Language of document : ECLI:EU:C:2014:2044

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

3 juillet 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Secteur maritime – Ferries effectuant un trajet entre deux ports situés dans le même État membre – Contrats de travail à durée déterminée successifs – Clause 3, point 1 – Notion de ‘contrat de travail à durée déterminée’ – Clause 5, point 1 – Mesures visant à prévenir le recours abusif aux contrats à durée déterminée – Sanctions – Transformation en relation de travail à durée indéterminée – Conditions»

Dans les affaires jointes C‑362/13, C‑363/13 et C‑407/13,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Corte suprema di cassazione (Italie), par décisions du 3 avril 2013, parvenues à la Cour les 28 juin et 17 juillet 2013, dans les procédures

Maurizio Fiamingo (C‑362/13),

Leonardo Zappalà (C‑363/13),

Francesco Rotondo e.a. (C‑407/13)

contre

Rete Ferroviaria Italiana SpA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, A. Ó Caoimh (rapporteur), Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 mai 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour MM. Fiamingo et Zappalà, par Me A. Notarianni, avvocatessa,

–        pour M. Rotondo e.a., par Mes V. De Michele et R. Garofalo, avvocati,

–        pour Rete Ferroviaria Italiana SpA, par Me F. Sciaudone, avvocato,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Albenzio, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement norvégien, par Mme I. S. Jansen et M. K. B. Moen, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. J. Enegren, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des clauses 3 et 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’«accord-cadre»), qui figure à l´annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175 p. 43).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges qui opposent des travailleurs employés en tant que marins à leur employeur, Rete Ferroviaria Italiana SpA (ci-après «RFI»), au sujet de la qualification des contrats de travail qui les liaient à ce dernier.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 1999/70/CE

3        Aux termes de l’article 1er de la directive 1999/70, celle-ci vise «à mettre en œuvre l’accord-cadre [...], figurant en annexe, conclu [...] entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP)».

4        Les deuxième à quatrième alinéas du préambule de l’accord-cadre sont libellés comme suit:

«Les parties au présent accord reconnaissent que les contrats à durée indéterminée sont et resteront la forme générale de relations d’emploi entre employeurs et travailleurs. Elles reconnaissent également que les contrats de travail à durée déterminée répondent, dans certaines circonstances, à la fois aux besoins des employeurs et à ceux des travailleurs.

Le présent accord énonce les principes généraux et prescriptions minimales relatifs au travail à durée déterminée, reconnaissant que leur application détaillée doit prendre en compte les réalités des situations spécifiques nationales, sectorielles, et saisonnières. Il illustre la volonté des partenaires sociaux d’établir un cadre général pour assurer l’égalité de traitement pour les travailleurs à durée déterminée en les protégeant contre la discrimination et pour l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée sur une base acceptable pour les employeurs et les travailleurs.

Le présent accord-cadre s’applique aux travailleurs à durée déterminée, à l’exception de ceux qui sont mis à disposition d’une entreprise utilisatrice par une agence de travail intérimaire. Il est dans l’intention des parties de considérer la nécessité d’un accord similaire relatif au travail intérimaire.»

5        Les points 6 à 8 et 10 des considérations générales de l’accord-cadre énoncent:

«6.      considérant que les contrats de travail à durée indéterminée sont la forme générale de relations de travail et contribuent à la qualité de vie des travailleurs concernés et à l’amélioration de la performance;

7.      considérant que l’utilisation des contrats de travail à durée déterminée basée sur des raisons objectives est un moyen de prévenir les abus;

8.      considérant que les contrats de travail à durée déterminée sont une caractéristique de l’emploi dans certains secteurs, occupations et activités qui peuvent convenir à la fois aux travailleurs et aux employeurs;

[...]

10.      considérant que le présent accord renvoie aux États membres et aux partenaires sociaux pour la définition des modalités d’application de ses principes généraux, prescriptions minimales et dispositions, afin de prendre en compte la situation dans chaque État membre et les circonstances de secteurs et occupations particuliers, y compris les activités de nature saisonnière».

6        Aux termes de la clause 1 de l’accord-cadre, intitulée «Objet»:

«Le présent accord-cadre a pour objet:

a)      d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination;

b)      d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.»

7        La clause 2 de l’accord-cadre, intitulée «Champ d’application», prévoit:

«1.      Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre.

2.      Les États membres, après consultation de partenaires sociaux, et/ou les partenaires sociaux peuvent prévoir que le présent accord ne s’applique pas:

a)      aux relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage;

b)      aux contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics.»

8        La clause 3 de l’accord-cadre, intitulée «Définitions», dispose:

«Aux termes du présent accord, on entend par:

1.      ‘travailleur à durée déterminée’, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé;

[…]»

9        Aux termes de la clause 5 de l’accord-cadre, intitulée «Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive»:

«1.      Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes:

a)      des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail;

b)      la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs;

c)      le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2.      Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée:

a)      sont considérés comme ‘successifs’;

b)      sont réputés conclus pour une durée indéterminée.»

