Language of document : ECLI:EU:C:2004:419

Conclusions

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. F. G. JACOBS
présentées le 8 juillet 2004 (1)



Affaire C-36/03



Approved Prescription Services Ltd

contre

Licensing Authority (représentée par the Medicines Control Agency)


[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni)]


«Spécialités pharmaceutiques – Médicaments à usage humain – Autorisation de mise sur le marché – Procédure abrégée»






1.       Le présent renvoi préjudiciel émanant de la High Court of Justice England & Wales), Queen's Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni) concerne une demande d'autorisation nationale de mise sur le marché d'un médicament conformément à la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain  (2) (ci-après la «directive»), dans sa rédaction antérieure à sa récente modification  (3) .

2.       En règle générale, la directive impose au demandeur de fournir des données complètes pour démontrer la sécurité et l'efficacité de son produit. Toutefois, par dérogation à cette procédure complète, la directive prévoit également plusieurs procédures abrégées dans le cadre desquelles le demandeur est dispensé de l'obligation de fournir certaines données et peut se référer à des données communiquées en ce qui concerne un autre produit déjà autorisé. Conformément à l'une de ces procédures, telle qu'elle était aménagée à l'époque des faits, le demandeur pouvait effectuer un tel renvoi lorsque son produit était essentiellement similaire à l'autre produit et lorsque l'autre produit avait été autorisé pendant une période déterminée (fixée, aux fins de la présente espèce, à dix ans). Dans le cadre d'une autre de ces procédures, le demandeur pouvait se référer en partie aux données fournies en ce qui concerne un autre produit et fournir également des données «complémentaires» additionnelles pour surmonter certains types de différence entre les deux produits similaires par ailleurs.

3.       La présente affaire concerne la fluoxétine liquide, le nom générique d'un antidépresseur qui est la substance active de produits commercialisés sous la dénomination «Prozac». L'autorisation de mise sur le marché (ci-après l’«AMM») du Prozac en gélules a été obtenue pour la première fois en 1988 et l'AMM du Prozac liquide (qui a été accordée sur la base de données complémentaires s'ajoutant aux données déjà fournies pour les gélules) a été obtenue en 1992. En 1999, moins de dix ans après l'autorisation du Prozac liquide, un fabricant de médicaments génériques a demandé l'autorisation de mettre sur le marché de la fluoxétine liquide générique, en se fondant sur des données fournies pour l'autorisation précédente. Cette autorisation a été refusée au motif que le Prozac liquide était autorisé depuis moins de dix ans et que la fluoxétine liquide n'était pas essentiellement similaire au Prozac en gélules.

4.       Dans le contexte d'une demande de contrôle juridictionnel de ce refus, la juridiction de renvoi souhaite savoir si, en vertu des dispositions applicables, le demandeur d'une AMM pour un nouveau médicament (ci-après le «nouveau produit» ou le «produit C») peut se fonder sur des données fournies pour un produit essentiellement similaire (ci-après la «variante» ou le «produit B») qui est autorisé dans la Communauté depuis un délai inférieur à la période fixée, mais qui est une version d'un produit (ci-après le «produit original» ou le «produit A») qui est autorisé depuis au moins cette période, en dépit du fait que les produits A et B ont une forme pharmaceutique différente ou ne sont pas, par ailleurs, essentiellement similaires.

5.       La Cour s'est penchée à plusieurs reprises sur l'interprétation de la directive et il y a lieu de résoudre la question déférée à la lumière des arrêts Generics (UK) e.a.  (4) et Novartis Pharmaceuticals  (5) . Depuis l'époque des faits, la directive a été révisée de manière à donner, pour l'avenir, une réponse affirmative claire à la question soulevée en l'espèce.

Cadre juridique

La législation communautaire

6.       La directive consolide en un seul texte plusieurs directives concernant les médicaments et codifie les modifications apportées à ces directives. Le chapitre 1 du titre III de la directive est constitué par les articles 6 à 12 et il traite des autorisations de mise sur le marché des médicaments  (6) . Depuis l'époque des faits, la directive a été modifiée à plusieurs reprises. Les modifications effectuées par la directive 2004/27, qui sont exposées ci-dessous  (7) , présentent de l'intérêt pour la question soulevée par la présente procédure.

7.       L'article 6, paragraphe 1, dispose qu'un médicament ne peut être mis sur le marché d'un État membre que si une AMM a été délivrée par l'autorité compétente de cet État membre.

8.       Les articles 8 et 10 prévoient plusieurs procédures possibles pour l'octroi d'une AMM nationale. L'article 8, paragraphe 3, précise les renseignements et les documents qui doivent être fournis à l'appui d'une demande présentée dans le cadre de ce qui pourrait être appelé la procédure complète. Il dispose que ces informations doivent être présentées «conformément à l'annexe I» de la directive. En vertu de l'article 8, paragraphe 3, sous i)  (8) , le demandeur doit généralement fournir le résultat des essais:

«–      physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques,

        toxicologiques et pharmacologiques,

        cliniques».

9.       L'article 10 prévoit diverses procédures subsidiaires à la procédure complète dans le cadre desquelles, dans certaines circonstances, le demandeur peut être dispensé de l'obligation de fournir certains ou l'intégralité des résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques normalement requis par l'article 8, paragraphe 3, sous i), et peut se fonder sur des données communiquées pour un autre produit «de référence» déjà autorisé. Cela n'a pas d'incidence sur l'obligation de fournir des renseignements complets sur la nature physico-chimique du produit.

