Language of document : ECLI:EU:C:2012:456

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Niilo Jääskinen

présentées le 12 juillet 2012 (1)

Affaire C‑202/11

Anton Las

contre

PSA Antwerp NV

[demande de décision préjudicielle formée par l’arbeidsrechtbank te Antwerpen (Belgique)]

«Interprétation de l’article 45 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Restrictions – Emploi des langues – Réglementation prévoyant une obligation pour une entreprise située dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique de rédiger en néerlandais, sous peine de nullité, tous les documents relatifs aux relations de travail – Contrat de travail présentant un caractère international – Article 4 TUE – Diversité linguistique – Identité nationale – Absence de proportionnalité des mesures en cause»





I –    Introduction

1.        Dans la présente affaire, l’arbeidsrechtbank te Antwerpen (tribunal du travail d’Anvers) (Belgique) demande à la Cour de statuer sur le point de savoir si les dispositions de l’article 45 TFUE (2) s’opposent à une réglementation telle que le décret de la Communauté flamande du Royaume de Belgique, adopté le 19 juillet 1973, réglant l’emploi des langues dans les relations sociales entre les employeurs et les travailleurs ainsi que dans les actes et documents d’entreprises prescrits par la loi et les règlements (3) (ci-après le «décret flamand sur l’emploi des langues»).

2.        En vertu de ce texte, dès lors qu’un employeur a son siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise (4), l’usage de cette langue est imposé pour toutes les «relations sociales», au sens large puisque cette notion apparaît englober, outre les contrats de travail, l’ensemble des contacts individuels et collectifs, tant verbaux qu’écrits, qui s’établissent entre les employeurs et les travailleurs et qui ont un rapport direct ou indirect avec l’emploi.

3.        Des exigences similaires mutatis mutandis figurent dans les normes de droit du travail des autres entités du Royaume de Belgique et de certains États membres de l’Union européenne, mais elles donnent lieu à des modalités d’application différentes.

4.        La demande de décision préjudicielle a été déférée à la Cour dans le cadre d’un litige survenu, au sujet du paiement de diverses sommes consécutivement à un licenciement, entre M. Las, ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas mais exerçant ses activités salariées principalement en Belgique, et son ancien employeur, PSA Antwerp NV (ci-après «PSA Antwerp»), société établie en Flandre appartenant à un groupe d’envergure internationale.

5.        En substance, la juridiction de renvoi invite la Cour à déterminer si le principe de la libre circulation des travailleurs s’oppose, au motif qu’une entrave non justifiée et/ou disproportionnée à cette liberté serait constituée, à ce qu’une réglementation d’un État membre impose, dans des conditions équivalentes à celles prévues par le décret en cause, l’usage d’une langue définie pour la rédaction de documents de travail, et ce lorsque les relations de travail en cause s’inscrivent dans un contexte transfrontalier.

6.        La Cour a déjà posé des jalons essentiels pour répondre à la présente demande, en disant pour droit dans l’arrêt Groener (5) que «[l]es dispositions du traité CEE ne s’opposent pas à l’adoption d’une politique qui vise la défense et la promotion de la langue d’un État membre qui est tout à la fois la langue nationale et la première langue officielle. Toutefois, la mise en œuvre de cette politique ne doit pas porter atteinte à une liberté fondamentale telle que la libre circulation des travailleurs. Dès lors, les exigences découlant des mesures destinées à mettre en œuvre une telle politique ne doivent en aucun cas être disproportionnées par rapport au but poursuivi et les modalités de leur application ne doivent pas comporter de discriminations au détriment des ressortissants d’autres États membres».

II – Le cadre juridique

7.        Le décret flamand sur l’emploi des langues (6), qui fait l’objet de la demande de décision préjudicielle, a été adopté sur le fondement de l’article 129, paragraphe 1, troisième alinéa, de la Constitution belge en application duquel «[l]es Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret, à l’exclusion du législateur fédéral, l’emploi des langues pour: [...] les relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements».

8.        L’article 1er, premier alinéa, du décret flamand sur l’emploi des langues définit le champ d’application de celui-ci en ces termes:

«Le présent décret est applicable aux personnes physiques et morales ayant un siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise [(7)]. Il règle l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi qu’en matière d’actes et de documents d’entreprise prescrits par la loi. […]»

9.        L’article 2 de ce décret dispose que «[l]a langue à utiliser pour les relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi que pour les actes et documents des entreprises prescrits par la loi, est le néerlandais».

10.      L’article 5 dudit décret est libellé comme suit:

«Sont établis par l’employeur en langue néerlandaise tous les actes et documents des employeurs, prescrits par la loi, tous les documents destinés à leur personnel.

Toutefois, si la composition du personnel le justifie et à la demande unanime des délégués-travailleurs du conseil d’entreprise ou, à défaut de conseil d’entreprise, à la demande unanime de la délégation syndicale ou, à défaut des deux, à la requête d’un délégué d’une organisation syndicale représentative, l’employeur doit joindre aux avis, communications, actes, certificats et formulaires destinés au personnel, une traduction en une ou plusieurs langues.

[…]»

11.      L’article 10, premier, deuxième et cinquième alinéas, du même décret prévoit, au titre des sanctions de nature civile:

«Les documents ou les actes qui sont contraires aux dispositions du présent décret sont nuls. La nullité en est constatée d’office par le juge.

L’auditeur du travail compétent, le fonctionnaire de la Commission permanente de Contrôle linguistique et toute personne ou association pouvant justifier d’un intérêt direct ou indirect peuvent demander le constat de nullité devant le tribunal du travail du lieu où l’employeur est établi.

[…]

Le constat de nullité ne peut porter préjudice au travailleur et laisse subsister les droits de tiers. L’employeur répond du dommage causé par ses documents ou actes nuls au travailleur ou aux tiers.

[…]»

III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

12.      Sur la base d’une «Letter of Employment» datée du 10 juillet 2004 et rédigée en anglais (ci-après le «contrat de travail»), M. Las, ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas, a été engagé en qualité de «Chief Financial Officer», pour une durée indéterminée, par PSA Antwerp (8), société sise à Anvers (Belgique) mais appartenant à un groupe multinational exploitant des terminaux portuaires qui a son siège à Singapour. Le contrat de travail prévoyait que M. Las exerce ses activités professionnelles principalement en Belgique, même si certaines prestations devaient être fournies au départ des Pays-Bas.

13.      Par lettre du 7 septembre 2009 rédigée en anglais, M. Las a été licencié avec effet immédiat. En application de l’article 8 du contrat de travail, PSA Antwerp a versé à M. Las une indemnité de licenciement égale à trois mois de salaire ainsi qu’une indemnité complémentaire égale à six mois de salaire.

14.      Par courrier du 26 octobre 2009, l’avocat de M. Las a fait valoir auprès de PSA Antwerp que le contrat de travail, notamment son article 8, n’était pas rédigé en langue néerlandaise et que cette clause violait donc le droit applicable. Il a exigé le versement d’une indemnité de licenciement égale à 20 mois de salaire, l’arriéré de pécule de vacances, la prime de l’exercice 2008 et le pécule de vacances y afférent ainsi qu’une indemnité pour solde des jours de vacances non utilisés.

