Language of document : ECLI:EU:C:2014:2381

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 18 novembre 2014 (1)

Affaire C‑147/13

Royaume d’Espagne

contre

Conseil de l’Union européenne

«Recours en annulation – Mise en œuvre d’une coopération renforcée – Création d’une protection par brevet unitaire – Règlement (UE) no 1260/2012 – Modalités applicables en matière de traduction – Principe de non-discrimination – Délégation de pouvoirs à des organes extérieurs à l’Union – Choix de la base juridique – Détournement de pouvoir – Principe d’autonomie du droit de l’Union»





1.        Par son recours, le Royaume d’Espagne demande l’annulation du règlement (UE) no 1260/2012 du Conseil, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction (2).

2.        Le règlement attaqué a été adopté à la suite de la décision 2011/167/UE du Conseil, du 10 mars 2011, autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire (3).

3.        Il fait partie du «paquet brevet unitaire» avec le règlement (UE) no 1257/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet (4), et l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, signé le 19 février 2013 (5).

I –    Le cadre juridique

4.        Nous nous référons à nos conclusions dans l’affaire Espagne/Parlement et Conseil (C‑146/13), actuellement pendante devant la Cour, pour les dispositions pertinentes qui y ont déjà été exposées.

A –    Le droit international

5.        L’article 14 de la convention sur la délivrance de brevets européens (convention sur le brevet européen), signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977 (6), intitulé «Langues de l’Office européen des brevets, des demandes de brevet européen et d’autres pièces», dispose:

«1.      Les langues officielles de l’Office européen des brevets [(7)] sont l’allemand, l’anglais et le français.

2.      Toute demande de brevet européen doit être déposée dans une des langues officielles ou, si elle est déposée dans une autre langue, traduite dans une des langues officielles, conformément au règlement d’exécution. Durant toute la procédure devant l’[OEB], cette traduction peut être rendue conforme au texte de la demande telle qu’elle a été déposée. Si la traduction requise n’a pas été produite dans les délais, la demande est réputée retirée.

3.      La langue officielle de l’[OEB] dans laquelle la demande de brevet européen a été déposée ou traduite doit être utilisée comme langue de la procédure, sauf si le règlement d’exécution en dispose autrement, dans toutes les procédures devant l’[OEB].

4.      Les personnes physiques ou morales ayant leur domicile ou leur siège dans un État contractant ayant une langue autre que l’allemand, l’anglais ou le français comme langue officielle, et les nationaux de cet État ayant leur domicile à l’étranger peuvent produire, dans une langue officielle de cet État, des pièces devant être produites dans un délai déterminé. Toutefois, ils sont tenus de produire une traduction dans une langue officielle de l’[OEB] conformément au règlement d’exécution. Si une pièce autre que les pièces composant la demande de brevet européen n’est pas produite dans la langue prescrite ou si une traduction requise n’est pas produite dans les délais, la pièce est réputée n’avoir pas été produite.

5.      Les demandes de brevet européen sont publiées dans la langue de la procédure.

6.      Les fascicules [(8)] de brevet européen sont publiés dans la langue de la procédure et comportent une traduction des revendications [(9)] dans les deux autres langues officielles de l’[OEB].

[...]

8.      Les inscriptions au Registre européen des brevets sont effectuées dans les trois langues officielles de l’[OEB]. En cas de doute, l’inscription dans la langue de la procédure fait foi.»

B –    Le droit de l’Union

6.        Les considérants 5 et 6 du règlement attaqué se lisent comme suit:

«(5)      [L]es modalités de traduction [des brevets européens à effet unitaire (10)] devraient garantir la sécurité juridique et stimuler l’innovation et profiter tout particulièrement aux petites et moyennes entreprises [ci-après les ‘PME’]. Elles devraient rendre plus facile, moins coûteux, juridiquement sûr, l’accès au [BEEU] et au système de brevet en général.

(6)      L’OEB étant responsable de la délivrance des brevets européens, les modalités de traduction du [BEEU] devraient se fonder sur la procédure en vigueur à l’OEB. Ces modalités devraient avoir pour objectif d’assurer le nécessaire équilibre entre les intérêts des opérateurs économiques, d’une part, et l’intérêt public, d’autre part, en termes de coût des procédures et de disponibilité des informations techniques.»

7.        Le considérant 15 de ce règlement prévoit:

«Le présent règlement est sans préjudice du régime linguistique des institutions de l’Union institué conformément à l’article 342 [...] TFUE et du règlement no 1 du Conseil du 15 avril 1958 portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne [(11)]. Le présent règlement se fonde sur le régime linguistique de l’OEB et ne devrait pas être considéré comme dotant l’Union d’un régime linguistique spécifique ni comme constituant un précédent pour l’instauration d’un régime linguistique limité dans le cadre d’un futur instrument juridique de l’Union.»

8.        Les articles 3 à 7 du règlement attaqué disposent:

«Article 3

Modalités de traduction pour le [BEEU]

1.      Sans préjudice des articles 4 et 6 du présent règlement, dès lors que le fascicule d’un brevet européen qui bénéficie d’un effet unitaire a été publié conformément à l’article 14, paragraphe 6, de la CBE, aucune autre traduction n’est requise.

2.      Toute demande d’effet unitaire visée par l’article 9 du règlement [...] no 1257/2012 est déposée dans la langue de la procédure.

Article 4

Traduction en cas de litige

1.      En cas de litige concernant une prétendue contrefaçon d’un [BEEU], le titulaire du brevet fournit, à la demande et au choix d’un prétendu contrefacteur, une traduction intégrale du [BEEU] dans une langue officielle de l’État membre participant [à la coopération renforcée (12)] dans lequel la prétendue contrefaçon a eu lieu ou dans lequel le prétendu contrefacteur est domicilié.

2.      En cas de litige concernant un [BEEU], le titulaire du brevet fournit, au cours de la procédure et à la demande d’une juridiction compétente dans les États membres participants pour les litiges concernant des [BEEU], une traduction intégrale du brevet dans la langue de procédure de cette juridiction.

3.      Le coût des traductions visées aux paragraphes 1 et 2 est supporté par le titulaire du brevet.

4.      En cas de litige concernant une demande de dommages-intérêts, la juridiction saisie évalue et tient compte du fait, en particulier s’il s’agit d’une PME, une personne physique ou une organisation sans but lucratif, une université ou une organisation publique de recherche, qu’avant de recevoir la traduction prévue au paragraphe 1, le prétendu contrefacteur a agi sans savoir ou sans avoir de motif raisonnable de savoir qu’il portait atteinte au [BEEU].

Article 5

Gestion d’un système de compensation

1.      L’article 14, paragraphe 2, de la CBE permettant de déposer une demande de brevet européen dans n’importe quelle langue, les États membres participants, conformément à l’article 9 du règlement [...] no 1257/2012, confient à l’OEB, au sens de l’article 143 de la CBE, la tâche de gérer un système de compensation pour le remboursement de tous les coûts de traduction jusqu’à un certain plafond pour des demandeurs qui déposent leur demande de brevet auprès de l’OEB dans une langue officielle de l’Union autre que l’une des langues officielles de l’OEB.

2.      Le système de compensation visé au paragraphe 1 est alimenté par les taxes visées à l’article 11 du règlement [...] no 1257/2012 et est disponible uniquement pour les PME, les personnes physiques, les organisations sans but lucratif, les universités et les organisations publiques de recherche ayant leur domicile ou leur principal établissement dans un État membre.

Article 6

Mesures transitoires

1.      Durant une période transitoire qui commence à la date d’application du présent règlement, toute demande d’effet unitaire visée à l’article 9 du règlement [...] no 1257/2012 est accompagnée:

a)      d’une traduction en anglais de l’intégralité du fascicule du brevet européen, si la langue de la procédure est le français ou l’allemand; ou

b)      d’une traduction de l’intégralité du fascicule du brevet européen dans une autre langue officielle de l’Union, si la langue de la procédure est l’anglais.

