 10 de la directive 2004/38:

«(1)      La citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité [CE] et des mesures adoptées en vue de leur application.

[…]

(10)      Il convient cependant d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions.»

6        L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que celle-ci s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité.

7        L’article 7, paragraphe 1, de la même directive est libellé comme suit:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

[…]

c)      −       s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et

–        s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour; […]»

8        L’article 24 de la directive 2004/38, intitulé «Égalité de traitement», est libellé comme suit:

«1.      Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, ou les membres de leur famille.»

 Le droit autrichien

9        En Autriche, il n’existe pas de règles fédérales réglementant les tarifs de transport réduits pour les étudiants.

10      Selon les informations fournies à la Cour, des tickets semestriels à tarif réduit sont alloués aux étudiants sur la base d’accords de financement conclus entre le Bundesministerium für Verkehr, Innovation und Technologie (ministère fédéral des Transports, de l’Innovation et de la Technologie), les collectivités régionales et les entreprises de transport concernées. Ces accords régissent non seulement le tarif, l’étendue de la réduction et la contribution financière du gouvernement fédéral, mais ils fixent également le cercle des bénéficiaires.

11      Il ressort en outre du dossier que, dans certains Länder, les étudiants, tels que définis aux articles 3 et 4 de la loi de 1992 sur l’aide à l’accomplissement des études (Studienförderungsgesetz 1992, BGBl. no 305/1992), dans sa version en vigueur à la date du litige (ci-après la «loi de 1992»), ne peuvent bénéficier de tarifs réduits que si leur domicile ou leur lieu d’études se situe dans le ressort de la société de transports publics concernée et si des allocations familiales ont été perçues pour eux conformément à l’article 2 de la loi de 1967 relative à la compensation des charges familiales par des allocations (Familienlastenausgleichsgesetz 1967, BGBl. no 376/1967), dans sa version en vigueur à la date du litige (ci-après le «FLAG»).

12      Dans d’autres Länder, où l’application des réductions ne dépend pas de la perception des allocations familiales, les critères pris en compte sont, outre le statut d’étudiant, l’âge et/ou la résidence des intéressés.

13      Les personnes ayant leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire fédéral ont droit, conformément à l’article 2 du FLAG, à des allocations familiales pour les enfants mineurs et pour les enfants majeurs âgés de moins de 26 ans qui suivent une formation professionnelle ou qui effectuent une formation continue dans une école spécialisée en relation avec le métier qu’ils ont appris, à condition que cette formation les empêche d’exercer leur métier. C’est en principe la personne dont le foyer comprend l’enfant qui a droit aux allocations familiales.

14      L’article 4 de la loi de 1992 prévoit que les ressortissants des parties contractantes à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3) ou au traité CE ainsi que les ressortissants des pays tiers sont assimilés aux ressortissants autrichiens, «pour autant que cette assimilation résulte des conventions précitées».

15      L’article 52 de la loi de 1992 définit les indemnités de transport comme étant d’«autre[s] mesure[s] de promotion des études». L’objectif de ces indemnités est de soutenir les bénéficiaires d’allocations d’études par la prise en charge de leurs frais de transport. Il s’agit d’indemnités dont seuls jouissent les bénéficiaires d’allocations d’études en Autriche et qui diffèrent des réductions sur les tarifs de transport.

 La procédure précontentieuse

16      La Commission a été informée, au moyen d’une plainte déposée par une personne agissant au nom du parti politique «les Verts» («die Grünen»), que de nombreux étudiants ressortissants d’États membres autres que la République d’Autriche effectuant leurs études en Autriche devaient, pour pouvoir utiliser les transports en commun, acquitter des sommes plus importantes que celles payées par les étudiants autrichiens. En effet, dans certains Länder, seuls les étudiants issus de familles percevant les allocations familiales autrichiennes peuvent bénéficier d’une réduction sur les tarifs de transport.

17      Estimant qu’un tel système sélectif constitue une violation du principe de non-discrimination énoncé à l’article 12 CE, la Commission a, par lettre du 13 février 2008, demandé à la République d’Autriche de lui fournir une description détaillée du système des tarifs de transport réduits applicable dans cet État membre.

18      Par lettre du 18 avril 2008, les autorités autrichiennes ont décrit les différents tarifs applicables Land par Land ainsi que en fonction de la situation spécifique des intéressés.