15.      La juridiction de renvoi indique que bien que le contrat de travail en cause contienne une clause attribuant compétence aux juridictions néerlandaises ainsi qu’une clause prévoyant l’application du droit néerlandais, les parties au litige au principal ont admis que le tribunal du travail belge était compétent et que le droit belge s’appliquait, en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (9). En revanche, les parties sont divisées concernant la langue qui aurait dû être utilisée pour la rédaction du contrat de travail et les conséquences qui en découlent.

16.      Le 23 décembre 2009, M. Las a saisi l’arbeidsrechtbank te Antwerpen aux fins d’obtenir la condamnation de PSA Antwerp à lui verser des sommes considérablement plus élevées que celles obtenues. Au soutien de ses prétentions, il a invoqué notamment que l’article 8 de son contrat de travail rédigé en anglais était entaché de nullité absolue pour violation des dispositions du décret flamand sur l’emploi des langues prévoyant l’usage du néerlandais dans les entreprises dont le siège d’exploitation est établi dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique.

17.      PSA Antwerp a opposé que ledit décret ne saurait être appliqué à des situations dans lesquelles une personne exerce son droit à la libre circulation des travailleurs, dès lors que ce texte constituerait un obstacle à cette liberté fondamentale ne pouvant pas être justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général au sens de la jurisprudence de la Cour. PSA Antwerp a ajouté que le contrat de travail devait être respecté dès lors que le document en cause était conforme à la volonté des parties exprimée dans une langue compréhensible par chacune d’elles, à savoir l’anglais, étant précisé que le directeur de ladite société qui l’a signé est un ressortissant singapourien ne maîtrisant pas le néerlandais.

18.      Faisant suite à la demande de renvoi préjudiciel formée par PSA Antwerp et éprouvant des doutes quant au fait qu’un motif d’intérêt général requière d’exiger que le contrat de travail soit rédigé en néerlandais dans une situation transfrontalière telle que celle en cause dans laquelle les parties – en l’occurrence un employé néerlandophone et un employeur non néerlandophone – ont manifestement choisi, en raison de l’importance de la fonction à occuper, de rédiger un contrat de travail dans une langue comprise par les deux parties, l’arbeidsrechtbank te Antwerpen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, par décision de renvoi enregistrée le 29 avril 2011:

«Le décret flamand sur l’emploi des langues du 19 juillet 1973 enfreint‑il l’article [45 TFUE] relatif à la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne, dans la mesure où il impose à toute entreprise dont le siège est établi dans la région de langue [néerlandaise], à peine de nullité, de rédiger en néerlandais tous les documents relatifs à la relation de travail lorsqu’elle engage un travailleur pour un emploi à caractère international?»

19.      Des observations écrites ont été fournies à la Cour par M. Las, PSA Antwerp, les gouvernements belge et grec, la Commission européenne, ainsi que l’Autorité de surveillance AELE (10).

20.      Lors de l’audience du 17 avril 2012, toutes ces parties ont été représentées.

IV – Analyse

A –    Propos liminaires

21.      Les parties ayant présenté des observations à la Cour sont divisées quant à la réponse à apporter à la question préjudicielle susmentionnée. PSA Antwerp et l’Autorité de surveillance AELE estiment que le principe de la libre circulation des travailleurs s’oppose à une réglementation telle que celle en cause, tandis que les autres intervenants, à savoir M. Las à titre subsidiaire, les gouvernements belge et grec, ainsi que la Commission, considèrent le contraire.

22.      S’agissant de l’applicabilité du droit de l’Union dans le cadre de la présente affaire je relève que le caractère transfrontalier de la relation de travail en cause au principal provient de plusieurs éléments. En effet, le salarié intéressé est un ressortissant néerlandais qui réside aux Pays-Bas, mais il est amené, en vertu d’un contrat de travail rédigé en langue anglaise, à exercer ses prestations de travail tant en Belgique qu’aux Pays-Bas pour une entreprise appartenant à un groupe multinational et dont le siège d’exploitation est situé en Belgique, plus précisément dans la région de langue néerlandaise.

23.      M. Las ayant ainsi fait usage de la liberté des ressortissants de l’Union de circuler d’un État membre à un autre en tant que travailleur, il en résulte que sa situation n’est pas «purement interne», au sens de la jurisprudence constante de la Cour (11), et relève donc bien du champ d’application des dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi.

24.      Par ailleurs, le fait que la libre circulation des travailleurs soit ici invoquée non pas par lui-même mais par son ancien employeur ne rend pas le droit de l’Union inapplicable, au vu de la jurisprudence de la Cour. En effet, comme celle-ci l’a déjà mis en exergue, pour être efficace et utile, le droit des travailleurs d’être recrutés et d’exercer une activité sans discrimination a pour nécessaire corollaire le droit des employeurs d’engager ceux-ci dans le respect des règles relatives à la liberté de circulation des travailleurs. Sinon, les États membres auraient la possibilité de contourner aisément ces règles en imposant aux employeurs des conditions d’embauche aboutissant à restreindre l’exercice de cette liberté à laquelle un travailleur peut prétendre (12).

B –    Sur l’existence d’une entrave à la libre circulation des travailleurs

25.      Conformément à une jurisprudence bien établie (13), l’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes s’opposent aux mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’usage, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité. En particulier, sont prohibées les mesures qui rendent plus difficile l’exercice d’une activité économique sur le territoire d’un autre État membre.

26.      Je relève qu’il n’y a pas de norme d’harmonisation dans le droit dérivé de l’Union qui soit applicable à l’usage des langues s’agissant de la rédaction des documents de travail (14). En particulier, comme le souligne la Commission, la directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991, relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail, ne contient pas de dispositions concernant la langue à employer à cette fin (15).

27.      En cela, la présente affaire doit être distinguée d’autres affaires dans lesquelles la Cour a eu à se prononcer sur des entraves résultant d’exigences linguistiques en matière de libre circulation des personnes (16). De même, la jurisprudence antérieure concernant des restrictions de cette nature ayant porté atteinte à d’autres libertés fondamentales garanties par le traité ne fournit pas d’indications qui permettraient de répondre aisément à la question préjudicielle posée dans la présente affaire (17).

28.      Je souligne que dans la présente affaire, la juridiction de renvoi a expressément circonscrit l’objet de sa demande. En effet, la question préjudicielle porte sur la rédaction de documents de travail, et donc uniquement sur les relations de travail écrites, même si la réglementation en cause paraît régir aussi les relations de travail orales. De surcroît, la question posée est située dans le contexte particulier d’un «emploi à caractère international», selon son libellé.

29.      D’après les informations dont je dispose, la grande majorité des législations des États membres ne formulent pas d’obligations quant à la langue à employer dans le cadre des relations de travail. À ma connaissance, dans 17 sur 25 États membres (18), il n’y a pas d’exigences linguistiques équivalant à celle qui existe dans le décret flamand sur l’emploi des langues, mais une telle obligation figure dans des normes en vigueur au sein de 8 États membres (19).

30.      En imposant l’usage du néerlandais pour tous les actes et documents relatifs à la relation de travail, pour les ressortissants belges comme pour les ressortissants étrangers employés par des entreprises établies dans la région de langue néerlandaise, le décret en cause est à mon avis susceptible d’avoir un effet dissuasif envers les travailleurs et les employeurs non néerlandophones, à savoir généralement ceux en provenance d’États membres autres que le Royaume de Belgique et le Royaume des Pays-Bas.

