Language of document : ECLI:EU:C:2013:126

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 28 février 2013 (1)

Affaire C‑681/11

Schenker & Co. AG e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Concurrence – Ententes – Article 85 du traité CEE, article 81 du traité CE et article 101 TFUE – Règlement (CE) no 1/2003 – Erreur d’une entreprise sur le caractère illégal de son comportement en matière d’ententes (erreur sur la licéité d’un comportement) – Caractère excusable de l’erreur – Confiance placée dans l’avis d’un avocat – Confiance placée dans le bien-fondé d’une décision d’une autorité nationale de concurrence – Règles de clémence en vertu du droit national de la concurrence – Faculté d’une autorité nationale de concurrence de constater une infraction au droit des ententes sans infliger de sanction»





I –    Introduction

1.        Une entreprise peut-elle être poursuivie pour infraction au droit des ententes alors qu’elle a considéré, par erreur, que son comportement était licite? Telle est, en substance, la question à laquelle la Cour doit répondre en l’espèce.

2.        Plusieurs entreprises de transports sont poursuivies par l’autorité autrichienne de la concurrence pour violation de l’article 101 TFUE et des dispositions correspondantes du droit national des ententes, au motif qu’elles ont conclu des accords sur les prix pendant de longues années. Les entreprises concernées objectent, pour l’essentiel, qu’elles se sont fiées en toute bonne foi à l’avis d’un cabinet d’avocats spécialisé ainsi qu’à la décision d’une juridiction nationale compétente, si bien qu’elles ne peuvent pas être accusées d’avoir participé à une infraction au droit des ententes ni se voir infliger des amendes.

3.        Cette affaire montre une nouvelle fois que les autorités et juridictions de la concurrence sont, lors de l’exécution de leurs tâches, confrontées à des problèmes qui ne sont pas sans rappeler ceux du droit pénal et dont la résolution soulève des questions délicates en matière de protection des droits fondamentaux. Les orientations que la Cour donnera à ce sujet sont d’une importance fondamentale pour l’évolution et la mise en œuvre concrète du droit européen de la concurrence, tant au niveau de l’Union que sur le plan national.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

4.        Au niveau du droit primaire de l’Union, la présente affaire est régie par les articles 85 du traité C(E)E et 81 du traité CE ainsi que par les principes généraux du droit de l’Union. Au niveau du droit dérivé, c’est le règlement no 17 (2) qui est pertinent pour la période allant jusqu’au 30 avril 2004, tandis que le règlement (CE) no 1/2003 (3) a vocation à régir la période postérieure au 1er mai 2004.

1.      Le règlement no 17

5.        En vertu de l’article 2 du règlement no 17, les entreprises et associations d’entreprises avaient la possibilité d’obtenir de la Commission européenne une «attestation négative»:

«La Commission peut constater, sur demande des entreprises et associations d’entreprises intéressées, qu’il n’y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d’intervenir à l’égard d’un accord, d’une décision ou d’une pratique en vertu des dispositions de l’article 85, paragraphe 1, ou de l’article 86 du traité [CEE].»

2.      Le règlement no 1/2003

6.        L’article 5 du règlement no 1/2003 dispose, sous l’intitulé «Compétence des autorités de concurrence des États membres»:

«Les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 du traité [CE] dans des cas individuels. À cette fin, elles peuvent, agissant d’office ou saisies d’une plainte, adopter les décisions suivantes:

–        ordonner la cessation d’une infraction,

–        ordonner des mesures provisoires,

–        accepter des engagements,

–        infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.

Lorsqu’elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies, elles peuvent également décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir.»

7.        Par ailleurs, l’article 6 du règlement no 1/2003 contient la règle suivante sur la «[c]ompétence des juridictions nationales»:

«Les juridictions nationales sont compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 du traité [CE].»

8.        En vertu de l’article 35, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, des juridictions peuvent également figurer parmi les autorités nationales de concurrence désignées pour appliquer les articles 81 et 82 du traité CE.

9.        Les compétences de la Commission sont régies comme suit à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1/2003:

«Si la Commission, agissant d’office ou saisie d’une plainte, constate l’existence d’une infraction aux dispositions de l’article 81 ou 82 du traité [CE], elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d’entreprises intéressées à mettre fin à l’infraction constatée. [...] Lorsque la Commission y a un intérêt légitime, elle peut également constater qu’une infraction a été commise dans le passé.»

10.      Par ailleurs, l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 accorde à la Commission la faculté d’infliger des amendes:

«La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 ou 82 du traité [CE] [...]»

11.      Il convient également de mentionner, à titre complémentaire, l’article 10 du règlement no 1/2003, qui contient la disposition suivante en matière de «constatation d’inapplication»:

«Lorsque l’intérêt public communautaire concernant l’application des articles 81 et 82 du traité [CE] le requiert, la Commission, agissant d’office, peut constater par voie de décision que l’article 81 du traité [CE] est inapplicable à un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée soit parce que les conditions de l’article 81, paragraphe 1, du traité [CE] ne sont pas remplies, soit parce que les conditions de l’article 81, paragraphe 3, du traité [CE] sont remplies.

[...]»

B –    Le droit national

12.      La loi sur les ententes de 1988 (Kartellgesetz 1988, ci-après le «KartG 1988») (4) s’est appliquée en Autriche du 1er janvier 1989 au 31 décembre 2005. L’article 16 du KartG 1988 définissait comme suit la notion d’«ententes mineures»:

«Les ententes d’importance mineure sont des ententes dont la part dans l’approvisionnement, au moment où elles ont vu le jour,

1)      est inférieure à 5 % de l’ensemble du marché national et

2)      est inférieure à 25 % d’un éventuel sous-marché local qui existerait dans le marché national.»

13.      En vertu de l’article 18, paragraphe 1, point 1, du KartG 1988, les ententes mineures pouvaient être mises en œuvre avant même leur autorisation définitivement valide, à moins que les seuils définis à l’article 16 du KartG 1988 ne soient plus remplis à la suite de l’adhésion d’une entreprise.

14.      La loi sur les ententes de 2005 (Kartellgesetz 2005, ci-après le «KartG 2005») (5) s’applique depuis le 1er janvier 2006 en Autriche. L’article 1er, paragraphe 1, de cette loi interdit, de manière similaire à l’article 81, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE), les pratiques anticoncurrentielles. Là encore, l’article 2, paragraphe 2, point 1, du KartG 2005 exclut de cette règle:

«les ententes auxquelles participent des entreprises dont la part commune est inférieure à 5 % dans l’ensemble du marché national et à 25 % dans un éventuel sous-marché local qui existerait dans le marché national (ententes d’importance mineure)».

15.      L’article 28, paragraphe 1, du KartG 2005 dispose:

«Lorsqu’une infraction [...] a cessé, le Kartellgericht [juridiction autrichienne en matière d’ententes] est tenu de la constater dès lors qu’il existe un intérêt légitime.»

III – Les faits et le litige au principal

16.      Les juridictions autrichiennes compétentes en matière d’ententes ont été saisies d’un litige opposant la Bundeswettbewerbsbehörde (autorité autrichienne de la concurrence) à toute une série d’entreprises de transports opérant en Autriche.

17.      Ce litige a pour origine un cartel composé d’une quarantaine d’entreprises de transports qui, pendant de nombreuses années, ont opéré sur le marché des prestations de transports sous la forme d’une «communauté d’intérêts» (conférence des transporteurs de colis groupés ou Spediteurs-Sammelladungs‑Konferenz, ci-après la «SSK») (6). Dans le cadre de la SSK, les entreprises de transports ont notamment conclu des accords sur les tarifs du transport national de colis groupés (prestations de transport dans le cadre desquelles des envois individuels provenant de différents expéditeurs sont, au niveau logistique, regroupés dans un même chargement avant d’être répartis vers les divers lieux d’acheminement).

18.      La SSK est apparue au milieu des années 1990. Compte tenu de la création de l’Espace économique européen le 1er janvier 1994, les entreprises participantes ont souhaité prévenir tout conflit avec le droit européen de la concurrence et ont par conséquent limité leur collaboration au territoire de la République d’Autriche.

19.      Le 30 mai 1994, la SSK a pris la forme d’une société civile sous la condition suspensive de son autorisation par le Kartellgericht.

20.      Le 28 juin 1994, une demande a été déposée devant le Kartellgericht pour que la SSK soit autorisée sous forme d’entente conventionnelle («Vereinbarungskartell») (7). La demande, à laquelle la convention-cadre de la SSK était jointe, exposait la situation au regard du droit autrichien et européen des ententes. Au cours de la procédure devant le Kartellgericht, le comité paritaire pour les ententes («paritätischer Ausschuss für Kartellangelegenheiten», ci-après le «comité paritaire») (8) a établi un rapport intermédiaire dans lequel il concluait à titre provisoire que l’entente ne mettait pas en cause le commerce interétatique et que, par conséquent, les dispositions du droit européen de la concurrence n’étaient pas applicables. Étant donné que le rapport définitif du comité paritaire considérait que la SSK ne se «justifiait pas économiquement», la demande d’autorisation n’a finalement pas été maintenue.

21.      Le 6 février 1995, l’association centrale des transporteurs («Zentralverband der Spediteure») a demandé au Kartellgericht de constater que la SSK était une entente mineure («Bagatellkartell») au sens de l’article 16 du KartG 1988 et qu’elle pouvait donc être mise en œuvre sans autorisation (9). Le Kartellgericht a consulté le dossier de la procédure d’autorisation de 1994 (10) et a ainsi eu connaissance de l’opinion exprimée dans le rapport intermédiaire du comité paritaire sur la question de l’applicabilité du droit européen des ententes. Par ordonnance du 2 février 1996, le Kartellgericht a constaté que la SSK était une entente mineure au sens de l’article 16 du KartG 1988. En l’absence de recours, ladite ordonnance est passée en force de chose jugée.