19      Par lettre valant mise en demeure du 23 mars 2009, la Commission a invité la République d’Autriche à présenter, dans un délai de deux mois, ses observations quant au mode sélectif d’octroi des tarifs de transport réduits pour les étudiants. Selon la Commission, ce mode sélectif viole le principe de non-discrimination consacré, d’une part, à l’article 12 CE, qui figure désormais, à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, à l’article 18 TFUE, et, d’autre part, à l’article 24 de la directive 2004/38.

20      Dans sa réponse du 25 juin 2009 à ladite lettre de mise en demeure, la République d’Autriche a mis en cause la pertinence de l’article 24 de la directive 2004/38. Selon cet État membre, les tarifs de transport réduits pour étudiants constituent des prestations familiales supplémentaires relevant du système des allocations familiales octroyées en Autriche et ils devraient donc être qualifiés de prestations de sécurité sociale au sens de la réglementation de l’Union applicable dans le domaine de la coordination des régimes de sécurité sociale. Les bénéficiaires de ces tarifs seraient non pas les étudiants eux-mêmes, mais les parents subvenant aux besoins de leurs enfants tant que ces derniers conservent le statut d’étudiants.

21      Le 28 janvier 2010, la Commission a adressé un avis motivé à la République d’Autriche, dans lequel elle a maintenu que le système autrichien relatif aux tarifs de transport réduits pour les étudiants viole les articles 18 TFUE et 24 de la directive 2004/38, sans que l’exception prévue au paragraphe 2 de ce dernier article soit applicable. La Commission a fait valoir, d’une part, que, contrairement aux arguments des autorités autrichiennes, et au risque de vider de son sens cet article 24, paragraphe 2, le seul fait qu’une mesure allège les charges des parents en ce qui concerne l’entretien de leurs enfants ne saurait suffire pour écarter la qualification de cette mesure en tant qu’aide d’entretien aux études. D’autre part, il conviendrait de déduire du libellé dudit article 24, paragraphe 2, que les États membres d’accueil ne peuvent refuser l’octroi des aides d’entretien aux ressortissants des autres États membres ne possédant pas de titre de séjour permanent sur le territoire de l’État membre d’accueil que dans le cas où ces aides prendraient la forme de bourses d’études ou de prêts.

22      Dans sa réponse du 29 mars 2010 audit avis motivé, la République d’Autriche a fait valoir que les tarifs de transport réduits correspondent à une prestation familiale allouée dans le cadre d’une gestion de droit privé. Il n’y aurait aucune discrimination en fonction de la nationalité dès lors que ces tarifs sont octroyés à tous les parents affiliés, indépendamment de leur nationalité.

23      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

24      Il convient à titre liminaire de préciser que, par son recours, la Commission reproche à la République d’Autriche de n’accorder une réduction sur les tarifs de transport qu’aux étudiants pour lesquels sont octroyées des allocations familiales en Autriche, une telle condition étant imposée par les Länder de Vienne, de la Haute-Autriche, du Burgenland et de la Styrie ainsi que par la ville d’Innsbruck.

25      S’agissant de la ville d’Innsbruck, s’il ressort du dossier que les étudiants peuvent bénéficier, depuis l’année universitaire 2010/2011, de tickets semestriels à tarif réduit indépendamment de la perception des allocations familiales autrichiennes par les parents, l’existence du manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir, en l’espèce, le 28 mars 2010. Les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 15 mars 2001, Commission/France, C‑147/00, Rec. p. I‑2387, point 26; du 4 juillet 2002, Commission/Grèce, C‑173/01, Rec. p. I‑6129, point 7, et du 19 juillet 2012, Commission/Italie, C‑565/10, point 22).

26      Or, il est constant que ce nouveau type de tickets semestriels dans la ville d’Innsbruck n’était pas encore en vigueur à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé.

27      Il convient également de préciser que, la Commission ne disposant pas d’informations suffisantes relatives au régime applicable dans le Land de la Basse-Autriche, le régime applicable dans ce Land ne fait pas l’objet du présent recours.

 Argumentation des parties

28      La Commission soutient que la subordination de l’octroi de tarifs de transports réduits à la perception des allocations familiales autrichiennes constitue une discrimination indirecte des étudiants originaires d’États membres autres que la République d’Autriche et qui effectuent leurs études dans cette dernière, violant ainsi les articles 18 TFUE, 20 TFUE et 21 TFUE ainsi que 24 de la directive 2004/38.