31.      J’estime qu’une entrave linguistique existe pour ces derniers non seulement s’agissant des conditions d’entrée dans une activité professionnelle, mais également s’agissant des conditions d’exercice de cette activité.

32.      Ainsi, il est envisageable qu’un travailleur ne maîtrisant pas le néerlandais hésite à signer un contrat rédigé en cette langue, par crainte de ne pas bien saisir ce à quoi il s’engage. Une préférence peut logiquement être donnée par les recruteurs relevant du champ d’application dudit décret à un candidat du fait qu’il est néerlandophone, et non en fonction d’autres critères d’embauche que ces recruteurs auraient pu vouloir privilégier si une telle réglementation n’avait pas existé.

33.      Ce constat vaut nonobstant le fait que dans le cadre du litige au principal M. Las n’aurait, en pratique, pas été défavorisé si ledit décret avait été respecté puisqu’il maîtrise le néerlandais, comme il le fait valoir pour revendiquer l’application de ladite réglementation à son profit.

34.      Par effet miroir de l’entrave ainsi subie par les travailleurs, les employeurs originaires d’autres États membres qui sont établis dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique ne peuvent pas offrir des conditions d’emploi dégagées des freins linguistiques mis par le décret en cause. En pratique, ils se trouvent incités à ne recruter que des salariés comprenant le néerlandais, pour lesquels il sera plus facile d’échanger dans cette langue. De surcroît, contrairement aux entreprises originaires de ladite région, les employeurs ayant une envergure internationale qui y établissent leur siège d’exploitation doivent faire face à des complications administratives et des coûts de fonctionnement supplémentaires. En effet, la langue de travail, d’administration et de gestion, de tels employeurs est souvent une langue autre que le néerlandais. Ils sont alors contraints de remplacer leurs formulaires habituels de contrats de travail et de tous autres actes ou documents de travail qui relèvent de la gestion du personnel, et de demander à des juristes néerlandophones de les aider à cette fin.

35.      La Cour a d’ailleurs admis, dans l’arrêt Commission/Allemagne, précité, que l’obligation imposée par un État membre aux employeurs étrangers qui emploient des travailleurs sur le territoire national de traduire dans la langue de cet État certains documents de travail était susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services, en ce qu’elle entraînait des frais ainsi que des charges administratives et financières supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre État membre (20).

36.      J’ajoute que de tels employeurs peuvent être confrontés à une insécurité juridique considérable si, comme en vertu de la réglementation en cause au principal, la violation de l’exigence linguistique est sanctionnée par une nullité qui modifie l’équilibre des relations contractuelles.

37.      L’importance des sanctions encourues en cas de non-respect des règles posées par le décret flamand sur l’emploi des langues (21), point sur lequel je reviendrai, peut constituer un autre élément de nature à faire obstacle au plein exercice de la liberté de circulation des travailleurs. À cet égard, il est de jurisprudence qu’il peut exister des sanctions qui sont revêtues d’une gravité telle qu’elles engendrent une entrave aux libertés fondamentales garanties par le droit primaire, l’ampleur de cette gravité étant à apprécier par la juridiction nationale saisie (22).

38.      Les employés et les employeurs non néerlandophones étant ainsi susceptibles d’être découragés d’exercer lesdites libertés par les contraintes linguistiques résultant d’une réglementation telle que celle en cause au principal, une entrave à la libre circulation des travailleurs existe selon moi dans ce cadre, entrave qui n’est ni incertaine ni indirecte, contrairement à ce que prétend M. Las. La question qui se pose ensuite est de savoir si un tel obstacle peut néanmoins être justifié, dans des conditions conformes à la jurisprudence de la Cour.

39.      Je note au passage, même s’il s’agit d’une autre problématique juridique, qu’à l’évidence, il n’y a pas de discrimination directe dans la présente affaire, puisque la réglementation en cause est applicable aux employeurs et aux employés sans distinction tenant à leur nationalité. En revanche, il m’apparaît qu’il existe une discrimination indirecte en ce que, sous couvert de critères apparemment neutres, la barrière linguistique tenant à l’utilisation obligatoire du néerlandais rend plus difficile tant l’accès à l’emploi que les modalités d’exercice de l’emploi dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique pour les ressortissants d’autres États membres, hormis ceux en provenance des Pays-Bas. Néanmoins, une telle discrimination indirecte est inhérente à toute exigence relative à la connaissance ou à l’usage d’une langue et est susceptible d’être justifiée par les mêmes motifs que ceux invoqués à l’égard d’une entrave linguistique. En conséquence, je ne consacrerai pas de développements séparés à cette question.

C –    Sur les éventuelles justifications de l’entrave constatée

40.      Il est de jurisprudence que les mesures nationales constituant des entraves à l’exercice effectif des libertés fondamentales garanties par le traité peuvent néanmoins être admises à condition qu’elles poursuivent un objectif relevant de la qualification de raison impérieuse d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation d’un tel objectif et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (23).

41.      En l’espèce, la question qui se pose est de savoir si l’obstacle mis à la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE est dûment justifié par des objectifs légitimes ainsi que par l’emploi de moyens à la fois appropriés et proportionnés pour atteindre ceux-ci. Tel n’est pas le cas selon moi, pour les raisons qui suivent, étant précisé d’emblée que si j’admets la légitimité en soi des trois motifs invoqués pour défendre la réglementation en cause, je récuse en revanche tant le caractère nécessaire que le caractère proportionné des méthodes utilisées à cette fin (24).

1.      Sur le caractère inadapté des mesures en cause au regard des objectifs d’intérêt général invoqués

42.      Le décret flamand sur l’emploi des langues ne mentionne pas les raisons précises pour lesquelles le législateur de la région linguistique concernée a prévu l’unique usage de la langue néerlandaise pour toutes les relations de travail, dans les conditions prévues par cette réglementation. Le seul élément certain est que ce décret a pour fondement juridique l’article 129, paragraphe 1, point 3, de la Constitution belge qui confère compétence exclusive au Parlement de la Communauté flamande pour régir, dans le cadre du territoire le concernant, les modalités de l’emploi des langues dans les relations sociales entre les employeurs et leur personnel ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements, étant précisé que la même compétence est formulée parallèlement en faveur du Parlement de la Communauté française.

43.      Toutefois, selon les indications données à la Cour par le gouvernement belge, trois motifs de justification sont susceptibles d’être avancés: l’un tenant à la protection des travailleurs, l’autre tenant à l’exercice d’un contrôle efficace par les autorités administratives et judiciaires, et le dernier tenant à la défense et à la stimulation de l’usage de la langue officielle d’une entité régionale. Il convient d’examiner si l’entrave relevée peut être justifiée par un de ces motifs, à titre de raisons impérieuses d’intérêt général, au sens de la jurisprudence susmentionnée.

a)      S’agissant du motif tiré de la protection des travailleurs

44.      Au soutien du décret flamand sur l’emploi des langues, le gouvernement belge invoque des préoccupations d’ordre social, étant rappelé que la Cour a itérativement jugé que la protection des travailleurs figure parmi les objectifs d’intérêt général susceptibles de servir de fondement à une restriction aux libertés fondamentales (25).