22.      Le cabinet d’avocats auquel le délégué de la SSK chargé des ententes («Kartellbevollmächtigter») a fait appel à des fins de conseil (11) a lui aussi défendu l’idée que la SSK pouvait être considérée comme une entente mineure. Cette opinion est exprimée dans plusieurs courriers du cabinet d’avocats.

23.      Dans un premier temps, les avocats concernés ont considéré que les activités de la SSK pouvaient être mises en œuvre sans réserve sur la base de la convention-cadre. Dans un courrier du 11 mars 1996, les avocats ont consigné les points qu’il convenait d’observer pour que la SSK soit mise en œuvre en tant qu’entente mineure. Toutefois, le courrier n’abordait pas expressément la question de la compatibilité de l’entente mineure avec le droit européen des ententes.

24.      Dans un autre courrier de 2001 consacré à la modification de la structure tarifaire de la SSK, le cabinet d’avocats a en outre indiqué que l’existence d’une entente mineure dépendait seulement de la question de savoir si les entreprises impliquées dépassaient, ensemble, des parts de marché déterminées.

25.      À l’occasion de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2006, de la nouvelle loi sur les ententes de 2005, l’association centrale des transporteurs a demandé au cabinet d’avocats d’examiner une nouvelle fois les répercussions que les nouvelles dispositions légales allaient avoir sur la SSK. Dans sa réponse du 15 juillet 2005, le cabinet d’avocats a indiqué qu’il convenait de vérifier si la part de marché de la SSK dépassait le seuil de 5 % du marché national et si les accords adoptés dans le cadre de la SSK n’étaient pas concernés par le principe d’interdiction des ententes. Là encore, le courrier n’aborde pas la question de la compatibilité de la SSK avec le droit européen des ententes.

26.      L’association centrale des transporteurs a, par le biais d’une enquête effectuée par courrier électronique, recensé les parts de marché des membres de la SSK dans le domaine du transport groupé des colis de détail en Autriche pour les années 2004, 2005 et 2006. En application des principes de délimitation du marché utilisés dans l’ordonnance en constatation du Kartellgericht, l’association centrale des transporteurs a calculé que les parts de marché de la SSK s’élevaient à 3,82 % en 2005 et à 3,23 % en 2006. Le fait que la SSK figurait en deçà du seuil de 5 % a au moins été communiqué aux membres les plus importants de la SSK. Selon la décision de renvoi, il est exclu que, jusqu’en 2004 inclus, le seuil de 5 % ait été dépassé à la suite de nouvelles adhésions.

27.      Le 11 octobre 2007, la Commission a fait savoir qu’elle avait effectué des contrôles non annoncés dans les locaux commerciaux de différents prestataires de transport international, au motif qu’elle les soupçonnait d’avoir mis en œuvre des pratiques commerciales restrictives de concurrence. Le 29 novembre 2007, le bureau de la SSK a alors décidé à l’unanimité de dissoudre la SSK avec effet immédiat. Les membres de la SSK ont été informés de cette décision le 21 décembre 2007.

28.      La Bundeswettbewerbsbehörde reproche désormais aux entreprises membres de la SSK d’avoir été impliquées, «en raison de leur participation à un accord sur les tarifs du transport national de colis groupés en Autriche, dans une infraction unique, complexe et multiforme au droit européen et national des ententes», et ce de 1994 jusqu’au 29 novembre 2007. Dans le litige au principal, la Bundeswettbewerbsbehörde a demandé à ce que la plupart des entreprises concernées soient condamnées à une amende en raison de leur participation à l’entente (12). S’agissant de la société Schenker, qui se prévaut du régime de la clémence, la Bundeswettbewerbsbehörde n’a pas requis de sanctions financières, se contentant de demander que l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 1er du KartG 2005 (ou aux dispositions combinées des articles 9 et 18 du KartG 1988) soit constatée à l’encontre de cette société.

29.      Les entreprises de transports font notamment valoir pour leur défense qu’elles se sont fiées à l’avis spécialisé d’un cabinet d’avocats fiable et expérimenté en droit de la concurrence et que la SSK a été reconnue comme entente mineure par le Kartellgericht au sens de l’article 16 du KartG 1988. Elles estiment que le droit européen de la concurrence n’était pas applicable, la restriction de concurrence opérée par la SSK n’ayant pas eu d’incidence sur le commerce interétatique.

30.      Ces moyens de défense ont été accueillis en première instance: l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), statuant en qualité de Kartellgericht, a rejeté les demandes de la Bundeswettbewerbsbehörde par ordonnance partielle du 22 février 2011 (13). La juridiction de première instance a notamment motivé cette décision en déclarant que les entreprises de transports n’avaient pas commis d’acte fautif lors de la conclusion des accords sur les prix, étant donné qu’elles pouvaient se prévaloir de la décision en constatation du Kartellgericht du 2 février 1996 et qu’elles avaient en outre demandé conseil à un cabinet d’avocats spécialisé. S’agissant de la société Schenker, qui se prévalait du régime de la clémence, l’Oberlandesgericht a considéré que seule la Commission avait la faculté de constater des infractions sans infliger d’amende.

31.      La Bundeswettbewerbsbehörde et le Bundeskartellanwalt (agent fédéral des ententes) ont fait appel de la décision de première instance devant l’Oberster Gerichtshof statuant en qualité de juridiction d’appel en matière d’ententes (Kartellobergericht). Au cours de la procédure devant l’Oberster Gerichtshof, la Commission a soumis des observations écrites par mémoire du 12 septembre 2011 (14).

IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

32.      Par ordonnance du 5 décembre 2011, reçue par le greffe de la Cour le 27 décembre 2011, l’Oberster Gerichtshof statuant en qualité de Kartellobergericht (15) (ci-après également désigné sous l’expression «juridiction de renvoi») a déféré à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Une entreprise qui a enfreint l’article 101 TFUE peut-elle se voir infliger une amende, lorsque l’infraction en cause a pour origine une erreur de l’entreprise sur la licéité de son comportement et que cette erreur ne peut pas lui être reprochée?

      En cas de réponse négative à la première question:

      1 a)      Peut-on considérer qu’une erreur d’une entreprise sur la licéité de son comportement ne peut pas lui être reprochée lorsque cette entreprise a agi conformément à l’avis qui lui avait été donné par un conseiller juridique expérimenté en droit de la concurrence, et que l’inexactitude de cet avis n’était pas manifeste ni ne pouvait être décelée par l’entreprise en effectuant une vérification raisonnable?

      1 b)      Peut-on considérer qu’une erreur d’une entreprise sur la licéité de son comportement ne peut pas lui être reprochée lorsque cette entreprise s’est fiée à l’exactitude d’une décision prise par une autorité nationale de concurrence, laquelle n’a examiné le comportement qui lui était soumis qu’au regard du droit national de la concurrence et a considéré ledit comportement comme licite?

2)      Les autorités nationales de concurrence sont-elles habilitées à constater qu’une entreprise a participé à une entente contraire au droit de la concurrence de l’Union, lorsque aucune amende ne doit être infligée à l’entreprise, en raison du fait que celle-ci a demandé l’application de la communication sur la clémence?»

33.      Outre Schenker et de nombreuses autres entreprises parties au litige au principal, la Bundeswettbewerbsbehörde, le Bundeskartellanwalt, les gouvernements italien et polonais ainsi que la Commission ont soumis des observations écrites à la Cour. La Bundeswettbewerbsbehörde, la plupart des entreprises concernées ainsi que la Commission ont également pris part à l’audience du 15 janvier 2013.

V –    Appréciation

34.      La présente affaire porte sur une entente de longue durée (la SSK) qui a opéré en Autriche sous l’empire du règlement no 17, puis du règlement no 1/2003.

35.      En substance, il s’agit de déterminer en l’espèce si les entreprises qui ont fait partie de la SSK ont pu considérer en toute bonne foi que les accords de prix conclus par elles n’affectaient pas le commerce interétatique et relevaient par conséquent exclusivement du champ d’application du droit autrichien des ententes, et non de celui du droit européen de la concurrence.

36.      Sur le plan du droit européen, les membres de la SSK se sont apparemment crus en «sécurité» en limitant le champ d’application territorial de leur entente à la République d’Autriche. Compte tenu de la jurisprudence des juridictions de l’Union et de la pratique administrative de la Commission, il ne fait aucun doute que cette opinion juridique était objectivement erronée (16). Il reste cependant à déterminer si la violation du principe d’interdiction des ententes en droit de l’Union peut être imputée à ces entreprises d’un point de vue subjectif. Autrement dit, il convient d’examiner si les entreprises qui ont participé à la SSK ont violé ce principe de manière fautive.

37.      Tant la décision de renvoi que les observations des parties au principal font référence à l’article 101 TFUE, alors que celui-ci ne s’applique que depuis le 1er décembre 2009. L’infraction en cause au principal a en effet eu lieu à une époque où l’article 85 C(E)E, puis l’article 81 CE étaient applicables. Afin de fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile pour la résolution du litige, il convient donc de répondre aux questions préjudicielles au regard de ces deux dernières dispositions. Bien entendu, les développements suivants peuvent être transposés sans problème au principe d’interdiction des ententes tel qu’il résulte désormais de la version en vigueur de l’article 101 TFUE. Par souci de simplicité, nous parlerons ci-après essentiellement du principe d’«interdiction des ententes du droit de l’Union», étant donné que ce principe est, en substance, consacré à l’identique dans les trois dispositions précitées.