2.      Conformément à l’article 9 du règlement [...] no 1257/2012, les États membres participants confient à l’OEB, au sens de l’article 143 de la CBE, la tâche de publier les traductions visées au paragraphe 1 du présent article le plus rapidement possible après la date de dépôt de la demande d’effet unitaire visée à l’article 9 du règlement [...] no 1257/2012. Le texte de ces traductions n’a pas d’effet juridique et ne peut servir qu’à titre d’information.

3.      Six ans après la date d’application du présent règlement et tous les deux ans par la suite, un comité d’experts indépendants évalue de manière objective si, pour les demandes de brevet et les fascicules, il est possible de disposer de traductions automatiques de haute qualité, à partir du système mis au point par l’OEB, dans toutes les langues officielles de l’Union. Ce comité d’experts est institué par les États membres participants dans le cadre de l’Organisation européenne des brevets et se compose de représentants de l’OEB et des organisations non gouvernementales représentatives des utilisateurs du système européen de brevet que le conseil d’administration de l’Organisation européenne des brevets invite en qualité d’observateurs conformément à l’article 30, paragraphe 3, de la CBE.

4.      La Commission, se fondant sur la première des évaluations prévues au paragraphe 3 du présent article et tous les deux ans par la suite sur la base des évaluations ultérieures, présente un rapport au Conseil et propose, le cas échéant, de mettre fin à la période transitoire.

5.      S’il n’est pas mis fin à la période transitoire sur proposition de la Commission, cette période prend fin douze ans après la date d’application du présent règlement.

Article 7

Entrée en vigueur

1.      Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

2.      Il s’applique à partir du 1er janvier 2014 ou de la date d’entrée en vigueur de l’accord [JUB], si cette date est ultérieure.»

II – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

9.        Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 mars 2013, le Royaume d’Espagne a introduit le présent recours.

10.      Par décisions du président de la Cour du 12 septembre 2013, le Royaume de Belgique, la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le Parlement européen et la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil, conformément à l’article 131, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

11.      Des observations écrites ont été déposées par l’ensemble de ces parties intervenantes, à l’exception du Grand-Duché de Luxembourg.

12.      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        annuler le règlement attaqué;

–        à titre subsidiaire, annuler les articles 4, 5, 6, paragraphe 2, et 7, paragraphe 2, dudit règlement, et

–        condamner le Conseil aux dépens.

13.      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le recours et

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

III – Sur le recours

14.      Au soutien de son recours, le Royaume d’Espagne invoque cinq moyens à titre principal.

15.      Le premier moyen est tiré de la violation du principe de non-discrimination en raison de la langue. Le deuxième moyen est pris de la violation des principes énoncés dans l’arrêt Meroni/Haute Autorité (13), du fait de la délégation à l’OEB de tâches administratives relatives au BEEU. Le troisième moyen est tiré d’un défaut de base juridique. Le quatrième moyen est pris de la violation du principe de sécurité juridique. Enfin, le cinquième moyen est tiré de la violation du principe d’autonomie du droit de l’Union.

16.      À titre subsidiaire, le Royaume d’Espagne demande l’annulation partielle du règlement attaqué, telle que formulée au point 12 des présentes conclusions.

A –    Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe de non-discrimination en raison de la langue

1.      Les arguments des parties

17.      Le Royaume d’Espagne soutient, en substance, que, en adoptant le règlement attaqué, le Conseil a méconnu le principe de non-discrimination, consacré à l’article 2 TUE, en instaurant, pour le BEEU, un régime linguistique qui porte préjudice aux personnes dont la langue n’est pas une des langues officielles de l’OEB, à savoir les langues allemande, anglaise et française. Ce régime créerait une inégalité entre, d’une part, les citoyens et les entreprises de l’Union qui disposent des moyens de comprendre, avec un certain degré d’expertise, des documents rédigés dans les langues susmentionnées et, d’autre part, ceux qui n’en disposent pas et devront effectuer les traductions à leurs frais. Toute limitation à l’utilisation des langues officielles de l’Union devrait être dûment justifiée, dans le respect du principe de proportionnalité.

18.      En premier lieu, l’accès aux traductions des documents accordant des droits à la collectivité ne serait pas garanti, puisque le fascicule d’un BEEU sera publié dans la langue de procédure et inclura la traduction des revendications dans les deux autres langues officielles de l’OEB, sans possibilité d’autre traduction, ce qui serait discriminatoire et enfreindrait le principe de sécurité juridique. Le règlement attaqué ne préciserait même pas la langue dans laquelle sera délivré le BEEU ni si cet élément fera l’objet d’une publication. Le fait que le législateur de l’Union se soit fondé sur le régime de l’OEB pour établir le régime linguistique du BEEU ne garantirait pas sa compatibilité avec le droit de l’Union. Contrairement au régime de la marque communautaire, le règlement attaqué n’établirait pas un équilibre entre les intérêts des entreprises et ceux de la collectivité (14).

19.      En second lieu, la réglementation en cause serait disproportionnée et ne saurait être justifiée par des raisons d’intérêt général. Tout d’abord, l’absence de traduction du fascicule du brevet et surtout de ses revendications impliquerait une grande insécurité juridique et pourrait avoir des effets négatifs sur la concurrence. En effet, d’une part, cette situation rendrait plus difficile l’accès au marché et, d’autre part, elle aurait un impact négatif sur les entreprises, qui devraient supporter la charge des frais de traduction. Ensuite, le BEEU serait un titre de propriété industrielle essentiel pour le marché intérieur. Enfin, la réglementation en cause ne prévoirait pas de régime transitoire qui garantisse une connaissance adéquate du brevet. Ni le développement des traductions automatiques ni l’obligation de présenter une traduction complète en cas de litige ne seraient des mesures suffisantes à cet égard.

20.      Il s’ensuivrait que l’introduction d’une exception au principe de l’égalité entre les langues officielles de l’Union aurait dû être justifiée par des critères autres que ceux, purement économiques, mentionnés aux considérants 5 et 6 du règlement attaqué.

21.      Le Conseil répond, en premier lieu, que l’on ne peut inférer des traités aucun principe selon lequel toutes les langues officielles de l’Union doivent être, en toutes circonstances, traitées sur un pied d’égalité, ce qui serait d’ailleurs confirmé par l’article 118, second alinéa, TFUE, qui n’aurait pas de sens s’il n’y avait qu’un seul régime linguistique possible incluant toutes les langues officielles de l’Union.

22.      En deuxième lieu, dans le système actuel, toute personne physique ou morale pourrait demander un brevet européen dans n’importe quelle langue, à condition, toutefois, de produire, dans un délai de deux mois, une traduction dans une des trois langues officielles de l’OEB, qui deviendrait la langue de procédure, les revendications étant ensuite publiées dans les deux autres langues officielles de l’OEB. C’est ainsi qu’une demande ne serait traduite et publiée en langue espagnole que si la validation du brevet est demandée pour l’Espagne.

23.      En troisième lieu, l’absence de publication en langue espagnole n’aurait qu’un effet limité, puisque le règlement attaqué prévoirait un système de compensation des coûts; les brevets seraient généralement gérés par des conseils en propriété industrielle qui connaissent d’autres langues de l’Union; l’impact sur l’accès aux informations scientifiques en langue espagnole serait limité; seule une faible partie des demandes de brevets européens serait actuellement traduite en langue espagnole; le règlement attaqué prévoirait la mise en place d’un système de traduction automatique de haute qualité dans toutes les langues officielles de l’Union, et l’article 4 du règlement attaqué fixerait une limite à la responsabilité éventuelle des PME, des personnes physiques, des organisations sans but lucratif, des universités et des organisations publiques de recherche.

24.      En quatrième lieu, la limitation du nombre de langues utilisées dans le cadre du BEEU poursuivrait un but légitime, tenant au coût raisonnable de celui‑ci.

25.      Les parties intervenantes se rallient aux arguments du Conseil. Elles soulignent que la recherche d’un équilibre entre les différents opérateurs économiques a été particulièrement difficile, les différences d’appréciation entre les États membres sur le régime linguistique ayant fait échouer tous les projets antérieurs de brevet unitaire.