10.     À l'époque des faits, l'article 10, paragraphe 1, sous a), avait instauré la procédure dite «abrégée», qui dispensait le demandeur de l'obligation de fournir tous les types de données entrant en ligne de compte s'il pouvait démontrer:

« [...]

i)      soit que le médicament est essentiellement similaire à un médicament autorisé dans l'État membre concerné par la demande et que le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché du médicament original a consenti qu'il soit fait recours en vue de l'examen de la demande, à la documentation toxicologique, pharmacologique et/ou clinique figurant au dossier du médicament original;

[...]

iii)  soit que le médicament est essentiellement similaire à un médicament autorisé, selon les dispositions communautaires en vigueur, depuis au moins six ans dans la Communauté et commercialisé dans l'État membre concerné par la demande [... Un] État membre peut [...] étendre cette période à dix ans, par une décision unique couvrant tous les médicaments mis sur le marché de son territoire, s'il estime que les besoins de la santé publique l'exigent. [...] »

11.     À l'époque des faits, une autre procédure, généralement appelée la procédure «abrégée hybride», était instituée à l'article 10, paragraphe 1, sous a), dernier alinéa, une disposition communément appelée la réserve:

«Cependant, dans le cas où le médicament est destiné à un usage thérapeutique différent ou doit être administré par des voies différentes ou sous un dosage différent, par rapport aux autres médicaments commercialisés, les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et/ou cliniques appropriés doivent être fournis».

12.     En vertu de la réserve, le demandeur était par conséquent uniquement tenu de fournir les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques qui étaient appropriés eu égard à la différence du point de vue de l'usage thérapeutique, de la voie d'administration ou du dosage par rapport aux autres médicaments commercialisés. Pour le surplus, le demandeur se fondait sur les données relatives au produit de référence qu'il était tenu d'indiquer en vertu de l'article 10, paragraphe 1, sous a), i) ou iii). Les données additionnelles que le demandeur était tenu de fournir en vertu de la réserve étaient généralement appelées «données complémentaires».

13.     Les objectifs qui sous-tendent les différentes procédures d'octroi d'une AMM ressortent du préambule de la directive. Le deuxième considérant précise que toute réglementation en matière de production, de distribution ou d'utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique. Il ressort des neuvième et dixième considérants que les procédures prévues à l'article 10, paragraphe 1, sous a), visent également à ne pas désavantager les firmes innovatrices et à éviter que les essais sur l'homme ou sur l'animal soient répétés sans nécessité impérieuse.

L'avis aux demandeurs

14.     Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, l'article 8, paragraphe 3, de la directive exige que les renseignements et documents accompagnant une demande d'AMM soient «présentés conformément à l'annexe I».

15.     Le premier alinéa de l'introduction de cette annexe exige que les renseignements et documents qui doivent être joints à la demande d'autorisation soient présentés d'une manière qui tienne compte des lignes directrices publiées par la Commission dans un document intitulé à l'époque «La réglementation des médicaments dans la Communauté européenne, volume 2: Avis aux demandeurs d'autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain dans les États membres de la Communauté européenne»  (9) . Le volume 2 est généralement appelé et désigné ci-après par les termes «avis aux demandeurs»  (10) .

16.     Comme l'explique son introduction, l'avis aux demandeurs «a été préparé par la Commission européenne, en consultation avec les autorités compétentes des États membres et l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments.» Il reflète par conséquent «les points de vue harmonisés» des États membres et de ladite Agence sur la façon dont les «exigences légales des directives et règlements [...] peuvent être satisfaites». L'introduction précise également que l'avis «n'a pas force de loi et ne représente pas nécessairement la position définitive de la Commission». En conséquence, il convient en cas de doute de se référer à la législation communautaire appropriée.

17.     Le volume 2A de l'avis aux demandeurs concerne les procédures d'autorisation de mise sur le marché. La section 4.2 du chapitre 1 de ce volume est consacrée aux demandes présentées conformément à la procédure abrégée. Il y est énoncé que:

«The dossier of a new strength, new pharmaceutical form, new indication (called deliberately ‘line extensions’ see section 5.2) of an existing medicinal product from the same marketing authorisation holder based on a complete dossier is also considered as a complete dossier. An essentially similar product (informed consent or generic) can refer to the dossier of the line extension of the original medicinal product. Therefore, a line extension for a generic medicinal product can be applied for by reference to the line extension of the original medicinal product.»

(Le dossier d'un nouveau dosage, d'une nouvelle forme pharmaceutique, d'une nouvelle indication (appelés délibérément ‘extensions de gamme’, voir section 5.2) d'un médicament existant du même titulaire d'AMM, fondé sur un dossier complet, est également considéré comme un dossier complet. Un produit essentiellement similaire (consentement éclairé ou générique) peut renvoyer au dossier de l'extension de gamme du médicament original. En conséquence, une extension de gamme d'un médicament générique peut être demandée par référence à l'extension de gamme du médicament original.)

18.     La section 4.2 comporte également les définitions suivantes:

«Essential similarity: the product applied for under the abridged procedure must be essentially similar to the original/reference medicinal product. In this context the following definitions are applicable.

An original medicinal product is a medicinal product that has been authorised within the Community for not less than six or ten years. The marketing authorisation of this medicinal product is based on a complete dossier.

A reference medicinal product is a version of the original medicinal product which is marketed in the Member State for which the application is made and which is used to claim essential similarity. In this Member State the reference medicinal product can be authorised for less than six or ten years. This reference medicinal product might be of another strength or pharmaceutical form or be approved for other indications or have other excipients than the original medicinal product.