A –    L’effet disculpant des erreurs sur la licéité d’un comportement en droit européen de la concurrence (première branche de la première question préjudicielle)

38.      Dans le cadre de la première branche de la première question préjudicielle, l’Oberster Gerichtshof souhaite savoir si une entreprise peut se voir infliger une amende pour violation du principe d’interdiction des ententes du droit de l’Union, lorsque l’infraction en cause a pour origine une erreur de l’entreprise sur la licéité de son comportement et que cette erreur ne peut pas lui être reprochée. En d’autres termes, il s’agit de répondre à la question fondamentale de savoir si une erreur sur la licéité d’un comportement («Verbotsirrtum») peut avoir un effet disculpant en droit européen de la concurrence, comme cela est déjà consacré en droit pénal général. Si la Cour a certes effleuré du doigt ce problème dans sa jurisprudence (17), elle ne l’a pas encore traité en détail.

39.      Contrairement à ce que la Commission soutient, la réponse à la première branche de la première question préjudicielle n’est en aucun cas superflue et ne saurait être simplement résolue par l’examen des autres questions. En effet, les autres questions ne sont posées qu’à titre partiellement subsidiaire et partent logiquement du principe selon lequel une erreur sur la licéité d’un comportement produit un effet disculpant en droit européen de la concurrence. Il est donc nécessaire d’examiner d’abord si tel est le cas.

40.      Afin de résoudre cette question, il convient de considérer, à titre liminaire, que, même si le droit des ententes ne relève pas du droit pénal stricto sensu (18), son caractère quasi pénal a déjà été reconnu (19). Il s’ensuit que certains principes du droit pénal doivent être pris en compte en matière d’ententes, étant entendu que ces principes tirent leur origine, en dernier lieu, du principe de l’état de droit et du principe de la faute. Parmi ces principes figurent non seulement le principe de la responsabilité personnelle (celui-ci ayant, jusqu’à récemment, occupé régulièrement les juridictions de l’Union dans les affaires d’entente (20)), mais également le principe nulla poena sine culpa (nul ne peut être puni pour des faits dont il n’est pas coupable).

41.      Même si, dans sa jurisprudence, la Cour n’a pas encore examiné de manière détaillée le principe nulla poena sine culpa, certains éléments indiquent qu’elle considère comme une évidence que ce principe doit s’appliquer en droit de l’Union (21). Il convient d’ajouter que ce principe a également le caractère d’un droit fondamental commun aux traditions constitutionnelles des États membres (22). S’il est vrai que ce principe n’est pas expressément mentionné dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») ni dans la CEDH (23), il constitue une condition sine qua non de la présomption d’innocence. C’est pourquoi il est possible de considérer que le principe nulla poena sine culpa est implicitement contenu à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte et à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, deux dispositions dont la prise en compte dans les procédures en matière d’ententes est notoire (24). Au final, ces dispositions de la Charte et de la CEDH peuvent être considérées comme l’émanation procédurale du principe nulla poena sine culpa.

42.      En ce qui concerne les sanctions infligées par la Commission en matière d’ententes, le principe nulla poena sine culpa trouve aussi bien son expression à l’article 15, paragraphe 2, de l’ancien règlement no 17 qu’à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 actuellement en vigueur; selon ces deux dispositions, des amendes ne peuvent être infligées qu’en cas d’infractions commises de propos délibéré ou par négligence au droit des ententes.

43.      Il doit en aller de même lorsqu’une infraction au droit des ententes de l’Union est examinée par les autorités ou juridictions nationales de concurrence. En effet, lorsqu’une infraction entre dans le champ d’application du droit de l’Union, les instances nationales doivent, dans l’exercice de leurs pouvoirs, respecter les principes généraux du droit de l’Union (25). Aucune autre conclusion ne saurait résulter de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, dont le but est de garantir, au final, la primauté des principes supérieurs du droit des ententes de l’Union sur le droit national de la concurrence.

44.      Il résulte du principe nulla poena sine culpa que, en matière d’ententes, une entreprise ne doit répondre d’une infraction commise objectivement par elle que si cette infraction peut également lui être reprochée du point de vue subjectif. Si une entreprise ne peut pas se voir reprocher de faute en raison d’une erreur sur la licéité de son comportement, aucune infraction ne saurait être constatée à son encontre ni justifier l’imposition d’une quelconque sanction (comme une amende).

45.      Il convient de souligner que les erreurs sur la licéité d’un comportement ne sont pas toutes susceptibles d’exclure totalement la faute de l’entreprise concernée et, partant, l’existence d’une infraction passible de sanction. Ce n’est que dans le cas où l’erreur relative à la licéité du comportement d’une entreprise sur le marché ne pouvait pas être évitée – on parle également de temps à autre d’erreur excusable ou d’erreur non reprochable – que l’entreprise est réputée avoir agi sans faute et que l’infraction en cause peut échapper à toute poursuite.

46.      Une telle erreur ne devrait se présenter que très rarement. Elle ne saurait être prise en considération que si l’entreprise concernée a fait tout ce qui était raisonnablement en son pouvoir pour éviter l’infraction qui lui est reprochée au regard du droit des ententes de l’Union.

47.      Dans le cas où, comme cela arrive souvent, l’entreprise concernée aurait pu, grâce à des précautions appropriées, éviter de se méprendre sur la licéité de son comportement, ladite entreprise ne peut pas échapper à une sanction destinée à punir l’infraction commise par elle. En effet, elle s’est au moins rendue coupable d’une infraction par négligence (26), ce qui peut (et non doit) entraîner une réduction du montant de l’amende en fonction du degré de difficulté des questions juridiques en cause en matière de droit de la concurrence (27).

48.      La question de savoir si l’erreur d’une entreprise sur la licéité de sa participation à une entente pouvait être évitée ou non (ou si elle peut lui être reprochée) doit s’apprécier en fonction de critères uniformes propres au droit de l’Union afin que toutes les entreprises opérant sur le marché intérieur soient soumises à des conditions homogènes au regard du droit matériel de la concurrence de l’Union («level playing field») (28). Ce problème devra encore être discuté de manière plus détaillée dans la seconde branche de la première question préjudicielle, à laquelle nous souhaitons maintenant nous consacrer.

B –    Le caractère reprochable de l’erreur sur la licéité d’un comportement (seconde branche de la première question préjudicielle)

49.      Si l’on considère, comme nous l’avons proposé (29), que le droit des ententes de l’Union reconnaît l’effet disculpant d’une erreur sur la licéité d’un comportement, il convient alors d’examiner la seconde branche de la première question préjudicielle, posée à titre subsidiaire [première question, sous a) et b)]. À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, à quelles obligations de soin une entreprise doit satisfaire pour pouvoir considérer que l’erreur relative à la licéité de son comportement sur le marché ne peut pas être reprochée (ou évitée) et produit par conséquent un effet disculpant tel que ladite entreprise ne peut pas être poursuivie pour infraction au droit des ententes.

50.      En détail, il convient d’examiner si et dans quelles conditions la confiance placée par une entreprise dans l’avis d’un avocat [première question, sous a), infra section 1] ou dans la décision d’une autorité nationale de concurrence [première question, sous b), infra section 2] permet de considérer que l’entreprise ne peut pas se voir reprocher une erreur sur la licéité de son comportement et doit, par conséquent, échapper à toute sanction juridique.

1.      La confiance de l’entreprise dans l’avis d’un avocat [première question, sous a)]

51.      Dans le cadre de la première question, sous a), la juridiction de renvoi se demande si l’erreur d’une entreprise sur la licéité de son comportement doit produire un effet disculpant lorsque ladite entreprise s’est fiée à l’avis d’un avocat pour adopter le comportement anticoncurrentiel qui lui est reproché.

52.      Cette sous-question se pose au regard de plusieurs déclarations écrites d’un cabinet d’avocats auquel la SSK a fait appel, les entreprises en cause au principal invoquant ces déclarations à leur décharge.

53.      Les parties au principal s’opposent vivement sur la question de savoir si l’avis d’un avocat doit être pris en compte dans l’appréciation de la faute d’une entreprise à qui il est reproché d’avoir enfreint le droit des ententes. Alors que l’ensemble des entreprises en cause au principal répondent par l’affirmative à cette question (30), la Commission ainsi que les autorités nationales et les gouvernements ayant participé à la procédure devant la Cour soutiennent le point de vue contraire.

a)      Sur la portée des avis juridiques dans l’économie du règlement no 1/2003

54.      Pour autant que nous puissions en juger, la Cour n’a, jusqu’à présent, traité qu’une seule fois ce problème de manière plutôt incidente. Elle a en effet déclaré, dans l’arrêt Miller, que l’avis d’un conseiller juridique ne pouvait pas disculper l’entreprise de l’infraction commise à l’article 85 du traité CEE (31).

55.      Les propos exprimés par la Cour dans l’arrêt Miller doivent être compris dans le contexte juridique en vigueur à l’époque. Le règlement no 17 prévoyait en effet que, jusqu’au 30 avril 2004, les entreprises pouvaient décider de soumettre les ententes conclues pour approbation à la Commission ou bien demander à cette dernière une attestation négative. Les entreprises opérant sur le marché intérieur pouvaient ainsi s’assurer, par le biais d’une décision administrative, de la compatibilité de leur comportement au droit européen de la concurrence. Une entreprise qui, au lieu d’opter pour cette procédure, se contentait de l’avis d’un avocat ne faisait pas tout ce qui était raisonnablement en son pouvoir pour éviter de commettre une infraction au droit européen de la concurrence. À l’époque, la confiance d’une entreprise dans l’avis d’un avocat ne suffisait pas, en tant que telle, à considérer que l’erreur de l’entreprise sur la licéité de son comportement pouvait être évitée et, partant, produire un effet disculpant.

