Language of document : ECLI:EU:C:2010:65

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

Mme VERICA Trstenjak

présentées le 10 février 2010 (1)

Affaire C‑569/08

Internetportal und Marketing GmbH

contre

Richard Schlicht

[demande de décision préjudicielle formée par l'Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Internet – Domaine de premier niveau .eu – Règlement (CE) nº 874/2004 – Article 21 – Enregistrement d'un domaine par le propriétaire d'une marque nationale acquise dans le seul but de permettre cet enregistrement pendant la première phase de l'enregistrement par étapes – Notion de ‘droit’ – Notion d’‘intérêt légitime’ – Notion de ‘mauvaise foi’ – Article 11 – Règles de transcription des caractères spéciaux – Marque nationale enregistrée de mauvaise foi»





I –    Introduction

1.        La présente affaire se fonde sur une décision de renvoi de l'Oberster Gerichtshof (Autriche) au titre de l’article 234 CE, par laquelle la juridiction de renvoi a saisi la Cour de cinq questions relatives à l’interprétation de l’article 21 du règlement (CE) n° 874/2004 (2).

2.        Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige entre l’entreprise Internetportal und Marketing GmbH, qui exploite des sites Internet et commercialise des produits sur Internet (ci-après la «requérante»), d’une part, et M. Richard Schlicht, titulaire de la marque Benelux «Reifen» qu’il entend utiliser pour de nouveaux produits de nettoyage, notamment pour vitres (3) (ci-après le «défendeur»), d’autre part, ayant pour objet le nom de domaine «reifen.eu».

3.        Les questions portent en substance sur les critères pour établir l’existence d’un «droit», d’un «intérêt légitime» et de la «mauvaise foi» dans le sens dudit article 21 du règlement nº 874/2004.

II – Cadre juridique

4.        Le règlement (CE) n° 733/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 22 avril 2002, concernant la mise en œuvre du domaine de premier niveau .eu (4), contient, d'après son article 1er, les règles générales de la mise en œuvre du domaine de premier niveau .eu, y compris la désignation d'un registre, et établit le cadre de politique générale dans lequel le registre fonctionnera.

5.        Aux termes de son seizième considérant, cette politique générale devrait garantir aux titulaires de droits antérieurs reconnus ou établis par le droit national et/ou communautaire et aux organismes publics en matière d'enregistrements spéculatifs et abusifs de noms de domaine qu'ils bénéficieront d'un délai spécifique («sunrise period») durant lequel l'enregistrement de leurs noms de domaine «sera exclusivement réservé» à de tels titulaires de droits antérieurs et à ces organismes publics.

6.        L’article 5 («Cadre d’action») du règlement n° 733/2002 est libellé comme suit:

«1.      La Commission adopte […] les règles de politique d'intérêt général relatives à la mise en œuvre et aux fonctions du TLD.eu et les principes de politique d'intérêt général en matière d'enregistrement. Ces règles incluent notamment:

a)      une politique de règlement extrajudiciaire des différends;

b)      la politique d'intérêt général en matière d'enregistrements spéculatifs et abusifs de noms de domaine, y compris la possibilité d'enregistrer des noms de domaine de façon progressive afin de garantir, de manière appropriée et temporaire, aux titulaires de droits antérieurs reconnus ou établis par le droit national et/ou communautaire et aux organismes publics des possibilités d'enregistrer leurs noms;

[…]»

7.        Le règlement n° 874/2004, adopté en application dudit article, dispose dans son douzième considérant que:

«Pour préserver les droits antérieurs reconnus ou établis par le droit national ou communautaire, il convient de mettre en place une procédure d'enregistrement par étapes. Cette procédure doit comprendre deux étapes afin de garantir aux titulaires de droits antérieurs des possibilités convenables de faire enregistrer les noms sur lesquels ils détiennent des droits. […] L'attribution de ce nom doit alors se faire selon le principe du ‘premier arrivé, premier servi’ si pour un nom de domaine il y a plus d'un candidat titulaire d'un droit antérieur.»

8.        L’article 3 («Demandes d’enregistrement d’un nom de domaine») du règlement n° 874/2004 dispose que:

«La demande d'enregistrement d'un nom de domaine doit comporter les éléments suivants:

[…]

c)      une déclaration, sous forme électronique, par laquelle la partie qui introduit la demande affirme qu'à sa connaissance la demande d'enregistrement du nom de domaine est faite de bonne foi et n'empiète pas sur des droits détenus par des tiers.

[…]»

9.        L’article 10 («Parties éligibles et noms qu’elles peuvent faire enregistrer») du règlement n° 874/2004 est libellé comme suit:

«1.      Les titulaires de droits antérieurs reconnus ou établis par le droit national et/ou communautaire […] sont autorisés à demander l'enregistrement de noms de domaine pendant une durée déterminée selon une procédure d'enregistrement par étapes avant que l'enregistrement dans le domaine .eu ne soit ouvert au public.

Les ‘droits antérieurs’ comprennent, entre autres, les marques nationales et communautaires enregistrées, les indications géographiques ou les appellations d'origine, et dans la mesure où ils sont protégés par le droit national dans l'État membre où ils sont détenus, les noms de marques non enregistrés, les noms commerciaux, les identificateurs d'entreprises, les noms de sociétés, les noms de personnes, et les titres distinctifs des œuvres littéraires et artistiques protégées.

[…]

2.      L'enregistrement sur la base d'un droit antérieur consiste à enregistrer le nom complet sur lequel un droit antérieur est détenu, tel qu'il est mentionné dans la documentation attestant l'existence de ce droit.

[…]»

10.      L’article 11 («Caractères spéciaux») du règlement n° 874/2004 dispose ce qui suit:

«Aux fins de l'enregistrement des noms complets constitués de plusieurs mots ou éléments de texte ou de mots séparés par des espaces, un nom de domaine formé en unissant les parties du nom complet par un trait d'union ou en les accolant les unes aux autres est réputé identique au nom complet.

Lorsque le nom pour lequel des droits antérieurs sont invoqués contient des caractères spéciaux, des espaces ou des signes de ponctuation, ceux-ci doivent être éliminés du nom de domaine correspondant, remplacés par des traits d'union ou, lorsque cela est possible, exprimés par des caractères normaux.

Les caractères spéciaux et signes de ponctuation visés au deuxième alinéa sont notamment les suivants: ~ @ # $ % ^ & * ( ) + = <> { } [ ] \ /: ; ' , . ?

[…] Pour tout le reste, le nom de domaine est identique aux éléments de texte ou de mot du nom couvert par un droit antérieur.»

11.      L’article 12 («Principes de l’enregistrement par étapes») du règlement n° 874/2004 est libellé comme suit:

«1.      L'enregistrement par étapes commence seulement lorsqu'il a été satisfait à la condition énoncée à l'article 6, premier alinéa.

Le registre publie au moins deux mois à l'avance la date à laquelle la période d'enregistrement par étapes va commencer et en informe tous les bureaux d'enregistrement accrédités.

[…]

2.      La durée de la période prévue pour l'enregistrement par étapes est fixée à quatre mois. L'ouverture généralisée de l'enregistrement des noms de domaine [‘Landrush period’] ne doit pas commencer avant la fin de la période prévue pour l'enregistrement par étapes.

L'enregistrement par étapes comprend deux phases d'une durée de deux mois chacune.

Pendant la première phase de l'enregistrement par étapes, seuls les marques nationales et communautaires enregistrées, les indications géographiques et les noms et acronymes mentionnés à l'article 10, paragraphe 3, peuvent être proposés comme noms de domaine à enregistrer par les titulaires et les licenciés de droits antérieurs sur ces noms et par les organismes publics visés à l'article 10, paragraphe 1.

Pendant la seconde phase de l'enregistrement par étapes, les noms qui peuvent être enregistrés au cours de la première phase ainsi que les noms associés à tous les autres droits antérieurs peuvent être proposés comme noms de domaine à enregistrer par les titulaires de droits antérieurs sur ces noms.

3.      La demande d'enregistrement d'un nom de domaine fondée sur un droit antérieur au sens de l'article 10, paragraphes 1 et 2, doit inclure une référence à la base juridique nationale ou communautaire sur laquelle se fonde le droit détenu sur le nom, ainsi que toute autre information pertinente, comme le numéro d'enregistrement de la marque, des informations concernant la publication dans un journal ou bulletin officiel, des informations relatives à l'inscription dans les associations professionnelles ou commerciales et dans les chambres de commerce.

[…]      

6.      Les litiges concernant un nom de domaine sont réglés conformément aux dispositions du chapitre VI.»

12.      L’article 21 («Enregistrements spéculatifs et abusifs») du règlement n° 874/2004 est libellé comme suit:

«1.      Un nom de domaine est révoqué, dans le cadre d'une procédure extrajudiciaire ou judiciaire appropriée, quand un nom de domaine enregistré est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ou communautaire, tel que les droits mentionnés à l'article 10, paragraphe 1, et que ce nom de domaine:

a)      a été enregistré sans que son titulaire ait un droit ou intérêt légitime à faire valoir sur ce nom, ou

b)      a été enregistré ou utilisé de mauvaise foi.

2.      L'existence d'un intérêt légitime au sens du paragraphe 1, point a), peut être démontrée quand:

a)      avant tout avis de procédure de règlement extrajudiciaire des litiges, le titulaire d'un nom de domaine a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine dans le cadre d'une offre de biens ou de services ou qu'il peut démontrer s'y être préparé;

b)      le titulaire d'un nom de domaine est une entreprise, une organisation ou une personne physique généralement connue sous ce nom de domaine, même en l'absence de droits reconnus ou établis par le droit national et/ou communautaire;

c)      le titulaire d'un nom de domaine fait un usage légitime et non commercial ou correct du nom de domaine, sans intention de tromper les consommateurs ou de nuire à la réputation d'un nom sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ou communautaire.