A medicinal product used as comparison for bioequivalence study, where a bioequivalence study is applicable, is a version of the original medicinal product that is authorised within the Community. This medicinal product is normally the same as the reference medicinal product.»

(Similarité essentielle: le produit demandé en vertu de la procédure abrégée doit être essentiellement similaire au médicament original/de référence. Dans ce contexte, les définitions suivantes s'appliquent.

Un médicament original est un médicament qui est autorisé dans la Communauté depuis au moins six ou dix ans. L'AMM de ce médicament est fondée sur un dossier complet.

Un médicament de référence est une version du médicament original qui est commercialisée dans l'État membre concerné par la demande et qui est utilisée pour invoquer la similarité essentielle. Dans cet État membre, le médicament de référence peut être autorisé depuis moins de six ou dix ans. Ce médicament de référence peut avoir un autre dosage ou une autre forme pharmaceutique ou être approuvé pour d'autres indications ou avoir d'autres excipients que le médicament original.

Un médicament utilisé à titre de comparaison pour l'étude de bioéquivalence, lorsqu'une étude de bioéquivalence s'impose, est une version du médicament original qui est autorisée dans la Communauté. Ce médicament est normalement le même que le médicament de référence.)

La jurisprudence communautaire

19.     La Cour a examiné à plusieurs reprises les dispositions figurant, à l'époque à laquelle la présente procédure se rapporte, à l'article 10, paragraphe 1, sous a), et ce en particulier dans les affaires Generics (UK) e.a. et Novartis Pharmaceuticals  (11) . Ces arrêts ont éclairé la notion de similarité essentielle, le fonctionnement de la procédure abrégée hybride prévue dans la réserve et les circonstances dans lesquelles un demandeur peut, dans le cadre de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), se prévaloir de la similarité essentielle avec une version ultérieure du produit de référence, version ultérieure qui a été autorisée moins de six ou dix ans auparavant, et se fonder sur les données communiquées pour cette version.

La notion de similarité essentielle

20.     La Cour a jugé dans l'arrêt Generics (UK) e.a.  (12) et confirmé dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals  (13) qu'«une spécialité pharmaceutique est essentiellement similaire à une spécialité originale lorsqu'elle satisfait aux critères de l'identité de la composition qualitative et quantitative en principes actifs, de l'identité de la forme pharmaceutique et de la bioéquivalence, à condition qu'il n'apparaisse pas, au regard des connaissances scientifiques, qu'elle présente des différences significatives par rapport à la spécialité originale en ce qui concerne la sécurité ou l'efficacité».

21.     Pour ce qui est de la signification de la forme pharmaceutique aux fins de cette vérification, la Cour a jugé dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals qu'il convient de tenir compte, aux fins de la détermination de la forme pharmaceutique d'un médicament donné, «de la forme sous laquelle celui-ci est présenté et de la forme sous laquelle il est administré, y compris la forme physique»  (14) .

La procédure abrégée hybride

22.     Comme dans le cas de la procédure abrégée, la réserve permet manifestement de se référer dans une certaine mesure à des données communiquées antérieurement pour un produit de référence, mais elle exige en outre des données complémentaires en raison d'une différence d'usage thérapeutique, de voie d'administration ou de dosage entre le produit de référence et le nouveau produit auquel la demande se rapporte.

23.     Dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals, la Cour a jugé que la réserve pouvait être utilisée en combinaison avec l'article 10, paragraphe 1, sous a), i) (lorsque le produit de référence a été autorisé dans le pays concerné par la demande et lorsque le consentement de la personne responsable de la mise sur le marché du produit de référence a été obtenu) ou avec l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii) (lorsque le produit de référence est autorisé dans la Communauté depuis au moins six ou dix ans et est commercialisé dans l'État membre concerné par la demande)  (15) .

24.     La Cour a également jugé que, dans le cadre de la procédure abrégée hybride, par opposition à la procédure abrégée, le produit pour lequel l'autorisation est demandée ne doit pas nécessairement être essentiellement similaire dans tous les cas au produit de référence.

25.     La Cour a relevé que, si la similarité essentielle était exigée, la réserve s'avérerait largement inopérante s'agissant de médicaments devant être administrés par des voies différentes ou sous un dosage différent par rapport aux autres médicaments commercialisés, étant donné que les premiers ne sont généralement pas bioéquivalents aux derniers  (16) .

26.     En conséquence, la Cour a jugé qu'une demande d'AMM peut être introduite en vertu de la réserve, par référence à un médicament autorisé, à la condition que le médicament pour lequel est demandée l'AMM soit essentiellement similaire au médicament autorisé, à l'exception, le cas échéant, d'une ou de plusieurs des différences mentionnées dans la réserve  (17) .

La possibilité de se référer à des données présentées en ce qui concerne une variante du produit original

27.     Dans l'arrêt Generics (UK) e.a., la Cour a jugé que, en vertu de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), un nouveau médicament essentiellement similaire à un produit autorisé depuis au moins six ou dix ans dans la Communauté et commercialisé dans l'État membre concerné par la demande peut être autorisé pour toutes les indications thérapeutiques, les formes de dosage, les doses ou les posologies déjà autorisées pour ledit produit, y compris celles qui sont autorisées depuis moins de six ou de dix ans  (18) .