26.      La République française, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni ajoutent que la mise en place d’un régime linguistique en vertu duquel il serait nécessaire de prévoir la traduction du fascicule, ou du moins de ses revendications, dans toutes les langues officielles de l’Union serait tellement coûteuse qu’elle ne serait pas envisageable. D’une part, le régime linguistique du BEEU aurait été choisi parce que les langues allemande, anglaise et française sont les langues officielles de l’OEB. D’autre part, près de 90 % des demandeurs de brevets européens déposeraient, à l’heure actuelle, leurs demandes de brevets dans ces langues, avant traduction du fascicule et des revendications.

2.      Notre appréciation

27.      Le Royaume d’Espagne conteste que son argumentation revienne à dire qu’une traduction du brevet dans toutes les langues officielles de l’Union est nécessaire. Nous pouvons cependant en douter lorsqu’il conclut, au point 25 de son mémoire en réplique, que le BEEU est un titre tel que tous les sujets, et pas seulement ceux qui connaissent les langues allemande, anglaise ou française, doivent pouvoir connaître de manière suffisante l’information pertinente et qu’il précise que le système créé n’offre pas de solutions intermédiaires qui garantiraient, en même temps que la réduction des charges financières, que tous les sujets auxquels un brevet serait opposable en auraient dûment connaissance, comme ce qui a été adopté pour les marques communautaires.

28.      À titre liminaire, il convient de rappeler le contexte de notre affaire.

a)      Le contexte de la présente affaire

29.      La présente affaire s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet.

30.      Depuis le traité de Lisbonne, l’article 118, second alinéa, TFUE confère une base juridique appropriée au Conseil pour l’établissement «[d]es régimes linguistiques des titres européens».

31.      Comme le Conseil et certaines parties intervenantes l’ont souligné dans leur mémoire, cette disposition montre, par son libellé, que le traité FUE prévoit que, dans certains cas, des régimes linguistiques différents peuvent être instaurés et confirme qu’il est possible de limiter le nombre de langues utilisables (15).

32.      Le législateur de l’Union, au vu de ladite disposition, a fait le choix, s’agissant du BEEU, d’un régime linguistique qui se fonde sur le système de l’OEB, organe international qui a pour langues officielles les langues allemande, anglaise et française.

33.      La Cour a reconnu, dans son arrêt Kik/OHMI (16), que le droit de l’Union ne connaît pas un principe d’égalité des langues. En effet, toutes les références à l’emploi des langues dans l’Union contenues dans les traités ne peuvent être considérées comme étant la manifestation d’un principe général de droit de l’Union assurant à chaque citoyen le droit à ce que tout ce qui serait susceptible d’affecter ses intérêts soit rédigé dans sa langue «en toutes circonstances» (17).

34.      Cependant, le pouvoir souverain du législateur de l’Union a des limites, puisque la Cour a indiqué que les justiciables ne peuvent pas être pour autant discriminés en raison de leur langue (18).

35.      À ce titre, il convient de relever que, dans le règlement attaqué, le législateur de l’Union a encadré les modalités applicables en matière de traduction. Certaines de ces modalités ne s’appliquent que pendant une période transitoire, jusqu’à ce qu’un système de traductions automatiques de haute qualité des demandes de brevets et des fascicules soit effectif (19).

36.      Dans le cadre de son premier moyen, le Royaume d’Espagne ne remet pas en cause le choix du législateur de l’Union de se fonder sur le système de l’OEB, il soutient, cependant, que ce système est discriminatoire dans la mesure où il crée un traitement différencié, car les opérateurs économiques dont la langue n’est pas la langue allemande, la langue anglaise ou la langue française sont moins bien traités que ceux qui maîtrisent ces langues, dans la mesure où les premiers n’ont pas accès aux traductions dans leur langue.

37.      Selon cet État membre, le régime linguistique du BEEU est restrictif et n’est pas justifié.

38.      L’article 3, paragraphe 1, du règlement attaqué dispose que, «[s]ans préjudice des articles 4 et 6 du présent règlement, dès lors que le fascicule d’un brevet européen qui bénéficie d’un effet unitaire a été publié conformément à l’article 14, paragraphe 6, de la CBE [(20)], aucune autre traduction n’est requise».

39.      Il ne fait aucun doute ici que les personnes qui ne connaissent pas les langues officielles de l’OEB sont discriminées et qu’un traitement différencié a ainsi été opéré par le législateur de l’Union.

40.      Nous devons donc nous pencher sur l’examen de la légitimité de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union en instaurant une législation discriminatoire et, le cas échéant, examiner si ce traitement différencié est approprié et proportionné (21).

b)      L’objectif recherché par le législateur de l’Union

41.      Actuellement, le système de protection du brevet européen se caractérise par des coûts très élevés (22). En effet, lorsqu’un tel brevet est délivré par l’OEB, il doit être validé dans chacun des États membres où la protection est recherchée. Pour que ce brevet soit validé sur le territoire d’un État membre, le droit national peut exiger que le titulaire dudit brevet soumette une traduction de ce dernier dans la langue officielle de cet État membre (23).

42.      Les parties intéressées, y compris des entreprises de tous les secteurs, des fédérations sectorielles, des groupements de PME, des praticiens du droit des brevets, des autorités publiques et des chercheurs, ont estimé que les coûts élevés du brevet européen constituaient un obstacle à la protection par le brevet dans l’Union (24).

43.      Face à ce constat et alors que l’Union a pour objectifs de favoriser le fonctionnement du marché intérieur, la capacité d’innovation (25), de croissance et de compétitivité des entreprises européennes, il est essentiel et nécessaire que le législateur de l’Union intervienne à cette fin dans le domaine du brevet. Le système instauré doit alors assurer une protection unitaire du brevet sur le territoire de tous les États membres participants tout en évitant, grâce au régime linguistique, des coûts trop importants.

44.      Les modalités de traduction des BEEU sont donc vouées à être simples et à présenter un bon rapport coût-efficacité (26), à garantir la sécurité juridique, à stimuler l’innovation et à profiter tout particulièrement aux PME (27).

45.      S’agissant de la comparaison effectuée par le Royaume d’Espagne avec la marque communautaire, nous estimons que celle-ci touche ici ses limites.

46.      Certes, la marque communautaire et le brevet européen sont deux formes de titres de propriété intellectuelle qui ont été créés au profit d’opérateurs économiques, et non de l’ensemble des citoyens, ces opérateurs économiques n’étant pas tenus d’y avoir recours (28).

47.      Par la protection unitaire qu’ils confèrent, ils évitent à de tels opérateurs une multiplication des dépôts de demande de validation nationale avec les frais de traduction que cela comporte.

48.      C’est, en revanche, sur la question de tels frais que la marque communautaire et le BEEU se différencient de manière significative, comme le relèvent le Royaume de Belgique, la République française, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni et le Parlement. En effet, dans les deux cas, on ne traduit pas la même chose. Pour la marque, il s’agit d’un schéma standardisé, alors que, pour le brevet, une description très technique est nécessaire (29).

49.      Il existe donc une différence de technicité intrinsèque entre les deux titres de propriété intellectuelle. Or, une telle technicité a forcément un impact sur le coût des traductions, car elle implique des documents plus longs et plus compliqués à traduire. Les revendications (30) nécessitent généralement le recours à un traducteur spécialisé et comptent généralement une vingtaine de pages (31), voire jusqu’à 200 pages (32).

50.      Force est donc de constater que le législateur de l’Union a adopté le règlement attaqué dans le but légitime de trouver une solution linguistique en adéquation avec les objectifs de l’Union mentionnés au point 43 des présentes conclusions. En d’autres termes, le régime linguistique choisi implique, certes, une restriction à l’utilisation des langues, mais il poursuit un objectif légitime de réduction des coûts de traduction.

51.      Si le traitement différencié des langues officielles de l’Union poursuit un tel objectif, il convient, à présent, d’apprécier le caractère approprié et proportionné de ce choix (33).

c)      Le caractère approprié et proportionné du traitement différencié

52.      Pour faire diminuer les coûts de traduction tout en permettant une protection unitaire du brevet européen sur le territoire des États membres participants, il n’y a que peu d’éléments sur lesquels le législateur de l’Union peut intervenir.