3.      La mauvaise foi au sens du paragraphe 1, point b), peut être démontrée quand:

a)      les circonstances montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis principalement pour vendre, louer ou transférer d'une autre façon le nom de domaine au titulaire d'un nom sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ou communautaire, ou à un organisme public, ou

b)      le nom de domaine a été enregistré pour empêcher le titulaire d'un nom sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ou communautaire, ou un organisme public, de traduire ce nom en un nom de domaine correspondant, pour autant que:

i)      ce type de comportement puisse être prouvé dans la personne du demandeur d'enregistrement; ou

ii)      le nom de domaine n'ait pas été utilisé d'une façon pertinente dans les deux années au moins qui suivent la date d'enregistrement; ou

iii)      au moment où une procédure de règlement extrajudiciaire d'un litige a été engagée, le titulaire d'un nom de domaine sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ou communautaire, ou le titulaire d'un nom de domaine d'un organisme public, ait déclaré son intention d'utiliser le nom de domaine d'une façon pertinente mais sans le faire dans les six mois qui suivent l'ouverture de la procédure de règlement extrajudiciaire;

c)      le nom de domaine est enregistré dans le but essentiel de perturber les activités professionnelles d'un concurrent; ou

d)      le nom de domaine a été utilisé intentionnellement pour attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l'internet vers le site internet ou un autre espace en ligne du titulaire du nom de domaine, en créant une confusion avec un nom sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ou communautaire ou un nom d'organisme public, cette probabilité de confusion concernant la source, le sponsoring, l'affiliation ou l'approbation du site internet ou de l'autre espace en ligne du preneur ou d'un produit ou service qui y est proposé, ou

e)      le nom de domaine enregistré est un nom de personne pour lequel aucun lien ne peut être démontré entre le titulaire du nom de domaine et le nom de domaine enregistré.

[…]»

13.      L’article 22 («Procédure de règlement extrajudiciaire des litiges», ci-après la «procédure ADR») (5) du règlement n° 874/2004 dispose ce qui suit:

«1.      Une procédure de règlement extrajudiciaire des litiges peut être engagée par toute partie:

a)      lorsque l'enregistrement est spéculatif ou abusif au sens de l'article 21, ou

b)      lorsqu'une décision prise par le registre est contraire au présent règlement ou au règlement (CE) n° 733/2002.

[…]

11.      Dans le cas d'une procédure à l'encontre d'un titulaire de nom de domaine, la commission de règlement extrajudiciaire des litiges décide que le nom de domaine doit être révoqué si elle juge que l'enregistrement est spéculatif ou abusif au sens de l'article 21. Le nom de domaine est transféré au plaignant si celui-ci en demande l'enregistrement et s'il satisfait aux critères généraux d'éligibilité prévus à l'article 4, paragraphe 2, point b), du règlement (CE) n° 733/2002.

[…]

13.      Les résultats de la procédure de règlement extrajudiciaire sont contraignants pour les parties et le registre à moins qu'une action en justice ne soit introduite dans les trente jours calendrier suivant la notification du résultat de ladite procédure aux parties.»

III – Faits, procédure au principal et questions préjudicielles

14.      La requérante exploite des sites Internet et commercialise des produits sur ce réseau. Pour pouvoir enregistrer des domaines dans le cadre de la première phase de la procédure d’enregistrement par étapes, elle a demandé avec succès auprès du registre des marques suédois l’enregistrement d’un total de 33 dénominations génériques allemandes en tant que marques, et ce à chaque fois en utilisant le caractère spécial «&» avant et après ou entre chaque lettre. La demande de la requérante du 11 août 2005 avait pour objet l’enregistrement de la marque verbale «&R&E&I&F&E&N&» dans la classe internationale 9 (ceintures de sécurité), enregistrement qui s’est produit le 25 novembre suivant.

15.      La requérante n’a jamais eu l’intention d’utiliser cette marque pour des ceintures de sécurité, mais, d’après une déclaration de PricewaterhouseCoopers, société chargée par EUDR de l’examen des demandes de domaines, elle a considéré que, à la suite de l’enregistrement de cette marque en tant que domaine de premier niveau .eu en application de la «règle de transcription», les caractères «&» doivent être écartés et que, par conséquent, le terme «pneus» était conservé, et ce dernier ne devait, selon elle, en aucun cas être protégé en droit des marques en tant que dénomination générique.

16.      En fait, lors de la première phase de la procédure d’enregistrement par étapes, le domaine «www.reifen.eu» a été enregistré pour la requérante, sur la base de sa marque suédoise «&R&E&I&F&E&N&». La requérante a introduit la demande d’enregistrement de 180 noms de domaine composés de dénominations génériques. Par le domaine «www.reifen.eu», la requérante a pour objectif d’exploiter un site Internet pour le commerce de pneus, mais, selon la juridiction de renvoi, elle n’a pas encore pris de mesures préparatoires significatives pour réaliser ce site, compte tenu de la procédure pendante et de la procédure extrajudiciaire préalable. Au moment de l’enregistrement du domaine, le défendeur était inconnu de la requérante.

17.      Le défendeur est titulaire de la marque verbale «Reifen» (pneus) demandée le 10 novembre 2005 auprès de l’Office des marques Benelux et enregistrée le 28 novembre 2005 pour les classes 3 (préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver; … produits de nettoyage et notamment produits de nettoyage des fenêtres contenant des nanoparticules) et 35 (services de soutien à la commercialisation de tels produits de nettoyage).

18.      Par ailleurs, le 10 novembre 2005, le défendeur a demandé l’enregistrement de la marque verbale communautaire «Reifen» dans la classe 3 (produits de nettoyage des surfaces vitrées des fenêtres et des surfaces supérieures des installations solaires, notamment les produits contenant des nanoparticules) et dans la classe 35 (nettoyage des surfaces vitrées ainsi que d’installations solaires pour des tiers). Par cette marque, il entend commercialiser sur toute l’Europe des «produits de nettoyage pour les surfaces supérieures vitrées» et il en a confié le développement à l’entreprise BERGOLIN GmbH & Co KG. Le 10 octobre 2006, un échantillon de la solution de nettoyage I (REIFEN A) était déjà disponible.

19.      Le défendeur s’est opposé à l’enregistrement du nom de domaine «www.reifen.eu» pour la requérante devant le tribunal d’arbitrage tchèque, lequel, par une décision du 24 juillet 2006  (6), a fait droit à sa réclamation et a retiré à la requérante le nom de domaine «reifen» pour le transférer au défendeur.

20.      Le tribunal d’arbitrage considérait que sa jurisprudence antérieure intervenue dans des affaires contre le registre (EUDR) devait être appliquée par analogie à la présente procédure engagée contre le titulaire du domaine. Il en résulterait que le caractère «&» contenu dans une marque ne devait pas être écarté, mais devait être exprimé par des caractères normaux. La requérante aurait manifestement voulu contourner la règle technique de l’article 11, deuxième alinéa, du règlement n° 874/2004 dans toute une série de cas. Par conséquent, elle aurait été de mauvaise foi lors de sa demande d’enregistrement du domaine litigieux.

21.      La requérante a alors introduit un recours le 23 août 2006, conformément au délai prévu à l’article 22, paragraphe 13, du règlement n° 874/2004, dans lequel elle sollicite de constater que le nom de domaine «reifen» sous le domaine de premier niveau .eu ne soit pas cédé au défendeur et ne lui soit pas retiré; à titre subsidiaire, elle sollicite de constater que la décision du 24 juillet 2006 du tribunal d’arbitrage est illégale et, notamment, que la requérante ne peut céder au défendeur le nom de domaine «reifen» en tant que domaine de premier niveau .eu et que le nom de domaine «reifen» ne lui soit pas retiré.

22.      Devant les juridictions nationales inférieures, les arguments des parties tournaient substantiellement autour des questions suivantes.

23.      La requérante considère que, par l’enregistrement de la marque suédoise «&R&E&I&F&E&N&» fondé sur la règle de transcription de l’article 11, deuxième alinéa, du règlement n° 874/2004, elle n’aurait fait qu’utiliser ladite règle pour se procurer la meilleure position de départ possible dans la première phase de la procédure d’enregistrement par étapes. Cette intention ne serait pas «de mauvaise foi» au sens de l’article 21 du règlement n° 874/2004 ni même abusive.

24.      En effet, elle disposerait d’une marque enregistrée sur la base de laquelle elle aurait obtenu le domaine «www.reifen.eu» en raison du principe du «premier arrivé, premier servi». De plus, elle aurait un intérêt légitime à la dénomination générique «Reifen», parce qu’elle souhaite créer un site Internet thématique sous cette appellation. En outre, l’enregistrement du domaine «reifen.eu» n’aurait pas été fait dans le but d’empêcher l’utilisation d’Internet par le défendeur, d’autant plus qu’elle n’aurait absolument pas eu connaissance des activités de celui-ci ni de ses produits. Finalement, le nombre de marques et de noms de domaine enregistrés par elle ainsi que leur utilisation seraient dépourvus de pertinence pour la présente espèce.

25.      La requérante estime aussi que l’enregistrement par étapes aurait pour seul but de protéger les titulaires de droits antérieurs, mais il n’aurait pas eu pour objectif que les dénominations génériques soient demandées uniquement dans la phase d’enregistrement général. Par conséquent, rien ne s’opposerait à ce que des dénominations génériques fassent l’objet d’une demande d’enregistrement en tant que noms de domaine dès la première phase de l’enregistrement par étapes. L’article 11, deuxième alinéa, du règlement n° 874/2004 n’aurait pas été appliqué de manière incorrecte compte tenu du fait que les trois possibilités qu’il prévoyait (élimination complète, remplacement par des traits d’union ou par des caractères normaux) seraient équivalentes et que l’expression «lorsque cela est possible» signifierait uniquement que la troisième branche de l'alternative ne fonctionnerait pas toujours.

26.      Le défendeur conclut au rejet de la demande dans la mesure où la requérante aurait contourné de manière abusive et de mauvaise foi la finalité du règlement n° 874/2004; celle-ci consisterait à empêcher l’enregistrement en masse et systématique de noms de domaine et de permettre que l’enregistrement de dénominations génériques ne s’effectue qu’à la phase de l’enregistrement général. En demandant, donc, l’enregistrement en masse de «pseudo-marques» non destinées à être utilisées sur le marché afin de pouvoir demander des noms de domaine génériques dès la première phase de l’enregistrement par étapes, réservée aux titulaires de droits antérieurs, pour ensuite pouvoir les commercialiser au moyen de sites Internet, la requérante aurait agi comme un cybersquatteur («domain grabber»).