28.     L'arrêt Generics (UK) e.a. a ainsi établi qu'un demandeur peut, dans certaines circonstances, se fonder non seulement sur les données communiquées pour obtenir la première autorisation d'un produit de référence, au moins six ou dix ans auparavant, mais également sur des données communiquées ultérieurement, pour obtenir l'autorisation d'une variante du produit de référence, même si celles-ci ont été présentées au cours des six ou dix dernières années.

29.     L'arrêt Generics (UK) e.a. a donné lieu à des interprétations divergentes. Selon l'une de ces interprétations, il était nécessaire que le demandeur démontre non seulement que son produit était essentiellement similaire à la variante, mais également que le produit original et sa variante étaient eux-mêmes essentiellement similaires.

30.     Le problème qu'une telle interprétation posait était que, étant donné la définition de la similarité essentielle adoptée par la Cour, plusieurs des types de modifications mentionnées dans l'arrêt Generics (UK) e.a. aboutiraient inévitablement à une absence de similarité essentielle entre le produit original et sa variante.

31.     La doctrine dominante auprès des autorités nationales et communautaires, telle qu'elle se reflétait dans l'avis aux demandeurs, était que l'arrêt Generics (UK) e.a. devait être interprété comme autorisant la référence, par le demandeur d'une AMM pour un nouveau produit conformément à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), à des données communiquées pour une variante du produit original dans les circonstances indiquées dans cet arrêt, même en l'absence de similarité essentielle entre la variante et le produit original, à condition que le nouveau produit soit essentiellement similaire à la variante.

32.     Dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals, la Cour a pu préciser l'interprétation qu'elle avait faite de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), dans l'arrêt Generics (UK) e.a..

33.     En premier lieu, la Cour a indiqué que la similarité essentielle entre le produit original et sa variante n'était pas toujours nécessaire pour pouvoir se référer aux données communiquées pour la variante. Dans le cas contraire, les circonstances dans lesquelles une telle référence pourrait être effectuée se limiteraient en fait aux nouvelles indications thérapeutiques, étant donné l'impact probable des autres types de changements sur la biodisponibilité, l'un des critères de la similarité essentielle  (19) .

34.     En deuxième lieu, la Cour a réexaminé les types de modifications du produit original (aboutissant à une variante) qui permettent de se référer aux données relatives à la variante.

35.     Elle a jugé qu'un demandeur peut se fonder sur de telles données lorsque le produit original et sa variante diffèrent à l'un des égards mentionnés dans la réserve, à savoir par leur indication thérapeutique, leur voie d'administration ou leur dosage  (20) . La Cour a expliqué que:

«En effet, eu égard à la réserve, [la variante] constitue un développement du médicament original ou de référence au même titre qu'un médicament destiné à un usage thérapeutique différent par rapport au médicament original ou de référence»  (21) .

36.     La Cour a toutefois indiqué que les critères explicitement mentionnés dans la réserve ne sont pas exhaustifs et que la variante peut sortir du cadre de la similarité essentielle avec le produit original à d'autres égards, sans bénéficier pour autant d'une période additionnelle d'exclusivité des données.

37.      En particulier, la Cour a jugé que, lorsque les produits A et B sont essentiellement similaires sous réserve de leur biodisponibilité différente, le demandeur d'une AMM pour le produit C peut tout de même se fonder sur les données communiquées pour le produit B  (22) . La Cour a raisonné de la manière suivante:

«si le demandeur d'une AMM du produit C peut […] renvoyer à la documentation […] relative au produit B, […] essentiellement similaire [au produit A], à l'exception […] de la voie d'administration ou du dosage, les différences sur ces deux derniers points impliquant généralement que les produits A et B ne sont pas bioéquivalents […], il doit, a fortiori, pouvoir en faire autant lorsque les produits A et B ne se distinguent que par leur différente biodisponibilité, alors que leur voie d'administration et leur dosage demeurent inchangés»  (23) .

Les modifications ultérieures de la directive

38.     Bien qu'elles aient été adoptées après l'époque des faits, il est utile d'examiner plusieurs modifications apportées à la directive par la directive 2004/27  (24) . L'article 1er, paragraphe 5, de celle-ci ajoute l'alinéa suivant à l'article 6, paragraphe 1, de la directive:

«Lorsqu'un médicament a obtenu une première autorisation de mise sur le marché conformément au premier alinéa, tout dosage, forme pharmaceutique, voie d'administration et présentation supplémentaires, ainsi que toute modification et extension, doivent également obtenir une autorisation conformément au premier alinéa ou être inclus dans l'autorisation de mise sur le marché initiale. Toutes ces autorisations de mise sur le marché sont considérées comme faisant partie d'une même autorisation globale, notamment aux fins de l'application de l'article 10, paragraphe 1.»

39.     L'article 1er, paragraphe 8, de la directive 2004/27 remplace le texte antérieur de l'article 10 par une nouvelle série de dispositions. Une version révisée de la procédure abrégée instituée précédemment à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), figure maintenant à l'article 10, paragraphe 1. La notion de similarité essentielle a été remplacée par l'exigence que les demandeurs démontrent que leur produit est un générique d'un médicament de référence qui a été autorisé depuis au moins huit ans.

40.     Un médicament générique est défini à l'article 10, paragraphe 2, sous b), comme «un médicament qui a la même composition qualitative et quantitative en substances actives et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et dont la bioéquivalence avec le médicament de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité».

