Language of document : ECLI:EU:C:2010:433

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 15 juillet 2010 (1)

Affaire C‑137/09

Marc Michel Josemans

contre

Burgemeester van Maastricht

[demande de décision préjudicielle introduite par le Raad van State (Pays-Bas)]

«Espace de liberté, de sécurité et de justice – Libre prestation des services – Champ d’application ratione materiæ – Vente de stupéfiants – Mesure d’une autorité publique locale réservant l’accès aux coffee shops aux résidents néerlandais – Lutte contre le tourisme de la drogue – Obligations incombant aux États membres au titre des articles 4 TUE et 72 TFUE – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 71, paragraphe 5 – Protection de l’ordre public national et de l’ordre public européen»





I –    Introduction

A –    Présentation générale de l’affaire

1.        Le principe de la libre prestation des services garanti par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne a-t-il vocation à s’appliquer à la vente d’un produit stupéfiant? En d’autres termes, le responsable d’un coffee shop peut-il se prévaloir de ce principe pour légitimer son activité et le ressortissant d’un État membre peut-il se prévaloir de cette liberté pour aller se droguer dans un autre État membre?

2.        Derrière ces questions simples se profilent d’autres questions plus sensibles. Entendons-nous bâtir une Europe au sein de laquelle producteur, transitaire ou destinataire peuvent librement se prévaloir des libertés de circulation garanties par le traité pour cultiver, transporter, offrir ou bien encore consommer de la drogue? L’espace de liberté, de sécurité et de justice que nous construisons aujourd’hui a-t-il pour ambition de servir les intérêts du commerce de la drogue?

3.        Telles sont, en substance, les questions que soulève le présent renvoi préjudiciel.

4.        Cette affaire s’inscrit dans le cadre du durcissement de la politique de tolérance que le Royaume des Pays-Bas adopte à l’égard de la vente de cannabis dans les coffee shops. Conscient des répercussions transfrontalières de cette politique et des nombreux troubles causés à l’ordre public par la fréquentation massive et croissante de ces établissements, le Burgemeester van Maastricht (bourgmestre de la commune de Maastricht) a décidé de réserver l’accès auxdits établissements aux seuls résidents néerlandais (ci-après la «mesure litigieuse»). Une telle mesure constituerait une entrave évidente aux libertés de circulation garanties par le traité si elle concernait un établissement de restauration commun dans lequel seraient uniquement vendus des produits de consommation licites. Or, tel n’est pas le cas dans la présente affaire, puisque, à la différence notable des snack-bars et autres établissements de restauration rapide dans lesquels sont vendus des sodas et autres sandwichs à emporter, l’activité principale des coffee shops est dédiée à la vente d’un produit stupéfiant dont la commercialisation est interdite par l’ensemble des États membres.

5.        Le Raad van State (Pays-Bas) interroge, par conséquent, la Cour sur le point de savoir si une telle mesure relève du champ d’application ratione materiæ du droit de l’Union et, en particulier, des principes et des libertés fondamentales garantis par le traité. Il demande à la Cour, le cas échéant, si cette mesure peut être justifiée au titre de la lutte contre le tourisme de la drogue et des nuisances que celui-ci draine.

6.        Dans ces conclusions, nous soutiendrons, en premier lieu, qu’une mesure adoptée par une autorité publique locale dans le cadre de son règlement général de police, qui réserve l’accès aux coffee shops aux seuls résidents néerlandais, ne relève pas du champ d’application du traité et, en particulier, de la libre prestation des services. À cet égard, nous expliquerons que la liberté visée à l’article 56 TFUE ne peut, en aucun cas, légitimer le commerce d’un produit stupéfiant, qui, même s’il est toléré par l’un des États membres de l’Union européenne, ne peut pas bénéficier des avantages tirés du marché commun.

7.        En second lieu, nous proposerons à la Cour d’examiner la conformité de la mesure litigieuse sous un angle complémentaire, et ce dans un esprit de coopération avec le juge national. En effet, compte tenu de l’objet du litige ainsi que de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, nous considérerons qu’il est indispensable d’interpréter les dispositions du droit de l’Union qui visent spécifiquement la protection de l’ordre public et la lutte contre la demande illicite de stupéfiants.

8.        À l’issue de cet examen, nous soutiendrons qu’une telle mesure, qui tend à lutter contre le tourisme de la drogue et les activités criminelles que celui-ci draine, constitue la manifestation pour l’État non seulement du droit qui lui est reconnu de maintenir son ordre public interne au titre des articles 4 TUE et 72 TFUE, mais également de son devoir de contribuer à la préservation de l’ordre public européen au titre de l’article 71, paragraphe 5, de la convention d’application de l’accord de Schengen (2).

B –    Le cannabis

9.        À l’heure actuelle, environ 4 millions de jeunes européens consomment quotidiennement du cannabis et 19 États membres sont concernés par la culture de ce stupéfiant. Dans la mesure où son modèle de consommation change et où apparaissent sur le marché de nouvelles formes de cannabis, il nous semble important de rappeler ce qu’est cette drogue et quels sont les effets de celle-ci sur la santé des consommateurs.

1.      Une grande variété de cannabis

10.      La marijuana, ou l’herbe, est le nom donné aux feuilles et aux fruits du cannabis qui, hachés et broyés, sont fumés purs ou avec du tabac. En revanche, le haschich est la résine sécrétée par les feuilles et les sommités mûres de la plante. Il est quatre à huis fois plus actif que la marijuana. Les substances psychotropes contenues dans le haschich sont des cannabinoïdes dont la plus importante est le delta 9 - tétrahydrocannabinol (ci-après le «THC»). Les effets du cannabis se manifestent pour une dose de 0,05 mg/kg de THC absorbée et, à titre d’illustration, une cigarette ou un joint de marijuana contient 2 à 5 mg de THC.

11.      La teneur en THC varie de manière très importante selon l’origine des produits, les saisons et les méthodes de production. Ainsi, au-delà des espèces classiques provenant d’Afrique du Nord (notamment du Maroc), d’Asie et du Moyen-Orient, les vendeurs ou les dealers proposent aujourd’hui de nouvelles préparations de cannabis à des consommateurs encore rarement informés de la toxicité accrue de celles-ci (3). Selon les études réalisées, alors que le taux moyen de concentration en THC de la marijuana et du haschich importés est respectivement de 7 % et de 18,2 %, celui de la marijuana d’origine néerlandaise («nederwiet» ou «hennep») est de l’ordre de 20,4 % et celui du haschich dérivé de la marijuana néerlandaise («nederhasj»), de l’ordre de 39,3 % (4).

12.      De la même façon, sont apparus sur le marché de nouveaux produits à base d’herbe auxquels ont été ajoutés des cannabinoïdes de synthèse ou coupés avec des substances aussi nocives que du plomb, du cirage, de la poudre de verre, des médicaments ou bien encore du sable (5). Cela permet d’augmenter le poids à la vente et renforce les effets de l’ivresse.

2.      Une consommation qui génère des risques pour la santé humaine

13.      Si, comme nous le verrons, la politique de tolérance adoptée par le gouvernement néerlandais repose sur une distinction entre la consommation et les dangers respectifs des «drogues douces» et des «drogues dures», cette distinction a, selon nous, perdu toute sa pertinence compte tenu des nouvelles formes de cannabis présentes sur le marché et des risques que leur consommation entraîne pour la santé humaine.

14.      La dangerosité et la nocivité du cannabis sur les consommateurs comme sur le tissu social ne sont plus à démontrer. Si les effets psychiques liés à la consommation de cannabis sont, en principe, temporaires et réversibles dans le cas d’un consommateur occasionnel, ils apparaissent néanmoins dès le premier joint, potentialisent les effets de l’alcool et du tabac et sont susceptibles d’entraîner une ivresse cannabique, qui, associée à la conduite d’un véhicule, engendre des conséquences dramatiques. Les quatre ministres néerlandais en charge de la politique de la drogue l’ont expressément reconnu dans leur lettre adressée au parlement néerlandais le 11 septembre 2009 (6).

15.      Ainsi que l’ont démontré de nombreuses études scientifiques (7), un usage intensif et prolongé de cannabis peut entraîner un retentissement physique et psychique encore plus dommageable. Contenant sept fois plus de goudron et de monoxyde de carbone que le tabac, un usage chronique de cannabis expose le fumeur à des risques plus importants de toxicité pulmonaire et de cancers des voies aérodigestives supérieures (8). La consommation de cannabis entraîne une fatigue physique et intellectuelle diminuant les capacités de concentration, de mémorisation ainsi que d’apprentissage et engendre un déficit de l’activité professionnelle ou scolaire. Une consommation régulière de cannabis peut ainsi conduire à des ruptures sociales qui se traduisent, chez l’adulte, par une difficulté plus grande à occuper un travail régulier et stable et, chez les plus jeunes, par un absentéisme scolaire cause de marginalisation et de dépression chez certains. En outre, l’usage de cannabis peut donner lieu à des symptômes psychiatriques, tels que des hallucinations. Il a également été incriminé dans l’apparition de certaines schizophrénies. Dans ce cas, l’association d’une schizophrénie à un abus de cannabis se caractérise par des troubles plus précoces et plus fréquents, une plus grande désinsertion sociale, des risques de dépression et de passages à l’acte suicidaire plus marqués. Il est évident que ces risques augmentent avec le mode de consommation, la durée, la vulnérabilité personnelle de l’usager et la quantité de produit inhalée.

16.      Enfin, la consommation de cannabis expose les usagers à des drogues plus puissantes. Si la théorie dite «de la passerelle» ou «de l’escalade» est critiquée par certains, il n’en reste pas moins qu’une personne ayant déjà expérimenté les effets hallucinogènes du cannabis sera plus facilement disposée à essayer des drogues aux propriétés plus intenses.