27.      Elle se serait également servi à dessein d’une interprétation prévisiblemement incorrecte de l’article 11, deuxième alinéa, du règlement n° 874/2004, puisque, normalement, le caractère spécial «&» n’aurait pas dû être éliminé, mais aurait dû être exprimé par des caractères normaux. C’est la raison pour laquelle il s’agirait d’un enregistrement de mauvaise foi en vertu de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 874/2004. Une «pseudo-marque» demandée uniquement pour obtenir l’enregistrement préférentiel d’un nom de domaine ne constituerait pas un droit antérieur au sens de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 874/2004, en sorte que le retrait du domaine pourrait également se fonder sur l’article 21, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.

28.      En première instance, le juge a rejeté la requête et la juridiction d’appel a confirmé le jugement au principal.

29.      La requérante a introduit un recours extraordinaire en «Revision» auprès de l'Oberster Gerichtshof contre le jugement rendu en appel. En considérant que la solution du litige dépend de l’interprétation du droit communautaire et, en particulier, de l’article 21 du règlement nº 874/2004, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a posé à la Cour, à titre préjudiciel, les questions suivantes:

«1)      L’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement […] n° 874/2004 […] doit-il être interprété en ce sens qu’un droit au sens de cette disposition existe même:

a)      lorsqu’une marque a été enregistrée uniquement dans le but de pouvoir demander au cours de la première phase de la procédure d’enregistrement par étapes l’enregistrement d’un nom de domaine correspondant à une dénomination générique – tirée de la langue allemande –, sans intention d’utiliser cette marque pour des produits ou des services?

b)      lorsque la marque sur laquelle se fonde l’enregistrement du domaine et qui correspond à une dénomination générique – tirée de la langue allemande – s’écarte du nom de domaine dans la mesure où elle contient des caractères spéciaux qui ont été éliminés du nom de domaine, bien que ceux-ci auraient pu être exprimés par des caractères normaux et que leur élimination a pour effet que le nom de domaine peut être distingué de la marque sans créer de risque de confusion?

2)      L’article 21, paragraphe 1, sous a), dudit règlement […] doit-il être interprété en ce sens qu’un intérêt légitime n’existe que dans les cas prévus à l’article 21, paragraphe 2, sous a) à c)?

En cas de réponse négative à cette question:

3)      Existe-t-il également un intérêt légitime au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement […] lorsque le titulaire du nom de domaine qui correspond à une dénomination générique – tirée de la langue allemande – souhaite l’utiliser pour un site Internet thématique?

En cas de réponse positive aux première et troisième questions:

4)      L’article 21, paragraphe 3, du règlement […] doit-il être interprété en ce sens que seuls les faits énumérés sous a) à e) de cette disposition permettent de fonder la mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du même règlement […]?

En cas de réponse négative à cette question:

5)      Peut-on également considérer que l’on se trouve en présence de la mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement […] n° 874/2004 lorsque le nom de domaine a été enregistré lors de la première phase de la procédure d’enregistrement par étapes sur la base d’une marque correspondant à une dénomination générique – tirée de la langue allemande –, marque que le titulaire du nom de domaine n’a acquise que dans le seul but de pouvoir demander l’enregistrement du nom de domaine lors de la première phase de la procédure d’enregistrement par étapes et ainsi précéder d’autres personnes intéressées et donc, en tout état de cause, également les titulaires de droits à la marque?»

IV – Procédure devant la Cour

30.      L’ordonnance de renvoi a été notifiée à la Cour le 23 décembre 2008.

31.      Des observations écrites ont été déposées dans le délai prévu et conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice par la requérante, le défendeur, la République tchèque, la République italienne et par la Commission des Communautés européennes.

32.      À l’audience du 10 décembre 2009, les représentants de la requérante, du défendeur, du gouvernement tchèque et de la Commission ont comparu afin de présenter des observations orales.

V –    Principaux arguments des parties

A –    Préliminaire

33.      La requérante fait valoir, à titre liminaire, que sa légitimation découlant de la marque «&R&E&I&F&E&N&» avait été acceptée par le European Registry for Internet Domains (EURID) lors de l’enregistrement du domaine «www.reifen.eu». Par conséquent, des éventuelles fautes à cet égard auraient dû être soulevées par le défendeur dans le cadre d’une procédure dirigée contre le registre au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 874/2004, et non pas dans le cadre d'une procédure dirigée contre le titulaire du domaine lui-même. La décision d’EURID d’enregistrer le domaine «www.reifen.eu» pour la requérante ne pourrait donc plus être réexaminée dans une procédure inter partes.

B –    Sur la première question, sous a)

34.      Selon la requérante, les considérations de la juridiction de renvoi relatives à la première question, sous a), relèvent uniquement de la procédure contre le registre. Si l’opposant d’un titulaire d’un nom de domaine estime que le registre aurait reconnu à tort la légitimité du titulaire du nom de domaine pour la période «sunrise», il aurait dû diligenter une procédure contre le registre. Au demeurant, la requérante propose de répondre par l'affirmative à la première partie de la première question.

35.      De l'avis du défendeur, lorsqu’une marque est enregistrée sans aucune intention d’utilisation, dans le seul but de jouir de certains avantages légaux, il s’agirait d’une «pseudo-marque». Or, reconnaître ce genre de marques en tant que droits au sens de l’article 10, paragraphe 1, ou de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004 reviendrait à autoriser, voire à encourager, un contournement et un abus des dispositions spécifiques de ce règlement, lesquelles ont précisément été adoptées pour la protection des détenteurs de «vrais» droits antérieurs. L’argument selon lequel cette finalité ne serait pas menacée lorsqu’une «dénomination générique» est enregistrée en tant que nom de domaine ne tient pas compte du fait que les droits antérieurs à faire valoir, au sens de l’article 10, paragraphe 1, ou de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004, peuvent également porter sur des dénominations génériques.

36.      La République tchèque, soutenue dans ses grandes lignes par la République italienne, considère qu'il convient avant tout de déterminer si la marque litigieuse dans le litige au principal a été enregistrée de mauvaise foi. Le fait que la marque avait été enregistrée exclusivement dans le but de garantir une participation à la première étape de l'enregistrement des noms de domaine montrerait que la requérante était, dès le départ, animée d'une intention déloyale et poursuivait un autre objectif que celui pour lequel les marques sont destinées. La requérante aurait ainsi cherché à se prévaloir d'un avantage injustifié, ou à désavantager la concurrence.

37.      En plus, la requérante aurait intentionnellement utilisé les caractères «&» dans le nom de la marque de manière inhabituelle et linguistiquement absurde. Le caractère spéculatif et opportuniste de l'utilisation des caractères «&» serait également démontré par le fait que la requérante a fait enregistrer au total 33 marques pour des dénominations génériques en utilisant à chaque fois le caractère «&» entre les lettres individuelles. Dès lors que le juge national parvient à la conclusion que l'enregistrement en cause de la marque n'a pas été fait de bonne foi, on ne saurait considérer, de l'avis de la République tchèque et de la République italienne, que le droit découlant de cette marque est un droit au sens de l'article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 874/2004.

38.      La Commission fait valoir que ni la directive 89/104/CEE (7) ni le règlement (CE) n° 40/94 (8) ne subordonnent l’enregistrement d’un signe en tant que marque à l'intention du titulaire présumé de la marque d'utiliser le signe en tant que marque pour les biens ou les services qu'elle regroupe. Par conséquent, le fait qu’une marque ait été acquise uniquement dans le but de pouvoir solliciter, sur sa base, l'enregistrement d'un nom de domaine pendant la première phase de l'enregistrement par étapes serait sans importance pour déterminer si le titulaire du nom de domaine qui possède parallèlement une marque peut faire valoir un droit à partir de cette marque au sens de la première possibilité prévue à l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 874/2004.

39.      S'agissant du fait que le nom de domaine enregistré sur la base de la marque corresponde à une dénomination générique dans une langue officielle de la Communauté, la Commission souligne que, si une telle circonstance pourrait être significative dans le contexte de l’article 3, paragraphe 1, sous b) à d), de la directive 89/104 ou de l'article 7, paragraphe 1, sous b) à d), du règlement n° 40/94, à savoir pour déterminer si un motif de refus absolu s’oppose à l'enregistrement de la marque elle-même, cette circonstance serait sans importance dans le cadre de l'application du règlement n° 874/2004.

40.      Par ailleurs, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 89/104 ne s’oppose pas à l’enregistrement dans un État membre, en tant que marque nationale, d’un vocable emprunté à la langue d’un autre État membre dans laquelle il est dépourvu de caractère distinctif ou est descriptif des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé, à moins que les milieux intéressés dans l’État membre dans lequel l’enregistrement est demandé ne soient aptes à identifier la signification de ce vocable (9).

C –    Sur la première question, sous b)

41.      La requérante estime que les trois branches de l'alternative prévues à l’article 11 du règlement n° 874/2004 seraient équivalentes, ce qui découlerait du libellé dudit article. Au demeurant, la requérante met également en cause la bonne foi du défendeur lors de l'enregistrement de sa marque qui aurait été fait, selon la requérante, dans le seul but d'obtenir une meilleure position de départ pour l'obtention du domaine «www.reifen.eu».

42.      Le défendeur considère qu'il n'y a pas d'identité entre la marque enregistrée et le nom du domaine litigieux, parce que, selon lui, le caractère spécial «&» aurait dû être exprimé par «und» [«et»] et non pas éliminé. Dès lors, la requérante au principal n'aurait aucun droit au nom de domaine «www.reifen.eu».

43.      Selon la République tchèque, il importe peu, pour déterminer l'existence du droit au sens de l'article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 874/2004, quelles règles de transcription la requérante a retenues pour transcrire la marque en un nom de domaine. L'article 11 du règlement n° 874/2004 ne donnerait la préférence à aucune des possibilités de transcription des caractères spéciaux.

44.      De l'opinion de la République italienne, aucun droit n'existe lorsque la marque sur laquelle se fonde l'enregistrement du domaine s'écarte du nom de domaine dans la mesure où elle contient des caractères spéciaux qui ont été éliminés.