41.     L'article 10, paragraphe 3, de la directive prévoit une variante de la procédure abrégée hybride. Il dispose que:

«Lorsque le médicament ne répond pas à la définition du médicament générique visée au paragraphe 2, point b), ou lorsque la bioéquivalence ne peut être démontrée au moyen d'études de biodisponibilité ou en cas de changements de la ou des substances actives, des indications thérapeutiques, du dosage, de la forme pharmaceutique ou de la voie d'administration par rapport à ceux du médicament de référence, les résultats des essais précliniques ou cliniques appropriés sont fournis.»

42.     Il résulte de ces modifications que la directive permet maintenant explicitement l'AMM d'un nouveau produit qui est le générique de (c'est-à-dire qui est essentiellement similaire à) une variante d'un produit original qui a été autorisé pendant la période requise et qui diffère du produit original du point de vue de sa forme pharmaceutique. Les données communiquées pour la variante doivent être considérées, conformément à l'article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive, comme faisant partie de la première AMM aux fins de l'application de l'article 10, paragraphe 1, de la directive.

Le droit national

43.     Au Royaume-Uni, la Licensing Authority créée par le Medicines Act 1968 a été désignée comme l'autorité compétente aux fins de l'application de la directive. Ses compétences administratives sont exercées par un organe exécutif du ministère de la Santé, qui était à l'époque la Medicines Control Agency (ci-après la «MCA»). Le Royaume-Uni a choisi, comme l'y autorise l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive d'étendre de six à dix ans la période prévue dans cette disposition.

Les faits

44.     En l'espèce, Approved Prescription Services Limited (ci-après «APS»), un fabricant de médicaments génériques implanté au Royaume-Uni, conteste une décision de la MCA lui interdisant d'utiliser la procédure abrégée prévue à l'époque à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive pour demander une AMM.

45.     En octobre 1999, APS a introduit auprès de la MCA une demande d'AMM pour la fluoxétine liquide 20 mg/5 ml, qui est le nom générique d'un médicament antidépresseur.

46.     APS a invoqué la procédure abrégée prévue à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), au motif que son produit était essentiellement similaire au Prozac liquide. Prozac liquide est le nom déposé d'un produit fabriqué par la société pharmaceutique Eli Lilly et dont la substance active est la fluoxétine.

47.     Dans sa demande, APS a indiqué que la date de la première AMM de son produit de référence était le 25 novembre 1988. Cela correspondait à la date à laquelle le Prozac en gélules a été autorisé au Royaume-Uni, celui-ci constituant le premier produit contenant de la fluoxétine en tant que substance active à obtenir une telle autorisation.

48.     Le Prozac liquide a été autorisé pour la première fois dans la Communauté le 14 octobre 1992 au Danemark. Il a fait l'objet d'une autorisation au Royaume-Uni le 28 octobre 1992, à la suite d'une demande introduite par Eli Lilly en vertu de la procédure abrégée hybride conformément à la disposition qui devait devenir l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive et à la réserve. Le produit de référence auquel renvoyait cette demande était le Prozac en gélules. Eli Lilly avait admis que le Prozac liquide n'était pas essentiellement similaire au Prozac en gélules, du fait de sa forme pharmaceutique différente, et avait fourni des données complémentaires pour démontrer que les produits étaient bioéquivalents.

49.     La MCA a considéré qu'APS ne pouvait pas se fonder sur le Prozac liquide en tant que produit de référence aux fins de l'application de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), parce que, au moment de l'introduction de la demande d'APS, il était autorisé depuis moins de dix ans. APS a par conséquent été invitée à modifier sa demande en mentionnant cette fois comme produit de référence le Prozac en gélules, le premier produit contenant de la fluoxétine, qui était autorisé depuis plus de dix ans. Étant donné que le Prozac en gélules n'était pas essentiellement similaire à la fluoxétine liquide, APS devrait utiliser ensuite la procédure abrégée hybride et fournir des données complémentaires sous la forme d'une étude de bioéquivalence comparant les deux types de produits.

La procédure nationale et les questions déférées

50.     APS a agi devant la High Court en contrôle juridictionnel de la décision de la MCA lui interdisant d'introduire sa demande d'AMM pour la fluoxétine liquide sous la forme d'une demande abrégée conformément à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive. En citant l'arrêt Generics (UK) e.a. et l'avis aux demandeurs, APS a soutenu devant la juridiction nationale qu'elle était en droit de se fonder sur les données communiquées pour le Prozac liquide.

51.     La High Court a décidé de surseoir à statuer et de déférer la question suivante à la Cour:

«Une demande d'autorisation de mise sur le marché introduite pour un médicament C est-elle permise en application de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), premier alinéa, de la directive 2001/83/CE, lorsque la demande vise à établir que le médicament C est essentiellement similaire à un médicament B, alors que:

1)      le médicament B est relatif à un médicament original A, en ce sens que le médicament B a été autorisé en tant qu'‘extension de gamme’ du médicament A, mais revêt une forme pharmaceutique différente du médicament A ou n'est pas, d'une autre manière, essentiellement similaire au médicament A au sens de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), et

2)      la mise sur le marché du médicament A a été autorisée dans la Communauté depuis une période supérieure au délai de six/dix ans prévu à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), et

3)      la mise sur le marché du médicament B a été autorisée depuis une période inférieure au délai de six/dix ans prévu à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii)?»

52.     La référence à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), premier alinéa, de la directive vise vraisemblablement à préciser que la question porte uniquement sur la procédure abrégée et non sur la procédure abrégée hybride instituée par la réserve. Il est clair depuis l'arrêt Novartis Pharmaceuticals que la réserve ne faisait pas partie de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), mais qu'elle s'appliquait à l'article 10, paragraphe 1, sous a), dans son intégralité.