17.      C’est compte tenu de la dangerosité et de la nocivité du cannabis que celui-ci est aujourd’hui stigmatisé dans de nombreuses conventions européennes et internationales.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      La lutte contre la drogue

a)      Le traité sur l’Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

18.      Conformément à l’article 3, paragraphe 1, TUE, «[l]’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples».

19.      En vertu de l’article 3, paragraphe 2, TUE, «[l]’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène».

20.      En vertu de l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union «respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet […] de maintenir l’ordre public».

21.      Le bien-être, la cohésion sociale, la santé et la sécurité des personnes constituent autant d’objectifs qui guident l’action de l’Union dans la lutte contre la drogue et dans l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice visé à l’article 67 TFUE.

22.      Dans ce cadre, l’action de l’Union est essentiellement tournée vers la réduction de l’offre et de la demande, qui associe, d’une part, des mesures de prévention et de lutte contre le trafic illicite de drogues et la criminalité organisée et, d’autre part, des mesures de prévention de la toxicomanie.

i)      La lutte contre le trafic illicite de stupéfiants et la criminalité organisée

23.      Conformément à l’article 67, paragraphe 3, TFUE, la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants et la criminalité organisée se traduit par une coordination et une coopération accrues entre les autorités policières et judiciaires des États membres ainsi que par un rapprochement des législations pénales de ces derniers.

24.      Néanmoins, conformément à l’article 72 TFUE, les États membres restent responsables pour le maintien, sur leur territoire, de l’ordre public et pour la sauvegarde de la sécurité intérieure.

25.      Le trafic illicite de drogues et la criminalité organisée figurent expressément parmi les «eurocrimes» visés à l’article 83, paragraphe 1, TFUE. Cette disposition permet au Parlement européen et au Conseil d’établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement graves, revêtant une dimension transfrontière compte tenu du caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes.

ii)    La prévention de la toxicomanie

26.      La prévention de la toxicomanie relève de l’article 168, paragraphe 1, TFUE et de l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (9), qui prévoient qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine doit être assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union.

27.      Conformément à l’article 168 TFUE, ces actions doivent, en particulier, compléter les politiques nationales en vue de réduire les effets nocifs de la drogue sur la santé, y compris par l’information et la prévention.

b)      L’acquis de Schengen

28.      La convention d’application de l’accord de Schengen prévoit, à son article 71, ce qui suit:

«1.   Les Parties Contractantes s’engagent, en ce qui concerne la cession directe ou indirecte de stupéfiants et de substances psychotropes de quelque nature que ce soit, y compris le cannabis, ainsi que la détention de ces produits et substances aux fins de cession ou d’exportation, à prendre, en conformité avec les Conventions existantes des Nations Unies […], toutes mesures nécessaires à la prévention et à la répression du trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes.

2.     Les Parties Contractantes s’engagent à prévenir et à réprimer par des mesures administratives et pénales l’exportation illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, y compris le cannabis, ainsi que la cession, la fourniture et la remise desdits produits et substances […]

3.     En vue de lutter contre l’importation illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, y compris le cannabis, les Parties Contractantes renforceront les contrôles de la circulation des personnes et des marchandises ainsi que des moyens de transport aux frontières extérieures. […]

4.     En vue d’assurer le respect des dispositions du présent article, les Parties Contractantes surveilleront spécifiquement les lieux notoirement utilisés pour le trafic de drogue.

5.     En ce qui concerne la lutte contre la demande illicite de stupéfiants et substances psychotropes de quelque nature que ce soit, y compris le cannabis, les Parties Contractantes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir et lutter contre les effets négatifs de cette demande illicite. Les mesures prises à cette fin relèvent de la responsabilité de chaque Partie Contractante.»

29.      Une déclaration commune concernant l’article 71, paragraphe 2, de la convention d’application de l’accord de Schengen a été annexée à l’acte final de celle-ci. Cette déclaration se lit comme suit:

«Pour autant qu’une Partie Contractante déroge au principe visé à l’article 71, paragraphe 2, dans le cadre de sa politique nationale de prévention et de traitement de la dépendance à l’égard des stupéfiants et des substances psychotropes, toutes les Parties Contractantes prennent les mesures administratives et pénales nécessaires afin de prévenir et de réprimer l’importation et l’exportation illicites desdits produits et substances, notamment, vers le territoire des autres Parties Contractantes.»

c)      Le droit dérivé

30.      La résolution du Conseil du 29 novembre 1996 (10) a identifié de manière claire le problème du narcotourisme à l’intérieur de l’Union et a prévu les premières mesures de lutte contre ce phénomène.

31.      Puis, dans le cadre d’une action commune du 17 décembre 1996 (11), les États membres ont réaffirmé leur détermination commune à éliminer le trafic illicite de stupéfiants en luttant, notamment, contre la demande illicite de stupéfiants, les gains énormes tirés du trafic ainsi que le tourisme de la drogue (12). Ils se sont également engagés à conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, au fait d’inciter ou d’amener publiquement autrui, par quelque moyen que ce soit, à l’usage ou à la production illicites de produits stupéfiants et, à cet égard, ils se sont engagés à faire preuve d’une particulière vigilance en ce qui concerne l’usage d’Internet (13).

32.      Ensuite, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil, du 25 octobre 2004 (14), chaque État membre s’est engagé à prendre les mesures nécessaires pour punir la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, l’offre, la mise en vente, la distribution, la vente, la livraison à quelque condition que ce soit, le courtage, l’expédition, l’expédition en transit, le transport, l’importation ou l’exportation de drogues lorsque ces comportements sont intentionnels et qu’ils ne peuvent être légitimés (15).

33.      Le programme de Stockholm, adopté par le Conseil le 2 décembre 2009 (16), prévoit, en ce qui concerne la stratégie de sécurité intérieure de l’Union, qu’il est essentiel, pour se protéger contre les menaces transnationales, de renforcer les mesures prises au niveau européen et de mieux les coordonner avec celles qui sont déployées aux niveaux régional et national. Il précise, également, que la criminalité organisée et le trafic de drogue continuent à menacer la sécurité intérieure de l’Union, que la criminalité transfrontalière est désormais un problème pressant, auquel il faut répondre de manière claire et globale (17).

34.      Enfin, le cadre d’action de l’Union est constitué de différents plans visant à appliquer la stratégie antidrogue définie par l’Union pour la période 2005-2012. Le plan d’action actuel (18) définit cinq objectifs prioritaires, à savoir la coordination des politiques de lutte contre la drogue aux niveaux national et européen (19), la réduction de la demande de drogue, la réduction et la répression de l’offre de drogue, la coopération internationale et l’amélioration de la recherche dans ce domaine.

2.      Les libertés fondamentales reconnues au citoyen de l’Union

35.      En ce qui concerne la citoyenneté de l’Union, celle-ci confère à chaque ressortissant des États membres des droits fondamentaux et individuels. Dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiæ du droit de l’Union, tout citoyen de l’Union peut ainsi se prévaloir de l’article 18 TFUE qui interdit toute discrimination en raison de la nationalité (20).

36.      Ces situations comprennent, tout d’abord, celles relevant de l’article 21 TFUE (21).

37.      Cette disposition énonce, de manière générale, le droit pour tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité et par les mesures adoptées en vue de son application. Il s’agit d’une liberté fondamentale, affirmée à l’article 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que les citoyens de l’Union peuvent exercer indépendamment de l’exercice d’une activité économique. Ainsi, lorsqu’un ressortissant d’un État membre circule ou séjourne sur le territoire de l’Union, il peut se prévaloir du droit de ne pas subir de discrimination en raison de sa nationalité, consacré à l’article 18 TFUE.

38.      Ces situations comprennent également celles relevant de l’exercice de la libre prestation des services consacrée à l’article 56 TFUE (22).

39.      En vertu d’une jurisprudence constante, d’une part, le droit à la libre prestation des services (23) peut être invoqué par une entreprise à l’égard de l’État où elle est établie, dès lors qu’elle fournit des services à des destinataires établis dans un autre État membre. D’autre part, ce droit inclut la liberté des destinataires de services, parmi lesquels figurent les touristes, de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d’un service, sans être gênés par des restrictions (24). Conformément à l’article 52, paragraphe 1, TFUE, auquel renvoie l’article 62 TFUE, cette liberté peut, néanmoins, faire l’objet de restrictions fondées sur des raisons tirées de la protection de l’ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique.

40.      Enfin, le principe de non-discrimination visé à l’article 18 TFUE a été mis en œuvre et concrétisé dans le domaine de la libre circulation des marchandises. Les articles 34 TFUE et 35 TFUE interdisent respectivement les restrictions quantitatives à l’importation et les restrictions quantitatives à l’exportation ainsi que toutes les mesures d’effet équivalent entre les États membres. Néanmoins, conformément à l’article 36 TFUE, certaines restrictions peuvent également être justifiées, notamment, par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé et de la vie des personnes.

B –    Les engagements internationaux

41.      La convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, conclue à Vienne le 20 décembre 1988 (25), renforce et complète les mesures prévues par la convention unique des Nations unies sur les stupéfiants, conclue à New York le 30 mars 1961 (26), et par la convention des Nations unies sur les substances psychotropes, conclue à Vienne le 21 février 1971 (27).