56.      La jurisprudence Miller n’est cependant pas transposable au droit actuellement en vigueur. Le règlement no 1/2003, applicable depuis le 1er mai 2004, a en effet modifié de façon radicale le système de la mise en œuvre du droit des ententes de l’Union. L’ancien régime de notification et d’approbation du règlement no 17 a été remplacé par le nouveau régime d’exception légale (32). Désormais, la Commission et les autorités et juridictions nationales de concurrence ne délivrent plus aux entreprises d’autorisations ou d’attestations négatives (33).

57.      En effet, les entreprises opérant sur le marché intérieur sont censées, depuis le 1er mai 2004, apprécier de leur propre chef la compatibilité de leur comportement sur le marché au droit européen des ententes. À titre de principe, les entreprises supportent donc elles-mêmes le risque d’une appréciation erronée de leur situation juridique, conformément à l’adage général selon lequel nul n’est censé ignorer la loi. Or, c’est précisément pour cette raison que l’obtention d’avis juridiques spécialisés revêt, dans l’économie du règlement no 1/2003, une tout autre importance que celle qu’elle pouvait posséder dans l’économie du règlement no 17. De nos jours, la consultation d’un conseiller juridique est souvent le seul moyen pour une entreprise de s’informer en détail de l’état actuel du droit des ententes.

58.      On ne saurait accepter, d’une part, que les entreprises soient encouragées à obtenir un avis juridique spécialisé et, d’autre part, que cet avis soit ignoré lors de l’appréciation de la faute d’une entreprise à qui il est reproché d’avoir enfreint le droit des ententes de l’Union. Si une entreprise s’est fiée en toute bonne foi à l’avis – en fin de compte erroné – d’un conseiller juridique, une telle confiance ne saurait rester sans conséquence au niveau de la procédure d’amende.

59.      En particulier, contrairement à ce que la Commission soutient, la responsabilité civile des avocats pour les avis erronés qu’ils délivrent ne saurait constituer, en soi, une compensation appropriée. En effet, l’action récursoire que le client d’un avocat peut engager à l’encontre de ce dernier devant les juridictions civiles s’accompagne généralement d’impondérabilités considérables et n’est en outre pas en mesure d’effacer l’opprobre («stigma») entraînée par l’imposition de sanctions juridiques – de nature quasi pénale – à l’encontre de l’entreprise.

60.      Il est bien évident que l’obtention d’un avis juridique ne saurait exonérer l’entreprise de toute responsabilité pour son comportement sur le marché et des éventuelles infractions au droit européen de la concurrence. L’avis d’un avocat ne peut en aucun cas donner carte blanche à l’entreprise. Une telle approche ouvrirait la porte aux avis de complaisance, si bien que la faculté (abrogée par le règlement no 1/2003) de délivrer des attestations administratives négatives serait transférée de facto aux conseillers juridiques privés, alors que ceux-ci n’ont aucune légitimité pour ce faire.

61.      L’objectif fondamental qui consiste à garantir la mise en œuvre effective des règles de concurrence de l’Union (34) impose de reconnaître que l’erreur commise par une entreprise sur la licéité de son comportement à la suite de la confiance placée dans un avis juridique ne peut avoir un effet disculpant que si l’avis a été fourni dans certaines conditions minimales que nous souhaitons exposer brièvement ci-après.

b)      Exigences minimales à remplir lors de l’obtention d’un avis juridique

62.      Afin que l’avis juridique obtenu par une entreprise puisse être pris en compte, il est primordial que l’entreprise se soit fiée en toute bonne foi à cet avis. En effet, la protection de la confiance légitime et la bonne foi sont des notions étroitement liées (35). Lorsque des éléments font apparaître qu’une entreprise s’est fondée de mauvaise foi sur l’avis d’un avocat ou a obtenu un avis de complaisance pour enfreindre les règles du droit européen de la concurrence, ledit avis doit être ignoré dans le cadre de l’appréciation de la faute de cette entreprise.

63.      Par ailleurs, une entreprise qui souhaite obtenir un avis juridique doit, sous sa propre responsabilité et à ses propres risques, respecter les exigences minimales suivantes.

64.      Premièrement, l’avis doit toujours être demandé à un avocat indépendant externe (36). L’avis délivré par des membres du service juridique interne d’une entreprise ou d’un groupe ne saurait produire d’effet disculpant en cas d’erreur sur la licéité du comportement de l’entreprise. En effet, même s’ils ont le statut d’avocats internes (37), les juristes d’entreprise sont, en leur qualité de salariés, directement dépendants de l’entreprise, si bien que leur avis juridique est imputable à l’employeur. Or, une entreprise ne saurait se donner elle-même carte blanche pour enfreindre le droit des ententes.

65.      Deuxièmement, l’avis doit émaner d’un avocat spécialisé, ce qui suppose que celui-ci doit être un expert en droit de la concurrence (y compris en droit européen des ententes) et que des clients fassent régulièrement appel à ses services dans ce domaine.

66.      Troisièmement, l’avis juridique doit être délivré sur la base d’un exposé complet et correct des faits par l’entreprise concernée. Lorsqu’une entreprise ne fournit à l’avocat qu’une partie des informations, voire lui cache la vérité sur des faits qui relèvent de son domaine de responsabilité, l’avis de l’avocat ne saurait, dans le cadre d’une procédure en matière d’ententes, disculper l’entreprise de l’erreur commise sur la licéité de son comportement.

67.      Quatrièmement, l’avis de l’avocat consulté doit examiner en détail la pratique administrative et décisionnelle de la Commission ainsi que la jurisprudence des juridictions de l’Union et commenter en profondeur l’ensemble des aspects juridiquement pertinents de l’affaire. Les éléments qui ne font pas expressément partie de l’avis juridique, mais qui peuvent en ressortir tout au plus implicitement ne sauraient être pris en compte pour disculper l’entreprise de son erreur.

68.      Cinquièmement, l’avis juridique délivré ne doit pas être manifestement erroné. Une entreprise ne doit pas croire aveuglément à l’avis d’un avocat. Au contraire, il incombe à toute entreprise qui a recours à un avocat de vérifier au moins la plausibilité des renseignements fournis.

69.      Bien entendu, la diligence que l’on peut attendre d’une entreprise à cet égard dépend de sa taille ainsi que de son expérience dans le domaine du droit de la concurrence (38). Plus une entreprise est grande et expérimentée en droit de la concurrence, plus elle est tenue de vérifier le contenu de l’avis juridique délivré, et ce encore plus lorsqu’elle dispose d’un service juridique spécialisé dans ce domaine.

70.      Indépendamment de ce qui précède, chaque entreprise doit néanmoins savoir que certaines pratiques restrictives de concurrence sont interdites par nature (39) et, notamment, qu’elle n’a pas le droit de prendre part à des restrictions caractérisées (40), comme des accords sur les prix ou bien encore des accords ou des mesures de partage ou de cloisonnement des marchés. On peut en outre s’attendre à ce que les grandes entreprises expérimentées prennent connaissance des explications pertinentes contenues dans les communications et lignes directrices de la Commission relatives au droit de la concurrence.

71.      Sixièmement, l’entreprise concernée agit à ses propres risques lorsqu’il résulte de l’avis juridique délivré que la situation juridique n’est pas claire. Dans un tel cas, l’entreprise s’accommode, au moins par négligence, du fait que son comportement sur le marché peut violer les règles du droit européen de la concurrence.

72.      Force est de concéder, au regard des exigences minimales que nous proposons, que les avis juridiques délivrés aux entreprises peuvent avoir une portée quelque peu limitée. Cela s’explique par la nature du régime institué par le règlement no 1/2003, sans compter que la situation est la même en droit pénal classique: chaque entreprise est, en dernier lieu, responsable de son comportement sur le marché et supporte les risques liés aux infractions commises par elle. La délivrance d’un avis juridique par un avocat ne saurait constituer une sécurité juridique absolue. Toutefois, si l’ensemble des exigences minimales mentionnées précédemment sont remplies, l’erreur de l’entreprise sur la licéité de son comportement peut alors produire un effet disculpant dès lors que l’entreprise s’est fiée en toute bonne foi à l’avis de son conseiller juridique.

73.      Il convient de remarquer, à titre complémentaire, qu’un avocat qui, par le biais d’un avis de complaisance, devient l’homme de main de pratiques anticoncurrentielles ne doit pas uniquement craindre des conséquences sur le plan civil et disciplinaire, mais s’expose également lui-même à des sanctions au titre du droit des ententes (41).

c)      Conséquences en ce qui concerne l’affaire au principal

74.      L’application des critères susmentionnés à une affaire telle que celle en cause au principal montre que les entreprises concernées n’ont pas commis d’erreur excusable quant à la licéité de leur comportement sur le marché au regard du droit européen de la concurrence, mais que cette erreur peut leur être reprochée.

75.      D’une part, l’infraction commise par la SSK en tant qu’entente a commencé et s’est poursuivie en grande partie sous l’empire du règlement no 17. Comme le Bundeskartellanwalt l’a souligné à juste titre, les entreprises concernées (42) étaient libres de s’adresser suffisamment tôt à la Commission pour demander, en vertu de l’article 2 du règlement no 17 (43), la délivrance d’une attestation négative (44). Leur inaction ne saurait être couverte par l’avis juridique d’un avocat. La situation est sensiblement la même en ce qui concerne la partie de l’entente qui a eu lieu postérieurement au 30 avril 2004 et qui relève donc du champ d’application temporel du règlement no 1/2003. En effet, si l’on considère, à l’instar de la Bundeswettbewerbsbehörde, que l’entente en cause au principal constitue une infraction unique et continue, l’abstention des membres de la SSK de demander une attestation négative dès la création de l’entente doit, dans le cadre de l’appréciation de la faute, produire des effets pendant toute la durée de l’entente.