10      La clause 8 de l’accord-cadre, intitulée «Dispositions sur la mise en œuvre», énonce, à son point 2:

«Le présent accord est sans préjudice de dispositions [du droit de l’Union] plus spécifiques, et notamment des dispositions [du droit de l’Union] relatives à l’égalité de traitement et des chances entre hommes et femmes.»

 La directive 2009/13/CE

11      L’article 1er de la directive 2009/13/CE du Conseil, du 16 février 2009, portant mise en œuvre de l’accord conclu par les Associations des armateurs de la Communauté européenne (ECSA) et la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) concernant la convention du travail maritime, 2006, et modifiant la directive 1999/63/CE (JO L 124, p. 30), est libellé comme suit:

«La présente directive met en œuvre l’accord concernant la convention du travail maritime, 2006 [ci-après la «CTM 2006»], conclu le 19 mai 2008 par les organisations représentant les employeurs et les travailleurs du secteur des transports maritimes (les Associations des armateurs de la Communauté européenne, l’ECSA et la Fédération européenne des travailleurs des transports, l’ETF), qui figure en annexe [ci-après l’‘accord concernant la CTM 2006’].»

12      La partie de l’accord intitulée «Définitions et champ d’application» dispose:

«1.      Aux fins du présent accord, et sauf stipulation contraire dans une disposition particulière, l’expression:

[…]

c)      ‘gens de mer ou marin’ désigne les personnes employées ou engagées ou travaillant à quelque titre que ce soit à bord d’un navire auquel le présent accord s’applique;

[…]

e)      ‘navire’ désigne tout bâtiment ne naviguant pas exclusivement dans les eaux intérieures ou dans des eaux situées à l’intérieur ou au proche voisinage d’eaux abritées ou de zones où s’applique une réglementation portuaire;

[…]

2.      Sauf disposition contraire expresse, le présent accord s’applique à tous les gens de mer.

[…]»

13      Contenu dans la partie dudit accord intitulée «Règles et normes», le titre 2 de celle-ci, sous l’intitulé «Conditions d’emploi», comporte, notamment, la règle 2.1, qui concerne le «Contrat d’engagement maritime». La norme A2.1, paragraphe 4, de cette règle est libellée comme suit:

«Chaque État membre adopte une législation indiquant les mentions à inclure dans tous les contrats d’engagement maritime régis par le droit national. Le contrat d’engagement maritime comprend dans tous les cas les indications suivantes:

[…]

c)      le lieu et la date de la conclusion du contrat d’engagement maritime;

[…]

g)      le terme du contrat et les conditions de sa cessation, notamment:

i)      si le contrat est conclu pour une durée indéterminée, les conditions dans lesquelles chaque partie pourra le dénoncer ainsi que le délai de préavis, qui ne doit pas être plus court pour l’armateur que pour le marin;

ii)      si le contrat est conclu pour une durée déterminée, la date d’expiration; et

iii)      si le contrat est conclu pour un voyage, le port de destination et le délai à l’expiration duquel l’engagement du marin cesse après l’arrivée à destination;

[…]»

14      La dernière partie de ce même accord, intitulée «Dispositions finales», comporte un quatrième alinéa qui énonce:

«Le présent accord s’applique sans préjudice des dispositions plus rigoureuses et/ou spécifiques de la législation [du droit de l’Union] existante.»

 Le droit italien

15      En Italie, les contrats de travail des marins sont régis par les dispositions du code de la navigation, approuvé par le décret royal nº327, du 30 mars 1942 (ci-après le «code de la navigation»), qui, conformément à son article 1er, s’applique de manière prioritaire et prévaut sur la réglementation générale applicable aux contrats de travail. Ces contrats ne relèvent donc pas du décret législatif nº 368, relatif à la mise en œuvre de la directive 1999/70/CE concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (decreto legislativo n. 368 – Attuazione della direttiva 1999/70/CE relativa all’accordo quadro sul lavoro a tempo determinato concluso dall’UNICE, dal CEEP e dal CES), du 6 septembre 2001 (GURI nº 235, du 9 octobre 2001, p. 4).

16      L’article 325 du code de la navigation dispose:

«Le contrat d’engagement peut être conclu:

a)      pour un ou plusieurs voyages donnés;

b)      pour une durée déterminée;

c)      pour une durée indéterminée.

[…]

Aux fins du contrat d’engagement, on entend par ‘voyage’ l’ensemble des traversées effectuées entre le port de chargement et le port de destination finale, outre l’éventuelle traversée sur lest pour rejoindre le port de chargement.

[…]»

17      Aux termes de l’article 326 du code de la navigation:

«Le contrat à durée déterminée et celui pour plusieurs voyages ne peuvent être conclus pour une durée supérieure à un an; s’ils sont conclus pour une durée plus longue, ils sont considérés comme des contrats à durée indéterminée.