42.      Tous les États membres ainsi que l’Union sont parties à la convention des Nations unies de 1988 (28).

43.      L’article 3, paragraphe 1, de cette convention est rédigé comme suit:

«Chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infractions pénales conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement:

«a)      i)     À la production, à la fabrication, à l’extraction, à la préparation, à l’offre, à la mise en vente, à la distribution, à la vente, à la livraison à quelque condition que ce soit, au courtage, à l’expédition, à l’expédition en transit, au transport, à l’importation ou à l’exportation de tout stupéfiant ou de toute substance psychotrope en violation des dispositions de la convention de 1961, de la convention de 1961 telle que modifiée ou de la convention de 1971;

[…]

c)      iii) Au fait d’inciter ou d’amener publiquement autrui, par quelque moyen que ce soit, à commettre l’une de [ces infractions] ou à faire illicitement usage de stupéfiants ou de substances psychotropes».

44.      Parmi la liste des stupéfiants visés par la convention des Nations unies de 1988 figure le cannabis.

C –    La réglementation néerlandaise

45.      Conformément à la loi sur les stupéfiants de 1976 (Opiumwet 1976, ci-après la «loi sur les stupéfiants»), la possession, le commerce, la culture, le transport, la fabrication, l’importation et l’exportation de stupéfiants sont interdits. Ces actes sont passibles de sanctions pénales pour toutes les drogues, y compris le cannabis et ses dérivés, sauf si elles sont utilisées à des fins médicales, scientifiques ou éducatives, et à condition d’en avoir reçu l’autorisation préalable.

46.      La politique de tolérance que le Royaume des Pays-Bas a adoptée à l’égard de la vente et de la consommation de «drogues douces» est le résultat d’un long processus d’élaboration, dont les orientations ont notamment été définies, en 1972, par le rapport gouvernemental de la commission Baan (29) et, en 1995, par le rapport «Politique en matière de drogue aux Pays-Bas: continuité et changement» (30).

47.      Cette politique se fonde sur une distinction entre les drogues dites «dures» qui entraînent des risques inacceptables pour la santé, à savoir les opiacés, la cocaïne, la codéine, l’héroïne, l’ecstasy, l’huile de cannabis ou bien encore les amphétamines et le LSD (liste I) et les drogues dites «douces» qui comprennent le cannabis et ses dérivés, qui ne suscitent pas les mêmes inquiétudes, bien qu’ils soient toujours jugés «à risque» (liste II) (31).

48.      Dans la mesure où les risques liés à la consommation de «drogues douces» sont «acceptables», la stratégie adoptée par le législateur néerlandais est plus nuancée que celle appliquée à l’égard des «drogues dures». La possession de «drogues douces» pour usage personnel est décriminalisée et leur vente, en quantité strictement limitée et dans des circonstances contrôlées, est tolérée. Le législateur néerlandais tend ainsi à éviter la stigmatisation et la marginalisation des consommateurs de «drogues douces» et vise également à séparer le marché des «drogues dures» de celui des «drogues douces» de façon à créer une barrière sociale entravant le passage des unes aux autres.

49.      La politique de tolérance a notamment été mise en œuvre dans le cadre des directives édictées par le collège des procureurs généraux. Ces directives, qui ont force de loi, fixent les priorités du ministère public néerlandais en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites pénales engagées à la suite d’une infraction à la loi sur les stupéfiants (32). Les autorités judiciaires se sont ainsi fondées sur le principe de l’opportunité des poursuites pour mener une politique répressive sélective, n’engageant pas systématiquement de poursuites pénales à l’encontre des petits commerces de stupéfiants et réservant une priorité à la répression du trafic de stupéfiants et à celle de la grande criminalité.

50.      Les autorités néerlandaises ont ainsi toléré la vente de petites quantités de produits à base de chanvre dans les maisons des jeunes, par des revendeurs attitrés («huisdealer»). Elles ont, ensuite, étendu cette politique aux coffee shops vendant à titre commercial («op commerciële basis») aux adultes.

51.      En vertu de la réglementation néerlandaise, les coffee shops sont des établissements accessibles au public relevant de la catégorie des établissements de restauration rapide (horeca), tels que les snack-bars ou les friteries dans lesquels des aliments peuvent être consommés, mais dans lesquels la vente de boissons alcoolisées est interdite. Les autorités locales, à savoir le maire, le procureur et le chef de la police, peuvent autoriser l’établissement de ces coffee shops sous réserve des conditions suivantes.

52.      Tout d’abord, l’établissement des coffee shops est conditionné à l’obtention d’une licence d’exploitation. Ces coffee shops doivent répondre aux mêmes conditions de gestion et d’hygiène que celles applicables aux établissements de restauration. En revanche, ainsi que cela a été souligné lors de l’audience, cette licence ne couvre pas la vente de cannabis, qui, rappelons-le, reste techniquement un délit.

53.      Ensuite, les conditions dans lesquelles la vente de cannabis dans les coffee shops pourra être tolérée sont définies par les directives du ministère public néerlandais. Ces conditions, communément dénommées «critères AHOJ-G», sont les suivantes:

–        A («affichering»): aucune publicité autre qu’une indication sommaire dans le local concerné;

–        H («harddrugs»): interdiction de proposer et/ou de vendre des drogues dures;

–        O («overlast»): l’établissement ne doit pas causer de nuisances; par nuisances, il faut entendre celles entraînées par la circulation et le stationnement aux environs du coffee shop, le bruit et la pollution que cela entraîne, ainsi que la présence des clients, voire de toxicomanes, qui déambulent;

–        J («jeugdigen»): l’accès au coffee shop et la vente de drogues aux mineurs (moins de 18 ans) sont interdits,

–        G («grote hoeveelheden»): l’exploitant ne peut pas vendre plus de 5 g de cannabis par personne et par jour, quantité normalement vendue pour un usage personnel.

54.      Enfin, le «stock» de cannabis toléré dans un coffee shop ne peut en aucun cas excéder 500 g.

55.      La mise en œuvre de cette politique appartient aux autorités locales. C’est dans le cadre d’une concertation tripartite que le maire, le procureur et le chef de la police fixent les priorités de la commune en ce qui concerne la vente de «drogues douces» sur le territoire de celle-ci. Les critères AHOJ-G constituent le socle minimal de ladite politique et les autorités locales peuvent édicter une réglementation plus stricte en ajoutant de nouvelles conditions, comme cela a été le cas dans l’affaire au principal. Ces réglementations sont soumises au contrôle du juge administratif.

56.      L’article 13b de la loi sur les stupéfiants reconnaît dans le chef des autorités municipales de nombreux pouvoirs, afin que soient sanctionnés les nuisances et les troubles causés en violation des dispositions de cette loi (33). Le maire peut ainsi ordonner la fermeture, à titre temporaire ou définitif, d’un coffee shop, lorsque l’exploitant de celui-ci n’a pas respecté les critères susmentionnés.

57.      Le Burgemeester van Maastricht a ainsi décidé de tolérer sur sa commune un nombre limité de coffee shops, contrairement à d’autres communes qui ne fixent aucune limite ou appliquent une tolérance zéro.

58.      Depuis l’année 2004 et ainsi que les ministres compétents l’ont rappelé au mois de septembre 2009, le Royaume des Pays-Bas vise à renforcer sa législation relative à l’établissement des coffee shops ainsi qu’à durcir les mesures destinées à lutter contre la criminalité organisée (34). Le Royaume des Pays-Bas tente également d’apporter une réponse aux problèmes que causent les répercussions transfrontalières de sa politique et de réduire les troubles à l’ordre public et à la sécurité publique que cause l’afflux important et croissant de touristes de la drogue sur son territoire en concertation avec les communes concernées. Outre des problèmes de circulation et de stationnement, les nombreuses plaintes déposées par les résidents concernent non seulement le bruit et la gêne occasionnés par les rassemblements de consommateurs de cannabis se droguant en public, mais également les nuisances causées par les réseaux de criminalité organisée autour des coffee shops et engendrées par la présence de dealers et de toxicomanes, qui, pour certains, peuvent abandonner des seringues usagées ou s’introduire dans les halls des immeubles (35). Ces difficultés se concentrent, notamment, dans les zones frontalières avec la Belgique, l’Allemagne et la France. Ainsi, selon les informations apportées par le Burgemeester van Maastricht lors de l’audience, les 14 coffee shops de cette commune attireraient environ 10 000 visiteurs par jour, 74 000 chaque semaine et un peu plus de 3,9 millions par an. En outre, 70 % de ces visiteurs ne résideraient pas aux Pays-Bas.

59.      Selon le gouvernement néerlandais, les mesures proposées doivent permettre de revenir à l’objet initial des coffee shops, qui doivent être des points de vente à l’usage des résidents dans lesquels ces derniers peuvent acheter et, le cas échéant, consommer du cannabis, dans un environnement sûr et tranquille. Sur l’incitation du gouvernement néerlandais, les autorités publiques locales ont donc renforcé leur réglementation en limitant le nombre de coffee shops dans leur localité ou en optant pour une politique d’extinction, comme cela semble être le cas de la commune de Maastricht (36). D’autres ont décidé de limiter les heures d’ouverture de l’établissement (fermeture en fin de semaine ou pendant la soirée) ou la quantité de cannabis vendue ou stockée. Enfin, certaines ont établi un critère de distance, interdisant ainsi l’implantation d’un coffee shop proche de certaines institutions comme les écoles ou les hôpitaux psychiatriques. Selon le Burgemeester van Maastricht, il semble que ces mesures n’aient pas permis de diminuer, de manière substantielle, le tourisme de la drogue.

60.      C’est dans ce contexte que s’inscrit la mesure litigieuse. Celle-ci, en interdisant l’accès aux coffee shops aux non-résidents, constitue une mesure pilote (37) par laquelle la commune tente de réduire le tourisme de la drogue et l’ensemble des nuisances que celui-ci draine.

61.      La mesure litigieuse, fondée sur le critère de la résidence, a été adoptée le 20 décembre 2005 par le Gemeenteraad (conseil communal) de la commune de Maastricht, puis est entrée en vigueur le 13 janvier 2006. Ainsi que l’a indiqué le Burgemeester van Maastricht lors de l’audience, l’application de celle-ci a été suspendue compte tenu du renvoi préjudiciel introduit devant la Cour.