53.     La Cour a reçu des observations écrites d'APS, d'Eli Lilly, des gouvernements danois, français, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que de la Commission. APS, les gouvernements danois et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, ont présenté des observations orales à l'audience.

Analyse

54.     À la suite de l'audience, trois positions distinctes se dégagent des observations présentées devant la Cour.

55.     En premier lieu, APS, la Commission, le royaume de Danemark, la République française et le royaume des Pays-Bas soutiennent qu'il est possible de se référer, à l'appui d'une demande d'AMM d'un produit C, introduite en vertu de la procédure abrégée prévue à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), aux données présentées pour un produit B essentiellement similaire, lorsque le produit B est une nouvelle forme pharmaceutique du produit A et que le produit A a été autorisé pendant la période requise de six à dix ans. Ils proposent par conséquent de répondre par l'affirmative à la question déférée.

56.     En second lieu, dans leurs observations écrites, qui ont été déposées avant le prononcé de l'arrêt Novartis Pharmaceuticals   (25) , Eli Lilly et le gouvernement du Royaume-Uni font valoir, en revanche, qu'un demandeur sollicitant l'autorisation de mettre sur le marché le produit C conformément à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), doit démontrer la similarité essentielle de ce produit par rapport tant au produit A (le médicament original qui est autorisé depuis une période d'au moins six ou dix ans) qu'au produit B (une variante ou extension de gamme du produit A) pour pouvoir se fonder sur les données relatives au produit B. Selon cette analyse, la question déférée appelle une réponse négative.

57.     En troisième lieu, à l'audience, le gouvernement du Royaume-Uni a modifié sa position à la lumière de l'arrêt Novartis Pharmaceuticals. Il a admis que la demande relative au produit C pouvait se référer aux données concernant le produit B, malgré la différence de forme pharmaceutique entre les produits A et B. Il a toutefois soutenu que la demande relative au produit C devait être introduite en vertu de la procédure abrégée hybride instituée par la réserve. Il a par conséquent maintenu sa proposition de réponse négative à la question déférée en l'espèce, qui est formulée par référence à la procédure abrégée prévue, à l'époque des faits, à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii).

58.     À notre avis, c'est la première position, adoptée par APS, la Commission, le royaume de Danemark, la République française et le royaume des Pays-Bas, qui est correcte.

59.     Il résulte maintenant clairement de l'arrêt Novartis Pharmaceuticals qu'il est possible de se référer, dans certaines circonstances, à des données communiquées pour une variante d'un médicament original, lorsque le médicament original a été autorisé pendant la période fixée, même si la variante n'a pas été autorisée pendant une période aussi longue  (26) . La position adoptée par Eli Lilly et le Royaume-Uni dans leurs observations écrites ne peut donc plus être défendue.

60.     Deux questions restent en suspens. La première consiste à savoir si une telle référence est possible lorsque la différence entre les produits A et B concerne leur forme pharmaceutique. La seconde consiste à savoir si la demande peut suivre la procédure de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), comme le soutiennent APS, la Commission, le royaume de Danemark, la République française et le royaume des Pays-Bas, ou si elle doit être introduite en vertu de la réserve.

61.     Toutes les parties, à l'exception d'Eli Lilly (qui n'a pas présenté de nouvelles observations depuis l'arrêt Novartis Pharmaceuticals), affirment maintenant, en ce qui concerne la première question, qu'il est possible de se référer, à l'appui de la demande relative au produit C, aux données concernant le produit B dans le cas où les produits A et B diffèrent par leur forme pharmaceutique.

62.     Pour plusieurs raisons, cette conclusion nous paraît exacte.

63.     En premier lieu, il n'est pas certain qu'il y ait une différence entre forme pharmaceutique et forme de dosage, qui est l'un des types de modifications spécifiquement mentionnés dans l'arrêt Generics (UK) e.a. comme ne suffisant pas pour bénéficier d'une période supplémentaire de protection des données  (27) . Eli Lilly et la Commission avancent toutes deux que «forme de dosage» est l'ancienne terminologie pour «forme pharmaceutique». L'avis aux demandeurs affirme la même chose  (28) . On pourrait dès lors soutenir que la question a déjà été résolue par la Cour dans l'affaire Generics (UK) e.a.. La mention par la Cour, dans cette affaire, de la nécessité de démontrer la similarité essentielle doit être lue, à la lumière de l'arrêt Novartis Pharmaceuticals, comme ne visant que la similarité essentielle entre les produits B et C et non entre les produits A et B.

64.     En second lieu et, en tout état de cause, depuis l'arrêt Novartis Pharmaceuticals  (29) , il est clair que les catégories de différences expressément mentionnées dans la réserve ne sont pas les seules qui peuvent séparer des produits A et B sans empêcher un demandeur de se fonder, pour un produit C, sur des données relatives au produit B.

65.     Dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals, la Cour a spécifiquement confirmé que la référence aux données relatives au produit B était possible lorsque les produits A et B n'étaient pas bioéquivalents, même si la différence de biodisponibilité n'était pas une conséquence de l'un des changements mentionnés dans la réserve  (30) .