Si, en vertu de plusieurs contrats pour des voyages ou de plusieurs contrats à durée déterminée, ou bien de plusieurs contrats de l’un et l’autre types, la personne engagée travaille de façon ininterrompue au service du même armateur pour une durée supérieure à un an, le contrat d’engagement est régi par les règles concernant le contrat à durée indéterminée.

Aux fins de l’alinéa précédent, la prestation de travail est considérée comme ininterrompue lorsque, entre la cessation d’un contrat et la conclusion du contrat suivant, il s’écoule un délai de [60] jours au maximum».

18      L’article 332 du code de la navigation énonce:

«Le contrat d’engagement doit indiquer:

[...]

4)      le ou les voyages à accomplir et la date à laquelle la personne engagée doit prendre son service, s’il s’agit d’un engagement pour des voyages; le début et la durée du contrat si l’engagement est à durée déterminée […]

[…]»

19      L’article 374 du code de la navigation prévoit:

«Il peut être dérogé aux dispositions [de l’article] 326 […] par les normes corporatives; le contrat individuel ne peut y déroger, sauf si la dérogation est favorable à la personne engagée. Toutefois, les normes corporatives ne peuvent pas prolonger la durée prévue aux premier et deuxième alinéas de l’article 326, ni réduire le délai prévu au troisième alinéa dudit article.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

20      Les requérants au principal sont des marins inscrits au registre des gens de mer. Ils ont été engagés par RFI dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs, conclus postérieurement à l’année 2001, pour un ou plusieurs voyages et pour 78 jours au maximum, aux fins d’être embarqués sur des ferries effectuant le trajet Messine-Villa San Giovanni et Messine-Reggio Calabria (Italie). Il ressort des décisions de renvoi que lesdits requérants ont, dans le cadre de ces contrats, travaillé au service de leur employeur pour une durée inférieure à un an et qu’une période inférieure à 60 jours s’est écoulée entre la cessation d’un contrat de travail et la conclusion du contrat suivant.

21      Estimant que leurs relations de travail avaient été résiliées illégalement lors de leur débarquement, les requérants au principal ont saisi le Tribunale di Messina afin d’obtenir la nullité de leurs contrats de travail à durée déterminée, la transformation de ces contrats en une relation de travail à durée indéterminée, leur réengagement immédiat ou réintégration ainsi que le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi.

22      Si le Tribunale di Messina, en première instance, a accueilli les demandes des requérants au principal dans l’affaire C‑407/13 et rejeté les demandes des requérants au principal dans les affaires C‑362/13 et C‑363/13, la Corte d’appello di Messina, en appel, a rejeté l’ensemble de ces prétentions.

23      Les requérants au principal ont dès lors saisi la Corte suprema di cassazione d’un pourvoi dans le cadre duquel il est fait grief à la Corte d’appello di Messina d’avoir jugé que l’accord-cadre n’est pas applicable aux marins et d’avoir considéré comme légaux leurs contrats de travail à durée déterminée, alors que ces derniers n’indiquent pas le terme des contrats, mais uniquement leur durée par la formule «78 jours au maximum», ni même les raisons objectives justifiant le recours à de tels contrats. Selon lesdits requérants, il serait fait un usage abusif de contrats de travail à durée déterminée, dès lors que ceux-ci sont utilisés non pas en raison du caractère spécial du travail maritime ou de l’existence de raisons objectives, mais en vue de remédier à des carences structurelles en personnel.

24      En conséquence, la Corte suprema di cassazione estime qu’il convient de se demander si l’accord-cadre s’applique aux relations de travail conclues dans le secteur maritime. En effet, si tel était le cas, les modalités d’engagement à durée déterminée prévues par le code de la navigation pourraient se révéler contraires à l’accord-cadre. Le législateur italien s’étant acquitté, par le décret législatif nº 368, du 6 septembre 2001, relatif à la mise en œuvre de la directive 1999/70/CE concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, de l’obligation édictée à la clause 5 de cet accord, qui consiste à prévoir des mesures de nature à éviter le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, il pourrait en résulter que les dispositions de ce décret doivent également être appliquées aux relations de travail dans le secteur maritime.

25      Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les clauses de l’accord-cadre […] sont-elles applicables au travail dans le secteur maritime? En particulier, la clause 2, point 1, [de l’accord-cadre] concerne-t-elle aussi les travailleurs à durée déterminée engagés sur des [ferries] effectuant des liaisons journalières?

2)      L’accord-cadre […], et notamment la clause 3, point 1, [de celui-ci,] fait-il obstacle à une législation nationale qui prévoit (article 332 du code de la navigation) que la ‘durée’, et non le ‘terme’, du contrat doit être indiquée? Est-il compatible avec ladite directive de prévoir la durée du contrat par l’indication d’un terme final certain quant à son existence (‘78 jours au maximum’), mais non quant à son échéance?