53.      Or, il paraît impossible de limiter le nombre de pages d’un brevet. C’est le fascicule, particulièrement les revendications, qui délimitera l’objet de la protection. Par ailleurs, le coût moyen de la traduction (34) peut difficilement être moins élevé au regard de la technicité des brevets.

54.      En revanche, plus le nombre des langues vers lesquelles il faut traduire se trouve augmenté, plus le coût des traductions sera élevé.

55.      En conséquence, afin de limiter un tel coût, le législateur de l’Union n’a d’autre choix que de restreindre le nombre de langues dans lesquelles le BEEU doit être traduit.

56.      Ainsi, limiter le nombre de langues du BEEU est approprié, puisque cela assure une protection unitaire des brevets tout en permettant une réduction notable des coûts de traduction.

57.      De plus, le législateur de l’Union a fait le choix de se fonder sur le système de l’OEB, un choix cohérent puisque ce système a déjà fait ses preuves (35), dès lors, le recours aux langues allemande, anglaise et française dans le cadre du BEEU n’est pas anodin, puisqu’il s’agit des langues officielles de l’OEB. Ce choix assure une certaine stabilité aux opérateurs économiques et aux professionnels du secteur des brevets qui ont d’ores et déjà l’habitude de travailler dans ces trois langues.

58.      En outre, il appert que le choix de telles langues épouse les réalités linguistiques du secteur des brevets. À ce titre, comme le souligne le Conseil, la plupart des travaux scientifiques sont publiés en langues allemande, anglaise ou française. Il est donc indéniable que les chercheurs européens peuvent comprendre des brevets publiés dans ces langues. De même, il ressort de l’étude d’impact de la Commission, susmentionnée, ainsi que des arguments soulevés par le Royaume de Suède que les langues allemande, anglaise et française sont les langues parlées dans les États membres à l’origine du plus grand nombre de demandes de brevets dans l’Union (36).

59.      Partant, la limitation aux trois langues officielles de l’OEB nous paraît appropriée eu égard aux objectifs légitimes poursuivis par le législateur de l’Union.

60.      Par ailleurs, ce choix respecte le principe de proportionnalité.

61.      À cet égard, il ressort de l’arrêt Kik/OHMI (37) que le traitement différencié effectué par le législateur de l’Union est possible pour autant qu’il existe un équilibre nécessaire entre les différents intérêts en cause (38).

62.      Le législateur de l’Union a encadré, dans le règlement attaqué, les modalités applicables en matière de traduction de sorte, justement, à tempérer la différence de traitement dans le choix des langues ainsi que l’impact que celui-ci pourrait avoir sur les opérateurs économiques et les personnes intéressées.

63.      Quand bien même le Royaume d’Espagne ne fait que souligner le traitement moins favorable de ceux qui ne peuvent pas comprendre l’information dès lors qu’ils n’ont pas accès aux traductions des demandes de brevets européens dans leur propre langue (articles 4 et 6 du règlement attaqué), il n’en demeure pas moins que, dans le cadre de l’évaluation de la proportionnalité du choix du législateur de l’Union, nous devons également prendre en considération le traitement différencié de ceux qui déposent leur demande de brevet européen (article 5 de ce règlement) (39).

64.      Ainsi, en premier lieu, le législateur de l’Union a-t-il pris soin, à l’article 3, paragraphe 1, du règlement attaqué, d’indiquer que le système instauré est «[s]ans préjudice des articles 4 et 6 [de ce] règlement» (40).

65.      D’une part, ce législateur aménage des dispositions concernant les traductions en cas de litige.

66.      Premièrement, en cas de litige concernant une prétendue contrefaçon, il prévoit un accès aux informations dans la langue choisie par le prétendu contrefacteur. Ainsi, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, lorsqu’une personne a prétendument contrefait un BEEU, le titulaire du brevet doit fournir, à sa charge, à cette dernière et à la demande de celle-ci, une traduction du BEEU dans une langue officielle de l’État membre participant dans lequel la prétendue contrefaçon a eu lieu ou dans lequel ladite personne est domiciliée, au choix de cette dernière (41).

67.      Deuxièmement, en cas de litige concernant un BEEU, l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué dispose que le titulaire du brevet doit fournir, à sa charge, une traduction intégrale du brevet dans la langue de procédure de la juridiction compétente dans les États membres participants, à la demande de cette dernière (42).

68.      Troisièmement, en cas de litige concernant une demande de dommages-intérêts, la juridiction saisie doit prendre en considération la bonne foi du prétendu contrefacteur qui a agi avant de recevoir la traduction visée à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, sans savoir ou sans avoir de motif raisonnable de savoir qu’il portait atteinte au BEEU, «en particulier» s’il s’agit d’une PME, d’une personne physique, d’organisations sans but lucratif, d’universités et d’organisations publiques de recherche (43).

69.      D’autre part, le législateur de l’Union prévoit des mesures transitoires à compter de l’application du règlement attaqué, et ce jusqu’à ce que l’OEB dispose pour les demandes de brevets et les fascicules d’un système de traduction automatique de haute qualité (44).

70.      Ainsi, durant la période transitoire, l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué énonce que toute demande de BEEU est accompagnée d’une traduction en langue anglaise de tout le fascicule si la langue de procédure est la langue allemande ou la langue française, ou d’une traduction de tout le fascicule dans une langue officielle de l’Union si la langue de procédure est la langue anglaise. C’est donc la garantie que, pendant cette période, tous les BEEU sont disponibles en langue anglaise. En outre, les traductions dans les langues officielles de l’Union seront manuelles et pourront servir à perfectionner le système de traduction automatique.

71.      En second lieu, le législateur de l’Union prévoit, à l’article 5 du règlement attaqué, un système de compensation pour le remboursement des coûts de traduction s’agissant des personnes qui n’auraient pas introduit leur demande de brevet européen dans une des langues officielles de l’OEB.

72.      En vertu de cette disposition, une demande de brevet européen pouvant être déposée dans n’importe quelle langue officielle de l’Union, de telles personnes pourront être remboursées de tous les coûts de traduction jusqu’à un certain plafond. Ces bénéficiaires sont expressément visés comme étant les PME, les personnes physiques, les organisations sans but lucratif, les universités et les organisations publiques de recherche ayant leur domicile ou leur principal établissement dans un État membre (45).

73.      Le législateur de l’Union a ainsi voulu préserver les personnes ou les entités les plus vulnérables en comparaison avec les structures plus puissantes qui disposent de moyens plus importants et qui comptent parmi leur personnel des agents compétents pour rédiger directement les demandes de brevets européens dans une des langues officielles de l’OEB.

74.      Il résulte de ces considérations que le choix linguistique opéré par le législateur de l’Union poursuit un objectif légitime et qu’il est approprié et proportionné eu égard aux garanties et aux éléments qui viennent tempérer l’effet discriminatoire qui résulte de ce choix.

75.      Au vu de tout ce qui précède, nous proposons donc à la Cour de rejeter le premier moyen du Royaume d’Espagne comme étant non fondé.

B –    Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des principes énoncés dans l’arrêt Meroni/Haute Autorité

1.      Les arguments des parties

76.      Le Royaume d’Espagne soutient que, en déléguant à l’OEB, aux articles 5 et 6, paragraphe 2, du règlement attaqué, la gestion du système de compensation pour le remboursement des coûts de traduction et la publication des traductions dans le cadre du régime transitoire, le Conseil a violé les principes énoncés dans l’arrêt Meroni/Haute Autorité (46), confirmé par la jurisprudence ultérieure.