62.      Aux termes de l’article 2.3.1.3e, premier alinéa, du règlement général de police de la commune de Maastricht (Algemene plaatslijke verordening), dans sa version de 2006 (ci-après l’«APV»), il est interdit au tenancier d’un établissement visé à l’article 2.3.1.1, premier alinéa, sous a), point 3, de l’APV d’admettre dans celui-ci des personnes autres que des résidents ou de les y faire séjourner. La notion d’«établissement» est définie par cette dernière disposition comme étant un espace accessible au public dans lequel une entreprise fournit, en recourant ou non à des appareils distributeurs, des aliments et/ou des boissons sans alcool que les clients ne sont pas tenus de consommer sur place (38). La notion de «résident» vise, aux termes de l’article 2.3.1.1, premier alinéa, sous d), de l’APV, les personnes ayant leur résidence effective aux Pays-Bas.

63.      L’article 2.3.1.3e, deuxième alinéa, de l’APV prévoit que le Burgemeester peut décider que les dispositions du premier alinéa de cet article ne s’appliqueront pas à un ou plusieurs types d’établissements visés dans l’APV dans toute la commune ou dans un ou plusieurs secteurs de la commune qu’il précise.

64.      Par arrêté du 13 juillet 2006, le Burgemeester van Maastricht a exempté de l’application de la mesure litigieuse tous les établissements de la commune visés à l’article 2.3.1.1, premier alinéa, sous a), point 3, de l’APV, à l’exception des coffee shops, salons de thé et autres, quelle que soit leur dénomination.

65.      Aux termes de l’article 2.3.1.5a, sous f), de l’APV, le Burgemeester peut décider de fermer, à titre temporaire ou définitif, un des établissements visés à l’article 2.3.1.1, premier alinéa, sous a), point 3, de l’APV si le tenancier de l’établissement agit au mépris de la mesure litigieuse.

III – Les faits et la procédure au principal

66.      Par arrêté du 7 avril 1994, M. Josemans a obtenu l’autorisation d’exploiter, à Maastricht, le coffee shop Easy Going, établissement dans lequel des «drogues douces» sont vendues et consommées en plus de boissons non alcoolisées et d’aliments. Cette autorisation a été délivrée sous réserve du respect des conditions fixées par l’APV.

67.      Lors de deux contrôles effectués les 16 février et 8 mai 2006, les autorités de police de la commune de Maastricht ont constaté que des ressortissants de l’Union ne résidant pas aux Pays-Bas avaient été admis dans cet établissement au mépris du critère de résidence fixé par la mesure litigieuse.

68.      En application de l’APV, le Burgemeester van Maastricht a donc décidé de fermer temporairement ledit établissement par un arrêté du 7 septembre 2006.

IV – Le renvoi préjudiciel

69.      Le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Une [mesure], comme celle en cause dans l’affaire au fond, sur l’accès de non-résidents à des coffee shops relève-t-elle en tout ou en partie du champ d’application du [TFUE] et, en particulier, de la libre circulation des marchandises ou de la libre prestation des services ou encore du principe de non-discrimination de l’article [18 TFUE] lu conjointement avec l’article [21 TFUE]?

2)      Si les dispositions du [TFUE] relatives à la libre circulation des marchandises ou la libre prestation des services s’appliquent, l’interdiction d’admettre des non-résidents dans les coffee shops est-elle un moyen juste et proportionné de réduire le tourisme de la drogue et les nuisances qu’il draine?

3)      L’interdiction d’opérer une discrimination entre citoyens en raison de la nationalité, inscrite à l’article [18 TFUE] lu conjointement avec l’article [21 TFUE], s’applique-t-elle à la réglementation de l’accès de non-résidents à des coffee shops si les dispositions du [TFUE] sur la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services ne s’appliquent pas?

4)      Si tel est le cas, la distinction indirectement faite à cet égard entre résidents et non-résidents est-elle justifiée et l’interdiction d’admettre des non-résidents dans des coffee shops est-elle un moyen juste et proportionné de réduire le tourisme de la drogue et les nuisances qu’il draine?

V –    Analyse

70.      Les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi recouvrent deux interrogations que nous allons examiner successivement.

71.      La première est celle de savoir si une mesure adoptée par une autorité publique locale dans le cadre de son règlement général de police, qui réserve l’accès aux coffee shops aux seuls résidents néerlandais, relève du champ d’application ratione materiæ du droit de l’Union et, en particulier, du principe de non-discrimination, de la libre circulation des personnes, de la libre prestation des services et de la libre circulation des marchandises au sens de l’article 35 TFUE.

72.      La seconde est celle de savoir si, le cas échéant, une telle mesure constitue une restriction à l’un de ces principes fondamentaux, susceptible d’être justifiée pour des raisons tenant à la lutte contre le tourisme de la drogue et les nuisances qu’il draine.

A –    Observations liminaires

73.      Préalablement à l’examen des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, nous souhaitons faire une remarque liminaire concernant les dispositions du droit de l’Union qui appellent, à notre avis, une interprétation.

74.      Dans sa décision, la juridiction de renvoi identifie quatre dispositions du traité qui pourraient, selon elle, s’opposer à la mesure litigieuse. À cet égard, elle vise le principe de non-discrimination énoncé à l’article 18 TFUE, le principe de la libre circulation des personnes reconnu à l’article 21 TFUE, le principe de la libre circulation des marchandises au sens de l’article 35 TFUE et, enfin, le principe de la libre prestation des services visé à l’article 56 TFUE.

75.      Nous pensons que, parmi les quatre principes invoqués par la juridiction de renvoi, c’est à l’aune seulement de la libre prestation des services visée à l’article 56 TFUE qu’il conviendra, le cas échéant, d’examiner la conformité de la mesure litigieuse.

76.      En effet, cette mesure concerne, à titre principal, une prestation de services. En vertu de l’APV, les coffee shops sont des établissements de restauration, accessibles au public, dans lesquels sont vendus, conformément à la licence d’exploitation qui leur est délivrée par la municipalité, des aliments et des boissons non alcoolisées. Ces marchandises peuvent être consommées sur place ou peuvent être emportées. S’il existe des situations dans lesquelles les clients exportent la marchandise achetée, cette activité reste une activité accessoire et indissociable à la vente et ne justifie donc pas un examen de la mesure litigieuse au regard du principe de la libre circulation des marchandises et, en particulier, de l’article 35 TFUE (39).

77.      Par ailleurs, dans la mesure où le principe de la libre prestation des services est une expression spécifique du principe de non-discrimination et constitue également une application particulière du droit pour tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, il ne sera pas nécessaire que la Cour se prononce à l’aune des articles 18 TFUE et 21 TFUE (40).

78.      En revanche, nous proposons à la Cour d’interpréter un ensemble de règles que la juridiction de renvoi n’a pas expressément visées dans ses questions préjudicielles.

79.      La circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé la question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées. À cet égard, il appartient à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (41).

80.      En l’occurrence, nous relevons, d’emblée, que la question que nous pose le juge de renvoi ne concerne pas tant la vente de produits de consommation licites que celle d’un produit stupéfiant. Le litige au principal porte sur les conséquences d’une telle tolérance et, en particulier, sur les mesures qui sont susceptibles d’être adoptées en vue de préserver l’ordre public des troubles engendrés par le tourisme de la drogue. Or, de telles préoccupations relèvent expressément des articles 4 TUE et 72 TFUE et font, selon nous, précisément l’objet de l’article 71, paragraphe 5, de la convention d’application de l’accord de Schengen. Nous proposons, par conséquent, à la Cour d’interpréter lesdites dispositions, afin de donner au juge national une réponse utile qui lui permette d’apprécier la conformité de la mesure litigieuse et de trancher le litige dont il est saisi.

B –    Sur l’exclusion de la mesure litigieuse du champ d’application de l’article 56 TFUE

81.      En pratique, à la différence notable des snack-bars et autres établissements de restauration rapide dans lesquels les clients achètent des sodas et autres sandwichs à emporter, l’activité principale des coffee shops est dédiée à la vente et à la consommation de cannabis. Il s’agit là de leur fonction première et l’approche que nous devons adopter dans ce dossier doit être crédible et réaliste.

82.      Le principe de la libre prestation des services garanti par le traité a-t-il vocation à s’appliquer à la vente d’un produit stupéfiant? En d’autres termes, le responsable d’un coffee shop peut-il se prévaloir de ce principe pour légitimer son activité et le ressortissant d’un État membre peut-il se prévaloir de cette liberté pour aller se droguer dans un autre État membre?

83.      Nous pensons que ces questions appellent toutes une réponse négative.

84.      Il est évident que l’instauration du marché intérieur et l’établissement de la réglementation y afférente posent certaines difficultés à l’égard des stupéfiants. Si les engagements internationaux sont clairs, il a néanmoins fallu plusieurs interventions de la Cour pour poser le principe selon lequel les stupéfiants, y compris le cannabis, ne sont pas une marchandise comme les autres et échappent à la réglementation vouée à s’appliquer au marché intérieur lorsque leur commercialisation est illicite (42).

85.      Au regard des règles du marché intérieur, les stupéfiants n’entrent pas tous dans la même catégorie. Il s’agit d’une différence tenant non pas à la nature des marchandises, mais à leur utilisation finale. Ainsi, en vertu d’une jurisprudence constante, les stupéfiants qui connaissent une application médicale ou scientifique relèvent de la réglementation du marché intérieur (43).

86.      Or, tel n’est pas le cas pour les stupéfiants importés illégalement ou destinés à des fins illicites. Ce principe a été posé par la Cour après que certains États membres ont tenté d’appliquer la réglementation douanière et fiscale à ces produits.