45.      Cependant, l’usage obligatoire et exclusif de la langue néerlandaise ne peut en réalité protéger que les travailleurs qui maîtrisent suffisamment cette langue pour comprendre ce que signifient les informations que l’employeur leur notifiera en néerlandais oralement ou par écrit. En revanche, les travailleurs non néerlandophones sont défavorisés par rapport aux autres, non seulement lorsqu’ils cherchent à accéder à un emploi, dont l’exercice devra donner lieu à des échanges en néerlandais en vertu du décret en cause, mais aussi pendant toute la durée de cet emploi, dans l’hypothèse où ils réussiraient à dépasser la barrière à l’embauche. Pour ces derniers, il peut résulter de ladite réglementation une incertitude concernant le contenu précis des droits et des devoirs résultant de leur contrat de travail et concernant les conditions exactes de leur activité professionnelle, insécurité à la fois juridique et pratique à laquelle ils ne peuvent remédier qu’avec l’assistance de tierces personnes.

46.      La protection effective de toutes les catégories de travailleurs exigerait plutôt que le contrat de travail soit accessible dans une langue que l’employé comprend aisément, de façon à ce que son consentement soit pleinement éclairé, et non vicié. Je rappelle que la directive 91/533 prévoit que l’employeur est tenu de porter, par écrit, à la connaissance du travailleur auquel cette directive s’applique tous les éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail dont la liste figure à l’article 2 de ladite directive. Il m’apparaît nécessaire que, pour qu’elle ait un effet utile, cette information, concernant un minimum de données que le travailleur ne doit pas ignorer, lui soit transmise dans une langue qu’il maîtrise suffisamment pour saisir les enjeux de la relation de travail. Or, le décret flamand sur l’emploi des langues prévoit des moyens qui ne sont pas appropriés pour atteindre cet objectif, puisqu’il ne dispose pas qu’il soit vérifié que les parties au contrat ont une maîtrise suffisante du néerlandais pour le signer en connaissance de cause.

47.      La Commission abonde dans le sens du gouvernement belge en arguant que la Cour aurait admis l’intérêt particulier de la langue nationale du lieu où les travailleurs exercent leur activité, dans l’arrêt Everson et Barrass (26). Il est vrai que lorsqu’un travailleur salarié est appelé à travailler dans plusieurs États membres, le locus laboris correspond, dans la plupart des cas, à l’environnement social et linguistique qui lui est familier (27). Toutefois, cette règle générale connaît aussi des exceptions en pratique. À mon avis, l’arrêt en question ne signifie pas qu’il soit nécessairement dans l’intérêt des travailleurs d’exiger l’usage systématique d’une langue définie, celle de leur lieu d’activité principal ou même une autre, dans le contrat de travail. En effet, la langue véhiculaire, à savoir une langue commune au travailleur et à son employeur qui garantisse une communication effective et équilibrée entre eux, n’est pas forcément la langue officielle du lieu où s’exerce l’activité professionnelle, qu’elle soit nationale ou régionale.

48.      Ainsi, il n’est ni adéquat, ni nécessaire à la réalisation de l’objectif licite poursuivi, d’imposer l’usage exclusif du néerlandais pour s’assurer que l’employé d’une entreprise dont le siège est situé dans la région concernée aura bien un accès effectif aux informations dont il a besoin tant avant qu’après son engagement contractuel. Une alternative, selon laquelle il serait permis aux parties d’employer d’autres langues en plus de l’usage du néerlandais, quitte à ce qu’une traduction dans cette dernière langue soit imposée le cas échéant, pourrait selon moi être davantage performante pour assurer la sauvegarde des intérêts du travailleur.

b)      S’agissant du motif tiré de l’efficacité des contrôles administratifs et judiciaires

49.      Ce deuxième motif de légitimation paraît lié à celui qui précède, en ce qu’il s’agirait là de garantir l’effectivité de la protection des travailleurs par un contrôle du respect de celle-ci, comme le relève la Commission. Ce motif est certes licite en tant que tel (28), mais il est en l’occurrence tout aussi inopérant que le premier, dont il est le corollaire.

50.      Il est vrai que l’intervention des autorités administratives, telles que l’inspection du travail, ou des autorités juridictionnelles, si le litige est porté en justice, se trouve facilitée dès lors que celles-ci peuvent examiner les documents afférents à la relation de travail faisant l’objet du litige dans une langue que les représentants de ces autorités connaissent. Les mêmes préoccupations se retrouvent dans des législations en vigueur dans d’autres États membres qui sont analogues à la réglementation en cause (29).

51.      Néanmoins, à mon sens, cet objectif peut, là aussi, être atteint de façon plus adéquate par le truchement de la production, en tant que de besoin, de traductions de ces documents de travail dans la langue officielle localement utilisée, sans qu’il soit nécessaire d’en imposer l’usage exclusif ab initio.

52.      En effet, dans l’arrêt Commission/Allemagne, précité (30), la Cour a jugé que l’obligation de traduction de documents de travail imposée aux employeurs étrangers pouvait être justifiée par un objectif d’intérêt général lié à la protection sociale des travailleurs, dès lors qu’elle permettait aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil d’accomplir les contrôles nécessaires pour garantir le respect effectif des dispositions nationales en la matière. Toutefois, la Cour a aussi précisé dans cet arrêt que c’était seulement dans la mesure où elle n’imposait la traduction que d’un nombre limité de documents et n’entraînait pas une charge administrative ou financière lourde pour l’employeur que cette exigence était conforme aux dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services (31).

53.      Par analogie, en matière de libre circulation des travailleurs, il m’apparaît que le moyen extensif auquel le décret flamand sur l’emploi des langues a recours, en imposant l’usage du néerlandais pour tous les documents de travail, dans ce même objectif semble-t-il, n’est pas indispensable pour que les contrôles en question puissent être réalisés dans de bonnes conditions.

c)      S’agissant du motif tiré de la défense de la langue officielle

54.      Cette troisième justification a été mise en exergue par le gouvernement belge, qui a argué que la promotion de l’emploi de la langue officielle serait prévue par la Constitution belge. Je relève que plusieurs États membres et entités linguistiques du Royaume de Belgique basent sur des fondements de cet ordre leur législation imposant l’usage d’une langue définie dans les relations de travail (32).

55.      La protection d’une langue officielle, qu’elle soit nationale ou régionale, constitue un objectif d’intérêt général dont la Cour a admis la légitimité pour justifier l’adoption d’une politique qui vise la défense et la promotion d’une telle langue (33). Néanmoins, je considère que, dans la présente affaire, l’exigence formulée par la réglementation en cause implique le recours à des moyens qui ne sont pas adéquats pour répondre effectivement à cet objectif.

56.      À cet égard, le gouvernement grec a mis en avant le principe de la diversité linguistique, en se fondant notamment sur l’article 165 TFUE et sur l’article 3, paragraphe 3, quatrième alinéa, TUE. L’article 22 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (34), qui a force obligatoire, contient aussi une référence à cette notion, puisqu’il prévoit que l’Union respecte ladite diversité.