45.      La Commission apporte une réponse commune à une partie de la première question, sous b), ainsi qu'aux deuxième à cinquième questions (voir ci-dessus). En tout état de cause, et à titre liminaire, cette institution fait remarquer que la présence d'un intérêt légitime au sens de la deuxième possibilité prévue par les dispositions combinées de l'article 21, paragraphes 1, sous a), et 2, du règlement n° 874/2004, d’une part, et l'absence de mauvaise foi au sens des dispositions combinées de son article 21, paragraphes 1, sous b), et 3, d’autre part, constituent un fait unique. Ce point de vue serait corroboré par le choix de l'utilisation du nom de domaine par le titulaire du nom de domaine en tant que critère pertinent tant au paragraphe 2, sous a), qu’au paragraphe 3, sous b), ii) et iii), de l'article 21 du règlement n° 874/2004.

D –    Sur la deuxième question

46.      La requérante, la République tchèque et la Commission estiment que les énumérations figurant à l'article 21, paragraphe 2, sous a) à c), du règlement n° 724/2004 ne sont pas exhaustives. En revanche, le défendeur au principal et la République italienne sont de l'avis contraire.

E –    Sur la troisième question

47.      La requérante et la République tchèque considèrent que, bien que la requérante n'ait pas utilisé le nom de domaine avant la naissance du litige, ou qu'elle n'ait pas démontré qu'elle s'y était préparée au sens de l'article 21, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 874/2004, et compte tenu du caractère démonstratif et non exhaustif de ladite disposition, l'intention de gérer un site Internet pourrait être un motif suffisant pour démontrer un intérêt légitime.

48.      De l'avis du défendeur, l'affirmation d'une certaine intention d'utilisation du nom de domaine ne suffirait pas pour constituer un intérêt légitime. Or, une simple affirmation d'utilisation ne correspondrait à aucun des cas de figure prévus à l'article 21, paragraphe 2, sous a) à c).

F –    Sur la quatrième question

49.      La requérante et le défendeur, ainsi que la République tchèque et la Commission estiment que les énumérations figurant à l'article 21, paragraphe 3, sous a) à e), du règlement n° 874/2004 ne sont pas exhaustives.

G –    Sur la cinquième question

50.      La requérante fait valoir qu'une interprétation de l’article 21 du règlement n° 874/2004 qui permet de faire valoir des fautes du registre même après l’expiration du délai de 40 jours prévu pour introduire un tel recours à l'encontre du registre («sunrise appeal period»), serait en violation du principe de sécurité juridique.

51.      Au demeurant, elle nie avoir agi de mauvaise foi, puisque les cas de «mauvaise foi» de l’article 21, paragraphe 3, du règlement n° 874/2004 visent à lutter contre le cybersquattage («domain grabbing»). Or, dans le cas d'espèce, il s’agirait de l’enregistrement de domaines consistant en des termes génériques, ce qui ne peut en aucun cas porter atteinte aux droits de tiers, les expressions génériques ne pouvant pas faire l’objet de droits exclusifs. Le cybersquattage serait donc exclu par définition dans les cas d'enregistrement de domaines consistant en des termes génériques. Par conséquent, la requérante au principal n'aurait pas agi de mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 3, dudit règlement.

52.      Le défendeur et la République tchèque sont d'avis que la mauvaise foi au sens de l'article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 874/2004 est établie si le nom de domaine a été enregistré au cours de la première étape de l'enregistrement par étapes sur la base d'une marque que le titulaire du nom de domaine n'a obtenue qu’aux fins de pouvoir demander l'enregistrement d'un nom de domaine au cours de la première étape et de précéder ainsi les autres personnes intéressées, y compris les titulaires de droits sur la marque.

53.      Selon la Commission, si la personne qui exige la révocation du nom de domaine a, de son côté, soumis une demande d’enregistrement du même nom de domaine au cours de la première phase de l’enregistrement par étapes et si cette demande a été rejetée eu égard à l'antériorité de la demande déposée par le titulaire du nom de domaine, conformément au principe du «premier arrivé, premier servi» énoncé à l’article 14 du règlement n° 874/2004, le titulaire du nom de domaine litigieux ne peut s'opposer à ladite révocation en invoquant la deuxième possibilité prévue à l'article 21, paragraphe 1, sous a), et les dispositions combinées de l’article 21, paragraphe 1, sous b), et paragraphes 2 et 3, du règlement n° 874/2004 que si l’enregistrement s'est déroulé conformément aux dispositions du chapitre IV, et en particulier de l'article 11 dudit règlement. S'agissant de cette dernière disposition, la Commission est d’avis que les trois options prévues par celle-ci pour le traitement des caractères spéciaux peuvent être hiérarchisées comme suit:

–      si un caractère spécial possède une certaine valeur sémantique – ce qui est le cas pour les caractères spéciaux suivants: $ % & + = –, seule leur expression par un vocable correspondant peut être envisagée;

–      si un caractère spécial ne possède pas de valeur sémantique, mais sert d’élément séparateur – ce qui est le cas pour les caractères spéciaux suivants: # <> { } [ ] \ /: ; , . ? –, il conviendrait de le remplacer par un trait d’union;

–      ce n’est que si un caractère spécial ne possède ni valeur sémantique ni fonction de séparation – ce qui est le cas pour les caractères spéciaux suivants: ~ ^ * ' –, qu’il devrait être éliminé dans sa totalité.

54.      En l’espèce, le caractère spécial «&» présent à plusieurs reprises dans la marque n’aurait donc pas dû être éliminé complètement lors de l'enregistrement du nom de domaine, mais être exprimé en un vocable correspondant [«und» (et)]. Par conséquent, l’enregistrement du nom de domaine litigieux «www.reifen.eu» ne serait pas conforme à l’article 11 du règlement n° 874/2004.

VI – Analyse juridique

A –    Sur les remarques préliminaires de la requérante

55.      Par ses remarques préliminaires, la partie requérante soutient en substance que l’on ne saurait lui opposer des éventuelles fautes commises par le registre à l’égard de l’enregistrement du nom de domaine; en tout état de cause, ces fautes auraient dû être soulevées dans le cadre d’une procédure dirigée contre le registre au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 874/2004, et non pas dans le cadre d'une procédure dirigée contre le titulaire du domaine lui-même.

56.      Les thèses de la requérante soulèvent la question de l’imbrication de la procédure ADR avec les procédures judiciaires et, notamment, si le fait de ne pas avoir engagé une procédure contre une décision prise par le registre, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 874/2004, préjuge, du fait de la forclusion, des griefs qui auraient pu être avancés lors de la procédure ADR à l’encontre de ladite décision.

57.      Même si cette question n’a pas été formellement posée par la juridiction de renvoi, une réponse peut lui être utile (10), dans la mesure où la première question, aussi bien sous a) (sur les conditions de l’enregistrement de la marque en Suède) que sous b) (à propos de l’éventuelle application incorrecte des règles de transcription des caractères spéciaux), se réfère à des griefs qui auraient pu faire l’objet d’une procédure contre une décision du registre. Le défendeur ne s’étant dirigé que contre la requérante, il reste à analyser l’éventuelle forclusion desdits griefs.

58.      Dans ce contexte, il convient de signaler, d’une part, que la procédure ADR instaurée par le règlement nº 874/2004 n’a pas été modelée comme une procédure arbitrale dans le sens strict, mais plutôt comme une procédure quasi administrative qui n’exclue pas l’engagement en parallèle ou a posteriori d’une procédure devant les juridictions nationales (11). De plus, cette procédure ADR manque sciemment de certains traits de caractère typiques des procédures juridictionnelles, tels que l’audience des parties et les mesures d’instruction en vue d’apporter des preuves, ce qui n’est pas sans réduire la portée des droits de défense en bénéfice de l’efficacité (12).

59.      Cette configuration particulière de la procédure ADR s’explique, d’une part, par le souci du législateur de prévoir des procédures courtes de façon à minimiser les coûts pour les opérateurs, comme l’avait déjà suggéré l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à propos des règles UDPR (Uniform Domain-name Dispute Resolution Policy) de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) (13). D’autre part, le but est de protéger les titulaires de «droits antérieurs», dans le sens de l’article 10 du règlement nº 874/2004, face notamment au risque du cybersquattage ou «domain grabbing», qui l’a conduit à créer une procédure dont la structure même tend à favoriser les titulaires de ces droits antérieurs (14) vis-à-vis des titulaires de noms de domaine (15).

60.      Eu égard à ce qui précède, il serait contraire à l’idée même de l’État de droit de considérer que certains griefs ne pourraient être fait valoir que dans le cadre de la procédure ADR et que, à défaut de les avoir présentés dans une telle procédure ils ne seraient plus recevables devant les juridictions nationales. Une telle interprétation priverait de son effet utile l’article 22, paragraphe 13, lu en combinaison avec l’article 21, paragraphe 1, du règlement nº 874/2004, selon lesquels la révocation d’un nom de domaine est aussi possible devant les instances judiciaires et après la fin de la procédure ADR.

61.      D’autre part, la forclusion des griefs non avancés contre le registre EURID dans le cadre d’une procédure ADR en vertu de l’article 22, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 874/2004 serait contraire à l’esprit de cette disposition. En effet, cet article permet à toute partie d’engager une procédure ADR soit contre l’enregistrement spéculatif ou abusif, soit contre le registre. Or, si une partie n’engageant une procédure que contre un enregistrement abusif risquait de ne plus pouvoir invoquer les griefs contre le registre, elle devrait alors toujours intenter les deux procédures afin de pouvoir aussi présenter ses arguments devant les instances judiciaires. Néanmoins, aucune obligation d’engager les deux procédures, sous peine de forclusion des griefs qui n’auraient pas été formulés devant le tribunal d’arbitrage tchèque, ne ressort du libellé dudit article 22, paragraphe 1.

62.      En conclusion, les remarques préliminaires de la requérante sont dépourvues de pertinence et ne doivent donc pas être prises en compte.

B –    Sur la première question

1.      Réponse à la première question, sous a)

63.       Par la première question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si ses doutes quant à l’enregistrement de bonne foi de la marque «&R&E&I&F&E&N&» en Suède font échec à l’existence formelle de ce droit de marque, de sorte qu’il lui serait possible d’interpréter la notion de «droit» de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004, de façon à nier son existence dans les circonstances du cas d’espèce.