77.      Le Conseil, qui s’interroge sur la recevabilité du présent moyen eu égard au renvoi à certains arguments présentés dans l’affaire Espagne/Parlement et Conseil (C‑146/13), actuellement pendante devant la Cour, relève, à titre liminaire, que le Royaume d’Espagne ne conteste pas que c’est aux États membres participants, par l’intermédiaire de l’OEB, qu’incombent la gestion du système de compensation et la tâche de publier les traductions. Or, la mise en œuvre du droit de l’Union appartiendrait, en premier lieu, aux États membres et, pour les tâches relatives au régime de compensation et à la publication des traductions, il ne serait pas nécessaire d’avoir des conditions uniformes d’exécution au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. Les principes énoncés dans l’arrêt Meroni/Haute Autorité (47), confirmés par la jurisprudence ultérieure, ne seraient pas pertinents. En tout état de cause, ces principes seraient respectés.

78.      Les parties intervenantes partagent les observations du Conseil qui considère que les principes énoncés dans cet arrêt ne sont pas applicables et qu’ils sont, en tout état de cause, respectés.

2.      Notre appréciation

79.      Eu égard aux éléments de réponse apportés lors de l’appréciation des quatrième et cinquième moyens dans le cadre de nos conclusions dans l’affaire Espagne/Parlement et Conseil (C‑146/13), actuellement pendante devant la Cour, nous proposons à la Cour de rejeter le deuxième moyen du Royaume d’Espagne comme étant non fondé.

C –    Sur le troisième moyen, tiré du défaut de base juridique de l’article 4 du règlement attaqué

1.      Les arguments des parties

80.      Le Royaume d’Espagne soutient que la base juridique utilisée pour introduire l’article 4, qui régit la «traduction en cas de litige», dans le règlement attaqué est erronée, cette disposition ne portant pas sur le «régime linguistique» d’un titre européen, conformément à l’article 118, second alinéa, TFUE, mais incorporant certaines garanties procédurales dans le cadre d’une procédure juridictionnelle.

81.      Le Conseil soutient que l’article 4 du règlement attaqué n’est pas une règle de procédure, mais qu’il établit bien une règle relative au régime linguistique et que cette règle constitue une partie intégrante et importante du régime linguistique général du BEEU créé par ce règlement. Le Conseil précise que cette disposition joue un rôle important, puisqu’elle comble un vide juridique, étant donné que le régime linguistique prévu par la CBE ne régit pas les exigences linguistiques en cas de litige. En outre, selon lui, étant donné que les règles de procédure des États membres n’ont pas été harmonisées par le droit de l’Union, il convient de veiller à ce que le prétendu contrefacteur ait toujours le droit d’obtenir la traduction du BEEU concerné dans son intégralité. Les conditions d’application de l’article 118, second alinéa, TFUE prévoyant le régime linguistique applicable à l’intégralité de la «vie» du brevet seraient donc réunies.

82.      Les parties intervenantes se rallient aux arguments du Conseil.

83.      La République française, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Suède soulignent que l’article 118, second alinéa, TFUE n’exige pas que le législateur de l’Union harmonise complètement tous les aspects du régime linguistique ou du régime de traduction du titre de propriété intellectuelle en cause. Pour le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République française, la Hongrie, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni, le Parlement et la Commission, l’article 4 du règlement attaqué pouvait tout à fait être introduit dans un règlement adopté sur le fondement de l’article 118, second alinéa, TFUE, car cette disposition constituerait un élément essentiel du régime de traduction prévu par ce règlement. Même à supposer que ladite disposition ne constitue pas un élément intrinsèque du régime de traduction institué par ledit règlement, son introduction dans le règlement attaqué n’aurait pas nécessité le recours à une base juridique autre que l’article 118, second alinéa, TFUE. En effet, selon la jurisprudence (48), si l’examen d’un acte de l’Union démontre que celui-ci poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique. Or, tel serait le cas en l’espèce.

2.      Notre appréciation

84.      Le Royaume d’Espagne considère que l’article 4 du règlement attaqué n’est pas une disposition relative au régime linguistique visé à l’article 118, second alinéa, TFUE et que, partant, cette dernière disposition ne peut être utilisée comme base juridique pour incorporer certaines garanties processuelles dans le cadre d’une procédure juridictionnelle.

85.      Nous ne pouvons être d’accord avec une telle analyse, et ce pour les raisons suivantes.

86.      Il convient de relever que, en vertu d’une jurisprudence constante, «le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de cet acte» (49).

87.      Notons, d’emblée, que le Royaume d’Espagne a indiqué, au point 48 de sa requête – dans le cadre de son premier moyen –, que le règlement attaqué établit bien un régime très particulier d’utilisation et de limitation des langues officielles de l’Union, ce qui suppose, au sens propre, un véritable «régime linguistique» comme l’établissent la base juridique, à savoir l’article 118, second alinéa, TFUE, et la décision de coopération renforcée elle-même.

88.      Eu égard au considérant 16 du règlement attaqué, énonçant que l’objectif de ce règlement est la création d’un régime simplifié et uniforme de traduction pour les BEEU, ainsi qu’à notre appréciation du premier moyen et à celles qui seront effectuées dans le cadre du quatrième moyen (50) et de la demande d’annulation partielle du règlement attaqué (51), auxquelles nous renvoyons, nous sommes d’avis, au contraire, que l’article 4 du règlement attaqué est lié de manière intrinsèque au régime linguistique, dans la mesure où il a pour but de tempérer le choix du législateur de l’Union concernant le régime linguistique du BEEU.

89.      Nous ajoutons que, si l’article 4, paragraphe 4, du règlement attaqué se différencie de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de celui-ci, dans la mesure où il n’établit pas de règles relatives à la traduction, en tant que telle, en cas de litige, il n’en demeure pas moins que cette première disposition est liée à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué. En effet, elle permet au législateur de l’Union de prendre en compte la période pendant laquelle les personnes intéressées n’ont éventuellement pas connaissance du brevet en raison de l’absence de traduction (52) et qui porte préjudice, en particulier aux PME, aux personnes physiques ou aux organisations sans but lucratif, aux universités ou aux organisations publiques de recherche. Ainsi, l’article 4, paragraphe 4, du règlement attaqué tempère cette absence de traduction en prenant en considération la bonne foi de ces personnes ou de ces entités en particulier.

90.      À cet égard, le considérant 9 du règlement attaqué précise que la juridiction qui sera compétente pour procéder à une analyse au cas par cas de cette bonne foi devra tenir compte de la langue de procédure engagée devant l’OEB et, pendant la période transitoire, de la traduction accompagnant la demande d’effet unitaire.

91.      Au vu de ce qui précède, nous proposons à la Cour de rejeter le troisième moyen du Royaume d’Espagne comme étant non fondé.

D –    Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique

1.      Les arguments des parties

92.      Le Royaume d’Espagne soutient, en substance, que le règlement attaqué viole le principe de sécurité juridique dans la mesure où, tout d’abord, il limiterait les possibilités d’information des opérateurs économiques. Ensuite, il ne préciserait pas les modalités de publication de l’octroi de l’effet unitaire et de l’enregistrement au registre de la protection unitaire conférée par un brevet (53). En outre, il n’indiquerait pas, dans le cadre de la gestion du système de compensation, le plafond des coûts ni son mode de fixation. Par ailleurs, il ne prévoirait pas les conséquences concrètes de l’hypothèse dans laquelle un contrefacteur a agi de bonne foi. Enfin, le système de traduction automatique n’aurait pas existé au moment de l’adoption du règlement attaqué.

93.      Le Conseil estime que les allégations du Royaume d’Espagne méconnaissent les principes de l’administration indirecte et de subsidiarité, sur lesquels le droit de l’Union est fondé. Le règlement attaqué laisserait aux États membres le soin de réglementer concrètement des aspects tels que le système de compensation ou les traductions automatiques. Le principe de sécurité juridique n’exigerait pas que toutes les règles soient fixées jusque dans les moindres détails dans le règlement attaqué, certaines règles pouvant être déterminées par les États membres ou définies dans des actes délégués ou des actes d’exécution.

94.      Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 4, du règlement attaqué fixerait les éléments essentiels et les critères en vue de leur application par la juridiction nationale. Cette disposition ne ferait pas obstacle à ce que la juridiction nationale puisse condamner le contrefacteur à une peine et lui permettrait parfaitement d’exercer son pouvoir juridictionnel.