29      En effet, le régime autrichien en cause en l’espèce défavoriserait les étudiants qui sont des ressortissants de ces autres États membres en prévoyant une condition pour l’octroi des tarifs de transport réduits qui est plus aisément remplie par les ressortissants autrichiens.

30      La République d’Autriche fait valoir que la réduction sur les tarifs de transport, qui est subordonnée à la perception des allocations familiales autrichiennes, constitue une prestation familiale fournie dans le cadre d’une gestion de droit privé. Dans le droit autrichien, les allocations familiales ne pourraient être automatiquement perçues par tout étudiant autrichien, mais leur octroi dépendrait du fait que les parents sont tenus de subvenir aux besoins de l’étudiant. La réduction sur le prix des transports bénéficierait essentiellement au budget familial et, tout comme les allocations familiales, elle ne serait plus allouée dès lors que l’étudiant perçoit lui-même des revenus supérieurs au seuil prévu par le législateur autrichien. Selon cet État membre, une telle réduction doit être qualifiée de prestation familiale au sens du règlement no 1408/71, alors même qu’elle est liée à des études ou à des cours et remplit une double fonction. À la différence de l’indemnité de transport octroyée à un étudiant socialement défavorisé, la réduction sur les tarifs de transport ne dépend pas du revenu des parents et n’est pas directement versée sur le compte bancaire dont l’étudiant bénéficiaire est titulaire.

31      La République d’Autriche constate que, dans sa notification relative au règlement no 1408/71, elle a mentionné de manière très générale le FLAG, dont découle la réduction en cause des tarifs de transport. Cette notification aurait un effet déclaratoire et constitutif.

32      Ledit État membre fait donc valoir que son système satisfait pleinement au règlement no 1408/1971 sans par ailleurs violer la directive 2004/38. Il ajoute que la Cour ne se réfère pas aux principes du droit primaire, tels que celui consacré à l’article 18 TFUE, pour apprécier les prestations qui relèvent du champ d’application de ce règlement (voir arrêt du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski, C‑208/07, Rec. p. I‑6095, points 84 et suivant).

33      La Commission estime que l’argument sur lequel se fonde la République d’Autriche, tiré de la nature de prestation de sécurité sociale de la réduction sur les tarifs de transport, est dénué de pertinence. Tout d’abord, une telle réduction ne compenserait pas les charges de famille ainsi que l’exige l’article 1er, sous u), i), du règlement no 1408/71, mais allégerait les frais que génère pour les étudiants des universités et des établissements supérieurs l’utilisation des transports en commun. Les tarifs de transport réduits bénéficieraient directement aux étudiants et non pas aux parents. Ensuite, la description des tarifs de transport réduits fournie par la République d’Autriche ne permettrait pas d’affirmer qu’ils remplissent les conditions pour être considérés comme une prestation de sécurité sociale au sens du règlement no 1408/71. Il conviendrait à cet égard de souligner que les étudiants n’ont aucun droit légal à ces prestations. Enfin, il ne serait pas logique de qualifier l’indemnité de transport prévue par la loi de 1992 d’aide d’entretien, alors que la réduction sur les tarifs de transport en cause en l’espèce est considérée comme une prestation familiale. Selon la Commission, le fait que, dans certains Länder, l’octroi d’une réduction sur les tarifs de transport n’est pas subordonné à la perception des allocations familiales autrichiennes est une indication supplémentaire que cette réduction n’a rien d’une prestation familiale.

34      Quant à l’exception au principe de l’égalité de traitement figurant à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 dont se prévaut la République d’Autriche, la Commission estime qu’elle doit être interprétée de manière stricte. Elle ne vaudrait que pour les «aides d’entretien aux études, y compris la formation professionnelle, [se présentant] sous la forme de bourses d’études ou de prêts». Contrairement aux arguments de cet État membre, le principe de l’égalité de traitement, prévu au paragraphe 1 du même article, s’étendrait à toutes les prestations en faveur des étudiants qui ne sont pas accordées sous la forme d’une bourse d’études ou d’un prêt. Compte tenu de leur forme, les tarifs de transport réduits ne relèveraient pas de l’exception prévue audit paragraphe 2. L’interprétation de cette exception préconisée par la République d’Autriche ne pourrait être retenue dès lors qu’elle serait contraire au droit primaire et à la jurisprudence de la Cour relative aux articles 18 TFUE et 21 TFUE.