57.      Toutefois, ce principe de diversité linguistique, qui contraint seulement les institutions et les organes de l’Union, ne saurait être invoqué par un État membre à l’encontre des citoyens de l’Union pour justifier une restriction aux libertés fondamentales auxquelles ceux-ci peuvent prétendre.

58.      Dans ses conclusions concernant l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Espagne/Eurojust (35), l’avocat général Maduro a mis en exergue que «le respect de la diversité linguistique est l’un des aspects essentiels de la protection accordée à l’identité nationale des États membres» (36). Néanmoins, je souligne que dans cette affaire, le concept de diversité linguistique a été invoqué uniquement par des candidats ayant postulé à des emplois offerts par l’Union européenne et à l’encontre de celle-ci, non par des États membres aux fins de défendre leur politique d’uniformité linguistique face à des principes du droit de l’Union. En d’autres termes, ce concept a été utilisé non pas pour justifier des mesures nationales constituant des entraves tenant à l’usage des langues, mais seulement pour appréhender le régime linguistique propre à l’Union.

59.      Pour sa part, la notion d’identité nationale, que les institutions de l’Union sont tenues de respecter en vertu de l’article 4, paragraphe 2, TUE, comprend les aspects linguistiques de l’ordre constitutionnel d’un État membre, qui définissent notamment la langue officielle ou les diverses langues officielles de l’État ainsi que, le cas échéant, les subdivisions territoriales dans lesquelles ces dernières sont en usage (37). Ainsi, le concept d’«identité nationale» concerne les choix faits quant aux langues usitées au niveau national voire régional (38), tandis que le concept de «diversité linguistique» porte sur le multilinguisme existant au niveau de l’Union. Il en découle selon moi que cette dernière notion ne fait pas partie des considérations qui sont opposables aux personnes physiques ou morales ressortissantes de l’Union. Il serait même paradoxal d’utiliser ce fondement pour permettre aux États membres de contraindre des particuliers à utiliser dans leurs communications une langue autre que celle de leur libre choix.

60.      Les règles du droit de l’Union relatives au respect de l’identité nationale des États membres, qui dans le cas du Royaume de Belgique comprend incontestablement sa division de source constitutionnelle en communautés linguistiques, soutiennent plutôt l’idée que, comme la Cour l’a déjà jugé, la politique de défense d’une langue est un motif pouvant autoriser un État membre à recourir à des mesures restreignant les libertés de circulation (39).

61.      Cependant, l’usage obligatoire de la langue d’un État membre par les ressortissants ou les entreprises d’autres États membres exerçant leurs libertés fondamentales, tel que celui résultant de la réglementation en cause, ne répond pas véritablement à cet objectif. Il ne saurait être soutenu que la simple rédaction de contrats de travail à caractère transfrontalier dans une langue autre que le néerlandais par quelques entreprises ayant leur siège en Flandre serait susceptible de menacer la prospérité de l’usage de cette dernière langue. Il en va différemment lorsqu’une relation de travail met en jeu la transmission de connaissances, comme dans le cadre de l’enseignement scolaire ou universitaire, domaine touchant à la sauvegarde de l’identité culturelle d’un État membre (40) qui justifie de pouvoir exiger d’un candidat à l’embauche qu’il ait des compétences linguistiques particulières (41).

62.      À mon avis, un employé n’ayant pas fait usage de sa liberté de travailler dans un autre État membre de l’Union peut normalement exiger de pouvoir travailler en utilisant sa propre langue, si c’est la langue officielle de la région où il exerce ses activités professionnelles. Cela résulte selon moi de la nature particulière du lieu de travail, qui se trouve à mi-chemin entre une sphère purement publique et une sphère purement privée. Cette nature légitime aussi que les politiques visant la défense de la langue nationale voire régionale puissent être mises en œuvre dans ce lieu, en ce que c’est la langue officielle qui est de préférence utilisée comme étant la langue de communication.

63.      Toutefois, la liberté contractuelle doit être respectée en ce sens que l’employé peut accepter de pratiquer une langue propre à son environnement de travail, qui serait différente de la sienne et de celle usitée localement, surtout s’il s’agit d’une relation de travail s’inscrivant dans un contexte international (42), comme la décision de renvoi le vise expressément. J’estime que, au sein de l’Union, les employeurs devraient avoir la faculté de définir une langue de travail commune pour les membres de leur personnel qui, pour une entreprise établie dans plusieurs États membres, peut être une autre que celle utilisée sur le plan régional ou national. Cette considération vaut au moins pour les postes les plus élevés, comme ceux de cadres ou d’experts, et de façon générale, pour les postes nécessitant de communiquer dans la langue comprise par les autres salariés ou les clients étrangers de l’entreprise.

64.      Si la défense et la promotion d’une langue officielle sont des objectifs licites en tant que tels, les moyens utilisés à cette fin doivent rester en adéquation par rapport à ces objectifs et non excéder ce que ces derniers nécessitent. Or, le fait qu’une mesure nationale ou régionale cherche à imposer un monolinguisme exclusif, impliquant que les langues des autres États membres ne puissent aucunement être utilisées à titre alternatif dans un domaine donné, ne me paraît pas légitime au regard des principes du droit de l’Union.

65.      Compte tenu de ces éléments, la protection de la langue ne saurait servir de justification valable à une réglementation telle que celle en cause au principal, en ce que cette dernière ne permet de prendre en compte ni la volonté des parties à la relation de travail, ni le fait que l’employeur relève d’un groupe international d’entreprises.

66.      En conséquence, je considère que le décret flamand sur l’emploi des langues porte, à l’encontre de la libre circulation des travailleurs prévue à l’article 45 TFUE, une atteinte non justifiée dès lors qu’il a recours à des moyens qui ne sont pas propres à garantir la réalisation des trois objectifs légitimes ayant été invoqués.

67.      J’ajoute qu’un autre grief peut être retenu contre ledit décret, dans la mesure où celui-ci ne respecte pas le critère de la proportionnalité tel que défini par la jurisprudence de la Cour.

2.      Sur le caractère disproportionné des moyens employés dans les mesures en cause

68.      Il existe deux facteurs permettant selon moi de considérer que le décret flamand sur l’emploi des langues contient des mesures qui ne sont pas proportionnées par rapport aux objectifs invoqués et que, partant, les dispositions de l’article 45 TFUE s’y opposent. Il s’agit d’une part, de la portée excessivement large de l’obligation de faire exclusivement usage d’une langue, à savoir le néerlandais, dans les relations de travail visées par ledit décret et, d’autre part, de l’importance des sanctions infligées au cas où cette obligation ne serait pas respectée.

a)      S’agissant de l’étendue de l’exigence linguistique

69.      Il apparaît que le décret mis en cause impose à l’ensemble des employeurs dont le siège d’exploitation est situé dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique d’utiliser cette langue dans toutes les relations de travail qu’ils établissent avec leurs employés, tant écrites qu’orales, bien que les besoins linguistiques puissent être différents selon le type de relations de travail concerné et au regard du contexte éventuellement transfrontalier dans lequel celles-ci s’inscrivent.

70.      À mon avis, les intérêts qui, selon le gouvernement belge, sont défendus par cette réglementation régionale pourraient être préservés de façon plus adéquate par des moyens autres qu’une contrainte linguistique ayant une portée aussi absolue et générale. Ainsi, je considère qu’une traduction en néerlandais des principaux documents de travail qui seraient rédigés dans une autre langue pourrait suffire pour atteindre les trois objectifs susmentionnés.