95.      Les parties intervenantes se rallient aux arguments du Conseil.

96.      En premier lieu, le Royaume de Belgique, la République française, le Royaume des Pays-Bas et la Commission font valoir que le règlement attaqué, lu conjointement avec le règlement no 1257/2012, prévoit de façon claire et précise le régime linguistique et les modalités de publication et d’enregistrement du BEEU.

97.      En deuxième lieu, le Royaume de Belgique, la République française, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni et la Commission soutiennent que le règlement attaqué n’empêche pas les personnes intéressées d’accéder à l’information indispensable pour exercer leur activité, dès lors que l’ensemble des BEEU figureront dans le registre de la protection unitaire conférée par un brevet, en application de l’article 9, paragraphe 1, sous b) et h), du règlement no 1257/2012, qui sera disponible en ligne. Certes, le fascicule du BEEU ne serait publié que dans une seule langue. Toutefois, cette limitation ne sera pas source d’insécurité juridique pour les personnes intéressées, eu égard aux systèmes de traduction automatique de l’OEB.

98.      En troisième lieu, le Royaume de Danemark, la République française, la Hongrie, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni et la Commission estiment que les dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 3, du règlement attaqué renforcent la sécurité juridique en cas de litige concernant une prétendue contrefaçon d’un BEEU. La circonstance que la traduction prévue serait dépourvue de valeur juridique ne méconnaîtrait pas le principe de sécurité juridique, celui-ci étant mieux garanti lorsqu’une seule langue fait foi. L’article 4, paragraphe 4, du règlement attaqué protégerait spécifiquement certaines personnes mises en cause dans des litiges concernant une demande de dommages-intérêts.

99.      Enfin, en quatrième lieu, la République française, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni et la Commission soulignent que le règlement attaqué n’induit aucune insécurité juridique quant à la réglementation du système de compensation prévu à son article 5, puisqu’il ne serait pas nécessaire que ce règlement détermine le plafond en deçà duquel certains demandeurs pourront solliciter le remboursement de tous leurs coûts de traduction, dans la mesure où cette modalité pourrait être définie par un acte d’exécution ultérieur.

2.      Notre appréciation

100. En prolégomènes, il importe de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient «claires, précises et prévisibles dans leurs effets», afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (54).

101. Il convient donc d’examiner si les arguments invoqués par le Royaume d’Espagne révèlent la violation d’un tel principe.

102. S’agissant de l’argument de cet État membre selon lequel le règlement attaqué viole le principe de sécurité juridique dans la mesure où le BEEU n’est pas traduit dans toutes les langues et que les possibilités d’information des opérateurs économiques seraient donc limitées, nous renvoyons à l’appréciation que nous avons faite dans le cadre du premier moyen de laquelle il résulte que cet argument doit être écarté.

103. Quant à l’allégation du Royaume d’Espagne selon laquelle le règlement attaqué ne prévoirait ni la publication de l’octroi de l’effet unitaire, ni les modalités selon lesquelles s’effectuera l’enregistrement au registre de la protection unitaire conférée par un brevet, ni s’il s’effectuera en trois langues, conformément à l’article 14 de la CBE, nous pensons qu’elle doit être rejetée, et ce pour les mêmes raisons que celles avancées par certaines parties intervenantes, qui tiennent à une lecture combinée des dispositions du règlement attaqué, du règlement no 1257/2012 et de la CBE.

104. En effet, l’article 3, paragraphe 2, du règlement attaqué énonce que toute demande d’effet unitaire visée à l’article 9 du règlement no 1257/2012 est déposée dans la langue de la procédure (55), telle que définie à l’article 2, sous b), du règlement attaqué (56).

105. L’article 9, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1257/2012, quant à lui, énonce que l’OEB veille à ce que l’effet unitaire soit mentionné dans le registre de la protection unitaire conférée par un brevet, lorsqu’une demande d’effet unitaire a été déposée.

106. En outre, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement, «[u]n brevet européen délivré avec le même jeu de revendications pour tous les États membres participants se voit conférer un effet unitaire dans les États membres participants, à la condition que son effet unitaire ait été enregistré dans le registre de la protection unitaire conférée par un brevet» (57).

107. Par ailleurs, l’article 14, paragraphe 8, de la CBE indique que l’inscription au registre européen des brevets est effectuée dans les trois langues officielles de l’OEB et que, en cas de doute, l’inscription dans la langue de procédure fait foi.

108. Selon nous, il ressort de cette dernière disposition et de l’article 2, sous e), du règlement no 1257/2012 que l’inscription dans le registre de la protection unitaire conférée par un brevet s’effectue dans les trois langues officielles de l’OEB.

109. Concernant l’argument du Royaume d’Espagne, s’agissant de la réglementation du système de compensation prévue à l’article 5 du règlement attaqué, selon lequel ni le plafond de remboursement ni son mode de fixation ne seraient précisés, il convient de prendre en considération les éléments suivants pour écarter cet argument.

110. L’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1257/2012 prévoit que, en qualité d’États parties à la CBE, les États membres participants assurent la gouvernance et le suivi des activités liées aux tâches visées à l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement (58) et que, à cette fin, ils instituent un comité restreint du conseil d’administration de l’Organisation européenne des brevets (59), au sens de l’article 145 de la CBE (60).

111. Il appartiendra donc au comité restreint d’arrêter une décision à l’égard du système de compensation visé à l’article 5 du règlement attaqué, système dont la gestion revient à l’OEB.

112. À cet égard, nous soulignons que, lors de la 7ème réunion du comité restreint à Munich le 26 mars 2014, celui-ci a adopté les règles relatives au système de compensation pour le remboursement des frais de traduction de demandes déposées dans une langue officielle de l’Union autre que l’une des langues officielles de l’OEB. Les aspects financiers du système de compensation, y compris le montant du remboursement, feront toutefois l’objet de discussions ultérieures (61).

113. Les opérateurs économiques et toutes les personnes intéressées seront donc en mesure de connaître les modalités du système de compensation, le temps pour les États membres contractants, via le comité restreint, de mettre en place ces modalités.

114. Lesdites modalités devront, en tout état de cause, tenir compte du considérant 10 du règlement attaqué, au titre duquel les remboursements supplémentaires des coûts de traduction de la langue de la demande de brevet dans la langue de la procédure devant l’OEB devront aller au-delà de ce qui est actuellement prévu dans le cadre de l’OEB.

115. S’agissant de l’allégation selon laquelle la traduction fournie en cas de litige par le titulaire de brevet n’aurait aucune valeur juridique, nous rejoignons les arguments invoqués par certaines parties intervenantes, le principe de sécurité juridique étant indéniablement mieux garanti lorsqu’une seule langue fait foi. En effet, nous voyons mal comment ce principe pourrait être respecté en cas de pluralité de prétendus contrefacteurs dans plusieurs États membres. Si toutes les traductions faisaient foi, cela engendrerait un risque de divergences entre les différentes versions linguistiques et, partant, une insécurité juridique. Cette allégation doit donc être rejetée.

116. Concernant l’argument selon lequel, à la différence du régime relatif à la marque communautaire, il n’existerait pas de disposition excluant que les tiers de bonne foi qui ont contrefait un brevet soient condamnés à des dommages-intérêts, l’article 4, paragraphe 4, du règlement attaqué ne prévoyant pas les conséquences concrètes de la contrefaçon d’un brevet par un tiers de bonne foi, nous lui opposons le fait que rien n’impose au législateur de l’Union de prévoir le même régime juridique pour la marque communautaire et le BEEU. De surcroît, nous rappelons que ce législateur a veillé à rétablir, dans l’appréciation au cas par cas qu’il appartiendra au juge national d’effectuer, un certain équilibre en prévoyant que ce juge devra prendre en considération la bonne foi du prétendu contrefacteur (62). Les conséquences concrètes pour ce prétendu contrefacteur découleront de cette appréciation factuelle et juridique. Ainsi, ledit juge pourra-t-il prévoir une condamnation à des dommages-intérêts tout comme il pourra exclure une telle condamnation, en toute indépendance. Partant, il ressort clairement de la lecture de l’article 4, paragraphe 4, du règlement attaqué qu’il appartient à la juridiction compétente de tenir compte de la bonne foi du prétendu contrefacteur.