35      La République d’Autriche soutient que, en tout état de cause, la réduction sur le prix des transports contribue au financement des études et, par conséquent, elle ne doit pas être considérée indépendamment des autres mesures que l’État membre d’origine est tenu de prendre en matière d’aide aux études. Jusqu’à ce qu’un étudiant soit intégré, dans le cadre de la formation, dans l’État membre d’accueil, il incomberait à l’État membre d’origine d’allouer à ses étudiants des aides suffisantes, en tenant compte des éventuelles obligations d’entretien. L’État membre d’accueil n’aurait pas à compenser les subventions éventuellement «plus faibles» octroyées par les autres États membres.

 Appréciation de la Cour

36      Il convient de relever, à titre liminaire, que l’article 20, paragraphe 1, TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union.

37      Les étudiants provenant des États membres autres que la République d’Autriche et poursuivant leurs études dans cette dernière, en tant qu’ils possèdent la nationalité d’un État membre, bénéficient de ce statut.

38      Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, dans le domaine d’application ratione materiae du traité FUE, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, Rec. p. I‑6193, point 31, et du 11 juillet 2002, D’Hoop, C‑224/98, Rec. p. I‑6191, point 28).

39      Tout citoyen de l’Union peut donc se prévaloir de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité figurant à l’article 18 TFUE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit de l’Union, ces situations comprenant l’exercice de la liberté fondamentale de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par l’article 21 TFUE (voir arrêts du 12 mai 1998, Martínez Sala, C‑85/96, Rec. p. I‑2691, point 63; du 15 mars 2005, Bidar, C‑209/03, Rec. p. I‑2119, points 32 et 33; du 18 novembre 2008, Förster, C‑158/07, Rec. p. I‑8507, points 36 et 37, ainsi que du 13 avril 2010, Bressol e.a., C‑73/08, Rec. p. I‑2735, point 31).

40      Par ailleurs, il ressort de cette même jurisprudence que cette interdiction couvre également les situations concernant les conditions d’accès à la formation professionnelle, étant entendu que tant l’enseignement supérieur que l’enseignement universitaire constituent une formation professionnelle (arrêt Bressol e.a., précité, point 32).

41      Il s’ensuit qu’un ressortissant d’un État membre qui poursuit ses études en Autriche peut se prévaloir du droit, consacré aux articles 18 TFUE et 21 TFUE, de circuler et de séjourner librement sur le territoire de l’État membre d’accueil sans subir de discriminations directes ou indirectes en raison de sa nationalité (arrêt Bressol e.a., précité, point 33).

42      Quant à la question de savoir si des réductions des tarifs de transport telles que celles accordées par certains Länder en Autriche entrent dans le champ d’application des traités au sens de l’article 18, paragraphe 1, TFUE, il convient d’observer que, en constatant que l’accès à la formation professionnelle relève du champ d’application du droit de l’Union, la Cour a déjà précisé que relèvent de ce champ d’application des aides nationales accordées aux étudiants pour couvrir leurs frais d’entretien, des prestations sociales prévues par un régime national non contributif et des allocations dites d’«attente» prévues par une réglementation nationale destinées aux jeunes chômeurs à la recherche de leur premier emploi (voir, respectivement, arrêts précités Bidar, point 42; Grzelczyk, point 46, ainsi que D’Hoop, points 34 et 35).

43      Il s’ensuit qu’un régime prévoyant des réductions sur les tarifs de transport accordées aux étudiants, en tant qu’il leur permet, directement ou indirectement, de couvrir leurs frais d’entretien, entre également dans le champ d’application du traité FUE.

44      Quant à l’argumentation de la République d’Autriche selon laquelle la réduction sur les tarifs de transport doit être considérée comme une prestation familiale au sens du règlement no 1408/71, il convient de relever que, à supposer même que les règles de conflit prévues par ce règlement s’appliquent aux citoyens de l’Union poursuivant leurs études dans un État membre autre que leurs États membres d’origine et dont les parents n’ont aucun lien avec cet État membre d’accueil, une telle qualification de cette réduction ne serait pas de nature à justifier une inégalité de traitement en raison de la nationalité à l’égard de ces citoyens.

45      En effet, d’une part, il convient de rappeler que certaines prestations relevant du domaine d’application spécifique du règlement no 1408/71 ont été également considérées par la Cour comme constituant des bénéfices ou des avantages sociaux soumis au principe de l’égalité de traitement au regard de la nationalité en fonction d’autres dispositions du droit de l’Union relatives à la libre circulation des personnes (voir, en ce sens, arrêt Martínez Sala, précité, point 27).