71.      Il me semble que le projet d’intégration européenne perd de son sens si les États membres peuvent imposer aux acteurs économiques, tels que les employeurs et les employés, l’usage d’une langue définie dans une proportion qui dépasse les restrictions à la liberté contractuelle qui sont strictement nécessaires pour satisfaire à des objectifs d’intérêt général. Dans le cadre des relations de travail internationales, l’autonomie de la volonté des parties quant à la détermination de la langue dont elles se servent entre elles doit prédominer pour que les échanges transfrontaliers soient facilités (43), même si un juste équilibre entre la liberté de circulation des travailleurs et la protection de ces derniers doit bien entendu être trouvé.

72.      Il serait selon moi justifié de permettre aux parties à une relation de travail transfrontalière d’utiliser la langue de leur choix dans la mesure où ce choix correspond à la volonté commune des parties ou dans la mesure où les fonctions à exercer nécessitent de recourir à une langue pouvant être différente de celle employée localement (44). Or, le décret flamand sur l’emploi des langues s’applique de façon générale, en faisant totalement abstraction des langues connues et habituellement utilisées par l’employeur et l’employé concernés ainsi que de la nature de l’emploi à occuper.

73.      Je considère qu’il serait incohérent, et même paradoxal, que selon l’arrêt Groener, précité, il ne soit pas possible, sauf cas particulier, d’exiger d’un travailleur qu’il connaisse la langue de l’État membre où il exerce, mais qu’il soit en revanche permis de lui imposer que le contrat de travail qu’il doit signer soit rédigé dans une langue qu’il ne maîtrise pas et donc ne comprend pas.

74.      Comme cela est suggéré par l’Autorité de surveillance AELE, il est nécessaire, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’introduire plus de souplesse dans les exigences linguistiques lorsque les relations de travail se déroulent à l’international, comme en l’espèce, que lorsqu’elles ont un caractère purement interne. En effet, dans le cadre de relations de travail transfrontalières, il est préférable que les parties puissent utiliser une langue véhiculaire, qu’elles comprennent l’une et l’autre, plutôt que de leur imposer l’usage exclusif d’une langue définie, même si cette dernière est une des langues officielles du lieu d’exercice de son activité par l’employé.

75.      En particulier, je ne perçois pas en quoi la langue néerlandaise serait mise en péril par le fait d’utiliser une autre langue dans un contrat de travail tel que celui en cause au principal, à savoir conclu entre un employé qui a fait usage de sa liberté de circulation et un employeur qui est une société appartenant à un groupe d’envergure internationale.

76.      J’observe que la réglementation en cause ne permet une traduction obligatoire des documents de travail vers une langue autre que le néerlandais que moyennant une procédure lourde, requérant des conditions particulièrement difficiles à satisfaire (45), ce qui fait qu’en pratique, elles seront sans doute rarement réunies à mon avis. D’autres moyens moins contraignants, mais néanmoins tout autant voire plus efficaces, existent pour protéger les travailleurs, tout en préservant l’usage de la langue régionale, telle l’ouverture de la possibilité, lorsque le travailleur ou l’employeur ne maîtrise pas ladite langue, d’avoir plus facilement recours à des traductions vers une langue que l’intéressé comprend de façon suffisante.

77.      Or, il ne ressort pas des éléments versés au débat que l’introduction de cette possibilité dans la réglementation litigieuse, qui faciliterait l’exercice de leur liberté de circulation dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique par les employés ainsi que les employeurs d’autres États membres qui ne sont pas néerlandophones, nuirait à la réalisation des objectifs susmentionnés (46).

78.      Ainsi, de par son champ d’application excessivement large et son caractère exclusif, alors que d’autres moyens existent pour atteindre les objectifs d’intérêt général invoqués, le décret flamand sur l’emploi des langues contient des mesures qui sont disproportionnées par rapport à ces derniers.

b)      S’agissant des sanctions prévues en cas de manquement

79.      À l’instar de législations existant dans d’autres États membres, la réglementation en vigueur dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique prévoit que la violation de l’obligation de faire usage d’une langue définie peut être sanctionnée tant sur le plan civil que sur le plan pénal (47).

80.      Les sanctions civiles sont certes généralisées dans les législations qui formulent des exigences linguistiques en matière de relations de travail, mais toutes celles dont j’ai connaissance ne vont pas aussi loin dans la coercition que le décret flamand sur l’emploi des langues. En effet, la nullité des actes ou documents violant ce décret est encourue dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique, cette nullité produisant un effet anéantissant à la fois pour l’avenir et pour le passé (48), tandis que la voie d’une simple inopposabilité à l’égard du travailleur du document irrégulier, accompagnée de l’obligation d’assurer son remplacement par un document conforme à la réglementation, a été retenue dans certaines autres entités du Royaume de Belgique (49), comme dans d’autres États membres (50). Il me semble que ce dernier moyen, qui permet de préserver la continuité des relations de travail, serait aussi efficace qu’une nullité rétroactive du contrat de travail concerné pour atteindre les objectifs d’intérêt général qui sont poursuivis par ledit décret selon le gouvernement belge. En cela, la réglementation en cause m’apparaît excéder les mesures nécessaires à cette fin.

81.      S’agissant de la portée erga omnes ou non du constat de la nullité, je relève qu’aux termes de la décision de renvoi préjudiciel, l’article 10, premier alinéa, du décret flamand sur l’emploi des langues sanctionne la violation des dispositions de celui-ci «d’une nullité absolue ex tunc et la pièce concernée est réputée n’avoir jamais existé. Il en résulte que le juge ne peut pas tenir compte des documents rédigés dans une langue non conforme au décret et qu’il ne peut pas prendre leur contenu en considération, en particulier en ce qui concerne l’expression de la volonté».

82.      Il est vrai que le caractère absolu de cette nullité a été débattu par les parties ayant fourni des observations à la Cour, certaines ayant relevé que le cinquième alinéa de ce même article prévoit que «[l]e constat de nullité ne peut porter préjudice au travailleur et laisse subsister les droits de tiers». Il m’apparaît que la juridiction a quo ne méconnaît pas cette règle, puisqu’elle mentionne aussi dans sa décision que «le travailleur peut se prévaloir des conditions qui lui sont favorables et opposer la nullité de celles qui lui sont désavantageuses». À mon avis, le caractère absolu, et non relatif, de la nullité en question résulte en réalité de ce que toute personne pouvant justifier d’un intérêt peut demander en justice le constat de la nullité d’un document irrégulier, dans les conditions prévues à l’article 10, deuxième alinéa, du décret flamand sur l’emploi des langues. Quoi qu’il en soit, du point de vue des employeurs, tout manquement aux exigences linguistiques du décret flamand est lourdement sanctionné sur le plan civil, puisque, si j’en crois l’analyse faite par cette juridiction, un contrat de travail tel que celui signé par M. Las pourrait produire des effets uniquement à l’encontre de l’ancien employeur en application dudit décret (51).