117. Enfin, quant aux allégations du Royaume d’Espagne tenant au régime de traduction automatique et aux dispositions transitoires, nous relevons que la durée de la période de transition est fondée sur le temps susceptible d’être nécessaire pour développer le système de traductions automatiques afin que les traductions des demandes de brevets et des fascicules dans toutes les langues officielles de l’Union soient effectives et de haute qualité.

118. À cet égard, nous notons que la mise en place de ce système a commencé en 2004 avec un nombre limité de langues. Ledit système a ensuite été étendu en sorte qu’il soit possible, d’ici l’année 2014, d’effectuer des traductions automatiques dans les langues de tous les États parties à la CBE, et donc dans les langues officielles de l’Union, depuis et vers la langue anglaise (63).

119. En outre, il ne faut pas perdre de vue que le règlement attaqué s’appliquera à la date d’entrée en vigueur de l’accord JUB et que le législateur de l’Union indique que, s’il n’est pas mis fin à la période transitoire sur proposition de la Commission (64), cette période prendra fin douze ans après cette date (65). Cela laisse une marge suffisante, selon nous, à l’OEB pour parvenir à un système de traduction automatique de haute qualité, d’autant que ce système sera perfectionné par les traductions manuelles effectuées dans le cadre de ladite période, garantie d’une fiabilité de l’information (66).

120. Au vu de toutes les considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de rejeter le quatrième moyen du Royaume d’Espagne, dans la mesure où l’examen des arguments invoqués par cet État membre n’a pas révélé de violation du principe de sécurité juridique, dès lors que les dispositions du règlement attaqué, du règlement no 1257/2012 et de la CBE sont suffisamment claires, précises et prévisibles dans leurs effets.

E –    Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe d’autonomie du droit de l’Union

1.      Les arguments des parties

121. Le Royaume d’Espagne soutient que l’article 7 du règlement attaqué est contraire au principe d’autonomie du droit de l’Union, dès lors qu’il distingue entre, d’une part, l’entrée en vigueur de ce règlement et, d’autre part, l’application de celui-ci au 1er janvier 2014 tout en indiquant que cette date sera reportée si l’accord JUB n’est pas entré en vigueur. En l’espèce, il aurait été donné aux parties contractantes de l’accord JUB le pouvoir de déterminer la date d’entrée en vigueur (67) d’une norme de l’Union et, par conséquent, l’exercice de sa compétence.

122. Le Conseil affirme qu’il ressort d’une lecture conjointe des considérants 9, 24 et 25 du règlement no 1257/2012 que le choix politique opéré par le législateur de l’Union afin de garantir le bon fonctionnement du BEEU, la cohérence de la jurisprudence et, partant, la sécurité juridique, ainsi qu’un bon rapport coût-efficacité pour les titulaires de brevets a été de lier le BEEU au fonctionnement d’un organe juridictionnel distinct, lequel devrait être établi avant même que soit délivré le premier BEEU. Il n’existerait, à cet égard, aucun obstacle juridique à l’établissement d’un lien entre le BEEU et la juridiction unifiée du brevet, lequel serait suffisamment motivé aux considérants 24 et 25 du règlement no 1257/2012. Il existerait d’ailleurs, dans la pratique législative, plusieurs exemples de lien entre l’applicabilité d’un acte de l’Union et un événement étranger à cet acte.

123. Les parties intervenantes se rallient aux observations du Conseil.

2.      Notre appréciation

124. Pour l’appréciation de ce cinquième moyen, nous renvoyons à nos conclusions dans l’affaire Espagne/Parlement et Conseil (C‑146/13), actuellement pendante devant la Cour, et plus particulièrement à l’examen de la dernière branche du sixième moyen ainsi que du septième moyen du recours, pour proposer à la Cour de rejeter ledit cinquième moyen comme étant non fondé.

F –    Sur la demande d’annulation partielle du règlement attaqué, formulée à titre subsidiaire

1.      Les arguments des parties

125. Le Conseil, sans s’opposer formellement à la demande subsidiaire du Royaume d’Espagne, s’interroge sur la pertinence des moyens invoqués à l’appui de cette demande et ajoute qu’une annulation partielle portant sur l’article 7, paragraphe 2, du règlement attaqué est, en tout état de cause, impossible, cette disposition n’étant pas séparable des autres dispositions de ce règlement. La République fédérale d’Allemagne ajoute que le recours est irrecevable en ce qu’il a pour objet l’annulation des articles 4, 5, 6, paragraphe 2, et 7, paragraphe 2, dudit règlement, dès lors que les articles 4 à 6 du règlement attaqué feraient partie intégrante du régime linguistique du BEEU et que l’annulation de l’article 7, paragraphe 2, de ce règlement modifierait la nature du BEEU et, partant, dudit règlement.

126. Le Royaume d’Espagne souligne qu’il n’a formulé la demande d’annulation partielle qu’à titre subsidiaire. En outre, les arguments de la République fédérale d’Allemagne empêcheraient toute demande d’annulation partielle.

2.      Notre appréciation

127. Nous rappelons que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. La Cour a itérativement jugé qu’il n’est pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (68).

128. Il ressort de notre appréciation des premier, troisième et quatrième moyens que les articles 4 et 5 du règlement attaqué ont pour but de tempérer le choix du législateur de l’Union concernant le régime linguistique du BEEU. À ce titre, il est impensable de détacher ces dispositions du règlement attaqué sans affecter la substance de celui-ci.

129. S’agissant des articles 6, paragraphe 2, – qui renvoie à l’article 9, paragraphe 1, sous d), du règlement no 1257/2012 – et 7, paragraphe 2, du règlement attaqué, nous nous reportons respectivement aux points 189 à 195 et au point 198 de nos conclusions dans l’affaire Espagne/Parlement et Conseil (C‑146/13), actuellement pendante devant la Cour, pour conclure que ces dispositions ne peuvent être détachables du reste du règlement attaqué.

130. Par conséquent, nous sommes d’avis que la demande d’annulation partielle du règlement attaqué formulée à titre subsidiaire par le Royaume d’Espagne est irrecevable.

131. Aucun des moyens invoqués par le Royaume d’Espagne au soutien de son recours n’étant susceptible d’être accueilli, ceux-ci doivent être rejetés.

IV – Conclusion

132. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour:

–        de rejeter le recours et

–        de condamner le Royaume d’Espagne à ses propres dépens, le Conseil de l’Union européenne et les parties intervenantes supportant leurs propres dépens.


1 –      Langue originale: le français.


2 – JO L 361, p. 89, ci-après le «règlement attaqué».


3 –      JO L 76, p. 53, ci-après la «décision de coopération renforcée». Cette décision a fait l’objet de deux recours en annulation, introduits par le Royaume d’Espagne et la République italienne, qui ont été rejetés par la Cour par l’arrêt Espagne et Italie/Conseil (C‑274/11 et C‑295/11, EU:C:2013:240).


4 – JO L 361, p. 1.


5 – JO C 175, p. 1, ci-après l’«accord JUB».


6 – Ci-après la «CBE».


7 –      Ci-après l’«OEB».


8 –      Selon la définition reprise du glossaire de l’OEB, le fascicule est le «document décrivant l’invention et exposant l’étendue de la protection. [Il] [c]omprend la description, les revendications et, le cas échéant, les dessins».


9 –      Selon la définition reprise de ce même glossaire, la revendication constitue la «partie d’une demande de brevet ou d’un fascicule de brevet. [Elle] [d]éfinit l’objet de la protection demandée en termes de caractéristiques techniques».


10 –      Ci-après les «BEEU».


11 –      JO 1958, 17, p. 385.


12 –      Ci-après l’«État membre participant».


13 – 9/56, EU:C:1958:7.


14 – Le terme «collectivité» a été employé dans l’arrêt Kik/OHMI (C‑361/01 P, EU:C:2003:434).