66.     La Cour a considéré que, si un demandeur était en droit de renvoyer aux données relatives à une variante qui diffère du produit original ou de référence par sa voie d'administration ou son dosage, les différences sur ces points impliquant généralement que les produits A et B ne sont pas bioéquivalents, il doit, a fortiori, pouvoir en faire autant lorsque le médicament original et la variante ne se distinguent que par leur différente biodisponibilité, alors que leur voie d'administration demeure la même  (31) .

67.     Il nous semble que, comme APS l'a soutenu à l'audience, le même argument peut être appliqué par analogie à un changement de la forme pharmaceutique. Un changement de la voie d'administration équivaut à un développement du médicament original ou de référence, si bien que les données présentées à l'appui d'une telle modification peuvent être invoquées par un nouveau demandeur faisant référence au médicament original. Un tel changement implique normalement aussi un changement de la forme pharmaceutique. Par conséquent, si l'on transpose le raisonnement de la Cour dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals, un demandeur doit, a fortiori, pouvoir renvoyer aux données relatives au produit B lorsque les produits A et B ne se distinguent que par leur forme pharmaceutique différente, alors que leur voie d'administration demeure la même.

68.     En troisième lieu, plusieurs parties à la procédure soutiennent que la circonstance que le produit issu du développement du médicament de référence s'en distingue du point de vue de la forme pharmaceutique n'apparaît pas en rapport nécessaire avec le coût ou la difficulté représentés par ledit développement. Dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals, la Cour a jugé que ce facteur était pertinent lorsqu'elle a conclu que la similarité essentielle entre les produits A et B n'était pas toujours nécessaire pour que les données relatives au produit B puissent être invoquées  (32) .

69.     Enfin, l'avis aux demandeurs mentionne la forme pharmaceutique parmi les types de modifications qui peuvent distinguer un médicament original de ce qu'il appelle un «médicament de référence» ou une «extension de gamme» du médicament original. Il affirme qu'un tel produit peut être utilisé par un demandeur pour se prévaloir de la similarité essentielle, même s'il est autorisé depuis moins de six ou de dix ans, à condition que le médicament original ait été autorisé pendant une période au moins aussi longue.

70.     Il ne fait pas de doute que l'avis aux demandeurs est dépourvu de force juridique en ce sens qu'il n'est pas lui-même juridiquement contraignant. Il ne pourrait pas non plus être utilisé à l'appui d'une position manifestement incompatible avec la directive. Il y a toutefois lieu, à notre avis, de lui accorder une certaine importance dans le cadre de l'interprétation de la directive.

71.     Dans un domaine techniquement complexe, il paraît raisonnable d'examiner avec soin un document qui représente les points de vue harmonisés de la Commission et des autorités compétentes des États membres sur la façon dont la législation communautaire peut être mise à exécution en pratique. La directive elle-même exige que les demandes soient présentées d'une façon qui tienne compte de l'avis  (33) .

72.     De plus, la Cour a souligné l'importance d'assurer une administration uniforme du régime des AMM dans tous les États membres  (34) . L'avis aux demandeurs a à l'évidence un rôle important à jouer à cet égard.

73.     Il n'est donc pas surprenant que la Cour ait tenu compte à plusieurs reprises dans le passé de l'avis aux demandeurs lorsqu'elle a interprété la directive  (35) .

74.     La seule question qui reste à trancher consiste à savoir s'il est nécessaire (comme l'estime le Royaume-Uni) d'utiliser la réserve pour pouvoir se référer aux données relatives au produit B ou si (comme le soutiennent APS, la Commission, le royaume de Danemark, la République française et le royaume des Pays-Bas) la demande peut être introduite en vertu de la procédure abrégée prévue à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii).

75.     Il semble que la question ait un caractère purement procédural. Nous ne considérons pas que le gouvernement du Royaume-Uni laisse entendre que des données supplémentaires seraient exigées des demandeurs qui cherchent à se fonder sur la similarité essentielle de leur produit par rapport au produit B s'ils devaient utiliser la réserve. Il s'agit plutôt d'une question de forme.

76.     Le Royaume-Uni fonde son affirmation selon laquelle la réserve constitue la procédure appropriée sur son interprétation de l'arrêt Novartis Pharmaceuticals.

77.     Il est exact que, dans l'affaire Novartis Pharmaceuticals, la demande sur laquelle portait la procédure au principal avait été introduite en vertu de la procédure abrégée hybride  (36) . Il est également exact que, dans les passages pertinents de l'arrêt, la Cour inclut la réserve dans son raisonnement  (37) .

78.     Toutefois, le raisonnement de la Cour dans cet arrêt en ce qui concerne les deux premières questions ne saurait, selon nous, être interprété comme se limitant à la réserve.

79.     Il y a lieu de relever que les deux premières questions déférées à la Cour dans l'affaire Novartis Pharmaceuticals ne mentionnaient pas la réserve, mais étaient rédigées par référence à la disposition qui devait devenir l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii).

80.     De surcroît, dans son examen de ces questions, la Cour ne s'est référée à la réserve que pour définir les catégories de différences entre les produits A et B qui permettaient de considérer légitimement le produit B comme un développement du produit A.

81.     Son analyse comportait en revanche une interprétation de la signification de médicament, au sens que revêtait ce terme à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii). La Cour a conclu que des variantes d'un médicament qui présentent par rapport à celui-ci les diverses différences mentionnées ne se distinguaient pas suffisamment de ce produit pour pouvoir être considérées comme des produits entièrement nouveaux, ce qui les ferait bénéficier d'une période supplémentaire propre d'exclusivité des données  (38) .