64.      À ce sujet, il convient tout d’abord de constater, comme l’indique la Commission à juste titre dans ses observations, que ni la directive 89/104 ni le règlement sur la marque communautaire ne subordonnent l’enregistrement d’un signe à l’intention de son titulaire de l’utiliser pour les biens ou services demandés. Qui plus est, l’article 10 de ladite directive ainsi que l’article 15 du règlement nº 207/2009 octroient à tout titulaire, respectivement, d’une marque nationale ou communautaire, un délai de cinq ans au maximum, à compter de l’enregistrement de la marque, pendant lequel il lui est loisible de ne pas l’utiliser sérieusement (16).

65.      De plus, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 89/104 ne s’oppose pas à l’enregistrement dans un État membre, en tant que marque nationale, d’un vocable emprunté à la langue d’un autre État membre dans laquelle il est dépourvu de caractère distinctif ou est descriptif des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé, à moins que les milieux intéressés dans l’État membre dans lequel l’enregistrement est demandé ne soient aptes à identifier la signification de ce vocable. En effet, en raison des différences linguistiques, culturelles, sociales et économiques entre les États membres, une marque qui est dépourvue de caractère distinctif ou est descriptive des produits ou des services concernés dans un État membre peut ne pas l’être dans un autre État membre (17).

66.      En outre, la mauvaise foi ne se trouve pas parmi les motifs absolus de refus de la marque communautaire (article 7 du règlement n° 207/2009) et, au niveau national, elle peut constituer un motif de refus ou d’annulation, selon l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la directive 89/104. Or, il ressort de la teneur dudit article 3, paragraphe 2, que les États membres ne sont pas tenus d’inclure la mauvaise foi dans leur législation nationale de marques comme motif absolu de refus ni en tant que cause de nullité.

67.      Il s’ensuit que, à supposer même que le droit suédois prévoie la possibilité d’annuler pour cause de mauvaise foi une marque enregistrée et étant donné l’effet constitutif de l’enregistrement des marques, il incombe uniquement aux autorités administratives nationales, suédoises en l’espèce, de déclarer nulle la marque objet du litige au principal, par les procédures prévues à cet effet par le droit national, ou par les autorités judiciaires nationales par voie de demande ou de demande reconventionnelle dans un litige porté devant celles-ci.

68.      Ce point de vue semble aussi être plus en accord avec le besoin de célérité de la procédure ADR décrit précédemment, dans la mesure où l’article 21, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec l’article 22 du règlement nº 874/2009, ne vise pas à octroyer à la cour tchèque d’arbitrage le pouvoir de se prononcer sur la validité des droits de propriété intellectuelle ou industrielle qui sont à la base de l’enregistrement d’un nom de domaine, mais simplement de constater leur existence, même si celle-ci ne devait être que formelle.

69.      Ainsi, même lorsqu’une marque devrait faire l’objet de procédures en vue de sa déchéance ou de sa nullité, tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’une déclaration en ce sens, elle suffit pour être considérée comme un «droit» au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004. En revanche, le simple fait d’avoir introduit une demande de marque ne saurait justifier l’existence d’un droit mais, à tout le plus, d’un intérêt légitime (18).

70.      En conclusion, on retiendra que les doutes quant à l’éventuel enregistrement de mauvaise foi d’une marque ne sauraient pas nier l’existence de ce genre de droit de propriété industrielle et que donc, lorsque le titulaire d’un nom de domaine a basé ce nom sur une marque nationale, il dispose d’un droit dans le sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004. Ces doutes, générés notamment par les circonstances dans lesquelles s’est produit l’enregistrement de la marque nationale dans le litige au principal, comme le fait qu’il s’agisse d’un nom générique en langue allemande peuvent le cas échéant être pris en compte lors de l’analyse de la mauvaise foi dans le sens de ce même article 21, paragraphe 1, sous b).

71.      Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre à la première question, sous a), que l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 874/2004 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque nationale a un droit dans le sens de cette disposition tant que celle-ci n’a pas été annulée par les autorités ou les juridictions compétentes et suivant les procédures établies en droit national pour cause de mauvaise foi ou autre.

2.      Réponse à la première question, sous b)

72.      Par sa première question, sous b), l'Oberster Gerichtshof cherche à savoir si, lorsque le manque d’identité entre la marque de laquelle la requérante au principal est titulaire et le nom de domaine qu’elle avait obtenu est dû à une application erronée des règles de transcription de l’article 11 du règlement nº 874/2004, la requérante au principal ne peut plus être réputée avoir un «droit» dans le sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), dudit règlement.

73.      À ce sujet, il convient de faire les observations suivantes.

74.      En premier lieu, le fait que le terme employé comme marque constitue un vocable générique en une langue de la Communauté, la langue allemande en l’espèce, est dépourvu de pertinence pour juger de l’effet de la mauvaise application des règles de transcription, étant donné que l’attribution de noms de domaine .eu formés par des mots génériques dans les langues de la Communauté n’a pas été interdite par le règlement nº 874/2004, ni par le règlement n° 733/2002.

75.      En deuxième lieu, il ressort clairement de l’article 11 du règlement nº 874/2004, notamment de sa dernière phrase (19), que le principe pour l’enregistrement de noms de domaine provenant de droits antérieurs consiste en l’identité ou la plus grande ressemblance entre les deux.

76.      En troisième lieu, quant aux alternatives pour la transcription des caractères spéciaux dudit article 11, deuxième et troisième alinéas, il convient de signaler que, contrairement à ce que soutient la Commission, le libellé de cette disposition n’établit pas une hiérarchie entre les trois solutions (élimination, remplacement ou expression par des caractères normaux), mais seulement en ce qui concerne la troisième, la substitution des caractères spéciaux par des normaux. En effet, l’exigence de procéder à la substitution des caractères spéciaux dans cette troisième hypothèse «lorsque cela est possible» doit être interprétée comme la solution préférée du législateur par rapport aux deux autres branches de l'alternative (20).

77.      Toutefois, le bout de phrase «lorsque cela est possible» ne doit pas être entendu dans le sens qu’une substitution des caractères spéciaux doit obligatoirement être menée chaque fois que le caractère spécial en question, dans la présente affaire «&», possède un contenu sémantique, en l’espèce «and» (en anglais). Il faut tenir compte du fait que l’idée qui sous-tend l’article 11 consiste, selon son premier alinéa, en particulier, à donner une solution satisfaisante aux noms complets constitués de plusieurs mots ou éléments de texte ou de mots séparés par des espaces, comme la marque «X&Y». À l’évidence, ce genre de nom est confronté aux contraintes techniques de l’enregistrement de nom de domaine. C’est donc dans le but de surmonter ces obstacles que les règles de transcription ont été prévues.

78.      Dans ces conditions, même si la substitution des caractères spéciaux est préférée aux autres solutions, il ne s’agit pas de l’appliquer de façon automatique du moment où le registre est confronté à une demande contenant un tel caractère. Au contraire, il est besoin d’en faire une application qui tienne compte non seulement de la possibilité de traduire le signe techniquement incompatible avec les noms de domaine par des caractères normaux, mais aussi du fait que la traduction aboutisse à un résultat offrant une certaine cohérence avec le droit antérieur.

79.      Ainsi, même s’il est vrai que le caractère «&», employé normalement comme liaison entre deux mots, peut avoir un contenu sémantique facilement traduisible dans toutes les langues de la Communauté, l’utilisation quasi abusive faite par la requérante pouvait être perçue comme dénaturant ledit contenu sémantique. En effet, son placement devant et derrière chacune des lettres composant le mot allemand «Reifen» («&R&E&I&F&E&N&») serait dépourvu de toute logique, notamment vis-à-vis de la façon dont le symbole «&» est communément utilisé. Or, toutes ces constatations appellent des appréciations de fait qu’il n’incombe pas à la Cour de réaliser.

80.      Il s’ensuit que, si de l’avis du juge national, seul compétent dans la procédure préjudicielle pour examiner les faits du litige dont il est saisi, dans les circonstances de l’espèce le caractère «&» n’avait pas eu ou avait perdu son contenu sémantique, il ne pourrait pas être reproché au registre d’avoir procédé à l’élimination dudit caractère lors de l’enregistrement du nom de domaine. Dans ce cas-là, la différence entre le signe enregistré comme marque et le nom de domaine serait justifiée; par voie de conséquence, l’enregistrement aurait été correct et la requérante aurait dûment enregistré son droit antérieur, devenant ainsi titulaire d’un «droit» dans le sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004.

81.      Il convient donc de répondre à la première question, sous b), qu’un droit dans le sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 874/2004 existe même lorsque la marque sur laquelle se fonde l’enregistrement du domaine s’écarte du nom de domaine à la suite de la correcte élimination dans celui-ci des caractères spéciaux que ladite marque contenait. Il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner si lesdits caractères spéciaux auraient pu être exprimés par des caractères normaux.

C –    Sur les deuxième et troisième questions

82.      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi s’interroge sur les moyens de déceler un «intérêt légitime» dans le sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004 dans les circonstances du cas dont elle est saisie; elle demande notamment, d’un côté, si la liste des cas de figure prévus à l’article 21, paragraphe 2, sous a) à c), du même règlement a un caractère exhaustif et, d’un autre côté, dans le cas d’une réponse négative à cette question, si le seul souhait d’utiliser un nom de domaine pour un site Internet thématique est suffisant pour satisfaire aux conditions dudit intérêt légitime.

83.      Tout d’abord, étant donné, d’une part, qu’il découle de la réponse à la première question l’existence d’un «droit» dans le sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement nº 874/2004 et, d’autre part, le caractère alternatif de ce «droit» et de l’«intérêt légitime» pour satisfaire à la première condition d’application de ladite disposition, la réponse à ces deuxième et troisième questions n’a pratiquement plus d’utilité pour la juridiction de renvoi. Dès lors, les développements ci-dessous sont présentés uniquement à titre subsidiaire.