87.      Saisie par des trafiquants de drogue allemands condamnés à de lourdes pénalités douanières pour trafic de stupéfiants (héroïne), la Cour pose, dans l’arrêt Horvath (44), le principe de l’inapplicabilité du tarif douanier commun aux produits qui relèvent d’une interdiction totale d’importation et de mise en circulation dans tous les États membres. La Cour affirme que l’«instauration du tarif douanier commun ne laisse plus compétence à un État membre pour appliquer des droits de douane aux stupéfiants importés en contrebande […], tout en lui laissant pleine liberté de poursuivre les infractions commises par les voies du droit pénal, avec toutes les conséquences que celles-ci impliquent, même dans le domaine pécuniaire». Pour la Cour, les stupéfiants introduits en contrebande justifient non pas la perception de droits de douane, mais seulement l’adoption de mesures nationales strictement répressives.

88.      Cette jurisprudence a été confirmée et précisée. Dans les arrêts Wolf (45) et Einberger (46), la Cour indique que l’interdiction de percevoir des droits de douane sur les stupéfiants découle du fait que ceux-ci ne sont pas susceptibles d’être intégrés au circuit économique de l’Union. Elle précise, en effet, qu’«aucune dette douanière ne prend naissance lors de l’importation des stupéfiants qui ne font pas partie du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d’une utilisation à des fins médicales et scientifiques» (47). La Cour pose ainsi la distinction entre les stupéfiants importés en vue d’une utilisation autorisée à des fins médicales et scientifiques et ceux importés illégalement, en contrebande. En outre, elle relève que les importations de produits stupéfiants au sein de l’Union sont tout à fait étrangères aux buts que poursuit la réglementation douanière. Celle-ci contribue aux objectifs visés à l’article 3 TUE et doit ainsi contribuer au développement du commerce international et à la réduction des entraves aux échanges (48). Dès lors, la réglementation douanière n’est vouée à s’appliquer aux stupéfiants que dans la seule mesure où ils font partie du circuit économique de l’Union, c’est-à-dire lorsqu’ils sont importés légalement. Pour les autres stupéfiants, l’activité étant illicite et n’entrant pas en concurrence avec une activité licite, le tarif douanier commun, base légale de l’évaluation en valeur des marchandises, est inapplicable.

89.      Cette solution sera transposée par la Cour quelques années plus tard à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»). Si, selon la Cour, le principe de neutralité fiscale sur lequel la directive en matière de TVA est fondée ne permet pas une différenciation généralisée entre les transactions licites et les transactions illicites, il existe une exception à ce principe, à savoir celle du cas où la prohibition qui pèse sur une activité est si absolue qu’aucune concurrence ne peut s’instaurer avec une activité licite.

90.      La circulation illicite de stupéfiants au sein de l’Union étant étrangère aux objectifs visés par le système commun de TVA et faisant l’objet d’une prohibition absolue, elle ne peut entrer en concurrence avec aucune autre activité légale et ne peut, dès lors, donner lieu à la perception de taxes (49). Cette solution sera appliquée à plusieurs reprises à des situations différentes, telles que l’importation, au sein de l’Union, de morphine, puis sa revente dans un État tiers (50) ou la vente d’amphétamines sur le territoire de l’Union (51). Enfin, dans l’arrêt Vereniging Happy Family Rustenburgerstraat (52), la Cour indique que ce raisonnement vaut également pour la livraison illégale de stupéfiants à base de chanvre, qui, «même s’ils sont qualifiés dans l’un ou l’autre des États membres de ‘drogues douces’, font l’objet d’une interdiction légale totale d’importation et de commercialisation dans [l’Union]» (53).

91.      Cette jurisprudence, qui se fonde sur les caractéristiques particulières des stupéfiants et sur les objectifs que poursuit l’Union, nous semble parfaitement transposable à la présente affaire.

92.      En effet, comme la réglementation douanière ou fiscale européenne, le principe de la libre prestation des services est un outil permettant à l’Union d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée. En particulier, ce principe doit contribuer à la réalisation d’un espace de liberté, de sécurité et de justice fondé sur la promotion de la paix, de ses valeurs et du bien-être de ses peuples (54). À cette fin, la libre prestation des services doit permettre d’améliorer la qualité de vie des citoyens de l’Union en leur donnant la possibilité d’accéder à un choix de produits et de services de meilleures qualités, à un meilleur coût. Elle doit également leur permettre de vivre dans une société dans laquelle est assuré un progrès économique et social équilibré et durable. En outre, ainsi que cela ressort clairement de l’article 168 TFUE, la libre prestation des services doit pouvoir assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et son exercice doit, en particulier, permettre de réduire les effets nocifs de la drogue sur la santé des citoyens de l’Union.

93.      Dans ces termes, l’activité de vente de cannabis ne trouve aucune légitimité. Cette activité, interdite par l’ensemble des États membres, banalise une consommation de produits de plus en plus diversifiés en dépit du renforcement des législations. Lorsqu’elle est tolérée, ladite activité tend à «démocratiser» l’usage d’un produit stupéfiant dont la nocivité pour la santé humaine est reconnue. Celle-ci affecte les fonctions sociales et cognitives vitales des individus comme la concentration et l’attention, exacerbe certains problèmes de santé mentale comme l’anxiété et la dépression et entraîne, de ce fait, une augmentation constante des demandes de traitement liées à sa consommation.

94.      Par ailleurs, une telle activité, qui était censée être maintenue dans des limites strictement définies, engendre les troubles à l’ordre public que nous avons décrits. Ces nuisances liées au tourisme de la drogue sont autant de menaces pour la sécurité et le bien-être des citoyens de l’Union et justifieraient, conformément aux directives du ministère public néerlandais, la fermeture pure et simple des coffee shops.

95.      Lesdites nuisances sont entretenues par d’autres phénomènes, tout aussi contraires à ces directives.

96.      Ainsi, bien que la publicité soit, en principe, prohibée dans les coffee shops, celle-ci a trouvé un nouveau support, plus dynamique et d’envergure mondiale, grâce à Internet. Si cet outil permet d’améliorer le monde des communications et de l’échange d’informations, il fait également la publicité de ce type d’établissement, facilitant ainsi la vente et la consommation de drogues illicites. Un certain nombre de coffee shops dispose ainsi de leur propre site Internet, sur lequel figure le «menu» proposé par l’établissement, mais où est également offert un service de livraison à domicile de cannabis ou de graines de cannabis. Le catalogue est précis, le paiement est sécurisé et la livraison discrète. Il est évident qu’une telle publicité incite non seulement à consommer du cannabis, mais également à en cultiver en toute illégalité, ce qui nous semble parfaitement contraire aux engagements souscrits par les États membres dans le cadre de la convention des Nations unies de 1988 et de l’action commune 96/750 (55).

97.      Ensuite, bien que la vente de «drogues dures» soit interdite dans les coffee shops, ces derniers constituent néanmoins un pôle d’attraction pour les dealers, favorisant ainsi, plutôt que ne l’empêchant, le passage des «drogues douces» aux «drogues dures». À cet égard, nous nous demandons dans quelle mesure un usage intensif et prolongé de cannabis fort et coupé avec des substances aussi nocives que du plomb, du cirage ou bien encore des médicaments périmés ne constitue pas une menace aussi grave pour la santé et le bien-être des individus que la consommation de LSD.

98.      Enfin, si l’exploitant ne peut pas, en principe, vendre plus de 5 g de cannabis par personne et par jour (selon le gouvernement néerlandais, il s’agit de la quantité normalement prévue pour un usage personnel), il nous semble qu’un individu peut librement se rendre auprès des treize autres coffee shops de la commune de Maastricht afin d’y acheter une quantité bien supérieure à celle normalement prévue pour sa consommation personnelle.

99.      L’encadrement de cette activité présente, en outre, des contradictions.

100. En effet, bien que la vente de cannabis soit tolérée dans les limites fixées par les directives du ministère public néerlandais, la culture, le transport, la fabrication, l’importation et l’exportation de stupéfiants restent des activités interdites par la loi sur les stupéfiants, passibles de sanctions pénales, si bien que, comme nous l’a indiqué le gouvernement néerlandais lors de l’audience, l’exploitant d’un coffee shop se fournit à ses risques et périls, finissant, sous les questions de la Cour, par convenir que le système en question était «juridiquement […] pratiquement inexplicable». En ne réglementant aucune de ces «chaînes d’activité», cette politique facilite donc le détournement vers des circuits illicites et accroît le risque que le cannabis vendu dans les coffee shops soit de très mauvaise qualité et coupé.

101. Enfin, conformément à l’APV, les clients des coffee shops ne sont pas tenus de consommer le cannabis sur place (56). Ils peuvent l’emporter. Si certains achètent une petite quantité de cannabis destinée à leur usage personnel, d’autres en achètent davantage et, contrairement à un résident néerlandais, s’exposent à des poursuites pénales pour exportation ou importation illicites de stupéfiants.

102. Selon ce qui nous a été indiqué lors de l’audience, les limites de la politique de tolérance que pratique le Royaume des Pays-Bas sont parfaitement illustrées par le procès engagé le 3 novembre 2009 par les autorités néerlandaises à l’encontre du coffee shop CheckPoint situé à Terneuzen, à la frontière belge. Disposant d’un stock de plus de 200 kg de cannabis, ce coffee shop accueillait plus de 3 000 clients par jour, essentiellement belges et français, servis après avoir pris un ticket numéroté. Les 17 prévenus sont poursuivis pour appartenance à un groupe criminel organisé et pour trafic de drogue et, en particulier, pour exportation de cannabis, ces derniers ayant vendu du cannabis à des étrangers.