76.      D’autre part, il résulte des explications de la juridiction de renvoi que l’avis juridique obtenu en l’espèce semble présenter des lacunes. Les différents courriers du cabinet d’avocats sollicité n’abordaient précisément pas (sous réserve d’un réexamen par la juridiction nationale) la question de savoir si les articles 85 du traité C(E)E et 81 du traité CE s’appliquaient à l’affaire, alors que c’est de cette question même que dépend la répression de l’entente des membres de la SSK au regard du droit de l’Union. Contrairement à ce que semblent penser certaines entreprises en cause au principal, il ne suffit pas, dans ce contexte, que l’avis de l’avocat ait permis de tirer implicitement des conclusions sur la question de l’affectation du commerce interétatique. Comme nous l’avons indiqué (45), les éléments qui, sans faire expressément partie de l’avis de l’avocat, en résultent tout au plus indirectement ne sauraient être invoqués pour considérer que l’erreur d’une entreprise sur la licéité de son comportement produit un effet disculpant. Il doit a fortiori en aller ainsi lorsque cette question juridique est, comme en l’espèce, au cœur même de l’affaire et conditionne la résolution de celle-ci.

77.      En outre, on peut s’attendre à ce qu’au moins les grandes entreprises ayant composé l’entente aient eu connaissance des communications et des lignes directrices pertinentes de la Commission (46). Il résulte clairement de ces documents que des ententes horizontales qui, telle la SSK, couvrent l’ensemble d’un État membre sont normalement susceptibles d’affecter le commerce entre États membres (47), si bien qu’elles relèvent du principe d’interdiction des ententes du droit de l’Union.

78.      Enfin, contrairement à ce que certaines parties à la procédure soutiennent, le fait que la SSK ne constituait pas une entente occulte et que les membres de la SSK souhaitaient, selon leurs propres indications, éviter toute infraction au droit des ententes de l’Union importe peu pour déterminer si les entreprises impliquées dans l’entente ont commis une faute. On ne saurait considérer que l’erreur d’une entreprise sur la licéité de son comportement produit un effet disculpant au seul motif que l’auteur de l’infraction était persuadé de son bon droit et «certain de lui». Au contraire, il importe uniquement que l’auteur de l’infraction ait fait tout ce qui était raisonnablement en son pouvoir pour éviter de commettre une infraction.

2.      La confiance de l’entreprise dans la décision d’une autorité nationale de concurrence [première question, sous b)]

79.      Dans le cadre de la première question, sous b), la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’erreur d’une entreprise sur la licéité de son comportement peut produire un effet disculpant lorsque, s’agissant du comportement anticoncurrentiel qui lui est reproché, l’entreprise s’est fiée à la décision d’une autorité nationale de concurrence, celle-ci ayant considéré le comportement qui lui était soumis comme licite après l’avoir examiné au regard du seul droit national de la concurrence.

80.      Cette sous-question est posée en référence à l’ordonnance passée en force de chose jugée du 2 février 1996 par laquelle le Kartellgericht a, en tant qu’organe national compétent, reconnu que la SSK constituait une «entente mineure» au sens de l’article 16 du KartG 1988. Les entreprises en cause au principal invoquent désormais cette ordonnance à leur décharge.

81.      Tout comme pour l’avis d’un avocat (voir précédemment), les parties à la procédure s’opposent vivement sur la question de savoir si la décision d’une autorité nationale de concurrence doit être prise en compte lors de l’appréciation de la faute d’une entreprise à qui il est reproché d’avoir enfreint le droit des ententes. Les positions sur ces deux problèmes sont, pour l’essentiel, identiques.

a)      Sur la portée des décisions des autorités et juridictions nationales de concurrence

82.      L’un des principaux objectifs du règlement no 1/2003 est d’associer davantage les organes nationaux à la mise en œuvre du droit européen des ententes (48). C’est ainsi que les autorités nationales de concurrence et les juridictions des États membres jouissent, dans le nouveau régime décentralisé de mise en œuvre du droit des ententes, d’un rôle non négligeable. Selon les articles 5 et 6 du règlement no 1/2003, les autorités et juridictions de concurrence des États membres sont expressément habilitées à appliquer le droit des ententes de l’Union et y sont mêmes tenues le cas échéant (à savoir lorsque les circonstances mentionnées à l’article 3 du règlement no 1/2003 sont réunies) (49).

83.      Même pendant la période antérieure au 1er mai 2004 (période au cours de laquelle le Kartellgericht a adopté l’ordonnance invoquée par les entreprises en cause au principal), les autorités et juridictions nationales étaient compétentes pour appliquer l’article 85 du traité C(E)E et l’article 81 du traité CE. Il est vrai que, conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 17, la Commission était exclusivement compétente, à l’époque, pour exonérer les entreprises au titre de l’article 85, paragraphe 3, du traité C(E)E et de l’article 81, paragraphe 3, du traité CE. Pour le reste, les autorités et juridictions nationales étaient cependant libres, en principe, de recourir aux dispositions directement applicables de l’article 85, paragraphe 1, du traité C(E)E et de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE et de vérifier notamment si le comportement collusoire de certaines entreprises relevait du champ d’application matériel des règles de concurrence européennes (c’est-à-dire si ce comportement était susceptible d’affecter le commerce entre États membres) (50). Un tel examen était par exemple nécessaire lorsque, en cas de conflit entre le droit communautaire et le droit national des ententes, l’autorité ou la juridiction nationale devait observer le principe de primauté du droit communautaire reconnu par la Cour (51).

84.      Dans ce contexte, les décisions des autorités et des juridictions nationales de concurrence (y compris celles adoptées avant le 1er mai 2004) peuvent, en plus de la pratique administrative de la Commission et de la jurisprudence des juridictions de l’Union, fournir aux entreprises opérant sur le marché intérieur des indices importants pour mieux comprendre l’état actuel du droit européen de la concurrence.

85.      Afin de déterminer les conséquences que la confiance d’une entreprise dans de telles décisions peut avoir, en cas d’infraction, sur la question de la faute, il convient de prendre en compte le principe de protection de la confiance légitime, tel qu’il est reconnu, entre autres, au niveau de l’Union (52). Selon ce principe, il n’est nullement exclu que, dans des affaires concernant le droit de l’Union, des entreprises puissent se fier aux décisions des autorités et des juridictions nationales (53). En outre, la confiance placée dans l’opinion de tels organes étatiques semble davantage digne de protection que l’avis d’un conseiller juridique privé.

86.      Cela étant, il serait excessif d’affirmer que toute déclaration d’un organe national sur le droit des ententes de l’Union devrait être prise en compte lors de l’appréciation de la faute d’une entreprise à qui il est reproché d’avoir enfreint le droit des ententes. Là encore, il est nécessaire que certaines conditions minimales soient remplies pour que la mise en œuvre effective des règles de concurrence européennes ne soit pas remise en cause.

b)      Conditions à remplir pour que la confiance d’une entreprise dans les décisions des autorités et des juridictions nationales de concurrence puisse être protégée

87.      Premièrement, la décision doit émaner soit d’une autorité nationale de concurrence compétente pour appliquer le droit des ententes de l’Union (articles 5 et 35 du règlement no 1/2003), soit d’une juridiction nationale (article 6 du règlement no 1/2003).

88.      Il est vrai qu’une autorité nationale de concurrence ne peut pas délivrer d’autorisations ou d’attestations négatives dans le cadre du droit des ententes de l’Union. Aux termes de l’article 5, second alinéa, du règlement no 1/2003, elle peut cependant décider qu’il n’y a pas lieu pour elle d’intervenir lorsqu’elle considère, sur la base des informations dont elle dispose, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies. Dans un tel cas, l’entreprise concernée doit pouvoir considérer qu’elle est autorisée à poursuivre, au moins dans la sphère de compétence territoriale de l’autorité saisie, le comportement examiné par cette dernière.

89.      La décision d’une juridiction nationale peut être invoquée par une entreprise à titre d’excuse lorsque la juridiction concernée a conclu que le comportement de l’entreprise sur le marché ne constituait pas une infraction au droit des ententes de l’Union. Tel peut notamment être le cas lorsque la juridiction nationale cesse les poursuites dans le cadre d’une procédure d’amende, annule une décision administrative ayant infligé une amende à l’entreprise ou bien rejette une demande en dédommagement ou en abstention dirigée au civil contre l’entreprise.

90.      Deuxièmement, il faut que l’entreprise concernée ait préalablement exposé à l’organe national, de manière détaillée et véridique, l’ensemble des circonstances pertinentes dès lors qu’elle a pris part à la procédure administrative ou judiciaire initiale (comme c’est le cas des membres de la SSK en 1995/1996). Lorsqu’une décision est entachée d’un vice imputable à l’entreprise elle-même, cette dernière ne saurait par la suite invoquer la décision à sa décharge.

91.      Troisièmement, la décision administrative ou judiciaire doit précisément traiter des éléments de droit et de fait que l’entreprise concernée invoque pour se disculper de son erreur. Tout comme dans le cas de l’avis d’un avocat, seules les déclarations contenues expressément dans la décision de l’autorité ou de la juridiction saisie peuvent être invoquées, à l’inverse des conclusions qui ne ressortiraient qu’implicitement de cette décision (54).