83.      Quant au pouvoir coercitif des autorités judiciaires à l’égard des exigences linguistiques posées en matière de relations de travail, il diffère en fonction des États membres. Alors que dans certaines législations nationales (52) figure une interdiction pour le juge de soulever d’office le manquement à l’obligation de faire usage d’une langue définie, une telle faculté existe ailleurs (53). C’est seulement dans les régions de langues néerlandaise et française du Royaume de Belgique que cette possibilité de relevé d’office se transforme en une obligation pesant sur le juge, ce qui me semble aller trop loin (54).

84.      Or, il est de jurisprudence constante que les restrictions aux libertés fondamentales qui sont imposées par les États membres doivent se limiter à ce qui est strictement nécessaire, ce qui implique de choisir la voie, et donc la mesure, la moins contraignante.

85.      Tel n’est pas le cas du décret flamand sur l’emploi des langues, puisqu’il apparaît, en lui-même mais aussi par comparaison avec d’autres normes, qu’il pose des exigences particulièrement strictes et suivies d’effets lourds tant pour les particuliers concernés que pour le juge saisi d’un litige à cet égard. J’estime, là encore, que d’autres moyens, plus adaptés et moins restrictifs de la libre circulation des travailleurs que ceux ainsi utilisés, pourraient permettre d’atteindre les objectifs qui semblent visés par ce texte.

86.      Par conséquent, une réglementation telle que celle en cause au principal n’est selon moi pas compatible avec la teneur des dispositions de l’article 45 TFUE, qui correspond à l’ancien article 39 CE, dont l’interprétation a été demandée.

V –    Conclusion

87.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par l’arbeidsrechtbank te Antwerpen:

«L’article 45 TFUE relatif à la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre telle que celle en cause au principal qui impose, à peine de nullité, à toute entreprise dont le siège est établi dans une région où il existe une seule langue officielle de faire usage exclusivement de celle-ci pour la rédaction de tous les documents relatifs à la relation de travail lorsqu’elle engage un travailleur pour un emploi à caractère international.»


1 –      Langue originale: le français.


2 –      La décision de renvoi déposée le 28 avril 2011 vise en réalité «l’article 39 du traité CE», mais celui‑ci est devenu l’article 45 TFUE depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, survenue le 1er décembre 2009.


3 –      Taaldecreet tot regeling van het gebruik van de talen voor de sociale betrekkingen tussen de werkgevers en de werknemers, alsmede van de door de wet en de verordeningen voorgeschreven akten en bescheiden van de ondernemingen (Belgisch Staatsblad, 6 septembre 1973, p. 10089).


4 –      J’observe que dans le dossier soumis à la Cour, il est parfois fait une confusion entre la «Région flamande», au sens de l’article 3 de la Constitution belge, et la «région de langue néerlandaise», au sens de l’article 4 de celle‑ci.


5 –      Arrêt du 28 novembre 1989 (C‑379/87, Rec. p. 3967, point 19).


6 –      La version française des dispositions dudit décret telles que figurant ci-dessous peut être consultée sur Internet à l’adresse suivante: http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=1973071901&table_name=loi.


7 –      Je précise que les termes «ou occupant du personnel dans la région de langue néerlandaise» ont été annulés par la Cour constitutionnelle (anciennement dite «Cour d’arbitrage») dans son arrêt du 30 janvier 1986 (Moniteur belge du 12 février 1986, p. 1710) qui a aussi annulé des termes dans l’article 5 dudit décret.


8 –      Étant précisé qu’à l’époque, elle se dénommait encore NV Hesse‑Noord Natie.


9 –      Version consolidée, JO C 334 du 30 décembre 2005, p. 1. Ladite convention a été remplacée, à compter du 17 décembre 2009, par le règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177, p. 6, ci-après le «règlement Rome I»).


10 –      J’observe que la Commission indique notamment que le litige au principal devrait conduire la Cour à statuer sur la législation applicable à la situation de sécurité sociale de M. Las. À mon avis, cette problématique sort du cadre de la question préjudicielle posée. Nonobstant, je souligne que la loi applicable au contrat de travail est désignée par les dispositions du règlement Rome I et non par les règles relatives à la détermination de la loi applicable en matière de sécurité sociale.


11 –      Voir, entre autres, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman (C‑415/93, Rec. p. I‑4921, points 89 et suiv.), ainsi que du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon (C‑212/06, Rec. p. I‑1683, points 33 et suiv.).


12 –      Arrêts du 7 mai 1998, Clean Car Autoservice (C‑350/96, Rec. p. I‑2521, points 19 à 25), ainsi que du 11 janvier 2007, ITC (C‑208/05, Rec. p. I‑181, points 22 et 23).


13 –      Voir, notamment, arrêts Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, précité (points 44 et suiv. et jurisprudence citée), ainsi que du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie (C‑253/09, Rec. p. I‑12391, points 46 et suiv. et jurisprudence citée).


14 –      En l’absence d’une harmonisation en la matière, les États membres sont libres de prendre des mesures nationales voire régionales ayant un tel objet, néanmoins celles-ci doivent respecter le traité et les principes généraux du droit de l’Union, et notamment l’article 45 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C‑490/04, Rec. p. I‑6095, point 19).


15 –      JO L 288, p. 32. Je note que dans le cadre de la présente affaire, la Commission a indiqué que, conformément à son article 6, ladite directive n’harmonise pas les conditions de forme du contrat de travail, dont relève la langue dans laquelle celui-ci doit être établi.


16 –      S’agissant des conditions d’accès à un emploi tenant à la langue, voir, entre autres, concernant un travail salarié: arrêt Groener, précité; et concernant l’établissement de travailleurs indépendants, qu’ils soient dentistes: arrêt du 4 juillet 2000, Haim (C‑424/97, Rec. p. I‑5123, points 50 et suiv.), ou avocats: arrêts du 19 septembre 2006, Wilson (C‑506/04, Rec. p. I‑8613, points 70 et suiv.), et du 19 septembre 2006, Commission/Luxembourg (C-193/05, Rec. p. I‑8673, points 40 et suiv.).


17 –      En matière de libre circulation des marchandises, et notamment d’étiquetage, domaine où ont été interdites les mesures nationales imposant l’usage d’une langue sans permettre qu’une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée, voir arrêt du 12 septembre 2000, Geffroy (C‑366/98, Rec. p. I‑6579, points 24 et suiv. ainsi que jurisprudence citée). Concernant l’égalité de traitement des personnes quant à l’usage des langues devant des juridictions pénales, voir arrêt du 24 novembre 1998, Bickel et Franz (C‑274/96, Rec. p. I‑7637, points 13 et suiv. ainsi que jurisprudence citée), qui relève l’importance particulière de la protection des droits et facilités des individus en matière linguistique pour sauvegarder leurs libertés fondamentales.


18 –      Je ne dispose pas d’éléments concernant les normes applicables en ce domaine à Chypre et au Luxembourg.


19 –      Tel est le cas en France, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne, en Roumanie, en Slovénie et en Slovaquie, de même que dans les diverses entités linguistiques du Royaume de Belgique.


20 –      Points 68 et suiv.


21 –      Conformément à son article 10.


22 –      Voir arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, Rec. p. I‑1663, point 41).


23 –      Voir, entre autres, arrêts du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais (C‑325/08, Rec. p. I‑2177, point 38 et jurisprudence citée), ainsi que Commission/Hongrie, précité (point 69 et jurisprudence citée).