3)      L’accord-cadre […], et notamment la clause 3, point 1, [de celui-ci,] fait-il obstacle à une législation nationale (articles 325, 326 et 332 du code de la navigation) qui considère que les raisons objectives du contrat à durée déterminée sont constituées par la simple indication du ou des voyages à effectuer, faisant ainsi en substance coïncider l’objet du contrat (la prestation) avec sa cause (motif de la conclusion d’un contrat à durée déterminée)?

4)      L’accord-cadre [...] fait-il obstacle à une législation nationale (en l’espèce, le code de la navigation) qui, en cas de recours à des contrats successifs (de nature à constituer un abus au sens de la clause 5), exclut leur transformation en relation de travail à durée indéterminée (mesure prévue à l’article 326 du code de la navigation seulement dans l’hypothèse où la personne engagée travaille de façon ininterrompue pour une durée supérieure à un an et dans l’hypothèse où il s’écoule un délai de soixante jours au maximum entre la cessation d’un contrat et la conclusion du contrat suivant)?»

26      Par ordonnance du président de la Cour du 28 août 2013, les affaires C‑362/13, C‑363/13 et C‑407/13 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

27      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’accord-cadre doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à des travailleurs, tels que les requérants au principal, employés en tant que marins dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée sur des ferries effectuant un trajet maritime entre deux ports situés dans le même État membre.

28      À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé à maintes reprises, il ressort du libellé même de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre que le champ d’application de celui-ci est conçu de manière large, dès lors qu’il vise de façon générale les «travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre» (voir, notamment, arrêts Adeneler e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 56; Della Rocca, C‑290/12, EU:C:2013:235, point 34, ainsi que Márquez Samohano, C‑190/13, EU:C:2014:146, point 38).

29      En outre, la définition de la notion de «travailleurs à durée déterminée» au sens de l’accord-cadre, énoncée à la clause 3, point 1, de celui-ci, englobe l’ensemble des travailleurs, sans opérer de distinction selon la qualité publique ou privée de l’employeur auquel ils sont liés (arrêts Adeneler e.a., EU:C:2006:443, point 56; Della Rocca, EU:C:2013:235, point 34, ainsi que Márquez Samohano, EU:C:2014:146, point 38) et quelle que soit la qualification de leur contrat en droit interne (arrêt Angelidaki e.a., C‑378/07 à C‑380/07, EU:C:2009:250, point 166).

30      L’accord-cadre s’applique ainsi à l’ensemble des travailleurs fournissant des prestations rémunérées dans le cadre d’une relation d’emploi à durée déterminée les liant à leur employeur (arrêts Del Cerro Alonso, C‑307/05, EU:C:2007:509, point 28, et Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres, C‑444/09 et C‑456/09, EU:C:2010:819, point 42, ainsi que ordonnance Montoya Medina, C‑273/10, EU:C:2011:167, point 26).

31      Certes, le champ d’application de l’accord-cadre n’est pas sans limites. Ainsi, il ressort du libellé de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre que la définition des contrats et des relations de travail auxquels s’applique cet accord-cadre relève non pas de celui-ci ou du droit de l’Union, mais de la législation et/ou des pratiques nationales, pour autant que la définition de ces notions n’aboutit pas à exclure arbitrairement une catégorie de personnes du bénéfice de la protection offerte par l’accord-cadre (arrêt Sibilio, C‑157/11, EU:C:2012:148, points 42 et 51).

32      En outre, la clause 2, point 2, de l’accord-cadre confère aux États membres une marge d’appréciation quant à l’application de l’accord-cadre à certaines catégories de contrats ou de relations de travail. En effet, cette disposition ouvre aux États membres et/ou aux partenaires sociaux la faculté de soustraire du domaine d’application de cet accord-cadre les «relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage» ainsi que les «contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics» (arrêts Adeneler e.a., EU:C:2006:443, point 57; Sibilio, EU:C:2012:148, points 52 et 53, ainsi que Della Rocca, EU:C:2013:235, point 35).

33      Par ailleurs, la Cour a jugé qu’il ressort explicitement du quatrième alinéa du préambule de l’accord-cadre que ce dernier ne s’applique pas aux travailleurs intérimaires (voir arrêt Della Rocca, EU:C:2013:235, points 36 et 45).

34      En l’occurrence, il ressort des éléments fournis à la Cour, lesquels n’ont pas été contestés, que les requérants au principal étaient liés à leur employeur par un contrat de travail au sens du droit national. Il est également constant que ces contrats de travail ne font pas partie des relations de travail susceptibles d’être exclues du champ d’application de l’accord-cadre en vertu de la clause 2, point 2, de celui-ci.

35      RFI ainsi que les gouvernements italien et norvégien soulignent cependant que le droit de l’Union, à l’instar du droit international et du droit national, comporte des dispositions destinées à régir spécifiquement le secteur maritime. En particulier, l’accord concernant la CTM 2006, qui figure à l’annexe de la directive 2009/13, énoncerait une série de règles et de normes relatives au contrat d’engagement maritime, notamment la norme A2.1, paragraphe 4, sous g), qui définit le terme du contrat et les conditions de cessation de celui-ci. Or, aux termes de la clause 8, point 2, de l’accord-cadre, ce dernier s’appliquerait sans préjudice des dispositions plus spécifiques du droit de l’Union.