92.      Quatrièmement, l’opinion de l’autorité nationale de concurrence ou de la juridiction nationale ne doit pas être manifestement erronée au regard du droit des ententes de l’Union (55). Il est vrai que les décisions administratives et judiciaires définitives qui concernent le droit des ententes de l’Union jouissent, en principe, d’une présomption de légalité telle que leurs destinataires doivent pouvoir se fier à l’exactitude de leur contenu sans être tenus d’en vérifier la plausibilité (contrairement à l’avis d’un avocat). Néanmoins, nous avons déjà indiqué (56) que les entreprises doivent savoir que certaines pratiques restrictives de concurrence sont interdites par nature et que personne n’a le droit de prendre part à des restrictions caractérisées, comme des accords sur les prix ou bien des accords ou des mesures de partage ou de cloisonnement des marchés.

93.      Cinquièmement, la confiance d’une entreprise dans une décision administrative ou judiciaire ne peut être protégée que si l’entreprise est de bonne foi (57). Une telle bonne foi ne fait pas seulement défaut dans le cas (certes très improbable) d’une collusion entre l’entreprise et l’autorité ou la juridiction nationale. L’entreprise ne doit également pas se fier à l’exactitude matérielle d’une décision lorsqu’elle sait que les institutions compétentes de l’Union (à savoir la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne) ont exprimé une opinion juridique contraire. Tel peut notamment être le cas lorsque la Commission prend part, conformément à l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, à une procédure judiciaire nationale et que l’entreprise concernée prend, à cette occasion, connaissance de l’opinion juridique de la Commission.

94.      Par ailleurs, il convient de se demander, comme cela a été soulevé au cours de l’audience devant la Cour, si la confiance placée par une entreprise dans la décision d’une juridiction nationale doit uniquement être protégée dans le cas où la Cour a préalablement été saisie à titre préjudiciel. Selon nous, il convient de répondre par la négative à cette question. Nous considérons qu’il n’est pas approprié de limiter la protection de la confiance légitime aux seules décisions judiciaires nationales qui se fondent sur un arrêt préjudiciel de la Cour.

95.      En effet, les décisions judiciaires qu’une entreprise peut invoquer pour se disculper de son erreur proviendront généralement de juridictions au sens de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE qui ne sont pas soumises à l’obligation de renvoi préjudiciel. Dès lors que le législateur de l’Union a décidé que toutes les juridictions nationales étaient compétentes pour appliquer le droit des ententes de l’Union (article 6 du règlement no 1/2003), les justiciables doivent pouvoir invoquer les décisions adoptées dans ce domaine par n’importe quelle juridiction nationale, indépendamment du fait qu’une procédure préjudicielle (facultative) ait eu lieu ou non.

96.      Le règlement no 1/2003 prévoit des instruments spécifiques qui contribuent à garantir une interprétation et une application uniformes du droit des ententes de l’Union. La Commission joue un rôle clé à cet égard. Elle peut ainsi prendre part aux procédures menées devant les juridictions nationales (58). Elle coopère en outre étroitement avec les autorités nationales de concurrence dans le cadre du réseau européen de concurrence (ci-après le «REC») et peut même, si nécessaire, se saisir de la procédure administrative menée devant de telles autorités (59).

c)      Conséquences en ce qui concerne l’affaire au principal

97.      Comme dans le cas de l’avis juridique d’un avocat, l’application des critères susmentionnés à une affaire telle que celle en cause au principal montre que les entreprises concernées n’ont pas commis d’erreur excusable sur la licéité de leur comportement au regard du droit européen de la concurrence, mais que cette erreur peut leur être reprochée.

98.      Comme la juridiction de renvoi l’indique, le Kartellgericht a considéré, dans son ordonnance du 2 février 1996 à laquelle les membres de la SSK se réfèrent, que le comportement reproché aux entreprises de transports était licite, étant entendu qu’il n’a examiné ce comportement qu’au seul regard du droit national de la concurrence. Ladite ordonnance n’aborde pas la question de savoir si les membres de la SSK ont violé le principe d’interdiction des ententes du droit de l’Union. Du reste, avant le 1er mai 2004 (époque à laquelle l’article 3 du règlement no 1/2003 n’était pas encore applicable), le droit de l’Union n’obligeait pas les juridictions nationales à appliquer le droit des ententes de l’Union parallèlement au droit national des ententes (60).

99.      Il se peut que, préalablement à son ordonnance du 2 février 1996, le Kartellgericht ait consulté un rapport intermédiaire qui, élaboré en 1994 par le comité paritaire pour les ententes (61), avait conclu à l’inapplicabilité du droit européen de la concurrence. Les membres de la SSK ne sauraient cependant exciper de cette seule circonstance pour considérer que leur comportement sur le marché était, à l’époque, conforme aux règles européennes de concurrence. Ce qui importe, c’est que le Kartellgericht ne se soit pas lui-même expressément prononcé sur la question de la compatibilité de la SSK au droit européen de la concurrence (62).

100. Force est d’admettre que les autorités et juridictions nationales de concurrence étaient tenues, avant même le 1er mai 2004, d’observer la primauté du droit communautaire et de ne pas porter préjudice à l’application pleine et uniforme de ce droit (63). L’obligation d’observer les règles européennes de concurrence pouvait également se déduire du droit national en vigueur à l’époque, ce que les entreprises en cause au principal ont indiqué au cours de l’audience.

101. On ne saurait cependant conclure de ce seul fait que, avant l’application de l’article 3 du règlement no 1/2003, les règles nationales et européennes de concurrence devaient systématiquement conduire au même résultat. Il est notoire que le champ d’application des règles de concurrence ne coïncide pas aux niveaux européen et national (64) et que ces règles considèrent les pratiques restrictives sous des aspects différents (65). Cette situation en vigueur avant le 1er mai 2004 n’a pas été modifiée par le règlement no 1/2003 (66). Une disposition telle que la règle autrichienne sur les ententes mineures montre très clairement les différences qui pouvaient exister et qui continuent d’exister entre le droit des ententes de l’Union et le droit national des ententes(67).

102. Il s’ensuit que, dans la mesure où la résolution du litige dépend d’une question relative au droit de l’Union, une décision fondée sur le seul droit national de la concurrence, telle que l’ordonnance du Kartellgericht du 2 février 1996, ne saurait permettre aux entreprises concernées d’invoquer la protection de la confiance légitime.

C –    La faculté des autorités nationales de concurrence de constater l’existence d’une infraction à l’encontre des entreprises qui se prévalent du régime de la clémence (seconde question préjudicielle)

103. La seconde question préjudicielle concerne tout particulièrement la situation d’une entreprise qui, comme la société Schenker dans l’affaire au principal, se prévaut du régime de la clémence. Cette question suppose logiquement que l’entreprise concernée ne puisse pas se prévaloir d’une erreur excusable sur la licéité de son comportement (voir, à ce sujet, la première question préjudicielle). En effet, lorsque l’entreprise peut invoquer une telle erreur, aucune infraction ne peut être constatée à son encontre par une autorité de concurrence ou par une juridiction (68).

104. La juridiction de renvoi souhaite savoir si les autorités de concurrence des États membres sont habilitées, en vertu du règlement no 1/2003, à constater qu’une entreprise a enfreint le principe d’interdiction des ententes du droit de l’Union sans pour autant lui infliger d’amende.

105. Les pouvoirs dont disposent les autorités nationales de concurrence pour appliquer le droit des ententes de l’Union résultent de l’article 5 du règlement no 1/2003. Conformément à l’article 35, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, des juridictions peuvent également être chargées d’exercer ces pouvoirs, comme cela est le cas en Autriche.

106. L’article 5 du règlement no 1/2003 ne prévoit pas expressément que les organes nationaux peuvent se contenter de constater une infraction au droit des ententes de l’Union sans infliger de sanctions. En revanche, la Commission dispose, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement no 1/2003, de la faculté expresse de constater qu’une infraction a été commise dans le passé lorsqu’elle y a un intérêt légitime.

107. Contrairement à ce que soutient Schenker, on ne saurait en aucun cas déduire du silence de l’article 5 du règlement no 1/2003 qu’il est interdit aux autorités nationales de simplement constater l’existence d’une infraction sans infliger de sanctions. Une telle thèse ne résulte pas non plus d’une interprétation a contrario des pouvoirs de la Commission mentionnés à l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement no 1/2003.

108. Il est vrai que le règlement no 1/2003 prive, de manière délibérée, les autorités et juridictions nationales de concurrence de certains pouvoirs afin de ne pas porter atteinte au nouveau régime d’exception légale ni au rôle prépondérant de la Commission dans le développement de la politique européenne de concurrence, tel qu’il ressort du régime instauré par le règlement no 1/2003 (69). C’est ainsi que la Commission est, au sein du REC, la seule autorité à pouvoir constater, exceptionnellement et à titre déclaratoire, que le droit des ententes de l’Union ne s’applique pas (article 10 du règlement no 1/2003) (70); les autorités nationales de concurrence, quant à elles, peuvent décider tout au plus, en vertu de l’article 5, second alinéa, du règlement no 1/2003, qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir dans un cas concret, ce qui exclut l’adoption de décisions négatives sur le fond (71).

109. Toutefois, on ne saurait considérer que, dans le cas inverse (c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de constater des infractions), le législateur de l’Union a également souhaité limiter les compétences des autorités et des juridictions nationales de concurrence. Comme nous l’avons déjà indiqué, l’un des objectifs principaux du règlement no 1/2003 consiste en effet à associer davantage les organes nationaux dans la mise en œuvre du droit des ententes de l’Union (72). Les autorités de concurrence des États membres devraient donc avoir des possibilités non pas réduites, mais accrues pour mettre en œuvre efficacement le droit des ententes de l’Union (73). Dans le régime décentralisé du règlement no 1/2003, la détection, la constatation et, le cas échéant, la répression des infractions aux règles européennes de concurrence relèvent de leurs tâches imposées par ledit règlement (74) et contribuent à une mise en œuvre effective de ces règles.