82.     Par conséquent, rien dans l'analyse de la Cour dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals ne donne à penser qu'elle ne s'applique qu'aux demandes introduites conformément à la réserve.

83.     En fait, il y a de bonnes raisons qui s'opposent à ce que l'on exige qu'une demande portant sur le produit C soit présentée en vertu de la réserve. La réserve s'applique lorsque des données complémentaires sont nécessaires en raison d'une différence entre le nouveau produit et le ou les produits antérieurs auxquels il est fait référence. Lorsque la similarité essentielle est invoquée entre un produit C et un produit B qui est une variante du produit A, aucune donnée supplémentaire n'est requise. Il n'est donc pas nécessaire d'utiliser la réserve.

84.     À notre avis, l'interprétation par la Cour de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive est parfaitement conforme au libellé de cette disposition. Un demandeur doit toujours démontrer à la fois la similarité essentielle avec l'une ou l'autre forme du médicament de référence et le fait que le médicament en question est autorisé dans la Communauté depuis au moins six ou dix ans.

85.     L'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), n'affirme nulle part que les données auxquelles il est fait référence à l'appui d'une demande doivent avoir été présentées à une autorité au moins six ou dix ans auparavant. C'est le produit qui doit quant à lui être autorisé depuis une période au moins aussi longue.

86.     Nous constatons que l'approche que nous avons adoptée dans la présente espèce aboutit à un résultat qui est maintenant explicitement exigé par la directive telle qu'elle a été récemment modifiée  (39) . À l'évidence, des versions antérieures de la directive doivent être interprétées indépendamment de tels développements ultérieurs. Nous sommes néanmoins rassuré par le fait que l'interprétation que nous avons proposée de dispositions en vigueur dans le passé a récemment été explicitement confirmée par le législateur communautaire.

87.     Pour toutes les raisons qui précèdent, nous estimons par conséquent qu'un demandeur qui sollicite l'autorisation d'un produit C doit être en droit de se référer, conformément à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive aux données présentées à l'appui d'un produit B essentiellement similaire qui est un développement d'un autre produit A, lequel est autorisé depuis la période requise, mais qui diffère du produit A par sa forme pharmaceutique.

Conclusion

88.     Nous considérons par conséquent que la question déférée en vue d'une décision préjudicielle par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Administrative Court), appelle la réponse suivante:

«Une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un médicament C peut être introduite en vertu de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, sans qu'il soit nécessaire de fournir des données supplémentaires conformément à l'article 10, paragraphe 1, sous a), dernier alinéa, lorsque la demande vise à démontrer que le nouveau produit (produit C) est essentiellement similaire à un autre produit (produit B) alors que:

le produit B est une nouvelle forme pharmaceutique d'un autre produit (le produit A) sans être essentiellement similaire au produit A au sens de l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii), et

le produit A, mais non le produit B, a été autorisé en vue de sa mise sur le marché dans la Communauté pendant, au moins, la période de six ou dix ans prévue à l'article 10, paragraphe 1, sous a), iii).»


1
Langue originale: l'anglais.


2
JO L 311, p. 67.


3
Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 34).


4
Arrêt du 3 décembre 1998 (C‑368/96, Rec. p. I-7967).


5
Arrêt du 29 avril 2004 (C-106/01, non encore publié au Recueil).


6
Ce chapitre remplace ainsi la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux médicaments (JO 1965, 22, p. 369), et les directives qui l'ont modifiée. Les dispositions de la directive qui sont applicables en l'espèce sont identiques, en substance, à celles qui figuraient auparavant dans la directive 65/65, dans sa rédaction modifiée.


7
Aux points 38 à 42.


8
L'ancien article 4, paragraphe 8, de la directive 65/65.


9
Ce titre a été légèrement révisé dans le cadre des modifications apportées à l'annexe I de la directive par la directive 2003/63/CE de la Commission, du 25 juin 2003 (JO L 159, p. 46).


10
L'avis aux demandeurs est mis à jour régulièrement. La décision de renvoi cite la version de mai 2001. La version la plus récente date de février 2004, mais elle ne modifie aucun des passages pertinents pour la présente procédure.


11
Arrêts précités notes 4 et 5.


12
Aux points 31 à 37 et dans le dispositif.


13
Aux points 28 et 33.


14
Au point 42 et dans le dispositif.


15
Au point 47 et dans le dispositif.


16
Aux points 51 et 52. Deux produits sont bioéquivalents lorsqu'ils ont la même biodisponibilité, c'est-à-dire lorsqu'ils sont absorbés par l'organisme et transférés au site d'action à la même vitesse et au même degré.


17
Au point 55 et dans le dispositif.


18
Aux points 53 et 56 et dans le dispositif.


19
Points 61 à 64.


20
Points 57 à 59.


21
Point 60.


22
Point 67 et dispositif.


23
Point 66.


24
Précitée note 3.


25
Précité note 5.


26
Précité note 5, aux points 61 et 62.


27
Précité note 4, point 56.


28
À la section 4.2.2 du chapitre 1 du volume 2A.


29
Aux points 65 et 66.


30
Au point 67.


31
Au point 66.


32
Au point 62.


33
Voir points 14 et 15 ci-dessus.


34
Voir, par exemple, arrêt Generics (UK) e.a., précité note 4, points 48 et 50.


35
Voir, par exemple, arrêts Generics (UK) e.a., point 31, et Novartis Pharmaceuticals, précité note 5, point 53.


36
Point 16.


37
Point 60.


38
Au point 60.


39
Voir points 38 à 42 ci-dessus.