84.      Pour ce qui est du caractère exhaustif des cas prévus à l’article 21, paragraphe 2, sous a) à c), il y a lieu de constater, de prime abord, que la comparaison des différentes versions linguistiques du texte de ladite disposition fait apparaître une erreur dans la version allemande. En effet, celle-ci se lit comme suit: «(2) Ein berechtigtes Interesse im Sinne von Absatz 1, Buchstabe a) liegt vor, wenn: […]». Cette formulation – qui pourrait être littéralement traduite par «Il existe un intérêt légitime dans le sens du paragraphe 1, sous a), lorsque […]» – introduit une nuance catégorique selon laquelle on ne pourrait conclure à l’existence d’un intérêt légitime que dans les cas expressément prévus, développés par la suite.

85.      Or, la teneur de plusieurs autres versions linguistiques montre bien que le législateur communautaire n’a pas cherché à limiter la preuve de l’éventuelle existence de cet intérêt légitime aux cas décrits sous a), b) et c). Cela ressort clairement par l’utilisation du verbe «pouvoir», qui démontre bien le caractère non exhaustif desdits exemples (21).

86.      Cette interprétation littérale du texte est renforcée par un argument téléologique; en effet, parmi les objectifs poursuivis par le règlement nº 874/2004, il y a lieu de souligner la célérité des procédures devant les panels ADR. Dans ce contexte, les règles d’interprétation, notamment de termes à fort contenu juridique comme un «intérêt légitime» ou la «mauvaise foi», doivent être considérées comme une aide du législateur aux panels ADR, dans la mesure où ceux-ci peuvent être composés d’une seule personne (22) et où leurs membres ne seront pas nécessairement juristes (23).

87.      En outre, du point de vue systématique, l’énumération de cas où un intérêt légitime peut exister est rendue nécessaire, puisque le règlement, dans son article 10, auquel renvoie l’article 21, paragraphe 1, contient déjà une définition très souple de «droit», en particulier en ce qui concerne les droits antérieurs, ou renvoie aux droit nationaux et communautaire. Or, on ne trouve dans le règlement aucune définition d’«intérêt légitime», notion qui n’est pas mentionnée en dehors de l’article 21 dudit texte normatif. Dans le souci, donc, de rendre plus facile la tâche des panels, ainsi qu’en l’absence d’une disposition contenant des définitions pertinentes pour l’application du règlement, le seul article susceptible de prévoir des orientations sur cette notion était le même article 21. En plus, la liste des droits étant, par sa propre nature, ouverte et non exhaustive, on ne saurait comprendre pourquoi il devrait en aller autrement de la liste portant sur l’«intérêt légitime».

88.      Une fois, donc, conclu au caractère non exhaustif des cas prévus à l’article 21, paragraphe 2, sous a) à c), du règlement nº 874/2004, il convient de se pencher sur la question de savoir si la seule intention d’utiliser un nom de domaine suffit à remplir la condition de l’intérêt légitime.

89.      Dans ce contexte, il est à noter que les trois cas de figure mentionnés dans cette disposition demandent expressément, ou supposent, une utilisation du nom. Seule la première hypothèse permet de ne pas exiger cette utilisation lorsque le titulaire de ce nom peut démontrer s’être préparé à une offre de biens ou de services.

90.      Or, la simple déclaration d’avoir l’intention d’utiliser le nom de domaine ne pourrait pas être considérée comme une préparation à effectuer une telle offre de biens ou de services; la sécurité juridique nécessite une preuve de l’existence d’un plan d’action prévoyant des mesures concrètes afin d’entreprendre dans les meilleurs délais l’activité envisagée. Si, par exemple, un «business plan» détaillé devrait être accepté comme moyen de preuve à cet égard, d’autres documents révélant un état d’avancement moins minutieux, comme de projets de contrats de société, du développement d’un site Internet, etc. devraient aussi témoigner de l’existence dudit intérêt légitime (24).

91.      En ce qui concerne l’argument de la requérante, selon lequel elle n’aurait pas commencé, à l’époque des faits, à préparer son activité en l’attente de l’issue de ce contentieux, il y a lieu de signaler que, quand bien même cette attitude pourrait être considérée comme prudente, elle pourrait révéler aussi que la requérante ne cherche pas autre chose que l’enregistrement du nom de domaine. Or, faute de tout support matériel, ce seul but ne saurait être considéré comme «légitime» dans la «sunrise period», mais uniquement dans la «landrush period», qui ne subordonnait les demandes à aucune exigence.

92.      Toutefois, ces appréciations sur les intentions et le démarrage d’une activité au support du nom de domaine relevant des faits, il incombe au juge national d’examiner, à la lumière de toutes les données factuelles de l’affaire dont il est saisi, si le titulaire du nom de domaine a effectivement prouvé l’existence d’un tel plan, ou apporté les documents ou autre moyens de preuve, à défaut desquels un intérêt légitime ne serait pas susceptible d’être déduit de la seule intention de l’exploiter.

D –    Sur les quatrième et cinquième questions

93.      Par ces deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, l'Oberster Gerichtshof cherche, en substance, à savoir, d’une part, si le comportement de la requérante relève de la mauvaise foi, au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 874/2004, et, d’autre part, si la liste des critères servant comme preuve de la mauvaise foi selon l’article 21, paragraphe 3, est exhaustive ou pas.

94.      En premier lieu, quant au caractère exhaustif de la liste des critères de l’article 21, paragraphe 3, pour prouver la mauvaise foi, il faut simplement signaler que, de nouveau, la version allemande du règlement nº 874/2004 est entachée d’une erreur. En effet, comme pour la deuxième question,(25), une simple comparaison des versions linguistiques fait apparaître que la formulation en langue allemande «Bösgläubigkeit im Sinne von Absatz 1 Buchstabe b) liegt vor, wenn» s’avère être trop catégorique et, du point de vue grammatical, limite les cas de mauvaise foi à ceux décrits dans la liste de l’article 21, paragraphe 3. En revanche, les autres langues (26) introduisent toutes une nuance importante en ajoutant le verbe «pouvoir», de sorte que les cas de ladite liste y figurent à titre d’exemple, sans lui octroyer donc un caractère exhaustif. Dans ces conditions, il convient d’interpréter la version allemande à la lumière des autres versions linguistiques (27).

95.      Cette interprétation littérale du texte est renforcée, en premier lieu, par le même argument téléologique avancé à l’égard de l’interprétation du paragraphe 2 de ladite disposition, quant au caractère sommaire des procédures ADR et à l’éventuel manque de préparation juridique des membres des panels, ce qui aurait poussé le législateur à vouloir les aider moyennant la prévision d’exemples (28).

96.      Sur le plan de la mauvaise foi, il faut ajouter que, étant donné le but du règlement de prévenir ou d’éviter le cybersquattage, le législateur européen a voulu fournir auxdits panels des exemples typiques de ce genre de comportements qu’il considère en tout état de cause contraires à la bonne foi.

97.      Aussi, du point de vue systématique, force est de constater que la bonne foi est exigée à l’article 3, premier alinéa, sous a), du règlement nº 874/2004, sous forme d’une déclaration jointe à la demande d’enregistrement du nom de domaine, comme élément nécessaire à la validation de ladite demande. Dès lors que, selon l’article 20, premier alinéa, sous c), du même règlement, le registre peut révoquer de sa propre initiative un nom de domaine lorsque le titulaire n’a pas respecté les conditions d’enregistrement, la révocation pour absence de bonne foi suppose donc la vérification par le registre d’une cause de mauvaise foi; or, aucune limitation n’est prévue quant aux fondements possibles de la mauvaise foi. S’agissant d’une clause générale, il serait difficilement compréhensible que le législateur ait attribué au registre la compétence pour interpréter d’office et sans limitations la mauvaise foi, alors que, si l’on considérait la liste de l’article 21, paragraphe 3, comme exhaustive, il limiterait la compétence des organes extrajudiciaires ou judiciaires pour interpréter la mauvaise foi aux causes expressément prévues dans la liste de cette dernière disposition.

98.      La question posée par la juridiction de renvoi était néanmoins importante, dans la mesure où elle doute que le comportement de la requérante corresponde à l’une des situations expressément prévues dans la liste de l’article 21, paragraphe 3. Si ces critères, du reste tous relevant de comportements typiques du cybersquattage, étaient exhaustifs, la juridiction de renvoi aurait alors dû conclure à l’absence de mauvaise foi.

99.      En deuxième lieu, l’acceptation d’autres causes pouvant fonder la mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 874/2004 nous mène donc à devoir déceler les critères pertinents pour l’analyse de la mauvaise foi dans le chef de la requérante.

100. À cet égard, la Cour a déjà expliqué que l’existence de mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (29). Même si elle s’est prononcée ainsi dans le cadre d’une affaire de droit de marque portant sur l’interprétation de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, rien ne s’oppose à une application par analogie du même raisonnement. En effet, dans les deux hypothèses il s’agit de l’obtention de droits (soit de marque, soit sur l’utilisation exclusive d’un nom de domaine) moyennant l’enregistrement auprès d’un registre officiel.

101. En ce qui concerne les facteurs mentionnés dans les questions préjudicielles pouvant revêtir un intérêt pour l’examen de la mauvaise foi de la requérante, à savoir:

–        les conditions dans lesquelles la marque a été acquise, dans le but de pouvoir demander l’enregistrement du nom de domaine lors de la première phase;

–        le fait qu’il s’agisse d’un nom générique tiré de la langue allemande; et

–        l’usage éventuellement abusif du signe «&» afin d’influencer l’application des règles de transcription de l’article 11 du règlement nº 874/2004,

il y a lieu d’apporter les précisions suivantes.

102. À titre liminaire, il faut signaler que le fait que le titulaire d’une marque n’ait eu pour but, par l’enregistrement de la marque dans un État membre où il ne prévoit aucune activité professionnelle liée à celle-ci, que de s’assurer une meilleure position vis-à-vis de ses concurrents lors de l’octroi du nom de domaine ne constitue pas, à lui seul, une preuve de sa mauvaise foi.

103. En effet, le règlement nº 874/2004 lui-même, en prévoyant la «sunrise period», permet aux titulaires de droits antérieurs, dont les marques enregistrées, de demander le nom de domaine correspondant à ce droit antérieur, et ce avec une préférence pour les demandeurs ne disposant pas de ce genre de droits. La circonstance, donc, de s’être procuré une position plus favorable ne peut être considérée comme «de mauvaise foi» que si un cumul d’autres facteurs venait à démontrer que cet avantage ne lui serait pas revenu en des circonstances normales et que cette situation favorable est la conséquence d’un comportement consciemment contraire aux pratiques loyales du commerce. Il s’agit, justement, d’analyser ces autres éléments circonstanciels qui pourraient prouver la mauvaise foi dans le chef de la requérante.