103. Ces éléments démontrent, s’il en était besoin, que l’activité de vente de cannabis ne participe aucunement au bien-être des citoyens de l’Union, entraîne des troubles graves à l’ordre public et sape les fondements d’une économie légitime en permettant aux organisations criminelles de pénétrer le marché. Quiconque cultive, produit, fabrique, transporte, importe, exporte, offre ou encore cède à quelque fin que ce soit des produits stupéfiants se place si clairement en dehors de la sphère économique légalisée du marché intérieur que, au lieu de bénéficier des avantages tirés de ce marché commun, il ne peut faire l’objet que de poursuites pénales.

104. Cette activité, même si elle est tolérée par un État membre, ne peut donc absolument pas relever du champ d’application de la libre prestation des services telle qu’elle est garantie à l’article 56 TFUE.

105. Si nous devions admettre le contraire et conforter la thèse défendue par M. Josemans, cela reviendrait à dire que les libertés de circulation garanties par le traité sont finalement destinées à couvrir l’ensemble des denrées qui peuvent être évaluées sur le marché et l’ensemble des services qui peuvent être offerts sur celui-ci, indépendamment de leur légalité et des engagements adoptés par les États membres. Ainsi, à la faveur de l’exercice des libertés fondamentales, le commerce d’un produit stupéfiant trouverait une légitimité. Un tel raisonnement doit être rejeté puisqu’il pourrait s’appliquer de la même façon au trafic des êtres humains, à la prostitution des mineurs ou bien encore à la pornographie pédophile, et cela constituerait une brèche inadmissible dans la construction d’un espace de liberté, de sécurité et de justice fondé sur l’État de droit et le respect des droits fondamentaux.

106. Par conséquent, nous sommes d’avis que la mesure litigieuse, qui réserve l’accès aux coffee shops aux seuls résidents néerlandais, ne relève pas du champ d’application de la libre prestation des services visée à l’article 56 TFUE.

107. À notre avis, cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que les coffee shops commercialisent également des produits de consommation licites, tels que des aliments et des boissons non alcoolisées.

108. L’approche que nous devons adopter dans ce dossier doit être crédible et réaliste. La question que nous pose le juge de renvoi ne concerne pas tant la vente des produits accessoires, mais bien celle d’un produit stupéfiant en vue de sa consommation personnelle, en principe. En effet, la raison d’être des coffee shops est non pas d’être un salon de consommation comme les autres dans lequel les personnes viennent boire un soda ou acheter un sandwich, mais bien de constituer un lieu très particulier dans lequel elles peuvent acheter et consommer du cannabis. Cette spécificité, que nous ne pouvons pas ignorer, transparaît très clairement à travers deux constatations.

109. La première concerne la nature du problème qui se pose dans la présente affaire. Celui-ci relève véritablement d’une politique pénale fondée sur l’appréciation du principe de l’opportunité des poursuites qui, sous les conditions fixées par les autorités judiciaires du Royaume des Pays-Bas, justifie, au plan national, l’attitude de tolérance adoptée. Or, cette appréciation concerne uniquement la vente de cannabis, puisque la vente de thé n’a encore jamais généré de délinquance et ne fait l’objet d’aucune répression pénale. Le commerce de produits de consommation licites nous semble donc hors de propos et constitue, à notre avis, un faux problème.

110. La seconde constatation concerne l’établissement même des coffee shops. Contrairement aux autres établissements du secteur de la petite restauration, l’ouverture d’un coffee shop nécessite non seulement d’obtenir une licence d’exploitation, mais surtout de remplir l’ensemble des critères AHOJ-G. C’est uniquement le respect de ces critères qui conditionne l’ouverture et le maintien de l’activité de ce type d’établissements. Or, chacun desdits critères, pris isolément, permet de comprendre la spécificité de ces établissements et de conclure que l’activité des coffee shops est, en pratique, exclusivement dédiée à la vente et à la consommation de cannabis. Les résultats financiers fournis par M. Josemans attestent de cette réalité. Alors que le chiffre d’affaires réalisé par le coffee shop Easy Going en ce qui concerne la vente de cannabis s’est élevé, pour le premier trimestre de l’année 2010, à 10 millions d’euros, ce chiffre est de 552 400 euros en ce qui concerne la vente de produits de petite restauration (57). Comme l’a confirmé le gouvernement néerlandais lors de l’audience, cette dernière activité représente généralement entre 2,5 % et 7,1 % du chiffre d’affaires total des coffee shops de la commune de Maastricht (en l’occurrence, 5,5 % pour le coffee shop Easy Going), soit une part relativement négligeable. Il nous semble évident qu’un touriste ayant parcouru plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres pour se rendre à Maastricht entrera dans un coffee shop pour acheter du haschich ou de la marijuana plutôt que pour boire un thé, la commune de Maastricht disposant, en outre, de plus de 500 établissements de restauration rapide (58).

111. Par conséquent, compte tenu de la part très négligeable et accessoire qu’occupe la commercialisation des produits de consommation licites, nous pensons qu’il serait artificiel de dissocier l’examen de la conformité de la mesure litigieuse en fonction de ces deux types d’activités. En effet, sous prétexte qu’une telle mesure serait susceptible de constituer une restriction à la libre prestation d’un service accessoire, nous risquerions que les règles du traité puissent finalement servir les intérêts du commerce de la drogue.

112. Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous invitons donc la Cour à répondre qu’une mesure adoptée par une autorité publique locale dans le cadre de son règlement général de police, qui réserve l’accès aux coffee shops aux seuls résidents néerlandais, ne relève pas du champ d’application de la libre prestation des services visée à l’article 56 TFUE.

C –    Sur la conformité de la mesure litigieuse au regard des obligations incombant à l’État membre au titre du maintien de l’ordre public national et de l’ordre public européen

113. Compte tenu de l’importance de cette affaire au regard du fonctionnement de l’Union et dans un esprit de coopération avec la juridiction de renvoi, nous pensons qu’il est, à présent, indispensable d’interpréter les dispositions du droit de l’Union qui visent spécifiquement la protection de l’ordre public et la lutte contre la demande illicite de stupéfiants.

114. La mesure litigieuse a pour objectif de lutter contre un phénomène névralgique qu’est le tourisme de la drogue. Ce tourisme s’est développé grâce à la suppression des contrôles aux frontières intracommunautaires et s’est amplifié à travers la politique libérale que le Royaume des Pays-Bas pratique à l’égard de l’usage et de la vente de cannabis.

115. Ce phénomène cause des troubles importants aux Pays-Bas et, en particulier, dans ses régions frontalières, constituant même une «atteinte inadmissible au cadre d’habitation et de vie» des résidents (59). La mesure litigieuse vise ainsi à limiter les problèmes de circulation et de stationnement et à réduire le bruit et la gêne occasionnés par les rassemblements de fumeurs et leur intrusion dans les halls des immeubles. Elle tente également d’apporter une réponse aux nuisances et aux violences urbaines susceptibles d’être engendrées par la présence de dealers, de toxicomanes et de groupes criminels organisés dans la commune (60).

116. À cet égard, l’adoption de la mesure litigieuse s’impose au titre des articles 4 TUE et 72 TFUE. Nous rappelons que, en vertu de ces dispositions, les États membres restent responsables du maintien de l’ordre public sur leur territoire et que, en vertu d’une jurisprudence constante, ils restent libres de déterminer les mesures qui sont de nature à maintenir celui-ci, conformément à leurs besoins nationaux (61). S’il est établi que la notion d’ordre public doit être interprétée restrictivement et ne peut être invoquée qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave contre un intérêt fondamental de la société, il ne fait aucun doute que le tourisme de la drogue, au regard des troubles qu’il engendre, relève de cette notion (62).

117. Cependant, le tourisme de la drogue cause également des nuisances graves à l’ordre public de l’Union. En effet, cette appellation trompeuse cache, en réalité, un trafic international de stupéfiants et nourrit des activités criminelles organisées qui, comme le reconnaît le Conseil dans le programme de Stockholm, menacent la sécurité intérieure de l’Union (63). Ces répercussions sont d’autant plus graves qu’elles affectent l’efficacité des mesures plus répressives adoptées par les États membres voisins. Ce phénomène porte incontestablement, en lui-même, une dimension européenne et internationale et c’est à ce niveau que les États membres se sont engagés à le combattre.

118. S’il n’existe pas, comme l’indique la jurisprudence, une «échelle uniforme de valeurs en ce qui concerne l’appréciation des comportements pouvant être considérés comme contraires à l’ordre public» (64), il n’en reste pas moins que l’un des objectifs de l’Union est de constituer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assuré, conformément à l’article 3, paragraphe 2, TUE, un niveau élevé de sécurité des citoyens de l’Union. À cette fin, les États membres se sont déterminés à combattre le tourisme de la drogue dans toutes ses dimensions et par une combinaison d’approches.

119. Au-delà de la conclusion d’accords bilatéraux et multilatéraux encouragée par la résolution de 1996 (65) et du rapprochement des pratiques des services policiers et douaniers visé par l’action commune 96/750 (66), les États membres se sont engagés à adopter toutes les mesures nécessaires à la prévention du trafic illicite de stupéfiants dans le cadre de la convention d’application de l’accord de Schengen.

120. En particulier, aux termes de l’article 71, paragraphe 5, de cette convention, les États membres ont l’obligation de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir et lutter contre la demande illicite de stupéfiants et les effets négatifs de celle-ci, le cannabis étant expressément visé. Conformément à cette disposition, les mesures adoptées à cette fin «relèvent de la responsabilité de chaque Partie Contractante». Or, force est de constater que la mesure litigieuse s’inscrit dans la droite ligne de cet engagement (67).