110. La compétence dont les autorités nationales de concurrence disposent en matière de sanctions (article 5, premier alinéa, dernier tiret, du règlement no 1/2003) permet forcément à ces autorités de simplement constater l’existence d’une infraction (argumentum a maiore ad minus). En effet, les sanctions infligées par une autorité à l’encontre d’une entreprise ne seraient pas possibles si ladite autorité ne pouvait pas préalablement constater l’existence d’une infraction au droit des ententes.

111. Les autorités et juridictions nationales de concurrence ne perdent nullement leur pouvoir de constatation lorsqu’elles s’abstiennent d’infliger une sanction (notamment pour récompenser une entreprise de sa collaboration à la procédure au titre du régime de la clémence). Au contraire, la mise en œuvre effective des règles de concurrence de l’Union peut même commander que l’existence d’une infraction soit constatée en l’absence de toute sanction.

112. Si l’autorité ou la juridiction nationale renonçait à la fois à infliger une sanction et à constater l’existence de l’infraction et se bornait à cesser les poursuites à l’encontre de l’entreprise concernée, elle pourrait donner l’impression trompeuse que le comportement de l’entreprise sur le marché était légal. En revanche, la simple constatation de l’infraction, que l’on peut en réalité assimiler à une amende d’un montant nul, permet clairement de reconnaître et de rapporter que l’entreprise a violé de manière fautive les règles de concurrence de l’Union.

113. Il appartient aux États membres de déterminer, dans le cadre de l’autonomie procédurale dont ils disposent, si et comment les organes nationaux compétents doivent faire usage de la faculté implicitement prévue à l’article 5 du règlement no 1/2003 (à savoir la faculté de constater une infraction sans infliger de sanctions). Rien ne s’oppose donc à ce que la constatation des infractions relève, en droit national, du pouvoir discrétionnaire de l’autorité ou de la juridiction compétente ou bien qu’un intérêt légitime soit nécessaire à cet effet (à l’image de ce qui est prévu à l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement no 1/2003), à condition que les principes d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union (75) soient observés.

114. Compte tenu du principe d’effectivité qui trouve son expression dans l’objectif de la mise en œuvre effective du droit des ententes de l’Union (76), un intérêt légitime à la constatation d’une infraction existera en règle générale, et ce même dans le cas où aucune sanction n’est infligée. En effet, une telle constatation permet, d’une part, de poursuivre ultérieurement l’entreprise concernée en cas de récidive (c’est-à-dire dans le cas où elle se rendrait à nouveau coupable d’une infraction aux règles du droit européen de la concurrence) (77). D’autre part, la constatation de l’infraction produit un effet dissuasif envers les autres entreprises tout en renforçant la confiance des acteurs du marché dans l’efficacité des règles de concurrence du marché intérieur européen. Dernier point mais non le moindre, la constatation de l’infraction par une autorité permet également aux entreprises et aux consommateurs lésés par une entente de faire valoir beaucoup plus facilement leurs prétentions au civil à l’encontre des membres de l’entente (78).

VI – Conclusion

115. À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle de l’Oberster Gerichtshof:

«1)      Une entreprise qui a enfreint le principe d’interdiction des ententes du droit de l’Union ne peut pas se voir infliger une amende, lorsque l’infraction en cause a pour origine une erreur de l’entreprise sur la licéité de son comportement et que cette erreur ne peut pas lui être reprochée.

2)      L’erreur d’une entreprise sur la licéité de son comportement peut être reprochée à ladite entreprise lorsque celle-ci s’est fiée à l’avis juridique d’un avocat ou à la décision d’une autorité nationale de concurrence dont ni l’un ni l’autre n’ont examiné (à tout le moins expressément) le problème juridique en cause.

      En ce qui concerne les infractions qui ont débuté avant le 1er mai 2004, une telle erreur peut en outre être reprochée à l’entreprise lorsque celle-ci n’a pas demandé suffisamment tôt à la Commission européenne la délivrance d’une attestation négative au sens de l’article 2 du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité.

3)      Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, n’interdit pas aux autorités nationales de concurrence de constater qu’une entreprise a enfreint le principe d’interdiction des ententes du droit de l’Union tout en renonçant à l’imposition d’une amende, à condition que les principes généraux d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union soient observés.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Règlement du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204).


3 – Règlement du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1). Ce règlement s’applique, en vertu de son article 45, second alinéa, à compter du 1er mai 2004.


4 – BGBl. 600/1988.


5 – BGBl. I, 61/2005.


6 – Les organisations antérieures à la SSK, à savoir la conférence de transport autoroutier des colis groupés («Autosammelladungskonferenz») et la conférence de transport ferroviaire des colis groupés («Bahnsammelladungskonferenz»), avaient été créées dans les années 1970 et disposaient en Autriche du statut d’«ententes autorisées» jusqu’au 31 décembre 1993 (date de fin de leur activité).


7 – No de dossier: 4 Kt 533/94.


8 – Jusqu’à son abrogation par la nouvelle loi sur les ententes de 2002, le comité paritaire pour les ententes était un organe auxiliaire spécialisé du Kartellgericht. Son activité était régie par les articles 49, 112 et 113 du KartG 1988.


9 – No de dossier: 4 Kt 79/95-12.


10 – À ce sujet, voir également infra point 20.


11 – [Note non destinée à la publication].


12 – Cette demande est fondée sur l’article 142, point 1, sous a) et d), du KartG 1988 et sur l’article 29, point 1, sous a) et d), du KartG 2005.


13 – No de dossier: 24 Kt 7, 8/10‑146.


14 – Voir, à ce sujet, article 15, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement no 1/2003.


15 – No de dossier: 16 Ok 4/11.


16 – Arrêts du 17 octobre 1972, Vereniging van Cementhandelaren/Commission (8/72, Rec. p. 977, point 29); du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, Rec. p. 2545, point 22 in fine); du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, Rec. p. I‑11125, point 37), et du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission (C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 38). Voir, également, communication de la Commission – lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004, C 101, p. 81), section 3.2.1 (point 78 notamment).


17 – Voir, notamment, arrêts du 1er février 1978, Miller International Schallplatten/Commission (19/77, Rec. p. 131, point 18, ci-après l’arrêt «Miller»), et du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 111 et 112). Dans l’arrêt du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission (240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, point 60), l’erreur sur la licéité d’un comportement est évoquée de manière incidente [Ndt: en français, sous l’expression «erreur de droit»]. Dans les arrêts du 12 juillet 1979, BMW Belgium e.a./Commission (32/78, 36/78 à 82/78, Rec. p. 2435, points 43 et 44, ci-après l’arrêt «BMW Belgium»), et du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission (96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 45), la Cour se contente d’indiquer – sans évoquer concrètement une éventuelle erreur des entreprises en cause sur la licéité de leur comportement – qu’il importe peu de savoir si une entreprise a ou non conscience d’avoir enfreint l’interdiction de l’article 85 du traité CEE. Dans ses conclusions du 29 octobre 1975 ayant donné lieu à l’arrêt du 13 novembre 1975, General Motors Continental/Commission (26/75, Rec. p. 1367, plus particulièrement p. 1390), l’avocat général Mayras reconnaît l’existence d’une telle erreur et refuse ainsi qu’une amende soit infligée pour faute intentionnelle.


18 – Dans son arrêt Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, requête no 73053/01, Recueil des arrêts et décisions 2006-XIV, § 43, la Cour européenne des droits de l’homme n’inclut pas le droit de la concurrence dans les catégories traditionnelles du droit pénal et estime que, en dehors du «noyau dur» du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur.


19 – Voir, à ce sujet, nos conclusions du 3 juillet 2007 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 décembre 2007, ETI e.a. (C‑280/06, Rec. p. I‑10893), point 71 et jurisprudence citée, ainsi que nos conclusions du 8 septembre 2011 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10), point 48 et jurisprudence citée. Il est de jurisprudence constante que la Cour applique des principes du droit pénal en droit européen de la concurrence (s’agissant de la présomption d’innocence, voir arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150; s’agissant de l’interdiction des doubles peines – «ne bis in idem» –, voir arrêt Toshiba Corporation e.a., précité, point 94). Dans son arrêt Menarini Diagnostics c. Italie du 27 septembre 2011, requête no 43509/08, § 38 à 45, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît qu’une amende infligée en droit des ententes par l’autorité italienne de la concurrence revêt un caractère pénal au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.


20 – Voir, parmi de nombreux exemples, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, points 145 et 204); ETI e.a., précité (point 39); du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 56), et du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (C‑628/10 P et C‑14/11 P, point 42).


21 – Dans son arrêt du 18 novembre 1987, Maizena e.a. (137/85, Rec. p. 4587, point 14), la Cour a déclaré que le principe nulla poena sine culpa est un des «principes typiques du droit pénal». Son existence en droit de l’Union est en outre supposée dans l’arrêt du 11 juillet 2002, Käserei Champignon Hofmeister (C‑210/00, Rec. p. I‑6453, notamment points 35 et 44). Voir, également, point 11 des conclusions de l’avocat général Lenz du 11 juillet 1992 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 octobre 1992, van der Tas (C‑143/91, Rec. p. I‑5045), et – s’agissant, de manière plus générale, du principe de la faute dans le cadre du régime des sanctions administratives – point 56 des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer du 24 janvier 2008 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 avril 2008, Michaeler e.a. (C‑55/07 et C‑56/07, Rec. p. I‑3135).


22 – Point 18 des conclusions de l’avocat général Van Gerven du 15 septembre 1993 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 décembre 1993, Charlton e.a. (C‑116/92, Rec. p. I‑6755).