104. Ainsi, en ce qui concerne les conditions d’obtention de la marque «&R&E&I&F&E&N&», bien qu’il soit loisible au titulaire d’un signe d’enregistrer celui-ci dans le pays de son choix, il n’en reste pas moins qu’une marque enregistrée dans un pays où son titulaire n’entend l’utiliser en aucun cas, tel qu’il semble ressortir du dossier soumis à la Cour par la juridiction de renvoi, n’est pas appelée à remplir sa fonction essentielle, consistant à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service (30). En effet, la requérante étant absente du marché suédois, ladite marque ne protégerait aucun bien ni service dans celui-ci.

105. Toutefois, cet élément à lui seul ne sert pas à qualifier de mauvaise foi le comportement de la requérante au principal, dans la mesure où, comme il a été signalé, la directive 89/104 n’oblige pas le titulaire d’une marque à l’utiliser pendant une période allant jusqu’à cinq ans après la date d’enregistrement. Cela dit, l’intention manifeste, comme en l’espèce, de ne pas vendre des produits ni des services en Suède, notamment des ceintures de sécurité, puisqu’il voulait commercialiser des pneus, peut être un autre indice que la marque a été obtenue dans un but étranger à sa fonction essentielle ou même à celui des autres fonctions de celle-ci, comme celle consistant à garantir la qualité du produit ou du service en cause, ou celles de communication, d’investissement ou de publicité (31).

106. Dans ce contexte, l’enregistrement en Suède, pays non germanophone, d’une marque verbale tirée de l’allemand mérite une attention particulière.

107. Ainsi, ce facteur est sans doute de nature à démontrer que la marque ne remplissait qu’une fonction auxiliaire, mais nécessaire, dans le but d’obtenir le nom de domaine. Dans un comportement loyal, la requérante n’aurait pas pu enregistrer la marque «Reifen» dans un pays germanophone, les signes verbaux génériques étant dépourvus de caractère distinctif, notamment lorsqu’ils sont descriptifs.(32). Or, ce serait justement dans ces pays où la protection de la marque devrait satisfaire aux besoins du titulaire, son marché opérationnel, celui des pneus, étant limité, selon la juridiction de renvoi, auxdits pays germanophones.

108. Certes, les noms génériques ne sont pas exclus des registres «.de» ou «.at», tout comme ils ne le sont pas pour le registre «.eu» (33). Mais, puisque la requérante ne pouvait pas obtenir l’enregistrement de la marque générique «Reifen» pour les marchés germanophones, où elle prévoyait de déployer son activité, elle aurait dû attendre l’ouverture de la phase appelée «landrush» pour essayer d’obtenir son nom de domaine sur un pied d’égalité avec les autres personnes désirant enregistrer ce même nom, par application du principe «premier arrivé, premier servi» (34), modalité moderne de l’adage romain «prior tempore potior iure» (35).

109. Or, moyennant l’artifice de l’enregistrement d’une marque qu’elle n’entendait pas utiliser, la requérante a uniquement évité de devoir attendre la phase d’ouverture généralisée («landrush period») au détriment des autres intéressés par le même nom de domaine, à l’encontre donc de l’esprit du règlement n° 874/2004, qui voulait que la règle du «premier arrivé, premier servi» trouve à s’appliquer aussi dans cette période.

110. Finalement, il faut également tenir compte de l’usage éventuellement abusif du signe «&» fait par la requérante afin d’influencer l’application des règles de transcription de l’article 11 du règlement nº 874/2004.

111. En effet, le deuxième facteur qui a contribué à ce que la requérante obtienne le nom de domaine en évitant la concurrence de la phase «landrush» a été l’inscription de la marque avec un usage disproportionné et illogique du symbole «&». Ainsi, dans le signe «&R&E&I&F&E&N&», le symbole «&» aurait tendance à perdre sa signification traditionnelle («and», «et») pour ne devenir qu’une sorte de coulisse, de fond ornemental du mot véritablement souhaité, ce qui justifierait son élimination, mais pas sa transcription, lors de l’enregistrement.

112. Du reste, l’enregistrement en masse, au nombre de 33, de marques dans le registre suédois, toutes par le même procédé, en utilisant le symbole «&», peut aussi constituer un indice pour renforcer le manque de bonne foi du titulaire du nom de domaine, dans la mesure où ces enregistrements pourraient, le cas échéant, relever de l’une des circonstances décrites à l’article 21, paragraphe 3, sous a), b) ou d), comportements typiques du «domain grabbing».

113. Toutes ces circonstances ne sont pas sans rappeler le principe de l’«abus de droit», à l’égard duquel la Cour a déjà dit pour droit que la preuve d’une pratique abusive nécessite un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation communautaire, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint, et un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation communautaire en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (36).

114. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que, pour l’examen de la mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 874/2004, lu en combinaison avec son paragraphe 3, dont les critères ne sont pas exhaustifs, la juridiction nationale est tenue de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce dont notamment:

–        les conditions dans lesquelles la marque a été acquise, en particulier l’intention de ne pas l’utiliser dans le marché pour lequel la protection a été demandée;

–        le fait qu’il s’agisse d’un nom générique tiré de la langue allemande, et

–        l’usage éventuellement abusif du signe «&» afin d’influencer l’application des règles de transcription de l’article 11 du règlement nº 874/2004,

pour autant que le seul but de l’enregistrement soit de pouvoir demander l’enregistrement du nom de domaine correspondant à la marque lors de la première phase de l’enregistrement de noms de domaine («sunrise period») prévue par ledit règlement.

VII – Synthèse

115. L’analyse effectuée dans ces conclusions nous mène à suggérer une solution selon laquelle, bien que l’existence d’un droit dans le chef de la requérante au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 874/2004 nous semble difficilement niable, un cumul de facteurs pourrait néanmoins démontrer sa mauvaise foi.

116. Ainsi, l’obtention d’une marque nationale constitue un droit qui la rend bénéficiaire de la position juridique exigée par ladite disposition, seule l’annulation de cette marque suivant les procédures nationales pertinentes pouvant lui enlever ledit bénéfice. Or, la différence entre la marque et le nom de domaine serait due à une application vraisemblablement correcte des règles de transcription, de sorte que cette différence ne saurait non plus lui être reprochée en vue d’anéantir son droit dans le sens dudit article 21, paragraphe 1, sous a).

117. Toutefois, les diverses étapes entreprises par la requérante constituent les maillons d’une chaîne au bout de laquelle se trouve l’enregistrement du nom de domaine. Malgré le fait que tous ces pas, pris isolément, sont formellement valables, le processus dans son ensemble laisse entrevoir une intention d’échapper aux dispositions du règlement par le truchement d’une marque qui ne lui est nécessaire qu’afin de pouvoir profiter de la première étape d’enregistrement de noms de domaine. En agissant de la sorte, la requérante obtient un avantage vis-à-vis des autres intéressés au même nom de domaine, de plus un mot générique en allemand, qu’elle n’aurait pas eu si elle s’était comportée loyalement.

118. En effet, par son comportement abusif, elle empêche les autres intéressés de participer à l’octroi du nom de domaine en application de la règle «premier arrivé, premier servi». Accepter ce comportement comme un «coup de génialité» reviendrait à échanger la course au plus rapide par la course au plus astucieux, celui qui trouverait le raccourci le plus avantageux, en contradiction avec l’esprit même du règlement.

VIII – Conclusion

119. Au vu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par l'Oberster Gerichtshof:

«1)      L’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 874/2004 de la Commission, du 28 avril 2004, établissant les règles de politique d’intérêt général relatives à la mise en œuvre et aux fonctions du domaine de premier niveau .eu et les principes applicables en matière d’enregistrement, doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque nationale a un droit dans le sens de cette disposition, tant que ladite marque n’a pas été annulée par les autorités ou les juridictions compétentes et suivant les procédures établies en droit national pour cause de mauvaise foi ou autre.

Ce droit existe même lorsque la marque sur laquelle se fonde l’enregistrement du domaine s’écarte du nom de domaine à la suite de la correcte élimination dans celui-ci des caractères spéciaux que ladite marque contenait. Il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner si lesdits caractères spéciaux auraient pu être exprimés par des caractères normaux.

2)      Pour l’examen de la mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 874/2004, lu en combinaison avec son paragraphe 3, dont les critères ne sont pas exhaustifs, la juridiction nationale est tenue de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce, dont notamment:

–      les conditions dans lesquelles la marque a été acquise, en particulier l’intention de ne pas utiliser la marque dans le marché pour lequel la protection a été demandée;

–      le fait qu’il s’agisse d’un nom générique tiré de la langue allemande; et

–      l’usage éventuellement abusif du signe «&» afin d’influencer l’application des règles de transcription de l’article 11 du règlement nº 874/2004,

pour autant que le seul but de l’enregistrement de la marque soit de pouvoir demander le nom de domaine correspondant à la marque lors de la première phase de l’enregistrement de noms de domaine (‘sunrise period’) prévue par ledit règlement.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Règlement de la Commission, du 28 avril 2004, établissant les règles de politique d’intérêt général relatives à la mise en œuvre et aux fonctions du domaine de premier niveau .eu et les principes applicables en matière d’enregistrement (JO L 162, p. 40).


3 – Selon la juridiction de renvoi, le nom de la marque est composé des trois premières lettres des mots allemands «Reinigungsmittel» (produits de nettoyage) et «Fenster» (vitre); mais le mot «Reifen» en lui-même signifie pneu.


4 – JO L 113, p. 1.


5 – Acronyme tiré de l’anglais Alternative Dispute Resolution, plus connu et utilisé dans le langage technique en ce domaine.


6 – Dans l’affaire 00910.


7 – Première directive du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).


8 – Règlement du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1). Ce règlement a été abrogé et substitué par le règlement (CE) nº 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), en vigueur depuis le 13 avril 2009. Toutefois, il ne s’agit que d’une version codifiée qui n’a pas altéré les principales dispositions dans leur substance.