121. Dans un contexte où le tourisme de la drogue ne cesse de croître et gangrène les fondements sur lesquels doit reposer l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la mesure litigieuse tend à limiter les conséquences susmentionnées. Elle répond ainsi aux obligations auxquelles l’État membre doit se conformer au titre des articles 4 TUE et 72 TFUE ainsi qu’au titre de l’article 71, paragraphe 5, de la convention d’application de l’accord de Schengen. C’est là et là seulement que se trouve la raison juridique de sa nécessaire conformité.

122. Il est indéniable que le tourisme de la drogue génère et, en tout cas, favorise le trafic illicite transfrontière des stupéfiants en même temps qu’il draine également d’autres activités criminelles. Dès lors, la lutte contre ces phénomènes doit constituer à la fois un objectif majeur poursuivi par le droit de l’Union et une préoccupation commune à chacun des États membres. Le législateur de l’Union l’a compris et l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam (68) puis celle du traité de Lisbonne donnent enfin une autre dimension à la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants et la criminalité organisée. Reconnaissant qu’il s’agit de domaines de criminalité particulièrement graves, revêtant une dimension transfrontière en raison de leurs caractères, de leurs incidences ou d’un besoin de les combattre sur des bases communes, le législateur de l’Union reconnaît la nécessité d’assurer une harmonisation minimale des législations nationales en ce qui concerne la définition de ces activités et les sanctions qui leur sont applicables (69). Ces dispositions ont fait entrer le trafic illicite de stupéfiants dans ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler les «eurocrimes» et, aux termes du programme de Stockholm, ces «eurocrimes», en tant qu’ils menacent la sécurité intérieure de l’Union, sont, rappelons-le, un «problème pressant, auquel il faut répondre de manière claire et globale» (70). C’est pourquoi, selon nous, la mesure litigieuse serait valide même en l’absence de troubles à l’ordre public interne, par la seule obligation de contribuer à la préservation de l’ordre public européen.

123. Dans la présente affaire, étant donné que cette mesure constitue non seulement la manifestation pour l’État du droit qui lui est reconnu de préserver son ordre public interne, mais également de son obligation, vis-à-vis des autres États membres, de contribuer à la préservation de l’ordre public européen conformément aux engagements souscrits, celle-ci doit donc être validée au titre des dispositions susmentionnées.

124. Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous proposons à la Cour d’indiquer à la juridiction de renvoi que les articles 4 TUE, 72 TFUE et 71, paragraphe 5, de la convention d’application de l’accord de Schengen ne s’opposent pas à une mesure adoptée par une autorité publique locale dans le cadre de son règlement général de police, qui réserve l’accès aux coffee shops aux seuls résidents néerlandais, lorsque cette mesure constitue la manifestation du droit qui lui est reconnu de préserver l’ordre public interne des troubles causés par le tourisme de la drogue et/ou l’accomplissement de son devoir de contribuer à la préservation de l’ordre public européen.

VI – Conclusion

125. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Raad van State:

«1)      Une mesure adoptée par une autorité publique locale dans le cadre de son règlement général de police, qui réserve l’accès aux coffee shops aux seuls résidents néerlandais, ne relève pas du champ d’application de la libre prestation des services visée à l’article 56 TFUE.

2)      Les articles 4 TUE, 72 TFUE et 71, paragraphe 5, de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990, ne s’opposent pas à une telle mesure lorsque celle-ci constitue la manifestation du droit qui est reconnu à l’autorité publique de préserver l’ordre public interne des troubles causés par le tourisme de la drogue et/ou l’accomplissement de son devoir de contribuer à la préservation de l’ordre public européen.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 (ci-après la «convention d’application de l’accord de Schengen»).


3 – Au cours du mois de janvier 2009, le gouvernement britannique a décidé de renforcer les mesures de répression jusqu’à présent applicables à l’offre et au trafic de cannabis en raison de l’apparition sur le marché du «skunk», qui est un cannabis doté d’une concentration en THC quatre à cinq fois supérieure à celle des préparations classiques, en raison des techniques horticoles employées (voir circulaire 001/2009 du ministère de l’Intérieur britannique intitulée «Controlled drugs: reclassification of cannabis», disponible sur le site Internet: http://www.homeoffice.gov.uk/about-us/home-office-circulars/circulars-2009/?showall=true).


4 – Voir Pijlman, F.T.A., e.a., «Strong increase in total delta-THC in cannabis preparations sold in Dutch coffee shops», Addiction Biology, juin 2005, vol. 10, p. 171. Voir, également, rapport de la commission d’enquête n° 321, sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites, créée en vertu d’une résolution adoptée par le sénat le 12 décembre 2002, disponible sur le site Internet du sénat français; «An overview of cannabis potency in Europe», European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, Lisbonne, 2004, et «2006 World Drug Report», United Nations Office on Drugs and Crime, vol. 1: Analysis, p. 27.


5 – Voir rapport annuel rendu conjointement par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) et Europol, publié le 23 avril 2010, disponible sur le site Internet dudit observatoire.


6 – «Letter outlining drugs policy», qui entérine le rapport du comité d’experts sur la politique de la drogue «New emphasis in Dutch drugs policy», disponible sur le site Internet du ministère néerlandais de la Santé, du Bien-être et des Sports: http://english.minvws.nl/en/kamerstukken/vgp/2009/letter-outlining-drugs-policy.asp. Voir, en particulier, point 3 de cette lettre.


7 – Voir, en particulier, première partie, II, A., point 2, du rapport de la commission d’enquête n° 321, mentionné à la note en bas de page 4 des présentes conclusions, intitulé «Les effets du cannabis: la fin du mythe des drogues ‘douces’»; Yücel, M., e.a., «Regional brain abnormalities associated with long-term heavy cannabis use», Arch Gen Psychiatry, juin 2008, vol. 65, n° 6, p. 694; van Ours, J. C., et Williams, J., «Cannabis use and mental health problems», Center Discussion Paper n° 2009-60, juillet 2009; Solowij, N., e.a., «Cognitive functioning of long-term heavy cannabis users seeking treatment», JAMA, mars 2002, vol. 287, n° 9, p. 1123, et Karila, L., e.a., «Conséquences à court et long terme d’une exposition prénatale au cannabis», Journal de gynécologie obstétrique et biologie de la reproduction, janvier 2006, vol. 35, n° 1, p. 62. Voir, également, constat expressément dressé par le Conseil de l’Union européenne dans son projet de résolution sur le cannabis établi le 7 juillet 2004 en vue de la définition de la nouvelle stratégie antidrogue de l’Union, disponible sur le site Internet du registre public des documents du Conseil: http://register.consilium.europa.eu.


8 – Voir «Cannabis: quels effets sur le comportement et la santé?», Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), Paris, 2001, p. 429. Voir, également, réactualisations de cette expertise sur le site Internet de l’INSERM: http://www.inserm.fr.


9 – JO 2010, C 83, p. 389.


10 – Résolution relative aux mesures de lutte contre le problème du narcotourisme à l’intérieur de l’Union européenne (JO C 375, p. 3).


11 – Action commune 96/750/JAI adoptée par le Conseil sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative au rapprochement des législations et des pratiques entre les États membres de l’Union européenne en vue de lutter contre la toxicomanie et de prévenir et de lutter contre le trafic illicite de drogue (JO L 342, p. 6).


12 – Article 3 de cette action.


13 – Article 9 de ladite action.


14 – Décision-cadre concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue (JO L 335, p. 8).


15 – En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la décision-cadre 2004/757, lesdits comportements sont exclus du champ d’application de celle-ci, lorsque leurs auteurs s’y livrent exclusivement à des fins de consommation personnelle telle que définie par la législation nationale.


16 – Le programme de Stockholm – une europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens (JO 2010, C 115, p. 1).


17 – Voir point 4.1 de ce programme.


18 – Plan d’action drogue de l’Union européenne (2009-2012), du 20 décembre 2008 (JO C 326, p. 7).


19 – Sur ce point, la Commission européenne s’est engagée à rendre une communication sur la cohérence entre les dimensions intérieure et extérieure de la politique de lutte contre la drogue au cours de l’année 2010.


20 – Voir arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C‑184/99, Rec. p. I‑6193), et du 1er octobre 2009, Gottwald (C‑103/08, non encore publié au Recueil, point 24 et jurisprudence citée).


21 – Voir arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a. et Chaverot e.a. (C‑73/08, non encore publié au Recueil, point 31 et jurisprudence citée).


22 – Voir, également, arrêts du 5 mars 2009, UTECA (C‑222/07, Rec. p. I‑1407, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée), et du 13 avril 2010, Wall (C‑91/08, non encore publié au Recueil, point 32 et jurisprudence citée).


23 – Conformément à l’article 57 TFUE, «sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes». Ces services comprennent, notamment, des activités de caractère commercial.


24 – Voir, notamment, arrêts du 19 janvier 1999, Calfa (C‑348/96, Rec. p. I‑11, point 16 et jurisprudence citée); du 29 avril 1999, Ciola (C‑224/97, Rec. p. I‑2517, point 11 et jurisprudence citée); du 3 juin 2010, Sporting Exchange (C‑203/08, non encore publié au Recueil, point 23 et jurisprudence citée), ainsi que Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International (C‑258/08, non encore publié au Recueil, point 15 et jurisprudence citée). Il est également important de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, la libre prestation des services constitue une application particulière du droit pour tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (voir, à cet égard, arrêt du 20 mai 2010, Zanotti, C‑56/09, non encore publié au Recueil, point 24 et jurisprudence citée).


25 – Recueil des traités des Nations unies, 1990, vol. 1582, n° 1‑27627, ci-après la «convention des Nations unies de 1988».


26 – Convention telle que modifiée par le protocole de 1972 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 520, n° 7515). Le cannabis figure parmi les substances jugées particulièrement susceptibles d’abus et à même de produire des effets néfastes.