23 – Signée à Rome le 4 novembre 1950.


24 – Arrêts Hüls/Commission, précité en note 19 (points 149 et 150, en rapport avec l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH), et du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, points 72 et 73, en rapport avec l’article 48, paragraphe 1, de la Charte); dans le même sens, voir également arrêt du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission (27/76, Rec. p. 207, point 265, ci-après l’arrêt «United Brands»).


25 – Voir, parmi de nombreux exemples, arrêts du 26 avril 2005, «Goed Wonen» (C‑376/02, Rec. p. I‑3445, point 32); du 11 juillet 2006, Chacón Navas (C‑13/05, Rec. p. I‑6467, point 56), et du 27 septembre 2007, Twoh International (C‑184/05, Rec. p. I‑7897, point 25).


26 – Voir, à ce sujet, conclusions de l’avocat général Mayras dans l’affaire General Motors Continental/Commission, précitée en note 17.


27 – Lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, point 29, deuxième tiret, ci-après les «lignes directrices de 2006»).


28 – Voir, à ce sujet, considérant 8 du règlement no 1/2003 ainsi que nos conclusions du 6 septembre 2012 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 décembre 2012, Expedia (C‑226/11), point 37 et jurisprudence citée.


29 – Voir, à ce sujet, nos explications sur la première branche de la première question préjudicielle (supra, points 38 à 48).


30 – À l’exception de Schenker, qui ne s’est pas exprimée à ce sujet et qui a uniquement traité la seconde question préjudicielle dans ses observations écrites et orales.


31 – Point 18 de l’arrêt. Par souci d’exhaustivité, il convient d’ajouter que la Cour a également évoqué, aux points 43 et 44 de l’arrêt BMW Belgium, que l’entreprise en cause à l’époque avait invoqué l’avis d’un conseil à l’appui de sa défense; la Cour ne s’est cependant pas prononcée concrètement sur cette question.


32 – Considérant 4 du règlement no 1/2003.


33 – Ce n’est que récemment que la Cour a souligné que les autorités nationales de concurrence n’ont pas la faculté de constater l’absence d’infraction au droit des ententes de l’Union (arrêt du 3 mai 2011, Tele2Polska, C‑375/09, Rec. p. I-3055, notamment points 29 et 32).


34 – S’agissant de cet objectif, voir considérants 8, 17 et 22 du règlement no 1/2003 ainsi qu’arrêts du 7 décembre 2010, VEBIC (C‑439/08, Rec. p. I‑12471, point 56), et du 14 juin 2011, Pfleiderer (C‑360/09, Rec. p. I‑5161, point 19).


35 – Voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 1997, Opel Austria/Conseil (T‑115/94, Rec. p. II‑39, point 93); du 16 juillet 1998, Oelmühle et Schmidt Söhne (C‑298/96, Rec. p. I‑4767, point 29), et du 19 septembre 2002, Huber (C‑336/00, Rec. p. I‑7699, point 58).


36 – La notion d’«avocat» doit bien entendu être comprise ci-après comme englobant les avocats salariés des cabinets d’avocats indépendants.


37 – Voir, à ce sujet, arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (C‑550/07 P, Rec. p. I‑8301), ainsi que nos conclusions du 29 avril 2010 dans cette affaire.


38 – Cette règle se manifeste également dans l’arrêt United Brands, précité (points 299 à 301), ainsi que dans l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, point 134); voir, dans le même sens, arrêts du 1er avril 1993, Hewlett Packard France (C‑250/91, Rec. p. I‑1819, point 22), et du 14 novembre 2002, Ilumitrónica (C‑251/00, Rec. p. I‑10433, point 54).


39 – Voir, en ce sens, arrêt Miller (points 18 et 19), ainsi qu’arrêts du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission (246/86, Rec. p. 2117, point 41), et du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission (C‑279/87, Rec. p. I‑261, point 2 du sommaire). Voir, également, arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission (T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 205).


40 – Sur la notion de restriction caractérisée, voir, notamment, communication de la Commission concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne (de minimis) (JO 2001, C 368, p. 13).


41 – Voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission (T‑99/04, Rec. p. II‑1501), concernant la participation à une entente d’une entreprise de conseil non active sur le marché concerné.


42 – Cela vaut pour toutes les entreprises qui faisaient déjà partie de la SSK avant le 1er mai 2004.


43 – Une disposition comparable se trouvait à l’époque dans le quatrième protocole relatif aux fonctions et pouvoirs de l’Autorité de surveillance AELE dans le domaine de la concurrence (JO 1994, L 344, p. 12).


44 – Voir, en ce sens, arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité en note 38 (points 129, dernière phrase, 130 et 134, dernière phrase).


45 – Voir supra, point 67.


46 – Voir supra, point 70.


47 – Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, section 3.2.1 (point 78 notamment).


48 – Considérants 6, 7 et 8 du règlement no 1/2003.


49 – Sur cette obligation, voir, également, arrêt Toshiba Corporation e.a., précité en note 19 (point 77).


50 – Arrêt du 30 janvier 1974, BRT et Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (127/73, Rec. p. 51, points 15 à 22).


51 – Arrêt du 13 février 1969, Wilhelm e.a. (14/68, Rec. p. 1, point 6 in fine).


52 – Voir, parmi de nombreux exemples, arrêts du 5 mai 1981, Dürbeck (112/80, Rec. p. 1095, point 48), et du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C‑24/95, Rec. p. I‑1591, point 25).


53 – Voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Plantanol (C‑201/08, Rec. p. I‑8343, point 53); voir, également, points 43 à 50 de nos conclusions du 24 janvier 2013 dans l’affaire Agroferm (C‑568/11).


54 – S’agissant du principe de protection de la confiance légitime, la Cour a déclaré, de manière très similaire, que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration, de vagues indices ne suffisant pas à cet égard [arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, Rec. p. I‑9761, points 81 et 86].


55 – Il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de protection de la confiance légitime ne peut pas être invoqué à l’encontre d’une disposition précise d’un texte de droit de l’Union; voir arrêts du 26 avril 1988, Krücken (316/86, Rec. p. 2213, point 24); du 1er avril 1993, Lageder e.a. (C‑31/91 à C‑44/91, Rec. p. I‑1761, point 35), et du 16 mars 2006, Emsland-Stärke (C‑94/05, Rec. p. I‑2619, point 31).


56 – Voir supra, point 70.


57 – Voir supra, point 62 ainsi que jurisprudence citée en note 35.


58 – Article 15, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.


59 – Article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.


60 – Arrêt Toshiba Corporation e.a., précité en note 19 (point 62).


61 – Voir supra, points 20 et 21.


62 – Voir supra, point 92.


63 – Arrêt Wilhelm e.a., précité en note 51 (points 6 et 9).


64 – Arrêts du 1er octobre 2009, Compañía Española de Comercialización de Aceite (C‑505/07, Rec. p. I‑8963, point 52), et Toshiba Corporation e.a., précité en note 19 (point 81).


65 – Arrêts Wilhelm e.a., précité en note 51 (point 3); du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, Rec. p. I‑6619, point 38); Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., précité en note 37 (point 103), et Toshiba Corporation e.a., précité en note 19 (point 81).


66 – Arrêt Toshiba Corporation e.a., précité en note 19 (point 82).


67 –      Dans l’arrêt Expedia, précité en note 28, la Cour a déclaré qu’un accord susceptible d’affecter le commerce entre États membres et ayant un objet anticoncurrentiel constitue, par sa nature et indépendamment de tout effet concret de celui-ci, une restriction sensible du jeu de la concurrence (point 37), ce qui peut même être le cas lorsque les seuils fixés par la Commission dans sa communication de minimis ne sont pas atteints (point 38).


68 – Voir supra, point 44.


69 – Voir considérant 34 du règlement no 1/2003, qui souligne le rôle central des organes de l’Union dans la mise en œuvre des principes énoncés aux articles 81 et 82 du traité CE; voir, également, arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, précité en note 17 (point 105 in fine), et du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB (C‑344/98, Rec. p. I‑11369, point 46, première phrase), ainsi que point 38 de nos conclusions dans l’affaire Expedia, précitée en note 28.


70 – Voir, également, considérant 14 du règlement no 1/2003.


71 – Arrêt Tele2Polska, précité en note 33 (points 22 à 29 et 32).


72 – Considérants 6, 7 et 8 du règlement no 1/2003.


73 – Considérants 28 et 34 du règlement no 1/2003.


74 – Voir, en particulier, articles 5, premier alinéa, et 6 ainsi que considérants 6, 7 et 8 du règlement no 1/2003.


75 – Sur la portée de ces principes en droit de la concurrence, voir arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, Rec. p. I‑6297), et Manfredi e.a., précité en note 65.


76 – Sur cet objectif, voir références citées en note 34.


77 – Point 28, premier tiret, des lignes directrices de 2006.


78 – Sur l’importance d’une mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée, voir, outre la jurisprudence citée en note 75, le livre blanc de la Commission du 2 avril 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2008) 165 final]. Dans ce livre blanc, la Commission propose des mesures visant «à mettre en place un système efficace de mise en œuvre des règles [de concurrence] par la sphère privée s’appuyant sur les actions en dommages et intérêts qui complète, sans la remplacer ni la compromettre, l’action des pouvoirs publics dans ce domaine» (p. 4, section 1.2). La Cour AELE a, elle aussi, eu récemment l’occasion de mentionner l’importance de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée, soulignant qu’une telle mise en œuvre relève de l’intérêt public (arrêt de la Cour AELE du 21 décembre 2012, DB Schenker/Autorité de surveillance AELE, E‑14/11, point 132).