24 –      Conformément aux règles de base définies dans l’arrêt Groener, précité (point 19).


25 –      Notamment, en matière de libre prestation de services, arrêt du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a. (C‑515/08, Rec. p. I‑9133, point 47).


26 –      Arrêt du 16 décembre 1999 (C‑198/98, Rec. p. I‑8903, point 22), portant sur l’interprétation de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO L 283, p. 23).


27 –      La Commission renvoie à cet égard, en outre, au point 43 des conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 mars 2011, Defossez (C‑477/09, Rec. p. I‑1421).


28 –      Voir arrêt dos Santos Palhota e.a., précité (point 48 et jurisprudence citée).


29 –      Ainsi, en Lettonie, les normes prescrivant l’usage de la langue nationale dans les relations de travail sont fondées, d’une part, sur la sauvegarde d’intérêts publics, tels que la sécurité et la santé, et d’autre part, sur des exigences de preuve, comme en Roumanie et en Slovénie. En France, les objectifs invoqués par le législateur sont aussi la protection de la santé et de la sécurité des personnes, outre la limitation des risques de litiges.


30 –      Voir points 70 et suiv.


31 –      Voir, également, arrêt du 25 octobre 2001, Finalarte e.a. (C‑49/98, C‑50/98, C‑52/98 à C‑54/98 et C‑68/98 à C‑71/98, Rec. p. I‑7831, points 69 et suiv.).


32 –      Il est fait référence à la protection de la langue et de l’identité nationales, en Lituanie, en Pologne et en Slovaquie, ainsi qu’à la protection de la langue et de l’identité communautaires, outre la protection des droits linguistiques des populations locales, dans les régions de langues française et allemande du Royaume de Belgique, comme dans celle de langue néerlandaise.


33 –      Voir, notamment, arrêt du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn (C‑391/09, Rec. p. I‑3787, point 85), qui cite le point 19 de l’arrêt Groener, précité.


34 –      JO 2010, C 83, p. 396.


35 –      Arrêt du 15 mars 2005 (C‑160/03, Rec. p. I‑2077).


36 –      Voir point 24 desdites conclusions.


37 –      Conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte l’identité nationale de ses États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, identité dont fait partie la protection de la langue officielle nationale de l’État comme la Cour l’a précisé dans l’arrêt Runevič‑Vardyn et Wardyn, précité (point 86).


38 –      Dans le rapport fait par un groupe de travail auprès des membres de la Convention européenne, daté du 4 novembre 2002, il avait été recommandé de préciser les dispositions du traité UE selon lesquelles l’Union a l’obligation de respecter les identités nationales des États membres, en ce sens que les éléments essentiels de cette identité comprennent, entre autres, les structures fondamentales et les fonctions essentielles d’un État membre, parmi lesquelles figure le choix des langues (CONV 375/1/02 REV 1, p. 10 à 12; document accessible sur Internet: http://european-convention.eu.int/pdf/reg/fr/02/cv00/cv00375-re01.fr02.pdf).


39 –      Voir, notamment, arrêt Runevič-Vardyn et Wardyn, précité.


40 –      À cet égard, voir points 19 et 20 des conclusions de l’avocat général Darmon dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Groener, précité.


41 –      Voir points 20 et suiv. de l’arrêt Groener, précité.


42 –      Je rappelle que la prévalence du consensualisme en matière de relations de travail transfrontalières est admise dans l’article 8 du règlement Rome I, qui prévoit que les parties à un contrat de travail ont, en principe, le choix de la loi applicable à celui-ci.


43 –      Voir, par analogie, au sujet de l’interprétation de l’article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), l’arrêt du 24 juin 1981, Elefanten Schuh (150/80, Rec. p. 1671, point 27), aux termes duquel une législation d’un État contractant ne saurait faire obstacle à la validité d’une clause attributive de juridiction au seul motif que la langue utilisée par les parties n’est pas celle prescrite par cette législation.


44 –      Je rappelle que la possibilité d’introduire une exigence linguistique en raison de la nature de l’emploi à pourvoir est expressément prévue à l’article 3, paragraphe 1, dernier alinéa, du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), disposition ayant été interprétée dans l’arrêt Groener, précité, qui n’est certes pas applicable dans la présente affaire mais dont la philosophie peut selon moi servir de source de réflexion. Une disposition identique en substance figure dans le règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO L 141, p. 1), qui a procédé à la codification du règlement no 1612/68 et l’a remplacé.


45 –      Voir article 5, deuxième alinéa, du décret flamand sur l’emploi des langues cité dans le cadre juridique.


46 –      Voir, par analogie, arrêt Bickel et Franz, précité (point 29).


47 –      Le litige au principal relève de la matière civile, mais il est néanmoins intéressant de noter, au titre de l’économie générale du décret flamand sur l’emploi des langues, que contrairement à ce qui vaut dans les autres entités du Royaume de Belgique, où aucune sanction pénale n’est encourue en cas de manquement à l’exigence linguistique, si un tel acte est commis dans la région de langue néerlandaise, cette infraction peut être punie d’un emprisonnement et/ou d’une amende pour l’employeur ou ses représentants ayant contrevenu aux dispositions dudit décret, conformément à son article 12. En outre, l’article 11 dudit décret prévoit une possibilité d’amende administrative.


48 –      La nullité rétroactive apparaît aussi encourue en Slovénie, mais elle ne vaut que pour l’avenir en Roumanie et en Lettonie, étant précisé que dans ce dernier pays elle est associée à une obligation pour l’employeur de proposer la conclusion d’un nouveau contrat.


49 –      C’est-à-dire dans les communes dotées d’un régime spécial, dans la région de langue allemande et dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. En revanche, dans la région de langue française, la nullité des documents de travail rédigés dans une autre langue est encourue.


50 –      Il est prévu une inopposabilité des dispositions du contrat au travailleur à qui elles feraient grief, en Lituanie, en Pologne, et en Slovaquie, ainsi qu’en France, où existe la possibilité de solliciter sous astreinte que le document concerné soit produit en français.


51 –      Je rappelle que le contrat de travail en cause avait initialement été soumis au droit néerlandais, par la volonté des parties au principal, même si elles s’accordent à dire devant la juridiction de renvoi que le droit belge est applicable. Cependant, l’article 3, paragraphe 2, du règlement Rome I prévoit que toute modification quant à la détermination de la loi applicable, intervenue postérieurement à la conclusion du contrat, n’affecte pas la validité formelle du contrat au sens de l’article 11 et ne porte pas atteinte aux droits des tiers.


52 –      En France, en Lettonie, en Lituanie et en Slovaquie.


53 –      En Pologne, en Roumanie et en Slovénie, ainsi que dans les communes belges dotées d’un régime spécial, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande.


54 –      Sur la marge d’appréciation dont il est opportun que le juge national dispose pour pouvoir moduler la sanction prévue en cas de violation de règles d’un État membre exigeant l’emploi de la langue de celui-ci en fonction de l’atteinte concrète à un objectif d’intérêt général, tel que la protection des consommateurs en l’occurrence, voir point 68 des conclusions de l’avocat général Cosmas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 juillet 1998, Goerres (C‑385/96, Rec. p. I‑4431).