27 – Recueil des traités des Nations unies, vol. 1019, n° 14956.


28 – En ce qui concerne l’Union, voir décision 90/611/CEE du Conseil, du 22 octobre 1990, concernant la conclusion, au nom de la Communauté économique européenne, de la convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (JO L 326, p. 56).


29 – Werkgroep Verdovende Middelen, Achtergronden en risico’s van druggeebruik(Baan rapport), Staatssecretaris van Sociale Zaken en Volksgezondheid en van de Minister van Justicie, La Haye, 1972.


30 – Ce rapport a été publié par le gouvernement néerlandais (ministère des Affaires étrangères e.a., 1995).


31 – Idem.


32 – Voir, notamment, directives du ministère public néerlandais relatives à la politique de recherches et de poursuites pénales des infractions visées dans la loi sur les stupéfiants (Nederlandse Staatscourant 1980, n° 137); du 21 octobre 1994 (Nederlandse Staatscourant 1994, n° 203), et du 10 septembre 1996 (Nederlandse Staatscourant 1996, n° 187).


33 – Voir, également, article 174a de la loi sur les communes (Gemeentewet), loi sur les zones urbaines (mesures spéciales) (Wet bijzondere maatregelen grootstedelijke problematiek) et article 16 de la loi sur le logement (Woningwet).


34 – Voir lettre sur le cannabis (cannabisbrief) que les trois ministres responsables de la politique en matière de drogue ont envoyée au parlement néerlandais le 23 avril 2004 et que ce dernier a approuvé le 30 juin 2004, ainsi que lettre du 11 septembre 2009 mentionnée à la note en bas de page 6 des présentes conclusions.


35 – Ainsi que le Burgemeester van Maastricht l’a ajouté lors de l’audience, 82 % des habitants de la commune de Maastricht subiraient des nuisances importantes en raison de l’afflux des touristes de la drogue.


36 – Observations soumises par le Burgemeester van Maastricht lors de l’audience.


37 – Cela ressort clairement des lettres des ministres compétents des 23 avril 2004 et 11 septembre 2009, mentionnées à la note en bas de page 34 des présentes conclusions, ainsi que des débats lors de l’audience.


38 – Tel que cela ressort des observations orales fournies lors de l’audience par le Burgemeester van Maastricht ainsi que par le gouvernement néerlandais.


39 – Arrêt du 10 mars 2005, Hermann (C‑491/03, Rec. p. I‑2025, points 21 et 27).


40 – Voir jurisprudence citée à la note en bas de page 22 des présentes conclusions.


41 – Arrêts du 11 mars 2008, Jager (C‑420/06, Rec. p. I‑1315, points 46 et 47); du 5 mars 2009, Kattner Stahlbau (C‑350/07, Rec. p. I‑1513, points 24 à 26), et du 27 octobre 2009, ČEZ (C‑115/08, non encore publié au Recueil, point 81 et jurisprudence citée).


42 – Voir, à cet égard, en ce qui concerne la jurisprudence visée aux points 85 à 90 des présentes conclusions, thèse de Havy, V., «La politique de l’Union européenne en matière de stupéfiants», Collection droit de l’Union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 406.


43 – Voir, notamment, arrêt du 28 mars 1995, Evans Medical et Macfarlan Smith (C‑324/93, Rec. p. I‑563).


44 – Arrêt du 5 février 1981 (50/80, Rec. p. 385). Cette affaire concernait la détermination du droit de douane applicable à une quantité d’héroïne achetée sur le marché noir à Amsterdam et découverte au passage de la frontière néerlando-allemande.


45 – Arrêt du 26 octobre 1982 (221/81, Rec. p. 3681), relatif à la détermination des droits de douane applicables à des quantités d’héroïne et de cocaïne achetées par le requérant au principal sur le marché noir en Allemagne et aux Pays-Bas et revendues par lui en violation de la loi allemande sur les stupéfiants.


46 – Arrêt du 26 octobre 1982 (240/81, Rec. p. 3699), relatif à la détermination des droits de douane applicables à des quantités de morphine qui, après avoir été importées de façon illégale en Allemagne, ont été vendues en Suisse, en infraction à la loi allemande sur les stupéfiants.


47 – Arrêts précités Horvath (point 16) et Einberger (point 16).


48 – Arrêts précités Horvath (point 13) et Einberger (point 13).


49 – C’est également le cas de la fausse monnaie. Voir, à cet égard, arrêt du 6 décembre 1990, Witzemann (C‑343/89, Rec. p. I‑4477).


50 – Arrêt du 28 février 1984, Einberger (294/82, Rec. p. 1177).


51 – Arrêt du 5 juillet 1988, Mol (269/86, Rec. p. 3627).


52 – Arrêt du 5 juillet 1988 (289/86, Rec. p. 3655).


53 – Point 25.


54 – Article 3 TUE.


55 – Nous rappelons que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous c), iii), de la convention des Nations unies de 1988 et de l’article 9 de l’action commune 96/750, les États membres se sont engagés à conférer le caractère d’infraction pénale au fait, entre autres, d’inciter ou d’amener publiquement autrui à produire ou à utiliser de façon illicite le cannabis et à accorder une vigilance toute particulière en ce qui concerne l’usage d’Internet.


56 – Voir article 2.3.1.1, premier alinéa, sous a), point 3, de l’APV.


57 – Lors de l’audience, M. Josemans a également précisé que le chiffre d’affaires annuel moyen d’un salon de thé établi à Maastricht était de l’ordre de 200 000 euros en 2007.


58 – C’est sur cette base que la commune de Maastricht a, selon nous, édicté une interdiction d’accès à l’établissement. En effet, il ne serait pas cohérent ni même efficace d’autoriser l’accès à des milliers de personnes qui, une fois à l’intérieur de l’établissement, se verraient opposer un refus de vente. Cela serait même dangereux.


59 – Voir point 5 de la lettre des trois ministres en charge de la politique de la drogue de 2004, mentionnée à la note en bas de page 34 des présentes conclusions.


60 – Référence à cette même lettre.


61 – Conformément à une jurisprudence constante, le droit de l’Union n’impose pas aux États membres une «échelle uniforme de valeurs» en ce qui concerne l’appréciation des comportements qui peuvent être considérés comme contraires à l’ordre public (voir, à cet égard, arrêt du 20 novembre 2001, Jany e.a., C‑268/99, Rec. p. I‑8615, point 60 et jurisprudence citée). En effet, selon la Cour, les États membres demeurent les seuls à même d’évaluer les risques d’atteinte à l’ordre public sur leur propre territoire. Ces circonstances varient non seulement d’un État à l’autre et d’une époque à l’autre, mais également en fonction du contexte social dans lequel l’État se trouve et de l’importance qu’il accorde à un objectif légitime au regard du droit de l’Union [voir, à cet égard, arrêts du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, Rec. p. 1337, point 18); du 9 décembre 1997, Commission/France (C‑265/95, Rec. p. I‑6959, point 33); du 15 juin 1999, Heinonen (C‑394/97, Rec. p. I‑3599, point 43), et du 14 mars 2000, Église de scientologie (C‑54/99, Rec. p. I‑1335, point 17 et jurisprudence citée)].


62 – Voir, à cet égard, arrêts Calfa, précité, ainsi que du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, Rec. p. I‑5257), dans lesquels la Cour a admis que la lutte contre le trafic de stupéfiants relève du maintien de l’ordre public. Voir, également, arrêt Heinonen, précité, dans lequel la Cour a considéré que la lutte contre les différentes formes de criminalité liées à la consommation d’alcool vise à sauvegarder la sécurité intérieure de l’État. Dans cette affaire, le gouvernement finlandais avait justifié sa mesure restreignant l’importation d’alcool par le fait que la consommation d’un tel produit, qui avait considérablement augmenté, avait notamment entraîné une banalisation de la conduite en état d’ivresse, l’augmentation et l’aggravation de la violence, ainsi que l’apparition et la multiplication de marchés illégaux.


63 – Voir point 4.1 du programme de Stockholm dont il est fait référence à la note en bas de page 16 des présentes conclusions.


64 – Voir arrêt Jany e.a., précité (point 60 et jurisprudence citée).


65 – Voir note en bas de page 10 des présentes conclusions. Dans cette résolution, le Conseil a invité les États membres à conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux en vue de développer l’échange d’informations, de pratiques et d’améliorer la coopération afin de lutter contre le narcotourisme. Que ce soit au niveau bilatéral ou multilatéral, le Royaume des Pays-Bas et les États membres voisins doivent donc travailler à des stratégies efficaces pour traiter les problèmes d’ordre public et de sécurité qui leur sont communs et structurer leur coopération. Ainsi, dans le cadre de leur accord bilatéral de coopération policière, signé à La Haye le 20 avril 1998, le Royaume des Pays-Bas et la République française ont décidé de coordonner leurs actions afin de lutter contre le tourisme de la drogue et les structures qui se cachent derrière [accord sur la coopération dans le domaine de la police et de la sécurité entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Pays-Bas (décret n° 99-350, du 29 avril 1999, portant publication de cet accord, JORF du 6 mai 1999, p. 6797)].


66 – Voir note en bas de page 11 des présentes conclusions. En vertu des articles 1 à 3 de cette action commune, nous rappelons que les États membres se sont engagés à rapprocher leur législation et les pratiques de leurs services policiers, douaniers et judiciaires afin de lutter contre les flux illicites intracommunautaires de produits stupéfiants et, en particulier, contre le tourisme de la drogue.


67 – Article 75 de ladite convention.


68 – Voir, en particulier, article 31 UE ainsi que décision-cadre 2004/757.


69 – Article 83, paragraphe 1, TFUE.


70 – Voir note en bas de page 63 des présentes conclusions.