15 – Voir considérant 15 du règlement attaqué qui dispose que ce dernier ne devrait pas être considéré comme dotant l’Union d’un régime linguistique spécifique ni comme constituant un précédent pour l’instauration d’un régime linguistique limité dans le cadre d’un futur instrument juridique de l’Union.


16 – EU:C:2003:434. L’affaire portait sur le régime linguistique instauré par le règlement (CE) no 40/94, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), et concernait l’emploi des langues par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI).


17 – Point 82. Voir, également, deuxième hypothèse de classification effectuée par l’avocat général Maduro dans ses conclusions Espagne/Eurojust (C‑160/03, EU:C:2004:817, points 42 et suiv.) dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Espagne/Eurojust (C‑160/03, EU:C:2005:168), à laquelle s’apparente la présente affaire, mais dans le cadre particulier ici de la coopération renforcée et du système de l’OEB.


18 – Voir Vanhamme, J., «L’équivalence des langues dans le marché intérieur: l’apport de la Cour de justice», Cahiers de droits européens, no 3-4, 2007, p. 359, qui énonce que, si l’«existence [du] principe [d’égalité des langues] est, de toute manière, difficilement concevable, le droit au traitement égal étant une prérogative qui s’attache aux personnes, et non à leurs caractéristiques ou à leurs idiomes[, en] revanche le principe d’égalité de traitement est pleinement reconnu aux citoyens de l’Union [...] et aux entreprises qui y sont établies» (p. 378 et 379).


19 – Voir article 6, paragraphe 3, du règlement attaqué.


20 – Nous rappelons que, en vertu de cette disposition, les fascicules de brevet européen sont publiés dans la langue de la procédure et comportent une traduction des revendications dans les deux autres langues officielles de l’OEB.


21 – Arrêt Kik/OHMI (EU:C:2003:434, point 94).


22 – Voir p. 2 de la proposition de règlement du Conseil mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction [COM(2011) 216 final].


23 – Sauf pour les États membres qui sont parties à l’accord sur l’application de l’article 65 de la CBE, conclu à Londres le 17 octobre 2000, en vertu duquel les parties s’engagent à renoncer, en tout ou dans une large mesure, au dépôt de la traduction des brevets européens dans leur langue nationale lorsqu’elles ont une langue de l’OEB comme langue officielle.


24 – Voir p. 4 et 5 de la proposition de règlement (UE) du Conseil sur les dispositions relatives à la traduction pour le brevet de l’Union européenne [COM(2010) 350 final]. Voir, également, point 2 de l’analyse d’impact de la Commission, intitulée «Impact assessment accompanying document to the proposal for a regulation of the European Parliament and the Council implementing enhanced cooperation in the area of the creation of unitary patent protection and proposal for a Council regulation implementing enhanced cooperation in the area of the creation of unitary patent protection with regard to the applicable translation arrangements» [SEC(2011) 482 final], disponible en langue anglaise.


25 – Voir p. 14 de la communication de la Commission, intitulée «Europe 2020 – Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive» [COM(2010) 2020 final], encadré sur l’initiative phare: «Une Union pour l’innovation».


26 – Voir considérant 4 du règlement attaqué.


27 – Voir considérant 5 de ce règlement.


28 – Voir arrêt Kik/OHMI (EU:C:2003:434, point 88).


29 – Voir notes explicatives concernant le formulaire de demande de marque communautaire, disponible sur le site Internet de l’OHMI, et requête en délivrance d’un brevet européen, disponible sur le site Internet de l’OEB.


30 – Voir définition figurant à la note en bas de page 9.


31 – Voir point 4.1, p. 14, de l’analyse d’impact de la Commission mentionnée à la note en bas de page 24.


32 – Voir point 5.2.2.2, p. 18 et 19, de la proposition de décision du Conseil autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire par brevet [COM(2010) 790 final].


33 – Voir arrêt Kik/OHMI (T‑120/99, EU:T:2001:189, point 63).


34 – Le coût d’une telle traduction s’élève à 85 euros par page (voir point 4.1, p. 14, de l’analyse d’impact de la Commission mentionnée à la note en bas de page 24).


35 – Voir point 45 de nos conclusions dans l’affaire Espagne/Parlement et Conseil (C‑146/13), actuellement pendante devant la Cour.


36 – Voir annexe 2, p. 43, de l’analyse d’impact de la Commission, mentionnée à la note en bas de page 24.


37 – EU:C:2003:434.


38 – Point 92.


39 – Voir, en ce sens, arrêt Kik/OHMI (EU:C:2003:434, point 92).


40 – Italique ajouté par nos soins.


41 – Voir, également, considérant 8 du règlement attaqué.


42 – Idem.


43 – Voir, également, considérant 9 du règlement attaqué.


44 – Il appartiendra à la Commission de proposer de mettre fin à cette période transitoire au vu des évaluations objectives effectuées par un comité d’experts indépendants. En tout état de cause, ladite période prendra fin douze ans après la date d’application du règlement attaqué (voir article 6, paragraphes 3 à 5, du règlement attaqué).


45 – Voir, également, considérant 10 du règlement attaqué.


46 – EU:C:1958:7.


47 –      Idem.


48 – Voir arrêt Parlement/Conseil (C‑130/10, EU:C:2012:472, point 43 et jurisprudence citée).


49 – Voir arrêt Royaume-Uni/Conseil (C‑431/11, EU:C:2013:589, point 44 et jurisprudence citée).


50 – Voir, plus spécifiquement, points 113 et 114 des présentes conclusions.


51 – Voir, plus spécifiquement, points 127 et 128 des présentes conclusions.


52 – Période qui se situe juste avant la réception de la traduction prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué.


53 – Le registre de la protection unitaire conférée par un brevet est défini à l’article 2, sous e), du règlement no 1257/2012 comme étant le registre faisant partie du registre européen des brevets dans lequel sont enregistrés l’effet unitaire ainsi que toute limitation, toute licence, tout transfert, toute révocation ou extinction des BEEU. Ce registre est disponible en ligne (voir site Internet http://www.epo.org/searching/free/register_fr.html).


54 – Voir arrêt LVK – 56 (C‑643/11, EU:C:2013:55, point 51 et jurisprudence citée).


55 – Nous rappelons que l’article 9, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1257/2012 prévoit que l’OEB veille à ce que les titulaires des brevets européens présentent leurs demandes d’effet unitaire dans la langue de procédure, telle que définie à l’article 14, paragraphe 3, de la CBE, au plus tard un mois après la publication de la mention de la délivrance au Bulletin européen des brevets.


56 – La langue de procédure est la langue de procédure utilisée dans la procédure devant l’OEB, au sens de l’article 14, paragraphe 3, de la CBE.


57 – Italique ajouté par nos soins.


58 – Voir points 128 à 131 de nos conclusions dans l’affaire Espagne/Parlement et Conseil (C‑146/13), actuellement pendante devant la Cour.


59 – Ci-après le «comité restreint».


60 – En vertu de cette disposition, le groupe d’États contractants peut instituer un comité restreint afin de contrôler l’activité des instances spéciales créées en vertu de l’article 143, paragraphe 2, de la CBE. La composition, les compétences et les activités du comité restreint sont déterminées par le groupe d’États contractants.


61 – Voir site Internet http://www.epo.org/news-issues/news/2014/20140328a_fr.html.


62 – Cette disposition, nous l’avons vu précédemment, tempère les conséquences de la traduction des BEEU dans un nombre limité de langues.


63 – Voir point 7.3.2, p. 34, de l’analyse d’impact de la Commission mentionnée à la note en bas de page 24.


64 – En vertu de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de ce règlement, la Commission peut mettre fin à la période transitoire à compter de six ans après la date de l’application dudit règlement, au vu de la première évaluation d’un comité d’experts indépendants, et tous les deux ans par la suite, sur la base des évaluations ultérieures de ce comité.


65 – Voir article 6, paragraphe 5, du règlement attaqué.


66 – Voir considérant 12 de ce règlement.


67 – Nous comprenons la date d’application.


68 – Voir arrêt Commission/Parlement et Conseil (C‑427/12, EU:C:2014:170, point 16 et jurisprudence citée).