36      Il n’apparaît toutefois pas, et il n’a d’ailleurs pas été soutenu, que l’accord concernant la CTM 2006, pas plus que les autres actes adoptés par le législateur de l’Union concernant le secteur maritime, comporte des règles destinées, à l’instar de l’accord-cadre, à garantir l’application du principe de non-discrimination à l’égard des travailleurs employés à durée déterminée ou à prévenir les abus découlant de l’utilisation de relations ou de contrats de travail à durée déterminée successifs. Or, l’accord concernant la CTM 2006, ainsi qu’il ressort notamment du troisième alinéa de ses dispositions finales, s’applique sans préjudice de toute autre disposition en vigueur dans l’Union plus spécifique ou qui offrirait un degré de protection plus élevé aux gens de mer.

37      Par ailleurs, force est de constater que, en vertu des points 1, sous c) et e), ainsi que 2 de l’accord concernant la CTM 2006, celui-ci ne s’applique pas aux marins employés à bord de bâtiments naviguant exclusivement dans les eaux intérieures, tels que ceux en cause dans les affaires au principal.

38      Il en résulte que des travailleurs se trouvant dans la situation des requérants au principal, qui ont la qualité de marins employés dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée sur des ferries effectuant un trajet maritime entre deux ports situés dans le même État membre, relèvent du champ d’application de l’accord-cadre, celui-ci n’excluant aucun secteur particulier de son champ d’application.

39      Cette conclusion est corroborée par le contenu de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, dont il ressort que, conformément au troisième alinéa du préambule de l’accord-cadre ainsi qu’aux points 8 et 10 de ses considérations générales, c’est dans le cadre de la mise en œuvre dudit accord-cadre que les États membres ont la faculté, pour autant que cela est objectivement justifié, de tenir compte des besoins particuliers relatifs aux secteurs d’activités spécifiques et/ou aux catégories de travailleurs en cause (voir, en ce sens, arrêts Marrosu et Sardino, C‑53/04, EU:C:2006:517, point 45, ainsi que Kücük, C‑586/10, EU:C:2012:39, point 49).

40      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’accord-cadre doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à des travailleurs, tels que les requérants au principal, employés en tant que marins dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée sur des ferries effectuant un trajet maritime entre deux ports situés dans le même État membre.

 Sur la deuxième question

41      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si les dispositions de l’accord-cadre, en particulier la clause 3, point 1, de celui-ci, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les contrats de travail à durée déterminée doivent indiquer leur durée, mais non leur terme.

42      RFI estime que cette question est irrecevable à double titre. D’une part, elle concernerait l’interprétation du droit national. D’autre part, la clause 3, point 1, de l’accord-cadre viserait uniquement à définir certains termes et ne constituerait donc pas un critère de légalité de la réglementation nationale en cause.

43      Il y a cependant lieu de constater que la présente question porte clairement sur l’interprétation du droit de l’Union et qu’elle est, partant, recevable.

44      Quant au fond, il convient de rappeler que l’accord-cadre n’a pas pour objet d’harmoniser l’ensemble des règles nationales relatives aux contrats de travail à durée déterminée, mais vise uniquement, en fixant des principes généraux et des prescriptions minimales, à établir un cadre général pour assurer l’égalité de traitement pour les travailleurs à durée déterminée en les protégeant contre la discrimination et à prévenir les abus découlant de l’utilisation de relations de travail ou de contrats de travail à durée déterminée successifs (voir, en ce sens, arrêts Del Cerro Alonso, EU:C:2007:509 points 26 et 36; Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 111, et Huet, C‑251/11, EU:C:2012:133, point 41, ainsi que ordonnance Vino, C‑20/10, EU:C:2010:677, point 54).

45      L’accord-cadre ne contient aucune disposition concernant les mentions formelles qui doivent figurer dans les contrats de travail à durée déterminée.

46      À cet égard, la clause 3, point 1, de l’accord-cadre, ainsi qu’il ressort clairement de son intitulé et de son libellé, se borne à définir la notion de «travailleur à durée déterminée» et à désigner, dans ce cadre, l’élément caractéristique d’un contrat à durée déterminée, à savoir la circonstance que le terme d’un tel contrat est déterminé par «des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement donné». En revanche, cette clause n’impose aucune obligation aux États membres en ce qui concerne les règles de droit interne applicables à la conclusion des contrats de travail à durée déterminée (voir, en ce sens, ordonnance Vino, EU:C:2010:677, points 60 à 62 et jurisprudence citée).