46      D’autre part, il convient de rappeler que le règlement no 1408/71 n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts. Il a pour unique objet d’assurer une coordination entre ces derniers (arrêt du 21 juillet 2011, Stewart, C‑503/09, Rec. p. I‑6497, point 75 et jurisprudence citée).

47      Si les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, de sorte qu’il leur appartient, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, de déterminer les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale et les conditions qui donnent droit à des prestations, ils doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (arrêt Stewart, précité, points 75 à 77 et jurisprudence citée).

48      L’argumentation de la République d’Autriche relative à la qualification de prestation familiale au sens du règlement no 1408/71 des réductions sur les tarifs de transport n’exclut donc pas l’existence, alléguée par la Commission, d’une discrimination en raison de la nationalité à l’encontre des étudiants d’autres États membres poursuivant leurs études en Autriche.

49      À l’égard de ladite allégation, il convient de rappeler que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, consacré de manière générale à l’article 18 TFUE et précisé à l’égard des citoyens de l’Union relevant du champ d’application de la directive 2004/38 à l’article 24 de celle-ci, prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toutes les formes indirectes de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir arrêt Bressol e.a., précité, point 40).

50      En l’espèce, la subordination de la réduction sur les tarifs de transport à l’octroi des allocations familiales autrichiennes, telle que prévue par certains Länder, crée une inégalité de traitement entre les étudiants autrichiens poursuivant leurs études en Autriche et les étudiants d’autres États membres y effectuant eux aussi leurs études, dès lors qu’une telle condition est plus aisément remplie par les étudiants autrichiens puisque leurs parents perçoivent, en règle générale, ces allocations.

51      Une telle inégalité de traitement est contraire aux principes qui sous-tendent le statut de citoyen de l’Union, à savoir la garantie, rappelée au point 38 du présent arrêt, d’un même traitement juridique dans l’exercice de sa liberté de circuler (arrêt D’Hoop, précité, point 35).

52      Selon une jurisprudence constante, une discrimination indirecte sur la base de la nationalité ne pourrait être justifiée que si elle se fondait sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (voir arrêts D’Hoop, précité, point 36; du 7 juillet 2005, Commission/Autriche, C‑147/03, Rec. p. I‑5969, point 48, ainsi que Bressol e.a., précité, point 41).

53      Avant même de déterminer si, en l’espèce, il existe une telle justification objective, il convient, en premier lieu, d’examiner l’argument de la République d’Autriche selon lequel le régime de tarifs de transport réduits pour les étudiants relève du champ d’application de la dérogation au principe d’égalité de traitement prévue à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

54      En tant que dérogation au principe d’égalité de traitement prévu à l’article 18 TFUE et dont l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 ne constitue qu’une expression spécifique, le paragraphe 2 de cet article 24 doit être interprété de manière stricte.

55      Si, ainsi qu’il ressort du point 43 du présent arrêt, les réductions sur les tarifs de transport octroyées aux étudiants concernés constituent des aides d’entretien pour ces derniers, seules les aides d’entretien aux études «sous la forme de bourses d’études ou de prêts» relèvent de la dérogation au principe d’égalité de traitement prévue à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

56      Toute autre interprétation de cette disposition irait à l’encontre non seulement du libellé de celle-ci, mais également de l’obligation, incombant à la Cour, d’interpréter cette dérogation en conformité avec les dispositions du traité, y compris celles relatives à la citoyenneté de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, Rec. p. I‑4585, point 44).

57      En second lieu, quant à l’existence de considérations objectives pouvant justifier l’inégalité de traitement constatée, la République d’Autriche soutient, ainsi qu’il ressort du point 35 du présent arrêt, que la réduction sur le prix des transports contribue au financement des études et que, par conséquent, elle ne doit pas être considérée indépendamment des autres mesures que l’État membre d’origine est tenu de prendre en matière d’aide aux études. Certains États membres accorderaient des bourses d’études nettement plus généreuses que celles octroyées en Autriche, de sorte que les étudiants en provenance d’autres États membres pourraient plus facilement faire face au coût de la vie, y compris les frais de transport, que les étudiants autrichiens. Si d’autres États membres ont un système de subvention des étudiants plus faible que celui en vigueur en Autriche, il n’appartiendrait pas à l’État membre d’accueil d’aider les étudiants provenant de tels États.