9 – Arrêt du 9 mars 2006, Matratzen Concord (C-421/04, Rec. p. I-2303).


10 – Il est constant dans la jurisprudence de la Cour de fournir aux juridictions de renvoi des réponses utiles à la solution des affaires dans lesquelles les questions préjudicielles ont été soulevées; voir, par exemple, arrêts 23 avril 1991, Höfner et Elser (C-41/90, Rec. p. I‑1979, point 16), du 24 mars 2009, Danske Slagterier (C‑445/06, non encore publié au Recueil, point 29), et du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C-432/07, non encore publié au Recueil, point 28).


11 – En ce sens, la règle A5 des Règles relatives au règlement des litiges concernant les domaines .eu («Règles ADR»; voir http://www.adreu.eurid.eu/html/fr/adr/adr_rules/ADR%20rules_fr.pdf) dispose que «[l]e déroulement de la Procédure ADR n'est affecté par aucune procédure judiciaire, à l'exception de l'hypothèse prévue au paragraphe A4(c) […]», lequel se lit comme suit: «Le Tribunal ADR clôturera la procédure s'il constate que le litige qui fait l'objet de la Plainte a été résolu par une décision ayant acquis l'autorité de chose jugée, prononcée par un tribunal ou par un organe de règlement extrajudiciaire des litiges». De plus, ces dispositions montrent que la procédure ne serait pas obligatoire, contrairement à ce qui a été soutenu; ainsi, Muñoz, R., «L’enregistrement d’un nom de domaine ‘.eu’», Journal des tribunaux – Droit Européen, 2005, nº 120, p. 164.


12 – Bettinger, T., «Alternative Streitbeilegung für ‘.EU’», Wettbewerb in Recht und Praxis, nº 5/2006, p. 551.


13 – Fromkin, M., «ICANN’s Uniform Dispute Resolution Policy, Causes and (Partial) cures», Brooklyn Law Review, tome 67, printemps 2002, nº 3, p. 636.


14 – Cela a été dénoncé comme inéquitable, dans la mesure où, pour ne s’en tenir qu’aux délais, le droit d’agir du titulaire de marque devant les tribunaux n’est pas limité dans le temps, alors que le défendeur d’un nom de domaine attaqué ne dispose par contre que de 30 jours pour porter la décision de la Cour d’arbitrage devant les tribunaux nationaux. Defossez, A., «Conflits entre titulaires de nom de domaine .eu et de droit de marque: une première analyse», Revue du Droit de l’Union Européenne, nº 2/2007, p. 375.


15 – Cette situation typique de ce genre de procédures, connue comme «trademark bias», n’est pas restée sans critique. Voir Fromkin, M., précité, p. 674. Voir aussi Tardieu‑Guigues, E., « ‘Eurostar.eu’, la première contestation judiciaire de l’enregistrement d’un nom de domaine en <.eu>», Revue LAMY droit de l’immatériel, nº 15, avril 2006, p. 35, pour qui «les principes généraux qui guident la résolution des litiges par les procédures de règlement extrajudiciaire ne sont pas dans l’intérêt des demandeurs [de noms de domaine]».


16 – Sur la notion d’«usage sérieux», voir, notamment, arrêts du 14 juin 2007, Häupl (C‑246/05, Rec. p. I-4673) du 9 décembre 2008, Verein Radetzky-Orden (C‑442/07, Rec. p. I‑9187), et du 15 janvier 2009, Silberquelle (C-495/07, non encore publié au Recueil).


17 – Arrêts Matratzen Concord, précité, points 25 et 32, et du 25 octobre 2007, Develey/OHMI (C‑238/06 P, Rec. p. I‑9375, point 58).


18 – Celui-ci semble être aussi le critère suivi par la cour tchèque d’arbitrage; Scheunemann, K., Die .eu. Domain – Registrierung und Streitbeilegung, Nomos, Baden-Baden, 2008, p. 240.


19 – Qui se lit comme suit: «[…] Pour tout le reste, le nom de domaine est identique aux éléments de texte ou de mot du nom couvert par un droit antérieur».


20 – Cette interprétation semble aussi avoir été préférée par les panels ADR, ce qui n’a toutefois pas pu limiter les fraudes; Mietzel, J. G., «Die ersten 200 ADR-Entscheidungen zu .eu‑Domains – Im Spagat zwischen Recht und Gerechtigkeit», Mutimedia und Recht,nº 5/2007, p. 284.


21 – Ainsi, cette même disposition se lit comme suit: en anglais, «A legitimate interest within the meaning of point (a) of paragraph 1 may be demonstrated where»; en français, «L'existence d'un intérêt légitime au sens du paragraphe 1, point a), peut être démontrée quand: »; en italien, «Il legittimo interesse ai sensi del paragrafo 1, lettera a), può essere dimostrato ove:»; en espagnol, «Podrá quedar demostrada la existencia de intereses legítimos a efectos de la letra a) del apartado 1 en los casos en que:»; en néerlandais, «Een gewettigd belang in de zin van lid 1, onder a), kan worden aangetoond wanneer:» et, en slovène, «Legitimen interes v smislu točke (a) odstavka 1 se lahko izkaže, če:» (nous soulignons).


22 – Selon l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 874/2004.


23 – Cela ressort de l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 874/2004, lequel n'exige d'eux que «les compétences et l’expérience appropriées».


24 – C’est, du moins, la thèse défendue par une partie de la doctrine; Bettinger, T., Willoughby, A., et Abel, S. M., Domain Law and Practice – An International Handbook, Oxford, 2005, p. 278, et Scheunemann, K., ouvrage précité, p. 245.


25 – Voir les points 84 et 85 des présentes conclusions.


26 – En anglais, «Bad faith, within the meaning of point (b) of paragraph 1 may be demonstrated, where:»; en français, «La mauvaise foi au sens du paragraphe 1, point b), peut être démontrée quand:» ; en italien, «La malafede ai sensi del paragrafo 1, lettera b), può essere dimostrata ove:»; en espagnol, «Podrá quedar demostrada la mala fe a efectos de la letra b) del apartado 1 en los casos en que […]»; en néerlandais, «Kwade trouw in de zin van lid 1, onder b), kan worden aangetoond wanneer:» et, en slovène, «Nepoštenost v smislu točke (b) odstavka 1 se lahko izkaže, če:» (nous soulignons).


27 – Une position contraire, dans le sens du caractère exhaustif de la liste, a été soutenue avec l’argument que le fait d’ajouter la clause générale de bonne foi aux causes expressément prévues risquerait de mener à une interprétation différente selon les différentes juridictions nationales, et cela avec des critères tirés du droit des marques, peu en accord avec ceux des noms de domaine; Kipping, D., Das Recht der .eu‑Domains, Carl Heymanns, Cologne/Munich, 2008, p. 40. Or, la méthode de comparaison des versions linguistiques a traditionnellement été utilisée par la Cour afin de déceler le sens des textes normatifs communautaires. Lorsque, comme en l’espèce, l’erreur n’apparaît que dans l’une des langues, toutes les autres ayant le même contenu sémantique, il ne peut être conclu que dans le sens de considérer que cette version est entachée d’une erreur. En outre, l’article 3, premier alinéa, sous c), du règlement n° 874/2004 se réfère aussi à la bonne foi comme clause générale et pas uniquement liée aux critères de l’article 21, sans que, pour autant, il faille prôner une quelconque limitation de l’interprétation de cette clause.


28 – Voir point 87 des présentes conclusions.


29 – Arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, non encore publié au Recueil, point 37).


30 – Voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI (C‑456/01 P et C‑457/01 P, Rec. p. I‑5089, point 48).


31 – Sur les autres fonctions de la marque, récemment reconnues par la jurisprudence de la Cour, voir arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e.a. (C‑487/07, non encore publié au Recueil, point 58).


32 – En droit allemand voir Ströbele, P., «Absolute Schutzhindernisse ‑ Unterscheidungskraft», Ströbele/Hacker, Markengesetz Kommentar, neuvième édition, Carl Heymanns, Cologne, 2009, p. 242.


33 – Il convient de noter, cependant, quelques divergences entre les droits nationaux; ainsi, en Autriche même, la jurisprudence semble avoir tempéré une méfiance initiale vis-à-vis de la conformité à la bonne foi de l’enregistrement de termes génériques en tant que noms de domaine; Haller, A., «Internet‑Domains – ein Überblick», dans Brenn (directeur), ECG/E‑Commerce‑Gesetz, Manz, Vienne, 2002, p. 109; en revanche, le droit espagnol interdit expressément par la loi l’enregistrement de termes génériques désignant des produits, des services, des établissements, des secteurs d’activité, des professions, des religions, etc.; Plaza Penadés, J., «Propiedad intelectual y sociedad de la información», dans García Mexía, P. (directeur), Principios de Derecho de Internet, Tirant lo Blanch, Valence, 2005, p. 380; en Italie, en revanche, l’enregistrement de termes génériques n’est pas interdit pas la loi, mais la jurisprudence semble aussi aller vers une prohibition du moins partielle; Casaburi, G., «Nomi a dominio Internet e tutela della proprietà industriale», Rivista Giuridica di merito De Jure, nº 5, mai 2008, p. 12; en France et au Royaume-Uni, aucune prohibition d’enregistrement de noms de domaine génériques ne semble exister; pour le droit français, Azéma, J., et Galloux, J.‑C., Droit de la propriété industrielle, Dalloz, sixième édition, Paris, 2006, p. 917; pour le droit du Royaume-Uni, voir Morcom, Roughton, Graham et Malynicz, The modern law of trade marks, deuxième édition, Lexis Nexis Butterworths, Londres, 2005, p. 377 et 378.


34 – Voir onzième considérant du règlement nº 874/2004, selon lequel «[…] [à] l’issue de la procédure d’enregistrement par étapes, le principe du ‘premier arrivé, premier servi’ doit s’appliquer pour l’attribution des noms de domaine».


35Codex Iustinianus. Corpus Iuris Civilis, tome II, Krüger, Berlin, 1954, 8.17 (18)3(4).


36 – Arrêts du 14 décembre 2000, Emsland‑Stärke (C‑110/99, Rec. p. I‑11569, points 52 et 53) et du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb (C‑515/03, Rec. p. I‑7355, point 39).