47      En tout état de cause, pour autant que la présente question doit se comprendre comme visant à déterminer si l’accord-cadre est applicable à des travailleurs qui sont liés par des contrats de travail qui, tels ceux en cause dans les affaires au principal, indiquent uniquement leur durée, par la mention «78 jours maximum», il suffit de constater que de tels travailleurs doivent être regardés comme étant des «travailleurs à durée déterminée», au sens de la clause 3, point 1, de l’accord-cadre, dès lors qu’une telle mention est de nature à déterminer de manière objective le terme desdits contrats et que, partant, l’accord-cadre leur est applicable.

48      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que les dispositions de l’accord-cadre doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les contrats de travail à durée déterminée doivent indiquer leur durée, mais non leur terme.

 Sur les troisième et quatrième questions

49      Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les clauses 3, point 1, et 5 de l’accord-cadre doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, d’une part, considère que la justification objective d’un contrat de travail à durée déterminée est constituée par la seule indication du ou des voyages à effectuer et, d’autre part, prévoit la transformation de contrats de travail à durée déterminée en relation de travail à durée indéterminée uniquement dans le cas où le travailleur concerné a été employé de façon ininterrompue en vertu de tels contrats par le même employeur pour une durée supérieure à un an, la relation de travail étant considérée comme ininterrompue lorsque les contrats de travail à durée déterminée sont séparés par un laps de temps inférieur ou égal à 60 jours.

50      Selon RFI, la partie de cette interrogation qui correspond à la troisième question est irrecevable, étant sans rapport avec l’objet des litiges au principal, dès lors qu’elle vise à vérifier la compatibilité avec l’accord-cadre de la législation nationale relative aux contrats de travail pour un ou plusieurs voyages donnés, alors que, dans les affaires au principal, les contrats de travail en cause ont été qualifiés de contrats de travail à durée déterminée.

51      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts Della Rocca, EU:C:2013:235, point 29, et Márquez Samohano, EU:C:2014:146, point 35).

52      En l’occurrence, il convient cependant de constater que la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de l’accord-cadre dans le cadre de litiges réels qui font suite à la résiliation des contrats de travail à durée déterminée successifs conclus par les requérants au principal pour un ou plusieurs voyages déterminés. Par sa troisième question, cette juridiction se demande si la réglementation nationale en cause au principal, selon laquelle l’indication du ou des voyages à effectuer constitue une raison objective pour la conclusion de tels contrats, est conforme aux exigences posées par l’accord-cadre. Dans ces conditions, cette question ne saurait être considérée comme revêtant un caractère hypothétique et, partant, elle doit être considérée comme recevable.

53      Sur le fond, pour autant que les présentes questions visent l’interprétation de la clause 3, point 1, de l’accord-cadre, il convient de rappeler que, ainsi que cela a été exposé au point 46 du présent arrêt, cette disposition est sans pertinence, dès lors qu’elle n’impose aucune obligation aux États membres en ce qui concerne les règles de droit interne applicables à la conclusion des contrats de travail à durée déterminée.

54      S’agissant de la clause 5 de l’accord-cadre, il y a lieu de rappeler que le point 1 de cette clause a pour objet de mettre en œuvre l’un des objectifs poursuivis par cet accord-cadre, à savoir encadrer le recours successif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée, considérés comme une source potentielle d’abus au détriment des travailleurs, en prévoyant un certain nombre de dispositions protectrices minimales destinées à éviter la précarisation de la situation des salariés (voir, notamment, arrêts Adeneler e.a., EU:C:2006:443, point 63; Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 73; Deutsche Lufthansa, C‑109/09, EU:C:2011:129, point 31; Kücük, EU:C:2012:39, point 25, ainsi que Márquez Samohano, EU:C:2014:146, point 41).

55      En effet, comme cela résulte du deuxième alinéa du préambule de l’accord-cadre, ainsi que des points 6 et 8 des considérations générales dudit accord-cadre, le bénéfice de la stabilité de l’emploi est conçu comme un élément majeur de la protection des travailleurs, alors que ce n’est que dans certaines circonstances que des contrats de travail à durée déterminée sont susceptibles de répondre aux besoins tant des employeurs que des travailleurs (arrêts Adeneler e.a., EU:C:2006:443, point 62, ainsi que Huet, EU:C:2012:133, point 35).

56      Dès lors, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre impose aux États membres, en vue de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, l’adoption effective et contraignante de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne comporte pas de mesures légales équivalentes. Les mesures ainsi énumérées au point 1, sous a) à c), de ladite clause, au nombre de trois, ont trait, respectivement, à des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail, à la durée maximale totale de ces contrats ou relations de travail successifs et au nombre de renouvellements de ceux-ci (voir, notamment, arrêts Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, points 74 et 151; Kücük, EU:C:2012:39, point 26, et Márquez Samohano, EU:C:2014:146, point 42, ainsi que ordonnance Papalia, C‑50/13, EU:C:2013:873, points 18 et 19).