58      Il convient à cet égard de constater que, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 62 de ses conclusions et selon les informations fournies à la Cour, si la réduction sur les tarifs de transport n’est plus accordée dès lors que l’étudiant perçoit lui-même des revenus supérieurs à un certain seuil, le bénéfice de cette réduction ne suppose pas, en principe, une insuffisance de ressources. De même, au cas où l’objectif poursuivi par la République d’Autriche serait d’éviter qu’un étudiant provenant d’un autre État membre ne bénéficie d’une double aide financière, il convient de relever qu’il ne ressort pas des informations fournies par le gouvernement autrichien que, lors de l’octroi de cette réduction aux étudiants dont les parents perçoivent des allocations familiales autrichiennes, les autorités compétentes de cet État membre prennent en compte les prestations éventuellement perçues par lesdits étudiants dans un autre État membre.

59      Dans la mesure où l’argument de la République d’Autriche viserait à contester l’existence d’une obligation pour un État membre d’accueil de financer des étudiants qui ne sont pas intégrés dans cet État, il convient de rappeler que, s’agissant des dispositions relatives à la citoyenneté de l’Union, la Cour a déjà jugé qu’il est légitime pour un État membre d’accueil de vouloir s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’une prestation et cet État (voir, en ce sens, arrêts D’Hoop, précité, point 38; du 23 mars 2004, Collins, C‑138/02, Rec. p. I‑2703, point 67; Bidar, précité, point 57, ainsi que Vatsouras et Koupatantze, précité, point 38).

60      Si le droit de l’Union relatif à la libre circulation des personnes et, notamment, des étudiants admet une certaine solidarité financière des ressortissants de l’État membre d’accueil avec ceux des autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Grzelczyk, précité, point 44), il convient, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de la directive 2004/38, d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour, y compris les étudiants, ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, est dès lors, conformément à l’article 21 TFUE et aux dispositions de la directive 2004/38, soumis à certaines conditions.

61      Un régime national exigeant qu’un étudiant démontre l’existence d’un lien réel avec l’État membre d’accueil pourrait donc répondre, en principe, à un objectif légitime susceptible de justifier des restrictions aux droits de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres consacrés à l’article 21 TFUE.

62      Il convient, toutefois, de préciser, d’une part, que la preuve exigée pour faire valoir l’existence d’un tel lien réel ne doit pas avoir un caractère trop exclusif, privilégiant indûment un élément qui n’est pas nécessairement représentatif du degré réel et effectif de rattachement entre le demandeur d’une réduction sur les tarifs de transport et l’État membre dans lequel ce demandeur poursuit ses études, à l’exclusion de tout autre élément représentatif (voir, en ce sens, arrêts précités D’Hoop, point 39, et Stewart, point 95).

63      D’autre part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 76 de ses conclusions, le lien réel exigé entre un étudiant, demandeur d’une prestation, et l’État membre d’accueil ne doit pas être fixé de manière uniforme pour toutes les prestations, mais devrait être établi en fonction des éléments constitutifs de la prestation en cause, notamment sa nature et ses finalités. L’objectif de la prestation doit d’ailleurs être examiné en fonction des résultats de celle-ci et non pas de sa structure ou de sa qualification formelle (voir, en ce sens, arrêt Vatsouras et Koupatantze, précité, points 41 et 42).

64      S’agissant d’une réduction sur les tarifs de transport pour étudiants, l’existence d’un lien réel entre l’étudiant poursuivant ses études et l’État membre d’accueil pourrait effectivement être vérifiée à l’égard des tarifs de transport réduits, notamment, par la constatation que la personne en cause est inscrite, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous c), premier tiret, de la directive 2004/38, dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle.

65      Il convient donc de conclure que la République d’Autriche n’a pas établi que le régime autrichien, applicable dans certains Länder, des tarifs de transport réduits pour les étudiants est objectivement justifié.

66      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en réservant en principe le bénéfice des tarifs de transport réduits aux seuls étudiants dont les parents perçoivent des allocations familiales autrichiennes, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 18 TFUE, 20 TFUE et 21 TFUE ainsi que 24 de la directive 2004/38.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République d’Autriche et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      En réservant en principe le bénéfice des tarifs de transport réduits aux seuls étudiants dont les parents perçoivent des allocations familiales autrichiennes, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 18 TFUE, 20 TFUE et 21 TFUE ainsi que 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE.

2)      La République d’Autriche est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.