57      Il convient toutefois de souligner d’emblée que l’accord-cadre n’impose pas aux États membres d’adopter une mesure exigeant que tout premier ou unique contrat de travail à durée déterminée soit justifié par une raison objective. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, de tels contrats de travail à durée déterminée ne relèvent pas de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, laquelle porte uniquement sur la prévention de l’utilisation abusive de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs, les raisons objectives visées au point 1, sous a), de ladite clause portant ainsi sur le seul «renouvellement de tels contrats ou relations de travail» (voir arrêt Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 90, ainsi que ordonnance Vino, EU:C:2010:677, points 58 et 59).

58      En ce qui concerne lesdits contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs, il ressort en effet du point 56 du présent arrêt que les parties signataires de l’accord-cadre, comme l’indique le point 7 des considérations générales de celui-ci, ont considéré que l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée fondée sur des raisons objectives est un moyen de prévenir les abus (voir arrêts Adeneler e.a., EU:C:2006:443, point 67; Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, points 91 et 92, ainsi que ordonnance Vassilakis e.a., C‑364/07, EU:C:2008:346, point 86).

59      Cependant, les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour la mise en œuvre de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, dès lors qu’ils ont le choix de recourir à l’une ou plusieurs des mesures énoncées au point 1, sous a) à c), de cette clause, ou encore à des mesures légales existantes équivalentes, et ce tout en tenant compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs (voir arrêts Impact, EU:C:2008:223, point 71; Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, points 81 et 93, ainsi que Deutsche Lufthansa, EU:C:2011:129, point 35).

60      Ce faisant, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre assigne aux États membres un objectif général, consistant en la prévention de tels abus, tout en leur laissant le choix des moyens pour y parvenir, pour autant qu’ils ne remettent pas en cause l’objectif ou l’effet utile de l’accord-cadre (arrêt Huet, EU:C:2012:133, points 42 et 43 et jurisprudence citée).

61      Il s’ensuit que, aux fins de cette mise en œuvre, un État membre peut légitimement choisir de ne pas adopter la mesure visée au point 1, sous a), de ladite clause, consistant à exiger que le renouvellement de tels contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs soit justifié par des raisons objectives. Il peut, au contraire, préférer adopter l’une des mesures ou les deux mesures visées au point 1, sous b) et c), de ladite clause, qui ont trait, respectivement, à la durée maximale totale de ces contrats ou relations de travail successifs et au nombre de renouvellements de ceux-ci, voire encore choisir de maintenir une mesure légale existante équivalente, et ce pour autant que, quelle que soit alors la mesure choisie, la prévention effective de l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée est assurée (voir arrêt Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 94, ainsi que, en ce sens, arrêt Deutsche Lufthansa, EU:C:2011:129, point 44).

62      En outre, lorsque, comme en l’occurrence, le droit de l’Union ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où des abus auraient néanmoins été constatés, il incombe aux autorités nationales d’adopter des mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre (voir, notamment, arrêt Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 158, ainsi que ordonnances Affatato, C‑3/10, EU:C:2010:574, point 45, et Papalia, EU:C:2013:873, point 20).

63      Si, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre de telles normes relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, elles ne doivent cependant pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêt Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 159, ainsi que ordonnances Affatato, EU:C:2010:574, point 46, et Papalia, EU:C:2013:873, point 21).

64      Il s’ensuit que, lorsqu’un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une mesure présentant des garanties effectives et équivalentes de protection des travailleurs doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union (arrêt Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 160, ainsi que ordonnances Affatato, EU:C:2010:574, point 47, et Papalia, EU:C:2013:873, point 22).

65      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a souligné à maintes reprises, l’accord-cadre n’édicte pas une obligation générale des États membres de prévoir la transformation en un contrat à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée. En effet, la clause 5, point 2, de l’accord-cadre laisse en principe aux États membres le soin de déterminer quelles sont les conditions auxquelles les contrats ou les relations de travail à durée déterminée sont considérés comme conclus pour une durée indéterminée. Il en ressort que l’accord-cadre ne prescrit pas les conditions auxquelles il peut être fait usage des contrats à durée indéterminée (voir, notamment, arrêt Huet, EU:C:2012:133, points 38 à 40 et jurisprudence citée).

66      En l’occurrence, s’agissant de la réglementation nationale en cause dans les affaires au principal, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation des dispositions du droit interne, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi ou, le cas échéant, aux juridictions nationales compétentes, lesquelles doivent déterminer si les exigences rappelées aux points 56 à 65 du présent arrêt sont satisfaites par les dispositions de la réglementation nationale applicable (voir, notamment, arrêts Vassallo, C‑180/04, EU:C:2006:518, point 39, et Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 163, ainsi que ordonnance Papalia, EU:C:2013:873, point 30).

67      Il incombe donc à la juridiction de renvoi d’apprécier dans quelle mesure les conditions d’application ainsi que la mise en œuvre effective des dispositions pertinentes du droit interne en font une mesure adéquate pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs (voir, en ce sens, arrêts Vassallo, EU:C:2006:518, point 41, ainsi que Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 164).

68      Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son appréciation (voir, notamment, arrêt Vassallo, EU:C:2006:518, point 39, et ordonnance Papalia, EU:C:2013:873, point 31).

69      À cet égard, sans qu’il y ait lieu d’examiner si une réglementation nationale, telle que celle prévue à l’article 326 du code de la navigation, adoptée avant l’entrée en vigueur de la directive 1999/70 et de l’accord-cadre, comporte une «raison objective» au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, il convient de constater qu’une telle réglementation, qui prévoit une règle impérative selon laquelle, lorsqu’un travailleur a été employé de façon ininterrompue par le même employeur, en vertu de plusieurs contrats de travail à durée déterminée, pour une durée supérieure à un an, ces contrats sont transformés en relation de travail à durée indéterminée, est susceptible de satisfaire aux exigences rappelées aux points 56 à 65 du présent arrêt.

70      En effet, une telle réglementation est susceptible de comporter à la fois une mesure légale existante équivalente à la mesure préventive du recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs énoncée à la clause 5, point 1, sous b), de l’accord-cadre, relative à la durée maximale totale de tels contrats, ainsi qu’une mesure sanctionnant effectivement un tel recours abusif (voir, par analogie, arrêt Angelidaki e.a., EU:C:2009:250, point 170, ainsi que ordonnance Koukou, C‑519/08, EU:C:2009:269, point 79).

71      Cette conclusion n’apparaît pas susceptible d’être remise en cause par l’exigence découlant de cette réglementation, selon laquelle ne sont considérés comme «ininterrompus» et, partant, comme «successifs», que les contrats de travail à durée déterminée séparés par un laps de temps inférieur ou égal à 60 jours. En effet, un tel laps de temps peut être, en général, considéré comme suffisant pour interrompre toute relation de travail existante et, en conséquence, faire en sorte que tout contrat éventuel signé ultérieurement ne soit pas considéré comme étant successif, et cela d’autant plus lorsque, comme dans les affaires en cause au principal, la durée des contrats de travail à durée déterminée ne peut excéder 78 jours. Il apparaît en effet difficile, pour un employeur ayant des besoins permanents et durables, de contourner la protection accordée par l’accord-cadre contre les abus en laissant courir, au terme de chaque contrat de travail à durée déterminée, un délai d’environ deux mois (voir, par analogie, ordonnance Vassilakis e.a., EU:C:2008:346, point 115).

72      Toutefois, il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, chargées de la mise en œuvre des mesures de transposition de la directive 1999/70 et ainsi appelées à se prononcer sur la qualification de contrats de travail à durée déterminée successifs, d’examiner, dans chaque cas, toutes les circonstances de la cause, en prenant en considération, notamment, le nombre desdits contrats successifs conclus avec la même personne ou aux fins de l’accomplissement d’un même travail, afin d’exclure que des relations de travail à durée déterminée soient utilisées de façon abusive par les employeurs (voir ordonnance Vassilakis e.a., EU:C:2008:346, point 116).

73      En particulier, dans des affaires telles que celles au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de s’assurer que la durée maximale d’un an prévue par la réglementation nationale en cause au principal est calculée d’une manière qui ne conduit pas à réduire substantiellement le caractère effectif de la prévention et de la sanction du recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs. Tel pourrait être le cas, ainsi que la Commission européenne l’a relevé dans ses observations écrites, si cette durée maximale était calculée en fonction, non pas du nombre de jours civils couverts par ces contrats de travail, mais en fonction du nombre de jours d’activité effectivement accomplis par le travailleur concerné, lorsque, en raison, par exemple, de la faible fréquence des trajets, ce dernier nombre est nettement inférieur au premier.

74      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit la transformation de contrats de travail à durée déterminée en relation de travail à durée indéterminée uniquement dans le cas où le travailleur concerné a été employé de façon ininterrompue en vertu de tels contrats par le même employeur pour une durée supérieure à un an, la relation de travail étant considérée comme ininterrompue lorsque les contrats de travail à durée déterminée sont séparés par un laps de temps inférieur ou égal à 60 jours. Il incombe cependant à la juridiction de renvoi de vérifier que les conditions d’application ainsi que la mise en œuvre effective de cette réglementation en font une mesure adéquate pour prévenir et sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

 Sur les dépens

75      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à des travailleurs, tels que les requérants au principal, employés en tant que marins dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée sur des ferries effectuant un trajet maritime entre deux ports situés dans le même État membre.

2)      Les dispositions de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les contrats de travail à durée déterminée doivent indiquer leur durée, mais non leur terme.

3)      La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit la transformation de contrats de travail à durée déterminée en relation de travail à durée indéterminée uniquement dans le cas où le travailleur concerné a été employé de façon ininterrompue en vertu de tels contrats par le même employeur pour une durée supérieure à un an, la relation de travail étant considérée comme ininterrompue lorsque les contrats de travail à durée déterminée sont séparés par un laps de temps inférieur ou égal à 60 jours. Il incombe cependant à la juridiction de renvoi de vérifier que les conditions d’application ainsi que la mise en œuvre effective de cette réglementation en font une mesure adéquate pour prévenir et sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.